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Bataille de dames

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SCÈNE XII

LÉONIE, HENRI.


HENRI, se jetant sur une chaise en riant. Ah! ah! ah! quelle scène!

LÉONIE. Ah! ne riez pas, monsieur, ne riez pas!...

HENRI. Ciel! quelle douleur sur vos traits! Qu'avez-vous donc?

LÉONIE. Accablez-moi, monsieur Henri, maudissez-moi!...

HENRI. Vous?...

LÉONIE. Je suis une malheureuse sans foi et sans courage![153]

HENRI. Au nom du ciel! que dites-vous?

LÉONIE. Vous vous étiez confié à moi, vous m'avez révélé le secret d'où dépend votre vie.... Eh bien! ce secret, je l'ai livré ... je vous ai trahi!

HENRI. Comment?

LÉONIE. Devant votre juge, ici ... à l'instant même!... Oh! lâche que je suis!... j'ai eu peur!... (Se reprenant vivement.) peur pour vous, monsieur!...

HENRI, surpris. Est-il possible?

LÉONIE, sanglotant. Moi!... vous perdre?... moi, qui donnerais ma vie pour vous sauver!...

HENRI. Qu'entends-je?

LÉONIE. Mais, je ne survivrai pas à votre arrêt, je vous le jure.... Aussi, je vous supplie de ne pas m'en vouloir et de me pardonner.... (Elle se jette à genoux.)

HENRI, voulant la relever. Léonie! au nom du ciel!...


SCÈNE XIII

LES PRÉCÉDENTS, LA COMTESSE, entrant vivement.


LA COMTESSE. Que vois-je?... Et que fais-tu là?...

LÉONIE. Je lui demande grâce et pardon, car c'est par moi que tout est découvert, par moi que tout est perdu!

LA COMTESSE, vivement. Perdu!... Perdu?... non pas; je suis là, moi!

LÉONIE, avec joie. Oh! ma tante!... sauvez-le!...

HENRI. Ne craignez rien, monsieur de Montrichard m'a pris pour complice!...

LA COMTESSE, vivement. Ne vous y fiez pas! Un mot, un geste, une seconde suffisent pour l'éclairer; mais je suis là!...

SCÈNE XIV

LES PRÉCÉDENTS, DE GRIGNON.


DE GRIGNON. Qu'est-ce que cela signifie, le savez-vous, comtesse? qu'est-ce que tous ces bruits de conspiration, de conspirateurs déguisés?...

LA COMTESSE. Un rêve de monsieur de Montrichard!

DE GRIGNON. Un rêve? soit; mais en attendant on arrête tout le château, toute la livrée!

LÉONIE, avec frayeur. O ciel!

LA COMTESSE, à de Grignon. Vous en êtes sûr?...

DE GRIGNON. Parfaitement! je viens de voir saisir votre cocher et un de vos valets de pied ... mais, tenez, voici un brigadier[154] de gendarmerie ... non, de dragons ... qui vient sans doute ici avec des intentions ... de gendarme....


SCÈNE XV

LES PRÉCÉDENTS, UN BRIGADIER DE GENDARMERIE.


LE BRIGADIER, à Henri. Ah! c'est vous que je cherche, monsieur.

HENRI. Moi?

LE BRIGADIER. Veuillez me suivre....

HENRI, au brigadier. Il y a erreur, monsieur, je suis attaché au service particulier de monsieur le préfet.

LE BRIGADIER. Il n'y a pas erreur; mes ordres sont précis; veuillez me suivre!...

LA COMTESSE, bas à Henri. N'avouez rien, je réponds de tout.... (Haut.) Allez donc, Charles, allez, obéissez.

HENRI. Oui, madame. (Il va prendre son chapeau sur la cheminée.)

LA COMTESSE, bas à de Grignon. Ici, dans un quart d'heure, il faut que je vous parle, à vous seul.

DE GRIGNON. Moi?

LA COMTESSE. Silence!... (Elle se dirige à gauche, vers Léonie.)

DE GRIGNON, à part. Un rendez-vous? De mieux en mieux!

LÉONIE, à part. Et c'est moi qui le perds!

HENRI, au brigadier. Je vous suis.

LA COMTESSE, à part. Perdu par elle! sauvé par moi!... (Elle sort à gauche, avec Léonie; Henri et le brigadier, par le fond; de Grignon, par la droite.)


ACTE TROISIÈME

Même décor.


SCÈNE I

LA COMTESSE, LÉONIE, entrant chacune d'un côté opposé.


LA COMTESSE, à Léonie. Eh bien! quelles nouvelles?

LÉONIE. J'ai exécuté toutes vos instructions sans trop[155] les comprendre.

LA COMTESSE. Cela n'est pas nécessaire.... La livrée de George, mon valet de pied ...

LÉONIE. Je l'ai fait porter, comme vous me l'aviez dit ... (Montrant l'appartement à gauche.) là dans cet appartement; mais monsieur de Montrichard ...

LA COMTESSE. Il a appelé tour-à-tour devant lui tous les domestiques de la maison, les renvoyant après les avoir interrogés.

LÉONIE. Et monsieur Henri?

LA COMTESSE. Il l'a toujours gardé auprès de lui.

LÉONIE, effrayée. C'est mauvais signe.

LA COMTESSE. Peut-être!

LÉONIE. Signe de soupçon ...

LA COMTESSE. Ou de confiance! car Tony, notre petit groom, qui écoute toujours, a entendu, en plaçant sur la table des plumes et de l'encre qu'on lui avait demandées ...

LÉONIE. Il a entendu ...

LA COMTESSE. Henri disant à voix basse au préfet: "Ne vous découragez pas; je vous assure qu'il est ici, qu'on veut le faire évader sous le costume d'un des gens de la maison."

LÉONIE. Quelle audace!... Cela me fait trembler ...

LA COMTESSE. Et moi, cela me rassure!... On peut mettre cette idée à profit; mais il faut se hâter ... Henri est imprudent!... il finira par se trahir!...

LÉONIE. Et vous voulez le faire évader?

LA COMTESSE. Le faire évader?... Enfant!... où sont les troupes ennemies?

LÉONIE. Une douzaine de gendarmes dans la cour du château.

LA COMTESSE. Bien.

LÉONIE. Une trentaine de dragons en dehors, autour des fossés[156] et devant la grande porte.

LA COMTESSE. Très bien!

LÉONIE. Par exemple,[157] ils ont oublié de garder la porte des écuries et remises qui donne[158] sur la campagne.

LA COMTESSE, souriant. Tu crois!... Je reconnais bien là monsieur de Montrichard ...

LÉONIE. Vous en doutez ... ma tante?... (La conduisant vers la porte à gauche qui est restée ouverte.) Par la croisée de cette chambre qui donne sur la grande route, regardez ... pas un seul soldat!

LA COMTESSE. Non! mais à vingt pas plus loin, ne vois-tu pas le bouquet de bois?[159] ... Il doit y avoir là une embuscade.

LÉONIE. Comment supposer.... (Poussant un cri.) Ah! mon dieu! j'ai vu au dessus d'un buisson le chapeau galonné[160] d'un gendarme....

LA COMTESSE. Quand je[161] te le disais....

LÉONIE. Ah! je comprends!... on voulait l'engager à fuir de ce côté....

LA COMTESSE. Pour mieux le saisir ... précisément.... Merci, monsieur le baron! le moyen est bon, et il pourra nous servir!

LÉONIE. Comment?

LA COMTESSE. Fie-toi à moi.... J'entends monsieur de Grignon ... va dire à Jean, le palefrenier, de mettre les chevaux à la calèche ...

LÉONIE. Mais, ma tante ...

LA COMTESSE. Va, ma fille, va!... (Léonie sort par la porte de gauche.)

SCÈNE II

LA COMTESSE, DE GRIGNON, entrant mystérieusement sur la pointe des pieds.


DE GRIGNON. Me voici, madame, fidèle au rendez-vous que vous m'avez donné!... (Il va prendre une chaise.)

LA COMTESSE, avec amabilité. Je vous attendais ...

DE GRIGNON, avec joie. Vous m'attendiez!...

LA COMTESSE. Et tout en vous attendant, je rêvais ...

DE GRIGNON. A qui?

LA COMTESSE. A vous!...

DE GRIGNON. Est-il possible!...

LA COMTESSE. Oui, à ce caractère chevaleresque, à ce besoin de danger, qui vous tourmente....

DE GRIGNON. J'en conviens!

LA COMTESSE. Et comme rien n'est plus contagieux que l'imagination, et que, grâce au baron de Montrichard, j'ai l'esprit tout plein de conspirateurs et d'arrestations, j'étais là[162] à faire des châteaux en Espagne[163] ... de catastrophes ... je me figurais un pauvre proscrit condamné à mort....

