Alsace, Lorraine et France rhénane: Exposé des droits historiques de la France sur toute la rive gauche du Rhin
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#LA RECONQUÊTE DÉFINITIVE DE L'ALSACE-LORRAINE#
La joie de la réunion.
Et voici que la France a répondu à ce geste. Un an, un an déjà, au moment où nous écrivons ces lignes, s'est écoulé depuis qu'elle a mis la main à son épée rédemptrice! Mais les libérateurs ne la déposeront pas jusqu'à ce qu'ils aient bouté les barbares «hors de toute France»!
Hors de toute France! C'est le mot charmant de Jeanne d'Arc! Hors de toute France, c'est hors de l'Alsace, hors de la Lorraine, hors de toutes les jolies provinces rhénanes qui s'échelonnent de Strasbourg à la mer du Nord. Les barbares au delà du Rhin, sur la rive droite du Rhin! Voilà leur place!
Oui, bientôt, ils auront cessé d'asphyxier de leur haleine physique et morale notre rive gauche, et nous en serons délivrés pour toujours. Metz retrouvera sa virginité; ce n'est plus elle seulement, mais l'Alsace-Lorraine, qui s'appellera Pucelle, et qui n'aura plus à craindre l'étreinte du reître sanglant.
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Le statut politique de l'Alsace-Lorraine.
Pas de neutralisation! Il faut réunir purement et simplement les deux vieilles provinces celtiques. On a émis l'idée baroque d'en faire une sorte d'État-tampon entre la France et l'Allemagne, État dont l'indépendance et la neutralité seraient garanties par les grandes puissances.
C'est là une proposition intolérable. Ce serait une injustice flagrante, la violation des droits les plus certains et de la France et de l'Alsace qui réclament toutes deux une union absolue. Ce serait la séparation; or, on ne peut séparer ainsi une fille et une mère ni supposer sans leur faire injure qu'elles y puissent consentir.
Ce serait la conception dangereuse et absurde jadis réalisée par la constitution du royaume de Lotharingie, royaume instable qui devait nécessairement pencher vers la France ou l'Allemagne et qui en effet ne dura pas. Après de douloureuses oscillations, il tomba du côté de l'Allemagne.
Il en serait à plus forte raison de même de nos jours, car nous sommes payés pour savoir quel cas l'Allemagne fait de la neutralité de ses voisins. Elle chercherait à la première occasion à accaparer l'Alsace-Lorraine et ce serait de nouveau la guerre. Ce serait donc une suprême imprudence, une insanité criminelle de ne pas reprendre ces provinces qui ont besoin de nous comme nous avons besoin d'elles.
Pas de referendum non plus!
Arguant de ce principe excellent qu'il faut tenir compte de la volonté des populations dans le règlement de leur sort, le congrès socialiste international de Londres (février 1915) a proposé de faire voter les Alsaciens-Lorrains sur le statut politique et la nationalité qu'ils préfèrent, de leur offrir le choix entre la France et l'Allemagne.
Ce referendum est inutile et injurieux pour les intéressés.
Il y a longtemps que leur choix est fait. Il y en a 300.000 parmi eux qui voteraient évidemment pour l'Allemagne; ce sont les immigrés allemands. Mais, en vérité, ce serait par trop fort de permettre aux oppresseurs de décider du sort des opprimés! Il faudrait alors logiquement inviter Guillaume lui-même, qui possède des châteaux en Alsace, à venir déposer son bulletin de vote et à déclarer si, comme Alsacien, il opte pour la France ou pour l'Allemagne! On ne saurait s'attarder une minute à une idée aussi saugrenue. Les immigrés qui ne seraient pas contents d'appartenir à la France n'ont qu'à repasser précipitamment le Rhin, avec leurs frusques que l'on visitera à la douane, de peur qu'il ne s'y trouve quelques-unes de nos pendules.
Les autres, au nombre d'un million et demi, soupirent depuis un demi-siècle après leur véritable patrie, et nous leur ferions l'injure de douter de leurs sentiments en leur demandant de les exprimer de nouveau par un vote! Mais ils les ont exprimés mille et mille fois depuis 1870 en bravant la schlague! Mille et mille fois ils ont gémi de la tyrannie des Allemands et nous leur proposerions de s'y soumettre bénévolement après les en avoir délivrés au prix de quels sacrifices! En vérité ce serait se moquer des larmes de l'Alsace et du sang de nos soldats!
Ce serait exactement comme si, après avoir chassé les barbares des départements qu'ils occupent actuellement, nous demandions aux habitants de Lille, de Cambrai, de Saint-Quentin et de Mézières d'opter entre la France et l'Allemagne dont ils ont connu la douceur et les charmes depuis un an! On ne demande pas à des fils de choisir entre leur mère et une marâtre! On ne met pas en délibération un droit clair comme le jour!
Ce droit, notre droit comme celui de nos frères, Maurice Barrès l'a exprimé en novembre 1914, en ces quelques lignes simples et limpides comme un axiome de géométrie:
«L'Allemagne en nous déclarant la guerre a déchiré le traité de Francfort et supprimé toutes ses conséquences. Donc nous sommes ramenés à quarante-quatre ans en arrière. L'Alsace-Lorraine est un pays français qui vient d'être momentanément occupé par l'ennemi. Il faut la considérer comme les autres parties de la France que les Allemands occupent depuis quatre mois.»
D'ailleurs, nous avons eu la satisfaction d'entendre le gouvernement de la République affirmer énergiquement cette thèse qui est celle du bon sens, de la justice et du patriotisme.
Le 18 février 1915, M. Viviani, président du Conseil, interpellé sur le vote réclamé par le Congrès socialiste de Londres, déclarait, aux applaudissements de la Chambre, que «la question n'a pas lieu d'être posée, puisque les provinces qui nous ont été arrachées par la force devront nous être rendues, non par l'effet d'une conquête, mais par l'effet d'une restitution».
M. Poincaré avait déjà dit, le 7 décembre 1914, que la France voulait «une paix garantie par la réparation intégrale des droits violés et prémunie contre les attentats futurs». Cette phrase dit tout: la justice pour le passé, la sécurité pour l'avenir, voilà nos deux raisons de reprendre l'Alsace et la Lorraine.
Dans le discours qu'il a prononcé le 14 juillet 1915 lors de la translation des cendres de Rouget de l'Isle aux Invalides, le Président de la République affirmait de nouveau le devoir qu'a la France de refaire l'intégrité de son territoire. Or, cette intégrité suppose la reprise non seulement de Lille et de Mézières, mais de Metz et de Strasbourg. M. Poincaré signalait aussi éloquemment le danger qu'il y aurait pour nous à nous contenter d'une «paix boiteuse, essoufflée», qui n'irait pas jusqu'à la satisfaction complète de nos droits. Voici ces bonnes et fortes paroles:
«Mais, puisqu'on nous a contraints à tirer l'épée, nous n'avons pas le droit, Messieurs, de la remettre au fourreau, avant le jour où nous aurons vengé nos morts et où la victoire commune des alliés nous permettra de réparer nos ruines, de refaire la France intégrale et de nous prémunir efficacement contre le retour périodique des provocations.
«De quoi demain serait-il fait s'il était possible qu'une paix boiteuse vînt jamais s'asseoir, essoufflée, sur les décombres de nos villes détruites? Un nouveau traité draconien serait aussitôt imposé à notre lassitude et nous tomberions, pour toujours, dans la vassalité politique, morale et économique de nos ennemis. Industriels, cultivateurs, ouvriers français seraient à la merci de rivaux triomphants et la France humiliée s'affaisserait dans le découragement et dans le mépris d'elle-même.
«Qui donc pourrait s'attarder un instant à de telles visions? Qui donc oserait faire cette injure au bon sens public et à la clairvoyance nationale? Il n'est pas un seul de nos soldats, il n'est pas un seul citoyen, il n'est pas une seule femme de France qui ne comprenne clairement que tout l'avenir de notre race, et non seulement son honneur, mais son existence même, sont suspendus aux lourdes minutes de cette guerre inexorable. Nous avons la volonté de vaincre, nous avons la certitude de vaincre. Nous avons confiance en notre force et en celle de nos alliés comme nous avons confiance en notre droit.
«Non, non, que nos ennemis ne s'y trompent pas! Ce n'est pas pour signer une paix précaire, trève inquiète et fugitive entre une guerre écourtée et une guerre plus terrible, ce n'est pas pour rester exposée demain à de nouvelles attaques et à des périls mortels que la France s'est levée tout entière, frémissante, aux mâles accents de la Marseillaise.
«Ce n'est pas pour préparer l'abdication du pays que toutes les générations rapprochées ont formé une armée de héros, que tant d'actions d'éclat sont, tous les jours, accomplies, que tant de familles portent des deuils glorieux et font stoïquement à la Patrie le sacrifice de leurs plus chères affections. Ce n'est pas pour vivre dans l'abaissement et pour mourir bientôt dans les remords que le peuple français a déjà contenu la formidable ruée de l'Allemagne, qu'il a rejeté de la Marne sur l'Yser l'aile droite de l'ennemi maîtrisé, qu'il a réalisé, depuis près d'un an, tant de prodiges de grandeur et de beauté.»
