Contes à la brune
AMOROSA
Un tapis de neige, mais si léger que partout le gazon le perçait de mille flèches d'émeraude et que le sable des allées, apparaissant au travers, lui faisait comme une doublure transparente d'or clair; une poussière de neige courant le long des branches noires et saupoudrant les buissons comme des vieux rabougris sous des perruques surannées. Le soleil irradiant ces blancheurs furtives, promenant sur les troncs rugueux ses lumières décomposées qui les faisaient apparaître bleus à l'envers de sa course. Des lointains presque violets, très estompés de gris clair et rayés imperceptiblement par l'enchevêtrement des futaies. Sur tout cela, la sérénité silencieuse d'une heure matinale. Jamais ce coin du bois ne m'avait paru si charmant, et le vol des souvenirs y descendait avec celui des moineaux et des mésanges s'abattant sur les mousses avec de petits cris où pleurait la désespérance du printemps. Quelques jacinthes ça et là crevaient cependant la terre noire, et des bourgeons trop tôt venus perlaient aux branches. Un peu de patience, mésanges et moineaux! Un peu de courage, ô coeur impatient de renaître!
Après une longue promenade sous le fouet de l'air vif qui me piquait au visage, je m'étais assis sur un banc, dans un coin largement illuminé, ce qui lui donnait une impression de tiédeur relative. Mes yeux, fatigués de l'horizon scintillant où semblaient passer des vapeurs de givre, s'étaient abaissés vers le sol, mille clartés roses me passaient sous les paupières et de minuscules étoiles d'or à travers les cils. Mon regard flottait, avec ma pensée, dans un vague très doux, quand il s'arrêta soudain sur une place d'une blancheur immaculée que traversait un dessin bizarre tracé par la course d'un oiseau. Les petites pattes avaient semé comme un trèfle noir qui courait suivant une ligne capricieuse. On eût dit des hiéroglyphes et je me pris, le plus sérieusement du monde, à vouloir déchiffrer cette mystérieuse écriture, à chercher un sens à ces caractères si nets, et se succédant suivant un rythme inconnu. On a toujours sa bonne volonté pour complice du hasard dans ces enfantillages, et de la meilleure foi du monde, je lus un nom, comme si mon coeur était soudain tombé sur cette neige.
L'oiseau tout seul était remonté dans la nue, sans y emporter mon âme.
* * * * *
Et je me souvins d'un autre hiver, dans ce même bois, d'un hiver où la neige aussi était partout, comme si un fleuve de lait se fût soudain ouvert au flanc de quelque montagne du ciel. Car les nuages sont comme les collines d'un paysage suspendu au-dessus de nos têtes et souvent semblent-ils, à l'horizon, prolonger les chaînes de nos collines terrestres dans la clarté rouge et moutonnante des couchants. Oui c'était par un hiver tout pareil et dans un pareil décor que j'avais aimé pour la dernière fois peut-être. Une longue rêverie à deux, telle avait été l'histoire de cette tendresse; des baisers furtifs en avaient été tout le langage, et la douceur m'en était restée comme celle d'un parfum bien pénétrant qu'on a respiré sans avoir cueilli la fleur qui le donne. Qui nous avait poussés l'un vers l'autre? Un hasard. Sans coquetterie, elle avait posé sa main sur mon bras et nous étions parti pour je ne sais quel voyage à la fois tendre et sans but, ne voulant savoir où nous allions, pourvu que ce fût ensemble. Et tous les chemins nous étaient aimables pour marcher ainsi côte à côte, même ceux que la gelée avait fait durs, même ceux que la neige rendait froids et glissants. Quelquefois il me fallait la retenir dans une étreinte où se fondait mon coeur; souvent sa jolie tête brune dut se coller à mon épaule pour fuir les fouaillées des bourrasques. Je respirais alors de si près son haleine qu'il me semblait que j'allais mourir. Jamais mes lèvres n'avaient osé se pencher jusqu'à son front, mais elles s'appuyaient aux bords de son chapeau, dans le frémissement de sa plume et dans le chatouillement de sa voilette. Nous étions l'idylle égarée, je ne sais de quoi de fou et d'innocent tout ensemble, mais de plus troublant cent fois que l'ardeur des caresses. Que d'heures de passion virile, de plaisir âpre et partagé sont tombées pour moi dans le gouffre de l'oubli, tandis que tout est resté dans ma mémoire de cet enfantillage cruel et délicieux! Telle s'engloutit, dans les profondeurs d'un lac, la splendeur pourprée des pierreries, tandis qu'une simple feuille tombée d'un arbre y surnage longtemps sur l'eau bleue qui la berce.
O dernière feuille tombée de l'arbre automnal que je suis!
