Caprices d'un Bibliophile
LE BIBLIOPHILE AUX CHAMPS
Je ne voyage sans livres, ny en paix,
ny en guerre.
Montaigne.
O Rus! quando ego te aspiciam! s'exclamait le vieil Horace avec des perspectives de calme et de repos.—O ubi campi! modulait Virgile, regrettant la tranquillité des champs, les riantes collines, les ruisseaux jaseurs et les forêts hautaines.—O campagnes! lointains paysages, hameaux et prairies, sombres taillis et larges futaies, quand pourrai-je vous retrouver! soupire de même le pauvre Bibliophile des villes, qui, après les démarches bouquinières, les luttes, les recherches patientes de l'hiver, voit renaître les idylles en son cœur et veut enfin lire dans l'inimitable livre de la nature (si parva licet componere magnis). Livre à grandes marges, divinement relié d'azur par le céleste ouvrier de l'Univers.
«Les livres voyagent avec nous, dit Janin: ils nous suivent à la ville, à la campagne; on emporte son livre au fond des bois, on le retrouve au coin du feu».—Le Bibliophile sait cela, et, avant de quitter son nid d'hiver, il se prépare à varier par de douces lectures les longs farniente et les molles langueurs de sa villégiature. La valise est prête.—Il passe en revue sa Bibliothèque, lentement, minutieusement, amoureusement; il inspecte avec des regards tendres et charmés, ses Juntes, ses Dollet, ses Vascosan, ses Gryphes, ses Turnèbe, ses Plantin, ses Baskerville et ses Elzéviers; il considère, avec une Bibliognostique passionnée, ses volumes aux armes de M. de Baluze, du Cardinal Dubois, du Maréchal d'Estrées ou du Comte de Hoÿm.—Que de bons et sincères amis il va falloir abandonner là, bien emmaillottés, bien préservés du fléau des insectes, des mites et des larves, bien en dehors de tout contact humide!—Le Bibliophile a le cœur serré, il ne peut détacher ses yeux de tant d'œuvres chéries qui lui rappellent tous les heureux instants de l'intimité, et aussi, les joies poignantes de la trouvaille.—Il faut cependant partir, et faire un tri avec discernement.
Ici, ce Ronsard l'attire, puis, tout près, ce Rémy-Belleau, et plus loin, le marquis de Racan, ce poëte des gentes pastourelles; voilà trois grands chantres de la nature qu'il fera bon de relire à l'ombre d'un bosquet ou sous la verte feuillée d'un bois peuplé de rossignols.—Prendrai-je Madame Deshoulières? se demande-t-il avec inquiétude; choisirai-je Delille et ses Jardins, Jean-Jacques et sa Botanique, le sage Lucrèce, le divin Horace, le délicat Tibulle ou l'amoureux Jean Second? Dois-je emporter les Fabulistes, les Mythologues et environner ma solitude de Faunes et de Nymphes, de Satyres, de Dryades et d'Hamadryades, charmantes Divinités, que mon esprit subjugué verra se jouer entre les arbrisseaux?—Eh! voici, bien à propos, les Lettres à Emilie sur la Mythologie, par Demoustier.... Mais, l'édition est si jolie, si merveilleusement reliée, que je craindrais... de tels livres ne voyagent pas, leur propre splendeur les attache au rivage.
Le Bibliophile est très perplexe;—choisir parmi ceux qu'on aime n'est pas chose aisée. Ah! que n'a-t-il acheté jadis cette mignonne Bibliothèque portative du voyageur, si intelligemment publiée par T. Desoër, commencée vers l'an XI par J.-B. Fournier.—Quelle aimable Bibliothèque de campagne, que cette collection de volumes in-32 qui commence à La Fontaine pour finir au Cardinal de Bernis!—Heureusement, Cazin vient au secours du Bibliophile voyageur. Il vient, muni de l'Arioste, d'Amyot, d'Anacréon, de Boccace, de Bussy-Rabutin, de Cubières, de Dorat, de Fontenelle, de Boufflers, de Galland, de La Fare, de Marguerite de Navarre, de Marivaux, Marmontel, Piron, Sterne et Rabelais. On peut, certes, avec de tels maîtres, se déclarer satisfait.
Mais parmi les modernes, sur quels auteurs fixer son choix? On sait Musset par cœur; Hugo est trop Titanique et ferait payer de l'excédent, Balzac peut être abandonné au même titre; il faut donc des peintres de genre—ut pictura poesis,—François Coppée, Josephin Soulary, André Lemoyne et Albert Mérat. Et puis encore?—le Bibliophile pense, et avec juste raison, qu'on doit laisser dans leur rigidité ces pauvres grands classiques trop froids pour être lus en plein air, et prendre quelques romans—pour ce, il s'appuie sur le raisonnement de S. Mercier:—«Voyez ce qu'on lit à la campagne, dit l'auteur du Tableau de Paris; reviendra-t-on sur une éternelle tragédie de Racine? Non; il faudra se plonger dans les compositions vastes et intéressantes, dans les romans anglois, dans les romans de l'Abbé Prévôt, dans ceux de l'admirable Restif de la Bretonne... on cherche alors un horizon littéraire, étendu, vaste comme l'horizon qui nous environne; on a recours aux romans de chevalerie plutôt que de se dessécher l'esprit et l'imagination dans une maigre épître de Boileau ou dans ces ouvrages arides et contournés que le Sanhédrin littéraire[2] vante tout seul et que le reste de la France dédaigne;—on demande des faits, de l'action, du mouvement; on aime à suivre tous ces caractères mélangés.»
Le Bibliophile choisit donc Hoffmann et Edgard Poë, Théophile Gautier et Gérard de Nerval, Mérimée et Stendhal, et aussi quelques volumes du spirituel Monselet, ne serait-ce que l'Almanach des Gourmands, un livre qui joint les délices de l'esprit à ceux de l'estomac, et auquel l'air vif et les longues promenades ne portent pas préjudice... au contraire.
Fier de cette petite Bibliothèque, le voyageur va pour partir, mais il jette de nouveau un coup d'œil attendri sur les intimes qu'il laisse derrière lui; il dit un dernier adieu aux Moralistes, aux Tragiques, aux Critiques, aux bons gros Dictionnaires si souvent feuilletés, aux Historiens, aux Rhéteurs, aux Philosophes, aux Pères de l'Eglise, à tous ces génies qui se serrent le coude avec l'étonnant esprit de corps de l'immortalité.
Notre Amateur, s'il n'a pas de villa, cherche un coin silencieux, une chaumière où mettre les amis qu'il emporte; ce qu'il lui faudrait, à lui, le raffiné, ce serait un vetuste castel gothique pour goûter toute la saveur de ses préférés des XVe et XVIe siècles. Il trouve que le décor a quelque chose de la reliure bien conservée et il lui semble, que, dans un jardin dessiné par Le-Nôtre, il dégusterait mieux ses Lettres de Madame de Sévigné ou la poésie rectiligne de Despréaux;—on a vu des Bibliophiles qui n'auraient pu se pâmer aux finesses de Parny ou de Grécourt sans le milieu pastoral du Petit Trianon, et d'autres, entreprendre un voyage d'Italie afin de lire Casanova ou Carlo Gozzi, nonchalamment couchés dans une gondole vénitienne en vue de La Piazzetta.
Avant que de s'enfoncer dans l'oasis qu'il rêve, le Bibliophile passe dans quelques villes de province où il fouille, remue, bouleverse les rayons des petits libraires; mais il trouve peu et les occasions sont chauves.—Souvent même, ô stupéfaction! la mine simple et benoîte du dépositaire de MM. les éditeurs, cache une astuce, une méfiance dont on n'aurait su se douter, et, lorsqu'on croit acheter certains volumes de cabinet de lecture, des Renduel, des Gosselin ou des Poulet-Malassis dans des conditions honnêtes, on voit le petit Papetier-Libraire se redresser de toute la hauteur de ses connaissances, et se mettre à citer les prix fantastiques des grands Bibliopoles parisiens, ainsi qu'un collégien qui fait étalage d'érudition.—Règle générale, en province, où l'on croit rencontrer ou plutôt déterrer tant de choses merveilleuses, on ne trouve que des prétentions boursouflées et des prix le plus souvent excessifs.
Une fois dans son nid de verdure, quelle joie! quelle jeunesse! quel enthousiasme! Ce ne sont pour commencer que de longues promenades à travers prés, avec un ou plusieurs Cazins en poche; le trop plein de vie semble déborder notre urbain; il boit l'air champêtre à se rompre les poumons, et, ce n'est que fatigué, mais non repu, qu'il vient s'étendre sur la mousse épaisse, pour lire avec ravissement les bavardages, les superbes descriptions et l'esprit à foison des chers auteurs qui l'accompagnent.
Lit-il Aline, reine de Golconde, ce conte ravissant de Boufflers? il ne sait si c'est fiction ou réalité; une meunière aux coquets retroussis de jupe vient-elle à passer? aussitôt son imagination voit Aline;—lit-il le Paradis perdu? il croit le retrouver.
Et le soir des jours de pluie, devant un grand feu clair et gai de bourrées qui pétillent, les jambes allongées, muni de la pipe familière, le ventre à l'aise, l'esprit quiet, avec quelle bonne humeur il comprend la large gaieté gauloise de Maistre Rabelais ou de Béroalde de Verville;—ajoutons à cela, une femme qui travaille et des enfants qui dorment: tout le bonheur de la vie n'est-il pas là?
Mais, malheureusement, nous ne pouvons pas dire: ab uno disce omnes,—pour un Bibliophile sage et modeste, qui vit ainsi retiré loin du monde au tumulte odieux, que de Bibliophiles qui boivent aux champs l'onde perfide du Léthé!—la chasse, la pêche, les courses à cheval, les exercices qui rompent les membres, s'accommodent peu de la lecture et font négliger les livres;—nous en connaissons plus d'un, qui, parti avec des caisses de volumes, est retourné dans ses pénates hivernales sans les avoir même déballées.
Ces derniers ne sont pas sincèrement Bibliophiles, ce sont des Bibliophiles ab hoc et ab hac.
L'amour des Livres ne fait pas prime dans leur cœur; ils ne se servent de la lecture que comme d'une flèche qu'ils décochent à l'ennui, le livre est un rayon de soleil pour eux dans les jours de tristesse; lorsque la gaieté les accapare, ils abandonnent avec ingratitude ces amis des temps néfastes.