DE GRIGNON. Et vous étiez le proscrit.

LA COMTESSE. Non, au contraire, c'est à moi qu'il venait demander asile.

DE GRIGNON. C'est bien aussi....

LA COMTESSE. Il m'apprenait qu'il avait une mère, une soeur....

DE GRIGNON. Comme c'est vrai!

LA COMTESSE. Et soudain voilà des soldats qui entourent le château en m'ordonnant de leur livrer mon hôte....

DE GRIGNON, se levant. Le livrer ... jamais!

LA COMTESSE. Comme nous nous entendons!... Ils me menaçaient presque de la mort!...

DE GRIGNON. Qu'importe la mort! surtout si celle que l'on aime est là pour vous encourager, pour vous bénir.... Ah! comtesse, quand je fais de tels rêves, avec vous pour témoin, mon coeur bat, ma tête s'exalte....

LA COMTESSE, souriant. Peut-être parce que c'est un rêve!...

DE GRIGNON. Quoi! Vous doutez qu'en réalité.... Mais que faut-il donc pour vous convaincre? Ce matin, j'ai failli,[164] pour vous, me jeter au milieu des flammes ... ce soir, je voudrais vous voir dans un péril mortel pour vous en arracher ou le partager avec vous....

LA COMTESSE. Quelle chaleur!...

DE GRIGNON. Ah! vous ne le connaissez pas ce coeur qui vous adore, vous ne savez pas de quel sacrifice, de quel dévouement l'amour le rendrait capable.... Oui ... je n'adresse au ciel qu'une prière, c'est qu'il m'envoie une occasion de mourir pour vous!

LA COMTESSE. Eh bien! le ciel vous a entendu.

DE GRIGNON. Comment?

LA COMTESSE. Cette occasion que vous imploriez, il vous l'envoie!

DE GRIGNON. Hein?

LA COMTESSE. Charles, mon valet de chambre, que vous avez vu arrêter, n'est pas Charles: c'est monsieur Henri de Flavigneul.

DE GRIGNON. Quoi!...

LA COMTESSE. Monsieur Henri de Flavigneul, condamné à mort comme conspirateur.

DE GRIGNON. Ciel!

LA COMTESSE. Et vous pouvez le sauver!...

DE GRIGNON. Comment?...

LA COMTESSE. En vous mettant à sa place.

DE GRIGNON. Pour être fusillé!...

LA COMTESSE. Non!... cela n'ira pas jusque-là; mais, pendant quelques instants seulement, il faut consentir à passer pour lui, à vous faire arrêter pour lui....

DE GRIGNON. Ah! permettez, madame, permettez; j'ai dit "tout pour vous!" ... Mais pour un inconnu ... pour un étranger....

LA COMTESSE. Pour un proscrit!...

DE GRIGNON. J'entends bien!

LA COMTESSE. Dont je suis la complice ... dont je dois défendre les jours[165] au péril des miens, et vous hésitez....

DE GRIGNON. Du tout![166] du tout! vous comprenez bien que si je tremble ... car je tremble ... c'est pour vous ... rien que pour vous ... car, pour moi ... cela m'est bien indifférent....

LA COMTESSE. Je le savais bien ... aussi je compte sur votre héroïsme ... et moi! je tâcherai qu'il soit sans péril!

DE GRIGNON. Sans péril!

LA COMTESSE. Je crois pouvoir en répondre.

DE GRIGNON. Sans péril!... (Avec enthousiasme.) Mais je veux qu'il y en ait ... moi!... je veux le braver pour vous.... Parlez, que faut-il faire?

LA COMTESSE. Prendre un habit de livrée qui est là.

DE GRIGNON, avec intrépidité. Je le ferai!... Après?

LA COMTESSE. Prendre les guides[167] et me conduire ...

DE GRIGNON. Je vous conduirai!... Après?

LA COMTESSE. Jusqu'à deux cents pas d'ici ... où des gendarmes se jetteront sur nous.

DE GRIGNON, avec un commencement d'effroi. Des gendarmes!

LA COMTESSE. Et vous arrêteront.

DE GRIGNON, avec peur. Moi, de Grignon!...

LA COMTESSE. Non pas, vous de Grignon ... mais vous, Henri de Flavigneul ... et quoi qu'on vous dise, quoi qu'on vous fasse ...

DE GRIGNON. Quoi qu'on me fasse ...

LA COMTESSE. Vous avouerez, vous soutiendrez que vous êtes Henri de Flavigneul.... On vous emprisonnera ...

DE GRIGNON. Moi ... de Grignon ...

LA COMTESSE. Vous, de Flavigneul ... et pendant ce temps le véritable Flavigneul passera la frontière ... et sauvé par vous, par votre héroïsme....

DE GRIGNON. Et moi, pendant ce temps-là?

LA COMTESSE. Vous! en prison ... je vous l'ai dit.

DE GRIGNON. En prison!... (A part.) Des fers ... des cachots.... (Haut.) Permettez....

LA COMTESSE. Je vous expliquerai.... On vient ... vite, vite, la livrée est là.

DE GRIGNON. Oui, madame ... je vais....

LA COMTESSE. Eh bien! où allez-vous?

DE GRIGNON. Je vais prendre la livrée....

LA COMTESSE. Ce n'est pas de ce côté!

DE GRIGNON. C'est juste ... c'est le salon!...

LA COMTESSE. C'est par ici!

DE GRIGNON. C'est vrai!... Je n'y vois plus....

LA COMTESSE. Attendez....

DE GRIGNON. Quoi donc?

LA COMTESSE. Prenez cette lettre.

DE GRIGNON. Pourquoi?

LA COMTESSE. Pour la mettre dans votre habit.

DE GRIGNON. L'habit de livrée!

LA COMTESSE. Précisément.

DE GRIGNON. Dans quel but?

LA COMTESSE. Vous le saurez!... allez toujours!

DE GRIGNON. Oui, madame!

LA COMTESSE. Soyez prêt à paraître!

DE GRIGNON. En livrée?

LA COMTESSE. Sans doute!... on vient ... allez donc ... allez vite!...

DE GRIGNON, sortant par la porte à gauche. Oui ... madame! Ah! mon père! ma mère! où m'avez-vous poussé![168]


SCÈNE III

LA COMTESSE, LÉONIE.


LÉONIE. Ma tante, ma tante ... monsieur de Montrichard monte pour vous parler!

LA COMTESSE. Déjà?... Pourvu qu'Henri ne se soit pas trahi encore!

LÉONIE. Voici le baron.

LA COMTESSE, lui montrant la table. Là, comme moi, à ton ouvrage.[169]


SCÈNE IV

MONTRICHARD, LA COMTESSE, ET LÉONIE, assises à droite et travaillant.


MONTRICHARD, parlant en dehors à un dragon. Continuez vos recherches; mais suivez surtout le domestique qui était avec moi.

LÉONIE, bas à la comtesse. Entendez-vous? Il soupçonne monsieur Henri.

LA COMTESSE, avec trouble. C'est vrai!... (Se remettant.) Allons, du sang-froid.

MONTRICHARD, s'approchant de la comtesse et de Léonie et les saluant. Mesdames ...

LA COMTESSE. Ah! c'est vous, baron? vous venez vous reposer auprès de nous de vos fatigues; vous devez en avoir besoin.... Léonie ... un fauteuil à monsieur le baron.

MONTRICHARD, prenant lui-même un siège. Ne prenez pas cette peine, mademoiselle.

LA COMTESSE, gaiement. Eh bien! où en êtes-vous de vos recherches? Avez-vous fait déjà enfoncer bien des armoires dans le château? avez-vous bien fouillé ... interrogé?... Mais à propos d'interrogatoire, comment appelez-vous cet examen de conscience que vous avez fait subir à ma nièce?

MONTRICHARD. Mademoiselle ne m'a appris que ce que je savais déjà, que monsieur de Flavigneul est caché ici sous un déguisement.

LA COMTESSE. Voyez-vous cela ... un déguisement de femme peut-être.... C'est peut-être ma nièce ou moi?

MONTRICHARD. Riez, riez.... Madame la comtesse, mais vous ne me donnerez pas le change.[170] ...

LA COMTESSE. Je m'en garderais bien![171] ... Savez-vous que vous avez fait là une belle trouvaille? Ah! çà,[172] comment allez-vous faire maintenant pour découvrir le coupable parmi les vingt-cinq ou trente personnes du château....

MONTRICHARD. Le cercle se resserre, madame la comtesse; et si mes soupçons ne me trompent pas, d'ici à peu de temps ...

LÉONIE, bas à la comtesse. Il sait tout, ma tante!... (La comtesse lui prend la main pour la faire taire.)

