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Éloge du pet

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Notre archevêque Mitra,
Prélat de bonne figure,
Fit l'autre jour un gala,
Où l'on ne but point d'eau pure.
Un chanoine gros et gras,
Et d'une épaisse encolure,
Fit le plaisir du repas;
J'en vais conter l'aventure.
Assis sur son perroquet,
Siège étroit pour sa quarrure,
Il tomba sur le parquet,
Sans se faire une blessure.
Etendu comme un crapaud,
Tout prêt à crever d'enflure,
Il nous lâcha bien et beau
Un vent de mauvaise augure.
Au bruit de cet accident,
Chacun rit outre mesure,
Monseigneur dit gravement:
Buvons tous, je vous conjure.

Dans le siècle dernier, une vieille femme, sourde comme un pot, faisait ses prières dans l'église de Bonne-Nouvelle, à Paris. Profondément baissée devant l'image de Marie, elle lâchait à plusieurs reprises des pets assez intelligibles. «Bonne femme, lui dit charitablement quelqu'un qui, placé derrière elle, les recevait de la première main, bonne femme, vous pétez... Ah! monsieur, répliqua-t-elle, je vous demande bien pardon; j'ai le malheur d'être sourde, et je croyais que c'était seulement des vesses». Il arriva la même chose à Œthon, qui n'était pas sourd, au rapport de Martial, livre 12. épigr. 78., qui finit ainsi:

»Sed quamvis sibi caverit precando,
»Compressis natibus Jovem et salutet,
»Turbatus tamen, usque et usque pedit,
»Mox Œthon, deciesque, viciesque.

Mes lecteurs me sauront gré de leur offrir l'énigme suivante:

»Ante domum quidam, seclam coeco parat antro,
«Proripere incautus, nil metuensque mali,
»Nam se exissetratus, quidam arcte comprimit, ipsis
»In foribus; clamor surgat ut inde gravis.

Solutio.

»Absque sono flatus saepe affectatus acuto,
»Non affectatum ventris it in crepitum.

Henri Bebelle, dont les facéties composées en 1506 sont si rares, que M. de la Monnoye lui-même paraît n'en avoir eu aucune connaissance, puisqu'il n'en dit rien, et que l'on ne trouve le titre de ce livre sur aucun catalogue, nous a conservé le trait suivant:

Un orateur lâcha un PET, en présence du grand Sigismond, duc d'Autriche, qu'il haranguait: «Si vous voulez parler, dit-il en se retournant vers son derrière, il faudra que je me taise». Puis, sans faire paraître le moindre embarras, il continua sa harangue. Sa présence d'esprit et son ton flegmatique, dans un moment si périlleux, plurent tant à ce Prince qui aimait la gaîté, qu'il eut depuis lors toutes sortes d'égards pour cet orateur facétieux. Voilà la fortune d'un littérateur due à un pet. Il y a tant d'ouvrages encore meilleurs que celui-ci, qui ont conduit l'auteur à l'hôpital!

En voici encore un tiré du même auteur:

Un prêtre baptisait un enfant. Lorsqu'il en fut à ces paroles de l'exorcisme: il fit de la boue avec son crachat, la sage-femme qui tenait l'enfant et qui se baissait pour ramasser de la poussière, lâcha un pet énorme. Le prêtre étonné quitte sa lecture. «Voyez, dit-il aux assistans, quelle est la force miraculeuse des paroles sacrées, j'ai commandé à Satan de sortir, il est sorti, en remplissant l'air de sa puanteur, comme vous devez le sentir». La femme déconcertée, et qui n'a pas entendu ce qu'a dit le prêtre, dit que c'est l'enfant qui a pété et non pas elle.—Que le mal Saint-Jean t'arde, répond l'autre irrité. Car si tu es aussi impoli en naissant, en présence d'un prêtre respectable et dans un lieu saint, que feras-tu donc, dans un âge avancé?»

Le père des Calembourgs, le fameux marquis de Bièvre, a dit plusieurs choses très-plaisantes sur le Pet. Comme j'écris de mémoire, et que cette partie de mon moral, jadis bien fournie, me manque souvent au besoin, je citerai seulement cette plaisanterie. Quelqu'un disait dans une société où il se trouvait, que la guerre était un terrible fléau, mais qu'heureusement il courait des bruits de paix (de pet.) oh! pour cela, dit le marquis, ce n'est pas sans fondement. L'orateur qui se disposait à faire de l'esprit sur son texte, fut arrêté tout court, au milieu de son vol, et tout le monde rit encore. (Le lecteur ne trouvera pas à présent le mot très-neuf).

