Contes à mes petites amies
UNE MÈRE.
Qui nous a fait naître? Une mère…. Qui bien souvent court risque de perdre l'existence en nous la donnant? Une mère…. Qui est-ce qui veille sans cesse à nos premiers besoins, soutient nos pas chancelants, supporte tous les caprices, adoucit tous les maux de notre enfance? Une mère…. Qui nous préserve des dangers de l'inexpérience, nous donne les premières impressions du bien, dirige nos penchants, forme notre caractère et prépare notre avenir? Une mère, toujours une mère.
Si nous consultons l'histoire, c'est une mère qui ramène Coriolan au devoir sacré qu'impose la patrie; c'est une mère qui éclaire la justice de Salomon; c'est une mère qui sauve Moïse de la barbarie d'un roi d'Égypte; c'est une mère qui, pour conserver les jours d'Astyanax, se dévoue à un hymen précurseur de la mort; c'est une mère qui préserve Iphigénie de la perfidie de Calchas et de l'orgueil d'Agamemnon.
Comment, d'après toutes ces vérités, ces exemples et ces faits historiques, ne pas répondre à la tendresse de celle qui nous a donné le jour, par toutes les affections de notre âme et l'élan de notre pensée?… Oh! qu'elle est coupable, qu'elle est à plaindre surtout la jeune fille qui néglige de rendre à sa mère cette affection profonde, cette prévenance de tous les instants, ce retour toujours insuffisant de l'amour maternel! C'est en vain qu'on est doué des qualités les plus aimables, des dispositions les plus rares, des avantages qui font chérir et rechercher dans le monde; tout cela n'est rien sans l'amour tendre, respectueux, inaltérable, que l'on doit à sa mère.
A l'entrée du grand chemin qui conduit de la route de Nantes au village de Fondettes, est une habitation charmante appelée les Tourelles. Elle domine sur la plus belle partie du jardin de la France, et pendant près de quinze lieues, on y suit de l'oeil le Cher et la Loire, qui serpentent délicieusement à travers d'immenses prairies, des vallons et des îles de toutes dimensions et d'une variété ravissante. C'est surtout à l'époque du printemps et de l'automne, lorsque l'équinoxe agite les vents et rend la navigation favorable, que cette habitation très-renommée offre un spectacle enchanteur. On aperçoit au fond de l'horizon, sur chaque rivière, une quantité prodigieuse de voiles qui remontent les produits du commerce maritime, forment des espèces de flottes qu'on voit, qu'on perd de vue, et qu'on retrouve à travers les arbres touffus dont sont couvertes les différentes îles.
Cette belle habitation, dont le propriétaire est un habile et riche spéculateur qui fait à Paris le plus noble emploi de sa fortune, était occupée par une famille étrangère, venue en Touraine pour se perfectionner dans la langue française, y goûter ce charme inexprimable, y respirer cet air si suave et si pénétrant qu'on ne trouve que dans ces beaux climats. Le chef de cette famille, M. Kistenn, homme aimable, instruit et bienfaisant, attirait dans sa charmante retraite les personnes des environs qu'il jugeait dignes de former sa société habituelle. Sa femme lui avait donné trois enfants, deux garçons qu'il faisait élever au collège de Vendôme, et une fille nommée Erliska, dont il était idolâtre, et qui comptait à peine quatorze ans. Sa mère seule dirigeait son éducation, dont elle s'occupait sans cesse; et tout annonçait dans madame Kistenn un esprit orné, des talents remarquables, et surtout une intarissable bonté.
Erliska, d'une figure agréable et d'une vivacité pétulante, avait été trop bien élevée pour méconnaître les devoirs sacrés de l'amour filial. Elle portait à son excellente mère un attachement sans bornes; elle ne pouvait se séparer d'elle; et plus elle étudiait le monde, plus elle découvrait de qualités dans celle qui l'avait fait naître, plus elle se trouvait heureuse et fière de lui appartenir. Cependant, soit vivacité naturelle, soit oubli des convenances, elle prenait, à tout moment et sans y songer, la funeste habitude de faire répéter plusieurs fois à sa mère les ordres que celle-ci lui donnait, et de lui répondre d'un ton qui annonçait clairement qu'elle n'obéissait qu'avec contrainte. Madame Kistenn la conduisait-elle au piano, sur lequel on la voyait se complaire à guider son inexpérience, Erliska murmurait toujours, ne prenait place qu'avec humeur, et les premières lignes de musique qu'elle parcourait étaient exécutées tout de travers.
La trop complaisante mère ne disait rien; elle attendait avec une patience admirable que le nuage se fût dissipé. Conduisait-elle sa fille à son bureau de travail, où elle lui faisait faire des analyses précieuses de grammaire, de géographie et d'histoire, Erliska abondait en observations puériles, propres à détourner l'attention de son guide et à l'impatienter; mais la tendre mère attendait encore que le calme succédât à l'orage. Enfin, à tout ce que disait l'enfant gâté pour se soustraire à une étude indispensable, madame Kistenn ne répondait jamais que par l'accent irrésistible de la raison; et souvent alors, désirant éviter avec sa fille le moindre débat, on la vit se relâcher de son autorité.
Cet excès d'amour maternel donnait des armes à Erliska, qui, presque toujours, on abusait. Ce fut au point qu'elle ne recevait pas la plus simple observation de son aimable guide sans y répondre avec aigreur; quelquefois même elle se servait d'expressions hasardées qui pouvaient faire penser qu'elle ne portait à la meilleure des mères qu'un attachement de calcul et d'égoïsme. Tant il est vrai que, lorsque nos lèvres obéissent aux ordres de nos caprices, elles ne sont pas toujours les fidèles interprètes de notre coeur.
Erliska, parvenue à l'âge où l'âme a besoin de s'épancher, avait remarqué, parmi les jeunes personnes de son âge reçues chez son père, celle que tout semblait lui désigner comme digne de son premier attachement. C'était la fille d'un homme de lettres connu par de nombreux ouvrages. Elle était âgée de quatorze ans, se nommait Virginie Saint-Ange, et réunissait ensemble les heureux dons de la nature et les avantages d'une parfaite éducation, mais, élevée par une mère à la fois tendre et sévère, elle était habituée, dès son enfance, à exécuter les ordres qu'elle recevait, sans jamais proférer la moindre observation, sans jamais faire entendre le moindre murmure. Virginie, convaincue que sa mère avait bien plus d'expérience qu'elle et n'était occupée que de son bonheur, lui obéissait aveuglement; il lui suffisait d'un geste, d'un seul coup d'oeil, pour comprendre ce qu'elle exécutait à l'instant même; aussi n'éprouvait-elle aucune souffrance, aucune contradiction. Moins on résiste à obéir, plus douce est la soumission; elle devient même insensible, comme la roue d'une grande mécanique qui suit le mouvement imperceptible qu'elle reçoit d'une force supérieure.
Erliska et Virginie s'unirent d'une amitié intime: elles ne laissèrent pas s'écouler un seul jour sans sa voir, sans conférer ensemble sur leurs plans d'étude, leurs projets de société, leurs lectures chéries. Partout on les rencontrait échangeant une fleur, un bijou, lisant le même livre et se faisant une mutuelle communication de leurs pensées, de leurs réflexions. Erliska trouvait dans ce doux commerce un grand charme, un grand profit. Virginie, dirigée par son père, était d'une instruction profonde, d'un sens exquis et d'une raison imperturbable; mais elle se gardait bien de faire sentir à son amie l'avantage qu'elle avait sur elle, et savait descendre à son niveau, de façon que la délicatesse n'eût point à s'en plaindre, et que l'amour-propre n'eût jamais à souffrir.
Cependant Erliska crut s'apercevoir que sa jeune amie n'avait plus la même confiance, les mêmes épanchements. C'était bien encore cette aménité qui la rendait si charmante; mais ce n'était plus le même élan de l'âme: une certaine contrainte, un secret embarras, se faisaient remarquer dans la geste, dans la voix de Virginie; ses yeux ne s'attachaient plus aussi fixement sur ceux d'Erliska. Celle-ci, dont la susceptibilité répondait à la pétulance de son imagination, pensa que sa jeune compagne avait rencontré dans le monde quelque personne plus digne de son amitié, et, dédaignant de s'en expliquer franchement, elle rompit tout-à-fait, et chercha à former une autre intimité qui pût la dédommager de celle dont elle avait été si fière.
Elle distingua, parmi les jeunes demoiselles qu'on recevait dans la maison de son père, la fille d'un riche capitaliste, qui possédait un vaste domaine à peu de distance des Tourelles; et les affinités du voisinage, la possibilité de se voir tous les jours, firent pencher Erliska vers la jeune Eudoxie de Fréneuil. Ses parents étaient bien plus riches que ceux de Virginie; et cet étalage de luxe et d'opulence éblouit d'abord les yeux, mais il ne satisfait pas toujours les besoins du coeur. Erliska en fit l'expérience: elle ne trouva dans Eudoxie qu'un esprit tranchant et sardonique, elle ne découvrit en elle que cette jactance des enrichis, qui ne mesurent le mérite des gens qu'à la figure qu'ils font dans le monde. Ce n'était pas cette touchante pudeur, ces épanchements de l'âme la plus délicate et la plus aimante, que rendaient l'intimité si délicieuse avec la timide et modeste Virginie. La plus froide indifférence ne tarda pas à naître entre les nouvelles amies; et la brillant Eudoxie fut abandonnée sans regret, comme on s'y était attaché sans réflexion.
