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A Selection from the Comedies of Marivaux

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Autant l'un que l'autre, Mademoiselle.

MARTON.

Il s'est trop hâté de partir. J'entends Madame qui vient, et comme, grâces[24] aux arrangements de monsieur Remy, vos intérêts sont presque les miens, ayez la bonté d'aller un moment sur la terrasse, afin que je la prévienne.

DORANTE.

Volontiers, Mademoiselle.

MARTON, en le voyant sortir.

J'admire ce penchant dont on se prend tout d'un coup l'un pour l'autre.

SCÈNE VI.

ARAMINTE, MARTON.
ARAMINTE.

Marton, quel est donc cet homme qui vient de me saluer si gracieusement, et qui passe sur la terrasse? Est-ce à vous à qui il en veut?[25]

MARTON.

Non, Madame, c'est à vous-même.

ARAMINTE, d'un air assez vif.

Eh bien! qu'on le fasse venir; pourquoi s'en va-t-il?

MARTON.

C'est qu'il a souhaité que je vous parlasse auparavant. C'est le neveu de monsieur Remy, celui qu'il vous a proposé pour homme d'affaires.

ARAMINTE.

Ah! c'est là lui! Il a vraiment très bonne façon.

MARTON.

Il est généralement estimé, je le sais.

ARAMINTE.

Je n'ai pas de peine à le croire: il a tout l'air de le mériter. Mais, Marton, il a si bonne mine, pour un intendant, que je me fais quelque scrupule de le prendre: n'en dira-t-on rien?

MARTON.

Et que voulez-vous qu'on dise? Est-on obligé de n'avoir que des intendants mal faits?

ARAMINTE.

Tu as raison. Dis-lui qu'il revienne. Il n'étoit pas nécessaire de me préparer à le recevoir: dès que c'est monsieur Remy qui me le donne, c'en est assez; je le prends.

MARTON, comme s'en allant.[26]

Vous ne sauriez mieux choisir. (Et puis revenant.) Êtes-vous convenue du parti [26] que vous lui faites? Monsieur Remy m'a chargé de vous en parler.

ARAMINTE.

Cela est inutile. Il n'y aura point de dispute là-dessus. Dès que c'est un honnête homme, il aura lieu d'être content. Appelez-le.

MARTON, hésitant de partir.

On lui laissera ce petit appartement qui donne sur le jardin, n'est-ce pas?

ARAMINTE.

Oui; comme il voudra. Qu'il vienne.

(Marton va dans la coulisse.)

SCÈNE VII.

DORANTE, ARAMINTE, MARTON.
MARTON.

Monsieur Dorante, Madame vous attend.

ARAMINTE.

Venez, Monsieur; je suis obligée à monsieur Remy d'avoir songé à moi. Puisqu'il me donne son neveu, je ne doute pas que ce ne soit un présent qu'il me fasse. Un de mes amis me parla avant-hier d'un intendant qu'il doit m'envoyer aujourd'hui; mais je m'en tiens à vous.

DORANTE.

J'espère, Madame, que mon zèle justifiera la préférence dont vous m'honorez, et que je vous supplie de me conserver. Rien ne m'affligeroit tant à présent que de la perdre.

MARTON.

Madame n'a pas deux paroles.

ARAMINTE.

Non, Monsieur; c'est une affaire terminée, je renverrai tout.[28] Vous êtes au fait des affaires, apparemment; vous y avez travaillé?

DORANTE.

Oui, Madame; mon père étoit avocat, et je pourrois l'être moi-même.

ARAMINTE.

C'est-à-dire que vous êtes un homme de très bonne famille, et même au- dessus du parti[29] que vous prenez?

DORANTE.

Je ne sens rien qui m'humilie dans le parti que je prends, Madame; l'honneur de servir une dame comme vous n'est au-dessous de qui que ce soit, et je n'envierai la condition de personne.

ARAMINTE.

Mes façons ne vous feront point changer de sentiment. Vous trouverez ici tous les égards que vous méritez; et si, dans la suite, il y avoit occasion de vous rendre service, je ne la manquerai point.

MARTON.

Voilà Madame, je la reconnois.

ARAMINTE.

Il est vrai que je suis toujours fâchée de voir d'honnêtes gens sans fortune, tandis qu'une infinité de gens de rien et sans mérite en ont une éclatante; c'est une chose qui me blesse, surtout dans les personnes de son âge: car vous n'avez que trente ans tout au plus?

DORANTE.

Pas tout à fait encore, Madame.

ARAMINTE.

Ce qu'il y a de consolant pour vous, c'est que vous avez le temps de devenir heureux.

DORANTE.

Je commence à l'être aujourd'hui, Madame.

ARAMINTE.

On vous montrera l'appartement que je vous destine; s'il ne vous convient pas, il y en a d'autres, et vous choisirez. Il faut aussi quelqu'un qui vous serve, et c'est à quoi je vais pourvoir. Qui lui donnerons-nous, Marton?

MARTON.

Il n'y a qu'à prendre Arlequin, Madame. Je le vois à l'entrée de la salle, et je vais l'appeler. Arlequin, parlez à Madame.

SCÈNE VIII.

ARAMINTE, DORANTE, MARTON, ARLEQUIN.
ARLEQUIN.

Me voilà, Madame.

ARAMINTE.

Arlequin, vous êtes à présent à Monsieur; vous le servirez; je vous donne à lui.

ARLEQUIN.

Comment, Madame, vous me donnez à lui? Est-ce que je ne serai plus à moi?
Ma personne ne m'appartiendra donc plus?

MARTON.

Quel benêt!

ARAMINTE.

J'entends qu'au lieu de me servir, ce sera lui que tu serviras.

ARLEQUIN, comme pleurant.

Je ne sais pas pourquoi Madame me donne mon congé: je n'ai pas mérité ce traitement; je l'ai toujours servie à faire plaisir.

ARAMINTE.

Je ne te donne point ton congé, je te payerai pour être à Monsieur.

ARLEQUIN.

Je représente[30] à Madame que cela ne seroit pas juste: je ne donnerai pas ma peine d'un côté, pendant que l'argent me viendra d'un autre. Il faut que vous ayez mon service, puisque j'aurai vos gages; autrement je friponnerois Madame.

ARAMINTE.

Je désespère de lui faire entendre raison.

MARTON.

Tu es bien sot! Quand je t'envoie quelque part, ou que je te dis: «Fais telle ou telle chose,» n'obéis-tu pas?

ARLEQUIN.

Toujours.

MARTON.

Eh bien! ce sera Monsieur qui te le dira comme moi, et ce sera à la place de Madame et par son ordre.

ARLEQUIN.

Ah! c'est une autre affaire. C'est Madame qui donnera ordre à Monsieur de souffrir mon service, que je lui prêterai par le commandement de Madame.

MARTON.

Voilà ce que c'est.

ARLEQUIN.

Vous voyez bien que cela méritoit explication.

UN DOMESTIQUE vient.

Voici votre marchande qui vous apporte des étoffes, Madame.

ARAMINTE.

Je vais les voir, et je reviendrai. Monsieur, j'ai à vous parler d'une affaire; ne vous éloignez pas.

SCENE IX.

DORANTE, MARTON, ARLEQUIN.
ARLEQUIN.

Oh! ça, Monsieur, nous sommes donc l'un à l'autre, et vous avez le pas sur moi. Je serai le valet qui sert, et vous le valet qui serez servi par ordre.

MARTON.

Ce faquin, avec ses comparaisons! Va-t'en.

ARLEQUIN.

Un moment, avec votre permission. Monsieur, ne payerez-vous rien? Vous a- t-on donné ordre d'être servi gratis?

(Dorante rit.)

MARTON.

Allons, laisse-nous. Madame te payera; n'est-ce pas assez?

ARLEQUIN.

Pardi,[31] Monsieur, je ne vous coûterai donc guère? On ne sauroit avoir un valet à meilleur marché.

DORANTE.

Arlequin a raison. Tiens, voilà d'avance ce que je te donne.

ARLEQUIN.

Ah! voilà une action de maître. A votre aise le reste.[32]

DORANTE.

Va boire à ma santé.

ARLEQUIN, s'en allant.

Oh! s'il ne faut que boire afin qu'elle soit bonne, tant que je vivrai je vous la promets excellente. (A part.) Le gracieux camarade qui m'est venu là par hasard.

SCÈNE X.

DORANTE, MARTON, Mme. ARGANTE, qui arrive un instant après.

MARTON.

Vous avez, lieu d'être satisfait de l'accueil de Madame; elle paroît faire cas de vous, et tant mieux, nous n'y perdons point. Mais voici madame Argante; je vous avertis que c'est sa mère, et je devine à peu près ce qui l'amène.

Mme. ARGANTE, femme brusque et vaine.

Eh bien, Marton, ma fille a un nouvel intendant que son procureur lui a donné, m'a-t-elle dit: j'en suis fâchée; cela n'est point obligeant pour monsieur le Comte, qui lui en avoit retenu un: du moins devoit-elle attendre, et les voir tous deux. D'où vient préférer celui-ci?[33] Quelle espèce d'homme est-ce?

MARTON.

C'est Monsieur, Madame.

Mme. ARGANTE.

Eh! c'est Monsieur! Je ne m'en serais pas doutée: il est bien jeune.

MARTON.

A trente ans, on est en âge d'être intendant de maison, Madame.

Mme. ARGANTE.

C'est selon. Êtes-vous arrêté,[34] Monsieur?

DORANTE.

Oui, Madame.

Mme. ARGANTE.

Et de chez qui sortez-vous?

DORANTE.

De chez moi, Madame; je n'ai encore été chez personne.

Mme. ARGANTE.

De chez vous! Vous allez donc faire ici votre apprentissage?

MARTON.

Point du tout. Monsieur entend les affaires; il est fils d'un père extrêmement habile.

Mme. ARGANTE, à Marton, à part.

Je n'ai pas grande opinion de cet homme-là. Est-ce là la figure d'un intendant? Il n'en a non plus l'air…

MARTON, à part aussi.

L'air n'y fait rien: je vous réponds de lui; c'est l'homme qu'il nous faut.

Mme. ARGANTE.

Pourvu que Monsieur ne s'écarte pas des intentions que nous avons, il me sera indifférent que ce soit lui ou un autre.

DORANTE.

Peut-on savoir ces intentions, Madame?

Mme. ARGANTE.

Connoissez-vous monsieur le Comte Dorimont? C'est un homme d'un beau nom; ma fille et lui alloient avoir un procès ensemble, au sujet d'une terre considérable; il ne s'agissoit pas moins que de savoir à qui elle resteroit, et on a songé à les marier, pour empêcher qu'ils ne plaident. Ma fille est veuve d'un homme qui étoit fort considéré dans le monde, et qui l'a laissée fort riche; mais madame la Comtesse Dorimont auroit un rang si élevé, iroit de pair avec des personnes d'une si grande distinction, qu'il me tarde[35] de voir ce mariage conclu; et, je l'avoue, je serois charmée moi-même d'être la mère de madame la Comtesse Dorimont, et de plus que cela peut-être: car monsieur le Comte Dorimont est en passe[36] d'aller à tout.[37]

DORANTE.

Les paroles sont-elles données de part et d'autre?

Mme. ARGANTE.

Pas tout à fait encore, mais à peu près: ma fille n'en est pas éloignée. Elle souhaiteroit seulement, dit-elle, d'être bien instruite de l'état de l'affaire, et savoir si elle n'a pas meilleur droit que monsieur le Comte, afin que, si elle l'épouse, il lui en ait plus d'obligation. Mais j'ai quelquefois peur que ce ne soit une défaite.[38] Ma fille n'a qu'un défaut, c'est que je ne lui trouve pas assez d'élévation[39]; le beau nom de Dorimont et le rang de comtesse ne la touchent pas assez; elle ne sent pas le désagrément qu'il y a de n'être qu'une bourgeoise. Elle s'endort dans cet état[40], malgré le bien qu'elle a.

DORANTE, doucement.

Peut-être n'en sera-t-elle pas plus heureuse si elle en sort.

Mme. ARGANTE, vivement.

Il ne s'agit pas de ce que vous en pensez; gardez votre petite réflexion roturière,[41] et servez-nous, si vous voulez être de nos amis.

MARTON.

C'est un petit trait de morale qui ne gâte rien à notre affaire.

Mme. ARGANTE.

Morale subalterne qui me déplaît.

DORANTE.

De quoi est-il question, Madame?

Mme. ARGANTE.

De dire à ma fille, quand vous aurez vu ses papiers, que son droit est le moins bon; que, si elle plaidoit. elle perdroit.

DORANTE.

Si effectivement son droit est le plus foible, je ne manquerai pas de l'en avertir. Madame,

Mme. ARGANTE, à part, à Marton.

Hum! quel esprit borné! (A Dorante.) Vous n'y êtes point; ce n'est pas là ce qu'on vous dit; on vous charge de lui parler ainsi indépendamment de son droit bien ou mal fondé.

DORANTE.

Mais, Madame, il n'y auroit point de probité à la tromper.

Mme. ARGANTE.

De probité! J'en manque donc, moi? Quel raisonnement! C'est moi qui suis sa mère, et qui vous ordonne de la tromper à son avantage, entendez-vous? c'est moi, moi.

DORANTE.

Il y aura toujours de la mauvaise foi de ma part.

Mme. ARGANTE, à part, à Marton.

C'est un ignorant que cela, qu'il faut renvoyer. Adieu, monsieur l'homme d'affaires, qui n'avez fait celles de personne.

(Elle sort.)

SCÈNE XI.

DORANTE, MARTON.
DORANTE.

Cette mère-là ne ressemble guère à sa fille.

MARTON.

Oui, il y a quelque différence, et je suis fâchée de n'avoir pas eu le temps de vous prévenir sur son humeur brusque. Elle est extrêmement entêtée de ce mariage, comme vous voyez. Au surplus, que vous importe ce que vous direz à la fille, dès que la mère sera votre garant? Vous n'aurez rien à vous reprocher, ce me semble; ce ne sera pas là une tromperie.

DORANTE.

Eh! vous m'excuserez; ce sera toujours l'engager à prendre un parti qu'elle ne prendroit peut-être pas sans cela. Puisque l'on veut que j'aide à l'y déterminer, elle y résiste donc?

MARTON.

C'est par indolence.

DORANTE.

Croyez-moi, disons la vérité.

MARTON.

Oh! ça, il y a une petite raison à laquelle vous devez vous rendre: c'est que monsieur le Comte me fait présent de mille écus le jour de la signature du contrat; et cet argent-là, suivant le projet de monsieur Remy, vous regarde aussi bien que moi, comme vous voyez.

DORANTE.

Tenez, Mademoiselle Marton, vous êtes la plus aimable fille du monde; mais ce n'est que faute de réflexion que ces mille écus vous tentent.

MARTON.

Au contraire, c'est par réflexion qu'ils me tentent; plus j'y rêve, et plus je les trouve bons.

DORANTE.

Mais vous aimez votre maîtresse; et, si elle n'étoit pas heureuse avec cet homme-là, ne vous reprocheriez-vous pas d'y avoir contribué pour une misérable somme?

MARTON.

Ma foi, vous avez beau dire: d'ailleurs, le Comte est un honnête homme, et je n'y entends point de finesse.[42] Voilà Madame qui revient; elle a à vous parier. Je me retire. Méditez sur cette somme, vous la goûterez aussi bien que moi.

DORANTE.

Je ne suis pas si fâché de la tromper.

SCÈNE XII.

ARAMINTE, DORANTE.
ARAMINTE.

Vous avez donc vu ma mère?

DORANTE.

Oui, Madame; il n'y a qu'un moment.

ARAMINTE.

Elle me l'a dit, et voudroit bien que j'en eusse pris un autre que vous.

DORANTE.

Il me l'a paru.[43]

ARAMINTE.

Oui, mais ne vous embarrassez point, vous me convenez.

DORANTE.

Je n'ai point d'autre ambition.

ARAMINTE.

Parlons de ce que j'ai à vous dire; mais que ceci soit secret entre nous, je vous prie.

DORANTE.

Je me trahirois plutôt moi-même.

ARAMINTE.

Je n'hésite point non plus à vous donner ma confiance. Voici ce que c'est: on veut me marier avec monsieur le Comte Dorimont, pour éviter un grand procès que nous aurions ensemble au sujet d'une terre que je possède.

DORANTE.

Je le sais, Madame, et j'ai eu le malheur d'avoir déplu tout à l'heure là- dessus à madame Argante.

ARAMINTE.

Eh! d'où vient?[44]

DORANTE.

C'est que, si, dans votre procès, vous avez le bon droit de votre côté, on souhaite que je vous dise le contraire, afin de vous engager plus vite à ce mariage: et j'ai prié qu'on m'en dispensât.

ARAMINTE.

Que ma mère est frivole! Votre fidélité ne me surprend point; j'y comptois. Faites toujours de même, et ne vous choquez point de ce que ma mère vous a dit; je la désapprouve. A-t-elle tenu quelque discours désagréable?

DORANTE.

Il n'importe, Madame; mon zèle et mon attachement en augmentent, voilà tout.

ARAMINTE.

Et voilà aussi pourquoi je ne veux pas qu'on vous chagrine, et que j'y mettrai bon ordre.[45] Qu'est-ce que cela signifie? Je me fâcherai, si cela continue. Comment donc? vous ne seriez pas en repos! On aura de mauvais procédés avec vous, parce que vous en avez d'estimables: cela seroit plaisant![46]

DORANTE.

Madame, par toute la reconnoissance que je vous dois, n'y prenez point garde: je suis confus de vos bontés, et je suis trop heureux d'avoir été querellé.

ARAMINTE.

Je loue vos sentiments. Revenons à ce procès dont il est question: si je n'épouse point monsieur le Comte…

SCÈNE XIII.

DORANTE, ARAMINTE, DUBOIS.
DUBOIS.

Madame la Marquise se porte mieux, Madame (il feint de voir Dorante avec surprise), et vous est fort obligée… fort obligée de votre attention. (Dorante feint de détourner la tête pour se cacher de Dubois.)

ARAMINTE.

Voilà qui est bien.

DUBOIS, regardant toujours Dorante.

Madame, on m'a chargé aussi de vous dire un mot qui presse.

ARAMINTE.

De quoi s'agit-il?

DUBOIS.

Il m'est recommandé de ne vous parler qu'en particulier.

ARAMINTE, à Dorante.

Je n'ai point achevé ce que je voulois vous dire; laissez-moi, je vous prie, un moment, et revenez.

SCÈNE XIV.

ARAMINTE, DUBOIS.
ARAMINTE.

Qu'est-ce que c'est donc que cet air étonné que tu as marqué, ce me semble, en voyant Dorante? D'où vient cette attention à le regarder?

DUBOIS.

Ce n'est rien, sinon que je ne saurois plus avoir l'honneur de servir
Madame, et qu'il faut que je lui demande mon congé.

ARAMINTE, surprise.

Quoi! seulement pour avoir vu Dorante ici?

DUBOIS.

Savez-vous à qui vous avez à faire?

ARAMINTE.

Au neveu de monsieur Remy, mon procureur.

DUBOIS.

Eh! par quel tour d'adresse est-il connu de Madame? Comment a-t-il fait pour arriver jusqu'ici?

ARAMINTE.