* * * * *
Tout en elle était exquis; mais ses pieds, ses pieds tout petits et d'un dessin superbe étaient un de mes platoniques ravissements. Une fois que nous marchions au hasard sur la neige durcie, elle s'amusa à en graver l'empreinte sur le sol, une empreinte bien nette, en y pesant de tout son poids. La semelle de sa bottine s'y moula et le talon y fit un creux. Elle eut grand'peine à m'empêcher de me mettre à genoux pour baiser cette trace. Mais ce qu'elle ne put faire, ce fut de m'empêcher de revenir le lendemain seul, à cette place, et d'y demeurer longtemps en contemplation devant ce rien fragile. J'y retrouvais comme un piédestal de marbre sur lequel se dressait mon idole, dans le temple tout parfumé encore de sa présence et de l'encens de mes adorations. Je la revoyais debout dans l'épaisseur moite de ses fourrures d'où son noble profil émergeait comme sculpté dans un ivoire vivant, et le rayonnement clair de ses yeux aux reflets d'améthiste m'enveloppait, un noyau d'extase attirait à soi tout mon sang comme le rayonnement du soleil boit la matinale rosée. Ce m'était une terreur qu'un autre pas vint profaner celui-là, qu'une neige nouvelle vint estomper puis anéantir ce contour, qu'une journée de chaleur emportât cette image dans les coulées indifférentes du dégel. Mais le lieu était solitaire et nul n'y passa de longtemps après nous; le ciel ne roulait plus d'avalanches dans ses profondeurs ardoisées et le temps demeura froid durant plusieurs jours encore. Aussi puis-je refaire quotidiennement mon pèlerinage, reprendre, chaque matin, mes courses dévotieuses vers cette relique étrange, n'osant confier à celle même que mon culte patient adorait ainsi, cet enfantillage de ma pensée toute remplie d'elle! Qui dira ce qui s'en va de notre âme dans ces aspirations muettes vers l'infini de l'Amour, celui que ne comblent pas même les délices furieuses de la chair rassasiée?
Un jour de soleil vint cependant qui fondit la neige ainsi sculptée. Mais sa chaleur ne vint pas jusqu'à mon coeur où l'empreinte est demeurée, toute saignante encore du talon qui l'avait meurtri.
* * * * *
Ainsi s'effaceront demain, après demain peut-être, les traces qu'avait laissées hier, sur la neige, à l'endroit que je regardais sans penser, la course capricieuse de la mésange ou du moineau. L'oiseau s'est envolé; Dieu sait où! Heureux ceux qu'emporte dans l'azur le caprice vainqueur d'une aile toujours ouverte! Entre ciel et terre il s'en va, aussi près du ciel qu'il lui plaît! Telle s'envole aussi ma pensée vers celle qui me donna la joie inattendue de l'aimer comme je n'en avais aimé aucune autre, et qui m'apprit que le poète eut raison, qui dit:
Ce sont les plus petites choses
Qui témoignent le plus d'amour.
En attendant les grandes, comtesse, cependant!
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MENSONGES
Un feu mourant dans la cheminée longtemps flambante, un soleil admirable au dehors étendant, à l'angle de ma table, une nappe oblique dorée; un rideau d'azur derrière ma vitre et autour de moi une température de serre, tiède dans un air sans frissons; je goûtais le repos dominical, allongé sur mon divan, une cigarette aux spirales bleues entre les doigts, un livre sous les yeux, des vers, parbleu! le beau volume de mon ami Laurent Tailhade, celui que j'avais baptisé moi-même: le Pays des Rêves. Ce poète exquis connu de tous les délicats, vient de se marier et m'a cru devoir envoyer une façon de testament lyrique, ses dernières rimes, pense-t-il. Je n'ai jamais fort aimé le mariage, mais j'en demanderais l'abolition immédiate s'il était vraiment mortel aux poètes. Par bonheur, il n'en est rien, mon cher Tailhade, et j'en connais de fort grands—vous aussi, qui avez dîné avec moi à la table de Banville—lesquels lui ont survécu. C'est ce que je vous souhaite de toute mon âme!
Je lisais, ou mieux je chantais en moi-même,—car la musique du vers éveille en moi un orchestre invisible, comme si les doigts magiciens de sainte Cécile, si bien nommée par Mallarmé: «Musicienne du silence», y couraient sur un clavier mystérieux—les belles strophes, bien empreintes de sucs latins, de ce noble recueil quand un parfum très subtil de lilas envahit mon cerveau, une odeur extrêmement délicate et pénétrante, comme le vol d'une âme de fleur. Et comme rien n'invite mieux à la lente rêverie que le bercement des rythmes et les cadences ailées qui emportent la pensée vers les mondes inconnus, vous me pardonnerez, Laurent, mais mon regard se souleva peu à peu de votre livre, se perdit dans des horizons vaguement baignées de lumière: votre musique ne fut plus dans ma tête qu'une série d'échos comme ceux que répercutent les monts plongeant leurs grandes ombres dans un lac nocturne. Cette senteur de lilas m'avait grisé certainement.