Mais je m'aperçois avec chagrin que le nombre obligé des pages que doit avoir mon volume, me force de finir, je remets donc à une autre édition tout ce qui me reste à dire sur le Pet, ou aux deux ouvrages indiqués dans ma préface, si toutefois vous pouvez les trouver; et avant de fermer le volume, je veux vous donner un conseil dont vous sentirez toute l'importance.

Si vous êtes dans un cercle nombreux, où un ignorant incroyable trouve le secret d'ennuyer, s'il vous assomme depuis une heure par mille impertinences débitées en arrangeant sa cravatte, relevant ses bottes, montrant ses dents, étalant ses grâces, soyez sûr que cet impitoyable ennemi de la société ne pourra résister à l'attaque d'un Pet, qui l'arrêtera tout court, au milieu de l'éructation de ses sottises, tirera tous les esprits de la captivité, en faisant diversion au babil assassin de leur ennemi commun.

S'il arrive qu'une assemblée brillante garde depuis deux heures un silence plus morne que celui des anciens chartreux; si, les uns par ignorance, les autres par timidité, enfin par cérémonie, on est près de se séparer sans avoir prononcé un seul mot, soyez sûr que le Pet va ranimer tout le monde, épanouir les figures, dilater les cœurs, et prodiguer tous les charmes d'une conversation enjouée, saupoudrée de critique et de plaisanterie. D'où je conclus que le Pet est le père de la joie, de la santé, de l'esprit, et de la liberté. J'ai fini. Adieu.

Claudite jam rivos pueri, sat prata biberunt.

P. S. Il a paru, il y a longtemps, un Art de péter, parodié sur l'art poëtique de Boileau, et une pièce intitulée: Généalogie de Milord Pet; mais il m'a été impossible de me procurer ces ouvrages. Il vient de paroître une pièce intitulée Caquire, par M. de Vessaire, parodiée de Zaïre, 1 vol. in-8o. qui se trouve chez les mêmes libraires.


RÉGLEMENT PROVISOIRE
DE LA SOCIÉTÉ
des Francs-Péteurs.

Tout récipiendaire doit avoir un état au moins honnête, de l'aisance et une sorte de crédit dans le monde.

Il ne sera admis qu'aux deux tiers des suffrages.

L'épreuve sera d'un an entier.

On ne prendra point d'argent pour la réception d'un Franc-péteur. On devrait payer au contraire les hommes assez courageux pour oser devenir libres et procurer la liberté aux autres.

Il faudra, pour être reçu, n'avoir pas moins de 24 ans, et pas plus de 60.

On exige du récipiendaire une disposition marquée pour l'éloquence, et sur-tout la connaissance de sa langue.

Les Francs-péteurs n'auront au-dehors aucunes marques distinctives. Dans leurs assemblées seulement, ils porteront au cou un ruban blanc, au bout duquel pendra la figure en or de Zéphire, couronné de toutes sortes de fleurs, avec cette devise: A la liberté.

Le lieu des séances se nomme Case.

La formule du serment pour être reçu, est conçue en ces termes: «Tenant à grand honneur d'entrer dans la société des Francs-péteurs, je promets une constante soumission à son directeur et une tendre amitié à tous les frères. Ennemi déclaré du préjugé, je le combattrai en tous lieux, en pétant librement, souvent et méthodiquement».

Cette formule prononcée à haute voix sera suivie d'une canonnade ou salve de pets, en signe d'allégresse.

Les repas se font dans la salle du Zéphire ou de la Liberté.

Les discours d'éloquence ne seront prononcés que dans la Case, ainsi que les bons poëmes et odes, à l'honneur du Pet.

Les petits madrigaux, quatrains, épitres, stances et couplets ne seront reçus qu'à table.

Les Francs-péteurs ne feront des vers que dans l'intention de faire ensuite de meilleure prose.

Les applaudissemens ne se manifesteront que par le bruit des pets. L'improbation, par le silence.

Le recueil sera publié tous les ans, et marchera de pair avec celui des mille et une autres sociétés en vogue.

Tous les deux mois, on tiendra la Case ordinaire.

Le conseil tiendra tous les huit jours.

Chaque année, le premier ventôse, époque où les vents impétueux sont censés faire le plus de fracas, sera l'assemblée générale, où les officiers de chaque case feront l'extrait des délibérations du conseil; les trésoriers y rendront leurs comptes. Les réflexions et observations seront proposées par écrit et signées de leur auteur.

