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Contes et historiettes à l'usage des jeunes enfants: Qui commencent à savoir lire

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L'ANGE GARDIEN.

Marthe Auclert était une petite fille de six ans, très-pieuse et très-soumise. Elle écoutait avec attention tout ce que lui disait sa bonne mère, et ne connaissait d'autre plaisir que de la contenter en toutes choses. Aussi sa maman l'aimait-elle beaucoup et lui donnait-elle tout ce qui pouvait lui faire plaisir. Elle lui apprenait de belles prières que l'enfant répétait de tout son coeur. Il en était une, entre autres, qu'elle ne manquait jamais de faire tous les soirs avant de s'endormir, pour invoquer son ange gardien, afin qu'il étendît ses blanches ailes sur son petit lit pour la protéger contre toute espèce de malheurs.

Marthe était très-propre et très-rangée. Dans un coin de l'antichambre se trouvait la porte d'un cabinet où Mme Auclert serrait les confitures, les biscuits, la provision de sucre, de café et de chocolat, enfin toute espèce de friandises. Elle avait cédé la moitié de ce cabinet à sa petite fille pour mettre ses joujoux, et Marthe y passait une bonne partie du temps où elle ne travaillait pas. Alors elle rangeait le trousseau de sa poupée, mettait en ordre ses petits ménages, et jouait avec tous ses joujoux qu'elle soignait beaucoup. C'était là aussi qu'elle s'amusait avec ses amies quand elles venaient la voir.

Comme Marthe était une petite fille bien élevée, sa mère, pleine de confiance en elle, n'ôtait jamais la clef de son armoire aux provisions; et même, quand les domestiques avaient besoin de sucre, de chocolat ou de quelque plat de dessert, c'était fort souvent Marthe qui était chargée de les leur donner. Il arrivait bien que ses petites amies l'engageaient à prendre quelque chose dans cette armoire pour faire la dînette; mais Marthe ne permit jamais qu'on l'ouvrît; elle en ôtait même la clef pour la porter à sa mère, afin qu'elle donnât elle-même ce qu'elle jugerait convenable pour son goûter et celui de ses amies.

Mme Auclert était si heureuse d'avoir une petite fille aussi sage, qu'elle l'emmenait presque toujours avec elle partout où elle allait, bien sûre que Marthe ne serait ni gourmande, ni importune.

Un dimanche, Marthe passa une partie de la matinée à épousseter ses joujoux et à les ranger. L'heure de la promenade approchant, elle mit toute seule son chapeau et son mantelet; puis, prenant son ombrelle, elle alla dans la chambre de sa bonne voir si elle était prête à sortir; mais cette fille n'étant pas encore habillée, Marthe, qui n'avait pas fini ses rangements, retourna dans le cabinet. Pendant ce temps-là, une amie de Mme Auclert vint lui demander si elle voulait venir faire une visite à la campagne avec elle, ce qui fut accepté sur-le-champ; et comme la voiture était à la porte, Mme Auclert s'empressa de descendre. En passant par l'antichambre elle vit la porte du cabinet ouverte; et, croyant sa fille à la promenade, elle ferma cette porte, ôta la clef, qu'elle plaça sur une étagère, et partit.

Quand la bonne eut terminé sa toilette, elle entra au salon, pensant y trouver Marthe; mais ne l'y voyant pas, elle s'imagina que sa mère l'avait emmenée comme il arrivait souvent, et elle alla se promener avec ses camarades.

Marthe était si occupée de mettre une belle robe de bal à sa grande poupée, qu'elle n'entendit pas fermer la porte du cabinet où elle était; et une heure se passa avant qu'elle songeât à la promenade. Quand elle eut assez joué, elle voulut aller retrouver sa bonne, mais il lui fut impossible d'ouvrir la porte; elle appela de toutes ses forces: personne ne répondit. Alors elle se mit à pleurer. Puis vint l'heure de son goûter, et la faim se fit sentir; elle attendit encore un peu, et essaya de s'amuser avec son beau ménage de porcelaine dorée; mais ses joujoux ne l'intéressaient plus. Sa faim augmentant, elle ouvrit l'armoire aux provisions, et prit une boîte de biscuits; puis, au moment de l'ouvrir, elle se dit qu'elle n'avait pas la permission d'en prendre; alors elle essaya de voir dehors s'il ne passait pas quelqu'un de sa connaissance; mais l'oeil-de-boeuf qui éclairait le cabinet était placé si haut, qu'elle ne put y atteindre, quoiqu'elle eût mis sa petite chaise sur la table où étaient ses joujoux.

Les heures et les demi-heures sonnaient à l'horloge de la ville, et Marthe les trouvait bien longues à passer. Elle se demandait en pleurant ce qu'était devenue sa bonne. Elle ne comprenait pas qu'une maman oubliât ainsi la petite fille qu'elle aimait tant. Elle se mit à genoux et récita toutes ses prières, surtout celle à son ange gardien; puis ayant trouvé un de ses petits livres parmi ses joujoux, elle se mit à lire; mais les larmes lui troublaient la vue, et elle ne trouvait plus aucun charme au conte de la Chatte blanche, ni à celui de Peau d'Ane, qui l'amusaient tant d'ordinaire. La faim se fit sentir de nouveau et si fort que, n'y pouvant plus résister, Marthe ouvrit encore l'armoire et prit du chocolat. «Maman, pensa-t-elle, en donnerait bien à un pauvre qui aurait grand'faim; elle n'en refuserait certainement pas à sa petite fille.» Ensuite elle mangea quatre biscuits, puis elle eut soif. Comment faire pour boire? il n'y avait dans l'armoire que des liqueurs et des sirops. Heureusement elle se rappela que sa mère avait fait de l'eau de groseille sans sucre; elle en prit une petite bouteille; mais elle n'avait pas de tire-bouchon pour l'ouvrir. Alors elle pria son ange gardien de venir à son secours. Après un moment de réflexion, elle cassa le cou de la bouteille et fit jaillir de l'eau de groseille partout sur sa jolie robe de coutil de laine gris. A l'instant de boire, elle se rappela que son père défendait qu'on servît ce qui restait dans les bouteilles qui se cassaient par accident, parce qu'il craignait qu'il n'y eût quelques petits morceaux de verre, et qu'il était très-dangereux d'en avaler. Marthe se trouva donc encore bien embarrassée; pourtant elle s'avisa d'appliquer son mouchoir sur le goulot cassé de la bouteille, et elle but tranquillement. Se sentant un peu soulagée, elle se remit à lire. Le jour baissa, et l'obscurité se fit dans le cabinet. Marthe se remit à genoux et pria encore. Elle eut peur de se trouver ainsi toute seule: ses pleurs recommencèrent; puis elle écouta les bruits de la rue. Si quelqu'un passait auprès de la porte, elle espérait que peut-être c'était la bonne qui rentrait; mais on allait plus loin, et l'enfant pleurait encore. Quand une voiture roulait dans le voisinage, elle pensait que c'était celle qui ramenait sa mère, car elle avait bien entendu qu'on était venu la prendre pour aller à la campagne; mais la voiture s'éloignait, et le coeur de la petite fille se gonflait encore davantage. Alors Marthe, s'imaginant qu'elle était abandonnée du monde entier, sanglota bien plus fort; puis elle se mit à genoux auprès de sa petite chaise et pria son ange gardien:

«O mon bon ange! s'écria-t-elle en pleurant à chaudes larmes, étendez vos belles ailes blanches sur une pauvre petite fille abandonnée! regardez-moi toujours! ne me quittez pas des yeux, car j'ai peur! La nuit vient et je n'ai pas de lumière. Mon ange gardien, approchez-vous bien près: j'ai peur! j'ai peur!»

Elle répéta si souvent sa prière qu'elle s'endormit de fatigue, mais en pleurant toujours.

La bonne rentra: elle prépara le coucher de sa maîtresse et celui de Marthe, puis elle fit ses prières en attendant leur retour.

A dix heures, la voiture qui avait emmené Mme Auclet la ramena. En quittant son amie, elle la remercia de la bonne journée qu'elle lui avait procurée; car Mme Auclert avait eu beaucoup de plaisir au château d'où elle revenait.

Comme la bonne ne fermait pas la porte après le départ de la voiture, Mme Auclert lui demanda ce qu'elle attendait.

«Mais, j'attends Mlle Marthe!

—Comment! Marthe n'est pas couchée?

—Madame l'a bien emmenée avec elle?

—Mais non. Quoi! ma fille n'est pas ici? Ma fille! ma fille! cria la pauvre mère en s'élançant dans l'escalier, comme si elle eût perdu la raison; ma fille, où es-tu?»

On fouilla toute la maison sans trouver l'enfant. Après avoir cherché partout, la bonne se ravisant, dit que Marthe pourrait bien être dans le cabinet aux joujoux.

«C'est impossible, j'en ai ôté la clef moi-même.»

On ouvrit cependant ce cabinet, et l'on trouva Marthe à genoux, et la figure baignée de larmes. Comme sa robe était tachée d'eau de groseille, sa mère, croyant que c'était des taches de sang, s'imagina qu'elle était blessée. Elle se précipita vers elle, la prit dans ses bras et la serra bien fort contre son coeur.

L'enfant, réveillée en sursaut, s'écria:

«O mon bon ange! venez à mon secours! on veut m'emmener loin de maman. Étendez vos ailes, ô mon ange gardien, et cachez-moi bien, je vous en prie!»

Puis, s'étant éveillée tout à fait, elle reconnut sa mère et l'embrassa en pleurant et sanglotant si fort, qu'on ne savait comment l'apaiser.