* * * * *
Eh oui! cette bonne chaleur dont je me sentais pénétré et que je savourais comme font les moineaux le ventre dans le sable; cette éblouissante clarté qui descendait des vitres et cet éclat limpide du ciel que j'admirais au travers; ces harmonies qui vibraient en moi; ce souffle embaumé dont je me sentais poursuivi … le printemps était venu tout à coup certainement, et c'était la fête immortelle des choses dans la béatitude inquiète des êtres et l'épanouissement des renouveaux. Qui donc avait dit que cet hiver obstiné ne finirait jamais! Les voilà réduites à néant, les prophéties des astrologues qui nous montraient Avril posant sur la glace mordante ses pieds roses et frileux! Evohé! le printemps s'est souvenu! C'est dans les allées des jardins que resserrent leurs bordures touffues, parmi les mousses des grands bois dont le velours se renouvelle, le long des ruisseaux délivrés, une floraison éperdue de violettes et de muguets tintinnabulants dans la brise. Mais non! Les violettes et les muguets ne sont déjà plus. Ce sont les lilas superbes qui, comme des guerriers, secouent leurs panaches au vent, sous la fanfare de cuivre des aurores. Les oiseaux amoureux ne se poursuivent plus dans les branches, mais la chanson tremblante des nids arrête çà et là le promeneur religieux. Le printemps ne s'est pas seulement souvenu; il a franchi d'un bond les marches de l'apothéose et couru vers sa splendeur comme un astre vers le zénith. L'immense joie de tout ce qui est salue l'hôte glorieux qui passe le front couronné de soleil.
* * * * *
Et c'est comme une tristesse horrible qui m'étreint, seul, dans le torrent des universelles gaietés, un De Profundis qui monte de mon coeur dans la voix des hosannas. Car vous n'êtes pas près de moi, ma chère âme, dans ce réveil triomphant des âmes appareillées se mêlant dans l'air chargé de baisers. Je vous cherche auprès de moi, sans vous y trouver, vous m'aviez dit pourtant: Quand donc nous aimerons-nous avec toutes les fleurs? Et vous m'aviez promis le retour des belles promenades, le long des taillis obscurs où le rossignol court à terre, au bord des eaux calmes où descendrait votre noble image tremblante dans un frisson d'argent, sur les routes lointaines où l'on marche entre les genêts constellés comme au milieu des débris d'un ciel écroulé. Et votre bras devait se poser encore sur le mien, à l'heure des douces lassitudes, quelques pas encore, et votre belle tête brune, aux cheveux dénoués par le vent, s'inclinerait sur mon épaule, tendant votre front vers ma bouche comme un lis battu que relèveront les rosées. Vous m'aviez juré que nous irions ainsi par des chemins faits de caresses sous la grande caresse du ciel. Vos toilettes plus légères et vos pudeurs mieux vaincues me laisseraient respirer les odeurs divines de votre être dans l'innombrable parfum de toutes les fleurs épanouies. Vous seriez comme un jardin vivant dans le Paradis. A vous entendre, ce printemps serait plus doux encore que le dernier où mon désir osait vous effleurer à peine, mais où je goûtais déjà mille joies intimes et profondes à entendre le son de votre voix, à boire votre haleine, à contempler, craintif, votre impeccable beauté…. Et vous n'êtes pas là! quel cimetière de bonheurs et de rêves, je foule dans les sentiers fleuris!
* * * * *
L'impression m'avait été si cruelle que je me levai brusquement pour être mieux sûr de m'en réveiller. Je quittai brusquement le livre, le divan et la chambre tiède; je descendis dans le parterre qui s'étend au bas de ma croisée et ce fut comme une coupure de givre qui me passa au visage. Le mirage du printemps s'évanouit en même temps. Oui, le ciel était clair et bleu, comme il m'avait apparu à travers la croisée et le soleil battait la nue de son aile de feu, mais si haut qu'aucun souffle de chaleur n'en descendait jusqu'à la terre. Celle-ci était encore dure et gelée, crépitante sous le pied et rayée çà et là d'aiguilles de glace ou bien portant, à l'ombre, de vagues moisissures de neige, comme une peau d'hermine mangée aux vers. Pas une feuille naissante aux arbres! Les lilas! un enchevêtrement de ramures noires avec, çà et là, un bourgeon rabougri, réfréné, pareil au bout d'une flèche émoussée. Les sèves, inutilement appelées, étaient venues mourir à fleur d'écorce, impuissantes à percer l'enveloppe encore lourde de frimas. Oh! j'avais rêvé, bien rêvé! J'avais dit trop vite adieu à mon beau songe. Vous n'avez pas été parjure, ma chère âme, le temps n'était pas encore venu. Voilà tout!
Et tout joyeux de l'horreur encore répandue partout, l'hiver refusant d'abdiquer, je rentrai bien vite dans la pièce à l'atmosphère moite où m'attendait le volume interrompu, où la cigarette éteinte ajoutait sa mélancolie au désordre de ma table de travail.