Chaque case est composée d'un directeur, d'un vice-gérent ou directeur en second, d'un orateur, d'un foudroyant, d'un introducteur et d'un trésorier.

Tous les officiers composeront le conseil, et y appelleront les cinq derniers officiers sortans de charge, avec les plus anciens frères; de sorte qu'ils seront toujours au nombre de douze.

Il n'y aura point de chef, ni de secrétaire-général, ou perpétuel, car leur autorité balancerait d'abord et neutraliserait ensuite le pouvoir de l'universalité.

Il ne pourra y avoir absolument qu'une Case d'établie dans chaque ville, excepté à Paris, où il y en aura trois, l'une au centre et les deux autres répondantes à l'orient et à l'occident.

Chaque Case ne pourra être composée que de trente sujets exclusivement. Ils suffisent pour ramener à la liberté des concitoyens de bonne foi.

La société aura des correspondans dans toutes les communes de la République; et dans les pays étrangers, un chef de correspondance, auquel tous les autres associés rendront compte de leurs opérations.

On s'assemblera tous les deux mois, à 8 heures du matin, en été, et à dix en hiver. On fera un dîner honnête, mais frugal.

Il n'y aura point de frères du second ordre.

Nota. Si la société a lieu, on donnera plus d'étendue à ce réglement, mais le nom de la société ne changera pas.

FIN.


NOTE BIBLIOGRAPHIQUE.

Les littérateurs qui, comme moi, voudroient se délasser de travaux plus sérieux, par la traduction des autres éloges comiques, seront bien aise sans doute de connaître l'ouvrage suivant, dans lequel ils trouveront une vaste carrière.

Il est intitulé: Amphitheatrum Sapientiæ Socraticæ Joco-seriæ, hoc est, Encomia et commentaria auctorum quà veterum, quà recentiorum propè omnium; quibus res, aut pro vilibus vulgò aut damnosis habitæ, styli patrocinio vindicantur, exornantur: opus ad mysteria naturæ discenda, ad omnem amœnitatem, sapientiam, virtutem, publicè privatèquè utilissimum, in 2 tom. partim ex libris editis, partim manuscriptis congestum tributumque, à Gaspare Dornavio philosopho et medico. Hanoviæ, typis Vechelianis, 1619, in-folio.

C'est dans ce recueil précieux que j'ai puisé une partie de mon éloge du Pet.

Voy. pag. 349, Rodolphi Goclenii problemata de crepitu ventris; et pag. 355, De peditu ejusque speciebus, crepitu et visio, discursus methodicus in theses digestus, autore Buldriano Sclopetario, Blesense. Clareforti, apud Stancarum Cepollam, sub signo divi Blasii, 1596.

Parmi les éloges que contient ce recueil, et que nous n'avons pas cités dans la préface de cet ouvrage, pour ne pas la rendre trop longue, voici ceux qui nous paraissent les plus dignes de trouver des traducteurs:

De la Fourmi, par Erasme Ebner, page 80.

De l'Araignée. Ant. Thylesius. 112.

De la Puce de Cath. Desroches. Barn. Brisson. 27.

Du Moucheron. Virgile et Jean Ja comot. 113.

Du Ver luisant. Mich. Gehlerus. 173.

Des Vers. Ulysse Aldrovandus. 171.

De la Paille. Fred. Widebramus. 232.

De la Colombe. Ulyss. Aldrovand. 374.

De la Boue. Joan. Majoragius. 173.

Du Chêne. Gasp. Dornavius. 201.

De la Barbe. Ant. Hotomanni. 318.

Du Cygne. Jean Passerat. 373.

Du Scarabée. Gasp. Dornavius. 126.

Du Cheval. Juste Lipse. 489.

Du Chien. Philippe Camerarius. 517.

Du Lièvre. Titus Strozza. 602.

De la Porte. Jean Campanus. 657.

Des Huîtres. Michael Mayer. 613.

Du Singe. Daniel Heinsius. 539.

De la Petitesse. Ericius Puteanus. 772.

Du Rire. Par le même. 777.

Du Mercure. Mich. Mayer. 604.

Du Fer. Nicolas Monard. 614.

De l'Eléphant. Juste Lipse. 480.

De l'Alouette. Ulys. Aldrovand. 466.

Du Plongeon. Jacq. Eyndius. 468.

De l'Hirondelle. Par le même. 457.

De la Pie. Par le même. 465.

De la Grue. 470.

Du Geai. Par le même. 455.

Du Corbeau. Jov. Pontanus. 454.