Cependant on ne voulait pas paraître isolée dans le monde, surtout aux yeux de Virginie, qu'on y rencontrait encore: elle aurait pu croire qu'elle était la seule avec laquelle l'amitié pût avoir des charmes. Erliska se sentit donc une secrète prédilection pour la fille unique du comte de Saint-Far; il tenait un des premiers rangs dans la noblesse de la province.
La jeune Palmire avait près de quinze ans, et tout annonçait en elle une âme élevée, un esprit orné. Son maintien était gracieux, imposant; elle portait la tête haute, et son regard parcourait avec une noble assurance tout ce qui paraissait être à son niveau; mais, lorsqu'elle daignait abaisser ses yeux sur les personnes qu'elle savait ne pas être titrées, on remarquait sur ses lèvres un mouvement dédaigneux, et sur ses traits une contraction qui indiquait clairement que chez elle le sentiment dominant était l'orgueil de la naissance. Comme la famille Kistenn était étrangère, Palmire ne crut pas dérager en voyant assidûment Erliska; et celle-ci, flattée de cette condescendance, s'imagina qu'elle avait enfin trouvé l'amie que désirait son coeur.
Mais qu'elle eut à souffrir de cette nouvelle liaison! Palmire ne parlait que de ses ancêtres, de l'antiquité de sa race, qui remontait, selon elle, jusqu'au temps de Charlemagne. Les sciences, les lettres et les arts n'étaient rien à ses yeux auprès d'un quartier de noblesse qu'on avait de plus que telle ou telle grande maison; les bienfaiteurs même de l'humanité, les laborieux auteurs des plus belles découvertes nécessaires à la prospérité de l'Etat, n'inspiraient à Palmire aucune considération. Erliska, habituée depuis son enfance à respecter les grands noms, mais en même temps à honorer le vrai mérite et les services en tout genre rendus à la patrie, ne put se courber longtemps sous l'excessive fierté de sa troisième amie; et, s'apercevant qu'elle-même se refroidissait chaque jour à son égard, elle rompit ainsi qu'elle l'avait fait avec les deux premières.
Elle chercha donc à se lier avec des filles de magistrats, de financiers, de négociants, parmi lesquelles son coeur, tourmenta du besoin l'aimer, rencontra plusieurs personnes dignes de son estime et de son amitié. Elle ferma successivement des liens qu'elle croyait durables; mais à peine s'attachait-elle sérieusement à celles que lui offraient le plus sûr gage d'une heureuse réciprocité, qu'elle voyait ses nouvelles amies se refroidir et se séparer d'elle. Ce fut au point que dans les grandes réunions où la présentait sa mère, elle ne recevait plus des jeunes personnes de son âge que de ces égards forcés, de ces politesses d'usage, mais pas un mot affectueux, pas un coup d'oeil d'intérêt, pas le moindre serrement de main.
«Qu'ai-je donc fait? se disait alors Erliska, et qui peut m'attirer cette espèce de réprobation dont je suis accablée? Pourtant mon âme est pure, aimante; jamais la moindre médisance n'a souillé mes lèvres; jamais je n'ai rompu la première avec celles qui m'ont si cruellement abandonnée…. Virginie aurait-elle donc répandu sur moi des bruits calomnieux? non, non, elle en est incapable…. Mais pourquoi s'est-elle éloignée de moi? Elle est si bonne, si modeste, et me témoignait un attachement si tendre!… Il faut absolument que je m'explique avec elle, et que je sorte de cette incertitude qui me fait tant souffrir.»
Le hasard servit Erliska. Un matin qu'elle sortait de son appartement, et qu'elle remontait les bosquets qui conduisent de l'habitation des Tourelles à la butte de Henri IV, si renommée dans le pays, elle aperçoit Virginie, un livre à la main, accompagnée d'une ancienne gouvernante, et gagnant, tout en lisant, le sommet de cette butte couronnée d'ormes antiques, d'où l'on domine sur la ville de Tours et ses environs, qui forment un des plus admirables points de vue de la France et peut-être de l'Europe entière. A peine Virginie et sa fidèle compagne sont-elles assises sur un banc de verdure, qu'Erliska les aborde en tremblant, et, s'adressant à sa première amie, elle lui dit d'une voix altérée par la vive émotion qu'elle éprouvait: «Excusez-moi, Mademoiselle, si j'ose vous interrompre dans votre lecture; mais mon âme est trop vivement oppressée … et je vous ai vue si souvent secourir les êtres souffrants, que j'ai pensé que vous ne rejetteriez pas ma prière.—Parlez, chère Erliska, répondit Virginie d'un ton plein de bonté.» La faisant placer auprès d'elle, et prenant une de ses mains qu'elle presse, elle ajoute; «Je devine votre tourment, et vous me confirmez dans l'idée que je m'étais faite: vous ignores, je le vois, la cause du cruel isolement que vous éprouvez…. Ne l'attribuez qu'à vous seule.—A moi! dites-vous; je ne puis vous comprendre.—C'est la douceur angélique de votre mère, c'est sa trop grande indulgence qui vous rend si coupable aux yeux du monde.—Coupable! et de quoi?—D'être indifférente pour celle qui vous donna le jour.—Moi! ne pas aimer ma mère! Ah! je donnerais pour elle mon sang, ma vie….—Et pourquoi donc la traitez-vous avec aussi peu d'égards? pourquoi n'obéir à ses ordres qu'en murmurant ou les éluder avec une inconvenance remarquable? Elle feint, par excès de tendresse, de ne pas en être blessée; mais les personnes qui vous approchent sont fondées à croire que vous ne la regardez que comme une simple surveillante, que vous ne lui portez que des sentiments froids et calculés sur le besoin que vous avez d'elle. Voilà ce qui vous a privée des différentes liaisons que vous avez voulu former; voilà ce qui vous à fait perdre la confiance et la considération de vos jeunes compagnes. On a craint de s'attacher à celle qui négligeait à ce point les droits sacrés du sang; et moi, toute la première, je me suis éloignée de vous en me disant: Comment compter sur un coeur qui résiste à la voix de la nature? l'indifférente fille de la plus tendre mère ne peut jamais être une véritable amie.»
Cette révélation produisit sur Erliska l'effet le plus terrible et en même temps le plus salutaire. Noyée de larmes, elle gémit de son erreur, avoua sa coupable habitude, à laquelle on la vit renoncer pour jamais. Avide d'estime et d'attachement, elle montra pour sa mère une soumission respectueuse, des soins assidus, une tendresse inaltérable. Peu à peu elle regagna ce qu'elle avait perdu: le contentement de soi-même et les faveurs de l'opinion publique. Mais le premier de tous ces biens, le trésor qu'elle ambitionnait le plus, ce fut l'amitié de Virginie. Elle l'avait ramenée à ses devoirs; chaque jour elle lui faisait éprouver le charme de la piété filiale; chaque jour elle élevait son âme en lui faisant honorer la source de son être; en un mot, elle lui avait appris ce que vaut … une mère.
LA CHAUMIÈRE DE LA VEUVE.
Sur les rives charmantes du Cher est le village le Saint-Avertin, renommé par la fertilité du vignoble, la beauté des sites et le nombre considérable d'habitations délicieuses qu'il réunit. La plus belle est le château de Cangé, bâti au sommet du coteau méridional de la rivière qui baigne ses bas jardins et ses vastes prairies. On ne saurait trouver dans la Touraine un point de vue à la fois plus riche et plus varié que celui dont on jouit dans cet admirable séjour. On dirait que la nature voulut y rassembler tout ce qui peut donner une idée de sa magnificence. A droite, on découvre la ville d'Amboise, et, sur la ligne horizontale, le château de Blois; à gauche, la ville de Tours; plus bas, celles de Luynes, de Langeais, et, huit lieues plus loin, les tourelles de la forteresse de Saumur. En face s'élèvent les riches coteaux de la Loire, qui coule à une demi-lieue des rives du Cher, arrosant ensemble une immense vallée de près de trente lieues de long, de la plus belle agriculture, et couverte de quatre-vingts villages qu'on distingue aisément à l'aide du télescope. Aussi Barthélémy, qui y fut conduit un jour, s'écria-t-il à cet aspect ravissant: «Ah! c'est une seconde création!»
Ce château appartient aujourd'hui à l'un des plus riches fabricants de scieries de la ville de Tours, allié de ma famille; et l'accueil qu'il fait aux étrangers qui vont visiter cette belle demeure ajoute encore à tout ce que la nature y réunit. Je ne vais jamais revoir le pays qui me vit naître sans attacher mes regards sur ce château de Cangé, où je fus souvent accueilli dans ma jeunesse par l'honorable famille du Sévelinges, dont le pays conserve encore le souvenir.
Lors du dernier voyage qui m'y conduisit, j'eus le bonheur d'embrasser le vieux pasteur du lieu, nommé Nivet, jadis mon professeur de troisième au collège royal de Tours, et je recueillis de sa bouche une anecdote qui doit, si je ne me trompe, intéresser vivement mes petites amies.
Au bas du coteau de Saint-Michel, attenant au village de Saint-Avertin, est une humble chaumière occupée par une veuve infirme dont le mari et les deux fils sont morts dans la funeste campagne de Moscou. Seule, sans parents, sans appui, cette pauvre femme, qu'on appelait la mère Durand, existait du travail de ses mains: elle employait tout son temps à dévider de la soie pour les fabricants de la ville de Tours, ce qui, en s'occupant depuis cinq heures du matin jusqu'à huit heures du soir, peut produire à l'ouvrière environ dix à douze sous par jour. Naturellement gaie et résignée aux coups du sort, la mère Durand trouvait le moyen de cultiver elle-même son jardin; et du produit de ses veilles elle faisait bêcher et entretenir un petit clos de vignes qu'elle possédait au sommet du coteau de Saint-Michel, et qui produit le meilleur vin du canton.