C'est monsieur Remy qui me l'a envoyé pour intendant.

DUBOIS.

Lui votre intendant! Et c'est monsieur Remy qui vous l'envoie! Hélas! le bonhomme, il ne sait pas qui il vous donne: c'est un démon que ce garçon- là.

ARAMINTE.

Mais que signifient tes exclamations? Explique-toi: est-ce que tu le connois?

DUBOIS.

Si je le connois, Madame! si je le connois! Ah! vraiment oui; et il me connoît bien aussi. N'avez-vous pas vu comme il se détournoit, de peur que je ne le visse?

ARAMINTE.

Il est vrai, et tu me surprends à mon tour. Seroit-il capable de quelque mauvaise action, que tu saches? Est-ce que ce n'est pas un honnête homme?

DUBOIS.

Lui? il n'y a point de plus brave homme dans toute la terre; il a, peut- être, plus d'honneur à lui tout seul que cinquante honnêtes gens ensemble. Oh! c'est une probité merveilleuse; il n'a peut-être pas son pareil.

ARAMINTE.

Eh! de quoi peut-il donc être question? D'où vient que tu m'alarmes? En vérité, j'en suis toute émue.

DUBOIS.

Son défaut, c'est là. (Il se touche le front.) C'est à la tête que le mal le tient.

ARAMINTE.

A la tête?

DUBOIS.

Oui, il est timbré; mais timbré comme cent.[47]

ARAMINTE.

Dorante! Il m'a paru de très bon sens. Quelle preuve as-tu de sa folie?

DUBOIS.

Quelle preuve? Il y a six mois qu'il est tombé fou; il y a six mois qu'il extravague d'amour, qu'il en a la cervelle brûlée,[48] qu'il en est comme un perdu[49]; je dois bien le savoir, car j'étois à lui, je le servois, et c'est ce qui m'a obligé de le quitter, et c'est ce qui me force de m'en aller encore. Otez cela, c'est un homme incomparable.

ARAMINTE, un peu boudant.[50]

Oh bien! il sera, ce qu'il voudra, mais je ne le garderai pas: on a bien affaire[51] d'un esprit renversé[52]! et peut-être encore, je gage, pour quelque objet qui n'en vaut pas la peine: car les hommes ont des fantaisies…

DUBOIS.

Ah! vous m'excuserez: pour ce qui est de l'objet, il n'y a rien à dire.
Malepeste![53] sa folie est de bon goût.

ARAMINTE.

N'importe, je veux le congédier. Est-ce que tu la connois, cette personne?

DUBOIS.

J'ai l'honneur de la voir tous les jours: c'est vous, Madame.

ARAMINTE.

Moi, dis-tu!

DUBOIS.

Il vous adore; il y a six mois qu'il n'en vit point, qu'il donnerait sa vie pour avoir le plaisir de vous contempler un instant. Vous avez dû voir qu'il a l'air enchanté quand il vous parle.

ARAMINTE.

Il y a bien en effet quelque petite chose qui m'a paru extraordinaire. Eh! juste Ciel! le pauvre garçon, de quoi s'avise-t-il?

DUBOIS.

Vous ne croiriez pas jusqu'où va sa démence; elle le ruine, elle lui coupe la gorge. Il est bien fait, d'une figure passable, bien élevé et de bonne famille; mais il n'est pas riche, et vous saurez qu'il n'a tenu qu'à lui d'épouser des femmes qui l'étoient, et de fort aimables, ma foi, qui offroient de lui faire sa fortune, et qui auroient mérité qu'on la leur fît à elles-mêmes. Il y en a une qui n'en sauroit revenir, et qui le poursuit encore tous les jours; je le sais, car je l'ai rencontrée.

ARAMINTE, avec négligence.

Actuellement?

DUBOIS.

Oui, Madame, actuellement: une grande brune très piquante, et qu'il fuit. Il n'y a pas moyen, Monsieur refuse tout. «Je les tromperois, me disoit- il: je ne puis les aimer, mon coeur est parti »; ce qu'il disoit quelquefois la larme à l'oeil: car il sent bien son tort.

ARAMINTE.

Cela est fâcheux. Mais où m'a-t-il vue avant que de[54] venir chez moi,
Dubois?

DUBOIS.

Hélas! Madame, ce fut un jour que vous sortîtes de l'Opéra qu'il perdit la raison: c'était un vendredi, je m'en ressouviens; oui, un vendredi: il vous vit descendre l'escalier, à ce qu'il me raconta, et vous suivit jusqu'à votre carrosse; il avoit demandé votre nom, et je le trouvai qui étoit comme extasié; il ne remuoit plus.

ARAMINTE.

Quelle aventure!

DUBOIS.

J'eus beau lui crier: «Monsieur!» Point de nouvelles, il n'y avoit plus personne au logis.[55] A la fin. pourtant, il revint à lui avec un air égaré; je le jetai dans une voiture, et nous retournâmes à la maison. J'espérois que cela se passeroit, car je l'aimois. C'est le meilleur maître! Point du tout, il n'y avoit plus de ressource: ce bon sens, cet esprit jovial, cette humeur charmante, vous aviez tout expédié, et dès le lendemain nous ne fîmes plus tous deux, lui, que rêver à vous, que vous aimer; moi, d'épier[56] depuis le matin jusqu'au soir ou vous alliez.

ARAMINTE.

Tu m'étonnes à un point!…

DUBOIS.

Je me fis même ami d'un de vos gens qui n'y est plus, un garçon fort exact, et qui m'instruisoit, et à qui je payois bouteille.[57] «C'est à la Comédie[58] qu'on va»; me disoit-il et je courois faire mon rapport, sur lequel, dès quatre heures,[59] mon homme étoit à la porte. «C'est chez madame celle-ci, c'est chez madame celle-là»; et, sur cet avis, nous allions toute la soirée habiter la rue, ne vous déplaise, pour voir Madame entrer et sortir, lui dans un fiacre, et moi derrière; tous deux morfondus et gelés, car c'étoit dans l'hiver[60]; lui ne s'en souciant guère, moi jurant par ci par là[61] pour me soulager.

ARAMINTE.

Est-il possible?

DUBOIS.

Oui, Madame. A la fin, ce train de vie m'ennuya; ma santé s'altéroit, la sienne aussi. Je lui fis accroire que vous étiez à la campagne: il le crut, et j'eus quelque repos; mais n'alla-t-il pas deux jours après vous rencontrer aux Tuileries,[62] où il avoit été s'attrister de votre absence? Au retour il étoit furieux, il voulut me battre, tout bon qu'il est; moi, je ne le voulus point, et je le quittai. Mon bonheur ensuite m'a mis chez Madame, où, à force de se démener, je le trouve parvenu à votre intendance, ce[63] qu'il ne troqueroit pas contre la place d'un empereur.

ARAMINTE.

Y a-t-il rien de si particulier? Je suis si lasse d'avoir des gens qui me trompent que je me réjouissois de l'avoir, parce qu'il a de la probité: ce n'est pas que je sois fâchée, car je suis bien au-dessus de cela.

DUBOIS.

Il y aura de la bonté à le renvoyer. Plus il voit Madame, plus il s'achève.

ARAMINTE.

Vraiment, je le renverrai bien; mais ce n'est pas là ce qui le guérira. D'ailleurs, je ne sais que dire à monsieur Remy, qui me l'a recommandé, et ceci m'embarrasse. Je ne vois pas trop comment m'en défaire honnêtement.

DUBOIS.

Oui; mais vous en ferez un incurable, Madame.

ARAMINTE, vivement.

Oh! tant pis pour lui. Je suis dans des circonstances où je ne saurois me passer d'un intendant; et puis il n'y a pas tant de risque que tu le crois: au contraire, s'il y avoit quelque chose qui pût ramener cet homme, c'est l'habitude de me voir plus qu'il n'a fait; ce seroit même un service à lui rendre.

DUBOIS.

Oui, c'est un remède bien innocent. Premièrement, il ne vous dira mot; jamais vous n'entendrez parler de son amour.

ARAMINTE.

En es-tu bien sûr?

DUBOIS.

Oh! il ne faut pas en avoir peur: il mourroit plutôt. Il a un respect, une adoration, une humilité pour vous, qui n'est pas concevable. Est-ce que vous croyez qu'il songe à être aimé? Nullement, il dit que dans l'univers il n'y a personne qui le mérite; il ne veut que vous voir, vous considérer, regarder vos yeux, vos grâces, votre belle taille; et puis c'est tout: il me l'a dit mille fois.

ARAMINTE, haussant les épaules,

Voilà qui est bien digne de compassion! Allons, je patienterai quelques jours, en attendant que j'en aie un autre. Au surplus, ne crains rien, je suis contente de toi; je récompenserai ton zèle, et je ne veux pas que tu me quittes, entends-tu, Dubois?

DUBOIS.

Madame, je vous suis dévoué pour la vie.

ARAMINTE.

J'aurai soin de toi. Surtout qu'il ne sache pas que je suis instruite; garde un profond secret, et que tout le monde, jusqu'à Marton, ignore ce que tu m'as dit: ce sont de ces choses qui ne doivent jamais percer.[64]

DUBOIS.

Je n'en ai jamais parlé qu'à Madame.

ARAMINTE.

Le voici qui revient; va-t'en.

SCÈNE XV.

DORANTE, ARAMINTE.

ARAMINTE, un moment seule.

La vérité est que voici une confidence dont je me serois bien passée moi- même.

DORANTE.

Madame, je me rends à vos ordres.

ARAMINTE.

Oui, Monsieur. De quoi vous parlois-je? Je l'ai oublié.

DORANTE.

D'un procès avec monsieur le Comte Dorimont.

ARAMINTE.

Je me remets;[65] je vous disois qu'on veut nous marier.

DORANTE.

Oui, Madame, et vous alliez, je crois, ajouter que vous n'étiez pas portée à ce mariage.

ARAMINTE.

Il est vrai. J'avois envie de vous charger d'examiner l'affaire, afin de savoir si je ne risquerois rien à plaider; mais je crois devoir vous dispenser de ce travail: je ne suis pas sûre de pouvoir vous garder.

DORANTE.

Ah! Madame, vous avez eu la bonté de me rassurer là-dessus.

ARAMINTE.

Oui; mais je ne faisois pas reflexion que j'ai promis à monsieur le Comte de prendre un intendant de sa main; vous voyez bien qu'il ne seroit pas honnête de lui manquer de parole, et, du moins, faut-il que je parle à celui qu'il m'amènera.

DORANTE.

Je ne suis pas heureux, rien ne me réussit, et j'aurai la douleur d'être renvoyé.

ARAMINTE, par foiblesse.

Je ne dis pas cela; il n'y a rien de résolu là-dessus.

DORANTE.

Ne me laissez point dans l'incertitude où je suis, Madame.

ARAMINTE.

Eh! mais oui, je tâcherai que vous restiez; je tâcherai.

DORANTE.

Vous m'ordonnez donc de vous rendre compte de l'affaire en question?

ARAMINTE.

Attendons: si j'allois épouser le Comte, vous auriez pris une peine inutile.

DORANTE.

Je croyois avoir entendu dire à Madame qu'elle n'avoit point de penchant pour lui.

ARAMINTE.

Pas encore.

DORANTE.

Et, d'ailleurs, votre situation est si tranquille et si douce!

ARAMINTE, à part.

Je n'ai pas le courage de l'affliger!… Eh bien, oui-da,[66] examinez toujours, examinez. J'ai des papiers dans mon cabinet, je vais les chercher. Vous viendrez les prendre, et je vous les donnerai. (En s'en allant.) Je n'oserois presque le regarder!

SCÈNE XVI.

DORANTE, DUBOIS, venant d'un air mystérieux et comme passant.[67]

DUBOIS.

Marton vous cherche pour vous montrer l'appartement qu'on vous destine. Arlequin est allé boire; j'ai dit que j'allois vous avertir. Comment vous traite-t-on?

DORANTE.

Qu'elle est aimable! Je suis enchanté! De quelle façon a-t-elle reçu ce que tu lui as dit?

DUBOIS, comme en fuyant.

Elle opine tout doucement à vous garder par compassion: elle espère vous guérir par l'habitude de la voir.

DORANTE, charmé.

Sincèrement?

DUBOIS.

Elle n'en réchappera point; c'est autant de pris.[68] Je m'en retourne.

DORANTE.

Reste, au contraire; je crois que voici Marton. Dis-lui que Madame m'attend pour me remettre des papiers, et que j'irai la trouver dès que je les aurai.

DUBOIS.

Partez: aussi bien ai-je un petit avis à donner à Marton. Il est bon de jeter dans tous les esprits les soupçons dont nous avons besoin.

SCÈNE XVII.

DUBOIS, MARTON.
MARTON.

Où est donc Dorante? Il me semble l'avoir vu avec toi?

DUBOIS, brusquement.

Il dit que Madame l'attend pour des papiers, il reviendra ensuite. Au reste, qu'est-il[69] nécessaire qu'il voie cet appartement? S'il n'en vouloit pas, il seroit bien délicat; pardi,[70] je lui conseillerais…

MARTON.

Ce ne sont pas là tes affaires; je suis les ordres de Madame.

DUBOIS.

Madame est bonne et sage; mais prenez garde: ne trouvez-vous pas que ce petit galant-là fait les yeux doux?

MARTON.

Il les fait comme il les a.[71]

DUBOIS.

Je me trompe fort si je n'ai pas vu la mine de ce freluquet considérer, je ne sais où, celle de Madame.

MARTON.

Eh bien! est-ce qu'on te fâche quand on la trouve belle?

DUBOIS.

Non. Mais je me figure quelquefois qu'il n'est venu ici que pour la voir de plus près.

MARTON, riant.

Ah! ah! quelle idée! Va, tu n'y entends rien; tu t'y connois mal.

DUBOIS, riant.

Ah! ah! je suis donc bien sot.

MARTON, riant en s'en allant.

Ah! ah! l'original avec ses observations!

DUBOIS, seul.

Allez, allez, prenez toujours.[72] J'aurai soin de vous les faire trouver meilleures. Allons faire jouer toutes nos batteries.

ACTE II

SCÈNE PREMIÈRE.

ARAMINTE, DORANTE.
DORANTE.

Non, Madame, vous ne risquez rien; vous pouvez plaider en toute sûreté.
J'ai même consulté plusieurs personnes, l'affaire est excellente; et, si
vous n'avez que le[73] motif dont vous parlez pour épouser monsieur le
Comte, rien ne vous oblige à ce mariage.

ARAMINTE.

Je l'affligerai beaucoup, et j'ai de la peine à m'y résoudre.

DORANTE.

Il ne seroit pas juste de vous sacrifier à la crainte de l'affliger.

ARAMINTE.

Mais avez-vous bien examiné? Vous me disiez tantôt que mon état étoit doux et tranquille; n'aimeriez-vous pas mieux que j'y restasse? N'êtes-vous pas un peu trop prévenu contre le mariage, et par conséquent contre monsieur le Comte?

DORANTE.

Madame, j'aime mieux vos intérêts que les siens, et que ceux de qui que ce soit au monde.

ARAMINTE.

Je ne saurois y trouver à redire; en tout cas, si je l'épouse, et qu'il veuille en mettre un autre ici à votre place, vous n'y perdrez point; je vous promets de vous en trouver une meilleure.

DORANTE, tristement.

Non, Madame, si j'ai le malheur de perdre celle-ci, je ne serai plus à personne; et apparemment[74] que je la perdrai, je m'y attends.

ARAMINTE.

Je crois pourtant que je plaiderai; nous verrons.

DORANTE.

J'avois encore une petite chose à vous dire, Madame. Je viens d'apprendre que le concierge d'un de vos terres est mort; on pourrait y mettre un de vos gens, et j'ai songé à Dubois, que je remplacerai ici par un domestique dont je réponds.

ARAMINTE.

Non, envoyez plutôt votre homme au château, et laissez-moi Dubois; c'est un garçon de confiance qui me sert bien, et que je veux garder. A propos, il m'a dit, ce me semble, qu'il avoit été à vous quelque temps?

DORANTE, feignant un peu d'embarras.

Il est vrai, Madame; il est fidèle, mais peu exact. Rarement, au reste, ces gens-là parlent-ils bien de ceux qu'ils ont servis. Ne me nuiroit-il point dans votre esprit?

ARAMINTE, négligemment.

Celui-ci dit beaucoup de bien de vous, et voilà tout. Que me veut monsieur
Remy?

SCÈNE II.

ARAMINTE, DORANTE, M. REMY.
M. REMY.

Madame, je suis votre très humble serviteur. Je viens vous remercier de la bonté que vous avez eue de prendre mon neveu à ma recommandation.

ARAMINTE.

Je n'ai pas hésité, comme vous l'avez vu.

M. REMY.

Je vous rends mille grâces. Ne m'aviez-vous pas dit qu'on vous en offroit un autre?

ARAMINTE.

Oui, Monsieur.

M. REMY.

Tant mieux, car je viens vous demander celui-ci pour une affaire d'importance.

DORANTE, d'un air de refus.

Et d'où vient,[75] Monsieur?

M. REMY.

Patience!

ARAMINTE.

Mais, monsieur Remy, ceci est un peu vif; vous prenez assez mal votre temps, et j'ai refusé l'autre personne.

DORANTE.

Pour moi, je ne sortirai jamais de chez Madame qu'elle ne me congédie.

M. REMY, brusquement.

Vous ne savez ce que vous dites. Il faut pourtant sortir; vous allez voir. Tenez, Madame, jugez-en vous-même; voici de quoi il est question: c'est une dame de trente-cinq ans, qu'on dit jolie femme, estimable, et de quelque distinction; qui ne déclare pas son nom; qui dit que j'ai été son procureur; qui a quinze mille livres de rente pour le moins, ce qu'elle prouvera; qui a vu Monsieur chez moi, qui lui a parlé, qui sait qu'il n'a pas de bien, et qui offre de l'épouser sans délai; et la personne qui est venue chez moi de sa part doit revenir tantôt pour savoir la réponse et vous mener tout de suite chez elle. Cela est-il net? Y a-t-il à se consulter là-dessus? Dans deux heures il faut être au logis. Ai-je tort, Madame?

ARAMINTE, froidement.

C'est à lui de répondre.

M. REMY.

Eh bien! A quoi pense-t-il donc? Viendrez-vous?

DORANTE.

Non, Monsieur, je ne suis pas dans cette disposition-là.

M. REMY.

Hum! Quoi? Entendez-vous ce que je vous dis, qu'elle a quinze mille livres de rente, entendez-vous?

DORANTE.

Oui, Monsieur; mais, en eût-elle vingt fois davantage, je ne l'épouserois pas; nous ne serions heureux ni l'un ni l'autre; j'ai le coeur pris; j'aime ailleurs.

M. REMY, d'un ton railleur et traînant ses mots.

J'ai le coeur pris! voilà qui est fâcheux! Ah! ah! le coeur est admirable! Je n'aurois jamais deviné la beauté des scrupules de ce coeur-là, qui veut qu'on reste intendant de la maison d'autrui, pendant qu'on peut l'être de la sienne. Est-ce là votre dernier mot, berger fidèle?

DORANTE.

Je ne saurois changer de sentiment, Monsieur.

