Au clair de la dune
The Project Gutenberg eBook of Au clair de la dune
Title: Au clair de la dune
Author: Théodore Hannon
Illustrator: Félicien Rops
Release date: August 29, 2015 [eBook #49813]
Most recently updated: October 24, 2024
Language: French
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AU CLAIR DE LA DUNE
THÉO HANNON
——
AU CLAIR
DE LA DUNE
POÈMES
BRUXELLES
Oscar Lamberty, Éditeur
70, Rue Veydt (Quartier Louise)
1909
BONIMENT
Dans ton maillot de bain à jours,
S'agit de n'être point baderne
Et d'esquisser d'adroits bonjours...
Ma Muse, aux hanches les deux poings,
Emit, du seuil de sa cabine,
Ce speech que j'approuve en tous points:
Malgré votre air plutôt moqueur,
Sans vouloir fuir par la tangente,
Cœur en bouche et la bouche en cœur,
Qui n'offre rien de doctoral,
Coups de crayon ou coups de plume
En simple honneur du littoral.
Dans la brise, au long de la mer,
Interviewant le coquillage
Sous des ciels d'encre ou d'outremer.
Est fait de soleil et de vent,
De l'écume phosphorescente
Et des soupirs du flot mouvant...
Benoît lecteur, sois tolérant,
Car je fis ces vers en tirant
(Ah! l'exquis féminin) ma coupe.»
I
OSTENDE
Elle commande à tout le littoral.
Son sceptre est d'or et les plus beaux mirages
Se font réels sur son sable idéal.
De toute joie et des nobles plaisirs,
Elle sait joindre à l'agrément l'utile
Et satisfaire aux plus vastes désirs.
Le succès fait flotter son étendard,
Il veut tous les fleurons à sa couronne,
Et rêva d'être d'Ostende—Centre d'Art.
Rois de la brosse et rois de l'ébauchoir,
Dieux de la science et Dieux de la parole,
Rivalisaient d'art et de beau savoir.
Où la beauté brille en un cadre exquis,
De ses flots verts sortit Vénus la Blonde
Et tous les cœurs par elle sont conquis.
Elle commande à tout le littoral.
Son sceptre est d'or et les plus beaux mirages
Se font réels sur son sable idéal!
II
L'ÉVENTAIL
Comme la dague moyen-âge,
Quand, sous les regards de l'été,
Vous irez par la blonde plage,
Entraînant de la folle danse,
Vos pantoufles de Cendrillon
Vibreront, battront en cadence,
Et la rose des bals brillants,
Vous verrez l'éventail des fièvres,
Battre de l'aile sur vos lèvres
Et baiser votre bouche en fleur!
III
GROS TEMPS
Où galope en maudit le nuage au flanc lourd
Qui s'abat sur la mer sinistre, s'y déchaîne,
Crève et mêle son onde aux ondes du flot sourd.
Déjà l'essaim frileux des baigneuses s'enfuit,
Les sables esseulés se tachent d'algues vertes
Où brillaient les talons féminins au doux bruit.
Conviant les flots noirs à la valse macabre
Que cingle dans son vol l'aile des goëlands.
Comme au fond de mon cœur où vient sourdre une larme,
Gronde confusément quelque canon d'alarme.
IV
EAU BÉNITE
Oh! les trois fois heureuses vagues...
On nous purgea le flot amer
A grand renfort d'oraisons vagues.
Du même coup, les estacades.
Voilà, mesdames, Dieu merci!
De quoi refroidir vos cascades...
De par ses vertus accomplies,
Etendit-elle son onction
Sur les soles et sur les plies?
Répandre ses grâces congrues
Sur l'aiglefin, ventre nacré,
Et sur les maussades morues?
La grande, l'immense cuvette,
Avec le crabe édifiant
Canonisa-t-il la crevette?
En son beau geste fait au moule,
Bénir l'huître noble et sa sœur
Plus démocratique, la moule?