Voilà, éloquemment exprimé, notre devoir: venger nos morts, réparer nos ruines, refaire la France intégrale, nous prémunir efficacement contre le retour périodique des provocations! Mais la France serait-elle intégrale sans l'Alsace-Lorraine, et serait-elle en sécurité s'il restait un seul canon allemand sur la rive gauche du Rhin?
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Le statut religieux de l'Alsace-Lorraine.
J'aborde ici une question délicate qui s'agite au plus intime des âmes alsaciennes et lorraines, dans le tréfonds de leur conscience. Les populations riveraines du Rhin et de la Moselle ont des traditions religieuses auxquelles elles sont profondément attachées. Ce serait pour elles une croix très dure, si elles perdaient, en venant à nous, la liberté d'y conformer leur conduite. Rien n'est plus angoissant pour des âmes libres que de sentir un antagonisme s'élever entre leur patriotisme et leur foi. S'il pouvait y avoir chez nos frères une hésitation à se rattacher à la France, elle viendrait de cette crainte.
M. Franck-Chauveau, ancien vice-président du Sénat, a traité cette question dans ces paroles d'une largeur de vues et d'une franchise courageuses:
«Sans doute, si les populations rhénanes deviennent nôtres, nous devrons apporter dans nos rapports avec elles une sagesse et un doigté auxquels beaucoup de politiciens ne sont pas habitués. On prétend qu'un certain nombre de nos parlementaires s'inquiètent des sentiments religieux de cette population, et qu'ils y trouveraient une objection contre l'annexion des pays rhénans. En effet, ces pays sont catholiques, et le Centre, au Reichstag, est composé surtout des représentants des provinces rhénanes. On raconte même qu'un de nos députés radicaux-socialistes, parlant des Alsaciens-Lorrains, témoignait une certaine appréhension et posait cette incroyable question: «Mais comment voteront-ils?»
«Nous avons peine à le croire. Si, après les épreuves que nous traversons, après l'union autour du drapeau, après l'exaltation unanime des âmes dans le sacrifice, après l'aspiration de tous vers un objet idéal sublime, les luttes religieuses devaient renaître, si les persécutions contre tel ou tel groupe de Français devaient continuer, ce serait triste et ce serait grave.
«Mais si l'on prétendait appliquer ces procédés à nos frères d'Alsace-Lorraine, ou aux pays que nous considérons comme une partie essentielle de la défense nationale, si des esprits étroits voulaient y porter atteinte à la liberté religieuse, si l'on se refusait à comprendre la situation, à substituer à la politique de division et de coterie une politique de tolérance et d'union qui seule peut rattacher ces populations à la patrie française, ce serait vraiment à désespérer de notre pays. Et la France, qui s'est montrée si admirable devant l'agresseur, n'a pas mérité qu'on lui fasse cette injure. Non; elle ne persécutera pas une partie de ses enfants, elle ne sacrifiera pas à des intérêts étroits et sectaires les larges vues du patriotisme, elle appliquera à ses fils reconquis, comme à ses enfants d'adoption, la seule politique qui puisse les rattacher définitivement à la patrie.»
Au début de la guerre, dans un des premiers villages où l'autorité militaire installa une école française, l'instituteur, un brave sergent, au moment de commencer la classe, voyant les élèves rester debout, les pria de s'asseoir. Mais les enfants hésitaient, visiblement embarrassés. Étonné, il leur en demanda la raison. Ils répondirent: «C'est pour la prière, Monsieur!» Le jeune maître qui avait de la présence d'esprit et du tact reprit: «C'est bien, mes enfants, mais, en France, ce n'est pas le professeur qui fait la prière. Allons, quel est celui de vous qui va la dire?»
Évidemment, l'omission de cet acte religieux eût choqué ces petites âmes. Voilà, me semble-t-il, l'image de l'impression que produirait l'hostilité contre les croyances du pays.
Les Allemands ont eu l'habileté de respecter, de favoriser même ces croyances. Ils ont laissé subsister le Concordat français de 1801. Le parlement de Strasbourg a même, par plusieurs lois successives, généreusement élevé le traitement des ministres des différents cultes, en le portant à 2.625 francs pour les succursalistes, à 4.000 pour les rabbins, à 5.500 pour les pasteurs dont les charges sont plus lourdes.
La loi Falloux, modifiée par des ordonnances en 1873, est toujours en vigueur. L'enseignement a gardé son caractère confessionnel dans les écoles primaires, sauf dans quatre communes, dans les lycées et les collèges et dans les écoles normales d'instituteurs.
Enfin les congrégations religieuses établies dans le pays y sont légalement autorisées.
Cette situation religieuse est totalement différente de celle de la France. Il serait souverainement imprudent et injuste, de la part du gouvernement, de la bouleverser. C'est l'opinion d'un grand nombre d'anticléricaux en deçà et au delà des Vosges. Il y a cependant là une vraie difficulté et elle ne semble pas pouvoir être solutionnée autrement que par une entente avec le Saint-Siège.
L'Alsace-Lorraine compte sur la bonne volonté, l'habileté et la loyauté de nos hommes d'État. Elle a heureusement une garantie. Ce sont les paroles qu'ont prononcées les deux hommes les plus qualifiés pour parler en l'occurrence au nom de notre pays.
Le général Joffre a dit aux habitants de Thann:
«La France apporte, avec les libertés qu'elle a toujours respectées, le respect de vos libertés à vous, des libertés alsaciennes, de vos traditions, de vos convictions, de vos moeurs.»
Et M. Poincaré a confirmé cette promesse en ces termes:
«La France, tout en respectant les traditions et les libertés des provinces qui lui ont été arrachées par la force, leur rendra leur place au foyer de la patrie.»
Ces paroles sont définitives: elles ont la valeur d'une parole d'honneur, d'un engagement officiel. Elles sont, comme le disait l'abbé Collin, la charte de l'Alsace-Lorraine. La France n'oubliera pas «le pacte de Thann».
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#LA RECONQUÊTE DÉFINITIVE DE LA FRANCE RHÉNANE#
La rive gauche réfractaire à la germanisation.
Après le rapt de 1815, l'Allemagne, de nouveau maîtresse des belles provinces ripuaires, s'efforça de leur faire oublier la France. Mais elle procéda comme toujours manu militari, avec sa violence et sa lourdeur habituelles. Elle interdit la langue française que l'on commençait à parler, surtout dans les villes. Elle détruisit les monuments de nos gloires. Mais tous ses efforts échouèrent.
Le prussien Schmettau avait dit en 1709 qu'il faudrait «une chaîne de deux cents ans» pour asservir l'Alsace à l'Allemagne et lui faire oublier notre pays. On pourrait en dire à peu près autant de la région voisine qu'habite une race également celtique. Le souvenir français y est demeuré toujours vivant. Quelques faits vont le prouver.
En 1865, la Hesse voulut célébrer le cinquantenaire de l'annexion des terres qu'elle avait acquises au Traité de Vienne. Mais le Conseil municipal de Mayence refusa à une forte majorité de s'associer à cette manifestation. Les enfants de ceux qui avaient lutté en 1793 contre la Prusse et contre la Hesse avaient gardé la nostalgie de la France et, comme les captifs antiques, ils suspendaient leurs lyres aux branches des arbres sur les rives du fleuve profané, pour ne pas chanter en l'honneur de leurs conquérants.
Cette affection que nous gardait la rive gauche dut être plus vive et plus profonde qu'on ne l'imagine. Mais un mot de Guillaume Ier nous en révèle la persistance. Il hésitait en 1871 à annexer l'Alsace-Lorraine et la raison qu'il en donnait, c'était l'exemple de la province voisine. «Jamais, disait-il, nous n'en viendrons à bout. Rappelez-vous le mal que nous avons eu à germaniser les Rhénans.» Vers la fin de sa vie, répondant à des conseillers qui s'impatientaient de l'esprit réfractaire de l'Alsace-Lorraine, il disait encore:
«Les Français n'ont occupé la province rhénane que vingt ans à peine et, après soixante-dix ans, leurs traces n'y sont pas effacées.»
Il paraît que les vieux habitants disent encore qu'ils vont «en Prusse» pour signifier qu'ils passent sur la rive droite du fleuve. Sa rive gauche est donc toujours pour eux la France!
Il faut croire que Bismarck avait conscience de la faillite de la germanisation dans les provinces rhénanes, car à la veille de Sadowa, alors qu'il méditait son coup de force contre l'Autriche et ne craignait que l'opposition de la France, il aurait volontiers, pour gagner la neutralité de Napoléon, abandonné la rive gauche du Rhin. Il confia un soir au général italien Govone: «Je suis beaucoup moins Allemand que Prussien, et je n'aurais aucune difficulté à souscrire la cession à la France de tout le pays compris entre le Rhin et la Moselle, le Palatinat, Oldenbourg (enclave de Birkenfeld) et une partie de la province prussienne.» Dans une conversation avec un autre diplomate, il parlait même de nous céder toute la rive gauche… Il est probable qu'après le coup de Sadowa, mis en appétit par la victoire, il ne pensa plus à nous céder la région cisrhénane et qu'il y pensa encore moins après 1870.