Mais bientôt l'excès de travail et l'isolement pénible où se trouvait cette malheureuse veuve diminuèrent ses forces, altérèrent sa santé. Paralysée du bras gauche, elle ne fut plus en état de pourvoir à son existence; et les principaux habitants du village s'occupèrent à la placer dans un hospice. Mais c'eût été lui donner la mort: l'idée seule de quitter sa chaumière, où elle était née, où elle avait eu le bonheur d'être épouse et mère, où, depuis soixante ans, elle jouissait d'une douce indépendance, cette idée la désespérait; et sans cesse elle répétait à ses voisins que le jour où elle serait forcée de quitter son humble demeure serait le dernier de son existence.
Le château de Cangé était, à cette époque, habité par une famille opulente, qui, après avoir couru les chances les plus favorables du commerce, dans les quatre parties du monde, était venue s'établir et se délasser de ses longs travaux dans le beau jardin de la France, si digne de sa célébrité. Un des chefs de cette famille honorable était capitaine de vaisseau et l'heureux père de deux jeunes filles, nommées Céline et Louisa: l'aînée avait douze ans, et la cadette ne comptait qu'un printemps de moins que sa soeur. Le hasard les conduisit à la chaumière de la veuve, qui leur raconta ses malheurs, et la nécessité cruelle où elle se trouvait d'aller mourir dans un hospice.
«Eh quoi! dit Céline, la veuve et la mère de trois militaires morts au champ d'honneur serait forcée de quitter son paisible foyer! Nous ne le souffrirons pas.—Non, non, dit à son tour Louisa; nous conserverons à cette respectable infirme sa chaumière et ses chères habitudes. Promettons-nous de diriger nos promenades du matin de ce côté, et l'excellente bonne qui nous a élevées nous secondera dans le projet que je conçois. Prenez courage, mère Durand, nous ne vous abandonnerons pas; et, dès demain, nous commencerons notre service auprès de vous.—Vot' service, mes bonnes demoiselles! ah! c'est moi qui s'rais heureuse d'être au vôtre, si j'avais assez d' forces pour ça; mais faut ben se soumettre aux volontés du ciel, et respecter jusqu'aux rigueurs dont il nous accable: faut toujours croire, comme nous l' dit not' bon pasteur, qu' les maux dont il nous frappe sont une expiation d' nos fautes, et l'assurance d'un meilleur sort dans l'autre monde.»
Les deux jeunes soeurs furent touchées de la pieuse résignation de la veuve; et, après l'avoir aidée aux soins de son petit ménage, elles s'éloignèrent en regardant à plusieurs reprises la vénérable infirme, qui suivit de ses yeux reconnaissants les deux anges que le ciel avait envoyés à son secours, jusqu'à ce qu'elle les eût tout-à-fait perdus de vue.
Le lendemain matin, pendant que leur famille reposait encore au château, Céline et Louisa, escortées de leur fidèle gouvernante, se rendirent à la chaumière de la veuve, qu'elles trouvèrent levée et faisant sa prière à Dieu, comme si elle eût été comblée de ses bénédictions. Pendant que la gouvernante fait le lit de la mère Durand, les deux jeunes demoiselles s'empressent d'aider cette dernière à se vêtir, et lui préparent un déjeuner frugal, mais stomachique, avec du vin vieux, du sucre et un petit pain qu'elles avaient apporté. On eût dit la respectable aïeule des deux charmantes créatures dont elle était entourée. L'une frotte avec un liniment salutaire le bras de la vieille, qui s'imagine que son sang circule de nouveau sous la main douce et bienfaisante qui la caresse; l'autre allume du feu avec deux vieux tisons qui, par hasard, se trouvaient encore dans la cheminée, et chauffe un morceau de flanelle dont elle fait une friction, qui, peu à peu, fait pénétrer dans le membre engourdi de la malade une chaleur vivifiante, et lui permet de remuer un peu les doigts, ce qu'elle n'avait pu faire depuis longtemps. Enfin, tous ces devoirs de la charité étant remplis, on s'occupe à dévider quelques écheveaux de soie que plusieurs fabricants de la ville confiaient encore à cette pauvre veuve. Céline, Louisa et leur gouvernante, chacune un dévidoir devant elles, agitent vivement une bobine qui se remplit de soie, et se font diriger dans cet essai par la mère Durand, souriant au zèle de ses trois apprenties.
Le plus grand secret avait été recommandé à la bonne vieille, et, pendant tout le mois de juin et la moitié de juillet, eut lieu, dès le lever du soleil, ce pieux pèlerinage à la chaumière de la veuve, dont on fermait la porte avec soin. Ce n'était que vers dix heures, au moment où la cloche du château sonnait le déjeuner, qu'on y remontait à la hâte, et qu'on paraissait avoir fait la promenade la plus délicieuse.
Les voisins de la mère Durand ne revenaient pas de la gaieté qui renaissait sur ses traits flétris par le malheur. Ils ne pouvaient concevoir comment, ne pouvant agir que du bras droit, elle vaquait à ses travaux et subvenait à ses besoins. «Bon, leur disait-elle, n' savez-vous pas qu' Dieu n'abandonne jamais ceux qui croyent à sa justice et s' confient à sa bonté? Chaque jour ma paralysie s' dissipe, et d'puis six semaines surtout, j' ons usé d'un certain r'mède qui bientôt m' rendra tout-à-fait libre d' mes pauvres membres, et m' sauvera du malheur d' quitter ma chaumière.»
Cependant le père de Céline et de Louisa s'était aperçu de l'absence qu'elles faisaient chaque matin, et, remarquant dans leur conduite un mystère, il résolut de l'éclaircir. Vainement il avait fait, à cet égard, plusieurs questions à leur discrète gouvernante; celle-ci, tout en le rassurant sur les motifs des secrètes promenades de ses filles, avait déclaré que rien ne pourrait lui faire divulguer le secret qu'elles lui avaient confié.
Le capitaine voulut toutefois s'assurer par lui-même de ce que faisaient ses enfants. Un matin, avant le lever du soleil, il les devance au hameau de Saint-Michel, les suit dans leur pèlerinage accoutumé, et les voit entrer dans une chaumière située sur les rives du Cher. Céline portait un petit panier de jonc paraissant contenir quelques provisions, Louisa tenait à la main un paquet de linge, et la bonne qui les accompagnait avait sous le bras une vingtaine de bobines remplies de soie, qu'elle avait réunies par un cordon. Le brave marin se douta sans peine qu'il s'agissait de quelque bonne oeuvre, et bientôt il en eut la conviction. A peine s'était-il glissé le long de la chaumière, du côté du jardin, qu'il aperçut, à travers une petite croisée à moitié vitrée, le tableau touchant que je vais essayer de décrire.
Céline tenait le bras gauche de la veuve, elle y versait une eau spiritueuse dont Louisa formait une friction avec un morceau de flanelle que la gouvernante renouvelait de temps en temps par un morceau semblable chauffé à la cheminée: et la mère Durand, les yeux levés vers le ciel, semblait lui demander de répandre ses bénédictions sur les deux jeunes soeurs. Bientôt la conversation qui s'établit entre elles apprit au capitaine que, depuis près de six semaines, ses deux filles prodiguaient leurs soins à cette digne femme; et que, ne se bornant pas à lui procurer tout ce qui pouvait adoucir sa cruelle position, elles réparaient la cessation de travail à laquelle était réduite la pauvre infirme en dévidant avec leur gouvernante, dans leur appartement au château, la soie confiée à la mère Durand, travail fastidieux, mais devenu son unique ressource. Ému de ce généreux dévouement, qui lui donnait l'explication des promenades du matin, et de l'espèce de retraite à laquelle Céline et Louisa paraissaient vouloir se condamner, l'officier de marine confia ce trait de bienfaisance au digne pasteur, qui me l'a rapporté, et dont la pieuse sollicitude résolut de profiter pour attirer sur la malheureuse veuve l'intérêt et la considération de tous les habitants du pays.
La fête patronale du village avait rassemblé beaucoup de monde au château de Cangé. La mère Durand, déjà plus qu'à moitié guérie de son infirmité, s'y était rendue sur l'invitation de ses deux jeunes bienfaitrices, qui croyaient que leur secret restait ignoré, la bonne vieille leur ayant promis de ne jamais le révéler. Elle fut abordée, dans la foule, par quelques fabricants de soieries qui lui donnaient de l'ouvrage, et s'étonnaient qu'avec un bras en écharpe elle pût répondre à leur confiance avec autant d'exactitude. La pauvre femme rougit et balbutia. Ses regards, en ce moment portés sur Céline et Louisa, semblaient leur dire: «Ne craignez rien, je n' vous trahirai pas.» Mais le vénérable pasteur, qui saisissait toutes les occasions d'exciter la charité chrétienne, désigne à ceux qui l'entourent les deux charmantes soeurs comme les anges tutélaires de la mère Durand, et divulgue tout ce qu'elles avaient fait pour la secourir.