LES PROJETS
D'HONORÉ DE BALZAC
Les idées sont des fonds qui ne portent
intérêt qu'entre les mains du talent.
Rivarol.
Lorsqu'un colosse aussi puissant que Balzac vient à tomber, vaincu par un travail opiniâtre et les terribles secousses d'un cœur battant sans cesse d'une épaule à l'autre, toute une génération littéraire s'approche, timidement d'abord, effarée et curieuse, munie de la lorgnette, du microscope et du scalpel.—La poule aux œufs d'or est morte; chacun regarde son plumage, se remémore les prodiges pondus; c'est à qui sera le premier à lui ouvrir le ventre, et, selon le mot des enfants, à y chercher la petite bête.—Las de filer ses feuilletons aux pieds de ses créanciers, ayant encore aux lèvres l'amertume des luttes soutenues, le vaillant Hercule a succombé, laissant un vide immense dans la littérature militante.—Balzac est mort. Vive Balzac!—La place est aussitôt occupée par les biographes, ces agioteurs du souvenir; l'homme n'est plus, que déjà le héros survit et prête à la légende.
Aux biographies particulières de Honoré de Balzac, ont succédé les portraits intimes et les croquis sans façons, à bâtons rompus, du romancier en pantoufles; il n'est pas de littérateur contemporain dont on ait mieux et plus souvent commenté l'œuvre et la vie,—après Madame de Surville, la sœur dévouée, l'Alma Soror, apportant un pieux hommage à la mémoire de son frère, deux amis du Home, deux familiers des heureux jours, Th. Gautier et Léon Gozlan se mirent à tisonner la braise encore chaude des Jardies,—Lamartine, lyrique contemplateur, étudia l'homme et ses œuvres; Champfleury, tout en essayant les souliers du géant (errare humanum), donna la note de son admiration; Armand Baschet glana dans le sillon ouvert, et il n'y eut pas jusqu'à Werdet, le libraire éditeur, qui ne voulut, dans un style d'exquise bonhomie et d'après ses souvenirs de boutiquier, juger la vie, l'humeur et le caractère de son génial auteur.
Tant de biographies toisent Balzac du haut en bas, le tournent et le retournent, inventorient son passé, pourtraicturent sa grande figure, largement et minutieusement à la fois, le présentent dans les grands côtés de la vie publique et les petits côtés de l'intimité; réservent peu de place enfin, à de nouvelles investigations.—La correspondance qui fut publiée en dernier lieu, livre le Tourangeau à nu et couronne la série biographique, en laissant lumineusement apercevoir Balzac dans le déboutonné de son talent, à la bonne franquette de sa gaieté Rabelaisienne, de ses projets, de ses efforts, de sa tristesse et de ses larmes.
La Bibliographie, comme prise de couardise devant sa gigantesque production, est demeurée hésitante et muette jusqu'alors.—Une Bibliographie de Balzac serait cependant un ouvrage aussi utile que remarquable[3]; se trouvera-t-il quelqu'un pour l'entreprendre?—Quoiqu'il en soit, il nous a paru intéressant de grouper dans une étude courte et succincte de curieux et de catalogographe, plutôt que d'érudit les projets littéraires éclos dans le cerveau du plus grand manieur d'idées de notre époque.
Balzac seul, eût pu connaître et décrire les innombrables et étranges idées qui se sont produites et développées sous son crâne effervescent; notre rôle se bornera à noter les conceptions qu'il arrêtait sous un titre quelconque dans un but de Bibliopée.
A peine installé dans sa mansarde de la rue Lesdiguières, avec la Gloire pour maîtresse et Lui-Même pour domestique, le jeune Honoré se rompt les poignets dans des compositions qui n'ont jamais vu le jour.—C'est d'abord Coqsigrue, un roman qui le hante pendant de longues semaines et qu'il abandonne pour le mieux mûrir et ruminer; puis, c'est un Opéra Comique (?) auquel il renonce, faute de compositeur, mais aussi, pour ne pas sacrifier au goût actuel et s'adonner au grand Genre, à la manière des Racine et des Corneille, à son fameux Cromwell enfin, dont il résume le plan détaillé dans une lettre à sa sœur Laure (1820).—Pour se délasser des fatigues que lui procure sa Tragédie, le Débutant Croquignole, selon son mot. Un Petit Roman dans le Genre Antique, fait mot à mot, pensée à pensée, avec toute la gravité qu'une telle chose comporte.
Ces quelques projets occupent toute la première étape littéraire de Balzac; plus tard, en 1830, il parle avec enthousiasme d'une vaste entreprise, ce sont Les Trois Cardinaux, œuvre dans laquelle il eût voulu mettre en scène, le Père Joseph, dit l'Eminence grise, Mazarin et Dubois—à la même époque il prépare des Romans et des articles de Revue qui ne furent jamais achevés et peut-être jamais commencés, en voici les titres: Un Article sur le Serment,—Les Causeries du Soir (volume de nouvelles) Le Maudit (article ébauché pour la Revue de Buloz), Les Amours d'une Laide,—Le Marquis de Carabas, et, principalement La Bataille d'Austerlitz, dont Balzac parle fréquemment comme devant faire partie des Scènes de la Vie Militaire.
De 1833 à 1850, l'auteur du Père Goriot, fait plus de besogne que de projets; nous devons néanmoins citer comme tels: 20 pages sur le Salon de 1833,—Le Privilége, roman qui devait suivre Le Curé de Campagne,—L'Histoire d'une Idée heureuse, dont le prologue seul a été fait, et aussi, un projet de pièce-vaudeville: Richard Cœur d'Eponge, que Théophile Gautier devait arranger et faire représenter au Théâtre des Variétés.
Nous nous arrêtons plus particulièrement sur un projet que Balzac paraît avoir beaucoup caressé et qu'il affirme même avoir exécuté en entier, bien qu'il n'ait jamais été mis en lumière.—En 1836, il écrit de La Boulonnière, près Nemours, à maître Werdet, son éditeur: «J'ai terminé le manuscrit de Sœur Marie des Anges, je ne veux pas le confier à la diligence.»
Sœur Marie des Anges, cela est patent, n'a jamais existé que dans l'imagination irradiée du romancier, qui voulait peindre, sous ce titre, une âme de jeune fille avant l'invasion d'un amour qui la conduira au couvent—: «Je lui ferai abhorrer les carmélites dans sa jeunesse où elle ne rêve que le monde et les fêtes, dit-il à ce sujet, (Lettre à Madame Hanska, 1838) et le malheur la ramènera au couvent qui sera pour elle un asile et un refuge. Après avoir passé huit années au couvent, elle arrive à Paris aussi étrangère que le Persan de Montesquieu, et je lui ferai juger et dépeindre le Paris moderne par la puissance de l'idée, au lieu de me servir de la méthode dramatique de nos romans. C'est une donnée nouvelle, et, si je réussis à l'exécuter comme je l'entends, je vous réponds que vous serez content de moi.»
Hélas, de Sœur Marie des Anges, de ce Livre d'Amour, comme se plaisait à le nommer l'écrivain, il ne reste que ces quelques lignes fugitives!
Mais, ce n'est plus le Balzac aux projets vagabonds qui doit nous occuper maintenant, c'est l'auteur de la Grrrande Comédie humaine, et les ouvrages divers que cette œuvre immense devait comprendre dans son ensemble.
Dans les Scènes de la vie privée, Balzac avait projeté les romans suivants, dont les titres seuls nous donnent d'amers regrets:—Les Enfants,—Un Pensionnat de Demoiselles,—Intérieur de Collége, puis, (ici nos regrets s'accentuent),—Gendres et Belles-Mères.
Dans les Scènes de la vie parisienne devaient prendre place: Une Vue du Palais,—Entre-Savants,—Le Théâtre comme il est.
Aux Scènes de la vie politique, se seraient ajoutées les œuvres suivantes: L'Histoire et le Roman,—Les Deux Ambitieux,—L'Attaché d'Ambassade et... Comment on fait un Ministère.
Avant d'entreprendre les Scènes de la vie militaire, Balzac en avait dressé le plan et nous y trouvons ces nombreuses lacunes: Les Soldats de la République (trois épisodes), L'Entrée en Campagne,—Les Vendéens,—Pour Les Français en Egypte, les 2e et 3e épisodes font défaut, ce sont:—Le Prophète,—Le Pacha. Pour le reste, voici tous les titres des Œuvres militaires projetées: L'armée Roulante,—La Garde Consulaire,—Un Combat,—L'Armée assiégée,—La Plaine de Wagram,—L'Aubergiste,—Les Anglais en Espagne,—Moscou,—La Bataille de Dresde,—Les Traînards,—Les Partisans,—Une Croisière,—Les Pontons,—La Campagne de France,—Le Dernier Champ de Bataille,—L'Emir,—La Pénissière et Le Corsaire Algérien.
Il manque deux romans aux Scènes de la vie de Campagne: Le Juge de Paix,—Les Environs de Paris.—Aux Etudes Philosophiques, il en manque cinq: Le Phédon d'Aujourd'hui,—Le Président Fritot,—Le Philanthrope,—Le Nouvel-Abeilard,—La Vie et les Aventures d'une Idée.—Dans les Etudes Analytiques, enfin, Balzac devait faire: L'Anatomie des Corps Enseignants, Une Monographie de la Vertu et un grand Dialogue Philosophique et Politique sur la Perfection du XIXe siècle.
Notre travail de catalogographe se termine ici,—nous ne chercherons pas à y ajouter un Postface, ni à savoir, si Balzac, qui a changé tant de fois les titres de ses œuvres, a refondu ses premiers projets et leur a donné un corps sous une autre enveloppe,—nous avons pensé pouvoir être agréable à chacun en réunissant, au milieu de Nos caprices, ces quelques notes sérieuses sur les ouvrages projetés par notre Grand Romancier, nous en avons donné les titres pour ce qu'ils valent, sans commentaires ni frais d'érudition,—qu'on nous tienne compte du reste.
VARIATIONS
SUR LA RELIURE DE FANTAISIE
La vérité dort auprès des grands dans de brillantes reliures; la sagesse veille auprès des vrais lecteurs sous de minces cartonnages.