De la Chouette. Euricius Cordus. 455.

Du Veau. Mich. Mayer. 505.

Du Mouton. Par le même. 504.

Nota. Je me propose de publier ceux des Poux, de la paille, de la boue, de la cigogne et de l'œuf, si celui-ci a le succès que j'en espère.


NOTES OMISES.

A la page 79. Pet de Nonne.

Les nones ont donné le nom de Pet à une de leurs pâtisseries les plus exquises. Tout le monde connaît les pets de nonne, dont les directeurs, les abbés, les pater et les prélats, étaient si friands et toujours si bien approvisionnés. Ce Pet est une espèce de croquignolle, un beignet de forme globulaire, appelé en latin: monialis crepitus.

A la page 106.

Un homme se trouvant dans un cercle nombreux après le dîner, se tenoit debout, appuyé sur la cheminée, et tournant le dos au feu, comme cela se pratique assez ordinairement. La trop vive chaleur du feu, qui l'incommodoit beaucoup, provoqua chez lui un vent des mieux conditionnés. Il s'en excusa en homme d'esprit et sans se déconcerter: «Je vous demande mille pardons, dit-il, mais je suis de la nature du bois verd, quand je brûle, je pète».


POESIES
FUGITIVES.

LA PUCE,
Traduite du latin d'Ovide,

Insecte imperceptible et pourtant redoutable,
Dont le dard importun plonge avec volupté
Sur la peau de satin qui couvre un sexe aimable,
Quels termes employer contre ta cruauté?
De son sang le plus pur je te vois altérée,
Nuancer de son corps les roses et les lys,
D'un ébène inégal, d'une tache pourprée
Qui déparent l'éclat de ses membres polis.
Lorsque d'une beauté qui doucement sommeille,
Tu ne respectes point les plus parfaits contours,
Je la vois tressaillir; elle bondit, s'éveille,
Et perd un songe heureux qu'inspiraient les amours.
Errant impunément sur deux sphères de neige,
Tu parcours en tyran les états de Cypris,
Rien n'est inaccessible à ton cours sacrilège,
Par-tout tu fais du mal et te crois tout permis.
Je souffre, j'en conviens, des mortelles blessures
Dont tu couvres les flancs de la beauté qui dort;
Sur ses appas secrets tes nombreuses morsures
Outragent un réduit fait pour un plus beau sort.
Ah! pour te pardonner, il faut être toi-même,
Déjà ton ennemi, que ne suis-je le mien!
Que je meure, jaloux de ton pouvoir suprême,
Si bientôt je n'acquiers un sort égal au tien.
Signalant sa bonté par un charmant prodige,
Si la nature en toi voulait me transformer!
Et puis me rendre moi: quels plaisirs! mais que dis-je?
Puce, je jouirais: mais, qu'est-ce sans aimer?
N'importe, il faut calmer le feu qui me dévore,
Ne pourrai-je devoir à quelqu'enchantement,
Aux talens précieux du serpent d'Epidaure
L'ivresse que promet un si doux changement?
Des philtres de Circé, des charmes de Médée
Le pouvoir est connu dans le vaste univers,
Je devrais à leur gloire, alors bien décidée,
Changeant d'être à mon gré, mes plaisirs les plus chers.
Oh! comme profitant de la métamorphose,
Et sous son dernier voile adroitement caché,
Je serais à Cloé, quand sa paupière est close,
Sans lui faire de mal, fortement attaché!
Ensuite, parcourant un plus sombre parage,
Je glisserais sans bruit vers le temple sacré,
Où nul autre avant moi n'a porté son hommage,
Où le trait de l'amour n'a jamais pénétré.
Jusqu'à l'aube du jour poursuivant ma victoire,
Je redeviendrais homme, afin de mieux sentir;
J'appaiserais ma belle, en me couvrant de gloire,
En la persuadant de tout mon repentir.
Mais, si de ce miracle effrayée et surprise,
Mon amante à mes feux opposant son courroux,
Appellait ses valets: alors, sans lâcher prise,
Je redeviendrais puce et les braverais tous.
Ensuite avec Cloé, libre par leur absence,
De ma première forme empruntant le moyen,
Je prendrais à témoins les dieux, de ma constance,
Je saurais la réduire à ne refuser rien.
Moitié gré, moitié force, enfin Cloé vaincue,
De ses trésors secrets me faisant l'abandon,
Dirait, en soupirant, languissante, abattue,
Ah! ne me quitte plus, et reçois ton pardon.