Quand cette crise fut passée, Marthe raconta à sa mère ce qu'elle avait fait et pensé pendant qu'elle était enfermée, et elle lui demanda pardon d'avoir mangé, sans sa permission, les biscuits et le chocolat.

«O maman, comme je vous remercie de m'avoir appris à aimer mon bon ange! il a entendu ma prière et il m'a envoyé le sommeil, afin que je ne souffrisse pas de la peur ni de la faim.»




LA BOUDEUSE.

Estelle était une charmante petite fille, mais elle ne pouvait supporter la moindre contrariété; si quelque chose n'allait pas à sa guise, elle se mettait dans un coin, ne parlait plus, ne répondait à personne, et enfin boudait pendant des journées entières.

Quand elle jouait avec sa soeur et leurs petites amies, il fallait que tout allât à sa fantaisie; autrement elle boudait et gâtait tout le plaisir des autres. Comme Estelle était fort aimable quand elle le voulait bien, on l'aimait malgré son vilain défaut; mais pourtant, si elle exigeait des choses qui déplaisaient trop à ses compagnes, celles-ci la laissaient bouder à son aise. Mme Savigny, la mère d'Estelle, avait tout employé pour corriger sa fille; mais caresses et punitions, tout avait été inutile.

Un jour, le parrain de la soeur d'Estelle apporta un charmant petit nécessaire à sa filleule, qu'il aimait beaucoup. Estelle l'admira et pria sa mère de lui en acheter un semblable. Mme Savigny lui répondit qu'elle n'avait pas d'argent pour faire cette dépense, et qu'il valait bien mieux employer ses économies à acheter des chapeaux frais à ses deux filles, pour remplacer les leurs qui étaient fanés. L'enfant insista; mais sa mère, après lui avoir répété qu'elle ne ferait pas une chose déraisonnable, alla vaquer à ses occupations, et laissa Estelle tout en larmes. Sa soeur, la voyant si désolée, lui dit:

«Ne t'afflige pas, ma bonne Estelle; ce nécessaire sera à nous deux; nous nous en servirons chacune à notre tour.

—Non: j'en veux un tout à moi!

—Mais ce sera absolument la même chose: tu l'auras un jour et moi l'autre.

—Ce n'est pas comme s'il était à moi toute seule.

—Pourtant, ma soeur, si c'était à toi qu'on l'eût donné, tu me l'eusses bien prêté, je pense?

—S'il était bien à moi, j'en disposerais à ma guise, et je le garderais pour moi toute seule quand il me plairait de te le refuser.

—C'est bien mal ce que tu me dis là, Estelle!

—Si tu voulais me le donner, toi à qui il n'a pas l'air de faire grand plaisir?

—C'est impossible, puisque c'est mon parrain qui me l'a donné! Tu sais bien que ne pas conserver ce qu'on vous donne, c'est manquer à l'amitié: mon parrain serait fâché, et il aurait raison.

—Si tu avais un bon coeur, tu ne trouverais pas toutes ces raisons de me refuser ce que je te demande.

—Mais, Estelle, tu n'es pas raisonnable du tout!»

Estelle, impatientée de ce que sa soeur ne voulait pas lui donner son nécessaire, le lui arracha des mains et le jeta au loin. Heureusement que l'autre petite fille était fort agile: elle rattrapa la jolie petite boîte avant qu'elle fût tombée à terre, où bien certainement elle se serait brisée. Alors Estelle quitta la chambre en disant:

«Tu t'en repentiras!»

Ceci se passait le matin, pendant la récréation des petites filles. Peu de temps après, le maître de piano arriva, et la soeur d'Estelle prit sa leçon. Quand elle l'eut terminée, elle appela sa soeur pour venir prendre la sienne à son tour; mais Estelle ne répondit pas. Sa bonne la chercha dans toute la maison et ne put la trouver. Comme M. Savigny venait de monter en voiture pour aller faire une petite course à la campagne, on supposa qu'il avait emmené sa fille pour la consoler un peu, car il la gâtait beaucoup; et Mme Savigny l'excusa auprès du maître de piano.

Le père rentra juste au moment où l'on se mettait à table, et sa première parole, en entrant dans la salle à manger, fut pour demander Estelle.

«Mais, papa, vous l'avez bien emmenée avec vous?

—Non, vraiment! je ne l'ai pas vue depuis le déjeuner.»

La mère survint et fut très-effrayée de ne pas voir Estelle avec son père. On ne pensa plus au dîner qui était servi. Chacun courut de son côté, serviteurs et maîtres; et l'on recommença à chercher dans la maison avec le plus grand soin. M. Savigny alla chez tous ses parents, chez tous ses amis, chez toutes ses connaissances: personne n'avait vu Estelle, personne n'en avait entendu parler!

M. et Mme Savigny étaient au désespoir. La soeur d'Estelle ne se pardonnait pas de lui avoir refusé son nécessaire, ne doutant pas que son refus eût été la cause du départ de sa soeur.

«Maudit nécessaire! s'écria-t-elle en pleurant, je voudrais ne t'avoir jamais vu! C'est une bien malheureuse idée qu'a eue là mon parrain, de m'apporter ce joli bijou qui m'a privée de ma soeur chérie!»

Pendant tout ce temps-là, Estelle était derrière le lit de sa mère, cachée par les rideaux qu'on ne fermait jamais. Elle s'était mise là pour bouder plus à son aise, et personne ne s'avisa de l'y aller chercher. Elle entendit bien qu'on l'appelait pour prendre sa leçon de piano; mais comme elle était de mauvaise humeur, elle ne répondit pas et laissa partir le maître. Plus tard, quand elle vit l'agitation que causait son absence, elle ne dit rien non plus, voulant punir sa mère et sa soeur de lui avoir refusé un nécessaire.

Quand M. Savigny revint à l'heure du dîner, Estelle, qui n'avait pas fait son petit goûter comme à l'ordinaire et qui avait grand'faim, fut tentée d'aller se mettre à table avec les autres: mais la mauvaise honte la retint. Elle ne savait comment paraître dans la salle à manger, ni comment s'excuser de s'être fait chercher si longtemps. Elle préféra supporter la faim qui lui tiraillait l'estomac, et la soif qui desséchait son gosier. Alors elle commença à réfléchir sur son vilain défaut; elle comprit qu'elle était devenue insupportable à tout le monde, et que, si elle continuait à bouder à propos de tout, personne ne voudrait plus vivre avec elle. Cette idée d'être délaissée par tout le monde la fit pleurer. Il était nuit: affaiblie par la faim, elle glissa à terre et s'endormit.

Elle fut réveillée par la voix de sa mère, qui criait dans le délire de sa fièvre:

«Estelle! ma fille! mon enfant chérie! où es-tu? Reviens, ma fille! Je veux te voir! Si tu ne reviens pas, je mourrai!»

Comme Estelle aimait beaucoup sa mère, elle eut un grand chagrin de la voir dans un semblable état, et son premier mouvement fut de courir l'embrasser. Ce baiser réveilla Mme Savigny en sursaut; elle crut rêver en voyant sa fille devant elle; et, la saisissant avec vivacité, elle poussa des cris comme si elle fût devenue folle. Estelle eut peur; et comme sa mère la serrait au point de lui faire mal, elle cria aussi; M. Savigny et sa fille accoururent, suivis des domestiques; chacun fut bien heureux de revoir Estelle qu'on avait crue perdue. Le premier moment de joie passé, on s'occupa de Mme Savigny dont l'état était alarmant. Estelle, au désespoir d'être cause des grandes souffrances de sa mère, se mit à genoux dans un coin de la chambre, demandant pardon à Dieu, la tête baissée et tout en larmes.

Enfin cette crise se calma. Quand Mme Savigny fut revenue à elle, sa première pensée fut pour Estelle qui était déjà auprès de son lit; et elles ne se lassaient point de s'embrasser l'une et l'autre.

«O maman! dit Estelle en l'embrassant encore, que tout soit oublié, je vous en prie! Vous pouvez être certaine que je ne bouderai plus jamais; je vous le promets! j'ai bien eu trop de chagrin de vous voir si inquiète et si malade! Cela m'a fait comprendre combien j'étais coupable de ne pas vouloir me corriger.»

La soeur d'Estelle l'emmena dans la chambre qui leur était commune, et lui présentant son nécessaire, elle lui dit:

«Prends-le, ma chère Estelle, prends-le puisqu'il te fait tant de plaisir! Mon parrain en dira ce qu'il voudra; mais je ne veux plus que tu aies un si grand chagrin.

—Non, ma soeur! garde ton nécessaire. Tu avais raison de dire que tu manquerais à ton parrain en me donnant le cadeau qu'il t'a fait. J'ai pensé à bien des choses, va! pendant que j'étais cachée derrière les rideaux de maman qui souffrait tant à cause de moi! et je vous trouve tous bien bons de m'aimer encore. Chaque fois que je verrai cette jolie petite boîte, je songerai à ce qui est arrivé hier, et cela me fera passer l'envie de bouder si elle me reprenait encore.»




LE PETIT VOLEUR.

Longuet était un petit épicier que tout le monde estimait à cause de sa probité. On savait qu'il n'avait jamais trompé personne; et quand les pauvres ouvrières qui n'ont pas le temps de faire leurs commissions elles-mêmes envoyaient leurs petits enfants chez Longuet, il leur faisait toujours bon poids, et leur donnait quelque amande ou quelque pruneau pour leur faire plaisir.

