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Félicité: Étude sur la poésie de Marceline Desbordes-Valmore

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LES YEUX ET LES PLEURS

J’ai vécu d’aimer, j’ai donc vécu de larmes!
On dirait que le jour est rentré dans ses yeux.[30]
Et qu’en chantant surtout on est près de pleurer.
Tes beaux yeux en s’ouvrant un jour à la lumière
Ont condamné les miens à te pleurer toujours.
Si tes yeux ont des pleurs, regarde-moi toujours.
.....................
Que j’aimais de tes yeux la brûlante douceur!
... Oh! l’ange qui pardonne
Doit regarder ainsi quand il ouvre les cieux.
Du charme de ses yeux il m’accablait encore.
....................
Que la vie est rapide et paresseuse ensemble
Dans ma main qui s’égare, et qui brûle et qui tremble
Que sa coupe est fragile et lente à se briser.
Ciel! Que j’y bois de pleurs avant de l’épuiser.
Oui, pour ne les plus voir j’abaisse ma paupière.
Je m’enfuis dans mon âme et j’ai revu ses yeux!
Quand ton sein se brisa dans une lutte affreuse
On ignorait encore qu’il était plein de pleurs.
Ainsi qui lit trop loin ne voit plus que des larmes.
Les pleurs silencieux attendent les plus doux
Ils souffrent sans le dire, ils meurent à genoux.[31]
avec Nature.
... Un charme est dans mes pleurs,
L’air est chargé d’espoir, il revient, je le jure.
Car ce qui nous aima nous le pleurons toujours.
Ce qui m’a fait pleurer jamais je ne l’oublie.
Cache-moi ton regard plein d’âme et de tristesse.
C’était ton regard pur qui répandait sa flamme
Sur notre plus beau jour réfléchi dans tes yeux.
Allez, Dieu comptera vos pleurs
Au fond d’une âme solitaire.
Que le pleur plein d’un triste charme
Dont tes chants ont mouillé mes yeux.
Ainsi pour m’acquitter de ton regard à toi,
Je voudrais être un monde et te dire: «Prends-moi.»
.....................
Ni ces heures sans nom dans le temps balancées
Dont les ailes pliaient d’un tel bonheur lassées
Alors que je laissais pour unique entretien
Mon regard ébloui s’abriter sous le tien.
...................
Et fondre dans mes yeux quelque doute rêveur.
Et mon cœur sait la place où je leur dois des pleurs
Qu’ils me font mal sur d’autres que les miens (les yeux).
Et Dieu vous bénira qui dans vos chastes yeux
Infiltra le symbole et la teinte des cieux.
Laissez tomber sans voix les larmes de mes yeux
Qui cherchent leur chemin pour arriver aux cieux.
Quand tout y devient froid, jusqu’aux pleurs de leurs yeux.
Mais des sanglots lointains dirigent nos adieux
....................
Et le deuil de la terre encense leur malheur.
Tout ce qui pleure est beau...
Bénis soient donc vos pleurs dont l’intérêt s’amasse
Lien de Les yeux
et les pleurs
avec
L’amour des fleurs.
Dieu vous garde à qui pleure, à qui va de vos charmes
Humecter sa prière, attendrir ses regrets!
Inclinez-vous, ce soir, sous les dernières larmes
Qui s’épanchent sur vous du fond de mes secrets.

[30] D’un mendiant aveugle—le même qui lui fait ajouter:

Et la voix que j’adore
Dans ce cœur consolé résonne-t-elle encore?

[31] Vivre dans le feu et les larmes, hélas! ce doit être une purification. Je vis ainsi. Ce mot est vrai d’une femme en parlant du ciel: «J’irai sur mes genoux.»

Fragment d’un brouillon inédit.

A rapprocher encore du vers de la couronne effeuillée.

J’y répandrai longtemps mon âme agenouillée.

dont une lettre que je possède varie et fait ainsi hésiter la sublime formule

Où toute âme répand sa vie agenouillée
.................
Mon âme y répandra sa vie agenouillée.

«Cette vie terrestre est vraiment un exil, cher frère...,
Pour moi, je t’avoue que j’en passe la moitié à genoux

Lettre citée par Sainte-Beuve.

Cet événement qui a rouvert toute ma vie et les scènes lugubres qui l’ont suivie m’ont jetée dans un si morne abattement que j’en suis restée comme à genoux.

Lettre inédite.

LA VOIX[32]

... j’ai peur de ma mémoire,
Elle a gardé ta voix qui m’appelle souvent.

[32] Lire toute la pièce La Voix d’un ami, tome II page 281.

Pour retrouver ma voix qui manque à son oreille
Et moi, dans un accent qui trouble et qui captive
Naguère un charme triste est venu m’attendrir.
Mes lèvres loin de toi retenaient tes accents,
Et ta voix, dans ma voix, troublait encor mes sens.
Une nouvelle voix à son oreille est douce.
Une voix qui réponde aux secrets de sa voix.
Oh! que j’aimais mon nom dans ta voix argentine.
Rends-moi le son chéri de cette voix fidèle,
Dans mon nom qu’il dit tristement
S’arracher aux accents
Que l’on écoute absents.
Peut-être un jour sa voix tendre et voilée
M’appellera sous de jeunes cyprès.

TENDRESSE-TRISTESSE

Mais de nouveaux sentiers s’ouvrent à ma tristesse.
Quand les jours sont moins longs cessent-ils de courir?
.....................
Un cœur tendre s’y cache au jour qu’il semble craindre
A force de bonheur soyez encor plus belle.
Et qu’au réveil l’amour vous le dise à genoux.
Le cœur qui vous aima ne peut jamais changer.
Quand je vous y vois prendre en secret pour vous-même (au miroir)
Tout le plaisir que l’on goûte à vous voir.
Votre bonheur me tenait lieu du mien.
Pour beaucoup d’avenir j’ai trop peu de courage.
Je vais d’un jour encore essayer le fardeau.
Et pour d’autres que moi le printemps était beau.
Sa fuite entre nos bras n’avait plus de passage.
Il est doux en passant un moment sur la terre
D’effleurer les sentiers où le sage est venu;
D’entretenir tout bas son malheur solitaire
Des discours d’un ami qu’on pense avoir connu.
Chaque pleur de mes yeux me rappelle son nom.
.....................
Cette âme où ne tremblait ni repentir ni larme
Aimait! aimait! et puis, comme si quelque charme
Mis entre elle et le monde eut isolé ses pas,
Elle errait dans la foule, et ne s’y mêlait pas.
Mot sans faste, mot vrai, lien de l’âme à l’âme. (au revoir)
Pour aider tes chagrins, j’en ai fait mes douleurs,
Que vous soyez pour nous la charité qui pleure
Ou la muse qui chante afin d’arrêter l’heure
Ou la femme rêveuse au bord de son miroir
Vous êtes toujours vraie et toujours belle à voir.
L’âpre misère enfin, cette bise inflexible
Qui détruit lentement ce que Dieu fit sensible.
Enfant plein de musique et de mélancolie.[33]
.....................
Tout est dans ce beau livre écrit avec des flammes
Reliquaire d’amour qui fait rêver les femmes.
.....................
Non la vierge allaitante et ruminant le ciel
N’a pas souri plus vierge aux mains de Raphaël.
Léopardi, doux Christ oublié de son père,
Altéré de la mort sans le ciel qu’elle espère
.....................
Ne pas consoler l’ange attristé dans son cœur.
C’est beau la jeune fille
Qui laisse aller son cœur
Dans son regard qui brille
Et se lève au bonheur.
Oui la vie est malade avant que tu l’effleures.
Car on dirait que créés pour souffrir
Nous ne pouvons qu’à peine être heureux sans mourir.
La fange des ruisseaux qui consterne mes pas,
Et la foule déserte, où tu ne descends pas.

[33] Brizeux—avec cette transposition de son œuvre et de sa Marie.