Cette révélation produisit l'effet qu'en attendait le digne vieillard. Les jeunes villageoises des environs, en applaudissant au trait de bienfaisance des deux demoiselles du château, se reprochèrent de s'être laissé prévenir, et se promirent de profiter de l'exemple qu'elles leur donnaient. Elles arrêtèrent que deux d'entre elles feraient tour à tour le service de la semaine auprès de la respectable veuve et l'aideraient dans ses travaux. Chaque dimanche, à la sortie de la messe, toutes les jeunes filles tiraient au sort, et celles qu'il désignait allaient s'établir à la chaumière de la veuve, et la soignaient comme une tendre mère. Jamais le dévidage de la soie n'avait été aussi productif. Mais ce qui vint mettre le comble au bonheur de la pauvre femme, entièrement rétablie de son infirmité, c'est que les jeunes vignerons du pays voulurent à leur tour prouver leur dévouement à la femme, à la digne mère de ceux qui avaient versé leur sang pour la patrie. Ils convinrent également que, tous les mois, deux d'entre eux, choisis par le sort, seraient chargés tour à tour de cultiver le jardin de la veuve, et surtout son clos de vignes, en friche depuis deux ans. Ce pacte, exécuté avec autant de zèle que d'assiduité, procura, dès la même année, à la mère Durand, une récolte d'excellent vin, dont la vente lui rendit l'aisance et la sécurité de l'avenir. Elle ne rougissait point de recevoir les services de cette brillante jeunesse qu'elle avait vue naître, et se disait que lorsque son mari et ses enfants étaient morts au champ d'honneur, il était juste que l'humble champ qu'elle possédait fût cultivé par ceux qu'ils avaient représentés sous les drapeaux français. Le sang des uns était, en quelque sorte, expié par la sueur des autres, et cet échange civique prouvait que le guerrier qui tombe dans les combats ne meurt pas tout entier, et laisse un souvenir honorable qui, tôt ou tard, rejaillit sur sa famille.
La mère Durand existe encore, soignée, honorée par tout les habitants de son village. Elle n'a point quitté le lieu de sa naissance; elle s'occupe quelquefois à dévider de la soie à l'entrée de sa demeure, d'où ses regards attendris se portent sur le château de Cangé; et tous les étrangers qui vont visiter ce beau séjour, instruits de ce fait historique si digne des bons agriculteurs du jardin de la France, se font désigner avec empressement la chaumière de la veuve.
LES DEVOIRS DE L'HOSPITALITÉ.
Dans les siècles les plus reculés, chez toutes les nations, au palais des rois comme à la cabane du pâtre, l'hospitalité fut un devoir, une espèce de culte qu'on observait avec respect. Les saintes Écritures, les poètes de l'antiquité, les historiens de tous les temps, de tous les lieux, décrivent avec fidélité ce touchant accueil qu'on fit constamment à l'amitié, au malheur, à de hautes vertus, au seul titre d'hommes. On a vu, dans nos troubles civils, des proscrits trouver un asile chez ceux dont ils exposaient la vie; et, lorsque la victoire se lassa de favoriser nos armes, un grand nombre de nos braves défenseurs durent l'allégement de leurs maux, souvent même la conservation de leurs jours, à ce noble et antique usage d'admettre à son foyer l'étranger qui s'est égaré dans sa route, l'infortuné dont la souffrance ou la fatigue ont épuisé les forces.
Estelle Mornand, âgée de quinze ans, et Mélanie Valcour, qui n'en comptait qu'environ quatorze, élevées dans le même pensionnat, éprouvaient un mutuel attachement qui les dédommageait de l'absence de leurs parents. Estelle était fille d'un chef d'escadron que de graves blessures avaient forcé de se retirer du service. Mélanie était l'unique enfant d'un riche habitant de la ville de Tours, qui possédait une des plus agréables terres du jardin de la France, située sur les bords de la Vienne, dans les environs de Chinon. Les deux jeunes pensionnaires, liées par cette douce sympathie de goûts, de penchants qui toujours a tant d'empire sur les âmes neuves, ne pouvaient exister séparées l'une de l'autre. Lorsque Mélanie allait à la terre de ses parents, c'était une correspondance qui, chaque jour, exprimait le tourment de l'absence; et, lorsqu'Estelle se trouvait forcée de rester près de son père, devenu veuf, et dont les blessures exigeaient des soins assidus, Mélanie obtenait de sa mère la permission d'aller passer auprès de sa chère compagne tout le temps qu'elle pouvait dérober à ses études. En un mot, on citait partout les deux jeunes pensionnaires comme un modèle de la plus parfaite amitié.
Toutefois la différence de fortune produisait chez les deux inséparables plus ou moins d'application au travail. Mélanie, unique héritière d'un père opulent, dont elle était aimée, et d'une mère chez qui l'indulgence égalait la tendresse, n'obtenait pas dans ses études le même succès que sa jeune amie. La première, certaine de réunir tous les avantages de l'opulence et d'être recherchée par les familles les plus distinguées, ne possédait que ces demi-talents de société, que cette instruction suffisante pour se présenter dans le monde. La seconde, qui n'avait pour ressource que la pension de retraite dont jouissait son père et quelques modiques économies qu'il avait pu faire, se livrait avec ardeur aux leçons en tout genre qu'elle recevait dans l'honorable maison où s'était écoulée son enfance. Elle joignait à l'instruction la plus étendue des talents qu'elle portait jusqu'à la perfection. Elle peignait le paysage avec une facilité remarquable et l'animait de figures posées avec une vérité frappante. Douée d'une voix flexible et pénétrante, elle accompagnait sur le piano; déjà même elle exécutait, à livre ouvert, tout ce que les grands maîtres composaient de plus savant. Aussi avait-elle remporté les premiers prix de musique et de peinture, tandis que sa jeune compagne n'avait pu mériter qu'un second accessit, et cela parce que l'aimable Estelle l'excitait sans cesse à vaincre son indolence et lui faisait faire des études particulières avec tout le zèle d'une soeur aînée, avec ce noble désir d'élever jusqu'à elle l'objet de ses plus tendres affections.
Tant que cette supériorité en tout genre n'eut lieu qu'à la pension, l'amour-propre de Mélanie n'en souffrit aucunement. Elle trouvait même une espèce de triomphe à se dire l'inséparable de la charmante Estelle, qui réunissait tous les suffrages et recueillait toutes les couronnes. La première amitié, ce sentiment à la fois si vif et si doux, est une association délicieuse, où tout est nivelé par le coeur, où l'on ne connaît aucune prérogative, aucune suprématie. Le succès de celle qu'on aime devient en quelque sorte personnel, et l'on s'identifie avec elle jusqu'à se croire de moitié dans les éloges qu'elle mérite, dans les récompenses qu'elle obtient. Mais en est-il toujours de même dans le monde? C'est ce que nous démontrera l'anecdote dont je fus le témoin, et que je me fais un devoir de raconter à mes petites amies, pour les prémunir contre ces atteintes de l'amour-propre qui nous aveuglent et nous détachent par degrés de ce que nous aimions le plus.
Le temps des vacances était arrivé. Monsieur et madame Valcour se disposaient à conduire Mélanie à la terre qu'ils possédaient sur les bords de la Vienne; mais celle-ci, plus attachée que jamais à sa chère Estelle, pria son père et sa mère de permettre qu'elle emmenât son amie, dont la santé était altérée par excès de travail, et qui, tout en se rétablissant, lui procurerait la société la plus agréable et la plus utile. Mélanie n'eut pas de peine à obtenir de ses parents la permission qu'elle réclamait; et le brave Mornand, forcé d'aller prendre les eaux pour achever de cicatriser ses blessures, fut ravi que, dans son absence, sa fille allât respirer l'air de la campagne sous les auspices de l'amitié.
Voilà donc nos deux jeunes pensionnaires établies dans un très-beau château, au milieu de vastes jardins, de bois délicieux, et sur les bords d'une rivière qui répandait partout la fraîcheur et la fécondité. Oh! que de promenades sur l'eau! que de courses en char-à-bancs! que de joyeuses parties dans les environs! Ce qui charmait surtout nos deux pensionnaires, c'était le voisinage de la ville de Chinon et d'un grand nombre de belles habitations, dont les propriétaires formaient une société choisie. Chaque jour se renouvelait une réunion nombreuse, et souvent, au sein de cette heureuse liberté qu'autorise le séjour des champs, on retrouvait le charme et les avantages d'une grande ville. Tantôt c'était un concert composé à l'improviste, et qui, par cela même, n'en devenait que plus attrayant; tantôt on jouait un proverbe, où la gaieté décente et l'esprit sans prétention faisaient naître des scènes comiques, inspiraient d'heureuses saillies; tantôt enfin c'était une fête de village où les riches propriétaires, confondus parmi les bons et joyeux agriculteurs, prouvaient que le plaisir ne connaît ni les rangs ni les distances.
On conçoit que, dans ces diverses réunions, nos deux jeunes amies ne tardèrent pas à se faire distinguer. Mélanie dansait à ravir, mais avec prétention; Estelle avait une danse plus simple: son maintien, tous ses mouvements, offraient une grâce naturelle. La première excitait la curiosité; elle attirait les hommages. La seconde, par son aimable enjouement, par cette communication décente qui séduit, se voyait environnée d'une foule nombreux. Faisait-on de la musique, Mélanie étonnait tous ses auditeurs par un chant rempli de difficultés, de roulades et de fioritures, que sa jeune compagne lui avait fait répéter; mais celle-ci, dans un air plein d'expression, pénétrait tous les coeurs, excitait un véritable enthousiasme. Ce qui surtout donnait à la jeune Estelle un grand avantage sur Mélanie, c'est qu'elle s'accompagnait sur le piano avec une assurance, un aplomb qui faisaient ressortir encore les heureux dons qu'elle avait reçus de la nature, et que le travail le plus constant avait perfectionnés.