A venir vers lui nous invite:
Nous allons former un bon lot
De beaux diables dans l'eau bénite.
V
ÉVOHÉ!
Juin vienne rendre la gaîté!
Des cieux rendus à la clarté
Qu'il chasse les troubles nuées.
Vers nos ennuis guide ta marche,
Comme la colombe de l'Arche,
Porteur d'un rameau verdoyant.
Les sables blonds sont repeuplés,
Tout rit: plus de cœurs endeuillés!
L'amour, fuyant les entresols,
Flirte, ô gué! sous les parasols!
VI
MER DES MORTS
Tristes comme ma joie, ont surbaissé leur arche
Sous laquelle on dirait des corbillards en marche,
Les grands nuages noirs roulant silencieux.
Fêtent des corbillards bien plus mornes: mon cœur,
Dans l'infini des spleens, revoit passer le chœur
Des fantômes aimés et des primes alarmes...
Gardent également d'innombrables secrets.
Suaire que l'écume ourle de sa dentelle!
Sur l'immense tombeau pose son reflet blanc,
On croit voir la couronne où se meurt l'immortelle.
VII
REVANCHES
De leurs spleens irrémédiables,
Que d'autres s'en aillent aux eaux,
Aux feux, aux monts... à tous les diables...
Point notre allègre capitale:
En l'honneur des bénins piétons
Sa grâce estivale s'étale.
O libératrices vacances,
Seuls, noyés dans les promeneurs,
Quelques intrus sans conséquences.
On est chez soi même au théâtre
Où l'on ne compte plus, vraiment,
Avec «le public idolâtre».
Rissolent dans quelque fournaise,
Et, par les hôteliers volés,
Bataillent contre la punaise.
Sous les draches rafraîchissantes,
Nous passons sur les boulevards
Des heures certes ravissantes.
Qui couvent des œufs cholériques,
Et, dans des verres à biseaux,
Nous lampons des liqueurs féeriques.
En cherchant au loin le mystère;
D'ici nous pouvons les railler:
A pied nous partons pour Cythère.
Pour s'amuser mieux, les infâmes,
Laissèrent l'épouse au logis...
C'est nous qui consolons leurs femmes.
VIII
MARINE SENTIMENTALE
Elle étalait sa nappe au large horizon gris
Et l'on eut dit, là-bas, le firmament et l'onde,
Deux lèvres de géant closes dans un souris.
S'en venait se rouler sur le sable étoilé
De coquillages blancs où dort la plainte vague
De quelque néréide à l'amour envolé.
J'ai vu la mer, j'ai vu la mer immense et blonde
Elle poussait vers moi son grand rugissement.
L'inoubliable et doux et long bruissement
Du chaud baiser d'adieu de sa lèvre de flamme.
IX
PIEUVRE
Votre chevelure flamboie:
Votre front radieux et serein, c'est l'éveil
De l'aurore en robe de soie.
Fleur qui consume, fleur qui glace.
Votre bras, des lis frère en blancheur, est puissant
Comme un serpent qui vous enlace.
Ils rappellent, vos yeux, la mer profonde et brune,
La morne mer des nuits sans lune.
Entr'ouvre un autre abîme où mon œil en vain plonge
Pour voir la pieuvre qui le ronge.
X
PROFANES
Soit qu'elle les argente à cette heure de rêves
Où dans les cieux la lune a lui,
Dont l'homme n'a jamais su faire la conquête,
Cruelle, elle se rit de lui.
Et sa vague au reflet de nacre vibre et chante,
Berçant, avec un doux roulis,
Le nautonier profane, au soleil qui le grise,
Se croise les bras amollis.
Et lance à l'imprudent l'écume et l'algue rousse,
Echevelant ses flots rageurs,
Qui rame, haletant, et retroussant ses manches
Au milieu des éclats vengeurs.
XI
HAUT DE FORME
Sous le ciel bleu la mer se pare de turquoises,
Car c'est l'heure du bain, et les vagues, narquoises,
Savonnent de leur mousse, ô baigneurs, vos mentons.