M. REMY.

Oh! le sot coeur! mon neveu; vous êtes un imbécile, un insensé; et je tiens celle que vous aimez pour une guenon,[76] si elle n'est pas de mon sentiment, n'est-il pas vrai, Madame? et ne le trouvez- vous pas extravagant?

ARAMINTE, doucement,

Ne le querellez point. Il paroît avoir tort, j'en conviens.

M. REMY, vivement.

Comment! Madame, il pourroit…

ARAMINTE.

Dans sa façon de penser je l'excuse. Voyez pourtant, Dorante, tâchez de vaincre votre penchant, si vous le pouvez; je sais bien que cela est difficile.

DORANTE.

Il n'y a pas moyen. Madame, mon amour m'est plus cher que ma vie.

M. REMY, d'un air étonné.

Ceux qui aiment les beaux sentiments doivent être contents; en voilà un des plus curieux qui se fasse.[77] Vous trouvez donc cela raisonnable, Madame?

ARAMINTE.

Je vous laisse, parlez-lui vous-même. (A part.) Il me touche tant qu'il faut que je m'en aille.

(Elle sort.)

DORANTE.

Il ne croit pas si bien me servir.

SCÈNE III.

DORANTE, M. REMY, MARTON.

M. REMY, regardant son neveu.

Dorante, sais-tu bien qu'il n'y a point de fou aux petites-maisons[78] de ta force? (Marton arrive.) Venez, Mademoiselle Marton.

MARTON.

Je viens d'apprendre que vous étiez ici.

M. REMY.

Dites-nous un peu votre sentiment; que pensez-vous de quelqu'un qui n'a point de bien, et qui refuse d'épouser une honnête et fort jolie femme, avec quinze mille livres de rente bien venants?[79]

MARTON.

Votre question est bien aisée à décider: ce quelqu'un rêve.

M. REMY, montrant Dorante.

Voilà le rêveur; et pour excuse il allègue son coeur, que vous avez pris; mais, comme apparemment[80] il n'a pas encore emporté le vôtre, et que je vous crois encore à peu près dans tout votre bon sens, vu le peu de temps qu'il y a que vous le connoissez, je vous prie de m'aider à le rendre plus sage. Assurément vous êtes fort jolie, mais vous ne le disputerez point à un pareil établissement: il n'y a point de beaux yeux qui vaillent ce prix-là.

MARTON.

Quoi! Monsieur Remy, c'est de Dorante dont vous parlez? C'est pour se garder à moi qu'il refuse d'être riche?

M. REMY.

Tout juste, et vous êtes trop généreuse pour le souffrir.

MARTON, avec un air de passion.

Vous vous trompez, Monsieur, je l'aime trop moi-même pour l'en empêcher, et je suis enchantée. Ah! Dorante, que je vous estime! Je n'aurois pas cru que vous m'aimassiez tant.

M. REMY.

Courage! je ne fais que vous le montrer, et vous en êtes déjà coiffée! Pardi![81] le coeur d'une femme est bien étonnant; le feu y prend bien vite.

MARTON, comme chagrine.

Eh! Monsieur, faut-il tant de bien pour être heureux? Madame, qui a de la bonté pour moi, suppléera en partie, par sa générosité, à ce qu'il me sacrifie. Que je vous ai d'obligation, Dorante!

DORANTE.

Oh! non, Mademoiselle, aucune; vous n'avez point de gré à me savoir[82] de ce que je fais; je me livre à mes sentiments, et ne regarde que moi là- dedans; vous ne me devez rien, je ne pense pas à votre reconnoissance.

MARTON.

Vous me charmez: que de délicatesse! Il n'y a encore rien de si tendre que ce que vous me dites.

M. REMY.

Par ma foi, je ne m'y connois donc guère, car je le trouve bien plat. (A Marton.) Adieu, la belle enfant; je ne vous aurois, ma foi, pas évaluée ce qu'il vous achète. Serviteur, idiot; garde ta tendresse, et moi ma succession. (Il sort.)

MARTON.

Il est en colère, mais nous l'apaiserons.

DORANTE.

Je l'espère. Quelqu'un vient.

MARTON.

C'est le Comte, celui dont je vous ai parlé, et qui doit épouser Madame.

DORANTE.

Je vous laisse donc; il pourroit me parler de son procès: vous savez ce que je vous ai dit là-dessus, et il est inutile que je le voie.

SCÈNE IV.

LE COMTE, MARTON.
LE COMTE.

Bonjour, Marton.

MARTON.

Vous voilà donc revenu, Monsieur?

LE COMTE.

Oui. On m'a dit qu'Araminte se promenoit dans le jardin, et je viens d'apprendre de sa mère une chose qui me chagrine: je lui avois retenu un intendant, qui devoit aujourd'hui entrer chez elle, et cependant elle en a pris un autre qui ne plaît point à la mère, et dont nous n'avons rien à espérer.

MARTON.

Nous n'en devons rien craindre non plus, Monsieur. Allez, ne vous inquiétez point, c'est un galant homme; et, si la mère n'en est pas contente, c'est un peu de sa faute: elle a débuté tantôt par le brusquer d'une manière si outrée, l'a traité si mal, qu'il n'est pas étonnant qu'elle ne l'ait point gagné. Imaginez-vous qu'elle l'a querellé de ce qu'il étoit bien fait.

LE COMTE.

Ne seroit-ce point lui que je viens de voir sortir d'avec[83] vous?

MARTON.

Lui-même.

LE COMTE.

Il a bonne mine, en effet, et n'a pas trop l'air de ce qu'il est.

MARTON.

Pardonnez-moi, Monsieur: car il est honnête homme.

LE COMTE.

N'y auroit-il pas moyen de raccommoder cela? Araminte ne me hait pas, je pense, mais elle est lente à se déterminer, et, pour achever de la résoudre, il ne s'agiroit plus que de lui dire que le sujet de notre discussion est douteux pour elle. Elle ne voudra pas soutenir l'embarras d'un procès. Parlons à cet intendant; s'il ne faut que de l'argent pour le mettre dans nos intérêts, je ne l'épargnerai pas.

MARTON.

Oh! non; ce n'est point un homme à mener par là; c'est le garçon de France le plus désintéressé…

LE COMTE.

Tant pis! ces gens-là ne sont bons à rien.

MARTON.

Laissez-moi faire.

SCÈNE V.

LE COMTE, ARLEQUIN, MARTON.
ARLEQUIN.

Mademoiselle, voilà un homme qui en demande un autre; savez-vous qui c'est?

MARTON, brusquement.

Et qui est cet autre? A quel homme en veut-il?[84]

ARLEQUIN.

Ma foi, je n'en sais rien; c'est de quoi je m'informe à vous.[95]

MARTON.

Fais-le entrer.

ARLEQUIN, le faisant sortir[86] des coulisses.

Hé! le garçon! venez ici dire votre affaire.

SCÈNE VI.

LE COMTE, LE GARÇON, MARTON, ARLEQUIN.
MARTON.

Qui cherchez-vous?

LE GARÇON.

Mademoiselle, je cherche un certain monsieur à qui j'ai à rendre un portrait avec une boîte qu'il nous a fait faire: il nous a dit qu'on ne la remît qu'à lui-même, et qu'il viendroit la prendre; mais, comme mon père est obligé de partir demain pour un petit voyage, il m'a envoyé pour la lui rendre, et on m'a dit que je saurois de ses nouvelles ici. Je le connois de vue, mais je ne sais pas son nom.

MARTON.

N'est-ce pas vous, Monsieur le Comte?

LE COMTE.

Non, sûrement.

LE GARÇON.

Je n'ai point affaire à Monsieur, Mademoiselle, c'est une autre personne.

MARTON.

Et chez qui vous a-t-on dit que vous le trouveriez?

LE GARÇON.

Chez un procureur qui s'appelle monsieur Remy.

LE COMTE.

Ah! n'est-ce pas le procureur de Madame? Montrez-nous la boîte.

LE GARÇON.

Monsieur, cela m'est défendu; je n'ai ordre de la donner qu'à celui à qui elle est: le portrait de la dame est dedans.

LE COMTE.

Le portrait d'une dame! Qu'est-ce que cela signifie? Seroit-ce celui d'Araminte? Je vais tout à l'heure savoir ce qu'il en est.

SCÈNE VII.

MARTON, LE GARÇON.
MARTON.

Vous avez mal fait de parler de ce portrait devant lui. Je sais qui vous cherchez; c'est le neveu de monsieur Remy, de chez qui vous venez.

LE GARÇON.

Je le crois aussi, Mademoiselle.

MARTON.

Un grand homme qui s'appelle monsieur Dorante.

LE GARÇON.

Il me semble que c'est son mon.

MARTON.

Il me l'a dit; je suis dans sa confidence. Avez-vous remarqué le portrait?

LE GARÇON.

Non, je n'ai pas pris garde à qui il ressemble.

MARTON.

Eh bien! c'est de moi dont[87] il s'agit. Monsieur Dorante n'est pas ici, et ne reviendra pas sitôt. Vous n'avez qu'à me remettre la boîte; vous le pouvez en toute sûreté; vous lui ferez même plaisir. Vous voyez que je suis au fait.

LE GARÇON.

C'est ce qui me paroit. La voilà, Mademoiselle. Ayez donc, je vous prie, le soin de la lui rendre quand il sera revenu.

MARTON.

Oh! je n'y manquerai pas.

LE GARÇON.

Il y a encore une bagatelle qu'il doit dessus,[88] mais je tâcherai de repasser tantôt, et, s'il n'y étoit pas, vous auriez la bonté d'achever de payer.

MARTON.

Sans difficulté.[89] Allez. (A part.) Voici Dorante. (Au garçon.)
Retirez-vous vite.

SCÈNE VIII.

MARTON, DORANTE.

MARTON, un moment seule et joyeuse.

Ce ne peut être que mon portrait. Le charmant homme! Monsieur Remy a raison de dire qu'il y avoit quelque temps qu'il me connoissoit.

DORANTE.

Mademoiselle, n'avez-vous pas vu ici quelqu'un qui vient d'arriver?
Arlequin croit que c'est moi qu'il demande.

MARTON, le regardant avec tendresse.

Que vous êtes aimable, Dorante! Je serois bien injuste de ne vous pas aimer.[90] Allez, soyez en repos; l'ouvrier est venu, je lui ai parlé, j'ai la boîte, je la tiens.

DORANTE.

J'ignore…

MARTON.

Point de mystère; je la tiens, vous dis-je, et je ne m'en fâche pas. Je vous la rendrai quand je l'aurai vue. Retirez-vous, voici Madame avec sa mère et le Comte; c'est peut-être de cela qu'ils s'entretiennent. Laissez- moi les calmer là-dessus, et ne les attendez pas.

DORANTE, en s'en allant et riant.

Tout a réussi, elle prend le change à merveille.

SCÈNE IX.

ARAMINTE, LE COMTE, MME. ARGANTE, MARTON.
ARAMINTE.

Marton, qu'est-ce que c'est qu'un portrait dont monsieur le Comte me parle, qu'on vient d'apporter ici à quelqu'un qu'on ne nomme pas, et qu'on soupçonne être le mien? Instruisez-moi de cette histoire-là.

MARTON, d'un air rêveur.

Ce n'est rien, Madame; je vous dirai ce que c'est: je l'ai démêlé après que monsieur le Comte a été parti; il n'a que faire de[91] s'alarmer. Il n'y a rien là qui vous intéresse.

LE COMTE.

Comment le savez-vous, Mademoiselle? Vous n'avez point vu le portrait.

MARTON.

N'importe, c'est tout comme si je l'avois vu. Je sais qui il regarde; n'en soyez point en peine.

LE COMTE.

Ce qu'il y a de certain, c'est un portrait de femme,[92] et c'est ici qu'on vient chercher la personne qui l'a fait faire, à qui on doit le rendre, et ce n'est pas moi.

MARTON.

D'accord. Mais quand[93] je vous dis que Madame n'y est pour rien, ni vous non plus.

ARAMINTE.

Eh bien! si vous êtes instruite, dites-nous donc de quoi il est question, car je veux le savoir. On a des idées qui ne me plaisent point. Parlez.

Mme. ARGANTE.

Oui, ceci a un air de mystère qui est désagréable. Il ne faut pourtant pas vous fâcher, ma fille: monsieur le Comte vous aime, et un peu de jalousie, même injuste, ne messied pas à un amant.

LE COMTE.

Je ne suis jaloux que de l'inconnu qui ose se donner le plaisir d'avoir le portrait de Madame.

ARAMINTE, vivement.

Comme il vous plaira, Monsieur; mais j'ai entendu[94] ce que vous vouliez dire, et je crains un peu ce caractère d'esprit-là. Eh bien, Marton?

MARTON.

Eh bien, Madame, voilà bien du bruit! C'est mon portrait.

LE COMTE.

Votre portrait?

MARTON.

Oui, le mien. Eh! pourquoi non, s'il vous plaît? Il ne faut pas tant se récrier.

Mme. ARGANTE.

Je suis assez comme monsieur le Comte; la chose me paroît singulière.

MARTON.

Ma foi, Madame, sans vanité, on en peint tous les jours, et des plus huppées,[95] qui ne me valent pas.

ARAMINTE.

Et qui est-ce qui a fait cette dépense-là pour vous?

MARTON.

Un très aimable homme qui m'aime, qui a de la délicatesse et des sentiments, et qui me recherche; et, puisqu'il faut vous le nommer, c'est Dorante.

ARAMINTE.

Mon intendant?

MARTON.

Lui-même.

Mme. ARGANTE.

Le fat, avec ses sentiments!

ARAMINTE, brusquement.

Eh! vous nous trompez; depuis qu'il est ici, a-t-il en le temps de vous faire peindre?

MARTON.

Mais ce n'est pas d'aujourd'hui qu'il me connoît.

ARAMINTE, vivement.

Donnez donc.

MARTON.

Je n'ai pas encore ouvert la boîte, mais c'est moi que vous y allez voir.

(Araminte l'ouvre, tous regardent).

LE COMTE.

Eh! je m'en doutois bien: c'est Madame.

MARTON.

Madame!… Il est vrai, et me voilà bien loin de mon compte! (A part.)
Dubois avoit raison tantôt.

ARAMINTE, à part.

Et moi, je vois clair. (A Marton.) Par quel hasard avez-vous cru que c'étoit vous?

MARTON.

Ma foi, Madame, toute autre que moi s'y seroit trompée. Monsieur Remy me dit que son neveu m'aime, qu'il veut nous marier ensemble; Dorante est présent, et ne dit point non; il refuse devant moi un très riche parti; l'oncle s'en prend à moi, me dit que j'en suis cause. Ensuite vient un homme qui apporte ce portrait, qui vient chercher ici celui à qui il appartient; je l'interroge: à tout ce qu'il répond, je reconnois Dorante. C'est un petit portrait de femme, Dorante m'aime jusqu'à refuser sa fortune pour moi, je conclus donc que c'est moi qu'il a fait peindre. Ai- je eu tort? J'ai pourtant mal conclu. J'y renonce; tant d'honneur ne m'appartient point. Je crois voir toute l'étendue de ma méprise, et je me tais.

ARAMINTE.

Ah! ce n'est pas là une chose bien difficile à deviner. Vous faites le fâché, l'étonné, Monsieur le Comte; il y a eu quelque malentendu dans les mesures que vous avez prises; mais vous ne m'abusez point: c'est à vous qu'on apportait le portrait. Un homme dont on ne sait pas le nom, qu'on vient chercher ici, c'est vous, Monsieur, c'est vous.

MARTON, d'un air sérieux.

Je ne crois pas.

Mme. ARGANTE.

Oui, oui, c'est Monsieur; à quoi bon vous en défendre? Dans les termes où vous en êtes avec ma fille, ce n'est pas là un si grand crime; allons, convenez-en.

LE COMTE, froidement.

Non, Madame, ce n'est point moi, sur mon honneur; je ne connois pas ce monsieur Remy: comment auroit-on dit chez lui qu'on auroit de mes nouvelles ici? Cela ne se peut pas.

Mme. ARGANTE, a'un air pensif.

Je ne faisois pas attention à cette circonstance.

ARAMIMTE.

Bon! qu'est-ce que c'est qu'une circonstance de plus ou de moins? Je n'en rabats rien.[96] Quoi qu'il en soit, je le garde, personne ne l'aura. Mais quel bruit entendons-nous? Voyez ce que c'est, Marton.

SCÈNE X.

ARAMINTE, LE COMTE, Mme. ARGANTE, MARTON, DUBOIS, ARLEQUIN.

ARLEQUIN, en entrant.

Tu es un plaisant[97] magot!

MARTON.

A qui en avez-vous donc, vous autres?

DUBOIS.

Si je disois un mot, ton maître sortiroit bien vite.

ARLEQUIN.

Toi? Nous nous soucions de toi et de toute ta race de canaille comme de cela.[98]

DUBOIS.

Comme je te bâtonnerois, sans le respect de Madame!

ARLEQUIN.

Arrive, arrive: la voilà, Madame.

ARAMINTE.

Quel sujet avez-vous donc de quereller? De quoi s'agit-il?

Mme. ARGANTE.

Approchez, Dubois. Apprenez-nous ce que c'est que ce mot que vous diriez contre Dorante; il seroit bon de savoir ce que c'est.

ARLEQUIN.

Prononce donc ce mot.

ARAMINTE.

Tais-toi, laisse-le parler.

DUBOIS.

Il y a une heure qu'il me dit mille invectives, Madame.

ARLEQUIN.

Je soutiens les intérêts de mon maître, je tire des gages pour cela, et je ne souffrirai pas qu'un ostrogoth menace mon maître d'un mot; j'en demande justice à Madame.

Mme. ARGANTE.

Mais, encore une fois, sachons ce que veut dire Dubois par ce mot: c'est le plus pressé.

ARLEQUIN.

Je lui[99] défie d'en dire seulement une lettre.

DUBOIS.

C'est par pure colère que j'ai fait cette menace, Madame, et voici la cause de la dispute. En arrangeant l'appartement de monsieur Dorante, j'y ai vu par hasard un tableau où Madame est peinte, et j'ai cru qu'il falloit l'ôter, qu'il n'avoit que faire là, qu'il n'étoit point décent qu'il y restât; de sorte que j'ai été pour le détacher: ce butor est venu pour m'en empêcher, et peu s'en est fallu que nous ne nous soyons battus.

ARLEQUIN.

Sans doute, de quoi t'avises-tu d'ôter ce tableau, qui est tout à fait gracieux, que mon maître considéroit, il n'y avoit qu'un moment, avec toute la satisfaction possible? Car je l'avois vu qu'il[100] l'avoit contemplé de tout son coeur, et il prend fantaisie à ce brutal de le priver d'une peinture qui réjouit cet honnête homme. Voyez la malice! Ote- lui quelqu'autre meuble, s'il en a trop, mais laisse-lui cette pièce, animal.

DUBOIS.

Et moi, je te dis qu'on ne la laissera point, que je la détacherai moi- même, que tu en auras le démenti, et que Madame le voudra ainsi.

ARAMlNTE.

Eh! que m'importe? Il étoit bien nécessaire de faire ce bruit-là pour un vieux tableau qu'on a mis là par hasard, et qui y est resté. Laissez-nous. Cela vaut-il la peine qu'on en parle?

Mme. ARGANTE, d'un ton aigre.