MONTRICHARD, continuant. Dès que j'aurai un signalement que j'attends ...

LÉONIE, bas. Ciel!

MONTRICHARD.... je pourrai, j'espère, ne plus vous importuner de ma présence.

LA COMTESSE. Ne vous gênez pas, baron; et si vos soupçons se trompent ... ce qui leur arrive quelquefois ... veuillez-vous installer ici sans façon, sans cérémonie, comme chez vous ...

MONTRICHARD. Moi!...

LA COMTESSE. Certainement: et pour vous laisser toute liberté dans vos recherches, je vous demanderai la permission d'aller passer quelques jours à la ville, où des affaires m'appellent.

LÉONIE, étonnée. Vous, ma tante!

LA COMTESSE. Tais-toi donc!

MONTRICHARD, à part. Ah! elle veut s'éloigner!... (Haut) Vous partez?

LA COMTESSE. Oui, vraiment; et à moins que je ne sois prisonnière dans mon propre château ... et que monsieur le préfet ne me permette pas d'en sortir.... (Tout le monde se lève.)

MONTRICHARD. Quelle pensée, madame!... C'est à moi d'obéir, à vous de commander!

LA COMTESSE. Vous êtes trop bon. J'avais d'avance usé de la permission en demandant mes chevaux.... Sont-ils attelés?

LÉONIE. Oui, ma tante.

LA COMTESSE, sonnant. Eh bien! pourquoi ne vient-on pas m'avertir? (Elle sonne toujours.)


SCÈNE V

LES PRÉCÉDENTS, DE GRIGNON, en grande livrée, sortant de la porte à gauche.


DE GRIGNON. La voiture de madame la comtesse est avancée.

LA COMTESSE. C'est bien.... Appelez ma femme de chambre, et partons!

MONTRICHARD. Permettez ... permettez ... madame ... (à de Grignon.) Restez.... Approchez ... approchez.... J'ai interrogé tout à l'heure votre valet de pied.

LA COMTESSE. En vérité!

MONTRICHARD. Et il me semble que ce n'était pas celui-là.

LA COMTESSE. J'en ai deux, monsieur le baron.

MONTRICHARD. Deux! Ah! mais, monsieur est-il bien sûr d'avoir toujours porté la livrée?

LÉONIE, vivement à Montrichard. Oh! certainement.

DE GRIGNON, bas à la comtesse. Il m'a déjà vu ce matin en bourgeois.[173]

LA COMTESSE, bas. Tant mieux!

MONTRICHARD. Ce doit être un domestique nouveau ... très nouveau.

LA COMTESSE, avec embarras. Qui peut vous le faire croire?

MONTRICHARD. Un vague souvenir que j'ai, de l'avoir aperçu sous un autre costume.

LA COMTESSE. En effet, il me sert quelquefois comme valet de chambre.

MONTRICHARD. Ah!... expliquez-moi donc alors certains signes que je crois remarquer et qui m'étonnent ... son trouble.

LÉONIE. Du tout!...

DE GRIGNON, à part. Dieu! que j'ai peur d'avoir peur![174]

MONTRICHARD. Une certaine noblesse de traits ... n'est-il pas vrai, mademoiselle?

DE GRIGNON, à part. Je me trahis moi-même.... Je dois avoir l'air si noble en domestique.

LA COMTESSE. Je vous assure, monsieur le baron ...

LÉONIE. Oh! oui, nous vous assurons ...

MONTRICHARD. Alors, c'est différent; et puisque vous m'assurez toutes deux que ce garçon est votre valet de pied ... je ne l'interrogerai pas ... non ... je l'arrête.... (Il remonte au fond.)

DE GRIGNON, bas. Ah! comtesse ...

LA COMTESSE, bas. Tout va bien! nous sommes sauvés.... La lettre ... tirez la lettre de votre poche....

DE GRIGNON, bas. Comment?

LA COMTESSE, bas. Et rendez-la moi.

MONTRICHARD, à la comtesse. Eh bien!... (Redescendant) que dites-vous de mon idée?

LA COMTESSE, avec un embarras feint. Je dis, je dis, monsieur le baron, que c'est pousser assez loin la raillerie ... et que vous ne me priverez pas d'un serviteur qui m'est utile....

MONTRICHARD. C'est que j'ai dans la pensée qu'il peut m'être fort utile aussi....

LA COMTESSE, se rapprochant de de Grignon. Vous ne le ferez pas!

MONTRICHARD. Pourquoi donc?

LA COMTESSE, avec un embarras croissant et se rapprochant toujours de de Grignon. Parce que ... parce que.... (Bas à de Grignon) La lettre.... (Haut.) Parce que ... cet homme est chez moi ... est à moi[175] ... que j'en réponds[176].... (Bas à de Grignon.) La lettre, ou vous êtes perdu.... (De Grignon tire la lettre de son habit et va pour la lui remettre.)

MONTRICHARD, qui a tout suivi des yeux, s'approchant vivement. Ce papier! je vous ordonne de me remettre ce papier, monsieur....

LA COMTESSE, avec l'accent le plus troublé, à de Grignon. Je vous le défends!

MONTRICHARD, vivement. Toute résistance serait inutile, monsieur ... ce papier.

DE GRIGNON. Le voici, monsieur.

LA COMTESSE, se cachant la tête dans les deux mains. Le malheureux, il est perdu!

DE GRIGNON, à part. J'aimerais mieux être ailleurs!

MONTRICHARD, lisant l'adresse, puis le commencement de la lettre. A monsieur de Flavigneul! Mon cher fils ... (Il s'arrête, cesse de lire, remet la lettre à de Grignon; avec solennité.) Monsieur Henri de Flavigneul, au nom du roi et de la loi, je vous arrête.... (Il remonte au fond.)

LÉONIE, qui a tout suivi, poussant un cri de joie. Ah!... quel bonheur!

LA COMTESSE, bas à Léonie. Pleure donc!

MONTRICHARD, au dragon. Emparez-vous de monsieur.

LA COMTESSE. Monsieur le baron, je vous en supplie ...

MONTRICHARD. Je ne connais que mon devoir, madame.... (Au dragon) Conduisez monsieur dans la pièce voisine ... constatez son identité, sa déclaration suffira, et après, vous connaissez mes instructions.... (Le dragon fait signe que oui.)

DE GRIGNON. Que voulez-vous dire?

MONTRICHARD, à de Grignon. Adieu, brave et malheureux jeune homme, croyez que vous emportez mon estime ... et mes regrets....

DE GRIGNON. Permettez ... monsieur ... permettez!...

MONTRICHARD, au dragon. Emmenez-le.

DE GRIGNON. Où donc?... (La comtesse lui serre la main, et il sort sans rien dire.)

MONTRICHARD, à la comtesse, qui a son mouchoir sur les yeux. Pardonnez, madame, à mon importunité, mais mon premier devoir est d'avertir monsieur le maréchal d'un événement de cette importance. Où trouverai-je ce qui est nécessaire pour écrire?

LA COMTESSE. Dans cette chambre.... (Montrant la porte à gauche.) Ma nièce va vous le donner, monsieur.

LÉONIE, voyant entrer Henri par cette porte. Ciel! monsieur Henri!

MONTRICHARD, remonte le théâtre de quelques pas et se trouve à côté de lui. Bas. Tu m'avais dit vrai, il était ici ... déguisé; mais malgré son déguisement, je l'ai découvert.... (Lui prenant la main.) Je le tiens!

HENRI, résolument. Eh bien! monsieur?

MONTRICHARD. Silence! voilà tes vingt-cinq louis. (Il lui glisse dans la main une bourse et sort en passant devant Léonie qui ne veut passer qu'après lui.)

HENRI, stupéfait avec la bourse dans la main. Qu'est-ce que cela signifie?

LÉONIE, vivement. Que je suis au comble du bonheur, car vous êtes sauvé.

HENRI. Sauvé!...

LÉONIE. Grâce à ma tante ... adieu!... (Elle s'élance dans l'appartement sur les pas de Montrichard.)


SCÈNE VI

HENRI, LA COMTESSE.


HENRI, jetant la bourse sur la table. Sauvé!... sauvé par vous!...

LA COMTESSE. Pas encore!... J'ai détourné les soupçons du baron ... il croit tenir le coupable ... mais tant que vous serez dans le château, tant que vous n'aurez pas traversé la frontière ... je craindrai toujours....

HENRI. Et moi, je ne crains plus rien ... grâce à celle dont l'esprit, dont l'adresse ...