Mais c'était surtout dans les proverbes improvisés que l'ingénieuse Estelle montrait tout ce que l'esprit et l'instruction peuvent avoir de séduisant. Elle ne recherchait point les premiers rôles, mais ceux qui, tout en faisant briller les autres, exigeaient de la suite dans les idées, un tact fin, délicat, une heureuse imagination. Représentait-elle une jeune villageoise gauche et timide, une servante d'auberge active et gaie, une servante adroite et rusée, elle prenait si bien le masque, le langage et le maintien de ces divers personnages, qu'on s'imaginait les voir et les entendre. Aussi, dès qu'elle entrait en scène, recevait-elle de tous les spectateurs un accueil et des applaudissements qui la désignaient comme l'un des premiers sujets de la troupe. Mélanie obtenait aussi quelques suffrages par sa tenue imposante et le ton recherché qu'elle savait prendre dans les rôles de dame de maison; mais elle était loin d'avoir la verve, la précision, et surtout les heureuses reparties de sa jeune compagne…. Bientôt l'envie, ce reptile venimeux qui se glisse imperceptiblement jusque dans le paisible séjour de l'amitié, vint répandre ses poisons sur les deux amies, dont elle eût rompu les liens sacrés, si la prévoyante Estelle n'eût pas mis en usage ce qu'en pareil cas lui dictaient la délicatesse et son inaltérable attachement pour Mélanie. Elle s'étudia donc adonner par degrés moins d'expression à tout ce qu'elle disait, à retenir sur ses lèvres les mots heureux qui lui venaient à la pensée. Elle porta sa généreuse résignation jusqu'à montrer moins de supériorité dans les divers talents qu'elle possédait. Le piano, sous ses doigts magiques, n'avait plus autant d'harmonie; l'air qu'elle chantait semblait ne plus aller à sa voix, qui, chaque jour, perdait de son éclat et de sa fraîcheur. Les paysages qu'elle peignait n'offraient plus ce reflet de la nature, cette variété de détails qu'on admirait dans ses ouvrages précédents. Enfin, dans les proverbes où elle paraissait encore, elle ne montrait qu'une intelligence ordinaire, et se bornait aux utilités.
La famille Valcour et toute la société qu'elle réunissait attribuèrent ce changement étrange au défaut de travail, à cette dissipation qu'on se permet à la campagne, et qui fait perdre insensiblement les fruits d'une éducation soignée. On ignorait que ce changement dans Estelle était un calcul de l'esprit le plus pénétrant et de l'âme la plus élevée pour ménager l'amour-propre blessé d'une rivale et se soustraire aux souffrances secrètes que cette dernière faisait éprouver depuis quelque temps à sa première amie, à sa compagne de pension.
En effet, Mélanie n'avait plus pour Estelle que des égards mesurés et contraints. Rarement ses yeux s'arrêtaient sur les siens; elle ne lui répondait que par un sérieux qu'elle s'efforçait de rendre le plus digne qu'il lui fut possible. Estelle, en serrant la main de sa chère compagne, ne rencontrait que des doigts lâches, immobiles; à cet élan de deux coeurs habitués à s'épancher, à ces confidences de tous les instants, à ce tutoiement dont l'habitude, entre pensionnaires, est consacré pour la vie, Mélanie avait fait succéder une politesse étudiée, une réserve continuelle, souvent même un vous désespérant, que l'expression de mademoiselle rendait plus outrageant encore. Oh! combien eut à souffrir notre aimable orpheline! que les matinées qu'elle passait toute seule dans son appartement lui parurent longues et pénibles! De quels coups son noble coeur était déchiré chaque fois qu'elle retrouvait au salon son indifférente compagne! Avec quel empressement elle eût fui de ce château, où tout pour elle devenait contrainte, souffrance, humiliation!… Mais son père était absent; il l'avait confiée aux tendres soins de madame Valcour, qui lui tenait lieu de mère. Révéler à cette dame si distinguée tout le mal que sa fille lui faisait endurer, c'eût été faire retomber sur celle-ci de justes reproches, c'eût été rompre avec elle pour jamais. Estelle aimait encore Mélanie; elle ne désespérait pas de regagner son coeur et de la faire repentir d'avoir méconnu à ce point les devoirs sacrés de l'hospitalité. Elle s'arma donc de nouvelles forces; elle résolut de sacrifier ce qu'elle avait de plus cher, ce qui, dans sa position sociale, pouvait peut-être devenir son unique ressource, c'est-à-dire ce droit si flatteur et si légitime de briller par son savoir et ses talents, de se faire distinguer par les qualités de l'esprit et du coeur. Elle prétexta d'abord un dérangement dans sa santé, s'isola constamment au milieu des cercles nombreux dont, chaque jour, elle était entourée, et laissa bientôt l'ambitieuse Mélanie étaler à son aise tous les avantages qu'elle réunissait, et recueillir les applaudissements d'un cercle nombreux et choisi.
Plusieurs mois s'écoulèrent sans que la généreuse Estelle vit diminuer son chagrin. Mélanie, qui ne pouvait soupçonner un sacrifice dont jamais elle n'eût été capable, profita de l'espèce d'inertie où paraissait être tombée sa rivale pour l'éclipser tout-à-fait. Elle s'imaginait la dédommager amplement en la tutoyant encore quelquefois, en lui faisant quelques prévenances étudiés, que son amie recevait toujours avec empressement, espérant encore la ramener à des sentiments dont son noble coeur avait besoin.
Le brave Mornand revint des eaux, guéri presque entièrement de ses blessures. Il s'empressa de se rendre à la terre de la famille Valcour et de rejoindre sa chère Estelle, qu'il n'avait pas vue depuis longtemps. Malgré la joie qu'éprouva cette tendre fille à la vue de son père, malgré tous les efforts qu'elle faisait pour dissiper les nuages empreints sur sa figure, celui-ci remarqua facilement qu'une peine secrète la tourmentait. Mais ce fut en vain qu'il la pressa de questions à cet égard, elle ne fit aucun aveu de son tourment secret, et n'attribua l'altération qui régnait sur ses traits qu'au chagrin insurmontable d'être séparée du meilleur des pères.
Quelques jours après eut lieu la réunion formée par les propriétaires des environs au château de monsieur et madame Valcour. Le père d'Estelle remarqua d'abord, non sans quelque surprise, l'extrême simplicité de la toilette de sa fille. Bien qu'elle n'eût jamais montré la moindre vanité, elle avait coutume de se faire distinguer par une élégance sans faste et par un goût parfait. On fit de la musique. Estelle tint le piano avec son assurance ordinaire; mais il n'y eut rien de remarquable dans son jeu, naguère si expressif. Enfin, forcée de chanter un air à son choix, elle exécuta presque à demi-voix un simple nocturne, et n'obtint que de ces applaudissements qu'on accorde par complaisance, elle qui jetait autrefois tous ses auditeurs en extase et faisait vibrer les cordes du coeur par la puissance et l'étendue de ses moyens. Le chef d'escadron était désespéré, et, n'attribuant un aussi grand changement qu'au chagrin que sa fille avait éprouvé de son absence, il se promit bien de ne jamais s'en séparer.
Enfin l'on joua quelques proverbes. Notre brave militaire s'attendait à ce que sa chère Estelle prendrait sa revanche par ce jeu franc et naturel, par ces piquantes saillies qui l'avaient charmé tant de fois; mais quel fut encore son désappointement en voyant sa fille ne remplir que des utilités par complaisance, se borner à donner quelques répliques à ses interlocuteurs, et ne s'occuper qu'à les faire briller! M. Mornand crut rêver, et lui-même tomba dans une sombre tristesse dont s'aperçut Estelle. Il lui en coûtait sans doute de faire souffrir le plus tendre des pères; mais sa résolution était prise: elle préférait, en quelque sorte, s'anéantir à reprendre des avantages qui n'eussent fait que lui fermer pour jamais le coeur de sa jeune amie. Celle-ci, toutefois, profitait amplement du champ libre que lui laissait sa rivale, et saisissait avec avidité toutes les occasions de l'éclipser. Le chef d'escadron, dont l'amour-propre était blessé, crut avoir enfin deviné le secret motif qu'avait sa fille de se réduire à cette étrange nullité, de se condamner à cette abnégation d'elle-même qui le faisait tant souffrir. La piété filiale ne put résister aux vives instances, à l'autorité d'un père. Estelle avoua donc le sacrifice qu'elle avait fait dans l'espoir de conserver le coeur de son amie. «Tu l'espères vainement, lui dit Mornand; l'envie et le sot orgueil ont tari dans son âme tout sentiment généreux; tu serais dupe dans une liaison devenue aussi mal assortie: il faut y renoncer. Je ne veux point cependant que tu te sépares de cette fausse ami, de cette envieuse égoïste, sans reprendre tous tes droits et lui donner la leçon qu'elle mérite. J'espère donc que tu suivras de point en point le plan de conduite que je vais te tracer pendant le peu de jours que nous resterons dans ce château.» Estelle promit d'obéir; mais on lisait sur sa figure combien il en coûterait à son coeur aimant et généreux.