S'émiette, étend au loin sa nappe de blondeurs;
Aux baisers du soleil, sans craindre sa brûlure,
La dune nue étale en riant ses rondeurs.
Se profile un objet très laid, lourd, bête et noir:
Tube, fourneau, tromblon, cheminée, éteignoir?
C'était, sur le caillou d'un type aux traits replets,
Le hideux chapeau buse avec tous ses reflets!
XII
PHOTOGRAPHES
Et l'on fuit vers la mer avide
En regrettant presque les feus
Saints de glace... La Ville est vide.
La foule rit, trempe, caquête,
Depuis le baigneur doctoral
Jusqu'à la baigneuse coquette.
Dans le caleçon blanc et jaune,
Gros et gras, velu comme un faune,
Va, ballotté par la pleine eau.
En son costume suggestif,
Charme d'un galbe... apéritif
La galerie émoustillée...
A l'affût parmi les cabines,
Et s'en pourléchant les babines,
Opère en prompt escamoteur.
A pris au vol plus d'un bras nu
Dont le souvenir ingénu
Dans les yeux et le cœur nous reste.
XIII
CHAISES MISS HELYETT
Qui meurt en doux bruissement,
Aux sables dorés pâlement
Comme la nuque d'une blonde,
Niches d'osier gaîment gibbeuses
Offrant leur ombre à nos galbeuses
En mal de leur poudre de riz.
Y tirent vaillamment l'aiguille,
Un œil aux jeux du cher bébé...
Pointant ces doigts roses, imite
Le profil d'un Bernard l'Ermite.
XIV
MER FACHÉE
La vague écume et siffle, échevelant dans l'air
Comme un long coup de fouet, sa crinière d'orage,
Fouet monstre qu'on croirait effilé d'un éclair.
Elle a d'étranges voix et de fantasques cris
Que, tremblante, redit sa vieille sœur, la terre,
Et les échos au loin hurlent, endoloris....
Je songe à vos yeux noirs, singuliers et profonds,
Et terribles comme elle, à vos grands yeux bizarres
Qui me tiennent noyé dans leurs gouffres sans fonds.
XV
LES MOUETTES
Tourbillonnent sur les flots bleus
Et, plus légères que les brises,
Déroulent leur vol onduleux,
Les mouettes aux ailes grises.
Confidente de mes aveux,
Pour l'envoyer à tire-d'ailes
Au loin porter mes tendres vœux...
Je voudrais choisir l'une d'elles...
Dont les yeux aux flammes d'acier
Ont dans mon cœur, d'une étincelle,
Allumé l'éternel brasier...
Je lui dirais: va près de celle,
Dans un sourire, dans un pleur,
Montre-lui ma force asservie
Agonisant dans la douleur
Loin de celle qui tient ma vie.
Dis-lui ma peine et mon ennui,
Dis-lui que mon âme esseulée
Referme son aile en la nuit,
O blanche messagère ailée,
Où, sevré du charme vainqueur
De sa chère toute-puissance,
Languit et trépasse mon cœur
En la nuit morne de l'absence.
XVI
LA MER ENRHUMÉE
Et sinistres. La nuit, elle dort toute nue,
Il est vrai, sous le grand ciel de suie, et la nue
Crève, glaçant son ventre et ses seins frissonnants.
Se déchaîne, s'essouffle et la vague éternue
Avec un bruit rythmé de basse continue,
Par vous repris en chœur, échos environnants.
De géant, redoutable en son hypocrisie,
Car parfois son chant doux monte, clair, vers le ciel.
Où la quinteuse crache, en sa rage confuse,
Ses monstrueux poumons, méduse par méduse.
XVII
PETITS TROUS PAS CHERS
La ville devient un enfer
Et court vers le chemin de fer
En quête de glaces polaires.
S'envolent en foule nombreuse
Vers les nids de l'Ardenne ombreuse
Goûter le charme de ses bois.