Vous m'excuserez, ma fille: ce n'est point là sa place, et il n'y a qu'à l'ôter; votre intendant se passera bien de ses contemplations.

ARAMINTE, souriant d'un air railleur.

Oh! vous avez raison: je ne pense pas qu'il les regrette. (A Arlequin et à Dubois.) Retirez-vous tous deux.

SCÈNE XI.

ARAMINTE, LE COMTE, Mme. ARGANTE, MARTON.

LE COMTE, d'un ton railleur.

Ce qui est de sûr,[101] c'est que cet homme d'affaires-là est de bon goût.

ARAMINTE, ironiquement.

Oui, la réflexion est juste. Effectivement, il est fort extraordinaire qu'il ait jeté les yeux sur ce tableau.

Mme. ARGANTE.

Cet homme-là ne m'a jamais plu un instant, ma fille; vous le savez, j'ai le coup d'oeil assez bon, et je ne l'aime pas. Croyez-moi, vous avez entendu la menace que Dubois a faite en parlant de lui, j'y reviens encore, il faut qu'il ait quelque chose à en dire. Interrogez-le; sachons ce que c'est, je suis persuadée que ce petit monsieur-là ne vous convient point; nous le voyons tous, il n'y a que vous qui n'y prenez pas garde.

MARTON, négligemment.

Pour moi, je n'en suis pas contente.

ARAMINTE, riant ironiquement.

Qu'est-ce donc que vous voyez, et que je ne vois point? Je manque de pénétration; j'avoue que je m'y perds! Je ne vois pas le sujet[102] de me défaire d'un homme qui m'est donné de bonne main,[103] qui est un homme de quelque chose, qui me sert bien, et que trop bien peut-être: voilà ce qui n'échappe pas à ma pénétration, par exemple.

Mme. ARGANTE.

Que vous êtes aveugle!

ARAMINTE, d'un air souriant.

Pas tant; chacun a ses lumières, je consens,[104] au reste, d'écouter Dubois; le conseil est bon, et je l'approuve. Allez, Marton, allez lui dire que je veux lui parler, S'il me donne des motifs raisonnables de renvoyer cet intendant assez hardi pour regarder un tableau, il ne restera pas longtemps chez moi; sans quoi, on aura la bonté de trouver bon que je le garde en attendant qu'il me déplaise à moi,

Mme. ARGANTE, vivement.

Hé bien! il vous déplaira; je ne vous en dis pas davantage, en attendant de plus fortes preuves.

LE COMTE.

Quant à moi, Madame, j'avoue que j'ai craint qu'il ne me servît mal auprès de vous, qu'il ne vous inspirât l'envie de plaider, et j'ai souhaité par pure tendresse qu'il vous en détournât. Il aura pourtant beau faire, je déclare que je renonce à tous[105] procès avec vous, que je ne veux, pour arbitre de notre discussion, que vous et vos gens d'affaires, et que j'aime mieux perdre tout que de rien disputer.

Mme. ARGANTE, d'un ton décisif.

Mais où seroit la dispute? Le mariage termineroit tout, et le vôtre est comme arrêté.

LE COMTE.

Je garde le silence sur Dorante; je reviendrai simplement voir ce que vous pensez de lui, et, si vous le congédiez, comme je le présume, il ne tiendra qu'à vous de prendre celui que je vous offrois, et que je retiendrai encore quelque temps.

Mme. ARGANTE.

Je ferai comme Monsieur, je ne vous parlerai plus de rien non plus: vous m'accuseriez de vision, et votre entêtement finira sans notre secours. Je compte beaucoup sur Dubois, que voici, et avec lequel nous vous laissons.

SCÈNE XII.

DUBOIS, ARAMINTE.
DUBOIS.

On m'a dit que vous vouliez me parler, Madame.

ARAMINTE.

Viens ici: tu es bien imprudent, Dubois, bien indiscret; moi qui ai si bonne opinion de toi, tu n'as guère d'attention pour ce que je te dis. Je t'avois recommandé de te taire sur le chapitre de Dorante; tu en sais les conséquences ridicules, et tu me l'avois promis: pourquoi donc avoir prise,[106] sur ce misérable tableau, avec un sot qui fait un vacarme épouvantable, et qui vient ici tenir des discours tous[107] propres à donner des idées que je serois au désespoir qu'on eût?

DUBOIS.

Ma foi, Madame, j'ai cru la chose sans conséquence, et je n'ai agi d'ailleurs que par un mouvement[108] de respect et de zèle.

ARAMINTE, d'un air vif.

Eh! laisse là ton zèle, ce n'est pas là celui que je veux, ni celui qu'il me faut; c'est de ton silence dont[109] j'ai besoin pour me tirer de l'embarras où je suis, et où tu m'as jetée toi-même: car sans toi je ne savois[110] pas que cet homme-là m'aime, et je n'aurais que faire[111] d'y regarder de si près.

DUBOIS.

J'ai bien senti que j'avois tort.

ARAMINTE.

Passe encore pour la dispute; mais pourquoi s'écrier: «Si je disois un mot?» Y a-t-il rien de plus mal à toi?[112]

DUBOIS.

C'est encore une suite de ce zèle mal entendu.

ARAMINTE.

Eh bien! tais-toi donc, tais-toi; je voudrais pouvoir te faire oublier ce que tu m'as dit.

DUBOIS.

Oh! je suis bien corrigé.

ARAMINTE.

C'est ton étourderie qui me force actuellement de te parler, sous prétexte de t'interroger sur ce que tu sais de lui. Ma mère et monsieur le Comte s'attendent que tu vas m'en apprendre des choses étonnantes; quel rapport leur ferai-je à présent?

DUBOIS.

Ah! il n'y a rien de plus facile à raccommoder: ce rapport sera que des gens qui le connoissent m'ont dit que c'étoit un homme incapable de l'emploi qu'il a chez vous, quoiqu'il soit fort habile, au moins[113]: ce n'est pas cela qui lui manque.

ARAMINTE.

A la bonne heure; mais il y aura un inconvénient s'il en est capable[114]; on me dira de le renvoyer, et il n'est pas encore temps. J'y ai pensé depuis; la prudence ne le veut pas, et je suis obligée de prendre des biais,[115] et d'aller tout doucement avec cette passion si excessive que tu dis qu'il a, et qui éclateroit peut-être dans sa douleur. Me fierois-je à un désespéré? Ce n'est plus le besoin que j'ai de lui qui me retient, c'est moi que je ménage. (Elle radoucit le ton.) A moins que ce qu'a dit Marton ne soit vrai, auquel cas je n'aurois plus rien à craindre. Elle prétend qu'il l'avoit déjà vue chez monsieur Remy, et que le procureur a dit même devant lui qu'il l'aimoit depuis longtemps, et qu'il falloit qu'ils se mariassent. Je le voudrois.

DUBOIS.

Bagatelle! Dorante n'a vu Marton ni de près ni de loin; c'est le procureur qui a débité cette fable-là à Marton, dans le dessein de les marier ensemble; et moi je n'ai pas osé l'en dédire,[116] m'a dit Dorante, parce que j'aurois indisposé contre moi cette fille, qui a du crédit auprès de sa maîtresse, et qui a cru ensuite que c'étoit pour elle que je refusois les quinze mille livres de rente qu'on m'offroit.

ARAMINTE, négligemment.

Il t'a donc tout conté.

DUBOIS.

Oui, il n'y a qu'un moment, dans le jardin, où il a voulu presque se jeter à mes genoux pour me conjurer de lui garder le secret sur sa passion, et d'oublier l'emportement qu'il eut avec moi quand je le quittai. Je lui ai dit que je me tairois, mais que je ne prétendois pas rester dans la maison avec lui, et qu'il falloit qu'il sortît; ce qui l'a jeté dans des gémissements, dans des pleurs, dans le plus triste état du monde.

ARAMINTE.

Eh! tant pis; ne le tourmente point; tu vois bien que j'ai raison de dire qu'il faut aller doucement avec cet esprit-là, fu le vois bien. J'augurois beaucoup de ce mariage avec Marton; je croyois qu'il m'oublieroit; et point du tout, il n'est question de rien.

DUBOIS, comme s'en allant.[117]

Pure fable. Madame a-t-elle encore quelque chose à me dire?

ARAMINTE.

Attends: comment faire? Si, lorsqu'il me parle, il me mettoit en droit de me plaindre de lui! Mais il ne lui échappe rien; je ne sais de son amour que ce que tu m'en dis, et je ne suis pas assez fondée pour le renvoyer. Il est vrai qu'il me fâcherait s'il parloit; mais il seroit à propos qu'il me fâchât.

DUBOIS.

Vraiment oui; monsieur Dorante n'est point digne de Madame. S'il étoit dans une plus grande fortune, comme il n'y a rien à dire à ce qu'il est né,[118] ce seroit une autre affaire; mais il n'est riche qu'en mérite, et ce n'est pas assez.

ARAMINTE, d'un ton comme triste.

Vraiment non, voilà les usages; je ne sais pas comment je le traiterai; je n'en sais rien; je verrai.

DUBOIS.

Eh bien! Madame a un si beau prétexte… Ce portrait que Marton a cru être le sien, à ce qu'elle m'a dit.

ARAMINTE.

Eh! non, je ne saurois l'en accuser: c'est le Comte qui l'a fait faire.

DUBOIS.

Point du tout, c'est de Dorante,[119] je le sais de lui-même, et il y travailloit encore il n'y a que deux mois, lorsque je le quittai.

ARAMINTE.

Va-t'en; il y a longtemps que je te parle. Si on me demande ce que tu m'as appris de lui, je dirai ce dont nous sommes convenus. Le voici, j'ai envie de lui tendre un piège.

DUBOIS.

Oui, Madame, il se déclarera peut-être, et tout de suite je lui dirois:
«Sortez.»

ARAMINTE.

Laisse-nous.

SCÈNE XIII.

DORANTE, ARAMINTE, DUBOIS.

DUBOIS, sortant, et en passant auprès de Dorante et rapidement.

Il m'est impossible de l'instruire; mais, qu'il se découvre ou non, les choses ne peuvent aller que bien.

DORANTE.

Je viens, Madame, vous demander votre protection; je suis dans le chagrin et dans l'inquiétude: j'ai tout quitté pour avoir l'honneur d'être à vous, je vous suis plus attaché que je ne puis le dire; on ne sauroit vous servir avec plus de fidélité ni de désintéressement; et cependant je ne suis pas sûr de rester. Tout le monde ici m'en veut, me persécute et conspire pour me faire sortir, j'en suis consterné; je tremble que vous ne cédiez à leur inimitié pour moi, et j'en serois dans la dernière affliction.

ARAMINTE, d'un ton doux.

Tranquillisez-vous; vous ne dépendez point de ceux qui vous en veulent; ils ne vous ont encore fait aucun tort dans mon esprit, et tous leurs petits complots n'aboutiront à rien: je suis la maîtresse.

DORANTE, d'un air inquiet.

Je n'ai que votre appui, Madame.

ARAMINTE.

Il ne vous manquera pas; mais je vous conseille une chose: ne leur paraissez pas si alarmé, vous leur feriez douter de votre capacité, et il leur sembleroit que vous m'auriez beaucoup d'obligation de ce que je vous garde.

DORANTE.

Ils ne se tromperaient pas, Madame; c'est une bonté qui me pénètre de reconnoissance.

ARAMINTE.

A la bonne heure; mais il n'est pas nécessaire qu'ils le croient, je vous sais bon gré de votre attachement et de votre fidélité: niais dissimulez- en une partie, c'est peut-être ce qui les indispose contre vous. Vous leur avez refusé de m'en faire accroire[120] sur le chapitre du procès; conformez-vous à ce qu'ils exigent; regagnez-les par là, je vous le permets; l'événement leur persuadera que vous les avez bien servis, car, toute réflexion faite, je suis déterminée à épouser le Comte.

DORANTE, d'un ton ému.

Déterminée, Madame?

ARAMINTE.

Oui, tout à fait résolue: le Comte croira que vous y avez contribué; je le lui dirai même, et je vous garantis que vous resterez ici; je vous le promets. (A part.) Il change de couleur.

DORANTE.

Quelle différence pour moi, Madame!

ARAMINTE, d'un air délibéré.

II n'y en aura aucune, ne vous embarrassez pas, et écrivez le billet que je vais vous dicter; il y a tout ce qu'il faut sur cette table.

DORANTE.

Eh! pour qui, Madame?

ARAMINTE.

Pour le Comte, qui est sorti d'ici extrêmement inquiet, et que je vais surprendre bien agréablement par le petit ot que vous allez lui écrire en mon nom.

(Dorante reste rêveur, et, par distraction, ne va point à la table.)

ARAMINTE.

Eh bien, vous n'allez pas à la table? A quoi rêvez-vous?

DORANTE, toujours distrait.

Oui, Madame.

ARAMINTE, à part, pendant qu'il se place.

Il ne sait ce qu'il fait; voyons si cela continuera.

DORANTE cherche du papier.

Ah! Dubois m'a trompé!

ARAMINTE poursuit.

Êtes-vous prêt à écrire?

DORANTE.

Madame, je ne trouve point de papier.

ARAMINTE, allant elle-même.

Vous n'en trouvez point! en voilà devant vous.

DORANTE.

Il est vrai.

ARAMINTE.

Ecrivez. Hâtez-vous de venir, Monsieur, votre mariage est sûr… Avez- vous écrit?

DORANTE.

Comment, Madame?

ARAMINTE.

Vous ne m'écoutez donc pas? Votre mariage est sûr; Madame veut que je vous l'écrive, et vous attend pour vous le dire. (A part.) Il souffre, mais il ne dit mot; est-ce qu'il ne parlera pas? N'attribuez point cette résolution à la crainte que Madame pourroit avoir des suites d'un procès douteux.

DORANTE.

Je vous ai assuré que vous le gagneriez, Madame: douteux, il ne l'est point.

ARAMINTE.

N'importe, achevez. Non, Monsieur, je suis chargé de sa part de vous assurer que la seule justice qu'elle rend à votre mérite la détermine.

DORANTE.

Ciel! je suis perdu. Mais, Madame, vous n'aviez aucune inclination pour lui.

ARAMINTE.

Achevez, vous dis-je. Qu'elle rend à votre mérite la détermine… je crois que la main vous tremble! vous paroissez changé. Qu'est-ce que cela signifie? Vous trouvez-vous mal?

DORANTE.

Je ne me trouve pas bien, Madame.

ARAMINTE.

Quoi! si subitement! Cela est singulier. Pliez la lettre et mettez: A Monsieur le Comte Dorimont. Vous direz à Dubois qu'il la lui porte. (A part.) Le coeur me bat! (A Dorante.) Voilà qui est écrit tout de travers! Cette adresse-là n'est presque pas lisible. (A part.) Il n'y a pas encore là de quoi le convaincre.

DORANTE, à part.

Ne seroit-ce point aussi pour m'éprouver? Dubois ne m'a averti de rien.

SCÈNE XIV.

ARAMINTE, DORANTE, MARTON.
MARTON.

Je suis bien aise, Madame, de trouver Monsieur ici; il vous confirmera tout de suite ce que j'ai à vous dire. Vous avez offert en différentes occasions de me marier. Madame, et jusqu'ici je ne me suis point trouvée disposée à profiter de vos bontés. Aujourd'hui Monsieur me recherche; il vient même de refuser un parti infiniment plus riche, et le tout pour moi.: du moins me l'a-t-il laissé croire, et il est à propos qu'il s'explique; mais, comme je ne veux dépendre que de vous, c'est de vous aussi, Madame, qu'il faut qu'il m'obtienne. Ainsi, Monsieur, vous n'avez qu'à parler à Madame. Si elle m'accorde à vous, vous n'aurez point de peine à m'obtenir de moi-même.

(Elle sort.)

SCÈNE XV.

DORANTE, ARAMlNTE.

ARAMINTE, à part, émue.

Cette folle! (Haut.) Je suis charmée de ce qu'elle vient de m'apprendre. Vous avez fait là un très bon choix: c'est une fille aimable et d'un excellent caractère.

DORANTE, d'un air abattu.

Hélas! Madame, je ne songe point à elle.

ARAMINTE.

Vous ne songez point à elle! Elle dit que vous l'aimez, que vous l'aviez vue avant que de[121] venir ici.

DORANTE, tristement.

C'est une erreur où monsieur Remy l'a jetée sans me consulter; et je n'ai point osé dire le contraire, dans la crainte de m'en faire une ennemie auprès de vous. Il en est de même de ce riche parti qu'elle croit que je refuse à cause d'elle, et je n'ai nulle part à tout cela. Je suis hors d'état de donner mon coeur à personne: je l'ai perdu pour jamais, et la plus brillante de toutes les fortunes ne me tenteroit pas.

ARAMINTE.

Vous avez tort. Il falloit désabuser Marton.

DORANTE.

Elle vous auroit peut-être empêché de me recevoir, et mon indifférence lui en dit assez.

ARAMINTE.

Mais, dans la situation où vous êtes, quel intérêt aviez-vous d'entrer dans ma maison, et de la préférer à une autre?

DORANTE.

Je trouve plus de douceur à être chez vous, Madame.

ARAMINTE.

Il y a quelque chose d'incompréhensible dans tout ceci! Voyez-vous souvent la personne que vous aimez?

DORANTE, toujours abattu.

Pas souvent à mon gré, Madame; et je la verrois à tout instant que je ne croirois pas la voir assez.

ARAMINTE, à part.

Il a des expressions d'une tendresse! (Haut.) Est-elle fille? a-t-elle été mariée?

DORANTE.

Madame, elle est veuve.

ARAMINTE.

Et ne devez-vous pas l'épouser? Elle vous aime, sans doute?

DORANTE.

Hélas! Madame, elle ne sait pas seulement que je l'adore. Excusez l'emportement du terme dont je me sers. Je ne saurois presque parier d'elle qu'avec transport!

ARAMINTE.

Je ne vous interroge que par étonnement. Elle ignore que vous l'aimez, dites-vous? Et vous lui sacrifiez votre fortune? Voilà de l'incroyable. Comment, avec tant d'amour, avez-vous pu vous taire? On essaye de se faire aimer, ce me semble: cela est naturel et pardonnable.

DORANTE.

Me préserve le Ciel d'oser concevoir la plus légère espérance![122] Etre aimé, moi! Non, Madame. Son état est bien au-dessus du mien. Mon respect me condamne au silence, et je mourrai du moins sans avoir eu le malheur de lui déplaire.

ARAMINTE.

Je n'imagine point de femme qui mérite d'inspirer une passion si étonnante; je n'en imagine point. Elle est donc au-dessus de toute comparaison?

DORANTE.

Dispensez-moi de la louer, Madame: je m'égarerois en la peignant. On ne connoît rien de si beau ni de si aimable qu'elle, et jamais elle ne me parle, ou ne me regarde, que mon amour n'en augmente.[123]

ARAMINTE, baisse les yeux, et continue.

Mais votre conduite blesse la raison. Que prétendez-vous avec cet amour pour une personne qui ne saura jamais que vous l'aimez? Cela est bien bizarre. Que prétendez-vous?

DORANTE.

Le plaisir de la voir quelquefois, et d'être avec elle, est tout ce que je me propose.

ARAMINTE.

Avec elle? Oubliez-vous que vous êtes ici?

DORANTE.