Jules, fils unique de cet honnête homme, était un enfant très-intelligent et surtout très-rusé; mais il annonça dès son enfance un penchant pour le vol. Il avait à peine cinq ans que, tout en montant sur les genoux de son père pour l'embrasser, il mettait adroitement sa petite main dans la poche du gilet et y prenait quelques menues monnaies. L'épicier s'apercevait bien de ce petit larcin; mais il en riait avec sa femme: et l'enfant, heureux du succès de sa ruse, allait chez le confiseur acheter des bonbons.

Mme Longuet avait avec elle une de ses soeurs, pauvre fille contrefaite et de mauvaise santé qu'on appelait tante Monique, et que tout le monde aimait à cause de sa grande douceur. Tante Monique n'approuvait point l'indulgence dont on usait envers Jules, disant que ces gentillesses-là tourneraient à mal. Mais Longuet et sa femme ne faisaient que rire, des craintes de leur soeur.

Jules grandissait: son père, voulant lui donner plus d'instruction qu'il n'en avait reçu lui-même, l'envoya à l'école primaire supérieure. L'enfant continua de prendre tout ce qu'il pouvait attraper chez lui. Il emportait souvent des balles, des billes, des sucre d'orge, qu'il revendait ensuite à ses camarades.

Tante Monique visitait les habits de son neveu tous les soirs, quand il était couché, pour voir s'ils n'avaient pas besoin d'être raccommodés; et si elle trouvait de l'argent dans les poches, elle en avertissait sa soeur, et lui disait:

«Où Jules prend-il cet argent-là? Tu ne veux pas le corriger; tu verras, ma soeur, qu'il nous causera beaucoup de chagrin quand il sera grand!»

Aussitôt que l'enfant sut écrire, il alla chez le libraire-papetier acheter des livres, des plumes, des crayons, du papier, au nom de son père; quand on présenta le mémoire de toutes ces fournitures à l'épicier, il s'étonna que son fils eût pu consommer tant de choses en une seule année de classe. Jules, interrogé, dit qu'il avait fourni du papier et des livres à de pauvres écoliers qui n'avaient pas d'argent pour en acheter; et sa mère le loua beaucoup de son bon coeur. Tante Monique ne se pressa pas de lui faire des compliments. Elle alla aux informations, et apprit que Jules vendait à bon marché à ses camarades ce qu'il prenait à crédit chez le libraire. Elle en avertit M. Longuet qui gronda son fils. Tante Monique ne trouvant plus rien dans les poches de Jules, le soir, ne comprenait pas ce que devenait l'argent qu'il se procurait par tant de moyens honteux; et l'enfant soutenait qu'il n'en avait pas.

Un jour que M. et Mme Longuet étaient sortis ensemble pour aller cueillir des fruits à leur jardin qui était dans le faubourg, tante Monique gardait la boutique. Jules rentra de l'école et se mit à écrire sur le coin du comptoir. La bonne fille quitta sa place un moment pour aller veiller au dîner qui cuisait dans l'arrière-boutique. Quand elle eut soigné son ragoût, elle se leva pour rentrer au magasin; mais, au moment d'ouvrir la porte, elle aperçut Jules à travers le vitrage, la main dans le tiroir à argent et s'emparant de deux pièces de cinq francs. Elle ouvrit la porte rapidement et le prit sur le fait. Alors elle lui fit honte de sa mauvaise action.

«Mais, tante Monique, dit Jules un peu déconcerté, je ne vole pas, puisque cet argent est à mon père!

—Tu voles ton père, malheureux! car ce qui lui appartient ne t'appartient pas; et c'est d'autant plus mal qu'il a toute confiance en toi. Remets tout de suite ce que tu as pris! Tu sais bien que nous ne sommes pas assez riches pour te donner des pièces de cinq francs pour tes menus plaisirs.»

Jules, n'osant pas résister à sa tante, remit l'argent dans le tiroir.

«Mon enfant, dit tante Monique en pleurant, tu as là un malheureux penchant qui te mènera à ta perte, et tes parents ne survivront pas à ton infamie; car si tu déshonores ton père, il en mourra; et ta mère ni moi ne pourrons jamais nous consoler.

—Mon Dieu, tante Monique, vous faites bien du bruit pour des enfantillages!

—Jules, ce ne sont pas là des enfantillages, mais des choses bien graves, au contraire! Tu as treize ans passés, et tu sais bien que le vol est un crime que la loi punit; tu sais aussi combien l'honnêteté est estimée dans le monde, et tu n'ignores pas qu'en volant tu fais une chose honteuse.

—Ma petite tante, vous ne direz pas à mon père ce qui vient d'arriver, n'est-ce pas? tante Monique! vous ne voudriez pas lui faire du chagrin, ni à moi non plus!»

Il embrassa sa tante et lui fit mille caresses.

La pauvre fille, qui était très-émue, se laissa attendrir et promit de se taire.

Une autre fois, longtemps après, un mercier dont le jardin n'était séparé de celui de M. Longuet que par une palissade, vint lui raconter qu'on lui avait pris presque toutes les pêches de son espalier.

«J'en suis d'autant plus contrarié, ajouta cet homme, que j'ai pris beaucoup de peine pour les préserver de la gelée cet hiver; je suis peut-être le seul en ville qui en ait d'aussi belles, et je comptais les offrir à notre maire, qui m'a rendu un grand service. Heureusement il m'en reste encore quelques-unes.»

Jules, qui était présent, sourit malignement et quitta la boutique, ce qui n'échappa point à tante Monique.

Le soir même, le pauvre mercier revint tout désolé raconter à son voisin qu'on lui avait enlevé le reste de ses pêches, même celles qui n'étaient pas encore mûres.

Tante Monique monta, sans rien dire, dans la mansarde où couchait son neveu, découvrit le lit et y trouva les pêches. Elle appela Mme Longuet, et les lui montrant:

«Que t'avais-je dit, ma soeur!

—Monique, tu attaches trop d'importance à des espiègleries de gamin!

—Ma soeur, je te trouve bien aveugle de ne pas voir que le gamin qui, à quatorze ans, vole par espièglerie, volera plus tard par habitude. Veux-tu t'en rapporter au jugement de ton mari?

—Oh! non; ne lui parle pas de cela, Monique! il serait capable de maltraiter son fils, quoiqu'il l'aime pourtant plus que tout au monde.

—Ma soeur! ma soeur! cette indulgence nous coûtera bien des larmes!

—Laisse donc, Monique! Jules est un garçon plein d'esprit et de raison.

—C'est bien précisément ce qui augmente mes craintes; car il ne pèche pas par ignorance.»

Jules avait quinze ans, quand un parent de sa mère vint les inviter aux noces; il mariait sa fille dans une ville voisine. Il montra les bijoux qu'il venait d'acheter, parmi lesquels se trouvait une jolie épingle d'or qu'il destinait au marié, et que Jules trouva charmante.

Il fut décidé que Mme Longuet et son fils iraient aux noces, ce qui rendit Jules fort heureux.

A son retour Mme Longuet raconta que le jour même de la noce on avait pris l'épingle du marié, qui l'avait attachée aux rideaux du lit de sa belle-mère, pendant qu'il l'aidait à monter des tables pour le couvert. On avait inutilement cherché le bijou dans toute la maison, et l'on soupçonnait une jeune servante d'avoir commis ce vol.

Tante Monique ne quitta pas son neveu des yeux pendant que sa mère parlait; et comme elle le vit très-calme, elle pensa qu'il n'était pour rien dans cette aventure.

Le cordonnier qui demeurait auprès de M. Longuet l'invita, ainsi que sa famille, à venir au bal de la Saint-Crépin, qui devait être très-beau.

«Merci, voisin, dirent l'épicier et sa femme, nous ne sommes plus d'âge à danser.

—Et moi je ne suis pas de santé à passer la nuit, dit tante Monique.

—Mais Jules ne demandera pas mieux que de s'amuser!

—Comme il voudra,» répondit sa mère.

Jules fut enchanté d'aller au bal, car il avait déjà seize ans. Sa mère et sa tante s'occupèrent de sa toilette. A dîner, il demanda plusieurs fois s'il était bien vrai que personne de la maison ne viendrait au bal, et parut fort content quand on l'assura qu'aucun d'eux ne l'accompagnerait; cette instance inquiéta tante Monique.

Tout le monde était couché chez l'épicier, quand on frappa à coups redoublés à la porte. Longuet se leva pour ouvrir. Monique, qui ne dormait que d'un oeil, entendant qu'on parlait haut et fort, s'habilla à moitié, et descendit pour savoir ce qui était arrivé. Elle trouva le jeune marié, aux noces duquel Jules était allé, tenant celui-ci au collet et disant à l'épicier:

«Vous avez beau dire, cousin, c'est Jules qui m'a volé mon épingle. Voyez-la plutôt à sa cravate!»

Jules, écrasé par la honte et le remords, ne disait mot. Le malheureux épicier supplia son jeune parent de ne pas ébruiter la chose; mais elle était déjà connue de tout le monde, car, au bal, le marié avait vu son épingle au cou de Jules, et lui avait dit en plaisantant:

«Il paraît que tu as voulu me jouer un tour! Allons, rends-moi mon épingle!»

Jules prétendit que l'épingle était bien à lui, puisque tante Monique la lui avait donnée, et que d'ailleurs il y avait plus d'une épingle semblable dans le monde.

«Nous allons voir, dit le marié; j'ai fait sauter une pierre bleue de mon épingle en la mettant précipitamment pour aller me marier. Voyons si la tienne a bien toutes ses pierres?»