Il semble que les Bibliopégistes modernes, aient oublié l'art de ces lourdes mais fastueuses reliures des XVe et XVIe siècles, en drap de satin azuré, en drap d'or ou de Damas; en cuir blanc ou rouge; en veluyeau sanguin, vermeil, vert ou noir; en pel velue, en soie blanche, ouvrée ou tannée; en cuir de cerf, estampé à froid ou doré à chaud; en parchemin gaufré, en étoffe de Panne; en velours pourpre, frappé d'écussons ou de fleurs de lys; le tout rehaussé, harnaché pour ainsi dire, de bossettes, d'agrafes, de fermouers, $1m>, fermails ou fermaillets, de pipes d'or ou d'argent, de tuyaux du même métal pour tourner les feuillets; de perles, d'émeraudes ou de saphirs, de toute l'orfévrerie la plus étincelante.
Les livres du bon temps étaient de véritables objets d'art; on les retrouve dans d'anciens inventaires, énumérés pêle-mêle avec les robes, les chaperons, les dagues, les Hanaps et les coupes. Le Duc Philippe-le-Hardi avait adapté aux ais d'un livre de prière, une platine d'argent doré, avec une petite niche, pour y mettre ses lunettes afin qu'elles ne fussent cassées, et l'histoire nous apprend, que ce même Duc, paya seulement seize livres à un certain Martin Lhuillier, Marchand-Libraire à Paris, pour lui avoir couvert huit volumes, Romans, Bibles et autres, reliés en cuir en grain.
L'oubli de telles armures somptueuses et surtout de prix aussi doux est à regretter, aujourd'hui, que les relieurs adonnés au maroquin du Levant, au vélin, au chagrin et à la basane se font payer si cher.
On a dit et répété souvent, que la Reliure, au fond, n'est au Livre que ce que l'habit est à l'homme ou la livrée au serviteur; or, l'habit suit la mode, et la mode se trouve hélas! de nos jours, froide, correcte, guindée, sobre et banale; l'art de la reliure s'en ressent; nous n'entendons pas parler de la grande reliure, à compartiments, à ornements à dentelles, à entrelacs; de ces livres qu'on n'ose toucher dans la crainte de ternir le brillant du maroquin ou l'éclat des petits-fers, mais de la demi-reliure,—de la reliure pour tous,—du cartonnage de fantaisie moderne, de la robe de chambre du livre, en un mot, qui donne à cet ami qu'on aime, tout le négligé charmant des causeries intimes.
Les cartonnages, dits à la Bradel, sont fort appréciés aujourd'hui; ils forment une enveloppe gracieuse et modeste, et, sans rien enlever à l'ampleur des marges, ils conservent la virginité de la brochure. Ces cartonnages sont d'excellents vêtements préservatifs; ils ont la commodité, la flexibilité, la grâce, mais il leur manque la gentillesse, l'esprit fantaisiste, l'aspect d'art que nous voudrions voir adopter plus généralement. Ils sont classiques en diable; c'est là leur grand défaut.
On emploie à l'usage de ces demi-reliures, soit du papier peigne, soit du papier marbré, maroquiné ou à escargots, soit du papier de couleur mate, soit encore de la toile anglaise, gaufrée, teintée, unie ou à ramages, chagrinée ou glacée; quelques relieurs, imitateurs du genre hollandais, usent de parchemin blanc ou de vélin; ils replient les bords en gouttières, ornent le dos de très vilaines lettres polychrômes calligraphiées, et puis, c'est tout...; il semble que là, se trouvent, les colonnes d'Hercule du cartonnier relieur.
Les Bibliophiles ne doivent pas négliger le petit art de ces demi-reliures; c'est à eux de chercher, de vivifier leur goût, de le spécialiser, de trouver l'original et de l'imposer à l'imagination rétive de leurs fournisseurs ordinaires, qui demeurent trop longtemps sur le chemin du convenu et du ponsif.
Un Livre doit être relié, selon son esprit, selon l'époque où il a vu le jour, selon la valeur qu'on y attache et l'usage que l'on compte en faire; il doit s'annoncer par son extérieur, par le ton gai, éclatant, vif, terne, sombre ou bigarré de son accoutrement. Rien qu'en le voyant sur les rayons d'une Bibliothèque, l'âme du lecteur doit se remémorer les sensations éprouvées, les douces heures qu'elle a passé à savourer sa sagesse ou son esprit; un Bibliophile de goût se reconnaît à ces détails. Existe-t-il quelque chose de plus horrible à voir qu'une Bibliothèque monochrome! un Bibliotaphe seul peut en posséder une semblable.
Les Livres réunis habilement doivent subir un prisme;—le dos de chacun d'eux devrait peindre son caractère individuel; n'est-ce pas là qu'on voit ses volumes lorsque, dans les longues flâneries, on flatte de l'œil sans y toucher tous ces gais compaignons qu'on a su assembler en docte académie.—Si votre Molière est relié en veau porphyre, que Montaigne le soit en veau racine, Montesquieu en veau granit et Dorat en veau rose, n'allez pas couvrir la Pucelle de Voltaire en maroquin blanc, réservez cette nuance virginale à celle de Chapelain; vêtir les Lettres de Madame de Maintenon en Lavallière serait une hérésie; mais faire endosser aux Historiettes de Tallemant des Réaux une tunique vert bile, ne serait que justice.
Certains amateurs, bien pensants, ont adopté une couleur particulière pour chaque classe de leur Bibliothèque.—Ces Chromo-Bibliotactes habillent de violet, nuance du prélat, les ouvrages de Théologie et les Saintes Ecritures. En souvenir du printemps de la Nature, l'Histoire naturelle est revêtue du vert le plus tendre; aux Œuvres dramatiques, ils accordent le rouge, couleur de sang; pour les Romans, ils prennent le rose, tandis que pour les Livres d'histoire, de Médecine ou de Jurisprudence, ils emploient le noir avec de minces filets d'or.—L'Astrologie porte l'azur céleste, les Œuvres Badines sont gratifiées du ton mauve, les Voyages de bleu d'outre-mer, les Traités du Mariage de jaune serin et les Opuscules Scatologiques de Terre de Sienne.
Cette manière de procéder n'est pas absolument fautive, bien loin de là; mais une Bibliothèque, ainsi classée, ressemble trop à une armée divisée en différents corps de troupes; on reconnaît de loin l'uniforme de ses soldats, mais on n'en dévisage pas suffisamment l'originalité.—Ceci dit, revenons aux cartonnages de fantaisie.
Au dix-huitième siècle, chaque relieur en avait sa spécialité, son genre à lui, et, pour rien au monde, il n'eût voulu copier la manière de ses plus illustres confrères; l'un, faisait les maroquins; l'autre, les veaux fauves; celui-ci, les vélins blancs; celui-là, les demi-reliures ou les encartonnages. Tous luttaient de délicatesse et de goût afin de spécialiser davantage leur talent individuel.—Mesdames de France, filles de Louis XV, ayant désiré avoir chacune sa Bibliothèque particulière, s'adressèrent aux Derome père et fils, pour faire relier les livres qu'elles avaient rassemblés; Mme Adélaïde prit pour couleur, le maroquin rouge; Mme Victoire, le maroquin vert-olive; et Mme Sophie, le maroquin citron.
Aujourd'hui, la reliure qui a gagné comme métier, a décliné comme art; elle ne suit aucun précepte et séjourne dans le stérile et le monotone. Les Bibliophiles artistes peuvent la sortir de ce marasme, en faisant exécuter pour leurs volumes des demi-reliures de fantaisie empreintes de personnalité et d'originalité. Ils peuvent employer à cet effet les délicieux débris des temps passés et les jolies choses de l'industrie moderne; les étoffes de soie, les peaux de chevreau minces, les cuirs exotiques, les tissus à arabesques, toute la gamme chromatique et exquise des tons pâles et fins qu'on ne songe jamais à mettre en usage.—Un Livre doit être habillé avec toute la maturité que l'on apporte aux choses sérieuses; il faut, pour ainsi dire, le consulter, le relire avant que de le livrer à l'ouvrier; on doit être pénétré de sa tournure d'esprit et rêver à sa toilette avec toute l'orgueilleuse vanité, toute la science d'harmonie que l'on apporte à la toilette d'une femme.
La reliure de veau brun, de vélin ou de peau de truie, convient à l'antiquité, aux XVe, XVIe et XVIIe siècles; mais lorsque nous arrivons à la Régence et au XVIIIe siècle, à cette époque de rocaille, de luxe mignard et caressant, la fantaisie peut, à la rigueur, prendre ses ébats.—N'allez pas faire tailler, par exemple, un vêtement de toile verte, rouge ou grise pour ce Faublas, pour ce Pied de Fanchette ou pour ces Contes grivois du charmant de Caylus; Thouvenin, pour de tels ouvrages, composait une reliure à la fanfare ou à la rose, comme il les appelait; mais, si vous ne voulez leur accorder que la demi-reliure, cherchez, consultez votre tact et trouvez.—Pour nous—qu'on excuse notre extravagance, si extravagance il y a,—lorsqu'il s'agit de revêtir un de ces fins conteurs du siècle dernier, nous rôdons dans les antres du bric-à-brac, entassant les brocarts, les vieilles étoffes de soie, les velours de Gênes ou de Venise, puis, si nous mettons la main sur un petit carré de satin broché, épave de quelque falbalas traîné dans les allées de Versailles; vite, nous achetons le chiffon, et, courant chez le relieur, qui ne manque jamais de pousser les hauts cris, nous lui disons impérieusement: «Voici un cartonnage Pompadour de notre invention, au lieu de votre vilaine toile anglaise, prenez ceci; faites broder le titre, à l'endroit du dos, à deux ou trois centimètres du haut du volume, dans l'intervalle des fleurs brochées; dorez en tête, ajoutez un signet d'un rose passé, mettez tout le temps et tout le soin nécessaires, exécutez fidèlement ce qui vous est commandé et ne répliquez pas.
Ce Cartonnage Pompadour, nous pouvons l'affirmer, est tout gracieux et d'une couleur locale qui charme.—Quel plaisir de lire, sous ce costume, Crébillon le fils, de La Morlière ou de Cahusac! Ce n'est, en réalité, qu'enjuponner davantage des œuvres faites pour des femmes, mais l'ombre de ces voluptueux auteurs ne peut que s'en réjouir.—Nous dirons plus, si un jour, quelqu'amateur venait nous apprendre qu'il a placé dans le Sopha, un sachet à la Sénéchale, et un autre de poudre d'Iris, dans les Bijoux indiscrets, nous le jugerions petit-maître, mais homme de goût et nous lui crierions: Bravo.