Je veux dire avec son portrait, quand je ne la vois point.

ARAMINTE.

Son portrait! Est-ce que vous l'avez fait faire?

DORANTE.

Non, Madame; mais j'ai, par amusement, appris à peindre, et je l'ai peinte[124] moi-même. Je me serois privé de son portrait si je n'avois pu l'avoir que par le secours d'un autre.

ARAMINTE, à part.

Il faut le pousser à bout. (Haut.) Montrez-moi ce portrait.

DORANTE.

Daignez m'en dispenser, Madame; quoique mon amour soit sans espérance, je n'en dois pas moins un secret inviolable à l'objet aimé.

ARAMINTE.

Il m'en est tombé un par hasard entre les mains: on l'a trouvé ici. (Montrant la boîte.) Voyez si ce ne seroit point celui dont il s'agit.

DORANTE.

Cela ne se peut pas.

ARAMINTE, ouvrant la boîte.

Il est vrai que la chose seroit assez extraordinaire: examinez.

DORANTE.

Ah! Madame, songez que j'aurois perdu mille fois la vie avant que[125] d'avouer ce que le hasard vous découvre. Comment pourrai-je expier.. (Il se jette à ses genoux.)

ARAMINTE.

Dorante, je ne me fâcherai point. Votre égarement me fait pitié. Revenez- en, je vous le pardonne.

MARTON paroît, et s'enfuit.

Ah!

(Dorante se lève vite.)

ARAMINTE.

Ah Ciel! c'est Marton! Elle vous a vu.

DORANTE, feignant d'être déconcerté.

Non, Madame, non, je ne crois pas; elle n'est point entrée.

ARAMINTE.

Elle vous a vu, vous dis-je. Laissez-moi, allez-vous en: vous m'êtes insupportable. Rendez-moi ma lettre. (Quand il est parti.) Voilà pourtant ce que c'est que de l'avoir gardé!

SCÈNE XVI.

ARAMINTE, DUBOIS.
DUBOIS.

Dorante s'est-il déclaré, Madame, et est-il nécessaire que je lui parle?

ARAMINTE.

Non, il ne m'a rien dit. Je n'ai rien vu d'approchant à ce que tu m'as conté, et qu'il n'en soit plus question, ne t'en mêle plus.

(Elle sort.)

DUBOIS.

Voici l'affaire dans sa crise!

SCÈNE XVII.

DUBOIS, DORANTE.
DORANTE.

Ah! Dubois.

DUBOIS.

Retirez-vous.

DORANTE.

Je ne sais qu'augurer de la conversation que je viens d'avoir avec elle.

DUBOIS.

A quoi songez-vous? Elle n'est qu'à deux pas: voulez-vous tout perdre?

DORANTE.

Il faut que tu m'éclaircisses…

DUBOIS.

Allez dans le jardin.

DORANTE.

D'un doute…

DUBOIS.

Dans le jardin, vous dis-je; je vais m'y rendre.

DORANTE.

Mais…

DUBOIS.

Je ne vous écoute plus.

DORANTE.

Je crains plus que jamais.

ACTE III

SCÈNE PREMIÈRE.

DORANTE, DUBOIS.
DUBOIS.

Non, vous dis-je; ne perdons point de temps. La lettre est-elle prête?

DORANTE, la lui montrant.

Oui, la voilà, et j'ai mis dessus: "Rue du Figuier."[126]

DUBOIS.

Vous êtes bien assuré qu'Arlequin ne sait pas ce quartier-là?

DORANTE.

Il m'a dit que non.

DUBOIS.

Lui avez-vous bien recommandé de s'adresser à Marton ou à moi pour savoir ce que c'est?

DORANTE.

Sans doute, et je lui recommanderai[127] encore.

DUBOIS.

Allez donc la lui donner; je me charge du reste auprès de Marton, que je vais trouver.

DORANTE.

Je t'avoue que j'hésite un peu. N'allons-nous pas trop vite avec Araminte? Dans l'agitation des mouvements[128] où elle est, veux-tu encore lui donner l'embarras de voir subitement éclater l'aventure?

DUBOIS.

Oh! oui, point de quartier. Il faut l'achever, pendant qu'elle est étourdie. Elle ne sait plus ce qu'elle fait. Ne voyez-vous pas bien qu'elle triche avec moi, qu'elle me fait accroire que vous ne lui avez rien dit? Ah! je lui apprendrai à vouloir me souffler mon emploi de confident pour vous aimer en fraude!

DORANTE.

Que j'ai souffert dans ce dernier entretien! Puisque tu savois qu'elle vouloit me faire déclarer, que ne m'en avertissois-tu par quelques signes?

DUBOIS.

Cela auroit été joli, ma foi! Elle ne s'en seroit point aperçue, n'est ce pas? Et d'ailleurs, votre douleur n'en a paru que plus vraie. Vous repentez-vous de l'effet qu'elle a produit? Monsieur a souffert! Parbleu! il me semble que cette aventure-ci mérite un peu d'inquiétude.

DORANTE.

Sais-tu bien ce qui arrivera? Qu'elle prendra son parti, et qu'elle me renverra tout d'un coup.

DUBOIS.

Je lui[129] en défie. Il est trop tard; l'heure du courage est passée; il faut qu'elle nous épouse.

DORANTE.

Prends-y garde: tu vois que sa mère la fatigue.[130]

DUBOIS.

Je serois bien fâché qu'elle la laissât en repos.

DORANTE.

Elle est confuse de ce que Marton m'a surpris à ses genoux.

DUBOIS.

Ah! vraiment, des confusions! Elle n'y est pas. Elle va en essuyer bien d'autres! C'est moi qui, voyant le train que prenoit la conversation, ai fait venir Marton une seconde fois.

DORANTE.

Araminte pourtant m'a dit que je lui étois insupportable.

DUBOIS.

Elle a raison. Voulez-vous qu'elle soit de bonne humeur avec un homme qu'il faut qu'elle aime en dépit d'elle? Cela est-il agréable? Vous vous emparez de son bien, de son coeur; et cette femme ne criera pas? Allez, vite, plus de raisonnement; laissez-vous conduire.

DORANTE.

Songe que je l'aime, et que, si notre précipitation réussit mal, tu me désespères.

DUBOIS.

Ah! oui, je sais bien que vous l'aimez: c'est à cause de cela que je ne vous écoute pas. Etes-vous en état de juger de rien? Allons, allons, vous vous moquez. Laissez faire un homme de sang-froid. Partez, d'autant plus que voici Marton qui vient à propos, et que je vais tâcher d'amuser,[131] en attendant que vous envoyiez Arlequin.

SCÈNE II.

DUBOIS, MARTON.

MARTON, d'un air triste.

Je te cherchois.

DUBOIS.

Qu'y a-t-il pour votre service. Mademoiselle?

MARTON.

Tu me l'avois bien dit, Dubois.

DUBOIS.

Quoi donc? Je ne me souviens plus de ce que c'est.

MARTON.

Que cet intendant osoit lever les yeux sur Madame.

DUBOIS.

Ah! oui: vous parlez de ce regard que je lui vis jeter sur elle. Oh! jamais je ne l'ai oublié. Cette oeillade-là ne valoit rien. Il y avoit quelque chose dedans qui n'étoit pas dans l'ordre.

MARTON.

Oh! ça, Dubois, il s'agit de faire sortir cet homme-ci.

DUBOIS.

Pardi! tant qu'on voudra; je ne m'y épargne pas. J'ai déjà dit à Madame qu'on m'avoit assuré qu'il n'entendoit pas les affaires.

MARTON.

Mais est-ce là tout ce que tu sais de lui? C'est de la part de madame Argante et de monsieur le Comte que je te parle, et nous avons peur que tu n'aies pas tout dit à Madame, ou qu'elle ne cache ce que c'est. Ne nous déguise rien, tu n'en seras pas fâché.

DUBOIS.

Ma foi! je ne sais que son insuffisance, dont j'ai instruit Madame.

MARTON.

Ne dissimule point.

DUBOIS.

Moi un dissimulé! Moi garder un secret! Vous avez bien trouvé votre homme! En fait de discrétion, je mériterais d'être femme.[132] Je vous demande pardon de la comparaison, mais c'est pour vous mettre l'esprit en repos.

MARTON.

Il est certain qu'il aime Madame.

DUBOIS.

Il n'en faut point douter: je lui en ai même dit ma pensée à elle.

MARTON.

Et qu'a-t-elle répondu?

DUBOIS.

Que j'étois un sot. Elle est si prévenue…

MARTON.

Prévenue à un point que je n'oserois le dire, Dubois.

DUBOIS.

Oh! le diable n'y perd rien,[133] ni moi mon plus: car je vous entends.[134]

MARTON.

Tu as la mine d'en savoir plus que moi là-dessus.

DUBOIS.

Oh! point du tout, je vous jure. Mais, à propos, il vient tout à l'heure d'appeller Arlequin pour lui donner une lettre; si nous pouvions la saisir, peut-être en saurions-nous davantage.

MARTON.

Une lettre, oui-da[135]: ne négligeons rien, Je vais de ce pas parler à
Arlequin, s'il n'est pas encore parti.

DUBOIS.

Vous n'irez pas loin; je crois qu'il vient.

SCÈNE III.

DUBOIS, MARTON, ARLEQUIN.

ARLEQUIN, voyant Dubois.

Ah! te voilà donc, mal bâti?

DUBOIS.

Tenez: n'est-ce pas là une belle figure pour se moquer de la mienne?

MARTON.

Que veux-tu, Arlequin?

ARLEQUIN.

Ne sauriez-vous pas où demeure[136] la rue du Figuier,[137] Mademoiselle?

MARTON.

Oui.

ARLEQUIN.

C'est que mon camarade, que je sers, m'a dit de porter cette lettre à quelqu'un qui est dans cette rue, et, comme je ne la sais[138] pas, il m'a dit que je m'en informasse à vous ou à cet animal-là; mais cet animal-là ne mérite pas que je lui en parle, sinon pour l'injurier. J'aimerois mieux que le diable eût emporté toutes les rues que d'en savoir une par le moyen d'un malotru comme lui.

DUBOIS, à Marton, à part.

Prenez la lettre. (Haut.) Non, non, Mademoiselle, ne lui enseignez rien; qu'il galope.

ARLEQUIN.

Veux-tu te taire?

MARTON, négligemment.

Ne l'interrompez donc point, Dubois. Eh bien! veux-tu me donner ta lettre?
Je vais envoyer dans ce quartier-là, et on la rendra[139] à son adresse.

ARLEQUIN.

Ah! voilà qui est bien agréable! Vous êtes une fille de bonne amitié,
Mademoiselle.

DUBOIS, s'en allant.

Vous êtes bien bonne d'épargner de la peine à ce fainéant-là.

ARLEQUIN.

Ce malhonnête! Va, va trouver le tableau, pour voir comme il se moque de toi.

MARTON, seule avec Arlequin.

Ne lui réponds rien; donne ta lettre.

ARLEQUIN.

Tenez, Mademoiselle; vous me rendrez[140] un service qui me fait grand bien. Quand il y aura à trotter pour votre serviable personne, n'ayez point d'autre postillon que moi.

MARTON.

Elle sera rendue exactement.

ARLEQUIN.

Oui, je vous recommande l'exactitude, à cause de monsieur Dorante, qui mérite toutes sortes de fidélités.

MARTON, à part.

L'indigne!

ARLEQUIN, s'en allant.

Je suis votre serviteur éternel.

MARTON.

Adieu.

ARLEQUIN, revenant.

Si vous le rencontrez, ne lui dites point qu'un autre galope à ma place.

SCÈNE IV.

Mme. ARGANTE, LE COMTE, MARTON.

MARTON, un moment seule.

Ne disons mot que je n'aie vu[141] ce que ceci contient.

Mme. ARGANTE.

Eh bien! Marton, qu'avez-vous appris de Dubois?

MARTON.

Rien que ce que vous saviez déjà, Madame, et ce n'est pas assez.

Mme. ARGANTE.

Dubois est un coquin qui nous trompe.

LE COMTE.

Il est vrai que sa menace paroissoit signifier quelque chose de plus.

Mme. ARGANTE.

Quoi qu'il en soit, j'attends monsieur Remy, que j'ai envoyé chercher; et, s'il ne nous défait pas de cet homme-là, ma fille saura qu'il ose l'aimer, je l'ai résolu. Nous en avons les présomptions[142] les plus fortes, et, ne fût-ce que par bienséance, il faudra bien qu'elle le chasse. D'un autre côté, j'ai fait venir l'intendant que monsieur le Comte lui proposoit. Il est ici, et je le lui présenterai sur le champ.

MARTON.

Je doute que vous réussissiez, si nous n'apprenons rien de nouveau; mais je tiens peut-être son congé, moi qui vous parle… Voici monsieur Remy: je n'ai pas le temps de vous en dire davantage, et je vais m'éclaircir.

(Elle veut sortir.)

SCÈNE V.

M. REMY, Mme. ARGANTE, LE COMTE, MARTON.

M. REMY, à Marton, qui se retire.

Bonjour, ma nièce, puisqu'enfin il faut que vous la soyez. Savez-vous ce qu'on me veut ici?

MARTON, brusquement.

Passez, Monsieur, et cherchez votre nièce ailleurs; je n'aime point les mauvais plaisants.

(Elle sort.)

M. REMY.

Voilà une petite fille bien incivile? (A madame Argante.) On m'a dit de votre part de venir ici, Madame: de quoi est-il donc question?

Mme. ARGANTE, d'un ton revêche.

Ah! c'est donc vous, monsieur le procureur?

M. REMY.

Oui, Madame, je vous garantis que c'est moi-même.

Mme. ARGANTE.

Et de quoi vous êtes-vous avisé, je vous prie, de nous embarrasser d'un intendant de votre façon?[143]

M. REMY.

Et par quel hasard Madame y trouve-t-elle à redire?

Mme. ARGANTE.

C'est que nous nous serions bien passés du présent que vous nous avez fait.

M. REMY.

Ma foi, Madame, s'il n'est pas à votre goût, vous êtes bien difficile.

Mme. ARGANTE.

C'est votre neveu, dit-on?

M. REMY.

Oui, Madame.

Mme. ARGANTE.

Eh bien! tout votre neveu qu'il est, vous nous ferez un grand plaisir de le retirer.

M. REMY.

Ce n'est pas à vous que je l'ai donné.

Mme. ARGANTE.

Non, mais c'est à nous qu'il déplaît, à moi et à monsieur le Comte que voilà, et qui doit épouser ma fille.

M. REMY, élevant la voix.

Celui-ci est nouveau! Mais, Madame, dès qu'il n'est pas à vous, il me semble qu'il n'est pas essentiel qu'il vous plaise. On n'a pas mis dans le marché qu'il vous plairoit, personne n'a songé à cela; et, pourvu qu'il convienne à madame Araminte, tout[144] doit être content; tant pis pour qui ne l'est pas. Qu'est-ce que cela signifie?

Mme. ARGANTE.

Mais vous avez le ton bien rogue,[145] Monsieur Remy.

M. REMY.

Ma foi, vos compliments ne sont point propres à l'adoucir, Madame Argante.

LE COMTE.

Doucement, monsieur le procureur, doucement; il me paroît que vous avez tort.

M. REMY.

Comme vous voudrez, monsieur le Comte, comme vous voudrez; mais cela ne vous regarde pas. Vous savez bien que je n'ai pas l'honneur de vous connoître, et nous n'avons que faire ensemble,[146] pas la moindre chose.

LE COMTE.

Que vous me connoissiez ou non; il n'est pas si peu essentiel que vous le dites que votre neveu plaise à Madame. Elle n'est pas une étrangère dans la maison.

M. REMY.

Parfaitement étrangère pour cette affaire-ci, Monsieur; on ne peut pas plus étrangère; au surplus, Dorante est un homme d'honneur, connu pour tel, dont j'ai répondu, dont je répondrai toujours, et dont Madame parle ici d'une manière choquante.

Mme. ARGANTE.

Votre Dorante est un impertinent.

M. REMY.

Bagatelle! ce mot-là ne signifie rien dans votre bouche.

Mme. ARGANTE.

Dans ma bouche! A qui parle donc ce petit praticien, monsieur le Comte?
Est-ce que vous ne lui imposerez pas silence?

M. REMY.

Comment donc! m'imposer silence, à moi, procureur! Savez-vous bien qu'il y a cinquante ans que je parle, madame Argante?

Mme. ARGANTE.

Il y a donc cinquante ans que vous ne savez ce que vous dites.

SCÈNE VI.

ARAMINTE, MME. ARGANTE, M. REMY, LE COMTE.
ARAMINTE.

Qu'y a-t-il donc? On diroit que vous vous querellez.

M. REMY.

Nous ne sommes pas fort en paix, et vous venez très à propos, Madame: il s'agit de Dorante: avez-vous sujet de vous plaindre de lui?

ARAMINTE.

Non, que je sache.[147]

M. REMY.

Vous êtes-vous aperçue qu'il ait manqué de probité?

ARAMINTE.

Lui? non vraiment. Je ne le connois que pour un homme très estimable.

M. REMY.

Au discours que Madame en tient, ce doit pourtant être un fripon, dont il faut que je vous délivre, et on se passerait bien du présent que je vous en ai fait, et c'est un impertinent qui déplaît à Madame, qui déplaît à Monsieur qui parle en qualité d'époux futur, et, à cause que[148] je le défends, on veut me persuader que je radote.

ARAMINTE, froidement.

On se jette là dans de grands excès. Je n'y ai point de part, Monsieur. Je suis bien éloignée de vous traiter si mal. A l'égard de Dorante, la meilleure justification qu'il y ait pour lui, c'est que je le garde. Mais je venois pour savoir une chose, monsieur le Comte. Il y a là-bas, m'a-t- on dit, un homme d'affaires que vous avez amené pour moi: on se trompe apparemment?

LE COMTE.

Madame, il est vrai qu'il est venu avec moi; mais c'est madame Argante…

Mme. ARGANTE.

Attendez, je vais répondre. Oui, ma fille, c'est moi qui ai prié Monsieur de le faire venir pour remplacer celui que vous avez, et que vous allez mettre dehors: je suis sûre de mon fait. J'ai laissé dire votre procureur, au reste; mais il amplifie.[149]

M. REMY.

Courage!

Mme. ARGANTE, vivement.

Paix! vous avez assez parlé. (A Araminte.) Je n'ai point dit que son neveu fût un fripon. Il ne seroit pas impossible qu'il le fût; je n'en serois pas étonnée.

M. REMY.

Mauvaise parenthèse, avec votre permission, supposition injurieuse, et tout à fait hors d'oeuvre.[150]

Mme. ARGANTE.

Honnête homme, soit; du moins n'a-t-on pas encore de preuve du contraire, et je veux croire qu'il l'est. Pour un impertinent, et très impertinent, j'ai dit qu'il en étoit un, et j'ai raison. Vous dites que vous le garderez: vous n'en ferez rien.

ARAMINTE, froidement.

Il restera, je vous assure.

Mme. ARGANTE.

Point du tout; vous ne sauriez. Seriez-vous d'humeur à garder un intendant qui vous aime?

M. REMY.

Eh! à qui voulez-vous donc qu'il s'attache? A vous, à qui il n'a pas affaire?

ARAMINTE.