La pierre bleue manquait aussi à l'épingle de Jules; ce fut alors que le cousin le ramena chez M. Longuet.

Le père enferma son fils à clef dans sa chambre, et passa le reste de la nuit à se désespérer.

Le lendemain, tante Monique porta, vers midi, de la soupe à Jules. Elle le trouva fort pâle; il ne s'était pas couché et pleurait beaucoup.

«Oh! ma bonne tante, s'écria-t-il, ayez pitié de moi!

—Comment, Jules, as-tu pu faire une action si basse?

—Ma tante, j'ai tellement l'habitude de prendre ici tout ce qu'il me plaît, que je n'ai pas réfléchi à ce que je faisais.

—Mais vois donc, malheureux, où cela peut te conduire!

—Ma tante, j'ai bien réfléchi cette nuit, allez! j'ai repassé toute ma vie, et je suis accablé de honte. Je vous jure devant Dieu que je ne prendrai plus jamais rien; vous pouvez le dire à mon pauvre père. Priez-le, ma tante, de me rendre sa tendresse: comment pourrais-je vivre sans l'affection de vous tous!»

Tante Monique, trouvant un air de grande sincérité à son neveu, alla consoler M. Longuet, disant qu'elle répondait de Jules. Le père lui rendit la liberté.

Le lendemain, le jeune homme se présenta dans l'étude de l'avoué où il travaillait depuis quelques mois. A son entrée, tous les clercs se levèrent; et, passant dans le cabinet du patron, ils lui dirent que si Jules restait dans l'étude, ils en sortiraient tous. Jules fut obligé de s'en aller. Il rentra chez lui dans un grand désespoir.

«Mon fils, lui dit son père, tu as mérité cet affront; c'est ta punition qui commence.

—Et la nôtre aussi! ajouta tante Monique; c'est notre indulgence qui l'a perdu.»

Jules resta au lit, malade, pendant quelques jours. Quand il fut un peu mieux, il alla se promener dans la campagne; étant surpris par la pluie, il entra, pour se mettre à l'abri, dans un café du faubourg et demanda un verre de vin, car il grelottait bien fort. En entendant sa voix, quelques jeunes gens qui jouaient au billard se retournèrent; ils parlèrent aux autres personnes qui étaient dans le café, et en un instant la salle fut vide.

Le pauvre garçon, après avoir payé le vin dans lequel il avait à peine trempé ses lèvres, rentra chez lui et fut encore obligé de se mettre au lit.

Au bout d'un mois sa santé sembla se remettre un peu; et son père le plaça chez un notaire des environs. Jules, qui était travailleur et intelligent, s'y distingua bien vite, et le notaire était fort content de lui.

Il y avait à peine trois mois que Jules était dans cette étude, quand on vola la montre d'argent du premier clerc. Cela fît grand bruit dans la petite ville. On en parlait au café un jour de marché; un voisin de M. Longuet, se trouvant là par hasard, dit qu'il n'était pas étonnant que le maître clerc eût perdu sa montre puisque Jules Longuet demeurait avec lui. Alors il raconta l'histoire du malheureux garçon, augmentée de toutes les exagérations de la médisance. Tous ces propos étant parvenus aux oreilles du notaire, il remercia Jules, qui revint désespéré chez son père.

«Mon enfant, lui dit celui-ci, jure-moi que tu n'as pas pris cette montre!

—Mon père, je ne l'ai pas prise, je vous le jure!» Et Jules disait la vérité: car, quelques jours après, M. Longuet reçut une lettre d'excuse du notaire, racontant que la montre avait été trouvée dans les hardes de la servante.

«Que faire maintenant? dit la mère tout en larmes.

—Il faut garder Jules avec nous, répondit tante Monique; nous l'aiderons à supporter sa punition, car nous sommes bien un peu coupables de ses fautes.»

Jules renonça à la carrière qu'il avait en perspective pour travailler avec son père. Longtemps on le regarda avec prévention; et ce ne fut qu'après plusieurs années de travail assidu et de conduite exemplaire qu'il parvint à faire oublier les fautes de sa première jeunesse.




LA PETITE PARESSEUSE.

M. Piquet, honnête cordonnier qui avait une boutique bien achalandée, était père de quatre enfants.

Eugénie, l'aînée, âgée de douze ans, était extrêmement paresseuse. Sa mère lui confiait souvent la garde de ses petits frères, pendant qu'elle-même surveillait les ouvrières qui bordaient les souliers et piquaient les bottines; mais Eugénie, au lieu de s'occuper des enfants, se mettait à la fenêtre ou bien s'asseyait sur sa petite chaise; et comme il était fort ennuyeux de ne rien faire, la petite fille s'assoupissait ordinairement. Pourtant elle dormait bien toutes les nuits, et le matin sa mère avait mille peines à l'éveiller. Si on la chargeait de surveiller le pot-au-feu ou bien la casserole où cuisait le dîner de sa famille, elle n'y faisait aucune attention. Le pot bouillait trop fort et le bouillon se perdait, ou bien le ragoût brûlait.

Le père de cette petite fille la grondait souvent à cause de sa paresse, et même il la battait quelquefois; mais rien n'y faisait. Cette enfant était toujours sale et mal tenue, malgré les recommandations de sa mère. Comme elle était d'âge à s'habiller seule, Mme Piquet, qui avait beaucoup d'occupations, se contentait de lui recommander la propreté, sans s'assurer par elle-même si elle était obéie. La petite paresseuse, au lieu de se peigner chaque matin, renfermait ses cheveux dans son serre-tête. Un jour que sa mère avait le temps de la coiffer, elle lui trouva les cheveux si mêlés qu'elle ne put y faire entrer le peigne et qu'elle fut obligée de les couper, au grand regret d'Eugénie qui y tenait beaucoup.

M. Piquet étant allé en ville prendre mesure de souliers, sa femme resta avec les ouvrières pour leur distribuer l'ouvrage. Elle recommanda à Eugénie de ne pas quitter le plus jeune de ses frères, qui avait la rougeole.

«Tu entends bien, ma fille? il ne faut pas laisser ton frère seul un instant; car s'il sort seulement les bras de son lit, il peut en mourir.

—Soyez tranquille, maman, j'en aurai bien soin.

—Eugénie, je me défie de ta paresse: songe qu'il y va de la vie de ton frère!»

Pendant la première demi-heure, Eugénie resta près du lit, ramenant soigneusement les couvertures sur l'enfant qui, dans le transport de la fièvre, cherchait sans cesse à les écarter. Mais tant de surveillance lassa bientôt la paresseuse. Elle voulut s'asseoir et recommanda au petit de se tenir tranquille. Comme elle s'ennuyait, elle se mit à la fenêtre pour voir les passants. Au bout de quelque temps elle bâilla, puis finit par s'assoupir comme d'habitude. Elle fut réveillée par les cris du petit malade qui demandait sa mère. Elle se leva et courut au lit de l'enfant, craignant d'être grondée; mais le lit était vide! Eugénie commença à comprendre combien elle avait eu tort de quitter son frère et se mit à sa recherche; elle trouva le pauvre petit assis sur l'escalier, où il continuait d'appeler sa mère.

Celle-ci, qui l'avait enfin entendu, fut au désespoir de trouver son enfant exposé nu à tous les vents; elle l'enveloppa dans sa robe et le remonta promptement, puis le remit dans son petit lit. Elle lui fit prendre une infusion de tilleul et le couvrit beaucoup afin de ramener la transpiration; mais tous ses soins furent inutiles: la rougeole était rentrée et l'enfant mourut dans la nuit.

M. et Mme Piquet furent si fâchés contre leur fille, dont la négligence avait occasionné ce malheur, qu'ils la mirent en apprentissage dès le lendemain chez une lingère. Eugénie ne voulant pas se corriger ne put contenter sa maîtresse, qui la rendit à ses parents au bout de six mois. La petite fille, pour s'excuser, dit que cet état-là ne lui convenait pas et qu'elle voulait être brodeuse. On la mit dans un grand atelier de broderies où elle travailla assez assidûment pendant les premiers temps; mais son invincible paresse prit encore le dessus; d'abord elle négligea son ouvrage, et finit même par ne plus rien faire du tout. La maîtresse de l'atelier l'ayant menacée plusieurs fois de la renvoyer à ses parents, la mit enfin à la porte.

On la plaça chez un tapissier, où, comme à l'ordinaire, elle fit très-bien d'abord l'ouvrage qu'on lui confiait, car elle ne manquait pas d'intelligence; mais, quelque temps après l'entrée d'Eugénie chez le tapissier, les pratiques de cet homme se plaignirent à lui de ce que les franges et les anneaux des rideaux étaient à peine cousus et se détachaient pour peu qu'on y touchât. Le tapissier surveilla ses ouvrières avec soin, et il ne fut pas longtemps à s'apercevoir qu'Eugénie ne faisait qu'un point là où il en aurait fallu quatre. Il la gronda sévèrement et lui signifia que si cela recommençait, il la renverrait.

Dans ce temps-là le père et la mère d'Eugénie moururent du choléra. La famille se chargea des deux autres enfants; mais, quant à Eugénie, dont chacun connaissait la paresse, personne ne voulut la prendre, et on lui dit qu'elle était d'âge à gagner sa vie. Ce fut une rude leçon qui lui fit impression d'abord et qui aurait dû la corriger pour toujours, puisqu'elle n'avait plus au monde d'autres ressources que celles que lui fournirait son travail; mais cette impression s'effaça bien vite: Eugénie recommença à faire de grands points, puis à dormir sur son ouvrage, et le tapissier la renvoya de chez lui comme il l'en avait tant de fois menacée. Quand elle se vît seule dans la rue avec son petit paquet sous le bras, elle marcha quelque temps, puis s'assit sur un trottoir et se mit à pleurer. Elle s'en prit de son malheur à tous les gens de sa connaissance, au lieu de s'en prendre à sa paresse qui en était la seule cause.