LA PUCE,
Traduite du latin de Nicolas Mercier de Poissy[14].

Ah! te voilà donc enfin prise!
Maudite puce, je te tiens,
Pour te perdre dans ma chemise
Tu prends d'inutiles moyens.
De mon repos vile adversaire,
Depuis assez longtemps ton dard,
Sur ma peau se donnant carrière,
Rend vains ma recherche et mon art.
O bonheur! viens donc, scélérate,
Il faut, puisque je suis vainqueur,
Que ma juste vengeance éclate
Et punisse enfin ta noirceur.
Oh! comme elle fait l'hypocrite!
Lorsque sur elle l'ongle pend,
Voyez comme, sans mouvement,
Du châtiment qu'elle mérite
Elle espère éloigner l'instant,
Me tromper et prendre la fuite.
Ton espoir est vain, tu mourras,
Perfide! rien de ma colère
Ne peut suspendre les éclats.
Mais avant tout, il faut me faire
L'aveu de tous tes attentats.
Dis, combien de fois tes morsures,
Le jour, la nuit, à tout propos,
Ont troublé par mille blessures,
Mes études et mon repos.
Tu ne dis rien, mais le silence
Me prouve encore ton offense.
Monstre! allons, donnez-moi de l'eau,
Du fer, du feu; que son supplice,
Sous cent formes toujours nouveau,
Bien lentement l'anéantisse.
Ces pattes, il faut les trancher;
Bon! noyons maintenant la tête,
Et livrons son corps au bûcher
Que j'ai construit d'une allumette.
Ensuite, oubliant le délit,
D'un grain de millet je vais faire
La petite urne funéraire,
Dont le socle est le pied du lit.
Par cette succinte épitaphe,
Dans le style élégiographe,
Avertissons toutes ses sœurs
De mettre un terme à leurs noirceurs.
Je veux que leur troupe éperdue,
Tremble enfin et fuie à la vue
De ces épouvantables mots:
»Ci-gît, après de longs supplices,
»Une puce auteur de mes maux;
»Ainsi périront ses complices,
»Qui pourraient troubler mes travaux».

ÉPITRE AU PLAISIR.

O toi, dont la sublime essence,
Les attraits, la douce influence
Nous annoncent de ton auteur
La sagesse et la bienfaisance,
Ame de la nature immense!
Salut! adorable enchanteur!
D'un ami des arts et des roses,
Qui cherche tes effets, tes causes,
Embellis les loisirs touchans,
De tes fleurs récemment écloses,
Des coloris dont tu disposes
Viens animer mes faibles chants.
Plus habile à sentir qu'à peindre,
Je ne te cherche pas, sans craindre,
Au milieu de nos passions:
Je veux te contempler, t'atteindre,
Te savoir, te fixer, sans feindre
Tes profondes impressions.
Je pourrai manquer ton image,
Sur l'aîle d'un léger nuage,
Tu peux échapper à mes yeux;
Mais si de mon stérile hommage
Un seul sentiment est l'ouvrage,
Si j'attendris, je suis heureux.
A des calculs métaphysiques,
A des discours scientifiques
D'Estaing[15] donnant un vaste essor,
Me laisse le cœur froid et vuide,
L'homme de t'embrasser avide,
En te voyant, te cherche encor.
Je veux à ses mains enfantines
Offrir des roses sans épines,
Et le sentier le plus riant;
D'ailleurs, de ta faveur suprême
Je ne jouirais plus moi-même,
On te perd en t'analysant.
Quand, pour s'aimer dans son ouvrage,
Dieu construisit à son image
Le type des êtres divers,
Toi seul, par ta chaleur féconde,
Animas et peuplas du monde
Les mornes et trop froids déserts.
Avec l'astre dont la lumière
Embrase la nature entière,
Dieu te fit jaillir de ses mains;
Docile à ta voix salutaire,
Par toi des femmes la première
Charma le premier des humains.
Alors, timide, alors sans aîles,
Riche des grâces naturelles,
Et pur, comme un rayon du jour,
Tu fus placé par la nature,
Sur une touffe de verdure,
Auprès de l'innocent amour;
Las des travaux de la campagne,
Auprès de sa chaste compagne
Abel te retrouvait le soir;
Des fruits offerts par la tendresse
De leurs feux tempéraient l'ivresse,
Lorsqu'entr'eux tu venais t'asseoir.
Dans ses désirs insatiable
Bientôt, à ton instinct aimable
L'homme ennuyé ferma son cœur;
Son art, en construisant des villes,
Outrage et détruit tes asyles,
Un luxe insolent est vainqueur.
Pensant que tu ne peux suffire
A son bonheur, à son délire,
L'homme invente la volupté.
L'intérêt devient son complice,
Mais bientôt pour notre supplice
Naît l'affreuse satiété.
Ah! tu n'es pas ce que nos vices,
Et nos erreurs, et nos caprices,
T'ont fait dans leur aveuglement;
Fils et charme de la nature,
Un comme elle et sans imposture,
Tu n'es que dans le sentiment.
Armé du flambeau des furies,
L'amour dans nos ames flétries
Distille un poison empesté;
Mais tu détestes ces contrées,
Ou le cynisme des Térées,
T'élève un trône ensanglanté.
Les alcôves mystérieuses
Où d'extases voluptueuses
Se bercent d'insensés mortels,
Ces bals où la magnificence
Prodigue l'or à l'indécence
Ne furent jamais tes autels;
Avec tes étreintes si douces
Je ne confonds pas les secousses
D'une ardente velléité;
L'incroyable parfumé d'ambre
Te voit mourir dans l'antichambre,
Au boudoir tu n'as pas été.
Quand, précédé par les haleines
Des zéphirs caressans nos plaines,
Mai riant vient tout rajeunir;
Avec lui tu viens dans nos âmes
Allumer de nouvelles flammes,
Et disposer tout à s'unir.
C'est toi seul dont la main brûlante
Fait germer, fait croître la plante,
Et la rend capable d'amour;
C'est toi qui, la rendant nubile,
Places sur sa tige fertile
L'époux qui la rend mère un jour.
Dans une douce promenade
Rêver au bruit d'une cascade,
A tous les heureux qu'on a faits,
A ceux que l'on peut faire encore;
A l'orphelin qui nous implore
Rendre l'allégresse et la paix;
Sur les nuages qu'elle dore
Voir lentement poindre l'aurore
Qui va ranimer les forêts;
S'environner de la nature,
Voilà l'ivresse la plus pure!
O plaisir! voilà tes bienfaits!