S'embarquent joyeux vers la mer
Et vont dans le flot dit amer
Tremper leurs charmes périssables.
Grandeurs attachent au rivage
En un malencontreux servage
Que rendent plus dur ces chaleurs.
Quelque recoin qui leur soit cher,
Au fond d'un petit trou pas cher,
Dans le rayon de quelques lieues...
Leur femme et leur progéniture
Font de la villégiature
En chambre, par abonnement.
La mare vaut la mer pour eux,
Sans Casino plein d'amoureux
Le cœur fait la nique aux fredaines.
Dans leurs bureaux ils se surmènent
Et tous les samedis s'amènent
En chœur par le Tram des maris.
XVIII
YEUX NOIRS
Car ne sont-ils pas noirs comme on le dépeint, lui?
Mais dans votre prunelle un rayon grave a lui...
Bref, vos yeux sont très noirs, c'est irrémédiable.
Aux larmes de la nuit, à des fleurs de bitume,
A deux grains de café sans la moindre amertume,
A des bijoux d'ébène ou des perles de jais?
Au creux de votre orbite où de magiques ombres
Font plus blanche votre âme y venant prendre l'air?
Satan a dû puiser le féerique cirage
De ces diamants noirs au ténébreux éclair.
XIX
HEURE DU BAIN
Crie: hop! hop! la cabine est à l'eau. Bras menus,
Cous bruns et ronds vont luire au rayon qui tatoue...
Le vent du nord halète et moule à plans osés
Le contour lumineux qui se désemprisonne...
Le flot rieur flagelle et bat les souples flancs,
Malgré vos cris mignards, ô poltronnes baigneuses...
XX
EN MER, EN MER!
En mer!» Tels sont les appels fous
Qu'au coin de l'estacade, vous
Lance une voix qui rit et pleure.
Avec ses marins du dimanche,
Qui vous initie à la mer
En vous secouant dans la Manche.
Flots rieurs: tout va bien, d'abord,
Mais les faces se sont pâlies...
Le dîner par trop vagabond,
Espoir des turbots et des plies!
XXI
VOUS ÊTES PARTIE...
Et la mer se meurt sur le sable nu.
Le ciel est en deuil... Seule, au soir venu,
La lune moqueuse y pointe sa corne...
Dans le ciel boudeur le soleil est pâle
Et la dune froide aux reflets d'opale
N'a plus ni chanson ni rire vainqueur.
Sur la plage sombre un crêpe s'étend
Et la bise émet son râle attristant
Où la brise avait des frous-frous de soie.
Le clair coquillage, en cette pluie âcre,
A tu les soupirs de son sein de nacre
Et ne livre plus le tendre secret.
Pleure sur la grève âpre et sans écho,
Saigne tristement un coquelicot:
Tel mon cœur où s'ouvre une rouge plaie...
Là-bas, sur la grève âpre et sans écho.
XXII
OFFERTOIRE
La mort du jour. Le chœur des frigides ténèbres
Descendait du ciel triste et noir qui s'éclairait
D'étoiles, clous d'acier de ces dômes funèbres.
L'océan larmoyait des hymnes mortuaires,
Orgue géant qui râle un lent De Profondis,
Et la vague semblait agiter des suaires...
Or, son disque flottant sur la mer incertaine,
Des grands oiseaux de nuit le funéraire essaim
S'en vint à très longs cris baiser cette patène.
XXIII
ROBES CLAIRES
Dans l'envol des longues voilettes,
Ces dames vont trottant menu
En leurs transparentes toilettes.
Sous l'étoffe qui les dessine
Et dans ces rayonnants atours
Mieux encore la belle assassine.
Les cœurs sortent de leur sommeil
Et ne sont plus du tout polaires.
Qui pourra compter, dites-moi,
Vos prouesses, ô robes claires.
XXIV
JALOUX
Ce que l'on peut appeler comme
Une kyrielle de loups,
Mais ce n'est certes pas d'un homme.