Une dame charitable qui passait par là eut pitié de cette jeune fille, et lui demanda d'où venait son chagrin. Eugénie lui dit qu'ayant perdu ses parents du choléra, elle ne savait plus où aller. La dame l'emmena chez elle, la prit pour femme de chambre et lui apprit le service. Quand elle avait fait l'appartement, elle travaillait au linge avec sa maîtresse et la servait à table.

Cette dame aimait beaucoup les oiseaux. Un de ses frères, qui était marin, lui avait apporté de Marseille deux bengalis, deux amarantes, deux pinsons d'Afrique, une veuve et une charmante perruche rose qu'on appelait Coquette. Eugénie était chargée de soigner tous ces petits animaux. On donnait la liberté à Coquette deux fois par jour, mais il fallait veiller à ce que les portes et les fenêtres ne fussent pas ouvertes; car la perruche était sauvage et se fût envolée. Il n'y avait pas encore un mois qu'Eugénie était chez sa maîtresse où elle était fort heureuse, quoiqu'on eût à lui reprocher bien des négligences, que, succombant à sa paresse habituelle, elle ouvrit la cage de Coquette avant d'avoir fermé les fenêtres, et la perruche s'en alla pour ne plus revenir. La maîtresse en eut bien du chagrin et gronda beaucoup sa femme de chambre.

La semaine suivante, Eugénie, ayant nettoyé la cage des petits oiseaux, la remit en place. Les petites bêtes ne furent point gaies comme de coutume; elles restaient sur leur perchoir, pressées les unes contre les autres, ce qui surprit la maîtresse. Le lendemain au matin, cette dame, étonnée de ne pas être réveillée comme à l'ordinaire par les chants joyeux de ses oiseaux, décrocha la cage et les trouva morts tous les sept. Eugénie ne leur avait donné ni à boire ni à manger, et ils étaient morts de faim! La colère de sa maîtresse fut si grande, qu'elle la mit à la porte sans même penser à la payer.

La malheureuse fille erra de rue en rue toute la journée; le soir, accablée de faim et de fatigue, elle s'assit au coin d'une borne et finit par s'y endormir. Mais il survint un furieux orage, et la pluie tombant toute la nuit, Eugénie fut mouillée jusqu'aux os. Quand le matin elle voulut se lever, elle ne le put pas, parce qu'elle ressentait des douleurs dans tous les membres. Les passants commençaient à s'attrouper autour d'elle. Le commissaire de police, venant à passer, s'informa du sujet de ce rassemblement. Alors il fit transporter Eugénie à l'hôpital, où elle mourut au bout de quelques jours.




L'ENFANT GÂTÉ.

Le petit Charles était un enfant très-gâté par sa belle-mère, qui ne souffrait pas qu'on le contrariât en rien, et sa bonne faisait tout ce qu'il voulait. M. Nizerolles, son père, avait beau dire qu'en l'élevant ainsi l'on en ferait un enfant insupportable, on ne l'écoutait pas et l'on continuait à faire toutes les volontés de Charles.

Quand il jouait dans la chambre où sa bonne et sa belle-mère travaillaient, Charles disait en pleurant:

«Maman, Solange me regarde!

—Mon enfant, c'est qu'elle a du plaisir à te voir.

—Je ne veux pas qu'elle me regarde, moi!

—Solange! je vous défends de regarder cet enfant, puisque cela l'ennuie.»

Alors la bonne continuait à travailler sans lever les yeux.

Charles criait de nouveau:

«Maman! Solange ne me regarde pas!

—Mon ami, je lui ai défendu de te regarder, puisque cela te faisait de la peine.

—Je veux qu'elle me regarde maintenant, moi!

—Solange, pourquoi ne regardez-vous pas M. Charles? vous ne savez rien faire à propos.»

Et cela durait une heure ainsi.

Un jour, Charles voulait que son grand cheval de carton se dérangeât pour le laisser passer. Sa belle-mère s'étant levée pour ôter le joujou du chemin de son fils, celui-ci lui défendit d'y toucher.

«Il a des jambes, criait-il, il peut bien marcher tout seul!

—Tu ne sais ce que tu dis, mon enfant.»

Et Mme Nizerolles mit le cheval dans un coin de la chambre. Charles se mit dans une grande colère et cria si haut que son père l'entendit. Il vint, et, prenant l'enfant par le bras, il le conduisit dans un cabinet noir.

Charles cria tant qu'il eut de force pendant plus d'une demi-heure, après quoi il s'apaisa. Alors sa belle-mère s'empressa d'aller lui ouvrir; mais aussitôt qu'il la vit, l'enfant recommença à crier.

—«Mon petit chéri, je croyais que tu étais raisonnable, et je venais te tirer de prison; tu ne criais plus!

—Ne faut-il pas que je me repose, répondit Charles; croyez-vous que je vais crier comme ça des heures entières sans me reposer, pour avoir ensuite mal à la gorge!»

Charles avait la mauvaise habitude de mettre la main dans les plats qu'on servait à table, ce qui impatientait son père au dernier point; mais M. Nizerolles était si faible qu'il ne savait pas contrarier sa femme ni son fils. Un jour, on servit un macaroni tout bouillant; Charles s'empressa d'allonger le bras pour en prendre.

«Fais attention, mon ami, dit sa belle-mère; tu vas te brûler!»

Charles n'en fit qu'à sa tête, comme à l'ordinaire, et il prit une pleine main de macaroni; mais il se brûla si fort qu'on entendit ses cris dans toute la maison. La peau de la main fut détachée et il y eut grand mal. Pendant plus d'un mois, il porta la main en écharpe, et il ne fut plus tenté de mettre la main au plat.

M. et Mme Nizerolles passaient tout l'été à la campagne. Au bas de leur jardin se trouvait une prairie traversée par une petite rivière. Chaque jour on défendait à Charles d'aller seul au bord de l'eau. Un matin que tout le monde était occupé, Charles se sauve du côté du pré et se met à cueillir des fleurs sur le bord de la rivière; voulant avoir un bel iris jaune qui était un peu éloigné de la rive, il se penche et tombe dans l'eau.

Charles ne manquait ni d'esprit ni de courage; voyant que personne n'était à portée de le secourir, il se cramponna à une branche de saule pleureur qui pendait dans l'eau et se mit à crier le plus haut qu'il put. Ce fut son père qui l'entendit le premier et vint le retirer de la rivière. Cette petite aventure lui fit passer l'envie d'aller tout seul au bord de l'eau.

La tante de Charles ayant amené ses deux fils pour passer la journée avec lui, il fut assez aimable jusqu'au dîner, se trouvant fort heureux d'avoir des camarades, parce que son mauvais caractère avait éloigné de lui tous les enfants qui le connaissaient. Mais quand il fallut se mettre à table, Charles, qui venait de se disputer avec l'aîné de ses cousins, ne voulut pas qu'il dînât avec lui; tout ce qu'on put dire pour faire passer ce caprice fut inutile. Le cousin, bon petit garçon et fort bien élevé, demanda lui-même à manger à la petite table. Quand le soir fut venu, Charles, qui s'était remis à jouer avec ses cousins, leur demanda quand ils reviendraient le voir, en disant qu'il fallait que ce fût bientôt, parce qu'il s'amusait beaucoup avec eux.

«Mon ami, dit la tante, je n'amènerai plus tes cousins ici, parce que je craindrais qu'en les laissant avec toi ils ne prissent tous tes caprices; et je ne veux pas que mes enfants soient insupportables à tout le monde.»

Charles, tout confus, alla pleurer auprès de sa belle-mère, qui dit que la tante était trop sévère pour cet enfant.

«Non, dit M. Nizerolles, ma soeur n'est pas trop sévère; elle a raison de bien élever ses fils.»

Si le dîner n'était pas servi quand Charles avait faim, sa bonne le menait à la cuisine, et la cuisinière découvrait toutes les casseroles pour qu'il choisît ce qu'il voulait manger; et, s'il désirait du rôti, on coupait une aile de la volaille qui était encore à la broche.

Les couvreurs vinrent raccommoder le toit de la grange, Charles, voyant un jeune ouvrier monter à l'échelle et marcher sur le toit, dit qu'il en ferait bien autant. Son père et sa mère étaient allés à la ville, et la bonne, effrayée de ce nouveau caprice, essaya de l'en détourner; mais elle ne put y réussir. Ne sachant pas résister à la volonté de l'enfant gâté, et, d'un autre côté, craignant qu'il ne lui arrivât quelque accident, elle pria le jeune ouvrier de le faire monter avec lui, en lui recommandant de le bien tenir. Quand il fut au bord du toit, Charles dit qu'il voulait y marcher tout seul; et comme l'ouvrier ne voulait pas le laisser en liberté, le mutin se débattit si bien, qu'il tomba, entraînant le pauvre garçon dans sa chute. L'ouvrier se démit l'épaule et l'on fut obligé de le mettre au lit.

Grand désespoir à la maison!

Quand M. et Mme Nizerolles rentrèrent pour dîner, et qu'ils apprirent le malheur qui était arrivé, ils furent très-alarmés. Il fallut raconter les détails de l'accident, et la bonne fut bien grondée. Pendant les six semaines que l'ouvrier passa au lit, Charles témoigna beaucoup de repentir de ce qu'il avait fait. On le trouva souvent à genoux près du lit du malade, et la bonne Mme Nizerolles pensa que cette leçon le corrigerait.