Dès le lendemain, Estelle mit plus de soin à sa toilette; le sourire revint sur ses lèvres silencieuses; elle reparut au salon avec sa grâce naïve, son aimable enjouement. La présence et la guérison de son père semblaient autoriser cet heureux changement. Peu de jours après eut lieu le réunion d'usage. Estelle, plus recherchée encore dans sa parure, fit briller tous ses avantages; elle ravit au dîner les divers convives par de piquantes saillies, par cet ascendant irrésistible d'une âme élevée et d'un esprit cultivé. Le soir, on fit de la musique: elle enleva tous les suffrages en accompagnant sur le piano sa voix étendue, expressive. Ce qui surtout produisit une vive impression, ce fut une romance où l'amitié était peinte dans toute sa pureté. Elle chanta avec une expression si pénétrante, que Mélanie elle-même en fut troublée et crut remarquer dans les tendres regards d'Estelle un reproche mérité. Mais, ranimée par son insatiable ambition, elle essaya d'entrer en lice avec elle, et lui proposa de chanter ensemble un duo. Estelle hésite et n'ose commencer une lutte où tout lui promet la victoire; mais un regard de son père lui ordonne d'accepter le défi de la présomptueuse et de la traiter sans nul ménagement. Elle paralyse bientôt les brillantes roulades de sa rivale par la puissance de sa voix et le charme entraînant de son exécution. Mélanie, forcée de céder à la supériorité d'un talent qu'elle croyait affaibli, essaya de balbutier quelques éloges qu'Estelle sut éluder avec adresse. Tout le reste de la soirée fut un triomphe pour celle-ci: jamais on ne l'avait vue aussi brillante, aussi spirituelle. Dans toute autre circonstance on eût critiqué sans doute cet étalage de savoir et de talent, toujours blâmable dans une jeune personne; mais les regards qu'Estelle portait sans cesse sur Mélanie indiquaient assez que c'était à regret qu'elle l'accablait de sa supériorité sur elle, et qu'en ressaisissant la victoire elle ne faisait qu'obéir aux ordres impérieux d'un père.
Mélanie sentit alors qu'elle avait blessé le coeur le plus tendre. Interprétant sans peine la nullité généreuse à laquelle s'était condamnée sa jeune compagne, elle comprit tout ce qu'elle avait dû souffrir. Le lendemain, dès qu'elle fut éveillée, elle résolut d'aller avouer ses torts à sa chère Estelle, bien sûre d'en obtenir aisément l'oubli; mais il n'était plus temps. Mornand et sa fille étaient partis dès l'aube du jour, laissant une lettre pour monsieur et madame Valcour, qu'ils remerciaient de toutes leurs bontés. Lorsque Mélanie, certaine de regagner le coeur de son amie d'enfance, entre dans l'appartement que cette dernière occupait, elle trouve sur un chevalet un nouveau paysage qu'Estelle avait peint secrètement pendant sa solitude. Il représentait les abords de la Vienne et l'un des sites les plus délicieux au bas de la belle habitation de la famille Valcour, que l'on voyait à mi-côte. Sur le second plan, on découvrait un chef d'escadron emmenant une jeune personne dont les regards se portaient vers le château, et semblaient adresser un dernier adieu à celle qu'elle avait tant aimée. C'était Estelle elle-même obéissant à l'autorité paternelle, et rompant, non sans un grand déchirement de coeur, les liens si doux de son enfance. Au bas de ce paysage, d'une vérité frappante, le père d'Estelle avait écrit ces mots: «Ma fille ne peut plus être l'amie de celle qui ne sut pas respecter les devoirs de l'hospitalité.»
MISS TOUCHE-TOUT.
Rien ne prouve autant la petitesse d'esprit et le défaut d'éducation que cette ridicule manie qu'ont certaines jeunes personnes de toucher à tout ce qui se trouve sous leurs mains, à tout ce qui s'offre à leurs regards. C'est une inquisition qui fatigue; c'est une indiscrétion qui blesse. Il n'est pas de défaut plus commun, et qui peut-être expose à plus d'humiliations et de responsabilité. J'en ai vu plusieurs exemples frappants que je me fais un devoir d'offrir à mes petites amies, pour les préserver des suites fâcheuses de cette habitude, à laquelle on se livre sans y songer, et pour les maintenir dans cette prudence de tous les instants, dans cette publique retenue que la nature impose à leur sexe, et sans lesquelles une jeune fille, quelque bien née, quelque intéressante qu'elle puisse être, perd ce qu'elle avait de plus précieux au monde, ses droits à la considération publique.
Mélina de Montbreuil avait été privée, dès l'âge le plus tendre, de la femme de bien dont elle reçut le jour. Son père, d'une tendresse aveugle, et que ses hautes fonctions dans la magistrature retenaient souvent séparé de sa fille, la confiait aux soins et à la surveillance d'une vieille institutrice trop indulgente, et dont l'élève avait contracté plusieurs habitudes que réprouvent les convenances sociales, celle entre autres de porter une main indiscrète à tout ce qui frappait sa vue, excitait sa curiosité. Entrait-elle dans un appartement, elle soulevait les vases d'albâtre ou de porcelaine placés sur des consoles, sur la cheminée; elle posait le doigt sur les aiguilles d'une pendule, sans songer qu'elle en arrêtait le mouvement; elle débouchait des flacons posés çà et là, en exprimant son goût ou son aversion pour les différentes odeurs qu'ils renfermaient. Se trouvait-elle devant une bibliothèque, elle prenait tour à tour les livres dont la reliure la flattait le plus, et en lisait le titre, en examinait les gravures, et les jetait ensuite au hasard, sur différents rayons où ils n'avaient plus le rang qui leur était assigné: ce qui forçait à remettre tout en ordre. Apercevait-elle sur un métier à broder quelque ouvrage, fruit d'une longue patience, elle essayait de faire plusieurs points, que la brodeuse était obligée de recommencer. Une dame de sa connaissance, une de ses jeunes amies, paraissait-elle avec un nouveau collier de pierreries, elle y portait souvent ses doigts couverts de poussière, et à l'instant même elle en ternissait tout l'éclat. A table, elle touchait à tous les mets qu'elle pouvait atteindre, et, sous prétexte de choisir un fruit, elle déflorait par ses attouchements indiscrets tous ceux que contenait la corbeille, et, par cette inconvenance, elle en dégoûtait ses voisins. Entrait-elle dans un magasin de modes ou d'objets d'art pour faire quelques emplettes, elle bouleversait tout, et, plus d'une fois, son irrésistible manie lui avait fait altérer plusieurs marchandises importantes dont elle s'était vue forcée de restituer le prix. Aussi, dans les cercles qu'elle fréquentait, dans toutes les maisons ou elle était admise, lui avait-on donné le nom de miss Touche-Tout, titre en parfaite analogie avec l'habitude qu'elle ne pouvait vaincre et la prétention qu'elle avait de parler souvent la langue anglaise, bien que jamais elle n'eût pu en saisir la prononciation.
M. de Montbreuil n'était pas plus à l'abri que tout autre des indiscrétions de miss Touche-Tout. Tantôt elle s'emparait de la chevelure de son père, sous prétexte de lui donner une forme plus analogue à sa figure vénérable; tantôt elle étalait son jabot, afin de mieux en prononcer les plis; elle renouait sa cravate, désirant en faire disparaître le double noeud gothique, et l'enlacer à l'anglaise; tantôt, enfin, elle substituait à la chaîne de sa montre un noeud de ruban qu'elle renouvelait tous les mois, mais auquel plus d'une fois elle oublia d'attacher la clef, que son père cherchait vainement le soir, et qui se trouvait égarée. Le célèbre magistrat supportait avec patience toutes ces familiarités et les contrariétés qu'elles lui faisaient éprouver: il attribuait à l'amour filial ce qui chez Mélina n'était qu'une indomptable manie.
Mais, quelle que fût son indulgence, il ne pouvait douter que sa fille ne devint chaque jour plus insupportable, dans les différentes réunions où il la présentait. Sans cesse il entendait répéter: «Miss Touche-Tout vient de déchirer le voile d'Angleterre de madame une telle.—Elle a cassé la bonbonnière de celle-ci, laissé tomber la lorgnette de celui-là.—Miss Touche-Tout vient d'effacer un oeil du portrait en miniature de mademoiselle une telle, en y portant son doigt rempli de noir d'ivoire.—Miss Touche-Tout a laissé tomber un cornet d'encre sur un morceau de musique écrit de la main de Boïeldieu: la jeune Anaïs, à qui elle appartenait, en pleure de dépit….» Enfin, il n'était aucun désappointement, aucun événement fâcheux, que ne causât l'habitude funeste de la jeune de Montbreuil. On redoutait à tel point son arrivée ou sa présence dans un cercle, que toutes les jeunes demoiselles qui portaient un châle de prix, un chapeau frais, une écharpe nouvelle, les quittaient aussitôt que miss Touche-Tout paraissait, afin de les soustraire à ses atteintes malencontreuses. Mais elle s'en vengeait sur la ceinture de celle-ci, sur les anneaux de celle-là, sur le peigne à l'espagnole d'une troisième, sur les bracelets à la grecque d'une quatrième; il n'était, en un mot, aucune personne qui pût se soustraire à l'obsession de Mélina.
M. de Montbreuil résolut donc de mettre un terme à ce défaut, qui devenait, en quelque sorte, une calamité publique. Malgré l'importance de ses fonctions et l'austérité de son caractère, il conçut le projet de faire tourner contre elle-même l'habitude fâcheuse de sa fille, et de la rendre, à son tour, victime de cette ridicule manie qui devait nécessairement la conduire à quelque maladresse.