Un roi d'Egypte, Ozimandias, avait écrit sur la porte de sa Bibliothèque: Trésor des Remèdes de l'âme; Jules Janin, modifiant les termes, mit sur la porte de la sienne: Pharmacie de l'âme.—Si nous prenons la métaphore à la lettre, nous dirons qu'une Bibliothèque doit être administrée comme une pharmacie; la couleur seule des livres doit indiquer la nature du remède; il ne faut pas prendre le poison pour l'antidote, le Marquis de Sade pour l'Internelle Consolation; le honteux Marquis, sera relié en peau de boa tannée et cylindrée, environné de fermoirs solides, tout devra indiquer le venin Borgiaque qu'il enferme.—L'Internelle Consolation, au contraire, dans son enveloppe de maroquin blanc semée de croix d'or, dira de suite aux yeux: «Venite ad me afflicti mærore». C'est encore un point à observer dans la reliure des Livres.
Pour les auteurs modernes, l'imagination du Bibliophile peut donner un libre cours à la fantaisie bien entendue; lorsqu'une même littérature originale possède des écrivains d'un caractère aussi nettement accusé que Victor Hugo, Musset, Dumas, George Sand, Mérimée, Théophile Gautier, Gérard de Nerval, Baudelaire, Stendhal et Flaubert, on peut se livrer sans crainte aux plus jolies demi-reliures qui se puissent voir.
La Chine et le Japon nous envoient à profusion depuis quelque temps, des sortes de cuirs gaufrés, dorés, mordorés, mats, noirs ou rouges; les uns, tatoués de plaques brillantes; les autres, bigarrés avec une habileté naïve qui enchante les regards. Il existe, de même, des Crépons d'un tissu léger qui s'élargit à l'eau, des papiers japonais ornés de compositions brillantes et harmonieuses, d'un coloris où rien ne se heurte; toutes ces babioles, d'un goût si délicat et d'un prix si modéré, sont recherchées des artistes et abandonnées des Bibliophiles; c'est un tort, car leur emploi, digne des Livres modernes, donne à ceux qui en sont décorés une originalité gracieuse qui contraste fort heureusement avec les maroquins, les chagrins ou les parchemins antiques.
Ces japonaiseries peuvent être mises en usage ensemble ou séparément;—dans une demi-reliure de maroquin à mosaïque, avec coins, introduisez le papier multicolore et oriental que nous vous indiquons, ou bien, faites encartonner un volume, en cuir argenté, de même provenance; le titre à froid posé sur le dos même du volume; cherchez toutes les combinaisons possibles, vous trouverez un effet saisissant, une reliure agréable et commode, et vous abandonnerez bien vivement les papiers peigne ou unis, les toiles, les basanes, et tous les autres procédés ternes et vulgaires dont les moindres désagréments sont d'être laids et de ne rien exprimer à l'œil qui les contemple.
Voyez entre autres la Guerre du Nizam, de Méry, recouverte des dessins guerriers de ces papiers du Japon; de suite, ce Roman exprime par son dehors le mouvementé de son esprit; voyez Salambô enfermé dans un cuir byzantin, et encore les Caprices en zigzags, de Gautier, emmaillottés dans les arabesques d'un Crépon; tous ces cartonnages, ne disent-ils pas mille fois plus de choses qu'un dos chagriné à titre d'or? Pour Mérimée, pour de Nerval pour Barbey-d'Aurévilly, pour Edgard Poë ou Baudelaire, c'est bien là ce qu'il faut.—Afin de mieux exprimer notre façon de voir et de comprendre la demi-reliure de fantaisie, il nous faudrait le style professionnel et coloré d'une couturière; nous aimerions à pouvoir décrire une reliure tons sur tons ou suivant les variantes des pièces, des mosaïques, des signets et des gardes,—quelque chose dans cette manière: «Toilette pour un vol. in-18: tunique bleu pâle, avec pièce pour titre jaune de Naples, rehaussée de filets noirs, signet bleu marine, dorure en tête, or bronze; tranches légèrement ébarbées, gardes jaunes assorties à la pièce, avec ex-libris frappé en noir au milieu.—Date et lieu de publication à froid au bas du dos.»
Nous aurions mille toilettes de ce genre à donner, mais le style n'y est pas, et d'ailleurs les Bibliophiles, nos confrères, sont trop artistes, trop gens de goût et de sens assuré, pour que nous songions un seul instant à vouloir ébaucher des projets de demi-reliure;—qu'ils veuillent bien prendre en bonne note cependant les quelques idées que nous avons émises ici. Nous serons heureux de n'avoir pas prêché dans le désert.—Ainsi soit-il!
RESTIF DE LA BRETONNE
ET SES BIBLIOGRAPHES
L'œuvre de Restif de la Bretonne, œuvre énorme et mouvementée, eut la destinée la plus bizarrement accidentée que livres puissent rêver; glorieuse au début, discréditée hier, en pleine vogue aujourd'hui, quel sera son sort demain?
Restif, ce grand prodigue de sa vitalité, après avoir surmené sa vie et dispersé en menue monnaie son incontestable talent, expira à Paris le 3 février 1806, à l'âge de soixante-douze ans. Ses propres contemporains commençaient déjà à l'oublier, et il fallut que sa mort vînt cingler, comme d'un coup de fouet, l'indifférence générale dont ses derniers jours étaient enveloppés.
Ses obsèques furent pompeusement célébrées; l'Institut y envoya une députation, les journaux honorèrent Restif ainsi que ses ouvrages, et plus de mille huit cents personnes suivirent son corps au cimetière Sainte-Catherine[4] où il fut inhumé.
Sa tombe à peine fermée, l'émotion du moment passée, Paris qui comble si hâtivement ses vides, panse si vivement ses plaies, et qui sèche ses pleurs par un éclat de rire; Paris, tout entier aux passions de la politique et de la guerre, oublia Restif; et les deux cents volumes, où l'âme du pauvre romancier était toute semée, furent englobés dans la plus profonde insouciance.
Le glorieux écrivain était déchu! Ses ouvrages ornèrent pêle-mêle les parapets des quais, ils furent vilipendés, rejetés avec mépris, exposés aux injures de l'air et de la pluie et trop souvent, hélas! abandonnés à l'épicerie, ce prosaïque Montfaucon des volumes infortunés.
L'époque, il est vrai, ainsi que les événements, prêtaient assez peu à la bibliomanie; la vie fiévreuse de chacun ne laissait guère de loisirs pour les doux passe-temps du livre, et les bouquins, ces vrais sages, durent attendre une ère de paix et de science pour enseigner de nouveau leur grande morale si variée.
Restif, au demeurant, ne semble avoir écrit spécialement que: ad posteros et son œuvre est de celles qui ne peuvent mourir. En s'attachant à peindre son siècle avec le coloris réaliste qu'il puisait sous ses yeux, en traçant les silhouettes nettement accusées des mœurs au milieu desquelles il se mouvait, en calquant enfin, pour ainsi dire, la vie, le costume et le langage exacts de ses contemporains, il dut penser, avec raison, qu'un jour viendrait où les savants et les curieux se montreraient désireux de reconstituer son époque dans ses moindres détails et de savourer les parfums du passé.—Ce temps est venu, et tous ses volumes, fidèles représentants de la seconde moitié du XVIIIe siècle, sont recherchés et hors de prix aujourd'hui.
Restif de la Bretonne est à l'ordre du jour et c'est à M. Charles Monselet que revient l'honneur d'avoir le premier exhumé et remis à la mode d'une manière aussi complète qu'intéressante les œuvres de ce fécond littérateur[5].
Dans les numéros du Constitutionnel des 17, 18 et 19 août 1849, le spirituel auteur de M. de Cupidon consacra à Restif de longs articles qui devaient servir de base au travail si curieux qu'il publia cinq ans plus tard[6].
Dans l'intervalle, en 1850, la Revue des Deux-Mondes fit paraître une analyse de M. Nicolas ou le cœur humain dévoilé[7].
Cette étude, fort bien écrite et présentée par Gérard de Nerval, montre l'homme plutôt que l'écrivain, c'est la biographie de Restif, ses aventures amoureuses, ses misères, c'est, en un mot, le romancier mis en roman par un rare poëte.
Ces deux bio-bibliographies traitées de manières toutes différentes, mais de mains de maîtres, suffirent pour rendre aux livres de Restif de la Bretonne toute leur vogue d'antan et au delà; on commença à rechercher les Restif, on y découvrit des gravures précieuses, tant pour la finesse d'exécution que pour la fidélité des modes qu'elles reproduisent; bref, les bibliophiles s'aperçurent que l'œuvre entière du polygraphe était intéressante à plus d'un titre et digne de figurer dans les plus fières bibliothèques.
L'orthographe variée et singulière, le piquant des confessions de l'auteur, l'étrangeté de ses romans, composés pour la plupart avant d'être écrits, et qui semblent prêter à Restif le spirituel mot de Rivarol: L'imprimerie est l'artillerie de la pensée; les formats même de ses volumes et la difficulté de les réunir en œuvre complète, tout contribua à faire briller, avec le plus grand éclat, la renommée un moment ternie du père du Pornographe.
Ce fut bien vite une Restifomanie parmi les collectionneurs parisiens; du petit au grand, chacun voulut avoir Restif partiellement ou en nombre, et dans l'un de ses derniers catalogues, le libraire Auguste Fontaine mit en vente un Restif de la Bretonne dans les conditions suivantes:
«Œuvres de Nicolas-Edme Restif de la Bretonne. Deux cent douze parties ou tomes en cent cinquante-quatre volumes in-18, in-12, in-8, et in-fol.—maroquin, dos orné à petits fers, fil. tr. dorée (Chambolle Duru); superbe exemplaire, richement relié, lavé et encollé.—Prix; Vingt mille francs.»