Voici encore à cet égard deux anecdotes qui en disent long:
Le colonel Biottot a écrit:
«En 1870, je traversai le Palatinat en prisonnier: à une station du convoi, je me penche à la portière en murmurant: «Où sommes-nous?» Une voix me répond du dehors: «Dans le département «du Mont-Tonnerre!!!» C'était un membre de la Croix-Rouge de la région offrant ses services. À Mayence, accueil sympathique; on regrette manifestement notre défaite, le grand duc de Hesse-Cassel tout le premier. Il nous fait servir un repas et nous rend visite: souvenir français, influence persistante de chevalerie, que n'a pu étouffer la barbarie poméranienne!»
J.-J. Weiss a raconté que, visitant Trèves, en septembre 1871, il fut pris à partie par un petit homme courbé et cassé qui lui dit sur un ton de mépris: «Que sont donc devenus les Français pour s'être laissé battre par les Prussiens?—Mais, lui répliqua l'écrivain, estimez-vous si peu les Prussiens? Ne l'êtes-vous pas?—Oui, dit-il, sujet prussien; mais Trévirois et fils de Trévirois. Vous connaissez le proverbe: Où le Prussien a une fois p…, il ne pousse plus rien! Et puis, mon père a été soldat du grand Napoléon!»
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Le don d'assimilation de la France.
Nous avons vu que, en 1865, les autochtones cisrhénans étaient encore bien fidèles à la France, puisqu'ils refusaient de fêter le cinquantenaire de leur annexion à l'Allemagne. Mais les cinquante années écoulées depuis lors n'ont-elles pas effacé notre souvenir?
Il est certain que la germanisation a dû progresser. Une oeuvre, poursuivie pendant cent ans avec la ténacité que mettent les Allemands à toutes leurs entreprises ambitieuses, ne peut être tout à fait stérile, en dépit de leurs maladresses. Il est clair aussi que les circonstances les ont servis. Le succès prodigieux, obtenu par la Prusse sur l'Autriche en 1866 et sur la France en 1870, lui a donné un immense prestige dans le monde entier. Le développement économique de l'Allemagne, en enrichissant tous les États confédérés dont elle se compose, les a attachés à sa fortune par le lien de l'intérêt. Il faut aussi tenir compte de l'immigration qui a recouvert plusieurs contrées de la rive gauche d'une nuée d'Allemands d'outre-Rhin. Enfin il faut y ajouter la propagande intellectuelle, littéraire, intense qui caractérise cette nation. Ces quatre causes, militaire, économique, ethnique, intellectuelle ont dû agir puissamment au détriment de la France.
Cependant, bien des indices permettent de croire qu'elle regagnerait très facilement et très vite le terrain perdu.
Cet espoir se fonde sur deux facultés des races en présence, facultés contradictoires et complémentaires: c'est la faculté d'assimilation active de la race latine et la faculté d'assimilation passive de la race germanique.
La race latine s'assimile très facilement et très vite les races qu'elle touche, parce qu'elle les prend par l'esprit et par le coeur. Elle les domine de toute la hauteur de son idéal; elle les séduit par la beauté et le charme de sa civilisation; elle les attire par l'aménité de son caractère, par sa bonté et son affection quasi maternelle. Elle les frappe à son image; elle les latinise. Elle exerce cet empire non seulement sur ses vaincus, mais sur ses vainqueurs. C'est au fond l'empire éternel de l'esprit sur la matière, la victoire de l'idée sur la force.
L'antiquité avait vu cette chose étrange et qui étonnait Horace, la
Grèce, vaincue par Rome, imposer à Rome sa pensée et sa culture:
Graecia capta ferum victorem cepit…
C'était la beauté grecque qui domptait la violence romaine. C'était l'Hélène éternelle qui, après avoir séduit l'Asie et les vieillards de Troie, séduisait les forts et les sages de l'Italie.
Plus tard, Rome domine la Gaule, mais, comme elle s'est transformée, comme elle ne représente plus seulement la force matérielle, mais aussi la force morale et spirituelle, elle s'assimile notre patrie, elle lui donne sa forme divine; la terre de Vercingétorix se latinise.
Au Ve siècle, la Gaule est envahie et soumise par les Francs. Cette fois, c'est le phénomène de la Grèce, vaincue et victorieuse de Rome, qui se renouvelle:
Gallia capta ferum victorem cepit…
Les Francs se dégermanisent en se christianisant et la France naît de là.
La même vertu opère sur les Wisigoths, les Burgondes, les Lombards, les Normands, qui se dépouillent eux aussi, à l'exemple des Francs, de leur barbarie ancestrale et se plient facilement à la discipline intellectuelle et morale de la France. De là sort une race qui n'a plus rien de la férocité germanique.
C'est un phénomène moral qui rappelle certaine réaction chimique; des acides violents, corrosifs ou toxiques, unis à un métal, à une base, perdent leur nocivité et forment un sel neutre, doué de nouvelles et précieuses propriétés. Ainsi l'acide germanique ou même prussique de certains peuples, neutralisé par la base celtique ou le franc métal latin, a donné des races parfaites.
Cette assimilation serait d'autant plus facile sur les populations ripuaires qu'elles ne sont pas de race gothique ni burgonde, mais de vieille souche gauloise, sur laquelle s'est greffé le rameau franc. Elle s'est accomplie avec la plus grande aisance pendant l'occupation française de 1797 à 1815. Elle aura encore lieu bientôt quand nous aurons recouvré «nos limites naturelles».
On se rappelle ce que nous avons dit plus haut sur le type ethnique et physique de la population. En dehors des bourgs-pourris de l'immigration allemande, elle n'est germanique qu'à fleur de peau, mais gallo-franque de sang et de coeur. Si les paysans ont oublié les chartes et les chroniques des temps mérovingiens, ils ont en revanche entendu parler sous le chaume de Custine, de Kléber et de Napoléon, sous lesquels ont servi leurs grands-pères. Plus d'un prendrait encore plaisir, comme en 1870, à répondre à l'étranger lui demandant où il est: «Département du Mont-Tonnerre!!!»
Il est dans tout ce pays, suivant l'heureuse expression de M. Charles Maurras, dans l'Action Française, «des virtualités de développement français ultérieur».
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La Moselle et le Rhin nous désirent.
En 1815, lorsque leur pays fut adjugé à l'Allemagne, beaucoup de Rhénans s'expatrièrent pour ne pas devenir Teutons. Le descendant de l'un de ces émigrés de vieille souche rhénane écrivait récemment à Maurice Barrès:
«Mon trisaïeul P.G…, maire de Sarrelouis sous Louis XV, créa dans les environs de cette ville, ainsi que dans le duché de Nassau-Sarrebruck, des forges d'acier, des fonderies qui fournirent quantité d'armes et de munitions aux armées de la République et de l'Empire. Ces établissements furent annexés à la Prusse en même temps que Sarrelouis et Sarrebruck, à la suite de la deuxième invasion en 1815. Mon grand-oncle, un ami de Berryer qui relate le fait dans ses Mémoires, ne voulut pas survivre à la rectification de la frontière et signa son testament: «G…, mort Français.» Plus tard, mon père, désirant conserver sa nationalité française, créa de nouvelles usines aux environs de Saint-Avold. Et celles-ci ayant été à leur tour annexées à l'Allemagne en 1871, nous sommes venus en Meurthe-et-Moselle…»
«Voilà, ajoute M. Barrès, qui vous donne une idée, n'est-ce pas, de la vie qu'à travers les générations on nous fait mener dans l'Est, et on s'expliquera que nous demandions des garanties! Mais, écoutons encore les renseignements de mon correspondant:
«Ayant conservé, me dit-il, de nombreuses relations avec des familles restées de l'autre côté de la frontière, et même en Prusse, au delà de l'ancienne limite de 1815, je crois connaître l'esprit des classes dirigeantes de ces pays. Ces gens ont conservé non seulement des moeurs et des goûts français, mais encore des relations fréquentes, voire même intimes, avec les branches de leurs familles demeurées françaises, habitant la Lorraine et Paris. Je citerai… Avec le temps, ces familles, qui ont une influence considérable dans le pays, seraient certainement ralliées à notre domination.»
«Qu'est-ce que je vous disais! Il n'y a pas, à mon goût, de pays plus excitants pour l'imagination que la vallée de la Sarre, la divine Moselle, le grand-duché de Luxembourg, toutes ces terres qui nous attendent éternellement.»
M. Diehl, professeur à la Sorbonne, membre de l'Institut et Alsacien, disait récemment à M. Barrès qu'après la reprise de l'Alsace, il irait volontiers avec Ernest Lavisse et quelques autres de ses collègues professer à Strasbourg et il demandait à l'académicien s'il ne voudrait pas se joindre à eux pour aller, lui aussi, porter la bonne parole à nos frères rachetés. M. Barrès lui fit, dans l'Écho de Paris, cette réponse où éclate son amour ou même sa préférence à quelques égards pour les rives de la Moselle avec la certitude qu'il a de les voir bientôt refrancisées.