De la vaste mer amoureuse
Dont le flot, qu'on prétend amer,
Possède une âme langoureuse...
De l'eau verte qui te flagelle,
Et plus morose qu'un cyprès
Sous le vent du Nord qui me gèle,
Ton corps si beau dans son costume,
Que le flot où tu te mirais,
Croyant à la Vénus posthume,
Tes pieds que tu recroquevilles,
Et river, galant bijoutier,
De clairs anneaux à tes chevilles.
Voulant nouer sa jarretière,
Il trama sur le derme ambré
Un maillot pour la cuisse entière.
Et sans pitié de mes tortures,
Toujours montant, le flot câlin,
Te mit aux hanches des ceintures.
De ta poitrine demi-nue;
La vague écumante, d'un saut,
Bondit de la croupe charnue
Le flot de ta gorge qu'azure
Un fin réseau; lors, me bravant,
L'audacieuse prit mesure
Interrompirent leurs harangues
En voyant ces étranges sœurs
Les darder de leurs mille langues.
La vague aux lesbiennes ivresses,
T'enveloppait étonnamment
De ses infécondes caresses.
Enamourée, âpre, béante,
Te roulant, pâmée, en son lit
D'un baiser de Sapho géante.
XXV
RINÇADES D'ŒIL
Il fait son sculpteur sur la digue
Et de chefs-d'œuvre il est prodigue...
Allons, mon cœur, fais ce que dois!
Ce Nord, le moins discret des vents,
Nous offre maints tableaux vivants
Dont les beautés sont éternelles.
Comment protéger leurs appas:
Deux mains, c'est trop peu, les pauvrettes,
Trousse et retrousse sans respect...
Et nous nous rinçons les mirettes.
XXVI
PLEINS BATTUS
Les Journaux.
Voici s'exaspérant l'exode
Des prisonniers de nos cités
Par les vacances excités.
Gratte ton luth, pauvre rapsode!
Que chacun désormais prétende:
Les uns se salent vers Ostende,
Les autres se ferrent à Spa.
Dans quelque petit trou pas cher,
D'autres s'en vont durcir leur chair
Où fondre leur excès de graisse.
Le citadin quitte son home;
L'époux avec l'épouse part,
La femme file avec son homme.
De la foule cosmopolite
Des voyageurs moins attristés
Que feu les coursiers d'Hippolyte,
On vole vers l'éden paisible...
Déjà monsieur est moins bougon,
Madame n'est plus irascible.
Les bienheureux touristes roulent
Vers un nouveau printemps du cœur
Où les soucis d'hier s'écroulent...
«Que d'eau.» Sa bourgeoise étonnée
Mais nature, pousse ce cri:
«Dieu, quelle belle savonnée!!»
XXVII
MOLLETS
Sans commettre de bévue,
Un proverbe guère inédit.
Exagérons-en donc la vue!
Et tous deux mettons-nous aux trousses
De ces belles que trop souvent
D'un souffle indiscret tu retrousses...
Dans les bas à jours, les mollets
Vont cambrant leurs rondeurs jumelles.
On grimpe, on grimpe vers les cieux...
Au rire moqueur des semelles!
XXVIII
MANTEAU ROUGE
Ta pantoufle de Cendrillon,
Voir ton manteau qui semble, à la brise marine,
L'aile en feu d'un grand papillon.
De la dune au folâtre écho,
Je crois voir éclater dans l'air bleu, l'œil en fête,
Quelque idéal coquelicot.
Et que ton manteau rouge y flotte, je crois voir
L'éveil empourpré de l'aurore.
Fière, étrange, et drapée en l'ardente oriflamme,
C'est l'Astre au couchant dans sa flamme.
XXIX
TRAIN DES MARIS
Dans son ombre s'avance, ainsi qu'un dieu d'Olympe,
Le train des samedis où seul Saint-Joseph grimpe.
Vague, un grand cliquetis de bois vient en courant.
