Confiants, vous dansez quand votre mère chante
Son baiser nous délasse et nous mène au sommeil.
Sans prévoir que souvent la voix qui nous enchante
Va prier dans les pleurs jusqu’à votre réveil.
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Et je sentais naître ma fille
Dans mon sein tout blessé des flèches du malheur.
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Moi seule en vous berçant d’amour, de mélodie
Je vous inoculai ma douce maladie.
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Je vous aide à m’aimer autant que je vous aime.
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Un jour vous serez seuls par la sentence amère
Qui sépare de force entre eux les voyageurs.
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Un bouquet de cerise, une pomme encore verte,
C’étaient là des festins savourés jusqu’au cœur.
—
Entre les cailloux bleus que mouillent le grand puits.
De sa fraîcheur lointaine il lave encor mon âme
Du présent qui me brûle il étanche la flamme,
Ce puits large et dormeur au cristal enfermé
Où ma mère baignait son enfant bien-aimé.
Lorsqu’elle berçait l’air avec sa voix rêveuse
    Qu’elle était calme et blanche, et paisible le soir
Désaltérant le pauvre assis, comme on croit voir
Aux ruisseaux de la bible une fraîche laveuse!
Elle avait des accents d’harmonieux amour
Que je buvais du cœur en jouant dans la cour.
Ciel! où prend donc sa voix une mère qui chante
Pour aider le sommeil à descendre au berceau?
Dieu mit-il plus de grâce au souffle d’un ruisseau?
Est-ce l’Eden rouvert à son hymne touchante,
Laissant sur l’oreiller de l’enfant qui s’endort
Poindre tous les soleils qui lui cachent la mort?
Et l’enfant assoupi sous cette âme voilée
Reconnaît-il les bruits d’une vie écoulée?
Est-ce un cantique appris à son départ du ciel
Où l’adieu d’un jeune ange épancha quelque miel?
Merci, mon Dieu. Merci de cette hymne profonde
Pleurante encore en moi dans les rires du monde
Alors que je m’assieds à quelque coin rêveur
Pour entendre ma mère en écoutant mon cœur:
Ce lointain au revoir de son âme à mon âme
Soutient en la grondant ma faiblesse de femme.
Comme au jonc qui se penche une brise en son cours
A dit: «Ne tombe pas. J’arrive à ton secours.»
Elle a fait mes genoux souples à la prière...
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Triste de me quitter, cette mère charmante
Me léguant à regret la flamme qui tourmente
Jeune, à son jeune enfant tendit longtemps sa main,
Comme pour le sauver par le même chemin.
Et je restai longtemps, longtemps sans la comprendre,
Et longtemps à pleurer son secret sans l’apprendre,
A pleurer de sa mort le secret inconnu
Le portant tout scellé dans mon cœur ingénu
    Ce cœur signé d’amour comme sa tendre proie,
Où pas un chant mortel n’éveillait une joie.
On eût dit à sentir ses frêles battements
Une montre cachée où s’arrêtait le temps.
On eût dit qu’à plaisir il se retînt de vivre.
Comme un enfant dormeur qui n’ouvre pas son livre
Je ne voulais rien lire à mon sort, j’attendais;
Et tous les jours levés sur moi, je les perdais.
Par ma ceinture noire à la terre arrêtée
Ma mère était partie et tout m’avait quittée,
Le monde était trop grand, trop défait trop désert
Une voix seule éteinte en changeait le concert
Je voulais me sauver de ces dures contraintes
J’avais peur de ses lois, de ses mots, de ses craintes
Et ne sachant où fuir ses échos durs et froids,
Je me prenais tout haut à chanter mes effrois.
[39] 
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—
Oui l’enfance est poëte. Assise ou turbulente
Elle reconnaît tout empreint de plus haut lieu,
L’oiseau qui jette au loin sa musique volante
Lui chante une lettre de Dieu.
Ma sœur, ces jours d’été nous les courrions ensemble,
Je reprends sous leurs flots ta douce main qui tremble,
Je t’aime du bonheur que tu tenais de moi.
Et mes soleils d’alors se rallument sur toi.
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—
Elle n’a plus d’enfant, sa tendresse est déserte!