* * * * *
Décidément j'étais hanté. La même odeur de lilas me courait aux narines. J'avais repris le Pays des Rêves à la page ouverte et, ayant relu les derniers vers, comme un rameur qui, avant de reprendre sa route, s'entraîne au rythme par une série de mouvements jumeaux, je tournai celle-ci. Il en tomba sur mes genoux quelque chose qui était sans doute resté collé au verso. Je le ramassai bien vite et tout me fut expliqué de l'illusion qui m'était subitement venue et menaçait de me reprendre. C'était une toute petite branche de lilas, le sommet d'une grappe seulement qui avait été aplatie entre deux feuilles du volume, un bout de fleur desséchée, mais qui avait gardé toute son âme odorante, une de ces reliques d'amour que les fervents gardent et qui ne font sourire que les sots. Et l'histoire me revint bien vite de ce rien précieux, une histoire comme tant d'autres. Vous l'aviez cueillie dans un jardin défendu, cette petite branche, et je l'avais conservée en mémoire de votre aimable péché, si charmante je vous avais vue, craintive dans le larcin et tendant vos chères mains blanches vers la branche trop haute que je tentais d'abaisser vers vous. C'est en nous quittant seulement que vous me l'aviez donnée, la petite grappe qui, tout le jour, avait pendu à votre corsage, bercée par votre souffle, renouvelant au vôtre son parfum. Et je l'avais enfermé, dans un de mes livres aimés, là où j'étais sûr de la retrouver, dans un beau cercueil cloué de rimes d'or.
O lilas, chers lilas, que j'ai respiré avant la floraison du lilas, fleur de souvenir, tu m'es encore, Dieu merci, une fleur d'espérance!
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ENTRE TERRE ET CIEL
I
J'avais fait un rêve vraiment délicieux: j'étais redevenu l'enfant rose avec de longs cheveux bouclés dont ma famille a religieusement gardé le portrait fait au pastel par la fille du ministre Salvandy,—vous voyez que ce n'est pas d'hier!—J'avais récité mon catéchisme avec une conviction particulière et, pour me récompenser de ma condescendance à accepter les mystères de la foi, on m'avait mené chez le pâtissier, au bout du pont où j'ai pêché mes premiers goujons en faisant l'école buissonnière. Un admirable spectacle était devant mes yeux: de hautes meringues blanches s'effondraient sur un lit savoureux de croquants; de beaux filets de sucre blanc soutachaient des crèmes solides aux couleurs nationales du café et du chocolat. Un superbe croquembouche, majestueux comme une cathédrale, léchait avec mille langues de caramel, pareilles aux flammes d'un incendie, de hautes murailles de nougat. Jamais gobichonnades plus variées n'avaient sollicité l'humeur friande d'un innocent.
Réveillé, j'ouvris ma fenêtre, et,—à part que j'avais une trente-cinquaine d'années de plus qu'en ce temps-là,—il ne me semblait pas que je fusse sorti de mon rêve. La nature n'était qu'une immense boutique de confiseur. Sous la neige menue tombée la nuit, les arbres avaient l'air saupoudrés de sucre râpé. Les petits ruisseaux gelés avaient les cristallins reflets du sucre candi. Une mousse blanche avait fait des buissons autant de saint-honorés et un commencement de dégel faisait les ardoises des toits pareils à des babas pleurant leurs larmes de rhum.
Mais tout cela n'était pas aimable comme la boutique du bout du pont où il faisait une si bonne chaleur, imprégnée d'odeurs succulentes! Un froid horrible dans mon jardin, un froid qui fait pousser au nez des rubis, et, pensant à l'auteur de ce déplorable hiver, je ne pus m'empêcher d'appliquer au créateur de toutes choses cette épithète qui était, chez le pauvre Hennequin, le dernier signe du mépris: Sale pâtissier!
Et je pensais aussi à ce mot mélancolique d'Aubryet sur son lit de douleur, disant à un ami:
—Sapristi, mon cher, si nous nous revoyons dans la vallée de Josaphat, tu verras, quand on nommera l'auteur de la pièce, comme je sifflerai!
II
Voilà quelques instants déjà qu'une musique mystérieuse me chante aux oreilles. Elle ne vient pas du dehors et ce n'est peut-être que la chanson d'un rêve dans mon esprit. J'écoute au-dedans de moi. C'est comme un susurrement de ruisseau lointain sur le sable. Non! ce n'est pas encore cela. Un bruissement de feuilles sous le vent matinal et que roule à l'horizon des nuages roses? Pas encore. Un crépitement vague de friture dans l'air où passe la gaîté d'une fête foraine? Non! non! je me prête de plus près encore une oreille attentive. C'est décidément un gazouillement d'oiseaux, un gazouillement mélancolique comme celui des passereaux se groupant, en hiver, sur les branches.
Ah! je sais maintenant: ce sont les hirondelles de là-bas qui voudraient revenir et que leurs sentinelles avancées, leurs éclaireurs aux noires ailes, retiennent derrière la barrière que ne franchit plus le soleil, dont la tiède caresse est leur vie. Et ces compatissants volatiles, se rappelant les nids laissés aux toits de Paris, ont la nostalgie de ce ciel de France où s'obstinent les bourrasques, où les frimas s'accumulent au mépris des avertissements du calendrier. Et elles nous saluent de loin, ces chères exilées qui se demandent si le printemps nous reviendra jamais et si les pruniers porteront, cette année, d'autres fleurs que ces fleurs de givre dont les immobiles pétales ne frémissent pas aux souffles du matin!