Mais, en effet, pourquoi faut-il que mon intendant me haïsse?

Mme. ARGANTE.

Eh! non, point d'équivoque. Quand je vous dis qu'il vous aime, j'entends qu'il est amoureux de vous, en bon françois; qu'il est ce qu'on appelle amoureux; qu'il soupire pour vous; que vous êtes l'objet secret de sa tendresse.

M. REMY.

Dorante?

ARAMINTE, riant.

L'objet secret de sa tendresse! Oh! oui, très secret, je pense. Ah! ah! je ne me croyois pas si dangereuse à voir. Mais, dès que vous devinez de pareils secrets, que ne devinez-vous que tous mes gens sont comme lui? Peut-être qu'ils m'aiment aussi: que sait-on? Monsieur Remy, vous qui me voyez assez souvent, j'ai envie de deviner que vous m'aimez aussi.

M. REMY.

Ma foi, Madame, à l'âge de mon neveu, je ne m'en tirerois pas mieux qu'on dit qu'il s'en tire.

Mme. ARGANTE.

Ceci n'est pas matière à plaisanterie, ma fille. Il n'est pas question de votre monsieur Remy; laissons-là ce bonhomme, et traitons la chose un peu plus sérieusement. Vos gens ne vous font pas peindre, vos gens ne se mettent point à contempler vos portraits, vos gens n'ont point l'air galant, la mine doucereuse.

M. REMY, à Araminte.

J'ai laissé passer le «bonhomme» à cause de vous, au moins; mais le «bonhomme» est quelquefois brutal.

ARAMINTE.

En vérité, ma mère, vous seriez la première à vous moquer de moi si ce que vous me dites me faisoit la moindre impression; ce seroit une enfance[151] à moi que de le renvoyer sur un pareil soupçon. Est-ce qu'on ne peut me voir sans m'aimer? Je n'y saurois que faire; il faut bien m'y accoutumer, et prendre mon parti là-dessus. Vous lui trouvez l'air galant, dites-vous? Je n'y avois pas pris garde, et je ne lui en ferai point un reproche. Il y auroit de la bizarrerie à se fâcher de ce qu'il est bien fait. Je suis d'ailleurs comme tout le monde: j'aime assez les gens de bonne mine.

SCÈNE VII.

ARAMINTE, Mme. ARGANTE, M. REMY, LE COMTE, DORANTE.

DORANTE.

Je vous demande pardon, Madame, si je vous interromps. J'ai lieu de présumer que mes services ne vous sont plus agréables, et, dans la conjoncture présente, il est naturel que je sache mon sort.

Mme. ARGANTE, ironiquement.

Son sort! Le sort d'un intendant: que cela est beau!

M. REMY.

Et pourquoi n'auroit-il pas un sort?

ARAMINTE, d'un air vif, à sa mère.

Voilà des emportements qui m'appartiennent. (A Dorante.) Quelle est cette conjoncture, Monsieur, et le motif de votre inquiétude?

DORANTE.

Vous le savez, Madame. Il y a quelqu'un ici que vous avez envoyé chercher pour occuper ma place.

ARAMINTE.

Ce quelqu'un-là est fort mal conseillé. Désabusez-vous: ce n'est point moi qui l'ai fait venir.

DORANTE.

Tout a contribué à me tromper, d'autant plus que mademoiselle Marton vient de m'assurer que dans une heure je ne serois plus ici.

ARAMINTE.

Marton vous a tenu un fort sot discours.

Mme. ARGANTE.

Le terme est encore trop long: il devroit en sortir tout à l'heure.[152]

M. REMY, comme à part.

Voyons par où cela finira.

ARAMINTE.

Allez, Dorante, tenez-vous en repos; fussiez-vous l'homme du monde qui me convînt le moins, vous resteriez; dans cette occasion-ci, c'est à moi-même que je dois cela; je me sens offensée du procédé qu'on a avec moi, et je vais faire dire à cet homme d'affaires qu'il se retire; que ceux qui l'ont amené, sans me consulter, le remmènent, et qu'il n'en soit plus parlé.

SCÈNE VIII.

ARAMINTE, Mme. ARGANTE, M. REMY, LE COMTE, DORANTE, MARTON.

MARTON, froidement.

Ne vous pressez pas de le renvoyer. Madame; voilà une lettre de recommandation pour lui, et c'est monsieur Dorante qui l'a écrite.

ARAMINTE.

Comment!

MARTON, donnant la lettre au Comte.

Un instant, Madame, cela mérite d'être écouté; la lettre est de Monsieur, vous dis-je.

LE COMTE lit haut.

Je vous conjure, mon cher ami, d'être demain sur les neuf heures du matin chez vous; j'ai bien des choses à vous dire: je crois que je vais sortir de chez la dame que vous savez; elle ne peut plus ignorer la malheureuse passion que j'ai prise pour elle, et dont je ne guérirai jamais.

Mme. ARGANTE.

De la passion, entendez-vous, ma fille?

LE COMTE lit.

Un misérable ouvrier que je n'attendois pas est venu ici m'apporter la boîte de ce portrait que j'ai fait d'elle.

Mme. ARGANTE.

C'est-à-dire que le personnage sait peindre.

LE COMTE lit.

J'étois absent, il l'a laissée à une fille de la maison.

Mme. ARGANTE, à Marton.

Fille de la maison, cela vous regarde.

LE COMTE lit.

On a soupçonné que ce portrait m'appartenoit: ainsi je pense qu'on va tout découvrir, et qu'avec le chagrin d'être renvoyé et de perdre le plaisir de voir tous les jours celle que j'adore…

Mme. ARGANTE.

Que j'adore! ah! que j'adore!

LE COMTE lit.

J'aurai encore celui d'être méprisé d'elle.

Mme. ARGANTE.

Je crois qu'il n'a pas mal deviné celui-là, ma fille.

LE COMTE lit.

Non pas à cause de la médiocrité de ma fortune, sorte de mépris dont je n'oserois la croire capable…

Mme. ARGANTE.

Eh! pourquoi non?

LE COMTE lit.

Mais seulement à cause du peu que je vaux auprès d'elle, tout honoré que je suis de l'estime de tant d'honnêtes gens.

Mme. ARGANTE.

Et en vertu de quoi l'estiment-ils tant?

LE COMTE lit.

Auquel cas je n'ai plus que faire à Paris. Vous êtes à la veille de vous embarquer, et je suis déterminé à vous suivre.

Mme. ARGANTE.

Bon voyage au galant.

M. REMY.

Le beau motif d'embarquement!

Mme. ARGANTE.

Hé bien! en avez-vous le coeur net, ma fille?

LE COMTE.

L'éclaircissement m'en paroît complet.

ARAMINTE, à Dorante.

Quoi! cette lettre n'est pas d'une écriture contrefaite? Vous ne la niez point?

DORANTE.

Madame…

ARAMINTE.

Retirez-vous.

M. REMY.

Eh bien! quoi? c'est de l'amour qu'il a; ce n'est pas d'aujourd'hui que les belles personnes en donnent, et, tel que vous le voyez, il n'en a pas pris pour toutes celles qui auroient bien voulu lui en donner. Cet amour- là lui coûte quinze mille livres de rente, sans compter les mers qu'il veut courir; voilà le mal: car, au reste, s'il étoit riche, le personnage en vaudroit bien un autre; il pourroit bien dire qu'il adore. (Contrefaisant madame Argante.) Et cela ne seroit point si ridicule. Accommodez-vous; au reste, je suis votre serviteur, Madame.

(Il sort.)

MARTON.

Fera-t-on monter l'intendant que monsieur le Comte a amené, Madame?

ARAMINTE.

N'entendrai-je parler que d'intendant? Allez-vous en, vous prenez mal votre temps pour me faire des questions.

(Marton sort.)

Mme. ARGANTE.

Mais, ma fille, elle a raison; c'est monsieur le Comte qui vous en répond, il n'y a qu'à le prendre.

ARAMINTE.

Et moi je n'en veux point.

LE COMTE.

Est-ce à cause[153] qu'il vient de ma part, Madame?

ARAMINTE.

Vous êtes le maître d'interpréter, Monsieur; mais je n'en veux point.

LE COMTE.

Vous vous expliquez là-dessus d'un air de vivacité qui m'étonne.

Mme. ARGANTE.

Mais en effet, je ne vous reconnois pas. Qu'est-ce qui vous fâche?

ARAMINTE.

Tout: on s'y est mal pris; il y a dans tout ceci des façons si désagréables, des moyens si offensants, que tout m'en choque.

Mme. ARGANTE, étonnée.

On ne vous entend[154] point.

LE COMTE.

Quoique je n'aie aucune part à ce qui vient de se passer, je ne m'aperçois que trop, Madame, que je ne suis pas exempt de votre mauvaise humeur, et je serois fâché d'y contribuer davantage par ma présence.

Mme. ARGANTE.

Non, Monsieur, je vous suis. Ma fille, je retiens monsieur le Comte; vous allez venir nous trouver apparemment.[155] Vous n'y songez pas,[156] Araminte, on ne sait que penser.

SCÈNE IX.

ARAMINTE, DUBOIS.
DUBOIS.

Enfin, Madame, à ce que je vois, vous en voilà délivrée[157]: qu'il devienne tout ce qu'il voudra à présent, tout le monde a été témoin de sa folie, et vous n'avez plus rien à craindre de sa douleur; il ne dit mot. Au reste, je viens seulement de le rencontrer, plus mort que vif, qui traversoit la galerie pour aller chez lui. Vous auriez trop ri de le voir soupirer; il m'a pourtant fait pitié: je l'ai vu si défait, si pâle et si triste, que j'ai eu peur qu'il ne se trouve mal.

ARAMINTE, qui ne l'a pas regardé jusque-là, et qui a toujours rêvé, dit d'un ton haut.

Mais qu'on aille donc voir! Quelqu'un l'a-t-il suivi? Que ne le secouriez- vous? Faut-il tuer cet homme?

DUBOIS.

J'y ai pourvu, Madame; j'ai appelé Arlequin, qui ne le quittera pas, et je crois d'ailleurs qu'il n'arrivera rien: voilà qui est fini; je ne suis venu que pour vous dire une chose, c'est que je pense qu'il demandera à vous parler, et je ne conseille pas à Madame de le voir davantage: ce n'est pas la peine.

ARAMINTE, sèchement.

Ne vous embarrassez pas, ce sont mes affaires.

DUBOIS.

En un mot, vous en êtes quitte, et cela par le moyen de cette lettre qu'on vous a lue, et que mademoiselle Marton a tirée d'Arlequin par mon avis. Je me suis douté qu'elle pourrait vous être utile, et c'est une excellente idée que j'ai eue là, n'est-ce pas, Madame?

ARAMINTE, froidement.

Quoi! c'est à vous que j'ai l'obligation de la scène qui vient de se passer?

DUBOIS, librement.

Oui, Madame.

ARAMINTE.

Méchant valet, ne vous présentez plus devant moi.

DUBOIS, comme étonné.

Hélas! Madame, j'ai cru bien faire.

ARAMINTE.

Allez, malheureux! Il falloit m'obéir; je vous avois dit de ne plus vous en mêler: vous m'avez jetée dans tous les désagréments que je voulois éviter. C'est vous qui avez répandu tous les soupçons qu'on a eus[158] sur son compte, et ce n'est pas par attachement pour moi que vous m'avez appris qu'il m'aimoit: ce n'est que par le plaisir de faire du mal. Il m'importoit peu d'en être instruite: c'est un amour que je n'aurois jamais su, et je le trouve bien malheureux d'avoir eu affaire à vous, lui qui a été votre maître, qui vous affectionnoit, qui vous a bien traité, qui vient, tout récemment encore, de vous prier à genoux de lui garder le secret. Vous l'assassinez, vous me trahissez moi-même: il faut que vous soyez capable de tout. Que je ne vous voie jamais, et point de réplique.

DUBOIS, s'en va en riant.

Allons, voilà qui est parfait.

SCÈNE X.

ARAMINTE, MARTON.

MARTON, triste.

La manière dont vous m'avez renvoyée il n'y a qu'un moment me montre que je vous suis désagréable, Madame, et je crois vous faire plaisir en vous demandant mon congé.

ARAMINTE, froidement.

Je vous le donne.

MARTON.

Votre intention est-elle que je sorte dès aujourd'hui, Madame?

ARAMINTE.

Comme vous voudrez.

MARTON.

Cette aventure-ci est bien triste pour moi!

ARAMINTE.

Oh! point d'explication, s'il vous plaît.

MARTON.

Je suis au désespoir!

ARAMINTE, avec impatience.

Est-ce que vous êtes fâchée de vous en aller? Eh bien! restez,
Mademoiselle, restez: j'y consens; mais finissons.

MARTON.

Après les bienfaits dont vous m'avez comblée, que ferois-je auprès de vous à présent que je vous suis suspecte, et que j'ai perdu toute votre confiance?

ARAMINTE.

Mais que voulez-vous que je vous confie? Inventerai-je des secrets pour vous les dire?

MARTON.

Il est pourtant vrai que vous me renvoyez, Madame, D'où vient ma disgrâce.

ARAMINTE.

Elle est dans votre imagination. Vous me demandez votre congé, je vous le donne.

MARTON.

Ah! Madame, pourquoi m'avez-vous exposée au malheur de vous déplaire? J'ai persécuté par ignorance l'homme du monde le plus aimable, qui vous aime plus qu'on n'a jamais aimé.

ARAMINTE, à part.

Hélas.

MARTON.

Et à qui je n'ai rien à reprocher: car il vient de me parler. J'étois son ennemie, et je ne la suis plus. Il m'a tout dit. Il ne m'avoit jamais vue: c'est monsieur Remy qui m'a trompée, et j'excuse Dorante.

ARAMINTE.

A la bonne heure.

MARTON.

Pourquoi avez-vous eu la cruauté de m'abandonner au hasard d'aimer un homme qui n'est pas fait pour moi, qui est digne de vous, et que j'ai jeté dans une douleur dont je suis pénétrée.

ARAMINTE, d'un ton doux.

Tu l'aimois donc, Marton?

MARTON.

Laissons là mes sentiments. Rendez-moi votre amitié comme je l'avois, et je serai contente.

ARAMINTE.

Ah! je te la rends toute entière.

MARTON, lui baisant la main.

Me voilà consolée.

ARAMINTE.

Non, Marton, tu ne l'es pas encore. Tu pleures, et tu m'attendris.

MARTON.

N'y prenez point garde. Rien ne m'est si cher que vous!

ARAMINTE.

Va, je prétends bien te faire oublier tous tes chagrins. Je pense que voici Arlequin.

SCÈNE XI.

ARAMINTE, MARTON, ARLEQUIN.
ARAMINTE.

Que veux-tu?

ARLEQUIN, pleurant et sanglotant.

J'aurois bien de la peine à vous le dire, car je suis dans une détresse qui me coupe entièrement la parole, à cause de la trahison que mademoiselle Marton m'a faite. Ah! quelle ingrate perfidie!

MARTON.

Laisse là ta perfidie, et nous dis[159] ce que tu veux.

ARLEQUIN.

Ah! cette pauvre lettre! Quelle escroquerie!

ARAMINTE.

Dis donc.

ARLEQUIN.

Monsieur Dorante vous demande à genoux qu'il vienne ici vous rendre compte des paperasses qu'il a eues[160] dans les mains depuis qu'il est ici. Il m'attend à la porte, où il pleure.

MARTON.

Dis-lui qu'il vienne.

ARLEQUIN.

Le voulez-vous, Madame? car je ne me fie pas à elle. Quand on m'a une fois affronté[161] je n'en reviens point.

MARTON, d'un air triste et attendri.

Parlez-lui, Madame; je vous laisse,

ARLEQUIN, quand Marton est partie.

Vous ne me répondez point. Madame.

ARAMINTE.

Il peut venir.

(Arlequin sort.)

SCÈNE XII.

DORANTE, ARAMINTE.
ARAMINTE.

Approchez, Dorante.

DORANTE.

Je n'ose presque paroître devant vous.

ARAMINTE, à part.

Ah! je n'ai guère plus d'assurance que lui. (Haut.) Pourquoi vouloir me rendre compte de mes papiers? Je m'en fie bien à vous. Ce n'est pas là- dessus que j'aurai à me plaindre.

DORANTE.

Madame… j'ai autre chose à dire… Je suis si interdit, si tremblant, que je ne saurais parler.

ARAMINTE, à part, avec émotion.

Ah! que je crains la fin de tout ceci!

DORANTE, ému.

Un de vos fermiers[162] est venu tantôt, Madame.

ARAMINTE, émue.

Un de mes fermiers!… Cela se peut.

DORANTE.

Oui, Madame… il est venu.

ARAMINTE, toujours émue.

Je n'en doute pas.

DORANTE, ému.

Et j'ai de l'argent à vous remettre.

ARAMINTE.

Ah! de l'argent!… Nous verrons.

DORANTE.

Quand il vous plaira, Madame, de le recevoir.

ARAMINTE.

Oui… je le recevrai… vous me le donnerez. (A part.) Je ne sais ce que je lui réponds.

DORANTE.

Ne seroit-il pas temps de vous l'apporter ce soir ou demain, Madame?

ARAMINTE.

Demain, dites-vous? Comment vous garder jusque-là, après ce qui est arrivé?

DORANTE, plaintivement.

De tout le temps de ma vie que je vais passer loin de vous, je n'aurois plus que ce seul jour qui m'en seroit précieux.

ARAMINTE.

Il n'y a pas moyen, Dorante: il faut se quitter. On sait que vous m'aimez, et on croiroit que je n'en suis pas fâchée.

DORANTE.

Hélas! Madame, que je vais être à plaindre!

ARAMINTE.

Ah! allez, Dorante, chacun a ses chagrins.

DORANTE.

J'ai tout perdu! J'avois un portrait, et je ne l'ai plus.

ARAMINTE.

A quoi vous sert de l'avoir? vous savez peindre.

DORANTE.

Je ne pourrai de longtemps m'en dédommager. D'ailleurs, celui-ci m'auroit été bien cher! Il a été entre vos mains, Madame.

ARAMINTE.

Mais vous n'êtes pas raisonnable.

DORANTE.

Ah! Madame, je vais être éloigné de vous. Vous serez assez vengée; n'ajoutez rien à ma douleur.

ARAMINTE.

Vous donner mon portrait! Songez-vous que ce seroit avouer que je vous aime.

DORANTE.

Que vous m'aimez, Madame! Quelle idée! Qui pourrait se l'imaginer?

ARAMINTE, d'un ton vif et naïf.

Et voilà pourtant ce qui m'arrive.

DORANTE, se jetant à ses genoux.

Je me meurs!

ARAMINTE.

Je ne sais plus où je suis. Modérez votre joie; levez-vous, Dorante.

DORANTE se lève, et tendrement.

Je ne la mérite pas. Cette joie me transporte. Je ne la mérite pas. Madame. Vous allez me l'ôter, mais n'importe, il faut que vous soyez instruite.

ARAMINTE, étonné.

Comment! que voulez-vous dire?

DORANTE.