Charles avait huit ans quand sa belle-mère lui donna une petite soeur. Il en fut d'abord enchanté; mais bientôt, voyant qu'on s'occupait beaucoup de cette petite, il prétendit qu'on n'aimait qu'elle; que toutes les complaisances et les petits mots d'amitié étaient pour mademoiselle, et il voulut qu'on la mît en nourrice. Mme Nizerolles supporta patiemment ce nouveau caprice et pleurait quand elle était seule, se repentant d'avoir si mal élevé le fils de son mari. Elle n'osait plus témoigner la moindre tendresse à sa petite fille en présence de Charles, et s'en dédommageait quand elle était seule avec l'enfant.

Un jour qu'elle berçait sa fille sur ses genoux, en lui disant tous les jolis mots que les mères adressent à leurs petits enfants pour témoigner leur tendresse, Charles entra et se mit dans une telle colère qu'il s'en roulait par terre.

«Qu'on renvoie cette petite, criait-il, je n'entends pas qu'elle reste ici! J'y étais avant elle! qu'elle sorte de la maison!»

M. Nizerolles, attiré par le bruit, sortit de son cabinet, et prenant le petit furieux dans ses bras, il lui dit:

«Ta soeur ne quittera pas la maison, mauvais garnement, mais ce sera toi. Puisque nous ne savons pas t'élever, je vais te mettre en meilleures mains; car ici tu deviendrais un mauvais sujet.»

On attela la voiture, et, malgré les prières de Mme Nizerolles et les larmes de la bonne, le père de Charles le conduisit au lycée de la ville voisine où ils arrivèrent le soir très-tard.

«Monsieur, dit M. Nizerolles au proviseur, je vous amène l'enfant le plus mal élevé que vous ayez jamais eu sous votre direction. Comme au fond il n'est ni sot ni méchant, j'espère que vous en ferez un garçon supportable; et, pour y parvenir, je vous autorise à user de toute la rigueur que vous jugerez convenable. Et toi, Charles, rappelle-toi que tu ne me reverras que quand M. le proviseur m'assurera que tu mérites l'affection que nous avions pour toi.»

Charles, qui n'avait pu croire qu'on voulût l'éloigner réellement de la maison, fut si atterré qu'il laissa partir son père sans dire un seul mot. C'était l'heure du coucher; il alla au dortoir des petits et passa la nuit à pleurer. Le lendemain au matin, quand on lui donna un bol de lait comme aux autres, il dit qu'il ne mangeait pas de lait sans sucre.

«On ne donne pas de sucre ici, monsieur.

—Eh bien! je ne prendrai pas votre lait.»

Et il jeta le bol et le pain au milieu de la cour. Dans la salle d'étude il fut assez tranquille, regardant tous ses nouveaux camarades les uns après les autres. A la récréation, quelques écoliers vinrent proposer à Charles de jouer avec eux.

«Laissez-moi tranquille! je n'ai pas besoin de vous pour m'amuser.

—Tiens! ce monsieur bourru!» dirent les enfants.

Et ils s'attroupèrent autour de lui.

«Vous en irez-vous! leur cria Charles, je ne veux pas qu'on me regarde.

—Est-il drôle, celui-là!» dirent les écoliers en riant aux larmes.

Charles, trépignant de colère, ramassa du sable et le leur jeta aux yeux.

«Il est enragé! dit le plus grand. Apportez-moi un fouet de toupie, je vais lui lier les mains derrière le dos.»

Et, le saisissant promptement, il lia les bras de Charles à un petit arbre qui était auprès de lui. Alors les écoliers allèrent trouver le maître d'étude, qui, tout en lisant dans un coin de la cour, observait cette scène.

«Vous avez très-bien fait, mes amis, dit-il, de traiter ce garçon-là comme on traite un animal nuisible.»

Le tambour battit et l'on délia Charles pour entrer en classe. Il n'y avait pas un quart d'heure qu'il y était, quand il dit tout haut:

«Je m'ennuie! qu'on me reconduise chez mon père.

—Monsieur Charles, on ne parle pas en classe, dit le professeur.

—Et si je veux parler, moi, qui donc m'en empêchera?

—Moi, monsieur!

—Je voudrais bien voir ça!»

Le professeur appela un domestique qui était dans le corridor, et lui dit d'emmener Charles, qui fut mis dans un cabinet où il cria tout à son aise jusqu'au dîner.

A table, il refusa de manger de la soupe, en disant qu'elle avait mauvaise mine. On lui ôta son assiette.

«Qu'on m'en fasse d'autre tout de suite!

—On ne parle pas au réfectoire,» dit le proviseur, qui assistait au dîner des élèves.

Quand on lui servit du bouilli, il dit qu'il n'en mangeait pas, et que le bouillon n'était bon que pour les domestiques. Il en fut de même pour les haricots.

«Que vais-je donc manger?

—Vous mangerez votre pain sec, puisque rien ne vous plaît.

—Puisque c'est comme cela, je me laisserai mourir de faim.

—Vous êtes libre de le faire, mon enfant, si cela vous plaît.»

En effet, Charles ne mangea pas de la journée, et, pendant la récréation, il resta dans un coin de la cour, pleurant en silence, car l'estomac lui faisait grand mal.

Le lendemain au matin, il but son lait sans demander du sucre, et il mangea un peu de salade au dîner, puis il se promena dans la cour.

Quand Charles vit bien qu'on ne lui céderait jamais, il commença à devenir un peu plus raisonnable; il se mit à travailler, lui qui n'avait presque jamais rien fait. Le travail l'intéressa beaucoup plus qu'il ne l'avait cru; alors il parla moins souvent à l'étude et en classe, et fut plus rarement puni. Il finit par trouver le dîner et le souper fort bons, car, ne boudant plus, il s'amusait avec ses nouveaux camarades et gagnait de l'appétit en courant et sautant comme eux. Sa santé était languissante avant qu'il entrât au collége, parce que chez lui il mangeait trop souvent à des heures irrégulières; mais la vie du collége la raffermit, et il devint rose et frais comme les autres écoliers.

Au bout de six mois, le proviseur écrivit à M. Nizerolles qu'il pouvait venir voir son fils qui était devenu un charmant enfant et l'écolier le plus attentif de sa classe.

Ce fut un grand bonheur pour Charles d'embrasser son père et d'avoir des nouvelles de tout le monde, il en pleura de joie, et parla beaucoup de sa belle-mère et de sa petite soeur.

«Mon ami, dit le proviseur, si vous désirez les voir, je vous donnerai un congé de trois jours.

—Oh! merci, monsieur! je serai bien content d'aller un peu à la maison, car il me semble qu'il y a plus d'un an que je l'ai quittée.»

M. Nizerolles emmena donc son fils, et sa femme fut très-contente de le revoir. Quand ils se furent bien embrassés, Charles, suivi de sa bonne à qui il faisait mille amitiés, alla voir les autres domestiques qui le reçurent assez froidement, car ils n'avaient pas oublié la façon dont il les traitait autrefois; mais quand ces gens le virent si bon garçon, ils témoignèrent une grande joie de son retour.

Le lendemain, Charles prit sa bonne à part et il lui dit:

«Solange, maman n'aime donc pas ma petite soeur?

—Oh! si, monsieur, elle l'aime beaucoup, au contraire.

—Mais elle ne lui dit rien et ne l'embrasse jamais!

—C'est qu'elle craint de vous faire de la peine; mais quand vous étiez au collège, elle passait sa journée à la caresser.

—Et pourquoi ne la caresse-t-elle pas devant moi?

—Vous avez donc oublié, monsieur Charles, que vous pleuriez quand madame embrassait sa fille, et que vous ne vouliez pas la souffrir à la maison?»

Charles, honteux de sa conduite passée, à laquelle il n'avait jamais réfléchi, courut à la chambre de sa belle-mère.

«Ah! petite mère, cria-t-il, que vous devez me détester! Comme j'étais méchant autrefois! Laissez-moi embrasser ma petite soeur, je vous en prie; caressez-la, chérissez-la, maman, et ne craignez pas que je pense ni ne dise aucune de ces vilaines choses qui ont forcé papa à me mettre au collège.»

Et en parlant ainsi il avait pris sa petite soeur dans ses bras et faisait mille enfantillages pour la faire rire. «Maman, je vous aiderai à bien aimer ma soeur; il faut même l'aimer plus que moi, car elle en a besoin; elle est si petite!»

Charles s'informa du garçon couvreur qui s'était autrefois démis l'épaule, et voulut lui faire un petit cadeau sur ses économies. Sa tante vint dîner, amenant ses deux fils pour jouer avec Charles. Elle dit qu'ils iraient au lycée avec lui puisqu'on y élevait si bien les enfants, et qu'elle était charmée que ses fils apprissent qu'on peut toujours se corriger quand on a bonne envie.




L'ENFANT PERDU.

M. Desnues, brave officier, allait en semestre avec sa femme et son enfant, un gentil petit garçon de trois ans. Ils avaient à faire une longue route, et devaient passer trois jours et deux nuits en diligence. M. Desnues s'assit en face de sa femme, et chacun d'eux, à son tour, tenait sur ses genoux le petit René, qui voulait toujours regarder par la portière. Cet enfant remuait sans cesse et fatiguait extrêmement la personne qui s'occupait de lui; mais il était si heureux de voir la campagne et tout ce qui se rencontrait sur la route, que sa mère ne se plaignait pas de la fatigue qu'il lui donnait, bien qu'elle fût excessive. La nuit, elle tenait René endormi sur ses bras, et ne le donnait à son mari qu'alors qu'elle ne pouvait plus le soutenir.