PRISONS ET EXILS

L’anneau tombé gêne encore pour courir.
Fragment
C’est que l’exil est triste; il fait rêver l’enfance,
Le jeune voyageur n’a d’ami que le ciel;
Il erre sans asile, il pleure sans défense
Comme un oiseau perdu loin du nid paternel;
Son ramage se change en plaintes douloureuses;
Des oiseaux inconnus les cris le font frémir
Et même en retournant sur des routes heureuses,
S’il veut chanter, longtemps il semble encore gémir.
A ses regrets en vain la patrie est rendue
L’orage a dispersé la couvée éperdue,
Les frères sont partis; le nid vide est tombé;
En s’envolant, peut-être un d’eux a succombé;[34]
....................
Voilà sur son chapeau sa guirlande encor verte
....................
Que devient l’infortune à la fuite imprévue
D’un ami distrait ou honteux?
Qui n’a quelque pitié des brebis voyageuses
Laissant à quelque haie un peu de leur toison.
Oh! que de fils brisés dans ma trame affaiblie,
Que d’adieux recélés dans le fond de mon cœur!
Ainsi, mon Dieu, sur la route lointaine
Semez vos dons à mon cher voyageur!
Ne souffrez pas que quelque voix hautaine
Sur son front pur appelle la rougeur.
Que ma prière en tout lieu le devance!
Dieu! Que pas un ne le nomme étranger!
Aidez son cœur à porter notre absence
Et que parfois le temps lui soit léger!
Et le vieux prisonnier de la haute tourelle
Respire-t-il encore à travers les barreaux?
Partage-t-il toujours avec la tourterelle
Son pain qu’avaient déjà partagé ses bourreaux?
Fragment
Cette fille de l’air à la prison vouée
Dont l’aile palpitante appelait le captif,
Était-ce une âme aimante au malheur envoyée?
Était-ce une espérance au vol tendre et furtif?
Oui: si les vents du nord chassaient l’oiseau débile,
L’œil perçant du captif le cherchait jusqu’au soir;
De l’espace désert voyageur immobile
Il oubliait de vivre; il attendait l’espoir,
Car toujours, jusqu’au terme où nous devons atteindre
Jusqu’au jour qui n’a plus pour nous de lendemain,
Le flambeau de l’espoir vacille sans s’éteindre
Comme un rayon qui part d’une immortelle main.[35]
.....................
Doux crime d’un enfant, clémence aventureuse.
.....................
Fragment
La liberté, ma fille, est un ange qui vole.
Pour l’arrêter longtemps la terre est trop frivole.
Trop d’encens lui déplaît, trop de cris lui font peur;
Elle étouffe en un temple, et sa puissante haleine
Qui cherche les parfums et l’air pur de la plaine
Rafraîchit en passant le front du laboureur.
On dit qu’elle descend rapide, inattendue;
Que son aile sur nous repose détendue...
Hélas! où donc est-elle? En vain j’ouvre les yeux;
Loin, bien loin des palais, au toit du pauvre même
Où l’on travaille en paix, où l’on prie, où l’on aime
Où l’indigence obtient une obole et des pleurs,
La déesse en silence aime à jeter ses fleurs.
Les fleurs tombent sans bruit, et, de peur de l’envie,
On les effeuille à Dieu qui dit: «Cache la vie».[36]
Ainsi priez, ma fille, et marchez près de moi.
Un jour tout sera libre, et Dieu seul sera roi.
Dieu laissez-moi goûter la halte commencée;
Dieu laissez-moi m’asseoir à l’ombre du chemin
Mes enfants à mes pieds, et mon front dans ma main.
Défendez aux chemins de m’emmener encore
Un ami me parlait et me regardait vivre!
Alors c’était mourir... Ma jeune âme était ivre
De l’orage enfermé dont la foudre est au cœur.
Il eut mit tout un jour à comprendre une larme
De nos printemps égaux lui seul portait les fleurs.

[34] A rapprocher des vers de la pièce A mes enfants, page 135.

Quand j’emportai vos jours vers un ciel sans chaleur.

[35] Ailleurs.

Et que l’espoir filtre toujours au fond de la joie écoulée.

[36] Ami cache ta vie et répands ton esprit
V. H.

IPSA

D’avance je traînais les maux qui m’attendaient.
Qui ne veut rien du Temps, mais qui craint sa vitesse
.....................
Et je ne fus jamais à demi malheureuse.
.....................
Qu’il est beau, le miroir qui double ce qu’on aime,
Ce portrait qui se meut...
Toi que dans le fond des chaumières
On appelle avant de mourir,
Pour aider une âme à souffrir
Par ton exemple et tes prières
.............
Oh! donne-moi tes cheveux blancs,
Ta marche pesante et courbée
Ta mémoire enfin absorbée
Vois-tu d’un cœur de femme il faut avoir pitié,
Quelque chose d’enfant s’y mêle à tous les âges.
C’est qu’ils parlaient de toi, quand loin du cercle assise,
Mon livre trop pesant tomba sur mes genoux;
C’est qu’ils me regardaient quand mon âme indécise
Osa braver ton nom qui passait entre nous.
.....................
Quel effroi de ramper au fond de sa mémoire
D’ensanglanter son cœur aux dards qui l’ont blessé
De rapprendre un affront que l’on crut effacé
Que le temps... que le ciel a dit de ne plus croire
Et qui siffle aux lieux même où la flèche a passé!
Et j’ai hâte, et j’ai peur d’amasser les instants
....................
Tout ce que j’aime est frêle et meurt, et pour vous suivre,
Mes chers anneaux brisés, mon cœur se brisera.
Lien avec l’Amour du Silence.
J’ai soif d’un frais oubli, d’une voix qui pardonne,
D’amour, d’un long silence écoulé sans effroi
Et quand je vacillais, luciole éphémère.
S’en aller à travers des pleurs et des sourires
Achever par le monde un sort amer et pur,
User sa robe blanche, et, pour une d’azur,
En laisser les lambeaux aux ronces des martyres,
C’est ma vie. Un roseau semble plus fort que moi,
Je ne m’appuie à rien que je ne tombe à terre,
Et je chante pourtant l’ineffable mystère
Qui de mon cœur trahi fait un cœur plein de foi.
.....................
Ils ont soufflé loin d’eux mes mobiles revers.
.....................
Ville austère où j’appris à pleurer,
Où j’apportais un cœur si tendre à déchirer.
.....................
Au milieu de leurs jours inoffensive et frêle
Mort, oublieuse Mort, je passe sous votre aile
Et je n’alourdis pas mon vol de haine...
.....................
Fragment
Vraiment le pardon calme à défaut d’espérance
Il détend la colère; on pleure, on apprend Dieu,
Dieu triste, comme nous voyageur en ce lieu,
Et l’on courbe sa vie au pied de sa souffrance.
Ceux qui m’ont affligée en leurs dédains jaloux
Ceux qui m’ont fait descendre et marcher dans l’orage
Ceux qui m’ont pris ma part de soleil et d’ombrage
Ceux qui sous mes pieds nus m’ont jeté leurs cailloux,
N’ont-ils pas leurs ennuis, leurs jaloux, leurs alarmes,
Leurs pleurs, pour expier ce qu’ils m’ont fait de larmes?
Quoi donc! aux durs sentiers qu’on a tous à courir
Seigneur, ne faut-il pas mourir et voir mourir?
N’est-ce pas au tombeau que cheminent leurs peines,
Leurs enfants, leurs amours qui rachètent leurs haines?
Oh! qui peut se venger? oh! par notre abandon[37]
Seigneur, par votre croix dont j’ai suivi la trace,
Par ceux qui m’ont laissé la voix pour crier grâce,
Pardon pour eux! pour moi! pour tous! pardon! pardon!
Seigneur un cheveu de nous-même
Est si vivant à la douleur.
Vous surtout que je plains si vous n’êtes chéries
Vous surtout qui souffrez, je vous prends pour mes sœurs
C’est à vous qu’elles vont mes lentes rêveries,
Et de mes pleurs chantés les amères douceurs[38]
.....................
Tant que l’on peut donner on ne veut pas mourir.
Pour me plaindre ou m’aimer je ne cherche personne
.....................
Dans le fond de mon cœur je renferme mon sort
Tout le concert se tenait dans mon âme
.................
Le front vibrant d’étranges et doux sons
Toute ravie et jeune en solitude
.................
J’étais l’oiseau dans les branches caché,
S’émerveillant tout seul, sans qu’il se doute
Que le faneur fatigué qui l’écoute
Dont le sommeil à l’ombre est empêché
S’en va plus loin tout morose et fâché.
De vous dont l’esprit pur, dont la grâce rêveuse
Dont les regards charmants
Ont versé leurs rayons sur moi pâle couveuse
D’immobiles tourments
J’ai dit ce que jamais femme ne dit qu’à Dieu,
Facile à me créer des thèmes ravissants
J’ai chanté comme vrais bien des bonheurs absents
Le jour douteux et blanc dont la lune a touché
Tout ce ciel que je porte en moi-même caché.
Que mon nom ne soit rien qu’une ombre douce et vaine
Qu’il ne cause jamais ni l’effroi ni la peine
Qu’un indigent l’emporte après m’avoir parlé
Et le garde longtemps dans son cœur consolé.