Dans tout ce qui s'est passé chez vous, il n'y a rien de vrai que ma passion, qui est infinie, et que le portrait que j'ai fait. Tous les incidents qui sont arrivés partent de l'industrie d'un domestique qui savoit mon amour, qui m'en plaint, qui, par le charme de l'espérance du plaisir de vous voir, m'a pour ainsi dire forcé de consentir à son stratagème: il vouloit me faire valoir auprès de vous, Voilà, Madame, ce que mon respect, mon amour et mon caractère ne me permettent pas de vous cacher. J'aime encore mieux regretter votre tendresse que de la devoir à l'artifice qui me l'a acquise; j'aime mieux votre haine que le remords d'avoir trompé ce que j'adore.

ARAMINTE, le regardant quelque temps sans parler.

Si j'apprenois cela d'un autre que de vous, je vous haïrais sans doute; mais l'aveu que vous m'en faites vous-même, dans un moment comme celui-ci, change tout. Ce trait de sincérité me charme, me paroît incroyable, et vous êtes le plus honnête homme du monde. Après tout, puisque vous m'aimez véritablement, ce que vous avez fait pour gagner mon coeur n'est point blâmable: il est permis à un amant de chercher les moyens de plaire, et on doit lui pardonner lorsqu'il a réussi.

DORANTE.

Quoi! la charmante Araminte daigne me justifier?

ARAMINTE.

Voici le Comte avec ma mère; ne dites mot, et laissez-moi parler.

SCÈNE DERNIÈRE.

DORANTE, ARAMINTE, LE COMTE, Mme. ARGANTE.

Mme. ARGANTE, voyant Dorante.

Quoi! le voilà encore!

ARAMINTE, froidement.

Oui, ma mère. (Au Comte.) Monsieur le Comte, il étoit question de mariage entre vous et moi, et il n'y faut plus penser. Vous méritez qu'on vous aime; mon coeur n'est point en état de vous rendre justice, et je ne suis pas d'un rang qui vous convienne.

Mme. ARGANTE.

Quoi donc! que signifie ce discours?

LE COMTE.

Je vous entends,[163] Madame, et, sans l'avoir dit à Madame (montrant madame Argante), je songeois à me retirer. J'ai deviné tout: Dorante n'est venu chez vous qu'à cause[164] qu'il vous aimoit; il vous a plu, vous voulez lui faire sa fortune: voilà tout ce que vous alliez dire.

ARAMINTE.

Je n'ai rien à ajouter.

Mme. ARGANTE, outrée.

La fortune à cet homme-là!

LE COMTE, tristement.

Il n'y a plus que notre discussion, que nous réglerons à l'amiable; j'ai dit que je ne plaiderois point, et je tiendrai parole.

ARAMINTE.

Vous êtes bien généreux; envoyez-moi quelqu'un qui en décide, et ce sera assez.

Mme. ARGANTE.

Ah! la belle chute! Ah! ce maudit intendant! Qu'il soit votre mari tant qu'il vous plaira, mais il ne sera jamais mon gendre.

ARAMINTE.

Laissons passer sa colère, et finissons.

(Ils sortent.)

DUBOIS.

Ouf! ma gloire m'accable; je mériterois bien d'appeler cette femme-là ma bru.[165]

ARLEQUIN.

Pardi,[166] nous nous soucions bien de ton tableau à présent! L'original nous en fournira bien d'autres copies.

* * * * *

NOTES.

INTRODUCTION.

[1] Larroumet, Marivaux, p. 564.

[2] Palissot, p. 3, quoting evidently from de La Porte, p. 1.

[3] D'Alembert, p. 209.

[4] Fournier, Notice, p. 2.

[5] Larroumet, Marivaux, p. 17, note 3.

[6] Gossot, Marivaux moraliste, p. 11.

[7] "Pierre Carlet de Marivaux naquit à Paris sur la Paroisse de Saint- Gervais en 1688, et non en Auvergne, comme on le trouve écrit en plusieurs endroits." De La Porte, p. 1.

[8] De La Porte, p. 1.

[9] Lesbros de la Versane, p. 5.

[10] "M. de Marivaux, à ce qu'on peut juger [note that Palissot draws his own conclusions and does not state a fact], n'avait point fait de bonnes études; on pourrait même soupçonner qu'il n'en avait fait aucunes." Palissot, pp. 4-5.

[11] D'Alembert, Éloge, p. 210.

[12] Marivaux, le Spectateur français, 7e feuille. OEuvres, tome IX, p. 62.

[13] Marivaux, Oeuvres, tome IX, pp. 9-11. This anecdote has been narrated by all of Marivaux's biographers, but sometimes so fancifully, as in the case of Houssaye [Galerie du XVIIIe siècle, première série pp. 94-95], that it has seemed well to give the author's own account.

[14] Houssaye, Galerie du XVIIIe siècle, première série, p. 95.

[15] D'Alembert, Éloge, p. 242.

[16] According to d'Alembert, p. 214. L'abbé de La Porte does not mention his age.

[17 D'Alembert, Éloge, p. 215.

[18] Fontenelle, Oeuvres, tome VII, p. 546 (Éloge de Mme. de Lambert).

[19] Lucien Brunel, in Petit de Julleville's Histoire de la langue et de la littérature française, tome vi, p. 396.

[20] Palissot, p. 10.

[21] Marmontel, Mémoires, livre IV, tome I, pp. 232-233.

[22] Marivaux, La Vie de Marianne, 4e partie. Oeuvres, tome VI, p. 275.

[23] Marivaux, ibid., tome VI, p. 276.

[24] Deschamps, Marivaux, p. 87.

[25] Marmontel, Mémoires, livre VI, tome II, p. 88.

[26] Ibid., p. 90.

[27] "Sensible, et même ombrageux dans la société, sur les discours qui pouvaient avoir rapport à lui, il avait souvent le malheur de ne pouvoir cacher cette disposition, aussi importune pour lui que pour les autres; il la décelait quelquefois au point d'être vivement blessé de ce qu'on n'avait pas dit." D'Alembert, Éloge, p. 244.

"Il était repli d'amour-propre lui-même, et je n'ai vu de mes jours à cet égard personne d'aussi chatouilleux que lui. Il fallait le louer et le caresser continuellement comme une jolie femme." Collé, Journal et mémoires, p. 289.

"Marivaux était honnête homme, mais d'un caractère ombrageux et d'un commerce difficile; il entendait finesse à tout; les mots les plus innocents le blessaient, et il supposait volontiers qu'on cherchait à le mortifier: ce qui l'a rendu malheureux, et son commerce épineux et insupportable." Grimm, Correspondance littéraire, tome III, p. 183.

[28] De La Porte, pp.6-7. Lebros de la Versane, pp. 20-21, repeats the words of de La Porte, without, however, acknowledging the quotation.

[29] D'Alembert, Éloge, p. 242.

[30] Marmontel, Mémoires, livre VII, tome II, pp. 222-224.

[31] There is little, if any, doubt that Marivaux was the author of all three of these productions, as well as of the Télémaque travesti, the authorship of which he denied. For a discussion of the matter, see Larroumet, Marivaux, edition of 1894, p. 25, note 2, pp. 29, 30, notes 1 and 2; Fleury, Marivaux et le marivaudage, pp. 14, 16, 17, 18; Bibliothèque française, ou Histoire littéraire de la France, Amsterdam, H. Du Sauzet, in-12, t. XXII, dernière partie, 1736, p. 249, etc.

[32] Fournier, Théâtre complet de Marivaux, Notice, p. 6.

[33] Sainte-Beuve, Causeries du lundi, tome IX, p. 275.

[34] See note, p. xxxvi.

[35] Marivaux, le Spectateur français, 1e feuille. Oeuvres, tome IX, p. 8.

[36] Marivaux, le Spectateur français, 1e feuille. Oeuvres, tome IX, p. 36.

[37] Ibid., 3e feuille, p. 21.

[38] Ibid., 1e feuille, p. 4.

[39] Lesbros de la Versane, pp. 29, 30.

[40] See Marivaux, le Spectateur français, 1e feuille. Oeuvres, tome XX, p. 9.

[41] Charles Collé, in his Journal et Mémoires, tome II, p. 288, gives the following bit of testimony along this line: "Marivaux était curieux en ligne et en habits; il était friand et aimait les bons morceaux; il était très difficile à nourrir."

[42] Lebros de la Versane, pp. 37-38.

[43] D'Alembert, Éloge, p. 237.

[44] Lebros de la Versane, pp. 27-28. D'Alembert, Éloge, pp. 256-257.

[45] De La Porte, p. 8, and Lesbros de la Versane, p. 26, are agreed as to her name and place of residence. Houssaye, p. 97, gives her name as Mlle. Julie Duriez, but cites no authority.

[46] Reference as above to de La Porte and Lesbros de la Versane.

[47] De La Porte, p. 8, and Lesbros, p. 27. Houssaye, pp. 100-106, relates a pathetic and perhaps wholly fanciful romance, in which Guillaume de Bez and Mlle. Marivaux were the chief actors; but, contrary to the custom of Marivaux's comedies, love did not triumph; the worldly mother married her son unhappily, and the blind father, who thought that he could read so well the heart of woman, immured his daughter in a convent.

[48] Lesbros de la Versane, p. 27.

[49] D'Alembert, Éloge, p. 258.

[50] See Lesbros de la Versane, p. 36, and d'Alembert, Éloge, p. 258.

[51] Fleury, Marivaux et le marivaudage, p. 241.

[52] Marivaux, le Spectateur français, 1e feuille. Oeuvres, tome IX, p. 6.

[53] See Fleury, Marivaux et le marivaudage, p. 63.

[54] It was not, however, until 1689 that the Hôtel des comédiens du Roi, entretenus par Sa Majesté installed itself on the rue des Fossés-Saint- Germain, and took the title of Comédie-Française.

[55] As early as 1548 a troupe of Italian comedians had performed at Lyons, for the entrance of Henry II and Catherine de' Medici.

[56] On Oct. 12, 1707, their ranks were increased by Dominique fils, particularly clever in the rôles of Trivelin.

[57] "The name indicates a type. It is, moreover, about the same with the Théâtre-Français of this epoch. The mothers are called Argante; the widows, Araminte; the artless girls, Angélique or Lucile; the lovers, Dorante, Éraste, Ergaste; the old men, Géronte; the valets, Crispin, Frontin, Trivelin; the peasants, Blaise, etc." Fleury, Marivaux et le marivaudage, pp. 63-64.

[58] See Larousse, Article Comédie-Italienne.

[59] There was a brief period, from 1717 to 1726, in which Crébillon withdrew in discouragement from the theatre.

[60] Other writers for the Théâtre-Italien at this time were Autreau, Delisle, Fuzelier, none of whom is very famous.

[61] "On lui en connaît au moins trois pour ces sortes de couplets, alors à la mode, chantés et dansés, soit entre les divers actes, soit à la fin de la pièce. Ces collaborateurs sont l'aîné des deux frères Parfaict pour le divertissement de la Fausse suivante (Anecdotes dramatiques, t. II, p. 345), Riccoboni pour celui de la Joie imprévue, le chansonnier Panard pour celui du Triomphe de Plutus (Journal de police, dans le Journal de Barbier, t. VIII, p. 205) et pour celui de la Colonie (Nouveau théâtre italien, t. I, p. 336). Suivant le Dictionnaire des Théâtres (supplément, p. 470), le même François Parfaict, dans un moment où Marivaux avait hâte de donner à la Comédie-Française son Dénouement imprévu (un acte, 10 décembre 1724), l'aida à en "dégrossir quelques scènes." Larroumet, Marivaux, edition of 1894, p. 33, note 1.

[62] Jules Lemaître, Impressions de théâtre, 4e série, p. 77.

[63] La Harpe, Cours de littérature ancienne et moderne, tome XIV, p. 477.

[64] Jules Lemaître, _Imprressions de théâtre, 2e série, p. 28.

[65] Lesbros de la Versane, p. 6.

[66] Larroumet, Marivaux, p. 63.

[67] De La Porte, p. 3. Lebros de la Versane repeats the same idea, p. 8.

[68] See Larroumet, Marivaux, pp. 63-64.

[69] D'Alembert, Éloge, p. 220.

[70] D'Alembert, Éloge, p. 220.

[71] Ibid, p. 219.

[72] Both Lesbros de la Versane, pp. 14-17, and d'Alembert, pp. 218-219, relate the anecdote, and in much the same way. I follow, in the main, the account given by Lebros.

[73] Larroumet, Marivaux, p. 60.

[74] Lesbros de la Versane, p. 19. D'Alembert, Éloge, p. 291, note 19.

[75] D'Alembert, Éloge, p. 237.

[76] Le Spectateur français, 4e feuille. Oeuvres, tome IX, pp. 30-31.

[77] Found in the twelfth leaflet of the Spectateur. See d'Alembert, Éloge, p. 235.

[78] D'Alembert, Éloge, note 15.

[79] Marivaux, le Spectateur français, 16e feuille. Oeuvres, tome IX, p. 160.

[80] Sarcey, (Quarante ans de théâtre, tome II, pp. 265-266) argues against this conception.

[81] Fleury, Marivaux et le marivaudage, p. 59.

[82] Lavollée, _Marivaux inconnu, p. 61.

[83] See Fleury, _Marivaux et le marivaudage, p. 167.

[84] Ibid., pp. 192-202.

[85] "La première moitié seule fut insérée dans le Monde, parce que ce recueil cessa de vivre. La seconde moitié parut pour la première fois dans un volume de nouvelles de Mme. Riccoboni." Ibid., p. 202, note I.

[86] "Nous ajouterons que M. de Climal est un Tartuffe de cour, un hypocrite de bonne compagnie, mais en même temps d'une hypocrisie trop déliée pour être mise sur le théâtre et saisie par la foule des spectateurs." D'Alembert, Éloge, p. 238.

[87] The attitude of Marianne towards her faithless lover and his ultimate return are foreshadowed in the early part of the story, although Marivaux leaves the breach unclosed. In fact, the opportunity for dramatic action is neglected by Marivaux, whose genius led him to analyses of motives rather than to portrayals of deep feeling or strong emotion.

[88] La Harpe, Cours de littérature ancienne et moderne, tome XVI, p. 273.

[89] Marivaux, Vie de Marianne, 4e partie. Oeuvres, tome VI, p. 212.

[90] Ibid., 5e partie. Oeuvres, tome VI, p. 285.

[91] Marivaux, Le Paysan parvenu, 4e partie. Oeuvres, tome VIII, pp. 136-137.

[92] An exception must be made in the case of the Iliade travestie, in which work his pen is needlessly wanton. See Larroumet, Marivaux, p. 517.

[93] Impressions de théâtre, 2e série, p. 29.

[94] Fleury, Marivaux et le marivaudage, p. 214.

[95] Grimm et Diderot, Correspondence littéraire, tome 1, p. 41.

[96] Marivaux, le Spectateur français, 19e feuille. Oeuvres, tome IX, p. 190.

[97] D'Alembert, Éloge, p. 259.

[98] D'Alembert, Éloge, p. 259.

[99] D'Alembert, Éloge, p. 260.

[100] For an excellent comparison of Marivaux and the English novelists see Larroumet, Marivaux, pp. 348-364.

[101] See d'Alembert, Éloge, p. 229, and Collé, Journal historique, février, 1763, tome II, p. 290.

[102] Larroumet, Marivaux, edition of 1894, pp. 293-294.

[103] Causeries du lundi, tome IX, p. 286 and p. 296. His criticism of Marivaux as novelist is rather harsh.

[104] D'Alembert, Éloge, p. 221.

[105] La Harpe criticises Marivaux for this peculiarity. "Le noeud de ses pièces n'est autre chose qu'un mot qu'on s'obstine à ne dire qu'à la fin, et que tout le monde sait dès le commencement." Cours de littérature, etc., tome XIII, p. 336.

[106] D'Alembert, Éloge, p. 222.

[107] Deschamps, Marivaux, p. 186.

[108] Deschamps, Marivaux, p. 52.

[109] D'Alembert, Éloge, p. 282, note 12.

[110] D'Alembert, Éloge, p. 292.

[111] D'Alembert, Éloge, p. 293.]

[112] L'Ile de la Raison, La Réunion des Amours, la Dispute, Félicie, Arlequin poli par l'Amour, le Prince travesti, l'Ile des Esclaves, le Triomphe de Plutus, le Triomphe de l'Amour, la Colonie. Larroumet, Marivaux, p. 252, note 2.

[113] Jules Lemaître, Impressions de théâtre, 2e série, p. 27. Larroumet, pp. 292-297, gives a most interesting comparison of Marivaux with Shakespeare, and in note 2, p. 292, gives a brief sketch of the origin of this comparison and of its opponents.

[114] For a more complete idea of his drama one may have recourse to Larroumet, Marivaux, pp. 157-320, Fleury, Marivaux et le marivaudage, pp. 66-146, or Printzen, Marivaux, pp.41-38, who gives résumés of his comedies.

[115] Larroumet, Marivaux, p. 319.

[116] Marivaux, Théâtre choisi, Paris, Librairie des Bibliophiles, 1892. Preface by F. Sarcey, pp. 7 and 15-17.

[117] J. Lemaître, Impressions de théâtre, 2e série, p. 23.

[118] See Lesbros de la Versane, p. 9, who adds: "Ce qui prouve combien son goût était sûr, puisque ce sont ses meilleures pièces."

De La Porte, p. 3, gives a list of Marivaux's plays most popular with his contemporaries: "Celles qui reparaissent le plus souvent à la Comédie- Française sont la Surprise de l'Amour, le Legs et le Préjugé vaincu; et aux Italiens, la Mère confidente, l'École des Mères, l'Heureux Stratagème, les Fausses Confidences, l'Épreuve, Arlequin poli par l'Amour, la Double Inconstance, le Fausse Suivante, l'Ile des Esclaves, le Jeu de l'Amour et du Hasard."

[119] Fleury, Marivaux et le marivaudage, p 129.

[120] Lonient, la Comédie en France au XVIIIe siècle, p. 367.

[121] Sarcey, in le Temps of April 4, 1881 (see Quarante ans de théâtre, tome 11, p. 262), gives an interesting comparison between les Fausses Confidences and Octave Feuillet's Roman d'un jeune homme pauvre, in which he gives all credit to the former. "M. Octave Feuillet," says he, "a récrit (le roman des Fausses Confidences) et lui a donné je ne sais quoi de plus sombre. Son jeune homme pauvre est fier, cassant, et tombe parfois dans le mélodrame; sa jeune fille riche est agitée et nerveuse; leurs débats sont souvent violents et tristes. Le roman des Fausses Confidences se joue au contraire dans le pays lumineux des songes, et Dorante et Araminte charmeront encore les générations futures quand déjà il ne sera plus parlé du Maxime Odiot de M. Feuillet et de sa Marguerite Laroque." Vitet seems to have given an anticipatory reply to this severe criticism in his Discours de réception d'Octave Feuillet à l'Académie française (March 26, 1863), and Larroumet (p. 197, note 2) supports the latter's view.

[122] Causeries du lundi, tome IX, p. 299.

[123] Acte I, scène VIII.

[124] Collé, Journal et mémoires, tome II, p. 289. Février 1763.

[125] La Harpe, Cours de littérature ancienne et moderne, tome XIII, p. 381.

[126] D'Alembert, Éloge, p. 329.]

[127] Consult chapter III, on les Personnages (pp. 150-153), of Fleury's Marivaux et le marivaudage for a brief and happy summing up of these various differences, or part II, chapter I (pp. 93-155) of Deschamps' Marivaux, for a more extensive development.