III
J'avais absolument besoin de m'en prendre à quelqu'un ou à quelque chose du fâcheux état de l'atmosphère où je grelottais. J'éprouvais un désir immodéré de vilipender même un innocent, une de ces soifs ridicules de revanche qui font que lorsqu'une femme a été malheureuse avec un amant, elle le fait payer à celui qui vient après. Je pensai méchamment que le marronnier du vingt mars devait faire une drôle de tête cette année, et je fis le voyage des Champs-Elysées, uniquement pour aller faire la nique à ce vieillard.
Son air piteux dépassait encore tout ce que j'avais prévu.
Je lui tirai ironiquement mon chapeau et lui tins ce langage: Eh bien! vieil arbre politique, as-tu chaud aux pieds?
Sous une bourrasque de vent, il me sembla qu'il hochait insensiblement la tête comme pour me dire: Non. Et comme il avait été bon raillard dans son temps, j'entendis, en même temps, un craquement singulier dans son écorce.
—Ah! ah! repris-je, mon gaillard, vous non plus vous ne vous contentez pas de dodeliner du chef, mais vous barytonnez aussi du reste à l'occasion.
Un zéphyr tiède était-il passé dans les branches de mon silencieux interlocuteur? Mais une goutte d'eau me tomba sur le nez. Je levai les yeux. L'arbre pleurait. Je regrettai vivement d'avoir été aussi loin et pour lui témoigner de mon respect pour son âge, en abordant un plus sérieux sujet:
—Voyons, noble Ratapoil, lui dis-je, toi qui mieux que personne, dans le recueillement mystérieux des choses, as pénétré l'âme césarienne, crois-tu vraiment que Boulanger voulait devenir dictateur et jouer les Napoléons?
Je n'eus pas le temps d'en dire davantage. A la base de l'arbre je vis un tressaillement de la terre. Une pousse rugueuse et noire en sortit violemment, noueuse, au milieu, comme une jambe au genou. Épouvanté, je me retournai, mais ce fut une maladresse. Je reçus une accolade d'un genre particulier en travers de mon haut-de-chausse. Je courus, mais ce fut inutile. Car, jusqu'à la place de la Concorde où je déboulai comme un fiacre emballé, le marronnier me poursuivit, suivant une image héroïque du poète Gustave Mathieu, à grands coups de racine dans le derrière.
IV
Il neigeait aussi à Francfort, et la maison du bon Hans von Bourik, sa petite maison rouge aux dentelures de bois, était comme posée sur un tapis épais et blanc comme une immense fourrure d'hermine. Hans von Bourik possède une fort jolie femme et qui casserait fort bien son cent de noisettes en s'asseyant dessus. Or, l'ancien fiancé de Gudule,— ainsi se nomme cette opulente créature,—se consola de ne l'avoir pas épousée en faisant cocu formidablement l'impertinent qui avait pris sa place à l'autel. Hans von Bourik a bien quelques soupçons, mais il manque absolument de preuves. Il se sent intérieurement déshonoré sans pouvoir articuler aucun fait.
L'ancien fiancé qui s'appelle Fritz von Sauciss rentre de la brasserie, sa longue pipe à la bouche, à une heure de la nuit fort avancée, l'esprit nageant dans une blonde vapeur de bière. Il se souvient tout à coup qu'il a oublié de dire à Gudule l'heure à laquelle il la verrait le lendemain, pendant une absence de son fâcheux mari. Pour réparer cet oubli condamnable, il s'en vient rôder autour de la petite maison rouge aux dentelures de bois de Hans von Bourik. Mais on y dort profondément. Et puis sous quel prétexte en réveiller les hôtes—Écrire alors!—Bon! Fritz s'aperçoit encore qu'il a laissé son crayon et ses tablettes sur la table de la brasserie qui est certainement fermée maintenant. C'eût été si simple de glisser un mot dans une cachette entre deux pierres où le génie fureteur de Gudule l'aurait certainement trouvé le lendemain matin.
Un trait de lumière jaillit au cerveau de Fritz von Sauciss, comme un rayon de soleil qui traverse les brouillards. Il lui vient directement de la vessie, ce qui n'est pas la marche ordinaire des idées chez un homme à jeun. Mais notre gaillard avait bu infiniment de chopes mousseuses et il ne les pouvait décidément plus contenir. Or, voyez comme l'inspiration nous peut venir de n'importe où! Fritz pense que ses expansions naturelles et tièdes feront des trous dans la neige et, convenablement dirigées, pourront même y tracer des caractères. Avec cette encre nouvelle et sur ce papier nouveau—je ne parle pas du nouveau porte-plume—il parvient donc à tracer très distinctement, devant la porte de Hans, ces mots destinés à sa femme: A midi demain. Et, en se gardant bien de signer, il se retire, enchanté de son imagination.
Le malheur fut que c'est Hans, qui, étant sorti, le premier, lut avant personne ce billet de par terre. Les yeux des cocus se dessillent quelquefois de la façon la plus inattendue. Il rentra furieux et dit à Gudule:
—Un homme vous a donné rendez-vous en écrivant sur la neige, et cet homme est Fritz, votre ancien fiancé.