«Ah, mon cher monsieur Diehl, je ferai tout ce que Strasbourg et Metz voudront; mais quand je rêve, ou plutôt quand je réfléchis, je me vois surtout m'allant promener librement à Luxembourg, où j'ai déjà des amis, et plus loin dans ces belles villes de Trèves, de Coblence et plus bas encore pour y faire aimer la France, car ces populations auront à choisir de se rattacher à nous et de partager fraternellement notre existence, ou bien de garder leurs destinées propres sous la garantie d'une neutralité perpétuelle.
«Il ne peut plus être question au long de la charmante Moselle et sur la rive gauche du Rhin d'aucune souveraineté de Bavière, ni de Prusse, d'aucune pensée pangermaniste. Nous voulons la paix du monde, la sécurité pour nos fils et pour nos petits-fils.
«D'ailleurs, nos enfants seront aisément aimés, sur cette rive gauche. Nos pères y étaient hautement estimés. Ces beaux territoires, soustraits à la brutalité prussienne, ne tarderont guère à fournir, sous la discipline française, d'excellents éléments graves, patients, loyaux, qui s'équilibreront très bien dans notre nation. Je me rappelle, parmi les jours les plus heureux de ma vie, ceux que j'ai passés à errer en bicyclette, en bateau, à pied, de Metz à Coblence, parmi ces forêts, ces montagnes romanesques, ces petits villages tout pleins de souvenirs de la Révolution et du premier Empire.
«Je n'étais pas en Allemagne, mais sur des territoires qu'un seul rayon de soleil de France mettrait au point. Le Rhin est un vieux dieu loyal. Quand il aura reçu des instructions, il montera très bien la garde pour notre compte et fera une barrière excellente à la Germanie. Vous verrez, nous nous assoirons comme des maîtres amicaux sur la rive du fleuve, et nous ranimerons ce que la Prusse, «le sale peuple» (n'en déplaise au professeur maboul de l'Université de Bordeaux), a dénaturé et dégradé, mais qui était bien beau. Nous libérerons le génie de l'Allemagne qu'ont aimé follement nos pères.»
Voici un autre rhénan qui exprime le même ardent désir de fêter bientôt le retour de son pays à la France. Il a écrit à M. Jacques Bainville une lettre que celui-ci a citée dans l'Action Française.
«Oui, insistez sur la nécessité pour notre pays de retrouver au moins la France de 1814. Dans bien des coins et bien des familles, il est resté un vivant souvenir des temps passés et ce sera une surprise pour beaucoup de constater la facilité d'assimilation par nous de ces terres qui sont encore sous la botte prussienne. Il n'y a pas seulement le charbon, il n'y a pas seulement la riche industrie de la vallée de la Sarre. Il y a le souvenir, il y a le sang français, les années dépensées par Vauban, à Sarrelouis, chez moi. Il y a Ney, Grenier, quinze divisionnaires et généraux de brigade donnés à la France par cette petite ville et ses environs immédiats. L'an dernier (novembre 1913), nous enterrions, avec quelques amis, le dernier de ces braves, le général Étienne. Il repose dans le cimetière de son village natal: Beaumarais. Est-ce un nom allemand? Et Vaudrevouge et Bourg-Dauphin et Picard? Sont-ce des noms allemands encore?…
«Tout ce pays est peuplé de descendants des colons de Louis XIV. Ney, Grenier, Leroy, Donnevert, Beauchamp, Bertinchamp, Cordier, Landry, sont des noms que vous retrouverez sur toutes les échoppes de Sarrelouis.
«Pensez à ma famille maternelle, les…, les…, qui sont restés sur la brèche depuis cent ans, alors que toutes les vieilles familles s'éteignaient peu à peu; nous nous sommes passé le flambeau de génération en génération, au milieu de quels sacrifices et de quels déboires! Est-ce pour échouer au port?
«Grand Dieu, non, je l'espère. S'il fallait renoncer à cet espoir, nos morts sortiraient de leur tombe pour maudire les petits Français qui les auraient laissés en terre étrangère…»
M. Jacques Bainville ajoute éloquemment:
«N'est-elle pas profondément dramatique cette protestation d'un soldat de 1915 contre les cruels abandons de 1815? Ce sont trois générations qui crient à travers les lignes de cette lettre. Ce sont des voix d'outre-tombe qui parlent par la bouche de ce contemporain…
«Alors (car c'est le moment de faire appel à tous les sentiments, à toutes les forces) on peut demander à Gustave Hervé, qui se réclame si souvent de la tradition révolutionnaire, s'il a oublié que, tout le long du XIXe siècle (jusqu'à 1870, ô ironie!), l'abolition des traités de 1815 et la reprise des territoires perdus après Waterloo ont été l'article fondamental du programme des démocrates français. Ah! ce ne sont pas seulement les vieilles familles françaises de Sarrelouis qui se retourneront dans la tombe en écoutant les sarcasmes d'Hervé sur la rive gauche du Rhin. C'est Armand Carrel, c'est Armand Marrast, c'est Louis Blanc, Barbès, Blanqui, tous ceux qui ne séparaient pas de leur propagande pour la Révolution, et la République le sentiment national, tous ceux pour qui le premier devoir de la France libérale devait être d'achever la nation et de lui rendre les Français séparés de leurs frères et tombés sous le despotisme étranger…»
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Le mariage de Colette et d'Asmus.
Il y a en terre mosellane et rhénane des gens de souche celtique mais que des siècles de kultur ont plus ou moins profondément germanisés; il y en a aussi qui sont de purs Allemands immigrés depuis plus ou moins de générations. Eh bien, je crois que le don d'assimilation, le charme de la race latine, opérera même sur ceux-là.
Ils éprouveront bientôt, au contact intime de notre civilisation, cet étonnement ému qui saisit le gros Asmus, tout frais émoulu de ses pédantes Universités, à son arrivée à Metz et dans sa visite à la place Stanislas de Nancy. Ils voudront se hausser à cette finesse de la vraie culture que l'on ne soupçonne pas en Poméranie ni même sous l'allée des Tilleuls.
Ce sont bien les deux races éternellement antagonistes que Maurice Barrès a mises en regard dans son roman. Mais il peut arriver que leur antagonisme cesse à certains jours et que l'une soit attirée vers l'autre par une mystérieuse sympathie. C'est le sentiment qu'éprouve Asmus. Sous le clair regard de Colette, il sent fondre son pangermanisme comme sous un rayon de soleil et il oublie la savante demoiselle de Koenigsberg. La petite Messine elle aussi est troublée et il semble presque qu'elle va dire oui, quand un sursaut de sa race, un tour de sang, lui fait dire non. C'est là le sentiment patriotique que Maurice Barrès a voulu mettre en relief et auquel il faut applaudir.
Et cependant, à la réflexion, on se demande si une autre solution, dont l'auteur lui-même nous fournit les éléments, eût été contraire au patriotisme. Si un mariage avait eu lieu, n'est-ce pas Colette, et en elle la France, qui aurait conquis et assimilé le Germain?
C'était la pensée que Jaurès exprimait ainsi:
«Est-il possible, écrivait-il, qu'une Colette et qu'un Ehrmann, qui parviennent à imprimer jusque dans l'esprit du vainqueur une noble image de la France, s'obstinent à repousser ceux sur qui le charme français aura opéré? Entre M. Ehrmann et l'élite des Allemands immigrés, il se créera un lien subtil et fort, une communication d'ordre supérieur, et l'idée viendra un jour à ce jeune homme que cette mutuelle sympathie pourrait s'élargir jusqu'à envelopper les deux nations. Et Colette? Elle refuse de se marier avec Asmus, soit. Mais elle a hésité; on a entrevu que si elle épousait Asmus elle travaillerait avec lui à réconcilier Français et Allemands, et par là le livre de M. Barrès nous prédispose à l'indulgence…
«Ainsi, concluait Jaurès en interpellant M. Barrès, parce que vous avez le sens de la vie, vous ne pouvez enfermer l'ample mouvement des choses dans les formules étroites que vous préférez. Vous vous démentez et vous vous dépassez vous-même, à votre insu, en nous suggérant, malgré que vous en ayez, l'idée d'une revanche plus haute, celle du génie français parvenant à se faire comprendre du génie allemand et à le combattre.»
«Je n'ai jamais oublié, continue Barrès, cet article de Jaurès. Il est de grande portée. Étant donnée l'opposition de ses idées doctrinales et de mes idées propres, les faits sur lesquels nous nous accordions prenaient à mes yeux une rare valeur. La civilisation française dans les pays annexés conquiert les Allemands, s'impose à leurs professeurs, transforme leurs moeurs, voilà ce que Jaurès me concédait, en ajoutant qu'il avait bien pu en être toujours ainsi.
«Il se pourrait bien, disait-il, que depuis deux mille ans, il y eût, de ce côté-ci du Rhin, des Colette qui ne veulent pas épouser des Asmus. Quand par force le mariage s'est accompli M. Asmus, après s'être fait appeler quelque temps M. Asmus-Baudoche, s'est trouvé, un beau jour, Baudoche tout court, ne voulant plus rien savoir des Asmus.»