[37] Ailleurs:

Jette donc loin tes colères
Contre d’innocents ingrats
Le flambeau dont tu t’éclaires
Te voit si tendre en mes bras.
Cesse d’essayer ta haine,
Faite pour la mépriser,
C’est perdre à river ta chaîne
La force de la briser.

[38] Plus bas:

Si vous n’avez le temps d’écrire aussi vos larmes.

MATERNITÉ
ET
ENFANCE

La mère, n’est-ce pas un long baiser de l’âme?
Un baiser qui jamais ne dit non, ni demain.
Confiants, vous dansez quand votre mère chante
Son baiser nous délasse et nous mène au sommeil.
Sans prévoir que souvent la voix qui nous enchante
Va prier dans les pleurs jusqu’à votre réveil.
.....................
Et je sentais naître ma fille
Dans mon sein tout blessé des flèches du malheur.
.....................
Lien avec
le Rythme.
Moi seule en vous berçant d’amour, de mélodie
Je vous inoculai ma douce maladie.
....................
Je vous aide à m’aimer autant que je vous aime.
.....................
Lien avec Prisons
et Exils
.
Un jour vous serez seuls par la sentence amère
Qui sépare de force entre eux les voyageurs.
Un bouquet de cerise, une pomme encore verte,
C’étaient là des festins savourés jusqu’au cœur.
Lien avec l’Amour de l’eau.
Fragment.
Entre les cailloux bleus que mouillent le grand puits.
De sa fraîcheur lointaine il lave encor mon âme
Du présent qui me brûle il étanche la flamme,
Ce puits large et dormeur au cristal enfermé
Où ma mère baignait son enfant bien-aimé.
Lorsqu’elle berçait l’air avec sa voix rêveuse
Qu’elle était calme et blanche, et paisible le soir
Désaltérant le pauvre assis, comme on croit voir
Aux ruisseaux de la bible une fraîche laveuse!
Elle avait des accents d’harmonieux amour
Que je buvais du cœur en jouant dans la cour.
Ciel! où prend donc sa voix une mère qui chante
Pour aider le sommeil à descendre au berceau?
Dieu mit-il plus de grâce au souffle d’un ruisseau?
Est-ce l’Eden rouvert à son hymne touchante,
Laissant sur l’oreiller de l’enfant qui s’endort
Poindre tous les soleils qui lui cachent la mort?
Et l’enfant assoupi sous cette âme voilée
Reconnaît-il les bruits d’une vie écoulée?
Est-ce un cantique appris à son départ du ciel
Où l’adieu d’un jeune ange épancha quelque miel?
Merci, mon Dieu. Merci de cette hymne profonde
Pleurante encore en moi dans les rires du monde
Alors que je m’assieds à quelque coin rêveur
Pour entendre ma mère en écoutant mon cœur:
Ce lointain au revoir de son âme à mon âme
Soutient en la grondant ma faiblesse de femme.
Comme au jonc qui se penche une brise en son cours
A dit: «Ne tombe pas. J’arrive à ton secours.»
Elle a fait mes genoux souples à la prière...
.....................
Triste de me quitter, cette mère charmante
Me léguant à regret la flamme qui tourmente
Jeune, à son jeune enfant tendit longtemps sa main,
Comme pour le sauver par le même chemin.
Et je restai longtemps, longtemps sans la comprendre,
Et longtemps à pleurer son secret sans l’apprendre,
A pleurer de sa mort le secret inconnu
Le portant tout scellé dans mon cœur ingénu
Ce cœur signé d’amour comme sa tendre proie,
Où pas un chant mortel n’éveillait une joie.
On eût dit à sentir ses frêles battements
Une montre cachée où s’arrêtait le temps.
On eût dit qu’à plaisir il se retînt de vivre.
Comme un enfant dormeur qui n’ouvre pas son livre
Je ne voulais rien lire à mon sort, j’attendais;
Et tous les jours levés sur moi, je les perdais.
Par ma ceinture noire à la terre arrêtée
Ma mère était partie et tout m’avait quittée,
Le monde était trop grand, trop défait trop désert
Une voix seule éteinte en changeait le concert
Je voulais me sauver de ces dures contraintes
J’avais peur de ses lois, de ses mots, de ses craintes
Et ne sachant où fuir ses échos durs et froids,
Je me prenais tout haut à chanter mes effrois.[39]
.....................
Oui l’enfance est poëte. Assise ou turbulente
Elle reconnaît tout empreint de plus haut lieu,
L’oiseau qui jette au loin sa musique volante
Lui chante une lettre de Dieu.
Ma sœur, ces jours d’été nous les courrions ensemble,
Je reprends sous leurs flots ta douce main qui tremble,
Je t’aime du bonheur que tu tenais de moi.
Et mes soleils d’alors se rallument sur toi.
.....................
Elle n’a plus d’enfant, sa tendresse est déserte!
Plus un rameau qui rit, plus une branche verte,
Plus rien. Les seules fleurs qui s’ouvrent sous ses pas
Croissent où les vivants ne les dérobent pas.
Fragment
Ces beaux enfants si fiers d’entrer dans nos orages,
Rêvant leurs horizons, leurs jardins, leurs ombrages,
Moi, quand je les vois rire à ce prisme trompeur
Je veux rire et je fonds en larmes dans mon cœur[40]
Et vous, n’avez-vous pas de ces pitiés profondes
Qui vous percent le sein comme feraient les ondes
En creusant goutte à goutte un caillou. Mille fois
J’ai voulu les instruire et j’ai gardé ma voix.
Que fait la chèvre errante au rocher suspendue
Qui rêve et se repent de sa route perdue?
Ose-t-elle effrayer, penchés sur le torrent,
Les chevreaux pris aux fleurs qu’emporte le courant?
Qu’irions-nous raconter à leur jeunes oreilles?
Que sert d’en soulever les couronnes vermeilles
Dont il plaît au printemps d’assourdir leur raison?
Ils ont le temps, pas vrai? Tout vient dans sa saison.
Oh! laissons-les aller sans gêner leur croissance.
Oh! dans leur vie à jour[41] n’ont-ils pas l’innocence
Au pied d’un nid charmant parle-t-on d’oiseleur?
Tournons-les au soleil et restons au malheur!
Lien avec Foi.[42]
Ou plutôt suivons-les: quelle que soit la route
Nous montons, j’en suis sûre, et jamais je ne doute;
J’épèle, comme vous avec humilité
Un mot qui contient tout, poëte: Éternité!
De chaque jour tombé mon épaule est légère,
L’aile pousse et me tourne à ma nouvelle sphère[43]
A tous les biens ravis qui me disent adieu
Je réponds doucement: «Va m’attendre chez Dieu!»
Qu’en ferais-je après tout de ces biens que j’adore
Rien que les adorer, rien que les perdre encore!
J’attends. Pour ces trésors donnés, repris si tôt.
Mon cœur n’est pas éteint: il est monté plus haut.
Écoliers de ce temps, troupe alerte et bruyante
Où sont-ils vos présents jetés à l’eau fuyante,
Le livre ouvert, parfois vos souliers pour vaisseaux
Et vos petits jardins de mousse et d’arbrisseaux?
Et leur timbre profond d’où sort l’entretien sûr. (les parents)
Beau jardin si rempli d’œillets et de lilas
Que de le regarder on n’était jamais las.
.....................
Pour atteindre un rameau de ces calmes séjours
Qui souple s’avançait et s’enfuyait toujours:
Que de fois suspendus aux frêles palissades
Nous avons savouré leurs molles embrassades.
.....................
Nous faisions les doux yeux aux roses embaumées
Qui nous le rendaient bien, contentes d’être aimées!
.....................
C’était la seule porte incessamment ouverte
Inondant le pavé d’ombre ou de clarté verte
Selon que du soleil les rayons ruisselants
Passaient ou s’arrêtaient aux feuillages tremblants.
.....................
Fragment
On ne saura jamais les milliers d’hirondelles
Revenant sous nos toits chercher à tire d’ailes
Les coins, les nids, les fleurs et le feu de l’été
Apportant en échange un goût de liberté.
.....................
C’était vous! D’aucuns nœuds vos mains n’étaient liées,
Vos petits pieds dormaient sur les branches pliées
Toute libre dans l’air où coulait le soleil
Un rameau sous le ciel berçait votre sommeil
Puis le soir on voyait d’une femme étoilée
L’abondante mamelle à vos lèvres collée.
Et partout se lisait dans ce tableau charmant
De vos jours couronnés le doux pressentiment.
De parfums, d’air sonore incessamment baisée
Comment n’auriez-vous pas été poétisée?
Que l’on s’étonne donc de votre amour des fleurs!
Vos moindres souvenirs nagent dans leurs couleurs
Vous en viviez, c’étaient vos rimes et vos proses
Nul enfant n’a jamais marché sur tant de roses!
Mon Dieu s’il n’en doit plus poindre au bord de mes jours
Que sur ma sœur de Flandre il en pleuve toujours.
Vois, si tu n’a pas vu, la plus petite fille
S’éprendre des soucis d’une jeune famille
Éclore à la douleur par le pressentiment
Pâlir pour sa poupée heurtée imprudemment
Prier Dieu, puis sourire en berçant son idole
Qu’elle croit endormie au son de sa parole:
Fière du vague instinct de sa fécondité
Elle couve une autre âme à l’immortalité.
Laisse-lui ses berceaux: ta raillerie amère
Éteindrait son enfant... Tu vois bien qu’elle est mère!
Je ne dis rien de toi, toi, la plus enfermée
Toi rentrée en mon sein[44]
Vos longs soleils, votre ombre, et vos vertes fraîcheurs.
Où les anges riaient dans nos vierges délires
Où nos fronts s’allumaient sous de chastes rougeurs.
.....................
O mes amours d’enfance, ô mes chastes amours!
.....................
O vous dont les miroirs se ressemblent toujours!
Qui, lorsque l’insomnie ouvrait mes yeux dans l’ombre
Me faisait des tableaux plus doux que le sommeil?
La réputation commence avec la vie.
.....................
Vieux, va t’asseoir paisible au banc du souvenir.
Mes jours purs sous tes traits repassent devant moi.
.....................
Mon cœur a fait le tien, il s’y renfermera
.....................
Que tes cheveux sont doux étends-les sur mes larmes
Comme un voile doré sur un noir souvenir!
.....................
Qu’un si petit visage enferme de portraits:
De tout ce que j’aimais tu m’offres quelques traits
Que d’anges envolés sans pouvoir les décrire
Dans ton sourire errant reviennent me sourire!
.....................
Quand on me leva seule et comme trop légère...
.....................
O femme aimez-vous par vos secrets de larmes,
Par vos devoirs sans bruit où s’effeuillent vos charmes;
Après vos jours d’encens dont j’ai bu la douceur
Quand vous aurez souffert appelez-moi: ma sœur!
Car au soleil couchant du fond de leurs familles
Glissaient au rendez-vous les plus petites filles
Pareilles aux ramiers que l’on se plaît à voir
S’abattre et s’étaler au bord de l’abreuvoir
Dans le gravier qui brille étaler leur plumage
Et roucouler entre eux leur bonheur sans nuage
.....................
Et quand vient me chercher le rêve aux longues ailes
Et je devins confuse en pesant mon devoir
.....................
Fragment
Nous qui portons les fruits sur la terre où nous sommes
Si fortes pour aimer, nous tendres sœurs des hommes
O mères, pourquoi donc les mettons-nous au jour,
Ces tendres fruits volés à notre ardent amour?
A peine ils sont à nous qu’on veut nous les reprendre
O mères, savez-vous ce qu’on va leur apprendre?
A trembler sous un maître, à n’oser, par devoir,
Qu’une fois tous les ans demander à nous voir,
A détourner de nous leurs mémoires légères.
Alors que sauront-ils? Les langues étrangères,
Les vains soulèvements des peuples malheureux,
Et les fléaux humains toujours armés contre eux.
C’est donc beau? Mais le temps saurait les en instruire,
Candeur de mon enfant on va bien vous détruire!
Dire qu’il faut ainsi se déchirer soi-même,
Leur porter son enfant, seule vie où l’on s’aime,
Seul miroir de ce temps où les yeux sont pleins d’or
.....................
Son enfant! ce portrait, cette âme, cette voix,
Qui passe devant nous comme on fût une fois
.....................
Ses longs cheveux cendrés que je baisais toujours[45]
Sans savoir que ce fût le livre de ces jours.
Tu baiseras les miens si l’amour me les donne,
Si tu sais où j’ai pris cette grave couronne.
Fragment
Vous du moins Vierge blanche immobile et soumise
Et seule au bord de l’eau pensivement assise,
Les mains sur votre cœur et vos yeux sur mes yeux,
Parlez-moi, Vierge mère, ô parlez-moi des cieux!
Parlez! vous qui voyez tout ce que j’ai dans l’âme.
Vous en avez pitié puisque vous êtes femme.
Cet amour des amours qui m’isole en ce lieu
Ce fut le vôtre; eh bien, parlez-en donc à Dieu!
Sans reproche, sans bruit, douce reine des mères,
Cachez dans vos pardons mes révoltes amères,
Couvrez-moi de silence, et relevez mon front
Baissé sous le chagrin comme sous un affront.
O champs paternels hérissés de charmilles
Où glissent le soir des flots de jeunes filles
Et si tendre et si mère! et si semblable à Dieu!