A l'Auteur de Gérard de Velsen.

Amsterdam, le 15 juin 1797.

Le Gérard de Velsen que j'ai publié n'est que ma propre traduction de votre original, entreprise dans les momens qui me restaient des affaires publiques, en 1793, période où votre Gérard me vint en mains. J'avais d'abord l'idée d'y ajouter quelques notes historiques,[16] mais crainte d'être regardé comme voulant allumer une chandelle au soleil, je m'en suis passé. D'ailleurs, la politique dans laquelle je me trouvais comme enseveli ne m'en laissa guère le loisir.

Agréez l'hommage que le devoir et le sentiment m'inspirent, et que je m'empresse aussi de rendre aux rares talens qui vous distinguent si glorieusement. Daignez m'accorder votre précieuse amitié, en me croyant très-respectueusement, etc.

Guillaume Holtrop.

A L'AUTEUR
Des Nuits d'Hiver et de la Conciergerie.

De Vezoul, le 25 Prairial, an 5.

Je lisais avant-hier vos Nuits de la Conciergerie,[17] mes sens étaient émus, mon imagination exaltée; je jetais? quelques idées sur le papier, j'y ajoutai des rimes, et c'est ce que j'ose vous offrir aujourd'hui. Pardonnez ce faible hommage: souriez à l'essai d'un jeune homme de seize ans qui demande et a besoin d'encouragement et d'exemple.

Quelle âme sensible et naïve
A tracé ces sombres tableaux?
Quelle voix touchante et plaintive
Gémit au fond de ces cachots?
Quel pinceau!... quelle touche mâle!
Qu'il sait bien choisir ses couleurs!
Silence! son chagrin s'exhale!
Qu'il peint bien ses justes douleurs!
O toi dont le tendre délire
Produit des accords si touchans;
Toi, dont l'harmonieuse lyre
Émeut, échauffe tous mes sens!
Et toi, sa compagne chérie,
Toi qui partageas ses malheurs,
Souffre que mon âme attendrie
Avec vous répande des pleurs.
Quand sur l'émail de la prairie
Un doux songe te fait errer,
Avec toi, dans ta rêverie,
Oh! qu'il m'est doux de m'égarer!
Quand un autre songe t'inspire,
Te change en guerrier courageux,
A tes côtés je vois, j'admire
Mon pays libre et vertueux.
Quand ta Joséphine inquiette
Vient te consoler en prison,
De mon cœur ma bouche interprète
Répète à chaque instant son nom.
Quand par un ordre sanguinaire,
Plongé vivant sous les tombeaux,
Tu nous retraces ta misère,
Je sens, je partage tes maux.
Que tu sais bien de la nature
Nous peindre les rians attraits!
Que d'une ame innocente et pure
Tu sais bien nous offrir les traits!
Que ton simple et touchant ouvrage
Remplit mes sens de volupté!
Pardonne à ce trop faible hommage,
C'est le cœur seul qui l'a dicté.