De métal, le sifflet, a retenti, railleur,
Puis sous le blond soleil brillent, hauts en couleur
Jaune, les cuivres neufs que la vapeur emperle.
De «dame seule» point: des gens, menton barbu,
Qui roulent quatre à quatre et se pendent, énormes,
Cannes à bec de corne et gibus haut de formes...
Lors se prit à souffler un vent, terreur des bœufs.
XXX
CITRONS
Les rougets surchauffés reflétaient leurs cinabres
Au ventre des turbots en robe de satin,
Et les saumons d'argent avaient l'éclat des sabres.
S'allongeaient, lourds voisins de l'ablette irisée;
Dans leur justaucorps pourpre éclataient les homards
Près de l'algue où bâillait l'huître vert-de-grisée.
Crevant comme un sein dur le fin papier soyeux...
Leur parfum m'est plus doux que le parfum des fraises,
Car devant les citrons effilés et luisants
Je rêve aux tétins d'or pâle des Japonaises.
XXXI
COQUILLAGES
La plage, sous l'alme vitrail.
Soudain tu ramassas, pour en baiser ta tempe,
Un coquillage de corail.
Etait-il tendre ou bien moqueur,
Tandis qu'il appliquait sa bouche à ton oreille,
Cherchant un écho dans ton cœur?
De ta joue en fleur approché,
Et quel était l'aveu qu'il guettait sur tes lèvres,
Vers ton clair visage penché?
Tes grands yeux aux reflets d'acier,
Qui couvent les éclairs sous leurs mobiles franges,
Avaient allumé leur brasier.
Dans tout mon être qui flambait,
Et qu'au mal auquel rien, hélas! ne remédie,
Mon cœur embrasé succombait.
L'âpre soif qui me dévorait
Put s'étancher en un baiser long et farouche,
Baiser béni qui me tuerait...
Le coquillage trop discret,
Et tu continuas ta course, âme volage,
Sans avoir connu mon secret.
XXXII
GAMME CHROMATIQUE
De la forêt au vert portique
Où l'amour ne fait plus dodo
Monte la gamme chromatique!
C'est que le soleil vient d'éclore
Par ce joli matin doré
Qu'un doux reflet d'azur colore.
Ils sont enfuis, les jours moroses.
Salut à ce bel astre ami
Qui paraît couronné de roses!
A nous les étoffes légères
Et le chatoyant parasol,
Et la fougère, et les bergères!...
On part en villégiature:
Partout on court adorer la
Régénératrice nature!
Sans regret on quitte les villes
Où le spleen s'en va crescendo,
On rêve joyeux vaudevilles.
Qui, s'occupant de politique,
Pérorent en Chambres, pour eux
La seule gamme chromatique!
XXXIII
FILLETTES D'ÈVE
Voyez les passer sur la digue
En jupes courtes, mollets nus,
Semant les rires ingénus
Dont leur jeune bouche est prodigue.
De leurs petites âmes blanches,
Déjà de la gorge et des hanches
Par bizarre auto-suggestion.
Elles vont, mieux qu'elles nippées,
Galvanisant les vieux enfants
Et rêvent à des coquillages
Inconnus aux flots triomphants.
XXXIV
GRAINS DE BEAUTÉ
Qui voilent ton beau front, tes yeux font deux étoiles,
Deux étoiles d'amour sidéral, et mes vœux
Seraient de voir vers eux mon cœur enfler ses voiles.
Or, ta bouche est une autre étoile, étoile rouge,
Vers laquelle, non moins rouges, vont mes désirs.
O cette bouche, étoile idéale et qui bouge!
Mais je préfère encore à ces fiers diamants,
Feux sombres du regard ou feux pourpres des lèvres,
De sept points très mignons et noirs, grains de beauté,
Evoquant la Grande-Ourse,—ô Grande-Ourse des fièvres!
XXXV
BAINS NOCTURNES
Le soleil dans la mer s'est caché, l'alme nuit
Envahit et la dune et la plage apaisée...