[39] A rapprocher comme vision terrestre de la dernière pièce des poésies posthumes.

[40] [42]Ailleurs.

Mystérieux sanglot dont les pleurs sont en nous.

[41] Ailleurs.

L’enfant dont le cœur est à jour.

[43] Les vers suivants qu’il eût fallu ranger sous ce chef ont été maintenus ici pour ne pas dénombrer ce sublime fragment.

[44] Inès—sa fille morte.

[45] Ailleurs

Vos lauriers m’alarmaient à l’ardeur des flambeaux
Ils cachaient vos cheveux que j’avais faits si beaux!

FOI

Mon Dieu, je n’ose plus aimer qu’à vos genoux.
La prière m’offrit sa douceur imprévue.
Et le pardon qui vint un jour de pénitence,
Dans un baiser de paix redorer l’existence.
Fragment
Et Dieu nous unira d’éternité. Prends garde!
Fais-moi belle de joie! et quand je te regarde,
Regarde-moi, jamais ne rencontre ma main
Sans la presser. Cruel! on peut mourir demain,
Songe donc! Crains surtout qu’en moi-même enfermée,
Ne me souvenant plus que je fus trop aimée
Je ne dise, pauvre âme oublieuse des cieux
Pleurant sous mes deux mains, et me cachant les yeux:
«Dans tous mes souvenirs je sens couler mes larmes;
Tout ce qui fit ma joie enfermait mes douleurs;
Mes jeunes amitiés sont empreintes des charmes
Et des parfums mourants qui survivent aux fleurs.»
Car j’ai là comme une prière
Qui pleure pour lui nuit et jour;
C’est la charité dans l’amour,
Ou c’est sa parole première.
Qu’elle enfermait d’âme et de foi.
Sa voix jeune et si tôt parjure.
J’en parle à Dieu sans son injure
Pour que Dieu l’aime autant que moi.
Puis entre Dieu qui juge et ma crainte éblouie
Il étendra sa main
Ce nœud tissu par nous dans un ardent mystère
Dont j’ai pris tout l’effroi,
Il dira que c’est lui, si la peur me fait taire;
Et s’il brûla son vol aux flammes de la terre,
Je dirai que c’est moi.
Non qu’en frappant sur moi l’éternité s’apaise
Partout quelque oiseau chante au fond de mon sommeil
Naguère quand leurs traits dans l’ombre m’ont touchée
Je m’en allai vers Dieu; j’y retourne aujourd’hui
Car sa main est pour tous, et je m’y sens cachée.
.....................
Et sous cette main qui délivre
J’entrerai comme tous aux cieux.
Là leur or ne pourra les suivre;
Moi je n’y porterai qu’un livre
Fermé maintenant à leurs yeux.
Ce livre, ce cœur plein d’orages
Plein d’abîmes et plein de pleurs
Déchiré dans toutes ses pages
Dieu, sauveur de tous les naufrages
Aura la clef de ses douleurs.
D’où vient, sinon d’en haut cette lumière étrange
Dans les moments profonds que nous ouvre le sort.
Sur la terre où rien n’est durable
Que d’espérer.
..............
Dites moi si dans votre monde
La mémoire est calme et profonde.
J’ai levé mes deux mains entre vous et ma crainte
.....................
Je fuyais. Mais, Seigneur! votre incessante flamme
Perçait de mes détours les fragiles remparts
Et dans mon cœur fermé rentrait de toutes parts.
Quand plus rien ne s’allume aux sombres horizons
Et que la lune marche à travers un long voile
O Vierge! ô ma lumière! en regardant les cieux
Mon cœur qui croit en vous voit rayonner vos yeux.
.....................
Et tous les passagers l’un à l’autre inconnus
Se regardent disant: «D’où sommes-nous venus?»
Ne me reviendras-tu que dans l’éternité?
La prière toujours allumant son sourire
Quand l’ange gardien passe et l’aide à la mieux dire.
Fais tant et si souvent l’aumône
Qu’à ce doux travail occupé
La mort te trouve et te moissonne
Comme un lys pour le ciel coupé[46]
Elle allait chantant d’une voix affaiblie
Mêlant la pensée au lin qu’elle allongeait
Courbée au travail comme un pommier qui plie
Oubliant son corps d’où l’âme se délie
....................
Ne passez jamais devant l’humble chapelle
Sans y rafraîchir les rayons de vos yeux
....................
Et c’est sans mourir une visite aux cieux.
....................
N’ouvrez pas votre aile aux gloires défendues,
De tous les lointains juge-t-on la couleur?
Les voix sans écho sont les mieux entendues,
Dieu tient dans ses mains les clefs qu’on croit perdues
De tous les secrets lui seul sait la valeur.
Je vais au désert plein d’eaux vives
Laver les ailes de mon cœur
Car je sais qu’il est d’autres rives
Pour ceux qui vous cherchent, Seigneur.
...............
Vous qui comptez les cris fervents
Lui dont les bras cloués ont brisé tant de fers[47]
Je vous obtiens déjà puisque je vous espère
Et que vous possédez tout ce que j’ai perdu.
Ne dis jamais: «Personne» où l’abandon te prend
Sous le toit d’aubépines
Qui lui sert de palais
L’oiseau chante matines
Dans l’arbre pur et frais.
Les enfants du village
Sont ses anges élus
Et les bruits du feuillage
Lui sonnent l’Angélus!
Doux Maître! nous venons sans passé, sans remords
Vous prier tendrement pour nos frères les morts.
Qu’ils sortent du tombeau comme nous de nos langes
Doux Père! accordez-leur encor des ailes d’anges.
Si pour les racheter nous n’avons pas de pleurs,
Dieu des petits enfants, prenez toutes nos fleurs.
En regardant couler nos flots
Penché sur ce monde qu’il aime
Jésus triste au fond de lui-même
Retrouve de divins sanglots.