LA COMTESSE. De l'esprit, de l'adresse! il n'y a là que du coeur, cher Henri: c'est parce que je souffrais ... c'est parce que tout mon sang était glacé dans mes veines, que j'ai trouvé la force de veiller sur vous! Vous croyez donc, ingrat ... (car vous êtes un ingrat!) de l'esprit! de l'adresse! grand dieu![177] ... vous croyez donc que la pitié, que l'affection pour un malheureux, consistent à perdre la tête au moment de son danger, à le trahir par son émotion même, comme font les enfants.... Non, Henri, la vraie tendresse, la tendresse profonde, c'est de rire en face de ce péril, c'est de railler avec la mort dans le coeur; seulement, quand le danger s'éloigne, le courage s'épuise, la force vous abandonne.... (Fondant en larmes.) Eh! si vous aviez été arrêté, j'en serais morte!

HENRI. Chaque jour, chaque instant me révélera donc en vous une qualité nouvelle.... Je cherche en vain dans mon coeur quelques paroles qui vous disent tout ce que j'éprouve.... Vous qui pouvez tout ... vous qui savez tout ... ange, fée, enchanteresse, enseignez-moi donc le moyen de vous payer de[178] tout ce que je vous dois!

LA COMTESSE. Vous ne me devez rien!

HENRI. De tout ce que je vous ai fait souffrir!

LA COMTESSE, avec un grand trouble. Avant de répondre, Henri ... je dois vous faire une demande ... ces paroles si tendres, que vient de prononcer votre bouche ... sortent-elles bien du fond de votre coeur?

HENRI. Ah! vous m'outragez! Quelle preuve ...

LA COMTESSE. Eh bien! c'est ...

HENRI. Parlez ... c'est ...

LA COMTESSE. Eh bien! mon ami ... c'est de m'aimer ... car je vous aime!... Silence ... on vient....


SCÈNE VII

LES PRÉCÉDENTS, MONTRICHARD, une lettre à la main, sortant de la chambre où il vient d'entrer. LÉONIE.


MONTRICHARD. Merci, mademoiselle. Voici, grâce à vous, mon courrier[179] terminé.

LA COMTESSE, à part. Oh! si je pouvais le faire sortir maintenant!

MONTRICHARD, s'approchant de la comtesse. Pardonnez-moi ma victoire, madame.

LA COMTESSE. Ni votre victoire, monsieur le baron, ni votre manière de vaincre!... Ah! est-ce là le prix que je devais attendre du service que je vous ai rendu?

MONTRICHARD. Le devoir passe avant[180] la reconnaissance, madame.

LA COMTESSE. Votre devoir vous commandait-il d'employer la ruse, la trahison?...

MONTRICHARD. Madame!...

LA COMTESSE. Je le répète ... la trahison!... Vous aurez soudoyé quelque conscience, acheté quelqu'un de mes gens ... osez-le nier!... Mais j'y pense![181] ... oui.... (Regardant Henri.) Vos regards d'intelligence avec ce garçon ... les entretiens mystérieux que vous aviez ensemble!... (Se tournant vers Henri.) Ah! misérable serviteur ... c'est donc vous qui m'avez trahi?...

HENRI. Moi, madame?

LA COMTESSE. Oui, vous!... je le vois à votre trouble ... à l'embarras du baron ... je vous renvoie, je vous chasse ... sortez.... (D'un air sévère et étouffant un sourire.) Sortez!...

MONTRICHARD. Mais ...

LA COMTESSE. Il ne restera pas une minute de plus à mon service.

MONTRICHARD. Et moi, je le prends au mien!

LA COMTESSE. Vous ne le ferez pas, monsieur!

MONTRICHARD. Si vraiment, madame la comtesse.... (A Henri.) Allons, mon garçon, à cheval et au galop jusqu'à Saint-Andéol!

LÉONIE. Ciel!

MONTRICHARD, lui remettant une lettre. Cette lettre est pour monsieur le maréchal commandant la division.

HENRI. Mais, monsieur le préfet, les soldats ne me laisseront pas passer.

MONTRICHARD. Je vais en donner l'ordre.

HENRI, bas à la comtesse pendant que Montrichard remonte vers la porte pour donner aux dragons l'ordre de laisser sortir Henri. Je vous dois ma vie, disposez-en!

MONTRICHARD, à Henri. Allons, allons, pars.

HENRI. Dans une heure, monsieur le préfet, je serai à mon poste.... (Montrichard remonte le théâtre avec Henri, en lui donnant ses dernières recommandations.)


SCÈNE VIII

LES PRÉCÉDENTS, excepté HENRI.


MONTRICHARD, aux dragons du fond. Et, vous autres, amenez le prisonnier.

LA COMTESSE, à part. C'est trop tôt.... (Haut.) Monsieur le baron, de grâce ...

MONTRICHARD. Je ne suis, vous le savez, ni cruel, ni ami des condamnations, et si l'on m'eût écouté, on eût accordé l'amnistie que je demandais.

LA COMTESSE. Je le sais, eh bien?

MONTRICHARD. Eh bien! ce jeune homme m'intéresse!... il est votre ami, et je veux tenter de le sauver.

LÉONIE. De le sauver?

LA COMTESSE. Comment cela?...

MONTRICHARD. Cela dépendra de lui ... Je vais lui parler.

LA COMTESSE, avec embarras. Si vous attendiez?... une heure?... une demi-heure ... pour le laisser se remettre d'un premier moment de trouble?

MONTRICHARD. Soyez tranquille ... dans un instant nous serons d'accord, je l'espère, et avant dix minutes ... je saurai sans doute de lui ... tout ce que j'ai besoin de savoir....

LÉONIE, à part. Dix minutes, c'est à peine s'il sera parti!

MONTRICHARD, voyant entrer de Grignon avec le dragon. Il va venir; veuillez, mesdames, vous éloigner.

LA COMTESSE. Un moment encore.

MONTRICHARD, sévèrement. C'est mon devoir, comtesse....

LA COMTESSE, s'éloignant avec Léonie. Oh! mon dieu, que faire?

LÉONIE. Que craignez-vous donc, ma tante?

LA COMTESSE. Si monsieur de Grignon faiblit ...

LÉONIE. N'a-t-il pas du courage?

LA COMTESSE. Un courage qui n'a pas de patience et qui ne dure pas longtemps.... (Elles sortent par la porte à droite. Le dragon s'éloigne après avoir remis un papier à Montrichard; la comtesse et Léonie sortent en faisant des gestes à de Grignon.)


SCÈNE IX

MONTRICHARD, DE GRIGNON.


MONTRICHARD. Pauvre jeune homme!... heureusement son salut dépend encore de lui.

DE GRIGNON, à part. Je ne suis point à mon aise.

MONTRICHARD, à de Grignon. Approchez, monsieur.

DE GRIGNON. Vous désirez me parler, monsieur le baron?

MONTRICHARD, de même. Oui, monsieur, encore une fois avant le moment fatal.

DE GRIGNON, à part. Quel moment?

MONTRICHARD, lui montrant le papier que lui a remis le dragon. Vous avez reconnu que vous étiez monsieur Henri de Flavigneul?

DE GRIGNON, avec un soupir. Oui!

MONTRICHARD. Ex-officier au service de l'empereur.

DE GRIGNON. Oui!

MONTRICHARD. Et c'est bien vous qui avez signé cette déclaration?

DE GRIGNON, que la peur reprend. Oui!

MONTRICHARD. Il suffit: je n'ai pas besoin de vous dire, monsieur, que vous pouvez compter sur les égards, les prérogatives[182] dues à un brave.

DE GRIGNON. Des prérogatives?...

MONTRICHARD. Oui.... Si vous ne voulez pas qu'on vous bande les yeux, si même vous voulez commander le feu ... soyez sûr ...

DE GRIGNON. Commander le feu ... qu'est-ce que cela veut dire?

MONTRICHARD. Que malheureusement mes ordres sont formels. Vous avez été déjà jugé et condamné, l'arrêt est prononcé!... il ne me reste plus qu'à l'exécuter!... (Gravement.) Une heure après leur arrestation, tous les chefs doivent être fusillés sans délai et sans bruit.[183]

DE GRIGNON, hors de lui. Sans bruit!... oh! non pas!... j'en ferai du bruit ... moi!... on ne fusille pas ainsi les gens ... sans bruit est charmant!

MONTRICHARD. Écoutez-moi, monsieur!...

DE GRIGNON. Sans bruit!...

MONTRICHARD. Je dois ajouter, et c'est là l'objet de notre entrevue ... qu'il est un moyen de salut.

DE GRIGNON. Lequel?

MONTRICHARD. Mais peut-être ne voudrez-vous pas l'adopter.

DE GRIGNON. Et pourquoi donc ... et pourquoi pas, Monsieur.... (A part.) Sans bruit!...

MONTRICHARD. Il a été décidé qu'on accorderait leur grâce à tous ceux qui feraient des déclarations ... et si vous en avez quelqu'une à me confier ...