Et les femmes de feux, économiquement,
Vont offrir à la mer leur ivoire et leur ambre...
Ombres chinoises d'un bol de punch émergeant!
Au ras de l'océan c'est une effervescence
XXXVI
GRAND VENT
Le ciel d'un bleu limpide évoque le Midi.
La mer hausse la voix, le flot désattiédi
Se roule plus bruyant sur le sable plus blême.
Les cercles de son vol qui s'élève ou qui rampe,
Et les drapeaux, heureux de souffleter leur hampe,
Claquent dans le vent qui par les tuiles mugit.
S'amuse... Son haleine indiscrète en soufflant
Plaque l'étoffe et moule et torse et rable et flanc.
Il moule, et nous pouvons nous payer, éblouis,
Des Tanagra de chair—et vivants—un louis!
XXXVII
MER TUEUSE
Qu'à ses fils de la côte, aux marins véritables,
Le visage et le cœur également bronzés;
Ces amants aux bras forts, à la rude tendresse,
Et pour qui, cependant, elle n'a ni caresses,
Ni sourires, ni doux baisers.
Pour servir de pâture à ses béantes tombes.
La marâtre en son sein berce bien plus de morts
Que n'en couve la terre en ses sombres entrailles.
O pauvres mariniers dormant sans funérailles
Au cœur des flots veufs de remords!
Le pêcheur, chaque jour en chantant, lève l'ancre.
Stoïque, il va livrer sa vie à l'océan:
Gage d'un peu de pain pour les siens, ô misère!
Il va, brave, et se sent sur l'onde qui l'enserre
Guetté par l'horrible néant.
La femme—ses enfants à genoux—prie et pleure
L'homme fatalement marqué pour le trépas.
Elle réclame au moins son cadavre... Et, macabre,
La vague semble rire à sa plainte, et se cabre
Féroce,—et ne le lui rend pas.
XXXVIII
VOILES DE PLAGE
Que sur les chignons plante Eros,
Battant comme ailes d'albatros,
Tirebouchonnant, blanches flammes!
Ils montent comme des fumées
S'évaporant dans les airs bleus,
Encens des nuques parfumées.
Ont les mystères puérils
Des brumes dont le soir se voile.
Où ces dames prennent, en chœurs,
Paradoxalement le voile!
XXXIX
FRUITS DE LA MER
Que les fruits nacrés de la mer
Qu'elle détaille... Rien d'amer
Dans tout son être, et rien de rêche.
Jour de Vénus et de marée,
Trôner, pimpante, chamarrée,
Au comptoir de persil verdi.
Des goujons au reflet changeant,
Sert les poissons d'or et d'argent
A sa clientèle éblouie.
Dans sa boutique fabuleuse
Où la pêche miraculeuse
Semble étaler son souvenir.
Adoucit ses bouquets salins,
Les homards deviennent câlins
Les moules se font friandise.
Près des turbots tout ronds aux teintes
Blafardes de lunes éteintes,
Les carpes allument leurs ors.
Voisins des caviars rancis,
Comme des amoureux transis
Ouvrent de grands yeux ronds et ternes.
L'enfilade des coquillages
En vain combat les maquillages
De son oreille aux feux nacrés.
Frôlés du bas de son jupon,
Semblent des monstres du Japon
Fondus dans des bronzes étranges.
Exagérant leurs dos infâmes
Dont raffolent certaines femmes,
La contemplent d'un air moqueur.
Dans les bocaux de cornichons,
Tirent la langue à ses nichons
Que jalousent les airs de gorge
Son derme offre de plus beaux lustres
Que les boites—aux noms illustres—
Des conserves luisant aux murs.
Se pailletent à l'infini
Des lenticelles d'or bruni
Qu'on aime aux truites saumonées.
Les rougets rougissent, bégueules,
Et les cabillauds ont des gueules
Béates de michets sérieux...