[46] Ailleurs:

Enfin, faites tant et si souvent l’aumône,
Qu’à ce doux travail ardemment occupé
Quand vous vieillirez—tout vieillit, Dieu l’ordonne
Quelque ange en passant vous touche et vous moissonne
Comme un lys d’argent pour la Vierge coupé.
...................
Je l’embrasse de l’âme, et je le vois charmant
...................
Il est beau du malheur écrit sur sa figure
...................
Le jour où l’enfant le console
Par une colombe qui vole,
Dieu le sait vite, avant le soir
...................
Dieu voilé parle en lui. Souvent ses vieux lambeaux
M’ont paru lumineux comme si de flambeaux,
Comme si de rayons d’une auréole sainte
Sa tête blanchissante et paisible était ceinte.

[47] Ailleurs:

Je suis le grand souffle exhalé sur la croix
Où j’ai dit: Mon Père! on m’immole, et je crois.

NATURE

Charme des blés mouvants, fleurs des grandes prairies,
Tumulte harmonieux élevé des champs verts.
L’oiseau silencieux fatigué de bonheur,
Le chant vague et lointain du jeune moissonneur
Le printemps est si beau, sa chaleur embaumée
Descend au fond des cœurs réveillés et surpris
Une voix qui dormait, une ombre accoutumée
Redemande l’amour à nos sens attendris.
Car l’imprévoyante colombe
Qui librement passait dans l’air
Au trait parti comme l’éclair
Tressaille, tourne, expire et tombe,
Aux pieds du tranquille chasseur
Et nul ange ici-bas n’a vengé sa douceur!
Va. Tu n’as que le temps de deviner l’amour! (l’éphémère)
Né dans le feu, ton vol en cercles s’y déploie
Et sème des anneaux de lumière et de joie.
.....................
Nul adieu ne viendra gémir dans l’harmonie
De ton jour de musique et d’ivresse infinie.
.....................
Les feuillets de ton sort sont des feuilles de rose.
.....................
Tu n’as point à traîner ton cœur lourd comme un livre
La nuit se sillonnait de songes transparents.
Ils ne se faisaient qu’un pour être à deux toujours!
.....................
On eut dit qu’ils s’aimaient jusqu’à manquer d’haleine.
Je ne les plaignais pas d’être roseaux, j’aimais.
Et de ce frais hymen montait une harmonie
Qui parlait! qui chantait! Triste, intime, infinie
.....................
Souvent d’un rossignol la nocturne prière
Descendait se mouiller dans leurs frissons charmants
Viens, on dirait la nuit au fonds des bois couchée,
Pas une aile d’oiseau n’éveille l’air encor.
Le rossignol se tait quand la lune est cachée
Hors toi, sous tes parfums, fleur brûlante et penchée
La nuit enchaîne tout dans son muet accord.
Viens, les premiers lilas sous l’ombre et la verdure
Soufflent au loin leur nom, leur forme, leurs couleurs
La terre ne dort pas, elle ouvre sa ceinture,
Son sourire invisible encense la nature
Et son hymne au soleil va s’élancer des fleurs.
Les pigeons sans lien sous leur robe de soie
Mollement envolés de maison en maison,
Dont le fluide essor entraînait ma raison;
Les arbres, hors des murs penchant leurs têtes vertes;
Jusqu’au fond des jardins les demeures ouvertes,
Le rire de l’été sonnant de toutes parts...
La lune large avant la nuit levée
Comme une lampe avant l’heure éprouvée
Les rumeurs du jardin disent qu’il va pleuvoir.
Tout tressaille averti de la prochaine ondée
....................
Laissez pleuvoir, ô cœurs solitaires et doux.
Là-bas les ramiers blancs flottaient à longues voiles
Et semblaient en plein jour de filantes étoiles
Jeune on a tant aimé ces parcelles de feu.[48] (abeilles)
Ces gouttes de soleil dans notre azur qui brille
Dansant sur le tableau lointain de la famille
Visiteuses des bleds où logent tant de fleurs,
Miel qui vole émané des célestes chaleurs
J’en ai tant vu passer dans l’enclos de mon père
Qu’il en fourmille au fond de tout ce que j’espère...
Pas une aile à l’azur ne demande à s’étendre
Pas un enfant ne rôde aux vergers obscurcis.
Oui la nuit à jamais, promets-la moi, je l’aime
Avec ses astres blancs, ses flambeaux, ses sommeils
Allez la mer! Allez, navire enflé de voiles
La danse vous salue au fonds de vos couleurs.
Ma mère, entendez-vous quand la lune est levée
L’oiseau qui la salue au fond de sa couvée?
Ne fait-il pas rêver les arbres endormis?[49]
Au colombier fermé nul pigeon ne roucoule,
Sous le cygne endormi, l’eau du lac bleu s’écoule
Le Christ est beau, je l’aime et je joue au calvaire
Où j’ai fait un jardin tout bleu de primevère
L’orme et le tilleul versent leur ombre noire
Ce papillon tardif que la fraîcheur attire
Baise dans vos cheveux les lilas effeuillés
On avait couronné la vierge moissonneuse
Le village à la ville était joint par des fleurs.

[48] Vers vraiment virgiliens.

[49] Qui fait rêver les oiseaux dans les arbres.
Verlaine.

L’AMOUR DES FLEURS

Il semble que les fleurs alimentent ma vie.
Vois dans l’eau, vois ce lys dont la tête abaissée
Semble se dérober au sourire des cieux.
Dieu couvrez-le des fleurs qu’en silence il cultive.
En voyant fuir mes fleurs que n’attendait personne
Fleur naine et bleue et triste où se cache un emblème (myosotis)
Où l’absence a souvent respiré le mot: J’aime!
Où l’aile d’une fée a laissé des couleurs
Toi qu’on devrait nommer le colibri des fleurs
.....................
Va donc comme un œil d’ange éveiller son courage.
Quand l’oiseau sans musique erre aux champs sans couleurs,
Je ne me sens pas vivre et je ressemble aux fleurs
Aux pauvres fleurs baissant leurs têtes murmurantes
Et qu’on prendrait de loin pour des âmes pleurantes.
Un ruban gris qui serpentait dans l’herbe
De réséda nouant l’humide gerbe
Et votre vie à l’ombre est un divin moment
Inclinez-vous le soir, sur les dernières larmes
Qui s’épanchent sur vous du fond de mes secrets.
.....................
Par les beaux clairs de lune aux lambris de ma chambre
Que de bouquets mourants vous avez fait pleuvoir!
.....................
Sortis de vos plis verts où les jasmins respirent
Que de songes sur moi vinrent causer le soir!
Croyant que les fleurs ont aussi leurs familles
Et savent pleurer comme les jeunes filles.