RÉPONSE.
A LA LETTRE PRÉCÉDENTE.

Quoique votre trop flatteuse lettre, citoyen, et vos jolis couplets ne soient signés que de la lettre initiale B....l, je crois avoir deviné juste, en vous en croyant le père, et j'aime mieux courir le risque d'une erreur, que d'une ingratitude. Recevez l'expression de toute ma sensibilité: si la vérité ne dicte pas vos éloges, c'est au moins l'amitié, et ce dernier sentiment m'est si cher, j'en ai tant besoin, pour supporter mon infortune, que je lui pardonne tout.

D'une captivité cruelle
Vous louez trop le triste fruit,
Mon cœur, au sot orgueil rebelle,
Par votre encens n'est pas séduit.
La complaisance maternelle
N'a jamais fasciné mes yeux.
Une éloquence naturelle
Est pour moi l'art le plus heureux.
Souffrant, prêt à cesser de vivre,
Ai-je pu croire qu'à ces Nuits
Le destin me ferait, survivre,
Et finirait mes longs ennuis?
Dans le sein d'une épouse chère
J'épanchais ma sombre terreur;
Je ne voulais qu'elle sur terre,
Pour confidente et pour lecteur.
Le neuf thermidor me rappelle
A ses baisers, à son amour;
Je ne renaissais que par elle,
Pour elle je chéris le jour.
De mes mains, la reconnaissance
Laisse échapper le manuscrit.
Un voile sert mon impuissance,
Mais l'amour encor me trahit.
C'est à vous de cueillir des palmes
Au Pinde, et la rose à Paphos,
Vous dont les jours sereins et calmes
S'écoulent dans un doux repos.
Seize ans, âme sensible, aisance,
Forces, talens, vous avez tout:
La carrière pour vous commence,
Moi, je suis las et suis au bout.

FIN.


NOTES:

[1] Les savans ne nous ont pas dit si l'Être suprême souffla dans la bouche d'Adam, pour l'animer, ou si ce fut dans, son antipode; cette question était, pourtant, aussi digne de leurs recherches, que tant d'autres inutiles.

[2] Voilà un homme bien aisé à nourrir!...

[3] La Polente est une bouillie faite avec de la farine d'orge brûlée. Elle est encore en usage dans plusieurs contrées d'Italie.

[4] Subtile et leve peditum Libonis. Catulle.

[5] Ce Métroclès qui rougit pour un pet, est bien différent de sa sœur, qui, éprise pour le dégoûtant Cratès, non-seulement pétait bien en compagnie, mais faisait en public, ce que n'osait faire au lit avec sa femme le pudibond Louis IX. Voyez l'édition que j'ai donnée des amours d'Hypparchie et Cratès. 1 vol. in-18.

[6] Voy. le Naudaeana, pag. 102 et 103; Paris, 1701, in-12. Fr. Roger au voyage de la Terre Sainte, pag. 230, et les Essais de Montaigne, liv. Ier. chap. 20, page 62 de l'édition in-8o.

[7] Elle se célébrait à Athènes au mois d'octobre.

[8] Frédérick Dedekind, allemand, publia dans le seizième siècle un ouvrage dans le goût de l'Éloge de la folie. C'est un éloge ironique de l'impolitesse et de la grossièreté, intitulé: Grobianus sivè de incultis moribus et inurbanis gestibus. Francfort, 1558, in-8o. L'auteur paraît avoir eu plus de finesse dans l'esprit que ses contemporains n'en avaient alors. Il est rare de trouver ce poëme avec le Grobiana qui en est la suite; aussi le dictionnaire historique ne parle-t-il pas de ce dernier poëme.

[9] Voyez Suétone, vie de Claude César, chap. 32, page 274, edit. Patini.

Les Juifs prétendent que quand ils pètent en faisant leurs prières, c'est un mauvais augure, et un bon, lorsqu'ils éternuent. Ils n'osent ni péter, ni allumer leur feu le jour du sabbat. Les Turcs sont de même.

