Adam, Ève et Brid'oison
DÉLAIS ET PAPERASSES
Le divorce, dit-on, s’est beaucoup simplifié depuis 1885 : c’est exact. Exact pour les époux d’une certaine qualité bourgeoise qui consentent à un accord tacite et s’en remettent à leurs avoués pour formuler des griefs pertinents et admissibles.
En ce cas, en effet, la procédure est simple, elle se borne aux conclusions du demandeur : Attendu que Mme X… a gravement manqué à la foi conjugale…
Et aux conclusions de la demanderesse : Attendu que la demande de Mme X… n’est ni recevable ni fondée…
On épingle la réponse sur la demande, et, pour peu que les plaideurs soient honnêtes, et les griefs du demandeur fondés (une habile simulation y suffit), le Tribunal évite aux époux mal assortis les lenteurs du rôle, l’éclat des plaidoiries et prononce le divorce. Affaire d’un mois.
Mais il y a, et c’est assez fréquent pour justifier le divorce par la volonté d’un seul, des conjoints résolus à défendre une mauvaise cause et, en certains cas rares, une bonne cause, soit qu’ils y voient un avantage matériel, soit qu’ils assouvissent aussi leur rancune ou leur jalousie. Alors, paperasses et délais se multiplient comme autant de chevaux de frise et de fils de fer barbelés.
Suivons un de ces divorces.
Le demandeur présente sa requête au président, qui fixe la date de comparution des parties. Il les reçoit en conciliation et libelle son ordonnance. Assignation est donnée, le tribunal est saisi. L’affaire, inscrite au rôle, est appelée, remise. Si la demande ne s’établit pas de plano, on ordonne l’enquête. L’affaire est rappelée, remise, revient, disparaît comme le bouchon sur la vague. Enfin le tribunal statue.
Comptons maintenant les actes et le temps qu’il faut pour les accomplir.
| 1o Requête de divorce, qui doit être présentée au Président par le demandeur lui-même. A Paris, le magistrat impose en général au demandeur un délai de trois semaines à un mois entre le jour où la requête est déposée et celui où il reçoit la demande | 1 mois |
| 2o Tentative de conciliation. L’ordonnance édictant les mesures provisoires arrive à l’avoué au bout de 15 jours | 1/2 mois |
| 3o Assignation devant le Tribunal, mise au rôle, grimoires d’avoués, procès de greffe | 1 mois 1/2 |
| 4o Conclusions de l’adversaire, pour lesquelles la loi accorde quinze jours et l’usage deux mois | 2 mois |
| 5o Quand ces conclusions sont posées, l’affaire prend le rôle. Elle y dort | 6 mois |
| 6o Entrée en jeu des avocats. Pour que l’affaire soit plaidée, il faut l’accord du Tribunal et des deux avocats : ci : | 3 mois |
| 7o Jugement ordonnant les enquêtes. Il faut le « coucher sur la feuille » le lever, le signifier, encore de nombreux grimoires | 2 mois |
| 8o Enquête. Le jour en est laissé au bon plaisir du juge-commissaire qui le fixe en général 2 mois après | 2 mois |
| 9o Après les enquêtes, on échange de nouvelles significations à conclusions, on fait revenir l’affaire à l’audience | 3 mois |
| 10o Rentrée des avocats, nouvelles plaidoiries | 3 mois |
| Enfin jugement ! | |
Total : |
24 mois |
Autant en appel, autant en cassation. C’est le minimum ! Total : SIX ANS !
Je ne prétends pas que cela se voie tous les jours. Mais que ce soit possible, c’est, on l’avouera, une chose renversante. Le divorce par consentement d’un seul, avec de rigoureux délais — trois ans, — prendrait moitié moins de temps.