Plus un rameau qui rit, plus une branche verte,
    Plus rien. Les seules fleurs qui s’ouvrent sous ses pas
Croissent où les vivants ne les dérobent pas.
—
♦Fragment♦
Ces beaux enfants si fiers d’entrer dans nos orages,
Rêvant leurs horizons, leurs jardins, leurs ombrages,
Moi, quand je les vois rire à ce prisme trompeur
Je veux rire et je 
fonds en larmes dans mon cœur[40] 
Et vous, n’avez-vous pas de ces pitiés profondes
Qui vous percent le sein comme feraient les ondes
En creusant goutte à goutte un caillou. Mille fois
J’ai voulu les instruire et j’ai gardé ma voix.
Que fait la chèvre errante au rocher suspendue
Qui rêve et se repent de sa route perdue?
Ose-t-elle effrayer, penchés sur le torrent,
Les chevreaux pris aux fleurs qu’emporte le courant?
Qu’irions-nous raconter à leur jeunes oreilles?
Que sert d’en soulever les couronnes vermeilles
Dont il plaît au printemps d’assourdir leur raison?
Ils ont le temps, pas vrai? Tout vient dans sa saison.
Oh! laissons-les aller sans gêner leur croissance.
Oh! dans leur 
vie à jour[41] n’ont-ils pas l’innocence
 
Au pied d’un nid charmant parle-t-on d’oiseleur?
Tournons-les au soleil et restons au malheur!
Ou plutôt suivons-les: quelle que soit la route
Nous montons, j’en suis sûre, et jamais je ne doute;
J’épèle, comme vous avec humilité
Un mot qui contient tout, poëte: Éternité!
De chaque jour tombé mon épaule est légère,
L’aile pousse et me tourne à ma nouvelle sphère[43] 
A tous les biens ravis qui me disent adieu
Je réponds doucement: «Va m’attendre chez Dieu!»
Qu’en ferais-je après tout de ces biens que j’adore
Rien que les adorer, rien que les perdre encore!
J’attends. Pour ces trésors donnés, repris si tôt.
Mon cœur n’est pas éteint: il est monté plus haut.
—
Écoliers de ce temps, troupe alerte et bruyante
Où sont-ils vos présents jetés à l’eau fuyante,
Le livre ouvert, parfois vos souliers pour vaisseaux
Et vos petits jardins de mousse et d’arbrisseaux?
—
Et leur timbre profond d’où sort l’entretien sûr. (les parents)
—
Beau jardin si rempli d’œillets et de lilas
Que de le regarder on n’était jamais las.
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Pour atteindre un rameau de ces calmes séjours
Qui souple s’avançait et s’enfuyait toujours:
Que de fois suspendus aux frêles palissades
Nous avons savouré leurs molles embrassades.
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Nous faisions les doux yeux aux roses embaumées
Qui nous le rendaient bien, contentes d’être aimées!
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C’était la seule porte incessamment ouverte
Inondant le pavé d’ombre ou de clarté verte
    Selon que du soleil les rayons ruisselants
Passaient ou s’arrêtaient aux feuillages tremblants.
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♦Fragment♦
On ne saura jamais les milliers d’hirondelles
Revenant sous nos toits chercher à tire d’ailes
Les coins, les nids, les fleurs et le feu de l’été
Apportant en échange un goût de liberté.
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C’était vous! D’aucuns nœuds vos mains n’étaient liées,
Vos petits pieds dormaient sur les branches pliées
Toute libre dans l’air où coulait le soleil
Un rameau sous le ciel berçait votre sommeil
Puis le soir on voyait d’une femme étoilée
L’abondante mamelle à vos lèvres collée.
Et partout se lisait dans ce tableau charmant
De vos jours couronnés le doux pressentiment.
De parfums, d’air sonore incessamment baisée
Comment n’auriez-vous pas été poétisée?
Que l’on s’étonne donc de votre amour des fleurs!
Vos moindres souvenirs nagent dans leurs couleurs
Vous en viviez, c’étaient vos rimes et vos proses
Nul enfant n’a jamais marché sur tant de roses!
Mon Dieu s’il n’en doit plus poindre au bord de mes jours
Que sur ma sœur de Flandre il en pleuve toujours.