DE GRIGNON, vivement. Moi!... certainement ... et une très importante....

MONTRICHARD, avec joie. Est-il possible!

DE GRIGNON. Je vous en réponds, une qui est décisive et catégorique.

MONTRICHARD. C'est ...

DE GRIGNON. C'est ... que je ne suis pas ... (S'arrêtant.) Ciel! la comtesse ...


SCÈNE X

LES PRÉCÉDENTS, LA COMTESSE.


LA COMTESSE, entrant vivement par la droite et s'adressant à Montrichard. Eh bien! monsieur ... je suis d'une inquiétude....

MONTRICHARD. Rassurez-vous!... J'en étais sûr ... monsieur de Flavigneul, qui peut se sauver d'un mot ... est prêt à nous révéler ...

LA COMTESSE, avec effroi, se tournant vers de Grignon. Quoi?... qu'est-ce donc?... qu'avez-vous à révéler?

DE GRIGNON, vivement. Moi!... rien!... absolument rien!... (A part.) Quand elle est là, je n'ose plus avoir peur....

MONTRICHARD. Mais vous vouliez tout à l'heure me déclarer....

DE GRIGNON, fièrement. Que je n'avais rien à vous dire.

LA COMTESSE, lui serrant la main et à part. Bravo....

MONTRICHARD, à la comtesse. Mais dites-lui donc, madame, dites-lui vous-même, qu'il se perd de gaieté de coeur[184]....

LA COMTESSE, bas à Montrichard. Vous avez raison ... laissez-moi quelques instants avec lui ... et je le déciderai ... moi!...

DE GRIGNON, à part et le regardant. Quand je la regarde, il me semble que l'âme de ma mère rentre en moi!...

LA COMTESSE, à Montrichard, regardant de Grignon. Oui!... oui ... j'ai de l'ascendant sur son esprit, il ne me résistera pas....

MONTRICHARD. Soit ... mais hâtez-vous! je ne puis vous donner que jusqu'à l'arrivée du président de la cour prévôtale ... que nous attendons.

LA COMTESSE. Et pourquoi?

MONTRICHARD, à demi-voix. Dispensez-moi de vous le dire!

LA COMTESSE. Pourquoi?

MONTRICHARD, à voix basse. Sa présence est nécessaire, pour constater que le jugement a été bien et dûment....

LA COMTESSE, lui serrant la main. Silence!

MONTRICHARD. Vous comprenez?...

LA COMTESSE. Très bien!

MONTRICHARD, à de Grignon. Je vous laisse avec madame! elle aura sur vous, je l'espère, plus de pouvoir que moi. Écoutez la voix d'une amie.... (Montrichard sort par le fond, et l'on voit des dragons en sentinelle auxquels il donne des ordres.)


SCÈNE XI

LA COMTESSE, DE GRIGNON.


LA COMTESSE, à part, regardant de Grignon avec intérêt. Pauvre garçon!... cela m'a effrayée, comme si réellement[185]....

DE GRIGNON. Jamais ses yeux ne se sont portés sur moi avec autant d'amitié, et si ce n'étaient ces dragons qui sont là au fond.... (La comtesse s'approche de de Grignon, et l'entretien s'engage à voix basse.)

LA COMTESSE. Ah! merci, mon ami, merci!

DE GRIGNON. Vous êtes donc contente de moi?

LA COMTESSE. Oui, et je ne vous demande plus que quelques instants de courage et de fermeté.

DE GRIGNON. De la fermeté?... j'en ai, vous êtes là!... mais, ma foi, vous avez bien fait d'arriver.

LA COMTESSE. Vous vous impatientiez un peu?

DE GRIGNON. M'impatienter!... je mourais de.... (Avec abandon.) Écoutez, il faut que mon coeur s'ouvre devant vous ... le mensonge me pèse ... je ne suis pas ce que j'ai voulu paraître à vos yeux.

LA COMTESSE. Comment?

DE GRIGNON. Je ne suis pas un héros ... au contraire; quand je dis au contraire ... ce n'est pas tout à fait juste, car il y a une moitié de moi, une moitié courageuse qui ... je vous expliquerai cela plus tard ... tant y a-t-il que[186] quand monsieur de Montrichard m'a parlé d'être fusillé sans bruit ... dans une heure ... la peur m'a pris....

LA COMTESSE. On aurait peur à moins.

DE GRIGNON. Et j'ouvrais la bouche pour m'écrier: Je ne suis pas monsieur de Flavigneul. Mais vous êtes entrée, et soudain, à votre vue, j'ai eu honte de mes terreurs, j'ai senti que je pouvais faire de grandes choses, pourvu que vous fussiez là! Ainsi, rassurez-vous, je ne trahirai pas monsieur de Flavigneul; tout ce que je vous demande, c'est de ne pas m'abandonner ... soyez là quand le préfet reviendra ... soyez là quand on me signifiera ma sentence, soyez là quand.... Je suis capable de tout ... même de recevoir pour un autre dix balles au travers du corps, pourvu qu'en les recevant je vous entende dire ... je suis là!

LA COMTESSE, lui prenant la main. Brave garçon, car vous êtes brave, je vous connais mieux que vous-même; c'est votre imagination qui s'effraie ... ce n'est pas votre coeur.

DE GRIGNON. Bien, bien, parlez-moi ainsi!...

LA COMTESSE. Il ne vous manque qu'un bon danger qui vous saisisse à l'improviste.

DE GRIGNON. Eh bien! il me semble que j'ai ce qu'il me faut.[187]

SCÈNE XII

LES PRÉCÉDENTS, MONTRICHARD.


MONTRICHARD. Je ne puis attendre plus longtemps ... madame!... monsieur le président de la cour prévôtale....

LA COMTESSE. Vient d'arriver....

MONTRICHARD. Oui, madame!... il faut que monsieur de Flavigneul se décide à parler ... ou qu'il me suive!

DE GRIGNON, hardiment. Eh bien! je vous suis!

MONTRICHARD. Que dites-vous?

DE GRIGNON, avec exaltation. Mon parti est pris; le conseil de guerre, la cour prévôtale, le peloton ... le feu de file[188]....

LA COMTESSE, effrayée. Y pensez-vous?

DE GRIGNON, de même. Dix balles en pleine poitrine!... ça m'est égal!... une fois, que j'y suis, ça m'est égal.... (A la comtesse.) Je suis le fils de ma mère. (A Montrichard.) Partons, monsieur.

MONTRICHARD. Vous le voulez?... partons!

LA COMTESSE. Un instant ... un instant.

DE GRIGNON. Non, non, partons.

LA COMTESSE. Calmez-vous ... j'aurais d'abord une ou deux questions importantes à adresser à monsieur le baron.

MONTRICHARD. Des questions importantes?

LA COMTESSE. Oui! monsieur le baron. A quelle heure avez-vous arrêté votre prisonnier?...

MONTRICHARD. Il y a une heure à peu près ... mais je ne vois pas....

LA COMTESSE. Dites-moi, baron, vous avez dû beaucoup voyager dans votre département?...

MONTRICHARD. Sans doute, madame; mais, encore une fois....

LA COMTESSE. Alors, combien faut-il de temps pour aller d'ici à Mauléon sur un bon cheval?

MONTRICHARD. Trois petits quarts d'heure!... Mais quel rapport....

LA COMTESSE. Et de Mauléon à la frontière? toujours sur un bon cheval?

MONTRICHARD. Dix minutes, mais ...

LA COMTESSE. Trois quarts d'heure et dix minutes ... total cinquante-cinq minutes.

MONTRICHARD. Oh! c'est trop fort, partons!

LA COMTESSE. Mais attendez donc!... Quel homme!... j'ai encore une dernière question à vous faire. Monsieur le président de la cour prévôtale que vous attendiez, ne vous a-t-il pas été envoyé de Paris, et n'est-ce pas, si je ne me trompe, un ancien sénateur!...

MONTRICHARD. Monsieur le comte de Grignon!

DE GRIGNON, poussant un cri de joie. Mon oncle!... mon bon oncle!

MONTRICHARD, stupéfait. Votre oncle!

LA COMTESSE, froidement et lui faisant la révérence. Ici finissent mes questions, monsieur! je ne vous retiens plus vous pouvez conduire au président ... son neveu....

MONTRICHARD, interdit et regardant de Grignon avec effroi. Monsieur Henri de Flavigneul!

LA COMTESSE, riant. Fi donc!... un drame! une tragédie!... nous avons mieux que cela à vous offrir! une scène de famille.... (Montrant de Grignon.) Monsieur Gustave de Grignon, maître des requêtes ... que son oncle n'avait pas vu depuis longtemps; et c'est à vous, monsieur, qu'il devra ce plaisir!