Jaurès allait trop loin. Il voulait un colossal mariage entre la France et l'Empire allemand, mariage où la France aurait tout sacrifié, mais où elle aurait, en revanche, fécondé de sa grâce le génie du Reître. Ce fut là, comme dit Barrès, «l'effroyable chimère» du tribun socialiste, car le Reître, quand il est chez lui, est brutal et rappelle un peu trop Barbe-Bleue. Mais quand il n'est pas chez lui, il est en effet maniable et civilisable.
Jamais nous ne dégermaniserons la Germanie chez elle. Là où elle est indépendante, elle est trop orgueilleuse pour se laisser polir par une idée étrangère. Quand les Allemands opèrent par masses compactes, en temps de paix comme à la guerre, ils sont impénétrables, ils se défendent: aucun souffle du dehors ne peut circuler dans cette forêt touffue. Au contraire, quand ils sont à l'étranger, sans espoir de pouvoir l'emporter par l'espionnage et la trahison, ils sont dociles, serviles même et éminemment assimilables.
«C'est, dit Onésime Reclus, celui de tous les peuples qui se confond le plus vite avec les citoyens de son pays d'émigration. Personne ne dit mieux que lui: La patrie c'est là où l'on est bien! La patrie n'est pas où je naquis, mais où je mange. Ils disent en leur langue: Je chante la chanson de celui dont je mange le pain: Wessen brod ich esse, dessen Liede ich singe. Ils n'ont de force, de vitalité, de durée qu'en masse et, comme on sait, c'est ainsi qu'ils vont à l'assaut. Partout, en France, en Italie, en Algérie, aux États-Unis, en Canada, en Argentine, en Chili, leur disparition ne demande qu'une ou deux générations[1].»
Et c'est pourquoi le rêve de Jaurès, ramené à une plus modeste échelle, ne serait pas une chimère. Le Germain ou le Germanisé, chez nous, en terre rhénane de rive gauche, serait vite francisé.
C'était aussi la pensée de Frédéric Mistral. Le poète de Mireille écrivait à Barrès, à propos de Colette Baudoche, cette lettre curieuse et de grand sens:
«_Vous rendez si sympathiques le terroir et la race (de Metz) que le bon gros Allemand Frédéric Asmus est vaincu en peu de temps, et vaincu de façon si naturelle et si honnête qu'on regrette vraiment la maussaderie finale de la petite Colette. Étant donné que le germanisme finit toujours par se fondre dans la latinité,—à preuve la fusion rapide des innombrables envahisseurs de l'empire romain,—il est certain que, par le seul effet des influences naturelles, les immigrés allemands sont destinés à faire des fils et petits-fils lorrains, et par eux la Lorraine reprendra son autonomie. Je remarque en Provence que les fils des Métèques sont généralement plus ardents que les indigènes de vieille roche. C'est le mystère de la greffe. Donc j'aurais vu avec plaisir le bon docteur Asmus contribuer à repeupler Metz de jeunes patriotes. Il méritait bien cette jolie récompense.»
Changez Metz; mettez à la place Trèves, Mayence, Coblence, même Cologne et Aix-la-Chapelle, ce sera encore vrai.
Encore une fois, il s'agit d'une opération restreinte et tentée dans des conditions spéciales; nous ne prétendons pas conquérir l'Allemagne et la dégermaniser chez elle. Colette aurait tort d'aller essayer son pouvoir sur la rive droite: mais la rive gauche lui appartient, et, en descendant le Rhin, de Strasbourg à Cologne, elle porte partout avec elle le sceptre de la beauté latine.
L'académicien en convient, me semble-t-il, quand il écrit, dans le même article si suggestif que je viens d'exploiter:
«C'est l'opération que nous réussirons à Trèves et à Coblence et dans toutes ces charmantes petites villes de la basse Moselle. Aisément, par la douceur de la vie française que nous y transporterons, nous ferons le plus beau mariage. Des unions, qui n'étaient pas possibles à Strasbourg et à Metz, le deviendront; car il y a la manière, et ce ne sera plus la manière prussienne. Ils étaient légion, hier, les Allemands qui se tournaient vers nous comme les plantes vers le soleil. Le dur génie destructeur de la Prusse les contrariait, les contraignait, les dénaturait. Libérés de cette barbare tutelle, les bords du Rhin, trop heureux de respirer à leur aise, prendront leur libre rythme, aisément accordé au nôtre.
«Dans l'intérieur de notre frontière rhénane pourra s'épanouir, avec le temps, le rêve de Mistral, qui ne voulait pas comprendre les obligations que l'honneur imposait aux filles d'Alsace et de Lorraine et qui souhaitait le mélange des deux races pour le profit du monde français et latin.»
[Note 1: Onésime RECLUS, Le Rhin français, annexion de la rive gauche, p. 75. Paris, Attinger, 1915.]
#XII#
#L'AGRANDISSEMENT DE LA BELGIQUE#
La Belgique doit s'agrandir.
Après la cruelle expérience qu'elle vient de faire de la bonne foi germanique, la Belgique ne peut plus se fier à la parole de l'Allemagne. Elle doit pouvoir se défendre et par conséquent elle doit se fortifier et pour cela s'agrandir.
Sans doute, l'Allemagne vaincue sera bientôt affaiblie, ruinée par la guerre et désarmée par les conditions qui lui seront imposées; sans doute les puissances actuellement coalisées contre elle continueront pendant la paix à se tenir étroitement unies et à veiller au salut de l'univers, en empêchant l'ennemi commun de se relever; sans doute aussi, par conséquent, la Belgique pourra compter sur leur assistance pour sauvegarder son intégrité et son indépendance contre une nouvelle agression de l'Est. Mais elle aurait tort de s'en tenir là et de compter sur une neutralité, même garantie par les grands États, dont elle sait le cas que l'on fait à Berlin. Elle doit se dire que l'Allemagne cherchera à se refaire et à se venger. Elle doit prendre toutes les précautions possibles: et la meilleure c'est la force personnelle et non le secours d'autrui.
Elle se suiciderait, si elle refusait les moyens que lui offrira la commune victoire des Alliés de se rendre inattaquable. C'est pour elle une nécessité vitale, un devoir de conscience patriotique, de les employer tous. C'est aussi un devoir international, devoir qu'elle a contracté envers l'Europe. Sa chute entraînerait de nouvelles catastrophes mondiales dont nous ne nous voulons plus et qu'elle doit s'éviter et nous éviter.
Pour écarter ce danger, on ne lui demande qu'un seul sacrifice, celui de sa modestie. On ne lui demande que de se laisser enrichir et agrandir. Elle doit accepter les terres que lui offriront les Alliés, à savoir la partie de la Prusse rhénane située au nord de l'Eifel, riche contrée qui comprend Aix-la-Chapelle, Cologne et Crefeld, plus certaines rectifications de frontières du côté de la Hollande et du Luxembourg, dont nous parlons plus bas.
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Objection: la question des races.
Il paraît que la chose ne va pas toute seule. Un certain nombre de Belges voient de mauvais oeil cet accroissement de territoire. Ils estiment que leur nation n'est pas assez nombreuse, pas assez forte pour s'assimiler la population relativement considérable de la région rhénane. Elle a déjà la race flamande et la race wallone qui ne s'entendent pas trop bien. La race teutonique ne serait-elle pas un troisième élément hostile, un ferment de division morale et politique, une cause de perpétuelles perturbations?
C'est entendu, ce danger existe. Mais entre deux maux il faut choisir le moindre. Or le danger d'une nouvelle invasion barbare, le danger de laisser l'Allemagne puissante et vindicative à ses portes, le danger de rester une petite nation exposée à tous les coups, soumise à tous les affronts et à toutes les servitudes, menacée tous les jours d'une mort peu glorieuse, nous semble autrement grave pour la vie et l'honneur de la Belgique que le danger de complications intérieures qu'elle peut d'ailleurs écarter pour une grande part.
En effet, avec l'habileté et le doigté dont elle a souvent fait preuve, elle peut atténuer, sinon faire disparaître complètement le mal. La race allemande est servile; elle se courbe sous la force; elle accepte facilement le régime qui lui parle de haut. C'est la plus assimilable de toutes les races. Elle l'a montré dans le passé. La barbarie des Francs, des Burgondes, des Wisigoths a fondu comme la glace au rayonnement de la civilisation gallo-romaine. Le fier Sicambre est devenu le doux Sicambre, mitis Sicamber, de saint Remy. Les gens d'Aix-la-Chapelle et de Cologne se feront parfaitement avec le temps au régime belge.
Nous n'avons pas à entrer ici dans les problèmes que soulèvera la vie intérieure de la Belgique agrandie. Ses hommes d'État ont souvent fait preuve d'un haut sens politique. Ils sauront faire régner la paix et l'harmonie entre les races de leur nation. Les Flamands et les Wallons y contribueront en s'unissant, comme ils le font surtout depuis la guerre. Ils sont capables de tous les efforts que leur demande le patriotisme. Ce sentiment ne sera pas amoindri chez eux par l'adjonction d'un troisième élément de population. Les Ripuaires se mettront vite au pas, plus vite qu'ils ne se sont mis au pas de l'oie après leur annexion à la Prusse en 1815.