—Est-il possible, s'écria Gudule, et quelle idée!
—Inutile de nier, madame, continue le justicier domestique, j'ai reconnu son écriture!
V
C'est dans l'intention formelle de vous acheter des fleurs que j'étais sorti, ma chère âme, je vous le jure. Mais les volets étaient clos et close aussi la porte de mon fournisseur ordinaire. Il y avait même écrit dessus: «Fermé pour cause de décès.» De décès? pourvu que ce ne soit que le sien! C'était un petit vieillard désagréable et qui surfaisait sa marchandise. Dieu ait son âme! Mais pourvu que le décès dont il s'agit ne soit pas celui du Printemps! Voyez-vous Avril n'ouvrant à Mai qu'une porte embarrassée de frimas, et celui-ci passant comme un corbillard de pauvre, sans fleurs épanouissant leurs gerbes même sur son cercueil! Et les promenades projetées le long des eaux claires où, nouvel Ulysse, j'aurais poursuivi, en vous, une Nausicaa plus charmante que celle des Odyssées! Et les licites promesses sous les aubépines! Tout cela sera-t-il donc enterré avec ce mot exquis, dont l'âme sera partie, sans doute dans le parfum de la première violette?
Je ne veux pas penser, ma chère, à cet écroulement de tous les bonheurs médités au coin du feu durant les mois qui viennent de finir. Je ne veux pas vous offrir, non plus, bien qu'elle soit la plus charmante du monde, cette branche de fusain sur laquelle la neige a cependant dessiné, en blanc, des fleurs tout à fait curieuses suivant le caprice des feuilles. Un rayon de soleil n'aurait qu'à venir et à les fondre! L'image d'un impérissable amour ne saurait être un si périssable présent!
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JACINTHES
Roses et bleues, violettes et mauves, les jacinthes ouvrent seules leur coeur déchiqueté, leur coeur de marbre vivant, tendre et veiné comme une chair délicate.
Quand donc aimerons-nous avec toutes les fleurs?
Cet hiver sans fin qui tient les germes captifs sous l'écorce durcie de la terre étend son oppression jusqu'à nos pensées qu'il étreint, jusqu'à notre âme qu'il referme sur ses désirs. En vain le Temps nous a-t-il pétris d'artifices, il n'a pu nous arracher encore à la grande loi qui fait tristes ou gais les êtres et les choses, tout ce qui meurt d'ombre et tout ce qui vit de soleil. D'ailleurs, quand il n'en sera plus ainsi, il sera temps que l'humanité finisse et tombe, comme un fruit pourri, dans le néant, comme un fruit où s'est tarie la dernière goutte des sèves universelles.
En attendant, résignons-nous à être comme les bêtes et comme les plantes qui souffrent des matins trop lents et des soirs trop rapides, éperdues des lumières et des chaleurs à venir. C'est encore le meilleur de notre lot et ce qui nous reste de divin.
Quand donc aimerons-nous avec toutes les fleurs, nous qui n'apportons encore aux bien-aimées que des lilas de serre, chlorotiques et mourants, sans haleine et sans feuillage, ou des roses frileuses qui pleurent leurs pétales sur les tapis, ou des violettes lointaines que ne gonfle plus le souffle sauvage des bois? Et cependant de quel sourire joyeux, de quelle main blanche avidement tendue vers nos indignes présents elles accueillent les fantômes de fleurs, celles qui portent, en elles aussi, l'espoir meurtri des nouveaux immortels! C'est une grande pitié qui s'échange entre ces exilées de l'azur. Les fleurs semblent tendre leurs lèvres vers celles des femmes comme pour y chercher un peu des tiédeurs obstinées du sang qui les empourpre. Et la bouche des femmes se penche volontiers vers celle des fleurs pour y boire un peu des fraîcheurs humides et parfumées qu'ont gardées leur corolle.
* * * * *
Quand donc reverrons-nous ensemble, mignonne, les coins de bois que les matins ensoleillés emplissent d'une vapeur dorée, d'une poussière de clarté rose roulée par les brises à l'horizon? Il advint plus d'une fois quand, déjà lasse de notre course aurorale, vous vous étiez assise sur un banc, que je me pris à contempler votre tête brune se détachant sur ce fond d'apothéose, comme les figures des vierges sur le fond des vitraux et des missels. Vous étiez toute nimbée comme une sainte, vous qui ne savez de litanies que celles des baisers et dont le mysticisme tout sensuel n'a pas les ambitions de celui de sainte Thérèse, l'amante, attardée d'un Dieu. Oui, ma chère, cette auréole vous seyait à ravir et tous nos paganismes ressuscites s'agenouillaient devant vous. Car vous étiez là comme une déesse d'un temple plein d'encens vagues et de musiques mystérieuses. Tout chantait autour de vous l'hymne de votre Beauté sacrée, l'orgueil de votre chevelure où les souffles mettaient de longs frissons d'azur sombre, l'éclat de votre front radieux de ces triomphes intimes, la cruauté charmante de vos yeux et les dédains exquis de votre bouche, tout ce qui vous fait redoutable et adorée. J'imagine que ma pensée s'imposait à la vôtre et que vous vous preniez volontiers au sérieux, sans en rien dire, dans le rôle d'idole qui vous va si bien. Car vous aviez le bon goût de ne pas interrompre mes extases délicieuses et vous sembliez respirer, avec une joie recueillie, l'âme de mes adorations mêlées à l'adoration des choses. Celle des fleurs vous flattait un peu plus que la mienne. Voilà tout.