MONTRICHARD, tout troublé. Quoi?... monsieur serait ... ou plutôt ne serait pas ... c'est impossible!... vous voulez encore me tromper, madame!

LA COMTESSE, riant. Vous pouvez vous en rapporter au président lui-même et à la voix du sang qui ne trompe jamais!...

MONTRICHARD. Et votre trouble ce matin quand j'ai fait arrêter monsieur.

LA COMTESSE. Mon trouble? ruse de guerre.

MONTRICHARD. Cette lettre que j'ai prise sur lui.

LA COMTESSE. C'est moi qui venais de la lui remettre.

MONTRICHARD. Vos larmes de douleur!

LA COMTESSE, riant. Est-ce que j'ai pleuré? Ah! pauvre baron, il ne faut pas m'en vouloir ... je vous avais promis de me moquer de vous ... et je ne me trompe jamais ... vous le savez?

DE GRIGNON. C'est du génie!

MONTRICHARD. Mais alors quel est donc ce coupable? car il était ici, j'en suis certain.

LA COMTESSE. Ah! voilà! qui est-ce? cherchez!

MONTRICHARD. Ciel! quel trait de lumière!... si c'était l'autre!

LA COMTESSE. Qui? l'autre? celui à qui vous avez donné un sauf-conduit; celui que vous avez essayé de séduire; celui pour lequel vous avez imploré ma clémence, ah! je le voudrais bien![189]

MONTRICHARD. C'est lui! ah! je ne suis pas encore vaincu ... et je cours....

LA COMTESSE. Sur ses traces?... inutile!... vous ne le rattraperez jamais!

MONTRICHARD. Vous croyez?

LA COMTESSE. Il a un trop bon cheval!

MONTRICHARD, avec colère. Ah!

DE GRIGNON, riant. Ah! ah! ah!

LA COMTESSE. Le cheval du préfet lui-même!... car vraiment vous avez pensé à tout, généreux ami, même à l'équiper!... et à le solder ... témoin ces vingt-cinq louis[190] que je suis chargée de vous rendre.... (Allant les prendre sur la table.) Car lui donner des honoraires pour vous tromper ... c'est trop fort!

MONTRICHARD. Ah! vous êtes un monstre infernal. Tant de duplicité, tant de sang-froid! Et moi qui ai écrit au maréchal.... Je tiens le chef! Ah! je me vengerai!


SCÈNE XIII

LES MÊMES, LÉONIE, entrant très agitée.


LÉONIE, à Montrichard. Monsieur le baron, voici une dépêche très pressée qui arrive de Lyon.... (Montrichard prend les dépêches, et Léonie s'approche vivement de la comtesse.)

MONTRICHARD. Du maréchal!

LÉONIE, bas. Ah! ma tante, quel malheur!

LA COMTESSE. Quoi donc?

LÉONIE. Il est revenu!

LA COMTESSE, bas. Qui?

LÉONIE, de même. Monsieur Henri!

LA COMTESSE, bas. Comment?

LÉONIE, bas et montrant un cabinet à droite. Il est là!...

LA COMTESSE, bas. Ciel!

MONTRICHARD, fait un geste de joie, puis après avoir lu la dépêche. Ah! Madame la comtesse!... à moi la revanche!

LA COMTESSE. Que voulez-vous dire?

MONTRICHARD. Vous triomphiez, tout à l'heure!... mais à la guerre la fortune est changeante, et malgré votre esprit et vos ruses, le sort de monsieur de Flavigneul est encore entre mes mains; oui, grâce à ces dépêches que m'envoie monsieur le maréchal, je puis forcer le fugitif, en quelque lieu qu'il[191] soit, à se remettre lui-même en mon pouvoir!

LA COMTESSE, avec trouble. Vous.... Comment?...

MONTRICHARD. C'est mon secret! A chacun son tour, madame la comtesse!... Je veux seulement avant mon départ, vous montrer que je sais me venger.... Monsieur de Grignon, je vais prévenir votre oncle pour qu'il vienne lui-même vous rendre à la liberté.... Au revoir, madame la comtesse! (Il sort.)


SCÈNE XIV

DE GRIGNON, LA COMTESSE, LÉONIE, puis HENRI.


LA COMTESSE. Que m'as-tu dit? Henri!

LÉONIE. Il est là.

HENRI, paraissant par la porte à droite. Me voici!

DE GRIGNON, qui est au fond. Lui!

LA COMTESSE. Malheureux! que venez-vous faire ici?

HENRI, vivement. Mon devoir!... Avez-vous pu croire que je laisserais un innocent périr à ma place?

LA COMTESSE. Périr!

HENRI. Le vieux garde qui accompagnait ma fuite m'a tout appris ... monsieur de Grignon s'est offert pour moi ... monsieur de Grignon a été arrêté pour moi!...

LA COMTESSE. Et monsieur de Grignon est libre! malheureux enfant! Tenez, qu'il vous le dise lui-même!...

HENRI, apercevant de Grignon et se jetant dans ses bras. Ah! monsieur, un tel dévouement ...

DE GRIGNON. Entre gens de coeur, ce n'est qu'un devoir.... (A part.) C'est étonnant ... je le pense![192]

LÉONIE. Et être revenu chercher le péril quand tout était dissipé ... conjuré ...

LA COMTESSE, avec énergie. Tout l'est encore!...

LÉONIE. Comment?

LA COMTESSE, à Henri. Le dernier lieu où l'on vous cherchera maintenant, c'est ici. Monsieur Montrichard va partir.... (A de Grignon.) Vous, en sentinelle[193] pour guetter son départ.

DE GRIGNON. J'y cours.

LA COMTESSE, à Henri. Vous ... dans ce cabinet.

HENRI. Mais ...

LA COMTESSE. Oh! je le veux!... et dans quelques instants plus de danger.... (Henri sort.)


SCÈNE XV

LA COMTESSE, LÉONIE.


LA COMTESSE, à Léonie. Oui, oui, tu peux partager maintenant ma sécurité et ma joie.... (Voyant qu'elle se détourne pour essuyer ses yeux.) Eh! mon dieu! d'où viennent tes larmes?

LÉONIE. Je ne pleure pas, ma tante, je ne pleure plus.... (Sanglotant.) Je suis heureuse ... il est sauvé!... mais en même temps, je suis au désespoir ... car tout à l'heure, quand il est revenu si imprudemment ... quand je l'ai caché dans ce cabinet, où je tremblais pour lui ... (Pleurant toujours.) il m'a dit ...

LA COMTESSE, vivement. Quoi donc?

LÉONIE, de même. Est-ce que je sais? est-ce que je puis me rappeler? Tout ce que j'ai compris ... c'est que tout était fini pour moi!

LA COMTESSE, à part avec tristesse. J'entends.

LÉONIE. Que nous ne pouvions jamais être l'un à l'autre ...

LA COMTESSE, de même et à part. C'est juste!... il fallait bien le lui dire!... (Prenant la main de Léonie.) Pauvre enfant!... et tu lui en veux[194] ... tu le détestes?

LÉONIE. Oh! non!... mais j'en mourrai!

LA COMTESSE, cherchant à la consoler. Léonie ... Léonie ... il faut de la raison!... car si, par exemple ... il était lié à une autre personne ...

LÉONIE, vivement. Justement!... c'est ce qu'il m'a dit! lié à jamais!

LA COMTESSE, vivement. Et il t'a nommé cette personne?

LÉONIE. Non!... il ne l'a jamais voulu! mais vous, ma tante, est-ce que vous la connaissez?

LA COMTESSE. Je crois que oui!

LÉONIE. En vérité?... savez-vous si elle l'aime beaucoup.

LA COMTESSE, avec force. Oui!...

LÉONIE. Et elle est aimable ... elle est jolie?

LA COMTESSE. Moins que toi, sans doute....

LÉONIE. Eh bien! alors?...

LA COMTESSE. Que veux-tu, mon enfant, on ne raisonne pas avec son coeur ... et, quelle qu'elle soit, s'il la préfère ... si elle est aimée ...

LÉONIE. Mais pas du tout! c'est moi qu'il aime!

LA COMTESSE. O ciel!

LÉONIE. C'est moi! il me l'a avoué ... mais il est lié à elle par le respect, par l'amitié, que sais-je! par la reconnaissance ...

LA COMTESSE, vivement. La reconnaissance ... ah!

LÉONIE. Lié surtout par une promesse[195] qu'il lui a faite ... et qu'il tiendra même au prix de son sang! Voilà qui est absurde! dites-le-lui, ma tante, vous seule pouvez le décider!

HENRI, qui depuis quelques instants écoutait et a cherché en vain à se contenir, s'élance de la porte à droite. Taisez-vous! taisez-vous!