[10] L'ancien saxon Purten ou Furten, le haut allemand Fartzen, et l'anglais Fart.

[11] L'Album était une table blanchie sur laquelle les souverains prêtres, à Rome, écrivaient les choses les plus remarquables qui se passaient chaque année. C'était aussi un tableau sur lequel on écrivait les noms des magistrats et des officiers.

[12] Un poëte latin moderne a traduit ce joli petit conte, avec tant d'élégance, que je ne puis résister au désir d'apprendre à ceux de mes lecteurs qui aiment encore la langue des Ovides, des Horaces, des Santeuil et des Sanadon, qu'ils le trouveront imprimé dans mes Matinées du printems (tome 1, page 121) qui se vendent chez le même libraire.

[13] Voyez les quarts-d'heures d'un joyeux solitaire, 1 vol. in-12.......

[14] Nicolas Mercier, de Poissy, professeur de troisième au collège de Navarre, à Paris, et sous-principal des grammairiens, mort en 1657. On a de lui 1o. un Manuel des Grammairiens; 2o. un poëme latin intitulé: De officiis Scolasticorum; 3o. une excellente édition d'Erasme; 4o. De Conscribendo epigrammate, opus curiosum. 2 part. Paris, 1653, in-8o. belle édition, ornée d'un frontispice et du portrait de l'auteur.

La république des lettres compte beaucoup d'écrivains qui ont porté le nom de Mercier: comme on confond tous les jours leurs ouvrages, je donnerai quelque jour leur biographie, avec une dissertation onomatique, sur l'origine de ce nom, dans la langue Celtique.

[15] Voyez le recueil, que j'ai publié, des poëmes sur le Plaisir et la Volupté; 2 vol. in-18, fig.

[16] Ces notes qui n'existaient pas dans la première édition de Gérard de Velsen, en 1793, se trouvent dans la seconde, qui est très-augmentée et beaucoup plus correcte.

[17] Cet ouvrage en 2 vol. in-18, se trouve chez les mêmes libraires.


TABLE DES MATIÈRES.

Notice des différens éloges. Voyez la Préface.
Antiquité du Pet. 5
Sa figure, sa taille, son langage, ses mœurs. 14
Musique et éloquence du Pet. 24 à 37
Arrêt de l'empereur Claude, qui donne pleine liberté de péter en public. 33
Les deux péteurs d'Anvers. 38
Le Pet fait fuir les sorcières. 40
Droits féodaux payés par un Pet. 42
Éloge de la Vesse, et mot de Pythagore. 47
Comparaison du Pet avec les rois. 49
Apothéose du Pet chez les Egyptiens. 50
Plantes et familles qui ont pris leur nom du Pet. 52
Du Rot, ou rapport espagnol, et anecdotes. 58
Procédés pour mesurer un Pet. 60
De la nature et des différentes sortes de Pets, au nombre de 26. 61 à 87
Portrait du Pet, par Boursault. 76
Les trois accidents. Conte. 78
Le soupir de St.-Evremont. 81
Éloge du Q. 82
Esprit de Pet pour les taches de rousseur. 84
Le Pet français et le Pet béni. 93 et 95
Le Pet et le Politique. 97
Le Pet rapporté par un valet. 98
Mot d'un prêtre de Louvain sur le Pet. 99
Le Pet de St.-Evremond. Stances. 101
Pets excusés par un bon mot. 102 à 103
Le Péteur puni, et autres. 105
Des signes et effets prochains du Pet. 108
Ruses pour couvrir un Pet. 109
Remèdes qui provoquent les Pets. 111
Système musical de Pets. 112 à 119
De la Vesse et des Pets involontaires. 119 à 122
Effets utiles des Pets et Vesses. 122 à 127
Requête en vers pour le Pet. 129
Opinion des stoïciens, de Cicéron, et autres philosophes en faveur du Pet. 123 à 132
Pet de chanoine bien dissimulé. Conte. 133
Le Pet d'une sourde pris peur une Vesse. 134
Facétie tirée de Henri Bebelle. 135
Le Pet de la sage-femme. 136
Mot du marq. de Bièvre sur des bruits de paix. 137
Conseils importuns contre l'ennui. 138
Règlement provisoire de la société des Francs-péteurs. 140
Note bibliographique des éloges comiques. 145
Poësies fugitives. La Puce, trad. d'Ovide. 150
La Puce, de Nic. Mercier 153
Epître au Plaisir. 156
A l'Auteur de Gérard de Velsen. 161
————des nuits d'hiver et de la Conciergerie. 162

Fin de la table.

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