20,000 francs!!! Il est juste d'ajouter qu'on ne connaît en France qu'une dizaine de collections complètes des œuvres de Restif de la Bretonne: la Bibliothèque nationale en possède une, le libraire Fontaine, deux (probablement vendues); les autres appartiennent à MM. le duc d'Aumale, le baron J. de Rothschild, Toustain de Richebourg et autres bibliophiles aussi féroces que riches.[8]
L'engouement acquit des proportions si énormes que le savant bibliophile Jacob (Paul Lacroix) dut prendre les choses en main, et avec une science étonnante et un travail d'investigation des plus remarquables, il fit paraître LA BIBLIOGRAPHIE ET L'ICONOGRAPHIE de tous les ouvrages de Restif de la Bretonne. Cet ouvrage colossal, outre la description raisonnée des collections originales, des réimpressions, des contrefaçons, des traductions, des imitations, contient les notes historiques, critiques et littéraires les plus curieuses et les mieux étudiées.
Après cette bibliographie de M. Paul Lacroix, on eût pu croire que tout avait été dit sur Restif de la Bretonne. Point! un nouveau volume parut. M. Firmin Boissin, dans un petit in-8 d'une centaine de pages, trouva encore moyen de parler de notre auteur d'une aimable manière; il jugea l'homme, l'œuvre, la destinée d'icelle, et ses bibliographes. L'on peut dire que ce volume, loin d'être inutile, est un excellent complément d'ensemble sur tout ce qui a été fait et écrit sur l'écrivain du Paysan perverti.
M. Firmin Boissin ne clôt pas la série des Restifographes. M. J. Assezat, un sympathique érudit trop tôt enlevé à ses travaux, en tête d'une réimpression d'un choix des Contemporaines, fit une notice annotée traitant de Restif, de son œuvre et de sa portée, et nous ne doutons pas qu'il ne se trouve encore quelqu'un pour parler de Restif et intéresser les lecteurs sur ce grand prolifique en tout genre, qui laisse encore des côtés curieux à observer pour la critique et l'érudition.
Si on peut taxer l'œuvre de Restif de la Bretonne de légère et même quelquefois d'immorale, on doit d'un autre côté songer au milieu où cette œuvre fut conçue et produite, et nous ne saurions trop avancer que ses livres sont de première utilité pour l'étude et l'histoire des mœurs au XVIIIe siècle. Les matériaux et les documents qu'ils contiennent, les coutumes qui s'y reflètent comme dans un fidèle miroir en feront toujours des trésors du plus haut intérêt pour les bibliophiles et les érudits.
L'œuvre immense de Restif sera-t-elle réimprimée? En totalité, la chose est impossible; en partie, nous croyons pouvoir assurer que oui.—Déjà plus d'un essai a été tenté avec succès, tant en France qu'à l'étranger. En faisant un tri judicieux dans les principaux ouvrages de la collection, dans les Nuits de Paris, dans Les Parisiennes, dans Les Françaises, dans Le Palais Royal, dans les Années des Dames Nationales, dans Les Posthumes, dans les Idées Singulières et Les Veillées du Marais, on arriverait certainement à prendre le dessus du panier de l'œuvre de Restif de la Bretonne, dont, il faut bien le dire, la majeure partie des romans est si confuse, si démodée, qu'il est presque impossible d'en affronter la lecture aujourd'hui.
Quoiqu'il en soit, Restif, cet être tout de contraste, restera, de nos jours comme dans l'avenir, l'écrivain le plus bizarre, le plus étrangement fécond dans la littérature du XVIIIe siècle; disons plus, ce fut un Bibliophile à sa façon et ce titre seul nous a suffi pour que nous lui consacrions ces quelques lignes.
LE CABINET
D'UN EROTO-BIBLIOMANE
Ubi turpia non solum delectant,
sed etiam placent.
Sénèque.
Souvent, je le rencontrais chez les grands libraires de la rive gauche, parlant sobrement, dans une note basse, fatiguée, presque enrouée; avec une allure étrange et cet air de gêne et de discrétion que l'on voit aux conspirateurs.—Il semblait, devant un tiers, vouloir s'effacer, et, s'il exprimait ses désirs, ce n'était que d'une façon indécise et inquiète; lançant des phrases indéterminées, brèves, pleines d'une autorité craintive: «Trouvez-moi la chose en question», disait-il au libraire, ou bien: «N'oubliez pas, en grâce, ce que vous savez; il me le faut coûte que coûte; n'allez pas trop m'écorcher cependant;—je repasserai bientôt.»
Je ne sais quel vague caprice me poussait à connaître ce Bibliomane bizarre, musqué, enveloppé de mystère; je pensais que cet être singulier n'était pas à coup sûr le premier venu; sa physionomie seule m'intriguait particulièrement, et sous la sénilité vainement dissimulée de sa démarche, je pressentais un Bibliophile d'une race à part.
Grand, droit, corseté dans une longue houppelande lui tombant aux talons; le soulier mince, effilé, montrant le bas de soie, le visage rasé, maquillé, poudrederizé, les cheveux frisés et pommadés, le monocle d'or dans l'orbite droite, relevant la paupière affaissée sur un œil éteint; le chapeau incliné sur l'oreille, la cigarette aux dents et le stick en main, il me rappelait, dans la pénombre du souvenir, cet admirable type de vieux beau, si magistralement crayonné par Gavarni, avec cette légende spirituelle et réaliste: «Mauvais sujet qui pourrait être son propre grand-père.»
A peine arrivait-il dans une librairie, qu'il jetait un regard inquiet tout alentour; si une dame s'y tenait, assise au comptoir, il était agité, nerveux, vivement préoccupé; son malaise se manifestait par des mouvements d'impatience accentués et des tics involontaires qui brisaient, en l'écaillant, l'épaisse couche de fard étendue sur ses joues.—On devinait qu'il eût voulu être seul, dans une causerie d'homme à homme; aussi ne disait-il au libraire que ces simples paroles: «L'avez-vous?—Non, répondait-on;—Pensez-y, n'est-ce pas», reprenait-il avec découragement, et il se retirait.—Un coupé de couleur claire, tendu à l'intérieur de lampas rose broché d'argent, l'attendait à la porte, notre Bibliophile Marquis de Carabas y montait; la portière se refermait, et le cocher poudré à frimas avait à peine fouetté l'alezan qui piaffait, que l'attelage déjà disparaissait au loin. C'était une vision.
J'appris qu'il se nommait le Chevalier Kerhany; il vivait, me dit-on, assez joyeusement avec les dames, mais demeurait fort réservé et d'humeur misanthropique avec ses semblables. Il recevait peu chez lui et toujours avec une sorte de méfiance instinctive; on racontait que son intérieur était d'un luxe inouï et que la folie y agitait ses grelots dans des orgies dignes de Tibère; il se donnait chez lui, au dire de chacun, des petits soupers à faire ressusciter de plaisir tous les roués de la Régence; personne néanmoins ne se vantait d'y avoir assisté.—De fait, le Chevalier était assez demi-mondain, il se rendait de temps à autre au bois, et, les soirs d'Opéra, il stationnait des heures entières au foyer de la danse.—Les déesses de l'entrechat l'entouraient, le noyaient dans des flots de gaze bouffante, lui lançant des pointes grivoises qui avivaient le feu libertin de son regard de faune, tandis que debout, dans une pose à la Richelieu, il se plaisait à distribuer à ces terribles petits museaux de rats, les pastilles de sa tabatière ou les sucreries variées dont ses poches étaient toujours pleines.
Ces détails étaient faits plutôt pour attiser que pour calmer ma puissante curiosité à son sujet; je résolus de suivre le précepte des stoïciens, le fameux Sequere Deum. Je m'aperçus en effet que le destin sait nous guider, car, en cette occasion, il me servit à souhait.
II
Je me trouvais un soir dans une de ces grandes fêtes parisiennes, brillantes et tapageuses, chez une artiste célèbre où un de mes amis m'avait conduit.—Presque abandonné dans un petit salon d'un rococo exquis, tout parfumé de couleur locale, renversé dans une quiétude parfaite sur le coussin d'un divan japonais, je me laissais bercer par une valse languissante, dont les accents m'arrivaient affaiblis, comme tamisés par le lointain et les lourdes tentures; tout en regardant avec distraction un plafond délicieusement composé dans le goût de Baudoin, j'avais presque perdu la notion du lieu où j'étais céans, lorsque, tout à coup, près de moi, sur le même divan, dodelinant de la tête, et marquant du bout de sa bottine vernie le rhythme de la danse, je vis, dans l'élégance du frac, le gardénia à la boutonnière, le plastron de chemise tout chargé de diamants, mon mystérieux Bibliomane, le Chevalier Kerhany, qui paraissait, lui aussi, fort peu s'inquiéter de ma présence.—Je ne me demandai pas comment il était venu là, sans que je l'entendisse approcher, je pensai de suite que l'occasion, me frôlant de son unique cheveu, je devais le saisir en toute hâte et m'y cramponner; aussi, toussant légèrement pour éveiller son attention et mieux affermir ma voix:
—Quelle voluptueuse et adorable chose, que la valse allemande, murmurai-je, afin d'engager la conversation.
—Adorable! adorable! dit-il simplement, sans abandonner son laisser-aller de tête et de bottine.
—Il n'y a que Strauss de Vienne, repris-je, pour concevoir et écrire ces motifs entraînants, vifs, colorés, qui fouettent le sang, qui empoignent et font passer un chaud frisson du cœur aux jambes.
—Il n'y a que Strauss, en effet, soupira-t-il comme se parlant à lui-même;...cependant Gungl's.
—Ah! Gungl's, fis-je, charmant compositeur.—Le Rêve sur l'Océan est une œuvre toute d'harmonie.
—Toute d'harmonie; oui, toute d'harmonie, me répondit-il avec laconisme, comme fâché d'avoir à me parler.
—Il y eut un silence;—mon voisin de divan, renversé en arrière, avec une moue d'ennui, sifflotait une sorte de menuet.—Je ne perdis pas courage et fis un nouvel effort.
—Si belle que soit la valse de perfection moderne, hasardai-je, elle ne laisse pas de faire regretter très vivement aux délicats ces mélodies du XVIIIe siècle, mélancoliques, naïves et simples, si séduisantes par le caractère, si pénétrantes de pensée et si gracieuses de style.
Il souriait, semblant m'écouter avec plaisir et même m'approuver;—Je continuai:
—Est-il rien de comparable aux Quintettes de Mozart, aux Gavottes de Rameau, aux Menuets de Boccherini et de Reicha, aux Symphonies de Haydn et de Beethoven, aux Préludes, aux Rondos, Duos, Quatuors, aux Concertos, aux Thèmes variés composés vers 1725, et plus tard par tant de charmants musiciens aujourd'hui ignorés pour la plupart.