Il s'était aperçu que Mélina, pendant son absence, venait souvent exercer son inquisition dans son cabinet de travail, et, sous prétexte d'y mettre elle-même tout en ordre, portait sa main avide sur les objets les plus précieux. Il substitua d'abord un mélange d'alcali et d'assa-foetida à l'eau de Portugal que contenait un des flacons de cristal posés sur sa cheminée, et que Mélina ne manquait jamais de déboucher lorsqu'elle venait souhaiter à son père le bonjour du matin. Il espérait que cette première épreuve ferait quelque impression sur sa fille, et l'empêcherait de toucher dorénavant à tous les vases ou cristaux qui se trouveraient sous sa main. En effet, la maniaque incurable entre dans le cabinet de son père, l'embrasse avec l'effusion de la tendresse filiale, touche à tous les bronzes, à tous les marbres qui couvrent son bureau de travail, prend l'une après l'autre cinq à six plumes qu'elle essaye machinalement sur un papier de rebut, et se tache les doigts d'encre, verse à plusieurs reprises le sable bleu que renferme la poudrière, et dont elle laisse tomber une partie dans l'encrier; de là, gagne la cheminée, débouche un premier flacon contenant de l'eau de Cologne qu'elle respire avec délices; débouche enfin le second flacon, et, croyant aspirer l'eau du Portugal, elle éprouve une suffocation subite qui lui soulève le coeur. Cependant elle garde le silence, et ne se plaint aucunement de ce changement d'odeur, qu'elle attribue à l'usage qu'avait son père d'employer des spiritueux pour se délasser de la tension d'esprit qu'exigeaient ses hautes fonctions. Celui-ci, de son côté, feignit de ne point s'apercevoir de la mésaventure de sa fille, et se promit de la mettre à une seconde épreuve.
Mélina montrait pour les araignées la plus grande aversion. Elle avait la folie de regarder ces animaux, d'un instinct remarquable et susceptible d'être apprivoisés au degré le plus étonnant, comme des monstres infectés d'un poison mortel, et dont la piqûre était incurable. Il ne se passait pas de jour qu'elle ne jetât des cris affreux en voyant cet ingénieux insecte tendre ses toiles pour prendre les vermisseaux dont il fait sa nourriture ordinaire, ou descendre du plafond au bout d'un fil qu'il dévide entre ses pattes avec une adresse et une vivacité qu'il est impossible de décrire, et s'en servir avec la même célérité pour remonter à sa retraite. Vainement M. de Montbreuil avait essayé de prouver à Mélina que ces insectes, loin de faire aucun mal, sont susceptibles d'un attachement fidèle et d'une sensibilité profonde. Il lui citait à ce sujet l'exemple d'un malheureux prisonnier d'État mort de chagrin de ce que le geôlier, en entrant dans son cachot, avait écrasé une grosse araignée qui, depuis plusieurs années, était l'unique société, la consolation de cet infortuné, venait à sa voix sur son épaule, sur ses genoux, et prenait de sa main les miettes de pain que, pour elle, il avait prélevées sur ses modiques aliments. M. de Montbreuil ajoutait à ce fait historique ceux rapportés par plusieurs autres naturalistes, qui, souvent, avaient attiré un grand nombre d'araignées par les doux sons d'un instrument sur lequel on les voyait descendre, tressaillir, et tomber en quelque sorte dans une extase qui les mettait sans force et sans défense. Mais, quelque intéressants que fussent ces récits fidèles, Mélina n'avait pu surmonter son antipathie; et son père, désirant à la fois l'en guérir et faire enfin cesser cette insupportable manie qui la rendait la fable de sa société habituelle, renferma dans une tabatière d'écaille qu'il avait auprès de lui, sur son bureau de travail, la plus grosse araignée qu'il put se procurer. Mélina, selon son habitude, après avoir soulevé les marbres qui couvrent divers papiers sur la bureau de son père, après avoir lu les titres de plusieurs gros livres qui l'entourent, ouvre par distraction la tabatière, et pousse un cri perçant à la vue de l'insecte qui s'enfuit, aussi effrayé qu'elle. M. de Montbreuil feint de ne rien entendre, et continua l'examen des pièces d'un procès soumis à son jugement, et pour lequel son immuable impartialité lui prescrivait de prendre tous les renseignements qui pouvaient éclairer sa justice. Ce silence affecté du plus tendre des pères convainquit sans peine miss Touche-Tout qu'il avait lui-même dirigé cette nouvelle épreuve, et que, las de lui faire des remontrances sur son insatiable manie, il avait projeté de l'en guérir par des émotions fortes qui resteraient gravées dans son souvenir. Loin de proférer la moindre plainte sur la frayeur qu'elle vient d'éprouver, elle se jette dans les bras de M. de Montbreuil, fond en larmes, et lui exprime, par le regard le plus expressif, la résolution qu'elle a prise de se corriger.
En effet, à partir de cette épreuve, Mélina parut avoir renoncé pour jamais à ce besoin si fâcheux de toucher à tout ce qui se trouvait à sa portée. C'était surtout pour les tabatières et les flacons de cristal qu'elle avait conçu une aversion invincible. On remarquait déjà qu'elle était moins indiscrète qu'à l'ordinaire, et que souvent, entraînée par cette habitude d'enfance qu'il est si difficile de vaincre, elle s'arrêtait tout-à-coup, et parvenait, non sans efforts, à la réprimer. Son père était ravi de cette cure, qu'il croyait radicale; et, bien qu'il lui en eût coûté d'exposer aux regards de sa fille l'insecte qui l'effrayait le plus, et de lui avoir causé une suffocation par l'échange opéré dans le flacon d'eau de Portugal, il s'applaudit de ses essais, et jouit pendant quelque temps du succès qu'il avait obtenu.
Mais un penchant enraciné dès l'enfance est comme une plante vénéneuse qui repousse imperceptiblement sous les fleurs qui la couvrent. Cela nous apprend que nous ne saurions extirper de trop bonne heure les germes de nos mauvais penchants, et que plus nous tardons, plus ils sont invétérés dans nos coeurs, dont alors nous ne pouvons les arracher que par des secousses violentes qui souvent influent sur toute notre existence.
Mélina, fille unique d'un excellent père, d'un magistrat justement honoré, Mélina, seule héritière d'une honnête fortune, douée de qualités aimables, et n'ayant qu'un seul défaut dont tout annonçait qu'elle était corrigée, voyait luire pour elle le plus brillant avenir, et l'assurance d'être placée dans le monde d'une manière analogue à ses goûts. Encore quelques années, et son sort serait uni à celui de quelque jeune magistrat ou de quelque avocat célèbre qui la placerait dans cette classe sociale où l'on jouit des avantages de l'aisance et d'une considération distinguée. Mais, hélas! Il faut si peu de chose pour faire tourner la roue de la Fortune, et les fautes les plus simples en apparence ont quelquefois des résultats si fâcheux!
Mélina, quoique guérie à l'extérieur de cette habitude qui lui avait attiré le pénible surnom de miss Touche-Tout, s'y abandonnait quelquefois encore dans la vie privée. M. de Montbreuil s'était aperçu depuis quelque temps qu'on avait dérangé les papiers qui couvraient son bureau de travail. Il lui semblait aussi que les pastilles de menthe, que renfermait sa bonbonnière, étaient singulièrement diminuées. En un mot, il fut convaincu que sa fille, parvenue à réprimer aux yeux du monde sa ridicule manie, s'y livrait encore en secret, et qu'elle était loin d'être guérie. «Il me faudra donc, se disait ce tendre père, employer de fortes épreuves, frapper les sens de Mélina par de vives émotions. Oh! que cela me répugne, me désespère! et que je me repens de n'avoir pas sévi de bonne heure contre ce penchant, devenu peut-être incurable! Ah! je le sens, mais trop tard, l'excès d'indulgence est une faute grave, et les parents sont responsables du mal que font leurs enfants, et dont ils n'ont pas eu la force de détruire le premier germe.
Un procès d'une haute importance fut soumis à la décision du tribunal que présidait M. de Montbreuil. Il s'agissait d'une somme de cent soixante mille francs qu'un faiseur d'affaires très-renommé prétendait avoir payée à un de ses clients, honnête négociant, père de famille, et dont c'était presque toute la fortune. Celui-ci niait avoir reçu la somme, bien qu'un acquit, d'une forme assez équivoque, et qu'il prétendait lui avoir été surpris par son adversaire, semblât militer en faveur de ce dernier. Les avocats les plus renommés avaient montré, dans ce débat célèbre, tout ce que le savoir et le talent ont de persuasif; et les juges qui devaient prononcer étaient partagés d'opinions. Les uns, entraînés par la réputation de probité dont n'avait cessé de jouir le négociant, voulaient le faire triompher et se contenter de son serment qu'il n'avait point reçu la somme; les autres, rigoureux observateurs de la loi, prétendaient que l'acquit présenté par l'homme d'affaires, n'étant point argué de faux, devait faire pencher la balance de la justice en faveur de ce dernier. Dans cette occurrence, la voix du président devait décider la question, et M. de Montbreuil, voulant apporter dans cette cause les lumières de l'impartialité qui la caractérisait, ordonna, pour prononcer l'arrêt définitif, un délai de quinzaine.
Pendant ce temps, un heureux hasard permit que l'avocat du négociant découvrit un écrit particulier, de la main de l'homme d'affaires, qui prouvait évidemment l'impossibilité où il s'était trouvé jusqu'alors d'acquitter les cent soixante mille francs. Cette pièce importante fut confiée à M. de Montbreuil, qui devait faire un nouveau résumé du procès, et qu'il s'était chargé de présenter lui-même aux juges pour éclairer leur conscience.
On était alors au milieu de l'hiver. Le digne magistrat, la veille du jour ou devait être prononcé l'arrêt, avait examiné de nouveau les pièces qui lui avaient été communiquées, et dont la première sur le dossier était l'écrit qui, selon lui, devait jeter un grand jour sur cette cause.