Et, comme vous êtes une personne bien décidée à n'être ingrate qu'avec moi, vous rendiez aux fleurs hommage pour hommage, les admirant avec des tendresses enfantines, et refusant de les cueillir de peur de leur faire du mal. Ce que les femmes ont de pitié pour les roses des haies! Au fait, toute la pitié qu'elles n'ont pas pour nous!
* * * * *
Leurs bons mouvements ne sont pas d'ailleurs éternels.
Après m'avoir dit de bien justes et bien éloquentes choses, d'une voix où tintait l'écho de vos larmes de petite fille, sur l'iniquité profonde qu'il y avait à déparer ces pauvres églantines de leurs branches maternelles, à trancher méchamment leur belle tige verte, à les arracher à la grande vie libre pour les emprisonner au bord d'un vase, vous reveniez toujours, je ne sais comment, avec des bouquets dans les mains; à moins que vous ne me les fissiez porter, quand il y avait beaucoup d'épines. Vous preniez même un grand plaisir à me voir piquer les doigts, excellente créature que vous êtes! Et moi, je vous avoue que ce martyre me donnait beaucoup de petites joies amères. Lequel est le plus fort et le plus vif, le besoin qu'ont les femmes de nous torturer et le bonheur que nous avons à être torturés par elles? Le métier de victimes a toujours eu du bon, même dans l'antiquité, où l'on ne manquait jamais de les combler de provenances culinaires et de les couronner de fleurs avant de les coucher, pantelants, sous le couteau de sacrifice.
Je vous rends cette justice, mon amie, de n'être jamais allée avec vous jusqu'à cet excès de familiarité. Il est vrai que vous n'avez jamais non plus pris la peine d'essayer des guirlandes de roses sur le marbre de mon front. Vous la gardiez pour vous et me jetiez même un mauvais regard quand je les reniflais de trop près, comme si mon nez allait boire tout leur parfum.
Vous me rendrez cette justice que je n'ai pas été jaloux de toutes les préférences pour de simples végétaux champêtres très incapables cependant de composer pour vous un sonnet aussi congrûment rimé que les miens. J'ai été même jusqu'à célébrer ces plantes, en vers de huit pieds, pour vous être agréable.
Ah! que vous étiez jolie, revenant du bois sous le grand frémissement des feuillages, fuyant la caresse déjà brûlante du soleil, une gerbe fleurie dans les bras, poursuivis par les bourdons qu'attirait l'odeur de votre butin où se mêlait le parfum vivant de votre haleine!
* * * * *
Vous avez eu beau acheter, dans les jardins ambulants que de faux campagnards promènent devant eux dans les rues, toute la flore de cette triste saison, les renoncules rouges pareilles à de larges taches de sang, les anémones étoilées qui semblent de petits astres en train de s'éteindre, les mimosas méditerranéens qu'on prendrait pour des constellations que le vent a jetées à terre; en vain, vous disposez artistement tout cela au faite de porcelaines japonaises, attendant, patiente, que les tiédeurs de votre chambre le fasse épanouir; il est temps, n'est-ce pas, que le printemps revienne avec l'innombrable épanouissement des arômes et des couleurs.
Nous reprendrons le chemin des grandes allées que bordent les mousses émaillées de marguerites blanches. Tout nous sera souvenir dans ces promenades perdues où je retrouverai ma route à la clarté d'un regard ou d'un sourire qui m'a fait immortellement sacrée quelque place que je reconnaîtrai toujours. Ce sera pour mon âme comme une fête Dieu, où j'irai de reposoir en reposoir, dans le balancement des encensoirs que les branches de lilas agitent, sous le rayonnement de vos yeux et de votre front plus blanc que la plus blanche hostie; oui, une fête Dieu toute ensoleillée et toute pleine de muets hosannas. Les chardonnerets à la tête rouge courront devant nous sur le sable comme des enfants de choeur avec une petite musique effarouchée.
Oh! vienne! vienne le printemps!
En attendant, roses et bleues, violettes et mauves, les jacinthes ouvrent, seules, leur coeur déchiqueté, leur coeur de marbre vivant, tendre et veiné comme une chair délicate.
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PREMIER SOLEIL
Un matin indécis avec des vapeurs légères, des brises d'argent qu'aucun souffle ne balaye; le jour grandissant dans un air tranquille; une aurore sans flamme et lentement montée d'un horizon sans pourpre. L'homme demeure indifférent à ce spectacle sans incidents; mais, possédant un sens plus subtil des choses, les oiseaux sont comme vibrants et, mus par une surprise pleine de joie, se poursuivent à travers les arbres dépouillés et piaillent le réveil encore obscur des heures amoureuses. Les pigeons roucoulent sur les toits avec cette marche scandée par les oscillations du cou que rythme la musique intérieure du désir.