—Et les airs pour fifre! et les douces romances! et les motifs pour clavecin! fit le Chevalier en se redressant subitement; les motifs pour clavecin, Monsieur, que de verve amoureuse! que de charmes alambiqués! que de légèreté et en même temps que de nonchalance! Hélas! le piano rend mal toutes ces jolies choses et je préférerais mille fois les voir exécuter sur le clavier d'une Epinette que sur le meilleur Pleyel du monde.
—Sans compter, dis-je, faisant brusquement diversion à la conversation, sans compter que les Clavecins étaient des meubles ravissants, décorés avec un art incomparable par des artistes tels que Boucher, Watteau...
Ajoutez Fragonnard, reprit mon interlocuteur avec passion, Fragonnard, ce peintre divin des lubricités folles, des voluptés égrillardes et spirituelles, Fragonnard qui connaissait si profondément la science du nu et des décolletés piquants, Fragonnard, ce Grécourt de la peinture; ajoutez Fragonnard: je possède un clavecin, un bijou, sur lequel il a tracé des scènes adorables, de charmants camaïeux signés de son nom.
—Je n'ai qu'une toute petite toile de ce maître, osai-je dire modestement, mais c'est une œuvre si blonde de ton, si mignarde dans son déshabillé, si étonnante de facture, si parfaite d'ensemble et enfin si grivoise de composition, que je la tiens pour une merveille véritable.
Le sujet, quel est le sujet? me demanda le Chevalier hors de lui, possédé d'une furieuse curiosité à l'idée de grivoiserie du tableau.—Quel en est le sujet, je vous prie?
Le sujet, mon Dieu, cela est très délicat, répondis-je lentement; vous avez lu Brantôme, n'est-il pas vrai?
Les Dames Galantes sont pour moi un bréviaire.
Alors, repris-je, après ce cynisme d'impiété, vous y avez vu décrit le sujet de mon Fragonnard, dans le Discours premier; vous l'avez lu dans la cent dix-neuvième épigramme de Martial, livre I, qui se termine par ce vers:
Hic ubi vir non est, ut sit adulterium.
Vous l'avez lu dans Lucien, dans Juvénal; enfin mon tableau représente des fricatrices; Donna con Donna.
La figure du Chevalier Kerhany était bouleversée; ses yeux morts avaient repris un éclat surprenant; ses lèvres s'agitaient d'étonnement, et la sueur ravinait son visage.
—Vous avez un tel tableau de Fragonnard! exclamait-il avec admiration; un sujet si bien traité par un tel maître,—que ce doit être beau!
Il s'approchait plus près, me demandant des détails; il insistait sur les moindres choses, et dans l'ivresse de savoir et peut-être le désir de posséder plus tard, il m'accablait de prévenances.
Ayant voulu prendre par la curiosité cet érotomane effréné, j'avais touché juste; il avait bondi à la description d'un sujet érotique et déjà il s'apprêtait à me réclamer de nouveaux renseignements sur l'origine de cette œuvre d'art, lorsque la foule inonda le petit salon dans lequel nous nous trouvions retirés; la valse venait de finir, le Chevalier fut enjuponné par quelques jolies femmes qui vinrent prendre place à ses côtés.—L'intimité était rompue.
—Sur la fin de la soirée je le rencontrai, et après un échange mutuel de politesses, il me remit sa carte en m'assurant du plaisir qu'il éprouverait à me faire les honneurs de sa Bibliothèque.
III
Quelques jours après, je sonnais à l'huis du Chevalier de Kerhany, dont l'hôtel était situé sur le boulevard Haussman;—un grand diable de laquais vêtu de panne écarlate vint m'ouvrir.—Je traversai d'abord une vaste pièce, sorte d'atrium décoré en style Pompéïen, où se trouvaient rangés des meubles romains de tous les genres; j'aperçus l'accubitum, le biclinium, le triclinium, orné de ses plagula; le lectulus, et même le subselium, le seliquastrum, le scabellum et autres siéges fidèlement copiés d'après l'antique.—Le Chevalier était visible; il se tenait dans un petit fumoir tendu de soie havane capitonnée de satin bleu. Il me reçut avec la plus grande cordialité, me félicitant de n'avoir pas craint de le déranger. Nous parlâmes art et littérature, ou plutôt femmes, car toute l'esthétique de mon Erotomane semblait se réunir et se résumer dans l'éternel féminin; il ne voyait la musique, la poésie, la peinture que dans un sens de corrélation voluptueuse qu'il se plaisait à établir malgré lui entre tous les chefs-d'œuvre et l'amour des filles d'Ève;—prenant chaque génie en particulier, il me montrait avec une verve passionnée que, dans les grandes manifestations de l'art, on pouvait répéter le mot d'un policier célèbre: Cherchez la femme. Il me parla du sexe charmant comme un habile général le ferait d'une forteresse dont il connaît les coins et recoins; exprimant avec grâce les différentes manières d'attaquer la citadelle, émettant des théories si audacieuses, que je ne pourrais, même en voilant mes phrases comme des femmes turques, les raconter ici.—Je fus entièrement séduit par ce vieil Anacréon; je croyais avoir en face de moi le célèbre Duc de Lauzun donnant des conseils à son petit-neveu, le Chevalier de Riom, tant il annonçait de connaissances approfondies et de crânerie passionnée dans les sujets délicats qu'il avait à traiter.
Cependant, si attrayante que fut la conversation, je ne tardai pas à réclamer du Chevalier Kerhany la faveur de visiter son musée. Il accéda avec la meilleure grâce à ma demande:—«C'est juste, c'est juste, me dit-il en souriant, je vous retiens ici avec mes billevesées. Passons, si vous le voulez bien, dans la galerie des maîtres.»
Je fus introduit dans une superbe salle éclairée par une vaste baie exposée au nord;—étourdi un instant par la splendeur des cadres et l'orgie magistrale des couleurs, je ne tardai pas à me remettre, et je pus considérer à mon aise la plus remarquable collection particulière qu'il m'ait été donné de voir.—Il y avait là des Velazquez et des Murillo, des Titien et des André del Sarte, des paysages éclatants de Ruysdaël, de Hobbema et du Poussin, des petites toiles adorables de Terburg, de Metzu, de Van Ostade, de Wouwermans, de Jan Steen, de Van der Meer; puis, dans un style plus large, des Rembrandt, des Rubens, des Jordaens, des Frans Hals, des Ribera, des Gérard Dow, ainsi que des Antonello de Messine, des Guerchy, des Léonard de Vinci et des Paul Veronèse.—Il m'eut fallu des journées entières pour rassasier mon admiration; il me faudrait des volumes pour exprimer les sensations que j'éprouvai.—Je m'arrachai cependant à cette féerie sublime pour faire remarquer à l'heureux propriétaire de tant de merveilles que l'art plus affadi des maîtres du dix-huitième siècle ne tenait aucune place dans sa galerie.
«Un moment, un moment, répondit-il,—ceci tuerait cela,—suivez-moi, vous ne perdrez rien pour attendre, suivez-moi, je vais vous satisfaire.»
Le Chevalier souleva une portière; nous nous trouvions alors dans une chambre octogone dont les boiseries blanches étaient sculptées de festons, de guirlandes et de couronnes relevées d'or mat; une glace immense remplaçait le plafond et tout à l'entour de la pièce jusques à la cimaise étaient suspendus des tableaux du dix-huitième siècle.—C'était, en premier lieu, des portraits de Reynolds, de Gainsborough, et des pastels de Latour; ensuite venaient Vanloo, Pater, Boucher, Lancret, Fragonnard, Largillière, Nattier, Dietrich, Le Barbier, L'Epicié et Boilly.—Ce qui donnait un caractère particulier à cette réunion de chefs-d'œuvre, c'était la nature même du choix des sujets: on ne voyait qu'un éblouissement de chairs roses, qu'un rut de peaux mates, de fossettes gracieuses; qu'une débauche de postures alanguies et enivrantes, qu'une nuée d'amours polissons et rieurs dont les lèvres s'entrebaisaient.—La dépravation de tout un siècle s'étalait dans la lubricité de ces peintures, souriantes de luxure et aimablement vicieuses; les torses cambrés, lascifs, endiablés émergeaient des cadres, se reflétant dans la grande glace du plafond, tandis que les jambes velues des faunes et des sylvains nerveusement gonflées d'un priapisme intense, semblaient secouer dans l'air une odeur âcre de bouc qui montait au cerveau.
Il y avait près d'une heure que je me trouvais là, ivre de tant de beautés entrevues, brisé, anéanti, dans un état de prostration impossible à décrire. Le Chevalier de Kerhany jouissait de ma surprise et de mon admiration passive, à force d'être surexcitée: «Eh bien! jeune homme, me disait-il, eh bien! que dites-vous de mon dix-huitième siècle? Ne croyez-vous pas que votre Fragonnard Lesbien serait en fort belle compagnie dans mon modeste petit musée?—Ce n'est pas tout, ajoutait-il, nous allons visiter ma Bibliothèque qui compte certaines curiosités qui seront de votre goût.—Mais... qu'avez-vous?—on dirait que vous vous sentez mal?
Je répondis furtivement, m'excusant de ne pouvoir visiter ce jour-là les livres de mon hôte, j'invoquai un rendez-vous pressant, et remerciant le Chevalier, je sortis après avoir pris rendez-vous pour le lendemain à la même heure.
Le fait est que j'éprouvais un violent mal de tête et un malaise général; ce que j'avais vu m'avait transporté dans un monde idéal, loin du Paris moderne et de sa civilisation, loin du banal et du convenu odieux. Mon imagination s'était fatiguée dans une course échevelée à travers l'Eden de mes rêves, et ma cervelle dansait encore à soulever mon haute-forme lorsque je me trouvai sur le boulevard.
Le Chevalier de Kerhany me paraissait, à cette heure, un magicien sinistre, une sorte de Méphistophélès régence qui s'était amusé à plaisir de mon enthousiasme juvénile.—Je lui en voulais presque de m'avoir promené un instant dans le verger des fruits défendus, car je ne voyais plus devant moi que les petites pommes d'api, c'est-à-dire des petites parisiennes trop vêtues selon la mode, qui trottinaient allègrement, suivies par les faunes d'aujourd'hui, de gros boursiers enflés de bourse et de ventre, jouisseurs hâtifs, prêts à pénétrer dans le boudoir des Danaés sous la forme d'une pluie d'or.