LA COMTESSE. Ciel!

LÉONIE, à Henri. Rentrez, rentrez, de grâce![196] Si monsieur de Montrichard arrivait ...

HENRI. Que m'importe!... j'aime mieux mourir!

LA COMTESSE. Mourir plutôt que de manquer à votre promesse?... c'est bien, Henri!

LÉONIE. Mais, ma tante.

LA COMTESSE. Laisse-moi lui parler. (Bas à Henri.) Je vous dois ma vie, disposez-en, m'avez-vous dit ... (Léonie s'éloigne de quelques pas.)

HENRI. Qu'exigez-vous?

LA COMTESSE. La seule chose que j'aie désirée, rêvée, poursuivie ... votre bonheur!

HENRI. Ciel!

LA COMTESSE, elle fait signe à Léonie de s'approcher; elle lui prend la main, et la met dans celle de Henri. Henri ... voici celle qu'il faut choisir.

HENRI. Ah! mon amie ... mon amie!

LÉONIE. Ah! j'étais bien sûre que je vous le devrais![197] (Elle se jette à ses genoux.)

DE GRIGNON, rentrant vivement par la porte à gauche. Eh bien! qu'est-ce vous faites donc là? voici monsieur de Montrichard!

TOUS. Monsieur de Montrichard!

LÉONIE, à Henri. Oh! rentrez! rentrez!

DE GRIGNON. Il monte par cet escalier ... le voici!

LÉONIE, à part. Il n'est plus temps!... (Henri qui est près du canapé à droite, s'y asseoit vivement, les deux femmes se tiennent debout devant lui, cherchant à le cacher par leurs jupes.[198])


SCÈNE XVI

LES PRÉCÉDENTS, MONTRICHARD.


MONTRICHARD, entrant par la porte à gauche. Je viens vous faire mes adieux, madame la comtesse....

LÉONIE, avec joie. Ah!

MONTRICHARD. Mais, avant de partir, je tiens à vous prouver que je ne me vantais pas en disant que cette dépêche pouvait ramener en mon pouvoir de Flavigneul.

LÉONIE, à part. Je tremble!

LA COMTESSE, à part. Que veut-il dire?

MONTRICHARD. Cette dépêche est l'ordonnance que je sollicitais depuis si longtemps, l'ordonnance d'amnistie![199]

TOUS, poussant un cri de joie. L'amnistie!

LA COMTESSE et LÉONIE, s'écartant du canapé où est assis Henri. Il peut donc se montrer ...

HENRI, se levant. Ah! monsieur!

MONTRICHARD, avec un air de triomphe. Ah! j'étais bien sûr que je le ferais reparaître.

LÉONIE. Ciel!

DE GRIGNON. C'était un piège; nous y avons donné.[200] ... (Tous restent immobiles de terreur. Montrichard s'avance au bord du théâtre et sourit à lui-même avec un air de satisfaction. La comtesse s'approche doucement de lui, le regarde, saisit ce sourire et fait un geste de joie qu'elle réprime aussitôt.)

MONTRICHARD. Monsieur Henri de Flavigneul ... au nom du roi et de la loi, je vous déclare ...

LA COMTESSE, s'avançant et riant. Je vous déclare libre et gracié ...

TOUS. Comment?

LA COMTESSE, gaiement. Eh! sans doute! ne voyez-vous pas que monsieur de Montrichard veut prendre sa revanche, et qu'il joue là une scène de terreur à mon usage.

LÉONIE. Il serait vrai!

LA COMTESSE, prenant un papier des mains de Montrichard. Tenez!... lisez!... Ordonnance d'amnistie ...

MONTRICHARD. Maudite femme! On ne peut pas plus la tromper en bien qu'en mal.

LÉONIE, à la comtesse. Et maintenant, tous trois réunis!

LA COMTESSE. Oui, ma fille!... mais plus tard ... car aujourd'hui je dois partir!

LÉONIE. Partir!

DE GRIGNON. Vous partez? eh bien! je pars aussi! Oh! vous avez beau[201] dire: je pars! je vous suis! Rien ne m'arrête! je vous suis jusqu'au bout du monde! et, chemin faisant,[202] j'accomplirai devant vous de si belles choses, que vous finirez par vous dire: Voilà un pauvre garçon dont j'ai fait un héros ... faisons-en un homme heureux!

LA COMTESSE. Ne parlons pas de cela[203]!... (Passant près de Montrichard.) Eh bien! baron?

MONTRICHARD. J'ai perdu ... madame la comtesse. Je suis vaincu.

LA COMTESSE, avec émotion. Vous n'êtes pas le seul! (Affectant la gaieté.) Que voulez-vous, baron? pour gagner, il ne suffit pas de bien jouer!

MONTRICHARD. Il faut avoir pour soi les as et les rois.[204]

LA COMTESSE, à part, regardant Henri. Le roi surtout!... dans les batailles de dames!


NOTES

Bataille de Dames, adapted by Charles Reade to the English stage as "The Ladies' Battle," might signify also "a game of checkers," and "a battle of the queens" at cards, to which there is an allusion in the closing speech of the play.

Page 1.

salon d'été, summer parlor, which of course implies a mansion of some elegance.

plan. French playwrights divide the stage into three or four lateral divisions called plans, and corresponding to similarly designated side-scenes, or pans coupés, between which are passages called coulisses; but those speaking from the coulisses, or addressing persons supposed to be in or behind them, are said to speak à la cantonade. The rear of the stage is called fond, and to this actors are said to remonter while they descendre toward the premier plan, nearest the footlights. These are all the stage terms used in this play that present any difficulty.


ACT I. SCENE 1.

madame. French and German usage requires that a title of courtesy be prefixed to designations of adult relatives of the person addressed, as, e.g., madame votre mère, monsieur votre frère, mademoiselle votre soeur; but Charles, as valet, should have said, madame la comtesse alone. The reader should note that from the first his speeches show a refinement which to Léonie seems a surprising presumption. The disguised noble is too courteous to act a menial part successfully.

Page 2.

The letter begins with allusion to the troubles at Lyons, in the environs of which the action is placed. This is the chief city on the Rhône, and was in 1817 the centre of a region seething with political intrigue against the recently restored Bourbon monarchy. That summer a rising had been sternly suppressed, and twenty-eight persons executed by General Canuel, who was recalled in the autumn (cp. p.14 and p.12); but there is no accuracy in details. The last lines of the letter allude to the dissatisfaction of the royalists, who had passed their youth in exile, with the studious moderation and cautious prudence of the new king, who gradually fell under the influence of clerical reactionaries, while many nobles would have preferred a return to the gallant fêtes of the ancien régime.

Ah bien oui! Indeed I would, but nowadays one has no time, etc.

née Kermadio, born a Kermadio, and so, as this name implies to a French ear, a Breton noble, and therefore almost certainly an extreme royalist, and so least likely to be suspected of sheltering a Bonapartist conspirator.

timbrée, post-marked.—pleine Vendée, in the heart of Vendée, in Poitou, noted for the fierce civil war between the French Republic and the local royalists (March-December, 1793), and the scene of frequent royalist outbreaks for many years after.

maître des requêtes, referendary, a minor officer of the Council of State.

avec humeur, out of temper, irritated.

Page 3.

Talleyrand (1754-1838), a politician whose skill in unprincipled intrigue made him a power under every form of government, from the States-General that inaugurated the First Revolution until his death. Many epigrams like this testify to his cynicism, which anticipated remarkably the modern blague, as we find it, for instance, in "Le Gendre de monsieur Poirier."


ACT I. SCENE 2

See preceding note and, for historical details, any biographical dictionary.

The use of the imperfect subjunctive is far more restricted in French conversation than our school grammars would imply. Persons of little education hardly use it at all, and persons of refined culture avoid its ill-sounding forms; while even such classical authors as Voltaire sometimes substitute the present for it. Cp. my note to "Le Gendre de monsieur Poirier," p.29, note 2.


ACT I. SCENE 3.

Page 13.


se donner de l'importance, put on airs. She affects to attribute Charles's manner to the democratic tendencies of the age.

tout à l'heure, by and by, but also "just now."

courrier, mail, here.

Page 5.

coup de tête, piece of rashness.

Mon dieu. Wherever Dieu carries any suggestion of deity, it will be printed with a capital. Where, as here, it corresponds to "Dear me," "Oh dear," and the like, I have thought it more reverent to print with d.

Page 6.

de qui tenir, a parent from whom to inherit it.

manqué chavirer (capsize), for the more usual manqué de chavirer.

fête, not "birthday" as with us, but baptismal day, or day of her patron saint.

vous ira, will become you.

Page 7.

vous, on you. A colloquial use.

