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Âmes d'automne

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Le soir tombait; dans le jour défaillant un groupe de femmes d'ouvriers causait, échouées plutôt qu'assises sur un tas de grosses pierres au bord du chemin, et j'aurais voulu que les heureux de cette vie, chroniqueurs à mots de la fin bien rentés par le boulevard, bourgeoises grassouillettes et coquettes fourrées de peluche et d'astrakan, mondaines à dessous ruineux de valenciennes enrubannées de moire, génies méconnus de brasserie traitant de Turc à More critiques et éditeurs, j'aurais voulu que tous ceux-là entendissent ce que disaient ces femmes, une d'entre elles surtout, pas la plus laide certes, mais la plus jeune, avec un air de résignation répandu sur toute sa pauvre face endolorie.

Nu-tête, avec un grand bandeau qui lui barrait le front et lui cachait un œil, un œil qu'on devinait noir de coups sous la compresse, elle tenait à la main un enfant, un mioche de trois ans au plus, pas mal vêtu du reste, et donnait le sein à un paquet de langes suspendu à son bras: «C'est pas qu'y soit méchant, murmurait la mère, mais quand il a un verre de trop, c'est des coups de botte, des coups de bouteille, tout ce qui lui tombe sous la main. L'autre jour, c'était la paye, il m'a presque assassinée, on a dû me retirer de ses pattes; ah! si y avait pas les enfants!...»

Le soir tombait: dans le jour défaillant d'automne un groupe de femmes causait, plutôt échouées qu'assises sur un tas de grosses pierres, près des fortifications.

Vendredi 6 novembre 1891
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