IV
Le lendemain, à l'heure fixée, l'esprit plus calme et de sens plus rassis, je me trouvais chez le chevalier qui m'attendait dans sa Bibliothèque. Cette librairie était disposée dans un salon ovale; une fenêtre aux vitraux multicolores y distribuait le jour dans un prisme joyeux et le soleil tamisé par des losanges roses, jaunes ou bleus, semblait éclabousser les tapis d'orient de reflets contrariés. Les parois de la pièce étaient entièrement rayonnées de planchettes de bois de rose, recouvertes de cuir de Russie, et ornées sur les rebords de coquets lambrequins de moire vert myrte, dentelés et effrangés, dont l'élégance se joignait à l'avantage de préserver les livres de la poussière. Tout en haut, près de la corniche, sur le dernier rayon, dans un désordre charmant et fait pour le plaisir des yeux, des petites statuettes se montraient dans toute l'impudence de l'impudicité; c'étaient de sveltes Vénus n'ayant rien du rigide classique, des groupes de baigneuses affolées, des Sapho... avant l'amour de Phaon, des Narcisses pâles et blêmes, des Hercules puissants et aussi des suites de Phallus en bronze ayant l'esprit et le caractère singulier de ceux que l'on voit dans Le Musée Secret du Roi de Naples. Je me croyais chez un juge d'instruction après la saisie de figurines portant atteinte à la morale publique, tant était chaude et déréglée la composition de cette statuaire unique.—La pièce n'avait pour tous meubles qu'un divan circulaire, large, profond, rebondi, habillé d'une épaisse étoffe des Indes ravissante de tons, sur laquelle étaient jetés des coussins nombreux et variés. Çà et là quelques X de Cèdre supportaient des cartons à estampes et une table liseuse, aux pieds torses, à sabots d'or, occupait le centre de la salle. Au plafond, d'une rosace ayant la bizarrerie obscène de certaines gargouilles moyen-âge, tombait un lustre de bronze d'une si effrayante lubricité qu'on l'eut dit ciselé par quelque Benvenuto Cellini atteint de satyriasis.
Cette Bibliothèque me parut renfermer près de deux mille volumes dont je m'approchais déjà curieusement afin d'en parcourir les titres lorsque le Chevalier de Kerhany m'arrêta:
«Mon jeune ami, me dit-il doucement, cette bibliothèque est un enfer bibliographique dont je suis le Pluton égoïste; ici, j'ai donné rendez-vous à tous les affamés du vice, à tous les grotesques de libertinage, à tous les condamnés de l'indignation bourgeoise, aux conceptions maladives et honteuses des cerveaux surmenés de plaisirs. Peu de visiteurs ont franchi cette enceinte; quelques jolies pécheresses seules y ont traîné l'élégance de leurs pantoufles; et si une sympathie particulière me permet aujourd'hui de faire en votre faveur ce que je n'ai fait jusqu'alors pour aucun autre Bibliophile, votre érudition sage vous placera, je l'espère, au-dessus de vos sens; cependant, je crois devoir vous prévenir: réfléchissez comme si vous alliez prendre de l'opium pour la première fois de votre vie.—Mon coupé est en bas, venez-vous faire un tour de lac?
Faites dételer, lui répondis-je en riant; je vais rendre visite à vos pestiférés.
—Dans ce cas, commencez par la droite, ajouta le Chevalier en m'indiquant les rayons les plus proches; ma Bibliothèque est graduée,—les incurables sont à gauche à l'extrémité du lieu où vous vous trouvez;—je vous laisse seul ici, dans une heure je reviens vous prendre.
La première rangée des livres que j'ouvris formait ce qu'on pourrait appeler la série des anodins: c'étaient pour la plupart des romans ou contes piquants, écrits dans cette période voluptueuse comprise entre la Régence et la Révolution, des fantaisies Turques, Persanes ou Chinoises, de bonnes et inoffensives polissonneries imprimées à Cythère avec l'approbation de Vénus, à Érotopolis, à Cucuxopolis, ou au Palais Royal chez une petite Lolo, marchande de galanterie. Je vis Grigri; Thémidore; Le Noviciat du Marquis de *** ou l'apprenti devenu maître; Les Œuvres galantes de Bordes; Le Grelot; Le Roman du Jour; Le Sopha; Le Tant pis pour lui ou les spectacles nocturnes; les différents Codes: Code de la Toilette; Code des Boudoirs; Code du Divorce; Code des mœurs ou la prostitution régénérée; Code de Cythère ou lit de justice d'Amour; puis la Bibliothèque des petits maîtres, la Bibliothèque des Bijoux: Les Bijoux indiscrets; Le Bijou des Demoiselles, Les Bijoux des neuf Sœurs; Le Bijou de Société ou L'Amusement des Grâces; les Bijoux des petits neveux d'Arétin et autres; les Caleçons des Coquettes du jour, les Calendriers de Cythère, L'Almanach cul à tête, ou étrennes à deux faces pour contenter tous les goûts ainsi qu'une foule d'œuvres scatologiques et d'ana orduriers.
Les volumes étaient reliés admirablement en maroquin plein, en veau uni ou agrémenté; chacun d'eux était orné de petits fers spéciaux, d'une composition fine et originale, quelquefois brutalement grossiers par esprit de couleur locale; ils étaient placés sur le dos, entre les nervures, en forme de culs-de-lampes ou frappés en plein maroquin sur le plat des volumes en guise d'armoiries.—Des gravures licencieuses étaient ajoutées aux passages les plus colorés des ouvrages auxquels elles convenaient; les gardes même, subissaient quelquefois l'effronterie d'un dessin graveleux et je ne pouvais m'empêcher de songer que le livre de la plus chaste gauloiserie se fut trouvé impitoyablement transformé par l'érotomanie invétérée du Chevalier de Kerhany.
Au fur et à mesure que j'inclinais vers la gauche, la graduation libertine s'accentuait; déjà j'avais franchi les poésies gaillardes: La Muse folâtre; L'élite des poésies héroïques et gaillardes de ce temps (1670); Le Parnasse satyrique du sieur Théophile; Le Cabinet satyrique; Les Œuvres de Corneille Blessebois; Dulaurens; Les Muses en belle humeur ou Elite des poésies libres; le Pucelage nageur; L'Anti-Moine; Le Parnasse du XIXe siècle et tous les ouvrages imprimés en Belgique, à Neufchâtel, à Freetown, avec eaux-fortes de Rops, auxquelles s'ajoutaient de nouvelles gravures. Déjà j'avais parcouru la majeure partie de la Bibliothèque et mes mains commençaient à trembler en ouvrant chaque livre qui s'offrait à moi; les petits fers prenaient des allures cyniques et effrayantes; j'eus peur de ne pas arriver au but et j'abandonnai quelques centaines de volumes pour atteindre l'extrême gauche.
Je me trouvais bien en effet parmi les incurables, comme me l'avait dit le Chevalier, c'était à l'extrême gauche, le suprême du genre, le nec plus ultra de la dépravation et à la fois du luxe artistique des livres et des gravures; Les Œuvres badines d'Alexis Piron touchaient L'Amour en Vingt Leçons et le Meursius François; L'Arétin y était représenté par le Recueil de postures érotiques d'après les gravures à l'eau-forte d'Annibal Carrache; par l'Alcibiade Fanciullo à Scola; par l'Arétin français et par le livre dit: Bibliothèque d'Arétin; près du Divus Arétinus je remarquai Félicia ou Mes Fredaines; Monrose ou le Libertin par fatalité; les Monuments de la vie privée des Douze Cæsars et les Monuments du Culte secret des Dames Romaines; plus loin je vis Justine ou Les Malheurs de la vertu; Cléontine ou La Fille malheureuse; Juliette ou la suite de Justine; Le Portier des Chartreux; La France fout...; La Philosophie dans le Boudoir; Les crimes de l'amour ou le délire des Passions; en un mot toutes les œuvres sadiques du Marquis de Sade, en éditions originales, avec reliures à petits fers de torture.—J'allais me livrer au plaisir de regarder les manuscrits et les dessins originaux; je mettais la main sur l'un des trois exemplaires connus du Recueil de La Popelinière: Tableaux des Mœurs du Temps dans les différents âges de la vie, 1 vol. grand in-quarto, j'admirais les vingt gouaches mignardement impudiques de Carême, lorsque le possesseur de cette étonnante rareté se présenta:
—«Ah! ah! s'écria-t-il, vous n'y allez pas à la légère, mon cher enfant, non-seulement vous avez vu la droite, le centre droit, la gauche de mon cabinet, mais encore vous contemplez en vrai gourmet, en délicat amoureux de la chose, la merveille des merveilles, le plus rare de mes livres rares après l'Anti-Justine de Restif de la Bretonne; savez-vous que la possession de mon La Popelinière, imprimé sous les yeux et par ordre du fermier général, m'a coûté dix ans de recherches, dix longues années de fatigues et de luttes et deux mille écus sonnants.»
—C'est à peu près le prix de mon Fragonnard Lesbien, sans omettre les luttes et les fatigues, soupirai-je avec intention.
Vous n'allez pas, je suppose, me proposer un échange?
Qui sait?
Aujourd'hui le Chevalier de Kerhany est possesseur de mon Fragonnard;... mais, outre mes grandes et petites entrées dans son cabinet, je suis, de par son testament, héritier présomptif de l'Anti-Justine et du fameux La Popelinière.
FIN
RONDEAU
AU LECTEUR
ERRATA[9]
Page 22, ligne 5, au lieu de: si l'un de ses Bibliophobes, lire: si l'un de ces Bibliophiles.
Page 35, sous-titre, au lieu de: Gauchemar à la manière de Goya, lire: Cauchemar à la manière de Goya.
Page 37, ligne 24, au lieu de: Les lettres sont..., lire: Ses lettres sont...
Page 46, ligne 1, au lieu de: Germe lui, lire: Germe en lui.