La seconde nuit, M. Desnues lui dit:

«Ma chère amie, René dort mal sur nos bras; je vais plier mon manteau de façon à en former une espèce de couchette dont chaque extrémité posera sur nos genoux, et l'enfant s'y étendra à son aise.»

Mme Desnues goûta fort l'expédient, et tout fut disposé comme le voulait le mari. René était enchanté d'être étendu sur ce petit lit improvisé, la tête sur les genoux de son père pendant que sa mère lui tenait les pieds; et la nuit étant venue, il ne tarda pas à s'endormir.

L'officier et sa femme se tinrent éveillés aussi longtemps qu'ils le purent; mais la fatigue l'emportant enfin, ils s'assoupirent d'abord, puis s'endormirent tout à fait.

Vers le milieu de la nuit, M. Desnues s'éveilla, et, voyant la portière ouverte, il cria à sa femme;

«Ma chère, prends bien garde à René!

—René, répondit-elle à moitié endormie, est-ce qu'il n'est pas auprès de toi?

—Ah! mon Dieu! s'écria le malheureux père, il est tombé par la portière!»

La diligence arrivait au relais comme il prononçait ces mots.

M. Desnues sauta hors de la voiture où sa femme, glacée d'épouvante, s'était évanouie. Il se mit à courir de toutes ses forces sur la route qu'il avait parcourue, en criant:

«René! mon enfant, où es-tu?»

Les autres voyageurs se joignirent à lui pour quelques instants, pendant que l'on transportait sur un lit de l'auberge la pauvre mère sans connaissance. Puis le conducteur, ayant déchargé les bagages de l'officier, rappela les autres voyageurs, et la diligence se remit en route.

Le malheureux père marcha bien longtemps sur le grand chemin, appelant toujours René à haute voix, et regardant de tous côtés attentivement. Comme il faisait un beau clair de lune, il lui était facile de distinguer tous les abords du chemin. Il rencontra plusieurs voituriers qui suivaient la même route que la diligence, et il leur demanda s'ils n'avaient pas aperçu un petit garçon de trois ans, ou s'ils l'avaient entendu crier. Tous répondirent négativement.

M. Desnues alla, toujours cherchant, jusqu'au relais précédent; il était sûr que, quand on y avait passé, il avait encore son fils sur ses genoux. Il éveilla les gens de la poste aux chevaux, qui ne purent lui donner aucun renseignement, et il revint au village où sa femme était restée; il était désolé, mais délivré pourtant de l'horrible crainte que le pauvre petit n'eût été écrasé par quelque voiture.

Mme Desnues, en proie à une fièvre ardente, appelait son fils à grands cris. Quand son mari rentra, elle s'écria:

«C'est moi! c'est moi qui suis cause de la perte de mon enfant! Je ne devais pas dormir! Est-ce que les mères doivent jamais dormir?

—Ma pauvre femme, sois certaine qu'il n'est arrivé aucun mal à notre fils.

—Eh bien! alors, où est-il?»

M. Desnues détourna la tête, et, après un instant de silence, il dit: «Mets ta confiance en Dieu, mon amie, il nous rendra notre enfant, n'en doute pas!»

Mais la malheureuse mère ne l'entendait pas. Elle avait le délire et poussait des cris déchirants. Son mari, ne pouvant la calmer, s'assit tristement auprès de son lit.

Or, voici ce qui était arrivé au petit René:

Il était tombé de la voiture; mais alors il dormait si bien qu'il ne s'éveilla pas en tombant. Il n'y avait pas cinq minutes qu'il était étendu au beau milieu de la route, lorsqu'un paysan la traversa, menant par la bride un âne que montait sa femme: ils revenaient d'une foire lointaine où ils étaient allés vendre leur toile.

«Arrête donc, Jacques! dit la paysanne; il me semble que je vois quelque chose là-bas, sur la route; ça me paraît être un paquet d'étoffe. Va le ramasser, notre homme, et demain tu iras en ville dire que c'est nous qui l'avons trouvé, pour que ceux qui l'ont perdu sachent où le prendre.»

Jacques se dirigea du côté que lui indiquait sa femme. En voyant un enfant endormi, il le prit tout doucement dans ses bras, l'apporte à la paysanne, et dit en le lui posant sur les genoux:

«Tiens! voilà le paquet; qu'en dis-tu, Sylvine?

—Seigneur Jésus! c'est un petit enfant beau comme le jour! Mon homme, bien sûrement, c'est le bon Dieu qui l'a mis sur notre chemin; je l'ai tant prié de nous donner un enfant qu'il me l'envoie tout venu.

—Femme, cet enfant a une mère, qui sans doute est bien désolée à l'heure qu'il est de l'avoir perdu; et ce serait bien mal de lui voler son enfant.

—C'est vrai, Jacques; mais où veux-tu que je trouve sa mère, à présent? Tiens, vois donc comme il est joli! Je sens que je l'aime déjà de tout mon coeur!

—Dame! au fait, sa mère l'a peut-être abandonné exprès sur la route!

—Qu'est-ce que tu dis donc là, notre homme? est-ce que c'est possible?

—Sais-tu que le pauvre innocent aurait bien pu être écrasé par ces grosses voitures qui vont plus vite que le vent?»

René s'éveilla, et dit:

«Mère! j'ai faim.»

Sylvine rapportait de la foire un pain blanc pour son vieux père; elle en cassa un morceau et le donna à l'enfant, qui s'étant tout à fait éveillé, demanda à voir sa mère. Jacques lui raconta comment il l'avait trouvé sur la route; le petit ne comprit rien à ce qu'on lui dit, et se mit à pleurer bien fort, en disant:

«Qu'est-ce que maman va dire quand elle ne trouvera plus son petit René auprès d'elle?»

Il fallait pourtant prendre un parti; les braves gens, voyant qu'ils ne pouvaient tirer aucun éclaircissement de l'enfant, se résolurent à l'emmener svec eux dans le hameau qu'ils habitaient.

René, tout en pleurant, s'endormit sur les genoux de Sylvine. Au bout d'une heure de marche dans un chemin de traverse, l'âne s'arrêta devant la porte de la cabane de Jacques.

Sylvine s'empressa d'allumer son feu pour faire chauffer un peu de lait à l'enfant qu'elle avait déposé sur son lit; mais il ne se réveilla pas du reste de la nuit.

Le lendemain, René, en ouvrant les yeux, demanda sa mère; Sylvine lui dit qu'il irait la voir dans la journée. Elle le leva, puis lui donna une grande jatte de lait chaud; après l'avoir bue, il eut un morceau de pain blanc et une grappe de raisin bien doré. La bonne femme conduisit alors l'enfant dans la cour, où il resta pendant qu'elle faisait son ménage. Le mari jeta du grain aux volailles, et le petit René se divertit beaucoup à les voir picoter leur nourriture; c'étaient surtout les pigeons qui lui plaisaient! Mais de temps en temps il se mettait à pleurer en disant: «Où est donc maman?» Et Sylvine le consolait en lui répétant: «Tu la reverras bientôt.»

Après le déjeuner où l'enfant, pensant toujours à sa mère, ne mangea pas beaucoup, Sylvine, le prenant dans ses bras, s'en alla porter le reste du pain blanc à son père, qui demeurait dans le village, chez son fils aîné. Le vieillard était assis à la porte, sur un banc ombragé d'une treille. Du plus loin qu'il vit venir sa fille, il lui dit:

«Sylvine, où as-tu donc pris cet enfant?

—Sur la grande route, mon cher père.»

Et elle lui raconta l'aventure de la nuit précédente.

«Ma fille, ses parents doivent être dans une inquiétude mortelle; il faut le leur reconduire sans retard.

—Mais où les trouver, mon père?

—Où demeures-tu, petit?

—Moi! je demeure à Metz.

—Ah! mon Dieu, s'écria le vieillard; c'est très-loin d'ici. Mais où allais-tu donc, mon enfant?

—J'allais chez grand-père.

—Où demeure-t-il donc, ton grand-père?

—Il demeure dans une belle maison au milieu d'un jardin, bien loin de la ville.»

René n'en sut pas dire davantage.

«Comment faire?» dit le vieillard, en appuyant son front chauve sur sa main.

Alors Sylvine, toute bonne qu'elle était, eut une mauvaise pensée.

«Mon père, dit-elle, je le garderai; le bon Dieu n'a-t-il pas eu pitié de ma peine en le mettant sur mon chemin?

—Ma fille, éloigne cette tentation-là; car le garder serait un véritable crime.

—Oh! mon père, si vous saviez comme je l'aime déjà!»

Il fut convenu, malgré elle, que Jacques irait dans la journée à cette même ville où M. Desnues avait inutilement demandé des nouvelles de son enfant, et qu'il s'informerait des parents de René. Les démarches furent sans résultat. Il rentra tout décontenancé, et Sylvine se réjouit dans son coeur de ce qu'on ne retrouvait pas les parents du petit.

Le soir et le lendemain, René ne cessa de demander sa mère, et pleura souvent.

Sylvine voyait avec joie que personne ne venait le réclamer.

Le troisième jour, Jacques ayant des légumes à vendre, son beau-père l'engagea fortement à aller les porter au bourg où se trouvait l'autre relais, lui recommandant par-dessus tout de s'informer du père de l'enfant. Le paysan chargea son âne et partit.