L’AMOUR DE L’EAU

Que vos ruisseaux clairs dont les bruits m’ont parlé
Humectent sa voix d’un long rythme perlé...
Si son ombre a passé dans votre eau fugitive,
Nymphe
.....................
Si l’image qui fuit vous devient étrangère
De quoi vous plaignez-vous, nymphe sans souvenir?
Ce ruisseau paraît calme, et pourtant il soupire,
On ne sait trop s’il fuit, s’il cherche, s’il attend,
Mais il est malheureux puisque mon cœur l’entend.
.....................
On le dirait joyeux de caresser des fleurs
.....................
Si je pouvais chanter je ne l’entendrais pas.
Que la fleur soit contente en s’y voyant éclore.
.....................
Appelant un secret qu’elle ne comprend pas
.....................
Une image nouvelle y glisse tous les jours
Quand le dernier rayon d’un jour qui va s’éteindre
Colore l’eau qui tremble et qui porte au sommeil
Si mon étoile brille
Et trace encor mon nom dans la Scarpe d’argent.
Viens ranimer le cœur séché de nostalgie
Le prendre et l’inonder d’une fraîche énergie.
En sortant d’abreuver l’herbe de nos guérets
Viens, ne fût-ce qu’une heure, abreuver mes regrets.
.....................
Fragment
Sur toi dont l’eau rapide a délecté mes jours
Et m’a fait cette voix qui soupire toujours.
Dans ce poignant amour que je m’efforce à rendre
Dont j’ai souffert longtemps avant de le comprendre
Comme d’un pâle enfant on berce le souci
Ruisseau, tu me rendrais ce qui me manque ici.
Ton bruit sourd se mêlant au rouet de ma mère
Enlevant à son cœur quelque pensée amère
Quand pour nous le donner elle cherchait là-bas
Un bonheur attardé qui ne revenait pas.
Cette mère, à ta rive elle est assise encore,
La voilà qui me parle, ô mémoire sonore!
O mes palais natals qu’on m’a fermés souvent
La voilà qui les rouvre à son heureuse enfant.
Je ressaisis sa robe, et ses mains, et son âme!
Sur ma lèvre entr’ouverte elle répand sa flamme
Non! par tout l’or du monde on ne me paîrait pas
Ce souffle, ce ruisseau qui font trembler mes pas!
Fragment
Un ruisseau, frais enfant d’une source cachée
Promenait sur les fleurs son humide cristal;
L’herbe au pied du miroir n’était jamais penchée;
Il y versait la vie à flot toujours égal.
Harmonieux passant son mobile murmure
Enchantait la nature:
Un doux frémissement, quand de ses molles eaux
Il mouillait les roseaux
Avertissait au loin quelque nymphe altérée
Qu’un filet d’eau coulait sous les saules tremblants;
Et la bergère, au soir, dans la glace épurée
Venait baigner ses pieds brûlants.
Fragment
Toi ne passe jamais à l’angle de la rue,
Où notre église encor n’est pas toute apparue
Sans t’arrêter au bruit qui filtre sous tes pas
Pour écouter un peu ce qu’il chante tout bas.
Il chante le passé, car il a vu nos pères;
Il a la même voix que dans nos temps prospères!
Livre tes longs cheveux au ruisselant miroir
Et regarde longtemps ce que j’y voudrais voir!
Ton visage étoilé dans les cercles humides
Parsemant leurs clartés de sources limpides
Et les multipliant au fond du puits songeur
Pour y porter le jour, comme ils font dans mon cœur!
Alors qu’il soit béni, le salubre nuage
Ayant de tous les tiens miré l’errante image!
Monte sur la margelle et bois à ton plein gré
Son haleine qui manque à mon sang altéré!

LE RYTHME

Sonore tremblement qui m’attriste et que j’aime.
Leur prestige est si doux pour un cœur attristé. (les vers)
Cet art consolateur d’une âme déchirée.
Pourquoi déifier vos immobiles peines?

LE SILENCE

Moi, je veux du silence, il y va de ma vie!
Voilà le souvenir au pénétrant silence;
Sans philtre, sans breuvage, il endort la douleur.
Un coin vert où jamais on n’entend rien gémir
J’y voudrais bien aller! j’y voudrais bien dormir!
S’il vous plaît, qu’on m’y porte. Il me faut du silence
Un saule au doux frisson que l’air baigne et balance.
.....................
Tant de bruits sur la terre ont étourdi mon âme!
Béni soit le coin sombre où s’isole mon cœur!
Cherchant de l’ombre à part afin d’oser dormir!
Déjà son esprit prenant goût au silence.