[128] Brunetière, Nouvelles études critiques, pp. 151-152.

[129] Lescure, Éloge de Marivaux, p. 27.

[130] Frontin, of la Méprise, is a noteworthy exception. His wit is decidedly superior to that of his master Ergate.

[131] Larroumet, Marivaux, p. 225-226.

[132] See Fleury, Marivaux et le marivaudage, 73-75, and Larroumet, Marivaux, pp. 227-229.

[133] Fleury, Marivaux et le marivaudage, p. 284.

[134] Larroumet, Marivaux, pp. 366-370.

[135] "Il habille à la moderne les Surprises de l'Amour, refait le
Legs
dans l'Ane et le Ruisseau, l'Heureux Stratagème dans le
Caprice
, le Petit-Maître corrigé dans On ne badine pas avec l'amour."
Larroumet, Marivaux, p. 369.

[136] Larroumet, Marivaux, p. 395, note I.

[137] Marivaux, Oeuvres, tome VII, p. 41.

[138] Ibid., tome VII, p. 237.

[139] Marivaux, Oeuvres, tome VI, p. 393.

[140] Ibid., tome VI, p. 345.

[141] Sainte-Beuve, Causeries du lundi, tome IX, p. 393.

[142] Deschamps, Marivaux, pp. 182-183.

[143] See La Harpe, Cours de littérature ancienne et moderne, tome XVI, p. 272.

[144] Avertissement des Serments indiscrets. Marivaux, Oeuvres, tome II, p. 7.

[145] On this subject consult Larroumet, Marivaux, pp. 541-561.

[146] Palissot (pp. 8-9) speaks of it as "un reste du jargon proscrit dans les Précieuses de Molière." "En effet," he continues, "les deux filles de Gorgibus n'auraient peut-être pas défini le sentiment d'une manière plus étrange que M. de Marivaux ne l'a fait dans ce passage tiré de Marianne: Qu'est-ce que le sentiment? c'est l'utile enjolivé de l'honnête; malheureusement dans ce siècle, on n'enjolive plus." The passage is from the fifth part of le Paysan parvenu (Oeuvres, tome VIII, p. 177) and not from Marianne, and is, exactly quoted, as follows: "Mais c'est la nature qui nous rend amoureux; nous tenons d'elle l'utile que nous enjolivons de l'honnête; j'appelle ainsi le sentiment; on n'enjolive pourtant plus guère; la mode en est aussi passée dans ce temps où j'écris."

[147] Among the words mentioned by Desfontaines as neologisms perpetrated by Marivaux, none can be considered as coined words, and but very few, such as disciplinable, fictivement, scélératesse, as obsolete or unusual.

[148] Fleury, Marivaux et le marivaudage, pp. 281-283.

[149] See Sarcey, Quarante ans de théâtre, tome II, p. 268.

[150] Mercure for 1719.

[151] Le Spectateur français, 3e feuille.

[152] Le Spectateur français, 20e feuille.

[153] Le Spectateur français, 8e feuille.

[154] After the outrageous reception of his Serments indiscrets by the public, Marivaux contented himself by saying: "Au reste, la représentation de cette pièce-ci n'a pas été achevée; elle demande de l'attention; il y avait beaucoup de monde, et bien des gens ont prétendu qu'il y avait une cabale pour la faire tomber; mais je n'en crois rien: elle est d'un genre dont la simplicité aurait pu toute seule lui tenir lieu de cabale, surtout dans le tumulte d'une première représentation. D'ailleurs, je ne supposerai jamais qu'il y ait des hommes capables de n'aller à un spectacle que pour y livrer une honteuse guerre à un ouvrage fait pour les amuser. Non, c'est la pièce même qui ne plut pas ce jour-là." Les Serments indiscrets: Avertissement. Marivaux. Oeuvres, tome II, pp. 7- 8.

[155] D'Alembert, Éloge, pp. 248-249. The play was l'Amour et la Vérité. See Larroumet, Marivaux, p. 37, note 1.

[156] Marivaux, Oeuvres, tome IX, pp. 55, 56, 59.

[157] The one exception is in the case of Crébillon, already noted.

[158] De La Porte, p. 8. D'Alembert, Éloge, p. 298, note 25.

[159] See Marivaux, Oeuvres, tome X, p. 547.

[160] Ibid., pp. 550-551.

[161] D'Alembert, Éloge, pp. 295-296, note 23.

[162] Marivaux, Oeuvres, tome X, p. 552.

[163] D'Alembert, Éloge, p. 239.

[164] The registers of the French Academy (see Larroumet, Marivaux, p. 629) and d'Alembert (Éloge, p. 261) assign as the date of his death February 12; but l'Abbé de La Porte, p. 10), Lesbros de la Versane (p. 40), and Collé (Journal historique, tome II, p. 288) give the date as February 11.

[165] D'Alembert, Éloge, p. 261.

[166] Collé, Journal historique, tome II, p. 288.

[167] De La Porte, p. 10.

LE JEU DE L'AMOUR ET DU HASARD.

[1] SILVIA. The 'ideal type' of Marivaux's women. "Young, alert, lively, yet compliant, already competent, reasonable, and energetic, without her reason, deliberative as it is, excluding for a moment wit, sprightliness, and charm. Give her more reserve, more dignity, more tender kindliness, and also more indulgent experience and you will have, scarcely any older, and already a widow, Araminte of les Fausses Confidences" (Henri Lion, in Histoire de la langue et de la littérature française Petit de Julleville, tome VI, p. 587).

[2] ARLEQUIN. One of the brightest and merriest of rôles. In passing to the Comédie-Française, this rôle, which at the Comédie-Italienne was played by Harlequin, was introduced under the name of Pasquin. It is possible that the personage of Harlequin has descended from the Greek plays, in which there appeared an actor filling a similar rôle and dressed in the skin of a goat or a tiger; but so early an origin, even if it could be proved, would not serve to explain the costume in which he now appears, and which is itself a modification of that worn by Harlequin in the sixteenth century.

The part of Harlequin, in the Italian comedy, appears to have originated in the rôle of the zanni, or clown, which comprised several varieties, such as Scapino, Coviello, etc. The costume of the part, whether the zanni represented a stupid lout or a bright and resourceful valet, consisted of a loose jacket, very full trousers, a small cape, a broad-brimmed hat with feathers, and a wooden sword. This dress was varied later for the parts of Sganarelle and Pierrot, and the Harlequin dress itself was changed to a certain extent in the sixteenth century.

A description of his costume has come down to us from the time of Henry IV. "It is composed of a jacket open in front and fastened by cheap ribbons; of tight-fitting pantaloons, covered with pieces of cloth of different colors, placed at random. The jacket also is patched. He has a stiff, black beard, the black half-mask, and a cap shaped like those of the time of Francis I; no linen; the belt, the pouch, and the wooden sword. His feet are clad in very thin foot-gear, covered at the ankles by the pantaloons, which serve as gaiters" (Maurice Sand, Masques et Bouffons, p. 72). It was further changed, as well as the character itself, by the famous Dominique, of the Italian comedians to King Louis XIV. He made of Harlequin a clever and witty personage, instead of a stupid lout, and this change was accepted by the writers of plays for that particular troupe. The dress is greatly modified. The jacket is closer fitting; the trousers less full and shorter in the leg, coming down to just below the calf; the patches, still much larger than in the modern dress, are arranged symmetrically; the hat is soft, with a brim and a small plume; the shoes are of the ordinary seventeenth century shape, with the bow of ribbon on the instep. The wooden sword remains, as well as the half-mask, but with a moustache in the place of the former stiff beard.

The part was then played more and more as one calling for much spirit and endless fun-making powers,—so much so that when it was admitted to the stage of the Comédie-Française it evoked very strong condemnation as being unworthy of the gravity of the place.

The modern dress of Harlequin, rarely seen save in pantomimes, is a very brilliant close-fitting costume, composed of small triangles of bright cloth covered with spangles.

[3] QU'OUI. The correct form would be que oui, as the initial vowel of oui is now treated as an aspirate.

[4] CELA VA TOUT DE SUITE, 'That is a matter of course.' 'That is the natural conclusion' (judging from the desire of most girls to marry). The expression tout de suite now means 'at once,' 'immediately.' It is not in that sense that it is used here. Read, cela va de suite, considering the adverb tout as simply adding emphasis to the expression. The word suite was taken in the seventeenth and eighteenth centuries in the sense of 'consequence' or 'order.'

[5] DE FILLE. A peculiar use of the substantive after the preposition de, similar to the ordinary participial or adjectival use, as in the expression: Il n'y a que vous de sérieux. Compare "Je n'ai qu'elle de fille" (Molière, le Médecin malgré lui, II, 4). These, and similar expressions, are an outgrowth of the partitive genitive, usually found after an indefinite: II n'y a rien de nouveau (that is to say, parmi les choses nouvelles). Quelque chose de nouveau. Qu'y a-t-il de nouveau? Cent soldats de prisonniers. Y a-t-il personne d'assez hardi? etc. Compare the Latin, Quid novi?

[6] ALLEZ RÉPONDRE VOS IMPERTINENCES AILLEURS. This is not a modern form. The meaning is, 'Keep your irrelevant remarks for people of your own class.' Impertinences has here the meaning of 'irrelevant remarks.'

[7] CE N'EST PAS À VOUS À JUGER. An infinitive after c'est à (moi, vous, lui, etc.) may be introduced by either the preposition à or de, but a difference is felt to-day between the two locutions, the first signifying 'it is your turn,' and the second, 'it is your right or duty.'

[8] UNE ORIGINALE, 'eccentric.' "Il n'y a qu'en France que le mot original appliqué à un individu, soit presque injurieux."— Théophile Gautier, les Grotesques.

[9] CELA EST ENCORE TOUT NEUF, 'That is another strange idea.' Bear in mind that Silvia had already expressed a distaste for marriage.

[10] AIMABLE, 'Fitted to inspire love,' 'worthy of love.'

[11] DE MARIAGE … D'UNION. A peculiar use of the preposition de, allied to, and possibly derived from, the partitive after a negative: Il n'y a pas de mariage. It would be more natural today to say un mariage … une union. The use of the form de mariage is easily explained by the ellipsis of the concluding words, que celui-ci.

[12] DÉLICIEUSE. Compare: "Il y a de bons mariages; mais il n'y en a point de délicieux" (La Rochefoucauld, Réflexion, 113).

[13] DANS LES FORMES, 'Legally.'

[14] DE QUOI VIVRE, 'Food.'

[15] PARDI, 'Indeed.' An alteration of par Dieu. Though still used, parbleu, likewise a euphemism for par Dieu, has largely replaced it. It is not in the Dictionary of the Academy, 1878.

[16] TOUT EN SERA BON. The en refers apparently to the divers qualities of Dorante which Lisette has just enumerated, though it is difficult to see the connection clearly.

[17] TOUT S'Y TROUVE. The modern form would be, se trouve en lui, the y not being now used of persons.

[18] HÉTÉROCLITE. Used familiarly and figuratively for 'strange,' 'odd,' 'peculiar.'

[19] UN PENSÉE DE TRÈS BON SENS—Pleine de sens. VOLONTIERS, 'Frequently,' 'usually.' 'is usually inclined to be …'

[20] PASSE, 'We'll let that pass.' Used familiarly for soit.

[21] OUI-DA, 'Truly,' 'certainly,' or, more freely and familiarly, 'I should think so.' Da is, according to Diez, a shortened form of diva, an exclamation composed of the two imperatives dis and va: diva > dea > da. It may be added to either the affirmative or the negative (non-da), or stand alone. In any case it adds force to the expression. Its use is becoming obsolete, especially in the negative.

[22] DE BEAUTÉ. Quant à la beauté would convey the idea, better to the modern ear. The construction is the genitive after dispenser. The pronominal en is. therefore, redundant.

[23] VERTUCHOUX, written usually vertuchou, 'Bless me,' A euphemism like vertubleu, which is similarly a corruption of vertu (de) Dieu.

[24] CE SUPERFLU-LÀ SERA MON NÉCESSAIRE. Voltaire, in his Mondain (1736), lines 22-23, repeated the same idea: "Le superflu, chose très nécessaire, A réuni l'un et l'autre hémisphère."

[25] SE CONTREFONT-ILS, 'Disguise themselves.'

[26] AUSSI L'EST-IL. The modern form is Il l'est en effet.

[27] NE … MENT PAS D'UN MOT, 'Is not at all deceitful.'

[28] NI QUI NE GRONDE. The repetition of the relative qui is contrary to modern usage.

[29] ÂME, 'Being.'

[30] This whole scene recalls the dialogue between Angélique and Lisette in the first scene of Dancourt's l'Été des Coquettes (July 12, 1690), and may be a clever amplification of the same.

[31] PORTE … UNE GRIMACE. A metonymy not accepted in common usage.

[32] DE TOUT CELA == Dans tout cela.

[33] A CONDITION QUE, 'Provided that.' Governs either the indicative, conditional, or subjunctive.

[34] UN NOTAIRE. The notary is a frequent figure in French comedy in the seventeenth and eighteenth centuries, and appears also in that of the nineteenth century. It is he who draws up the marriage settlements; he acts usually as banker and trustee as well as legal adviser. He is a sworn officer of the government, and nowadays is subject to inspection by officials appointed for the purpose.

[35] SUR TOUT LE BIEN. The modern form would be d'après tout le bien.

[36] QUE VOUS VOUS REMERCIIEZ, 'That either of you will reject the other.' See Littré, "remercier," 5°.

[37] PLAISANTE, 'Amusing.'

[38] M'EN CONTER, 'To make love to me.'

[39] DES BONS AIRS, 'Kindly reception.' An example of a very common antiphrasis, although the expression in itself is antiquated.

[40] IL NE ME FAUT PRESQUE QU'UN TABLIER. An evidence of the similarity in dress of maid and mistress.

[41] NE L'AMUSEZ PAS, 'Do not detain her.' Amuser is sometimes used in this sense, 'to detain by idle words.'

[42] EN PARTIE DE MASQUE, 'For a masquerade.' It was a common practice in the circles of the Court, and of the richer bourgeoisie to get up masquerade parties and dances. There are frequent references to this in the Memoirs of Dangeau, Saint-Simon, and other writers.

[43] ARTICLE = Passage d'un écrit quelconque (Littré, "article," 3°).

[44] IMAGINATION. Used here in the sense of pensée or idée.

[45] FIGURE, 'Character,' which is also the meaning of personnage in the next line.

[46] PLAISANT. See note 37.

[47] NOTRE FUTURE. The notre refers to Dorante and his father. Silvia is the future bride of the one, and the future daughter-in-law of the other. The expression is not a usual one with notre.

[48] LE TOUT. In modern usage the article has disappeared.

[49] SUR LE CHAPITRE, 'About.'

[50] INSPIRÉE. Venue has replaced this verb in some of the later editions, and would certainly be the more natural expression.

[51] LES AVERTIROIT. Modern syntax requires the future after the imperative, instead of the conditional present.

[52] SE TIRERA D'INTRIGUE. Used in the sense of se tirera d'affaire.

[53] AGACER, 'Tease.' Taquiner would be the modern word in this sense. Agacer has now more the meaning of 'irritate.'

[54] C'EST AUTANT DE PRIS QUE LE VALET, 'The valet is as good as caught (captivated).'

[55] L'ÉTOURDIR, 'To make him forget.'

[56] CROCHETEUR, 'Porter.' The name is derived from the crochet (hook) which they use in lifting or carrying heavy weights. Another and more common meaning of the word is 'picklock,' or 'housebreaker,' from crocheter. Crochet must have given crochetier. It is probably due to paronymy that crocheteur and not crochetier has come to be used for 'porter' (Littré).

[57] DANS SON MIROIR. An elliptical form for Quand elle se regarde dans son miroir.

[58] TOUJOURS, 'In the meantime.'

[59] BIEN VENU. Now written in one word as a noun and with the article.

[60] TON COEUR N'A QU'À SE BIEN TENIR, 'Your heart must be on its guard.'

[61] C'EST BIEN DES AFFAIRES, 'What nonsense!'

[62] NE M'EN FAIT POINT ACCROIRE, 'Does not make me overrate myself.' (Littré, "Accroire," 3°.}

[63] SÉRIEUX, 'Formal.'

[64] SUR LE QUI-VIVE, 'Standing on ceremony.'

[65] PLUS COMMODÉMENT, 'With less ceremony.'

[66] TU AS NOM. A Latin construction frequently used even nowadays.

[67] VA DONC POUR LISETTE, 'Lisette be it, then.'

[68] J'EN VEUX AU COEUR DE LISETTE, 'I have designs upon Lisette's heart.' The more common modern meaning of the idiom en vouloir à is, 'to have a grudge against'; but the expression used in the text is also frequent with the meaning here given. Corneille has, "Alidor en voulait à Célie" (la Veuve, I. 181). "Poppée était une infidèle qui n'en voulait qu'au trône" (Othon, I. 194). "Je n'en veux pas, Cléone, au sceptre d'Arménie" (Nicomède, I. 347). And La Fontaine: "Comme il en voulait à l'argent" (les deux Mulets, I. 8). The Academy gives the locution in its Dictionary, with the remark: "signifie aussi familièrement, Avoir quelque prétention sur cette personne, sur cette chose, en avoir quelque désir. Il en veut à cette fille. Il en veut à cette charge."

[69] AILLE SUR MES BRISÉES, 'Be my rival.' Les brisées. Branches broken off by a hunter to recognize the hiding-place of the game, hence 'traces.' Suivre les brisées de quelqu'un, 'To follow someone's example.' Aller sur les brisées de quelqu'un, 'To contest with (or rival) someone' (Littré, "brisées," 1° and 2°).

[70] VOUS PERDREZ VOTRE PROCÈS, 'You will get the worst of it.'

[71] ILS SE DONNENT LA COMÉDIE, 'They are making fun at my expense.'

[72] QUI L'AURA, 'Who wins his love.'

[73] M'EN CONTER. See note 38.

[74] NOUS SOMMES DANS LE STYLE AMICAL. An expression derived from the précieuses.

[75] OTER MON CHAPEAU. It was still customary to wear the hat in the house, even in the presence of ladies, though the habit was dying out.

[76] JOUE. The edition of 1732, as well as that edited by Duviquet, gives joue. Some later editions give jure, in the sense of 'blaspheme.'

[77] PLAISANT. See note 37.

[78] ME FASSE MON PROCÈS, 'Destroys my hopes.' Compare note 70.

[79] D'ABORD QUE. Used for the more modern dès que (Littré, 10°).

[80] MALGRÉ QUE J'EN AIE, 'In spite of myself.' Malgré que in this sense is used only with the verb avoir (Littré, 5°).

[81] A TORT AVEC TOI. The modern form is envers toi.

[82] A PLUS DE TORT. The de has since been dropped in locutions of this sort.

[83] JE CROIS QU'IL M'AMUSE, 'I think that he strikes my fancy.'

[84] JE ME RAPPELLE DE. In modern French the de is omitted.

[85] CONFIDEMMENT. Confidentiellement the more common form.

[86] NE PRENDRE PAS GARDE. The modern construction of the negative with an infinitive requires both parts of the negative to precede the verb.

[87] EN FAVEUR DE = Dans l'intérêt de.

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