Cependant midi s'avance derrière une avant-garde de lumière. Le ciel s'est éclairci et son azur aux pâleurs lointaines est comme celui d'un grand lac sur lequel navigue superbement le vaisseau d'or vivant du soleil. Une tiédeur oubliée emplit l'atmosphère. L'illusion du printemps à venir passe dans la nature et une joie triomphante de tous les êtres salue ce retour des journées étincelantes dans la gloire des renouveaux. Avant les fleurs dont les tiges sont encore sans feuilles, les âmes s'ouvrent à des brises mystérieuses où flottent, pour ce rêve, de vagues parfums. On dirait que l'astre d'où descend la vie s'attarde sur le chemin longtemps délaissé et s'assied, comme un voyageur las de sa course, aux portes roses de l'occident. Pour lui aussi, c'est une fête, et ce Dieu bien-faisant qu'ont adoré tous les peuples sages se complaît dans son temple rouvert et dans cette fumée bleue d'encens. Le soir vient enfin, mais un soir tout différent de celui de veille, un soir tout imprégné de la chaleur de cette première journée, un soir dont les étoiles scintillent, non plus comme des flèches de givre piquées dans le firmament, mais comme de petites roses de feu s'épanouissant dans un grand jardin d'ombre.
* * * * *
Mignonne, voici le printemps,
—Aimons-nous bien au temps des roses.—
L'azur, dans les cieux éclatants.
Rouvre ses portes longtemps closes,
D'où la lumière, en flots vainqueurs,
Descend jusqu'au fond de nos coeurs.
—Aimer! chanter!—les douces choses!
Les taillis sont pleins de chansons;
—Aimons-nous bien au temps des roses;—
Et l'ombre met de doux frissons
Au coeur tremblant des fleurs écloses.
Sur nos fronts l'aile du matin
Fait passer un souffle incertain.
—Aimer! rêver!—les douces choses!
Nos rêves sont vite lassés.
—Aimons-nous bien au temps des roses.—
Les beaux jours sont vite passés;
Le coeur a ses métamorphoses,
Mois le temps n'y saurait ternir
La floraison du souvenir.
—Aimer! souffrir!—les douces choses!
* * * * *
O réveil d'un printemps que consacrent deux années de souvenirs! Un soleil se lève aussi dans notre coeur, et le grand bois nous rappelle, le grand bois tant de fois parcouru dans les lumières, dans l'odeur rajeunissante des sèves, dans les joies fraternelles de tout ce qui aime. Tu remettras bientôt tes toilettes claires où se moule, dans une intimité plus tentante, la grâce de ton corps, qu'on dirait illuminée, comme des lampes d'albâtre, par la clarté intérieure que tes formes portent en elles. Car, pour moi, toute flamme vient de ta beauté. Reprenons les chemins où les premiers baisers ont fleuri sur nos lèvres, les baisers furtifs et délicieux où s'exhale l'espoir tremblant des tendresses innocentes encore. Qui dira les douceurs chastes de cette souffrance? Elle occupa tout le premier printemps que nous passâmes ensemble. Le suivant fut fait de caresses heureuses, d'amours largement épanouies. Celui qui vient nous donnera plus de joies encore, le temps ayant fait plus profondes les attirances qui sont devenues notre vie.
Viens par les allées dont aucun feuillage ne festonne d'ombre les sables lumineux. Je te montrerai cependant des bourgeons poussant, le long des branches, leurs petites têtes d'émeraude. Ce sont nos espoirs vivants. Tes yeux cherchent déjà des fleurs dans l'étendue et ma main se tend pour les cueillir. Quel bonheur de piquer la première rose à ton corsage!
Mais les roses ne sont pas encore ouvertes. Il a suffi de la vision du soleil dans le grand bois pour évoquer cette floraison menteuse dans mon cerveau avide de vous donner des joies. Mon coeur est comme un jardin d'hiver où toute saison est fleurie. Je voudrais qu'il s'épuisât sous ta main et que ma dernière pensée vînt remplacer à ton corsage la rose que je t'ai promise et qui n'est même pas encore en bouton.
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TABLE DES MATIÈRES
L'HYMNE DES BRUNES
I.—CONTES DE PRINTEMPS
La première du printemps
Mimosas
Le buis
Prose de Pâques
Au salon
Tulipes
Poème de mai
Choses vécues
II.—CONTES D'ÉTÉ
Fête des Fleurs
En messidor
Bateaux rouges
Au pays des rêves
Nuits blanches
Paraphrase
Matutina
III.—CONTES D'AUTOMNE
Dans les jardins
Super flumina
Derniers violettes
L'âge d'or
Choses d'amour
IV.—CONTES D'HIVER
Première neige.
Carnaval amoureux
Brouillards
Taïaut
Amorosa
Mensonges
Entre terre et ciel
Jacinthes
Premier soleil