Après avoir pris toutes les notes nécessaires pour appuyer son opinion et s'être bien pénétré des moyens respectifs des deux adversaires, il pose sur son bureau ce dossier assez volumineux, et met dessus un bronze représentant le buste de d'Aguesseau, dont il avait depuis peu de jours fait l'emplette.
Mélina, selon son usage, entre et vient offrir à son père le salut du matin: le buste frappe ses regards, et, cédant à son ridicule penchant, elle le prend, en admire le travail. Dans ce moment même, un domestique ouvre brusquement la porte d'entrée; le vent, qui souffle avec violence, fait voler en l'air plusieurs papiers, et l'écrit important, lancé vers la cheminée, est soudain réduit en cendres. «Qu'as-tu fait, malheureuse! s'écrie M. de Montbreuil à sa fille, qui tient encore le buste, qu'elle examine.—Quoi donc, mon père?—Ton indomptable manie est cause d'une perte irréparable qui va peut-être causer la ruine d'une honnête famille.» Il lui explique, à ces mots, ce que contenait le papier que le feu vient de consumer, et s'abandonne à tous les regrets que lui fait éprouver ce fatal événement.
C'est en vain que Mélina cherche à s'excuser sur l'entrée inattendue du domestique et sur le courant d'air qu'elle a produit: elle est forcée d'avouer que c'est cette maudite habitude de porter la main à tout ce qui frappe ses regards qui lui a fait soulever le buste de d'Aguesseau, dont l'ombre tutélaire semblait prendre encore la défense de l'opprimé. Elle reconnaît enfin qu'elle a mis son père dans la position la plus critique où puisse se trouver un premier magistral. Elle veut toutefois partager la souffrance qu'il éprouve; mais un signe impératif lui ordonne de se retirer. Elle rentre chez elle, inquiète, égarée, et se livre à toutes les réflexions que faisait naître une aussi pénible circonstance.
Il lui fut impossible d'aborder son père pendant toute la journée. Le lendemain matin, elle voulut aller lui offrir ses devoirs accoutumés; l'entrée du cabinet lui fut interdite. Elle apprit par le même domestique, complice innocent du malheur arrivé la veille, que M. de Montbreuil avait passé la nuit dans la plus vive agitation, et que ces paroles s'échappaient à tout moment de ses lèvres tremblantes: «Ne pouvoir plus rendre le dépôt qui m'était confié!… Causer la ruine, le désespoir d'une honnête famille!… Mélina!… Mélina!… que tu me fais de mal!» Ces mots, fidèlement rapportés pas le domestique, jetèrent miss Touche-Tout dans un douloureux abattement. Oh! quel retour elle fit sur elle-même! Avec quelle résolution elle se promit de rompre pour jamais avec cette manie qui mettait son père dans un embarras si cruel! Mais il n'était plus temps: le mal qu'elle avait fait allait retomber sur elle-même.
Cependant l'audience solennelle va avoir lieu. Un nombreux concours de monde s'est formé de bonne heure au palais de justice. L'honnête négociant, placé derrière son avocat, fait remarquer sur sa figure la sécurité de la bonne foi, la certitude de triompher. Son adversaire est plus inquiet, plus agité. Tous les regards se portent sur l'un et l'autre; mais c'est sur le premier que semblent s'arrêter ceux de l'intérêt public. Il est toujours, dans les causes importantes, une espèce de jugement précurseur qui venge l'innocence opprimée; et c'est pour cela qu'on a dit: «La voix du peuple est la voix de Dieu.»
Après une longue délibération, dans laquelle avait eu lieu un violent choc d'opinions, les juges reviennent prendre leurs places. M. de Montbreuil est pâle, son regard semble égaré. Il se fait un grand silence, et ce magistrat, si universellement honoré, prononce d'une voix faible et tremblante l'arrêt qui condamne le négociant, et décharge le faiseur d'affaires du payement des cent soixante mille francs. Un murmure sourd et improbateur se fait entendre dans le prétoire. Ce qui surprend et confond l'avocat du condamné, c'est que le président, dans les divers considérants sur lesquels l'arrêt est basé, n'ait point parlé de l'écrit important qui lui avait été confié, et qui devait être d'un si grand poids dans la balance de la justice. Le négociant ne sait lui-même à quoi attribuer un pareil silence; et, comme le malheur rend défiant et soupçonneux, il allait accuser tout haut l'honorable magistrat, lorsqu'un huissier vient lui annoncer que M. le président l'attend dans son cabinet avec son avocat. Ils s'y rendent tous les deux. A leur aspect, M. de Montbreuil dit au condamné, dont il serre la main avec l'expression du regret et d'une profonde estime: «Monsieur, je viens de remplir le devoir sacré d'un magistrat soumis à l'empire de la loi; il m'en reste un autre non moins important que la probité m'impose: je vous attends chez moi demain matin à dix heures avec votre digne défenseur, comme vous sans doute étonné de ma conduite; peut-être ne la blâmerez-vous plus lorsque vous en connaîtrez les motifs.»
M. de Montbreuil se rend chez lui, tout occupé de son projet. Vainement Mélina lui fait des questions sur le sort de l'honnête négociant, il ne lui répond que par un soupir douloureux et des regards de commisération. Au dîner, il ne peut prendre la moindre nourriture, s'absente toute la soirée et ne rentre que fort tard. Sa fille l'attendait avec impatience, inquiétude; elle le trouve moins sombre; elle sent même qu'il lui presse la main; enfin il lui dit d'une voix pénétrante et d'un ton paternel: «Demain matin, à dix heures, tu sauras tout le mystère.»
Elle se rendit à l'heure indiquée au cabinet de son père, dont elle reçut un baiser en échange de celui qu'elle déposa sur son front vénérable. Bientôt fut introduit le condamné de la veille, accompagné de son avocat. Ce magistrat les fait asseoir et ordonne à sa fille de raconter elle-même avec fidélité l'effet de sa fatale imprudence. Mélina, d'une voix altérée et d'un air confus, apprend au négociant par quel événement étrange l'écrit important qui, seul, pouvait le faire triompher, était devenu la proie des flammes; et le magistrat ajoute alors avec dignité: «Que pouvais-je faire, Messieurs, en pareille circonstance? Révéler l'indiscrétion de ma fille et l'anéantissement de l'écrit, c'eût été me donner un ridicule sans opérer une conviction légale; un titre, en justice, ne peut être combattu que par un autre titre. J'ai donc préféré m'en tenir à l'austérité de la loi, et j'ai eu le douloureux courage de condamner un homme de bonne foi…. Mais, comme l'écrit incendié vous eût ramené sans doute un grand nombre de suffrages, et que ce titre unique se trouve anéanti par ma faute ou par celle de ma fille, je vous restitue, Monsieur, la somme qui vous appartient. Voici cent soixante billets de caisse et deux de plus pour les frais du procès auquel vous avez été condamné. Le refuser, ce serait faire le malheur de ma vie, ce serait méconnaître le caractère d'un magistrat qui deviendrait indigne de réprimer les torts de ses justiciables, s'il ne savait pas lui-même réparer les siens.»
L'avocat et son client se retirèrent, après avoir exprimé leur reconnaissance et leur admiration au respectable président. Celui-ci, resté seul avec sa fille, reçut d'elle la plus vive approbation du sacrifice qu'il venait de faire. Mais elle n'en mesurait pas encore toute l'étendue. En effet, ces cent soixante mille francs absorbaient la fortune entière de M. de Montbreuil; il ne restait plus à Mélina que celle de sa mère, devenue très-modiqe par des pertes imprévues. Il fallut donc s'imposer de pénibles privations. M. de Montbreuil, pour soutenir son rang de premier magistrat, fut forcé de faire de grandes réformes dans sa maison. Mélina n'eut plus de femme de chambre, et se vit obligée de vaquer elle-même à l'entretien du linge, à tout ce qui composait sa toilette. Plus de maître d'anglais, de harpe et de dessin; plus de riche parure et de voiture à ses ordres. Il lui fallut aller à pied et paraître simplement vêtue dans les cercles nombreux où jusqu'alors elle s'était montrée si brillante. Blessée de la froideur des uns, piquée des plaisanteries mordantes des autres, elle se retira tout-à-fait du monde, et se vit réduite à un isolement dont son amour-propre eut beaucoup à souffrir.
Ce fut alors qu'elle connut toute l'énormité de sa faute; ce fut alors qu'elle sentit combien peut devenir dangereux et funeste un défaut qui nous paraît léger en apparence, et dont nous négligeons de nous corriger. Jeune fille, qui ne croyez pas que la manie la plus simple puisse avoir de fâcheux résultats, et qui riez de pitié lorsqu'on vous en avertit, voyez la pauvre Mélina, bonne au fond et seulement étourdie, presque ruinée, possédant à peine le strict nécessaire à la mort de l'auteur de ses jours, isolée, rongée de remords sans consolations peut-être…. N'oubliez pas miss Touche-Tout.
FIN.
TABLE.
Le père Dante.
La Souris blanche.
Le comité des Bergères.
La Robe de guingamp.
Le jeune Pêcheur.
La Noce de village.
Ressource en soi-même.
Le Lait d'ânesse.
Le bateau de Saint-Cyr.
Le tableau de Fénelon.
Le château de Chenonceaux.
Les deux Orphelines.
Le produit d'une Gerbe.
Une Mère.
La chaumière de la Veuve.
Les Devoirs de l'hospitalité.
Miss Touche-Tout.
FIN DE LA TABLE.
End of Project Gutenberg's Contes à mes petites amies, by J. N. Bouilly