ÉTERNITÉ

Et Dieu nous unira d’éternité...
Que je lui dise: «Viens, plus d’absence entre nous,
Viens, j’expiai pour toi ton infidèle flamme»
Il me reconnaîtra. Saisi d’un doux remords
Il ne verra plus que mon âme,
Il me trouvera belle alors.
Et ta main, du repos marquant l’étroit espace
Y jeta quelques fleurs pour y garder ta place.
Et moi, quand dans la tombe on me fera descendre
Des papillons légers voleront-ils sur moi?
Les oiseaux viendront-ils y chanter sans effroi?
Les rayons du soleil toucheront-ils ma cendre?
Et le pauvre interdit à ta porte fermée
.....................
Humble fille de la nature[50]
Elle aimait la fleur sans culture
Qui naît et meurt au fond des bois.
Son âme brûlante et craintive
Aimait l’eau mobile et plaintive.
Qui répond aux plaintives voix.
Comme l’impatiente abeille
Quitte une rose moins vermeille
Emportant dans les airs son parfum précieux
Cette jeune Albertine en silence éveillée
Quittant avant le soir sa couronne effeuillée
Vient de s’en retourner aux cieux.
.....................
Pourquoi ces tendres fleurs dans leur avril écloses
Tombent-elles souvent sans attendre l’été?
On verra par mes soins, quelque feuille de lierre
De son étroit asile embrasser le contour.
Contemplez ce nuage. Hélas! il nous ressemble,
Il va vite. En courant, levez parfois les yeux.
N’ayez peur, mes amis, je serai dans les cieux.[51]
Depuis j’allai m’asseoir aux tombes délaissées,
Leur tranquille silence éveillait mes pensées,
Y cueillir une fleur me semblait un larcin.
.....................
Autrefois... qu’il est loin le jour de son baptême
Nous entrâmes au monde un jour qu’il était beau:
Le sel qui l’ondoya fut dissous sur moi-même,
Et le prêtre pour nous n’alluma qu’un flambeau.
.....................
Oui, je reconnaîtrai tes traits pâles, charmants,
Miroirs de la piété qui marchait sur tes traces,
Qui pleurait dans ta voix, angélisait tes grâces,
Et qui s’enveloppait dans tes doux vêtements.
.....................
Oui tu ne m’es qu’absente, et la mort n’est qu’un voile
Albertine! et tu sais l’autre vie avant moi.
Un jour j’ai vu ton âme aux feux blancs d’une étoile,
Elle a baisé mon front, et j’ai dit: «c’est donc toi!»
Enfant, quand je pleurais, sans le voir de mes yeux
D’un ange, autour de moi, je sentais la présence.
.....................
Et je ne l’entends plus. J’entends toujours mon âme!
Toujours elle se plaint; jamais elle ne dort:
Et cette âme où passa tant de pleurs, tant de flamme,
Le ciel qui la sait toute en voudra-t-il encor?
Car on dit que longtemps encore
L’âme retourne au monument,
Glissant du ciel à chaque aurore
Pour épier ce qu’elle adore
Et que parfois c’est vainement.
L’homme achète longtemps le bienfait de la mort.
Et le vrai, c’est la mort!—et j’attends son secret.
.....................
Oh! ce sera la vie. Oh! ce sera vous-même,
Rêve, à qui ma prière a tant dit: je vous aime.
Ce sera pleur par pleur et tourment par tourment
Des âmes en douleurs le chaste enfantement.
O vie! ô fleur d’orage! ô menace! ô mystère!
O songe aveugle et beau!
Réponds! ne sais-tu rien en passant sur la terre
Que ta route au tombeau?
—«Ingrate, a dit la vie, à qui donc l’espérance,
Fruit divin de ma fleur?
Vous retournerez-vous vers un jour de souffrance
Dans l’éternel bonheur?
Si vous n’entendez pas tant de voix éternelles,
Que sert de vous parler?
Vos pieds sont las, pliez! Dieu vous mettra des ailes,
Et vous pourrez voler.
De vos fronts consternés, mères inconsolables
Les cyprès tomberont,
Quand, pour vous emmener, messagers adorables,
Vos enfants descendront.
Vos sanglots se perdront dans de longs cris de joie,
Quand vous verrez la mort
Bercer aux pieds de Dieu son innocente proie
Comme un agneau qui dort.
La mort, qui reprend tout, sauve tout sous ses ailes;
Sa nuit couve le jour,
Elle délivre l’âme, et les âmes entre elles
Savent que c’est l’amour!»[52]
Un enfant plus léger, plus peureux de la terre
Et qui s’en retournait habillé de mystère
J’ai peur de voir tomber les voiles de mon âme
J’ai peur qu’elle s’en aille à la porte des cieux
Pleurer longtemps et nue, et devant bien des yeux.
Mourir! on ne meurt pas quand on le pense. Une âme
Prend ses ailes longtemps avant de s’envoler.
Peut-être qu’à son insomnie
Ton âme suspendue un soir
De sa pénitence finie,
Viendra respirer et s’asseoir
Puis ouvrant doucement la porte
Du séjour où Dieu la remporte
Elle me dira: «Ne crains rien»
Les cieux sont grands, les morts sont bien.
J’ai déjà tant d’âmes aimées
Sous ce lugubre vêtement!
Tant de guirlandes parfumées
Qui pendent au froid monument,
Par le souffle mortel atteintes
D’où mon nom sortait plein d’amour,
Et qui m’appelleront un jour!
Notre corps ne faisait plus d’ombre
Comme dans ce triste univers
Et notre âme n’était plus sombre:
Le soleil passait au travers.
La mort vient de fermer les plus beaux yeux du monde,
Nous ne les verrons plus qu’en regardant les cieux.
.....................
O beauté souveraine à travers tous les voiles.[53]
Tant que les noms aimés retourneront aux cieux
Nous chercherons Delphine à travers les étoiles
Et son doux nom de sœur humectera nos yeux.
Tel qu’un homme hâté s’arrête de courir
Et dit en lui: «C’est vrai pourtant il faut mourir.»
Puis qui reprend sa route avec la tête basse
Comme si d’un fardeau son épaule était lasse?
Ah! c’est que des points noirs troublent un ciel vermeil
Quand nos yeux éblouis ont trop vu de soleil...
Elle entre, et bien des yeux qui paraissent fermés (la lune)
Sont par des pleurs sans bruit ouverts et consumés.
.....................
N’as-tu pas pour cortège un flot de jeunes âmes
Mêlant à ses lueurs de vacillantes flammes
.....................
Nous avons mis leurs noms sous des touffes de roses
.....................
Merci! toi qui descends des divines montagnes
Pour éclairer nos morts épars dans les campagnes
Dans leur étroit jardin tu viens les regarder,
Et contre l’oubli froid tu sembles les garder.
.....................
Au bout de tes rayons promenés sur nos fleurs,
Comme un encens amer prends un peu de mes pleurs.
.....................
Plus loin des moissonneurs penchés sur leur faucille
Devinaient et plaignaient ce poids de jeune fille
Au deuil blanc, car pressé de vivre et de souffrir
L’homme partout s’attarde à regarder mourir.
Tandis que de ses yeux la mémoire infidèle
S’effaçait, comme on voit aux approches du soir
Par degrés se ternir les clartés d’un miroir
Faite à souffrir
Devant pour être morte,
Si peu mourir.
.............
Quand l’autre moissonneuse
Forte en tous lieux
Quand la nuit descendit sur l’ardent paysage
Quand tout bruit s’effaça l’astre au tendre visage
Vers une croix nouvelle allongea ses fils d’or
Comme un baiser de mère à son enfant qui dort.
Le sourire défaille à la plaie incurable
.....................
Adieu sourire, adieu jusque dans l’autre vie
Si l’âme, du passé n’y peut être suivie!
Mais si de la mémoire on ne doit pas guérir.
A quoi sert, ô mon âme, à quoi sert de mourir?
Il est du moins au-dessus de la terre
Un champ d’asile où monte la douleur;
J’y vais puiser un peu d’eau salutaire
Qui du passé rafraîchit la couleur.
Par un rêve dont la flamme
Éclairait mes yeux fermés
.............
Viens ne crains pas leur silence
Ni leurs yeux ouverts sans voir
Le sommeil qui les balance
N’a de vivant que l’espoir.
Sous une forme reprise
Et qui nous ressemblera
Avec un cri de surprise
Chacun se reconnaîtra.
Quoi, c’est lui! c’est toi! c’est elle!
Retentira de partout,
Et l’on proclamera belle
La mort vivante et debout.[54]
Et pour gagner l’autre vie
Retourne avec les mourants.
Ah! je sens que je fus colombe
En voyant vos ailes s’ouvrir (oiseaux)
Et pour vous suivre par la tombe
J’ai déjà moins peur de mourir.
Oui le Pylade ailé de ta coureuse enfance
Doux et muet témoin de tes ébats naïfs
Qui se laissait aimer et gronder sans défense
Qui savait te répondre en murmures plaintifs
Ton camarade est mort.
....................
Ce qu’on aime est si triste ainsi gisant et froid
....................
A ton beau ramier bleu tu penseras toujours
Dans votre épreuve solitaire
Ne demandez pas le bonheur.
Sa semence est dans votre cœur
Et n’éclora pas sur la terre
Et mes bras s’étendaient pour imiter leurs ailes
....................
Oui la rose a brillé sur mon riant voyage
Tous les yeux l’admiraient dans son jeune feuillage;[55]
L’étoile du matin l’aidait à s’entr’ouvrir
Et l’étoile du soir la regardait mourir.
Vers la terre déjà sa tête était penchée;
L’insecte inaperçu s’y creusait un tombeau
La feuille murmurait en tombant desséchée
Déjà la nuit: déjà... Le jour était si beau!
Fragment
Venez-vous en courant dire: Préparez-vous
Bientôt vous quitterez ce que l’on croit la vie.
Celle qui vous attend seule est digne d’envie:
Ah! venez dans le ciel la goûter avec nous!
Ne craignez pas, venez! Dieu règne sans colère;
De nos destins charmants vous aurez la moitié.
Celle qui pleure, hélas! ne peut plus lui déplaire;
Le méchant même a sa part de pitié.
Sous sa main qu’il étend, toute plaie est fermée;
Qui se jette en son sein ne craint plus l’abandon;
Et le sillon cuisant d’une larme enflammée
S’efface au souffle du pardon.
Embrassez-nous! Dieu nous rappelle
Nous allons devant vous, mères ne pleurez pas!
L’amour ce ciment des âmes
.............
Là-bas où finit la terre
Rejoint la mère à l’enfant
De tendresse et de mystère
Dès qu’il eut rempli ces lieux
Qui sait si votre enfant qui flotte dans vos larmes
N’a pas au seuil de Dieu rencontré mon enfant?
Qui sait si leurs mains d’ange un moment réunies
N’ont pas pesé là-haut nos peines infinies
Et pleurant de l’amour qu’on leur garde en ce lieu
N’ont pas compté nos pleurs pour les offrir à Dieu?
Comme si mon enfant puissante avec douceur
Une femme pleurait des pleurs d’une autre femme
Elles ont leurs secrets qu’elles plaignent toujours...
Celle qui regardait reconnaissait son âme
.....................
Vous qui n’avez jamais parlé
Dans notre monde désolé
N’apprenez pas la langue austère
Et les durs sanglots de la terre.
Envolez-vous, mais, par pitié,
De nos pleurs portez la moitié
Dans le manteau bleu de la vierge;
Et nous brûlerons un beau cierge
Au pied de votre blanc berceau
Pour que l’arbre et son arbrisseau
Revivent aux montagnes pures,
Loin des autans, loin des souillures,
Loin de ce monde désolé
Où vous n’avez jamais parlé.[56]

[50] Épitaphe d’Albertine (page 228. Albertine.)