Cependant la Belgique est à la fois juge et partie dans cette grave question. Nous pouvons lui exposer notre point de vue: à elle de dire le dernier mot. Si, malgré tout, elle ne veut pas d'annexion, on ne l'y peut contraindre. Toutefois, il existe un petit territoire au moins qu'elle sera certainement heureuse de reprendre, celui de Malmédy et de Montjoie qui a été détaché du pays de Liége et réuni contre toute raison et tout droit à la Prusse par le traité de Vienne: c'est une population entièrement wallonne.
Quant à la Prusse rhénane septentrionale, si nos voisins n'en veulent pas, la France avisera à un autre moyen d'en éliminer le virus germanique. Elle devra ou bien établir un gouvernement ou un principat entièrement soumis à son protectorat, ou bien se l'annexer purement et simplement, comme elle le fit en 1797: nous avons vu qu'elle y a tous les droits. C'est, semble-t-il, le parti le plus simple et qui créerait le moins de difficultés.
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La question du Limbourg.
Enfin, il est une rectification de frontière qui doit également être envisagée: au nord-est celle du Limbourg, au sud-est celle du Luxembourg.
Le Limbourg a été en 1839 très maladroitement partagé entre la Belgique et la Hollande. Prenez une carte, vous verrez que la partie méridionale du Limbourg hollandais, qui contient Maëstricht, est placée de guingois sur le flanc du Limbourg belge et forme une sorte de poche bizarre, excentrique, qui déborde de la Hollande pour pénétrer dans les chairs de la Belgique. La ville de Maëstricht avec son territoire revient donc à celle-ci par droit de configuration géographique, sans compter que, ayant fait jadis partie de la principauté de Liége, elle lui revient aussi par droit historique.
Ce modeste accroissement ne peut soulever de la part de la Belgique une objection semblable à celle que fait naître l'annexion de la Prusse rhénane, car il ne s'agit ni de la Prusse, ni du Rhin, mais d'une ville meusienne, d'un territoire restreint, facilement assimilable pour la Belgique en raison des affinités de langue, de race et de moeurs qu'il lui offre.
La seule difficulté que l'on puisse craindre surgirait du côté de la Hollande dont le consentement est évidemment nécessaire. Mais il semble qu'elle ne le refuserait pas, si on lui offrait en compensation la Frise allemande qui est beaucoup plus vaste et qui compléterait d'ailleurs avantageusement la Frise hollandaise. Cette province est est un bien en quelque sorte patrimonial de la Hollande, bien qui lui a été arraché et qu'elle doit être heureuse de recouvrer.
Au sud-est est le grand-duché de Luxembourg. Mais, comme sa possession intéresse également la France, la question mérite d'être traitée à part.
#XIII#
#LA QUESTION DU LUXEMBOURG#
La question du Luxembourg ne saurait être éludée. Il n'est indifférent à personne que ce petit État placé sur la grande route de la France et de l'Allemagne subisse l'influence de l'une ou de l'autre de ces puissances.
Trois solutions seulement sont acceptables du point de vue de notre sécurité et de la paix générale: ou sa réunion à la Belgique, ou son annexion par la France, ou sa neutralité sous le protectorat de la France. Quelles sont les raisons qui militent pour ou contre chacune de ces solutions?
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La réunion à la Belgique.
Cette solution ne manque pas de bases historique et juridique. Les deux pays ont été longtemps unis dans les divers partages qui ont été faits de la Lotharingie. Le duché a une situation intermédiaire entre la Haute-Lorraine qui est française et la Basse-Lorraine ou Lothier d'où est sortie la Belgique. Il a presque toujours suivi le sort de cette nation: il a appartenu comme elle à l'Empire germanique, à la maison de Bourgogne, à la maison de Habsbourg, à la France sous la Révolution et l'Empire; il a fait avec elle partie du royaume des Pays-Bas de 1815 à 1830; il s'est révolté avec elle contre la Hollande. Une moitié du pays a été donnée à la Belgique en 1830 et forme depuis lors le Luxembourg belge: l'autre moitié compléterait harmonieusement cette province. L'Europe pourrait donc l'offrir au roi Albert. Quant au droit de la maison de Nassau nous en parlerons plus loin.
Mais les mêmes raisons qui font hésiter la Belgique à prendre Cologne pourraient aussi la faire reculer devant l'annexion du Luxembourg. Et puis, à parler franchement, il nous semble que ses droits et ses intérêts le cèdent ici à ceux de la France.
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L'annexion par la France.
L'annexion par la France aurait pour elle un droit historique et l'intérêt de notre défense nationale.
Le Luxembourg fut d'abord gaulois pendant des siècles et jusqu'à la fin de l'époque carolingienne. Au XVe siècle il échappa à l'Empire germanique pour passer à la maison française de Bourgogne, puis, par l'héritière de cette maison, à celle de Habsbourg. Une partie du pays, qui comprenait Thionville et Montmédy, nous fut cédée en 1659 par le traité des Pyrénées. En 1684, Louis XIV s'empara de la ville même de Luxembourg dont Vauban fit la place la plus forte de l'Europe. Après treize ans de possession, Louis XIV la retrocéda avec regrets à l'Espagne au traité de Ryswick en 1697.
Vauban s'intéressait vivement à la possession du Luxembourg. Quand la ville tomba en notre pouvoir en 1684, il fit éclater son enthousiasme en ces termes: «C'est la plus glorieuse conquête que le roi ait jamais faite, qui mettra notre frontière en tel état que les Allemands ne pourront jamais attaquer le royaume par ce côté-là.» Quand nous dùmes abandonner la place en 1697, Vauban en conçut un profond chagrin et la plus vive indignation: «Nous fournissons, écrivait-il, à nos ennemis de quoi nous donner les étrivières… Nous perdons pour jamais l'occasion de nous borner par le Rhin.»
Nous avons de nouveau possédé le Luxembourg pendant vingt ans sous la
Révolution et sous l'Empire. Il formait alors le département des Forêts.
Il nous fut enlevé en 1815 et fit partie, avec la Belgique et la Hollande, du royaume des Pays-Bas. En 1831, après la révolution de Belgique, il fut partagé, comme nous l'avons vu, entre ce pays et la Hollande. Le roi de Hollande, Guillaume Ier, garda une partie du Luxembourg avec le titre de grand-duc. Mais la ville faisait militairement partie de la Confédération germanique et avait une garnison allemande. En 1842, le Luxembourg entra dans le Zollverein et par là se germanisa de plus en plus. En 1866, la Confédération germanique ayant été dissoute, Napoléon III demanda le retrait des troupes allemandes et songea à obtenir de la Hollande la cession du grand-duché. La guerre faillit à cette occasion éclater en 1867 entre la France et la Prusse. Mais, la même année, la Conférence de Londres neutralisa le Luxembourg, sous la garantie des grandes puissances et sous la souveraineté personnelle de Guillaume III, roi de Hollande.
L'Allemagne continua cependant à tenir ce petit pays sous sa tutelle. En 1871, elle acquit l'exploitation de ses chemins de fer.
En 1890, Guillaume III étant mort sans héritier mâle, le Luxembourg passa par droit de succession à son parent Adolphe de Nassau. Ce prince avait été, en 1866, dépouillé de ses États héréditaires par la Prusse contre laquelle il s'était déclaré pendant la guerre d'Autriche. Mais, en 1890, la Prusse ne s'opposa point à ce qu'il recueillit l'héritage du roi de Hollande et cette gracieuseté amena une réconciliation entre les Nassau et les Hohenzollern. La Grande-Duchesse actuelle, Marie, est la fille, d'Adolphe.
Voilà donc un pays qui pendant longtemps et à plusieurs reprises a été français et qui est aujourd'hui prussianisé. Il y a là un danger. Si la citadelle de Vauban a été démantelée en 1867, la position stratégique de la ville est toujours très importante. Elle barre le chemin entre Meuse et Moselle. Elle ouvre ou ferme l'accès de l'Argonne, de Châlons et de Paris.
En 1792, le duc de Brunswick partit de Coblence, remonta la Moselle, masqua à sa gauche la Lorraine par un corps de troupes et, choisissant Luxembourg comme base d'opération, se lança de là par Longwy et Verdun vers le coeur de la Champagne.
En 1914, les Allemands, en violant le territoire du Grand-Duché, ont prouvé qu'il avait gardé son importance militaire pour ou contre nous. C'est donc pour la France une impérieuse nécessité de s'en emparer ou du moins d'empêcher qu'il ne reste au pouvoir de l'Allemagne.
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L'éviction de la Maison de Nassau.
L'annexion du Luxembourg à la Belgique ou à la France emporterait tout d'abord l'éviction de la maison de Nassau. Mais serait-ce là un geste bien élégant? Ne serait-ce pas une violence peu en harmonie avec nos habitudes chevaleresques et même avec nos principes de justice et de liberté?