à vous toute seule, i.e., without the rejuvenating effect of my company. For the feminine ending of the adverb toute see any grammar.

I have no skill in that. Ingenuously.

One really cannot be more considerate, pas is emphatic.

Page 8.

petite marquise! you little aristocrat!

s'il est gai, isn't he light-hearted? or, how light-hearted he is!

Cimarosa (1740-1801), Italian composer, noted for the graceful charm of his vocal music, especially in light opera.

Page 9.

bien né, of noble birth, of aristocratic breeding.

bien de sa personne, pleasing in his appearance.

bonne compagnie, good breeding, good society.

me mettent hors de moi, exasperate me.

nous déconsidère, is humiliating or derogatory to us.


ACT I. SCENE 4.

Page 10.

Léonie, by thus endeavoring to shield Charles from blame, betrays the dawning of her love.

Du tout, Not at all.

Page 11.

Léonie naïvely mistakes her anger with herself for loving Charles for anger with Charles. This is a true and charming bit of feminine psychology.


ACT I. SCENE 5.

méchant enfant, you naughty boy. Affectionately reproachful.

Page 12.

il. She uses the third person singular, as one might in affectionately reproving a child.

il s'agit de vos jours, your life is at stake.

Consulat and Empire, governments of France from 1799 to 1804, and from 1804 to 1814, and for some months in 1815.

n'en pensent mais, equivalent to n'en peuvent mais, can't help it, or, have nothing to do with it. This use of mais (Latin magis) is colloquial.

en verve, on his mettle.

Page 13.

crieurs des rues, newsmongers, men corresponding somewhat to our newsboys.

soeur. Cp. p.11.

Page 14.

A la bonne heure! Well done, here, but with very varied shades of meaning, that must be caught always from the context.

The campaign of 1812-1813 is meant. Its chief events were the burning of Moscow (October, 1812), Napoleon's very disastrous retreat thence, and the defeat of the French at Leipzig in October, 1813.

voiture de place, public cab.

Lambert. Curiously enough, the three Lamberts known to the history of this time were all émigrés, and one of them a Russian general during the invasion of France. The name is therefore somewhat unfortunately chosen.

Page 15.

décoration, i.e., the Cross of the Legion of Honor, founded by Napoleon I., and since always regarded as the highest of such distinctions in France. The cross is not usually worn, but in its place a bit of red ribbon in the buttonhole.

n'y serais plus, i.e., should have been already shot.


ACT I. SCENE 6.

bien, properly dressed, "all right." Cp. p. 9, note 31.

cravate, neck-band. Part of her riding-habit.


ACT I. SCENE 7.

Page 16.

il le croit, he really thinks so, while in fact he would be frightened.

Ah! çà, Come now. Often the phrase indicates impatience or surprise. For instance, p.45.

Bucéphale, Bucephalus, famous horse of Alexander the Great.


ACT I. SCENE 9.

Page 17.

par état, by my profession as maître des requêtes.

tiens de, take after, or inherit from.

Page 18.

pointe, like fougueux and enfourcher below, is in this sense (dawns, rises) rhetorical and poetic.

emporté, carried the day.

provoquer, i.e., to a duel such as became almost epidemic in France in the years that followed Waterloo (1815).


ACT I. SCENE 10.

Page 19.

J'aime autant, I'd just as lief. Contrast this timidity with the assumed boldness of the close.


ACT I. SCENE 11.

Page 20.

en voulais, were angry with. Cp. p.22; p.26; p.57.

Page 21.

flacon, vinaigrette, bottle of smelling-salts.

évanouie. This fainting combined with feminine tact the advantages of consciousness and unconsciousness.

inquiétude, because she sees already a prospective rival in her love.

Page 22.

avec abandon, yielding to her emotion.

quinze jours, fortnight. Cp. huit jours, "week."

m'en voulez, are displeased with me, "lay it up against me." Cp. p.20, note 64.

toi. Except when used of deity tu, te and toi imply endearment or condescension, as, e.g., to servants, children, animals, etc. The change from toi to vous would therefore imply a coolness between the aunt and niece.

Page 23.

Va-t'en, Leave me, Let me be alone.

A la bonne heure, Well, expressing surprise and relief that the countess has dismissed her with a kiss.


ACT I. SCENE 12.

Page 24.

servons-nous-en, I'll put it to the proof. Since the French have no first person singular imperative, they are forced to use either the plural, as here, or the subjunctive.


ACT I. SCENE 13.

Page 25.

mon dieu, heavens! He is frightened at his own courage. When dieu contains no thought of deity, I consider it more reverent to use d. French usage varies. Cp. p.5, note 17.

Page 26.

avec joie at the thought that she is still beautiful enough to be loved by a young man, and so possibly by Henri. De Grignon naturally misinterprets it.

dussiez-vous, even though you should. The imperfect subjunctive, being avoided (See p.3, note 12), has, when used, a peculiar emphasis.

Bal champêtre, Rural dancing party, or festival, at which the masters may mingle with their servants and retainers.

Page 27.

nous jugera, i.e., judge between us.

Et moi donc, equivalent to, And think how I must feel.


ACT II. SCENE 1.

maréchal des logis de dragons, sergeant of dragoons.

Page 28.

préfet, prefect, governor of a department, appointed by the central authority. There are now in France 87 departments, divided into 362 arrondissements and some 36,000 communes.

parfaite, very courteous or kind.

bien en cour, a favorite at court.

fermes, homesteads, tenantries.

Page 29.

demi-lieue. As now used the lieue is colloquially 4 kilometres, or 2-1/2 miles. The old lieue was of 4,444 metres, or not quite 3 miles, and there is also a lieue marine of 5,555 metres, or 3 nautical miles. Say: hardly a mile and a half.

Si, Of course, or Certainly, here.

Page 30.

quel bonheur, how fortunate, i.e., for me.

Page 31.

brigadier, sergeant.—exprès, messenger.

tiens à, desire to.

Page 32.

n'assistiez seulement pas, were not even present.

duo, duet. Italian.

Page 33.

brava, good. Feminine of the Italian bravo. This grammatical accuracy shows good breeding.

Page 34.

cadette, younger. Properly of sisters, but see dictionary.

original, curious, queer, "peculiar." Distinguish from originel, "original."

cantabile (sound the e-final), piece of vocal music. Italian.

Page 35.

incultes, uncultivated in musical matters.

gauche, embarrassed, rather than "awkward."

tenait de, had a sort of.

Page 36.

arbre fortuné, i.e., the orange-tree.

ses yeux ... à lui, his eyes—you know whom I mean.

Page 37.

effacées, drawn back and down so as to set off the corsage.

Que trop, Only too charming.

Page 38.

dépare. Note the play on parer, and compare the English saying: Beauty when unadorned is most adorned.

rester court, stop short from embarrassment.

J'y suis, I have it, i.e., know what I will do.


ACT II. SCENE 4.

Page 39.

traversent, cross over. A figure in the quadrille.


ACT II. SCENE 6.

Page 40.

à en être, have a part in it.

Toujours du roman, You are always a little romantic in your ideas.

Page 41.

m'en défendre, help it.

Qu' ... belle, How beautiful. Though this use of que is very common, it often puzzles beginners.

vienne la sentence, let the sentence come. Optative.

madrigaux, pretty speeches; properly "madrigals," or love-songs, in the artificial pastoral manner. Originally a form of musical composition.

Page 42.

désintéressement, unselfish devotion. This speech is a good example of what the French call blague,—a sort of light-hearted mockery of moral ideals. See my note to "Le Gendre de monsieur Poirier," p. 5, note 7.

Page 43.

original, queer, "a strange coincidence." Not "original" (originel), Cp. p. 34, note 95.


ACT II. SCENE 8.

Que de, How many.—à, i.e., I ought to.—me valoir, gain for me.

de plus longue date, for longer, since a longer time.

à titre d', because you were an, here.

Page 44.

The countess says that she will place him under such obligations as to make any adequate return difficult, but she means to convey to the audience the malicious implication that she will make it hard (difficile) for him to feel any gratitude to her at all.

Sa Majesté, i.e., Louis XVIII. Note the gender.

Page 45.

c'en est fait, it's all over with that.

Horace, Horatius, the hero of Corneille's tragedy Horace, one of three brothers who fought for Rome against the Alban brothers Curiatii, who were their relatives by marriage. In speaking to his brother-in-law of the approaching fight Horace uses the words (Act II., Scene 3):

Albe vous a nommé, je ne vous connais plus,

a verse which is here parodied. For the story of the Horatii, see any classical dictionary.

un peu long because its former half has, when pronounced according to the rules of French prosody, seven syllables, while an alexandrine hemistich should have but six, as this will have if bonapartiste is spoken without the final e.

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