TABLE DES MATIÈRES
| Préface au Lecteur | I |
| Une vente de Livres a l'Hôtel Drouot | 1 |
| La Gent bouquinière | 19 |
| Les Galanteries du sieur Scarron | 25 |
| Le Quémandeur de livres | 35 |
| Le Vieux Bouquin | 43 |
| Le Libraire du Palais | 47 |
| Un Ex-Libris mal placé | 55 |
| Les Quais en aout | 63 |
| Les Catalogueurs | 65 |
| Simple Coup-d'Œil sur le roman moderne | 81 |
| Le Bibliophile aux champs | 91 |
| Les Projets d'Honoré de Balzac | 99 |
| Variations sur la reliure de fantaisie | 107 |
| Restif de la Bretonne et ses bibliographes | 119 |
| Le Cabinet d'un eroto-bibliomane | 127 |
| Rondeau | 147 |
ACHEVÉ D'IMPRIMER
Sur les presses de Bluzet-Guinier
Typographe
A DOLE-DU-JURA
le 10 février 1878
Pour Édouard ROUVEYRE, éditeur
A PARIS
NOTES:
[1] Madame Bovary fut écrit au jour le jour—nous donnons ces détails pour les Bibliophiles curieux—sur un de ces longs agendas de ménagère qui portent les quantièmes, les fêtes, les septuagésimes ou sexagésimes, les noms aimés de Sainte-Anastasie ou de Saint Cyriaque, c'est sur ces pages oblongues que Flaubert fixa son œuvre impérissable,—voilà un agenda qui vaudrait cher aujourd'hui!
[2] Mercier entend sans doute désigner ici le pédant La Harpe et son Lycée.
[3] Nous venons d'apprendre, avec le plus vif plaisir, qu'un savant Bibliophile belge, M. Charles de Lorenjaül (vicomte de S***), bien connu de tous les Bibliophiles pour son aimable érudition et sa bonne grâce à être utile à chacun, est parvenu à achever ce travail de bénédictin, qui doit paraître très prochainement chez l'éditeur Calman Lévy, sous le titre de: Histoire des Œuvres de Honoré de Balzac.
[4] Aujourd'hui cimetière du Mont-Parnasse.
[5] Quérard dans La France littéraire, Didot, 1835; M. Eusèbe Girault, dans La Revue des Romans (2 vol. in-8o, 1839, tome II, pag. 199-204), et Pierre Leroux dans les Lettres sur le fouriérisme (Revue sociale de Pierre Leroux, mars 1850) avaient déjà rédigé de curieuses notices sur Restif de la Bretonne.
[6] Restif de la Bretonne, sa vie et ses amours, etc., par Charles Monselet, avec un beau portrait gravé par Nargeot. Paris, Alvarès fils, éditeur, 1854.
[7] Histoire d'une vie littéraire au XVIIIe siècle.—Les Confidences de Nicolas. (Restif de la Bretonne) par Gérard de Nerval, nos du 15 août, 1 et 5 septembre 1850.—M. Nicolas ou le cœur humain dévoilé, fait partie des Illuminés ou les Précurseurs du socialisme, Récits et portraits, par Gérard de Nerval, dont la première édition fut donnée par Victor Lecou, en 1 vol. in-12, 1852.
[8] M. Restif de Tonnerre (Yonne), descendant de Restif, possède aussi au grand complet et dans un très bel état, les œuvres de son grand parent.
[9] Nous n'indiquons ici que les principaux Errata Sans aucun doute, il s'en trouve quelques autres, mais leur importance est moindre et nous ne voulons pas les souligner.
(Note de l'Éditeur.)
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DE
M. OCTAVE UZANNE
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Publiés par Octave Uzanne, tirés à 500 sur papier vergé.
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Contes de Voisenon.
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Delvau, Projets et notes | Le Bric-à-Brac de l'Amour
VIENT DE PARAITRE
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Édition entièrement nouvelle, considérablement augmentée
SUIVIE DE LA TABLE DES NOMS D'AUTEURS ET D'ÉDITEURS
Et accompagnée de Notes bibliographiques et analytiques
PAR
FERNAND DRUJON
Cet ouvrage forme un beau et fort volume grand in-8o de plus de 450 pages, et est publié en cinq livraisons.
La 5e et dernière livraison contient la couverture et le titre imprimés en rouge et en noir, la préface et la table de noms d'auteurs et d'éditeurs.
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EN COURS DE PUBLICATION
Abonnement: Un an, 6 fr.
MISCELLANÉES BIBLIOGRAPHIQUES
Chaque année formera un beau volume in-8o imprimée avec luxe sur papier vergé teinté, et sera terminée par une table alphabétique des noms d'auteurs et des matières, qui, en même temps que la couverture et le titre (imprimés en rouge et en noir) sera adressée gratuitement à tous nos abonnés.
AUX BIBLIOPHILES
Le but de ces Miscellanées bibliographiques, modeste dans son principe peut, par la suite, devenir plus manifeste, plus vaste, plus étendu, atteindre à l'autorité, à l'Utile dulci d'une petite Encyclopédie Bibliographique, telle que l'avait conçue et longuement rêvée le doctissime et regretté Quérard.—Sous ce titre, nous entendons grouper, à bon escient, tous les documents rares ou curieux qui se trouvent épars de ci de là, et dont la recherche fatigue quelquefois l'esprit patient des bibliophiles; nous choisirons avec soin les questions qui se trouvent le mieux en rapport à la Technologie du Livre, à la Bibliognosie et aussi à la Bibliatrique. Sans nous écarter du domaine Bibliographique, nous espérons traiter ex professo, pour ainsi dire, de omni re scibili et quibusdam aliis. Nous serons en tous points net et concis et réduirons à l'art difficile de faire court, des sujets trop souvent noyés dans la diffusion et la prolixité d'un excès de savoir.
Cette publication paraissant régulièrement chaque mois, en manière de livraison, formera annuellement un intéressant volume d'Analectes utiles à consulter. Une table analytique des matières et des noms d'auteurs permettra aux chercheurs et aux érudits de puiser, dans ce véritable nid à documents précieux, avec autant de profit que dans un dictionnaire d'ana bibliographique. Nous ne limiterons pas notre but au plaisir d'intéresser, d'indiquer les raræ aves de la Bibliophilie et de glaner dans le glorieux passé de la Bibliognostique; nous accorderons une place à l'art moderne du Livre, aux Bibliophiles militants de Paris, de la province et de l'étranger.
Nous comprenons qu'en Bibliographie surtout «il se faut entr'aider», et nous conserverons dans chaque livraison une ou plusieurs pages destinées aux questions et réponses posées et résolues par nos lecteurs.
Cette manière de Queries, rendant service aux uns, instruira les autres; ce sera là une sorte de petit intermédiaire intéressant pour tous. Trouvailles, curiosités, renseignements bibliologiques quelconques, origines orthographes de certains mots, éditions douteuses, interrogations de toute genre seront insérés.
En tout et pour tout ce qui sera du ressort du Livre, nous accueillerons les communications qui nous seront faites, nous estimant heureux d'avoir ouvert nos confrères une libre arène dans laquelle chacun, à tour de rôle, luttera de savoir, de complaisance ou d'érudition.
Et, maintenant, puisse cette entreprise justifier notre devise de présupposition: Vires acquirit eundo.
Un numéro spécimen est adressé gratis et franco à toute personne qui en fait la demande. Le Propriétaire-Gérant: ÉDOUARD ROUVEYRE.
VIENT DE PARAITRE:
CONNAISSANCES NÉCESSAIRES
A UN
BIBLIOPHILE
ÉTABLISSEMENT D'UNE BIBLIOTHÈQUE.
CONSERVATION ET ENTRETIEN DES LIVRES.
DE LEUR FORMAT ET DE LEUR RELIURE.
MOYENS DE LES PRÉSERVER DES INSECTES.
DES SOUSCRIPTIONS ET DE LA DATE.
DE LA COLLATION DES LIVRES.—DES SIGNES DISTINCTIFS
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INDIQUER LES CONDITIONS.
DE LA CONNAISSANCE ET DE L'AMOUR DES LIVRES.
DE LEURS DIVERS DEGRÉS DE RARETÉ.
MOYENS DE DÉTACHER, DE LAVER ET D'ENCOLLER
LES LIVRES.
RÉPARATIONS DES PIQURES DE VERS, DES DÉCHIRURES
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IL A ÉTÉ TIRÉ DE CETTE ÉDITION:
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Annales de la typographie néerlandaise au XVe siècle, par F.-A.-G. Campbell. La Haye, 1874, in 8o (XVIII et 630 pages), papier vergé 20 fr.
Cet ouvrage forme la statistique complète de la palæotypognosie néerlandaise, et donne la description la plus complète: 1o des 665 incunables que possédaient déjà en 1856 les dépôts de la Haye; 2o celle des 150 anciennes impressions dont s'est enrichie depuis lors cette bibliothèque royale; et 3o d'un millier d'impressions du XVe siècle.
Bibliographie de Chrestien de Troyes, comparaison des manuscrits de Perceval le Gallois, par Ch. Poitevin.
Un manuscrit inconnu. Chapitres uniques du manuscrit du Mons. Autres fragments inédits. Leipzig, 1863, in-8o (XVIII et 186 pages) 7 fr. 50
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L'Histoire littéraire de la France dit que Chrestien de Troyes mérite les éloges que lui prodiguent les écrivains ses contemporains et ceux du siècle suivant: «par l'invention, la conduite et particulièrement par le style qui l'élève au-dessus de tous les poëtes de son temps».
SUPERCHERIES LITTÉRAIRES
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OCTAVE DELEPIERRE
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Ouvrage sérieusement traité, divisé en trois sections:
1o Les pastiches et suppositions d'auteur, composés avec l'intention de tromper les lecteurs.
2o Des pastiches imitations, et suppositions d'auteur, dans les beaux-arts. Et terminé par des Remarques et une Table alphabétique de noms.
TABLEAU
DE LA
LITTÉRATURE DU CENTON
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Ce sujet a ceci de remarquable que, depuis des Pères de l'Église, des Papes et des Evêques, jusqu'aux savants commentateurs et aux érudits philologues du XVIe et du XVIIe siècle; depuis des poëtes grecs et latins des premiers temps du christianisme, jusqu'aux poëtes et auteurs du moyen âge, de la renaissance et des temps modernes; à toutes les époques et dans tous les rangs, des écrivains se sont occupés du Centon.
Vient de paraître.—Envoi gratis et franco.
1878No 25
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