On peut répondre à cette objection par un argument topique. Guillaume Ier n'a pas hésité un instant en 1866 à dépouiller de ses États héréditaires cette maison de Nassau, une des plus anciennes et des plus fameuses de l'Europe, simplement parce qu'elle s'était déclarée pour l'Autriche contre la Prusse. Il chassa brutalement Adolphe et s'annexa son duché. Il est vrai que, en 1890, Adolphe ayant hérité de son parent le roi Guillaume III de Hollande le grand-duché de Luxembourg, la Prusse daigna lui permettre d'entrer en possession de cet héritage. Les deux familles se réconcilièrent à cette occasion, mais le Hohenzollern roublard garda sa proie de la rive droite en permettant au Nassau de s'installer sur la rive gauche.
Dès lors pourquoi la France serait-elle plus galante que l'Allemagne envers une famille allemande? Pourquoi serait-elle tenue de dédommager des Teutons du tort que leur ont fait d'autres Teutons? Si les Nassau ont un droit dynastique, c'est avant tout sur la vieille principauté d'où ils tirent leur nom et sur laquelle ils ont régné sept cents ans. Que la Prusse leur rende ce qu'elle leur a volé sur la rive droite et qu'elle nous laisse la rive gauche qui ne lui appartient pas. Si les diplomates tiennent à ne pas contrister la Grande-Duchesse Marie, ils n'auraient qu'à condamner Guillaume à lui restituer le duché de Nassau.
Le droit de cette princesse sur le Luxembourg découle de celui de la maison royale de Hollande, branche cadette de la maison de Nassau. Or si l'on pèse ce droit hollandais, il est permis de le trouver fort léger. C'est en 1815 que l'Europe, sous l'influence de la Prusse, enleva le Luxembourg à la France pour l'offrir au souverain des Pays-Bas. Elle ne fit pas tant de façons pour nous dépouiller. Pourquoi en 1915 aurions-nous plus de scrupules, si nous jugeons que la possession d'un pays qui fut notre si longtemps est aujourd'hui indispensable à notre sécurité?
Une autre raison pourrait s'ajouter à celles que nous venons d'exposer de remercier la dynastie régnante: c'est l'attitude qu'elle a prise avec son gouvernement dans la guerre actuelle. On a dit que, sous les dehors d'une résistance et d'une protestation pour la forme, elle a eu des complaisances excessives pour les envahisseurs. On a critiqué certaines démarches de M. Eyschen, le ministre omnipotent, et la facilité avec laquelle la jeune Grande-Duchesse a accepté les compensations offertes par l'Allemagne et les bouquets de roses de Guillaume II. Il lui était peut-être difficile de refuser des fleurs, mais s'il est vrai que le grand-duché a manqué aux devoirs d'une loyale neutralité, ce serait sans doute un facteur important qui légitimerait des représailles et surtout des mesures de prudence pour l'avenir. Toutefois, il est difficile au public de savoir la vérité à cet égard et il est possible qu'il n'y ait là que des bruits malveillants: or, des on-dit ne peuvent baser une action politique digne et sérieuse. Les gouvernements alliés savent sans doute mieux que nous à quoi s'en tenir sur la loyauté du gouvernement luxembourgeois, et leur sagesse en tiendra compte dans la mesure qui convient.
Mais les autres raisons que nous avons données, et qui sont d'un ordre plus élevé et plus général, suffisent à motiver notre reprise de ce pays, si les Alliés jugent à propos de la décider. Je sais bien, comme l'a dit le poète, qu'il ne faut pas frapper une femme, même avec une fleur; mais serait-ce frapper la Grande-Duchesse que de la reconduire triomphalement à la frontière et de l'envoyer régner au delà du Rhin sur la principauté de ses pères? Nous pourrions au besoin ajouter quelques roses de consolation à celles que lui a offertes l'ami Guillaume.
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Le droit de la population.
Il reste un problème qui ne semble pas difficile à résoudre, c'est le droit de la population. Il est certain qu'elle déteste les Prussiens et sera heureuse de toute mesure qui la soustraira à leur domination. Cette haine s'est singulièrement accrue pendant cette guerre, où ils ont traité le Luxembourg en pays conquis. Au contraire, la population a des sympathies anciennes et profondes pour la France.
La preuve absolue, éclatante, magnifique, que le Luxembourg est francophile, c'est, si le fait rapporté par la Luxemburger Zeitung est exact, que la plupart de ses jeunes gens en âge de porter les armes, 8.678 sur 220.000 habitants, ont pris du service comme volontaires dans l'armée française. Dans toutes les villes qu'ils ont traversées pour aller de Bayonne au front, ils ont été chaleureusement accueillis au cri de: Vive le Luxembourg! auquel ils répondaient par celui de: Vive la France! Le même fait a été certifié par un journal de Trèves, la Trierische Landeszeitung, et ce journal ajoute que, d'après un communiqué de Berlin, il n'y a pas de volontaires luxembourgeois dans l'armée allemande.
Le chiffre que nous venons de donner a été contesté, je le sais: on a fait observer que le Luxembourg n'a qu'une armée régulière de 250 hommes. Cette raison ne prouve rien. Si le grand-duché n'a que 250 soldats, c'est qu'il n'a pas besoin d'en avoir davantage. Mais un pays peut facilement donner 12% de sa population au service militaire. Le Luxembourg compte 220.000 habitants; en défalquant de ce nombre 20.000 étrangers, c'est 24.000 soldats qu'il peut fournir. Il n'est donc pas impossible qu'il nous ait envoyé 8.678 volontaires.
MM. Franc-Nohain et Paul Delay, dans leur Histoire Anecdotique de la Guerre, parlent de 800 Luxembourgeois engagés à Paris, dans la seule journée du 21 août 1914. Mais il faut ajouter à ce nombre ceux qui se sont fait inscrire à Paris même, les jours suivants, puis ceux qui se sont enrôlés en province, surtout dans nos grandes villes industrielles où il y a beaucoup d'étrangers, et enfin tous ceux qui ont pu venir depuis lors de leur pays, et nous savons qu'ils ont eu toute facilité pour passer par la Suisse ou la Hollande. Ces trois données doivent majorer sensiblement le chiffre initial de 800. D'ailleurs nous ne voyons pas quel intérèt l'Allemagne, s'il est vrai qu'elle a inspiré ces articles, aurait à faire savoir qu'elle est aussi haïe au Luxembourg que la France y est aimée.
Néanmoins le chiffre donné est relativement si considérable que nous le mentionnons sous toutes réserves. Il ne semble pas d'autre part qu'il puisse être abaissé au-dessous de plusieurs milliers, et c'est déjà une preuve indéniable de l'amour que l'on a pour la France dans le Luxembourg.
Un des catholiques les plus éminents du grand-duché, M. Prüm, que j'ai eu l'honneur de connaître en Belgique et qui est devenu, depuis, mon collègue au Comité permanent des Congrès Eucharistiques internationaux, était un intellectuel de culture germanique. Son aversion pour la politique anticléricale, où il voyait une importation française, avait même fait de lui un antifrançais convaincu. Mais les atrocités et les impiétés commises par les Allemands en Belgique lui ont ouvert les yeux. Il a été surtout révolté par les déclarations de M. Erzberger, leader du Centre allemand, où sue le pangermanisme le plus éhonté, le plus barbare, le plus monstrueusement orgueilleux. Il lui a écrit une lettre ouverte où il lui démontre que ses principes sont incompatibles avec la doctrine catholique. Sur une plainte de l'intéressé, la lettre a été poursuivie par le procureur général du Luxembourg. Mais rien n'a plus servi que ce procès à rendre M. Prüm populaire, les Allemands odieux et le parti français puissant au Luxembourg.
La population luxembourgeoise parle, il est vrai, en majorité, un dialecte germanique, mais, comme pour l'Alsace, ce n'est pas un obstacle à la francisation. Le français est la langue officielle. La bourgeoisie et la noblesse se servent des deux langues et envoient leurs enfants dans les pensions de Paris ou de Bruxelles. Le peuple pourra donc continuer à parler allemand, comme les Alsaciens, et à aimer nos institutions.
Quant à la dynastie tudesque dont il jouit depuis 1890 par la grâce des Hohenzollern, il y a lieu de croire qu'il n'a pour elle qu'un loyalisme peu profond. Et il doit se rendre compte, après l'odieuse violation de son territoire en août 1914, de l'avantage qu'il y aurait pour lui à faire partie d'une grande nation comme la France.
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Le protectorat de la France
Si, pour des raisons supérieures, les Alliés rejetaient les deux solutions précédentes, il est une combinaison qui pourrait encore sauvegarder tous les intérêts et écarter le péril germanique: ce serait la neutralisation du Luxembourg sous le protectorat de la France, soit que l'on garde la maison de Nassau, soit qu'on l'écarte et qu'on la remplace par un gouvernement républicain ou autre. Ce protectorat pourrait d'ailleurs n'être qu'un régime de transition qui préparerait les voies à une prochaine incorporation du pays à la France.
#XIV#
#CONCLUSION#
Pas de paix boiteuse et essoufflée. (M. POINCARÉ.)