Dut voir une cour de poissons
Pâmée en d'étranges frissons
Autour de sa majesté blonde!
XL
P. P. C.
Allume de mauve les prés,
Les horizons se font pourprés
Sous le ciel bas et monotone.
S'en va trépasser dans ses brumes
Au glas rauque de ses élus,
Les noirs catarrhes et les rhumes!
Les arbres, s'en devenant chauves,
Pleuvent leurs feuilles bientôt fauves
Sur l'été maussade aux abois.
La plaine où le lièvre en goguette
Boit la rosée, hume le thym,
Sans souci du chasseur qui guette!
Nous promet de nouvelles fêtes...
Le sorbier suspend sur nos têtes
Ses pendeloques de corail.
Fuit, cherchant des cieux moins voilés,
Et voici revenir les grives
Ivres des beaux raisins volés.
Le Train jaune n'opère plus:
Monsieur réclame en ses épîtres
Madame aux regrets superflus.
Plus ne sonne l'heure du bain.
La plage se fait solitaire
Et le crabe est son Chérubin!
Les villégiatureurs frileux
Qui s'enfuient, ô soleil fantôme,
Soufflant dans leurs pauvres doigts bleus...
Quittons le flot, vraiment amer,
Après la suprême risette
A ton héroïne, la Mer!
INDEX DES MATIÈRES
| Pages. | ||
| Boniment | 5 | |
| I. | Ostende. | 7 |
| II. | L'Éventail. | 9 |
| III. | Gros temps. | 11 |
| IV. | Eau bénite. | 13 |
| V. | Évohé! | 15 |
| VI. | Mer des Morts. | 17 |
| VII. | Revanches. | 19 |
| VIII. | Marine sentimentale. | 22 |
| IX. | Pieuvre. | 24 |
| X. | Profanes. | 26 |
| XI. | Haut de forme. | 28 |
| XII. | Photographes. | 30 |
| XIII. | Chaises Miss Helyett. | 32 |
| XIV. | Mer fâchée. | 34 |
| XV. | Les Mouettes. | 36 |
| XVI. | La Mer enrhumée. | 38 |
| XVII. | Petits trous pas chers. | 40 |
| XVIII. | Yeux noirs. | 43 |
| XIX. | Heure du bain. | 45 |
| XX. | En mer, en mer! | 47 |
| XXI. | Vous êtes partie... | 49 |
| XXII. | Offertoire. | 51 |
| XXIII. | Robes claires. | 53 |
| XXIV. | Jaloux. | 55 |
| XXV. | Rinçades d'œil. | 58 |
| XXVI. | Pleins battus. | 60 |
| XXVII. | Mollets. | 63 |
| XXVIII. | Manteau rouge. | 65 |
| XXIX. | Train des Maris. | 67 |
| XXX. | Citrons. | 69 |
| XXXI. | Coquillages. | 71 |
| XXXII. | Gamme chromatique. | 73 |
| XXXIII. | Fillettes d'Ève. | 75 |
| XXXIV. | Grains de beauté. | 77 |
| XXXV. | Bains nocturnes. | 79 |
| XXXVI. | Grand vent. | 81 |
| XXXVII. | Mer tueuse. | 83 |
| XXXVIII. | Voiles de plage. | 85 |
| XXXIX. | Fruits de la mer. | 87 |
| XL. | P. P. C. | 91 |
INDEX DES GRAVURES
Henry Cassiers.—Au Clair de la Dune (couverture).
Edgar Chahine.—Fillettes d'Ève.
Amédée Lynen.—Petits trous pas chers.
F.-M. Melchers.—Rinçades d'œil.
Charles Michel.—Grand vent.
Félicien Rops.—Train des Maris.
Louis Thomas.—La Muse.
Des presses d'Oscar Lamberty
Editeur
70, RUE VEYDT (QUARTIER LOUISE)
BRUXELLES
——
ACHEVÉ D'IMPRIMER
LE 6 JUILLET 1909