[51] C’est là-haut dans le ciel qu’il me faut chercher mon père et ma mère, leurs chers visages m’apparaissent entourés d’une lumineuse auréole, ils ne sont plus de la terre, ils ne comptent plus pour mon foyer.

Aurora Leigh.

[52] Tout le souffle du poème de Victor Hugo sur la mort de Claire avec le rythme de Malherbe dans son poème sur la mort de Rosa.

[53] Lumière de l’âme, ô beauté!
Leconte de Lisle.

[54] La mort a été absorbée dans la victoire.
S. Paul.

[55] Hæc viret angusto foliorum, tecta galero.

[56] Petite pièce si étonnamment descriptive avec son dernier vers renouvelé du premier et posant comme un doigt sur deux lèvres.

PIÈCES A LIRE[57]

  (Édition Lemerre)
  Pages Tomes
Les roses de Saadi 273 II
La prière perdue 45 I
Croyance 11 II
La vie et la mort du ramier 198 I
Les cloches et les larmes 267 II
Pour endormir l’enfant 97 III
Dormeuse 70 III
Le nuage et l’enfant 109 III
L’enfant et la foi 206 III
Les enfants à la communion 201 III
Prière des orphelins 262 III
Au soleil 204 III
Prison et printemps 105 II
Refuge 336 II
Renoncement 354 II
La couronne effeuillée 350 II

[57] En complément de cette Étude et comme types brefs et concrets des principaux mouvements qui y sont spécifiés.

LA VIE ET LA MORT DU RAMIER
De la colombe au bois c’est le ramier fidèle;
S’il vole sans repos, c’est qu’il vole auprès d’elle;
Il ne peut s’appuyer qu’au nid de ses amours,
Car des ailes de feu l’y réchauffent toujours!
Laissez battre et brûler deux cœurs si bien ensemble;
Leur vie est un fil d’or qu’un nœud secret assemble,
Il traverse le monde et ce qu’il fait souffrir:
Ne le déliez pas! Vous les feriez mourir!
Ils ne veulent à deux qu’un peu d’air, un peu d’ombre,
Une place au ruisseau qui rafraîchit le cœur;
Seuls, entre ciel et terre, un nid suave et sombre,
Pour s’entre-aider à vivre, ou cacher leur bonheur!
Quand vous ne verrez plus passer par ce rivage
Cette blanche moitié de la colombe aux bois,
N’allez pas croire au moins que l’un d’eux soit volage:
Bien qu’ils aiment toujours, ils n’aiment qu’une fois!
Laissez-vous entraîner sur leurs traces perdues
Vers le nid, doux sépulcre alors silencieux,
Et vous y trouverez quatre ailes détendues
Sur deux cœurs mal éteints rallumés dans les cieux!
DORMEUSE
Si l’enfant sommeille,
Il verra l’abeille,
Quand elle aura fait son miel,
Danser entre terre et ciel,
Si l’enfant repose,
Un ange tout rose,
Que la nuit seule on peut voir,
Viendra lui dire: «Bonsoir!»
Si l’enfant est sage,
Sur son doux visage
La Vierge se penchera,
Et longtemps lui parlera,
Si mon enfant m’aime,
Dieu dira lui-même:
«J’aime cet enfant qui dort;
Qu’on lui porte un rêve d’or!
«Fermez ses paupières,
Et sur ses prières,
De mes jardins pleins de fleurs,
Faites glisser les couleurs.
«Ourlez-lui des langes
Avec vos doigts d’anges,
Et laissez sur son chevet
Pleuvoir votre blanc duvet.
«Mettez-lui des ailes
Comme aux tourterelles,
Pour venir dans mon soleil
Danser jusqu’à son réveil!
«Qu’il fasse un voyage
Aux bras d’un nuage,
Et laissez-le, s’il lui plaît,
Boire à mes ruisseaux de lait!
«Donnez-lui la chambre
De perles et d’ambre,
Et qu’il partage en dormant,
Nos gâteaux de diamant!
«Brodez-lui des voiles
Avec mes étoiles,
Pour qu’il navigue en bateau
Sur mon lac d’azur et d’eau!
«Que la lune éclaire
L’eau pour lui plus claire,
Et qu’il prenne au lac changeant
Mes plus fins poissons d’argent!
«Mais je veux qu’il dorme
Et qu’il se conforme
Au silence des oiseaux
Dans leurs maisons de roseaux!
«Car si l’enfant pleure,
On entendra l’heure
Tinter partout qu’un enfant
A fait ce que Dieu défend!
«L’écho de la rue
Au bruit accourue,
Quand l’heure aura soupiré,
Dira: «L’enfant a pleuré!»
«Et sa tendre mère,
Dans sa nuit amère,
Pour son ingrat nourrisson
Ne saura plus de chanson!
«S’il brame, s’il crie,
Par l’aube en furie
Ce cher agneau révolté
Sera peut-être emporté!
«Un si petit être
Par le toit, peut-être,
Tout en criant, s’en ira,
Et jamais ne reviendra!
«Qu’il rôde en ce monde,
Sans qu’on lui réponde!
Jamais l’enfant que je dis,
Ne verra mon paradis!
«Oui! mais s’il est sage
Sur son doux visage
La Vierge se penchera,
Et longtemps lui parlera.»
RENONCEMENT
Pardonnez-moi, Seigneur, mon visage attristé,
Vous qui l’aviez formé de sourire et de charmes;
Mais sous le front joyeux vous aviez mis les larmes,
Et de vos dons, Seigneur, ce don seul m’est resté.
C’est le moins envié, c’est le meilleur peut-être.
Je n’ai plus à mourir à mes liens de fleurs;
Ils vous sont tous rendus, cher auteur de mon être,
Et je n’ai plus à moi que le sel de mes pleurs.
Les fleurs sont pour l’enfant; le sel est pour la femme:
Faites-en l’innocence et trempez-y mes jours,
Seigneur! quand tout ce sel aura lavé mon âme,
Vous me rendrez un cœur pour vous aimer toujours!
Tous mes étonnements sont finis sur la terre,
Tous mes adieux sont faits, l’âme est prête à jaillir
Pour atteindre à ses fruits protégés de mystère
Que la pudique mort a seule osé cueillir.
O Sauveur! soyez tendre au moins à d’autres mères,
Par amour pour la vôtre et par pitié pour nous!
Baptisez leurs enfants de nos larmes amères,
Et relevez les miens tombés à vos genoux!
LA COURONNE EFFEUILLÉE
J’irai, j’irai porter ma couronne effeuillée
Au jardin de mon père où revit toute fleur;
J’y répandrai longtemps mon âme agenouillée:
Mon père a des secrets pour vaincre sa douleur.
J’irai, j’irai lui dire, au moins avec mes larmes:
«Regardez, j’ai souffert...» Il me regardera,
Et, sous mes jours changés, sous ma pâleur sans charmes,
Parce qu’il est mon père il me reconnaîtra.
Il dira: «C’est donc vous, chère âme désolée,
La terre manque-t-elle à vos pas égarés?
Chère âme, je suis Dieu: ne soyez plus troublée;
Voici votre maison, voici mon cœur, entrez!...»
O clémence! ô douceur! ô saint refuge! ô Père!
Votre enfant qui pleurait vous l’avez entendu!
Je vous obtiens déjà puisque je vous espère
Et que vous possédez tout ce que j’ai perdu.
Vous ne rejetez pas la fleur qui n’est plus belle;
Ce crime de la terre au ciel est pardonné.
Vous ne maudirez pas votre enfant infidèle,
Non d’avoir rien vendu, mais d’avoir tout donné!

ERRATA

Pages Au lieu de: Lisez:
51 souvent pleines d’envol parfois pleines d’envol
62 le froid ton poids
68 complot sanglot
71 préférais préférerais
72 Gauthier Gautier
99 pour quoi pourquoi
153 prends prend
186 C’est vrai C’est vrai pourtant

TABLE

Avant-propos I
Prologue 11
I 13
II 27
III 43
IV 53
Appendice 81
Essai de classification 89
Pièces à lire 193

IMPRIMERIE G. RICHARD 5, RUE DE LA PERLE, PARIS


Au lecteur.

L’orthographe d’origine a été conservée et n’a pas été harmonisée, mais les erreurs clairement introduites par le typographe ou à l’impression ont été corrigées. Les mots ainsi corrigés sont soulignés en pointillés. Placez le curseur dessus pour faire apparaître le texte original. Également à quelques endroits la ponctuation a été corrigée, et les corrections indiquées dans l’Errata ont été effectuées.

Les notes ont été renumérotées consécutivement et placées à la fin de chaque section.


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