Je ne suis qu'un simple citoyen français, mais ce titre me donne le droit de dire ce que j'estime utile et nécessaire au bien de mon pays, et c'est pourquoi je me suis permis de dédier ces pages aux négociateurs de la paix future. Je les adjure de se pénétrer de notre droit historique et de notre intérêt national en ce qui concerne la rive gauche du Rhin et de ne pas hésiter à réclamer notre dû.
Ils devront accomplir une oeuvre colossale, grandiose d'où dépendront pour des siècles la splendeur et la sécurité de la France; ils auront à reconstruire une Europe nouvelle sur les bases de l'ordre et de la justice. Le sort de l'Alsace-Lorraine est la première question qui se présentera à eux. Ils la trancheront évidemment dans le sens indiqué par les déclarations de MM. Poincaré et Viviani, en réunissant de nouveau ces petites Frances à la grande France. Mais la question des autres provinces rhénanes vient immédiatement après, et une solution semblable s'impose à la conscience de nos diplomates.
Certains hommes politiques chercheront à les influencer dans un sens contraire, en leur criant: «Pas de conquêtes! pas d'annexions!» Qu'ils restent sourds à ces suggestions antipatriotiques! Nous ne leur demandons pas de nous attribuer les terres d'autrui, mais de reprendre les nôtres, de refaire, suivant l'expression de Vauban, «notre pré carré», comme il l'était au temps de Clovis, de la Révolution et du premier Empire.
J'adjure les hommes politiques et les publicistes socialistes qui repoussent toute annexion de considérer qu'ils vont contre le programme traditionnel de la Révolution et de la Démocratie depuis plus de cent ans. Qu'ils relisent les discours prononcés à la Convention; ils verront que l'idée fixe des plus célèbres révolutionnaires fut de réunir toute la rive gauche du Rhin à la France; ils prétendaient que ce n'était pas là une annexion ou une conquête proprement dite, mais une restitution ou une reprise de notre bien. Ainsi pensaient Danton, Carnot, Sieyès, Cambacérès, Dubois-Crancé, Merlin de Douai, Grégoire[1].
Telle a été aussi l'opinion de Victor Hugo, des historiens de l'école libérale ou révolutionnaire, comme Thiers, Henri Martin, Louis Blanc, Edgar Quinet, et de la plupart des publicistes et des hommes politiques du XIXe siècle, Armand Carrel, Armand Marrast, Barbès, Blanqui, Émile de Girardin. Les mânes des grands ancêtres frémiraient d'indignation contre les épigones qui renieraient leur programme.
Si les Allemands étaient vainqueurs, ils n'hésiteraient pas à s'annexer une partie de notre pays sur lequel ils n'ont aucun droit historique. Leurs écrivains militaires les plus célèbres, le général von Klausewitz, le général Bronsart de Schellendorf, le général Bernhardi nous ont dit clairement que l'Allemagne entendait nous prendre à la prochaine guerre le nord de la France, de la Somme à la Loire, la Picardie, la Champagne, la Bourgogne et la Franche-Comté. Le comte Bernstorff, ambassadeur allemand aux États-Unis, déclarait que son pays nous enlèverait tous les territoires situés au nord et à l'est d'une ligne tirée de Saint-Valery à Lyon, soit un bon tiers de la France, y compris Paris.
Nous ne devons donc pas hésiter à reprendre à ces insatiables bandits le sol qu'ils nous ont enlevé, et qui est nécessaire à notre défense nationale. Ce serait une folie, un crime, de ne pas assurer à la France les garanties nécessaires à la défense de son droit et de son territoire. Pas de paix boiteuse et essoufflée! comme le disait M. Poincaré! Pas de modestie insensée qui nous remettrait bientôt sur les bras une guerre plus terrible que celle-ci, et nous ferait maudire et mépriser de la postérité!
Une occasion va se présenter à nous, unique dans l'histoire, d'accomplir un acte dont le retentissement sera immortel. Nous souffrons de l'abominable traité de Francfort qui nous arracha l'Alsace et la Lorraine; nous souffrons des traités de 1815 qui nous enlevèrent les provinces rhénanes inférieures; nous souffrons même, après plus de mille ans, du traité de Verdun qui démembra pour la première fois notre patrie. Que le prochain traité répare pour mille ans, si c'est possible, toutes ces erreurs et toutes ces fautes. Reprenons nos anciennes provinces, l'Alsace, la Lorraine et la France rhénane,—et que nos sentinelles montent éternellement la garde sur le Rhin!
[Note 1: Voir plus haut dans le chapitre VIII: Politique de la
Convention.]
* * * * *
PARIS (VIe) Librairie de P. LETHIELLEUX, Éditeur 10, rue Cassette, 10
#OEUVRES DE M. L'ABBÉ COUBÉ#
#GLOIRES ET BIENFAITS DE L'EUCHARISTIE#
In-8 écu 3.50
#GLOIRES ET BIENFAITS DE LA SAINTE VIERGE#
In-8 écu 3.50
#GLOIRES ET BIENFAITS DES SAINTS#
In-8 écu 3.50
#NOS ALLIÉS DU CIEL#
In-8 écu 3.00
#DISCOURS DE MARIAGE#
In-8 écu 3fr.
Ce recueil de seize discours de M. l'abbé Coubé expose la doctrine
catholique sur la nature et la dignité du sacrement de mariage, les
devoirs qu'il impose aux chrétiens, les grâces qu'il leur confère.
Il les met en garde contre les opinions courantes destructives de la
foi conjugale et les fins de cette institution divine. Inutile de
dire que prononcés dans des églises, ils peuvent être mis entre
toutes les mains. Les prêtres surtout y trouveront une aide pour les
discours analogues qu'ils auront à composer. C'est d'ailleurs à la
demande de plusieurs d'entre eux, qui en ont eu connaissance, que
ces discours, imprimés à part pour les familles intéressées, ont été
réunis en vo1ume.
Titre des discours:
La Pensée de Dieu dans le Mariage.—L'Épée, la Plume et la
Croix.—L'Amour du Devoir.—Dieu, France et Marguerite.—Le Mariage
du Marin.—Le Culte de la beauté.—Sur la mer de Tibériade.—Sois
Féal! Sursum Corda!—Le Mariage de la Sainte Vierge.—À Cana de
Galilée.—Le Mariage du jeune Tobie.—Le Mariage de Rébecca.—À Dieu
vat!—La Lutte pour la Vie.—Un coin de Ciel bleu.—La Chambre
nuptiale.
#L'AME DE JEANNE D'ARC#
In-8 écu 4fr.
#JEANNE D'ARC ET LA FRANCE#
In-8 écu 2fr.
#L'ÉPOPÉE DE JEANNE D'ARC#
EN DIX CHANTS, par l'abbé S. COUBÉ
EN DIX TABLEAUX, par le Commandant LIÉNARD
In-8 écu 2 fr.
C'est une vie de Jeanne distribuée en dix chapitres qui forment
comme les dix chants d'une épopée en prose et illustrée par dix
belles gravures en couleurs du Commandant Liénard. Ces gravures,
finement exécutées, sont de petits chefs-d'oeuvre aux tonalités les
plus opposées et les plus brillantes, depuis les effets de neige de
la pleine de Vaucouleurs jusqu'aux rouges lueurs des torches
embrasant les rues d'Orléans. Le texte de M. l'abbé Coubé en offre
un commentaire tout vibrant de patriotisme.
#Alsace, Lorraine et France rhénane#
EXPOSÉ DES DROITS HISTORIQUES
DE LA FRANCE
SUR TOUTE LA RIVE GAUCHE DU RHIN
In-12 2fr.
#Les Gloires de la France
et les Crimes de l'Allemagne#
ANTAGONISME SÉCULAIRE
DE LA FRANCE ET DE L'ALLEMAGNE
In-12 3.50
#L'Ame de Jeanne d'Arc#, panégyriques et discours religieux
(6e édition) 4
#Jeanne d'Arc et la France#, conférences et discours patriotiques
(3e édition) 2
#Discours de mariage# (4e édition) 3
#Gloires et Bienfaits de l'Eucharistie# (5e édition) 3.50
#Gloires et Bienfaits de la Sainte Vierge# (4e édit.) 3.50
#Gloires et Bienfaits des Saints# (2e édition) 3.50
#Nos Alliés du Ciel# (5e édition) 3
#L'Épopée de Jeanne d'Arc#, en 10 chants, par l'abbé
S. COUBÉ, et en 10 tableaux, par le commandant LIÉNARD.
In-8 écu (10 gravures en couleur) 2
#Alsace, Lorraine et France rhénane.# Exposé des droits
historiques de la France sur toute la rive gauche du Rhin.
Préface de M. MAURICE BARRÈS. In-12 2
#Les Gloires de la France et les Crimes de l'Allemagne.#
Antagonisme séculaire de la France et de l'Allemagne.
In-12 3.50
#La Communion hebdomadaire# (12e mille. Librairie
Téqui) 1.50
#L'Idéal.# Revue mensuelle d'études religieuses apologétiques
et sociales. Directeur: M. l'abbé COUBÉ. (Bureaux, 29, rue
Chevert.)
France 4
Étranger (U. P.) 5
Paris.—DEVALOIS. 144. av. du Maine (11 dans le passage).