L'auberge où Mme Desnues était malade se trouvait être la première maison du bourg; ce fut là que Jacques s'arrêta tout naturellement pour offrir ses légumes. L'hôtesse, avisant de beaux choux-fleurs dans les paniers de l'âne, en prit quelques-uns et dit:

«Cela sera peut-être agréable à la pauvre dame qui ne veut rien prendre.

—Vous avez donc quelqu'un de malade ici? dit Jacques.

—Eh! mon Dieu oui, une pauvre mère qui a perdu son enfant.

—Il est mort, son enfant?

—Non: elle l'a perdu tout endormi, sur la grande route.»

Jacques se fit raconter comment la chose était arrivée.

Quand il se fut ainsi assuré qu'il avait trouvé le fils de la dame malade, il comprit qu'il était de son devoir de le dire, nonobstant le chagrin qu'aurait sa chère Sylvine.

Il alla auprès de M. Desnues et lui dit:

«Mon officier, ma femme et moi nous avons trouvé l'autre nuit, en revenant de la foire, un petit enfant endormi sur la route. Il dit qu'il s'appelle René et qu'il est de Metz.»

En entendant ces mots, M. Desnues embrassa le paysan avec effusion, sans pouvoir prononcer une parole, tant sa joie était grande. Une petite servante, qui avait tout entendu, monta les escaliers quatre à quatre, et, ouvrant avec fracas la porte de la chambre de la malade, elle cria:

«Le petit est retrouvé!»

Mme Desnues, oubliant son extrême faiblesse, se leva vivement, descendit en courant l'escalier, et, traversant la cuisine, elle vint tomber dans les bras de son mari en s'écriant:

«Où est-il? où est René?»

Puis elle perdit connaissance.

Pendant qu'on la faisait revenir à elle, l'officier acheta tous les légumes de Jacques, qui les porta dans la cuisine, tandis que M. Desnues faisait atteler une mauvaise carriole qui se trouvait dans la cour. Il dit à Jacques d'y monter avec lui et de le mener où était son fils.

La pauvre mère, entendant cela, voulut aller aussi retrouver son enfant, quelque prière qu'on lui fît pour qu'elle attendît au lit le retour de René. Elle monta en voiture, et Jacques les eut bientôt conduits à sa cabane.

Mme Desnues aperçut la première son enfant, assis dans la cour et paraissant assez triste. Sylvine, à genoux près de lui, lui faisait manger une appétissante soupe au lait. Le bruit de la voiture ayant attiré l'attention de René, il laissa la soupe et s'élança en criant:

«Papa! maman! ah! vous voilà donc!»

Mme Desnues, en l'embrassant avec transport, s'aperçut alors que la paysanne pleurait.

«Ma pauvre femme, lui dit-elle en lui tendant la main, je ne puis assez vous dire combien je suis reconnaissante des soins que vous ayez prodigués à mon enfant. C'est vous et votre mari qui l'avez sauvé; sans vous, quelque voiture l'aurait écrasé peut-être. Demandez-moi ce que vous voudrez et je vous le donnerai.»

Mais Sylvine, toute chagrine de ce qu'on lui reprenait le petit René, pleurait toujours et ne répondait rien.

«Qu'avez-vous, ma bonne femme? lui dit l'officier; dites-moi ce qui vous afflige, et s'il est possible d'y remédier, je m'y emploierai de tout mon pouvoir.

—Ah! mon officier, dit Jacques les yeux baissés et tournant avec embarras son chapeau entre ses doigts, c'est que, voyez-vous, ma femme s'est affolée du petit, et elle dit que si on le lui ôte, elle en mourra; parce que, voyez-vous, madame, nous n'avons jamais eu d'enfant; et elle s'était mis dans la tête que le bon Dieu avait placé le petit chérubin exprès, tout endormi sur notre chemin, pour le lui donner.

—Venez avec nous, dit M. Desnues, je vous donnerai une petite maison; vous cultiverez mon jardin et votre femme soignera la basse-cour. Ainsi vous ne quitterez pas René.»

Sylvine fut si heureuse en entendant ces bonnes paroles, qu'elle ne savait plus ce qu'elle faisait. Elle saisit les mains de Mme Desnues et les lui baisa; puis elle baisa aussi le bas de sa robe; et, ayant pris René dans ses bras, elle se mit à chanter en dansant.

Jacques afferma sa cabane, son jardin et son champ; puis sa femme et lui suivirent les parents de l'enfant.




TABLE DES MATIÈRES.

L'Imprudence.

La Rougeole.

Le Bon Frère.

L'Obligeante Petite Fille.

La Mouche.

La Complaisance.

La Grand'Mère aveugle.

La Paresse.

Le Loup.

Contente de peu.

Le Conseil.

L'Obéissance.

Le Serin.

Le Feu.

La Prière.

La Petite Maman.

Le Secours mutuel.

Le Petit Malade.

Le Colin-Maillard.

La Liberté.

Le Petit Agneau.

Le Petit Taquin.

La Petite Gourmande.

Le Petit Glorieux.

Les Tartelettes.

La Petite Curieuse.

L'Enfant trouvé.

La Petite Louise.

Le Petit Berger.

La Petite Fanchette.

L'Enfant avisé.

La Tentation.

Le Bon Petit Garçon.

La Petite Ménagère.

Le Petit Colporteur.

La Bonne Petite Fille.

Les Petits Imprudents.

La Bonne Petite Soeur.

Le Ramoneur.

La Désobéissance.

L'Ange gardien.

La Boudeuse.

La Petit Voleur.

La Petite Paresseuse.

L'Enfant gâté.

L'Enfant perdu.

FIN DE LA TABLE DES MATIÈRES.




OUVRAGES DE Mme CARRAUD
PUBLIÉS PAR LA MÊME LIBRAIRIE.

Maurice ou le travail, livre de lecture courante à l'usage des écoles primaires. 1 vol. in-12, avec 8 gravures dans le texte, cart. 1 fr. 10 c.

Lettres de famille ou modèles de style épistolaire pour les circonstances ordinaires de la vie. 1 vol. in-12, cart. 1 fr. 10 c.

Les veillées de maître Patrigeon, entretiens familiers sur le travail, la propriété, la richesse, l'agriculture, la famille, etc. 1 vol. in-12, broché. 1 fr. 25 c.

Ouvrage couronné par l'Académie française.

Une servante d'autrefois. 1 volume in-12, broché. 1 fr. 25 c.

Le livre des jeunes filles, simple correspondance. 1 vol. in-12, broché. 3 fr. 50 c.

Petite Jeanne (la) ou le Devoir. Livre de lecture courante à l'usage des écoles primaires des filles, 1 vol. in-12, cartonné, contenant 8 vignettes. 1 fr. 10 c.

Le même ouvrage, illustré de 20 vignettes. 1 vol. in-12, broché. 2 fr. 25 c.

Historiettes véritables pour les enfants de 4 à 8 ans. 1 vol. in-12, illustré de 94 vignettes, broché. 2 fr. 25 c.

Les métamorphoses d'une goutte d'eau, etc. 1 vol. in-12, illustré de 50 vignettes, broché. 2 fr. 25 c.

Les goûters de la grand'mère. 1 vol. in-12, illustré de vignettes, broché. 2 fr. 25 c.

La reliure de ces trois derniers volumes en percaline rouge se paye en sus: tranches jaspées, 1 fr.; tranches dorées, 1 fr. 25 c.

PARIS—IMPRIMERIE DE E. MARTINET, RUE MIGNON, 2




OUVRAGES DU MÊME AUTEUR
PUBLIÉS PAR LA MÊME LIBRAIRIE

Maurice, ou LE TRAVAIL. 1 vol. in-12, cartonné. 1 fr. 10

Lettres de famille, ou MODÈLES DE STYLE ÉPISTOLAIRE, pour les circonstances ordinaires de la vie. 1 vol. in-12, cartonné. 1 fr. 10

La Petite Jeanne, ou LE DEVOIR, livre de lecture courante à l'usage des écoles primaires de filles. 1 vol. in-12, cartonné. 1 fr. 10

Le même ouvrage, illustré de 20 vignettes, broché. 2 fr. 25

Les Métamorphoses d'une goutte d'eau, suivies des AVENTURES D'UNE FOURMI, des GUÊPES, de LA GOUTTE DE ROSÉE, etc. 1 vol. in-12, illustré de vignettes, broché. 2 fr. 25

Historiettes véritables pour les enfants de quatre à huit ans. 1 vol. in-12, illustré de 94 vignettes, broché. 2 fr. 25

Les Goûters de la grand'mère. 1 vol. in-12, illustré de vignettes, broché. 2 fr. 25

Ces quatre derniers volumes font partie de la Bibliothèque rose illustrée. La reliure en percaline, tranches jaspées, se paie en plus 75 c.; en percaline, tranches dorées, 1 fr.

Une servante d'autrefois. 1 vol. in-12, broché. 1 fr. 25

Les Veillées de maître Patrigeon, entretiens familiers sur le travail, la propriété, la richesse, l'agriculture, la famille, etc. 1 vol. in-12, broché. 1 fr. 25

Ouvrage couronné par l'Académie française.

Ces deux derniers volumes font partie de la Bibliothèque de Littérature populaire. Le cartonnage en papier se paie en plus 20 c., et en percaline gaufrée, 50 c.

Le Livre des jeunes filles, simple correspondance. 1 vol. in-12, broché. 3 fr. 50

BOURLOTON.—Imprimeries réunies, A. rue Mignon, 2, Paris.—10453




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