—
Vois, si tu n’a pas vu, la plus petite fille
S’éprendre des soucis d’une jeune famille
Éclore à la douleur par le pressentiment
Pâlir pour sa poupée heurtée imprudemment
    Prier Dieu, puis sourire en berçant son idole
Qu’elle croit endormie au son de sa parole:
Fière du vague instinct de sa fécondité
Elle couve une autre âme à l’immortalité.
Laisse-lui ses berceaux: ta raillerie amère
Éteindrait son enfant... Tu vois bien qu’elle est mère!
—
Je ne dis rien de toi, toi, la plus enfermée
Toi 
rentrée en mon sein[44] 
—
Vos longs soleils, votre ombre, et vos vertes fraîcheurs.
Où les anges riaient dans nos vierges délires
Où nos fronts s’allumaient sous de chastes rougeurs.
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O mes amours d’enfance, ô mes chastes amours!
.....................
O vous dont les miroirs se ressemblent toujours!
—
Qui, lorsque l’insomnie ouvrait mes yeux dans l’ombre
Me faisait des tableaux plus doux que le sommeil?
—
La réputation commence avec la vie.
.....................
Vieux, va t’asseoir paisible au banc du souvenir.
—
Mes jours purs sous tes traits repassent devant moi.
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Mon cœur a fait le tien, il s’y renfermera
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Que tes cheveux sont doux étends-les sur mes larmes
Comme un voile doré sur un noir souvenir!
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Qu’un si petit visage enferme de portraits:
De tout ce que j’aimais tu m’offres quelques traits
Que d’anges envolés sans pouvoir les décrire
Dans ton sourire errant reviennent me sourire!
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Quand on me leva seule et comme trop légère...
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O femme aimez-vous par vos secrets de larmes,
Par vos devoirs sans bruit où s’effeuillent vos charmes;
Après vos jours d’encens dont j’ai bu la douceur
Quand vous aurez souffert appelez-moi: ma sœur!
—
Car au soleil couchant du fond de leurs familles
Glissaient au rendez-vous les plus petites filles
Pareilles aux ramiers que l’on se plaît à voir
S’abattre et s’étaler au bord de l’abreuvoir
Dans le gravier qui brille étaler leur plumage
Et roucouler entre eux leur bonheur sans nuage
.....................
Et quand vient me chercher le rêve aux longues ailes
—
Et je devins confuse en pesant mon devoir
.....................
♦Fragment♦
Nous qui portons les fruits sur la terre où nous sommes
Si fortes pour aimer, nous tendres sœurs des hommes
O mères, pourquoi donc les mettons-nous au jour,
Ces tendres fruits volés à notre ardent amour?
A peine ils sont à nous qu’on veut nous les reprendre
O mères, savez-vous ce qu’on va leur apprendre?
A trembler sous un maître, à n’oser, par devoir,
    Qu’une fois tous les ans demander à nous voir,
A détourner de nous leurs mémoires légères.
Alors que sauront-ils? Les langues étrangères,
Les vains soulèvements des peuples malheureux,
Et les fléaux humains toujours armés contre eux.
C’est donc beau? Mais le temps saurait les en instruire,
Candeur de mon enfant on va bien vous détruire!
—
Dire qu’il faut ainsi se déchirer soi-même,
Leur porter son enfant, seule vie où l’on s’aime,
Seul miroir de ce temps où les yeux sont pleins d’or
.....................
Son enfant! ce portrait, cette âme, cette voix,
Qui passe devant nous comme on fût une fois
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Ses longs cheveux cendrés que je baisais toujours
[45] 
Sans savoir que ce fût le livre de ces jours.
Tu baiseras les miens si l’amour me les donne,
Si tu sais où j’ai pris cette grave couronne.
—
♦Fragment♦
Vous du moins Vierge blanche immobile et soumise
Et seule au bord de l’eau pensivement assise,
Les mains sur votre cœur et vos yeux sur mes yeux,
Parlez-moi, Vierge mère, ô parlez-moi des cieux!
Parlez! vous qui voyez tout ce que j’ai dans l’âme.
Vous en avez pitié puisque vous êtes femme.
Cet amour des amours qui m’isole en ce lieu
Ce fut le vôtre; eh bien, parlez-en donc à Dieu!
Sans reproche, sans bruit, douce reine des mères,
Cachez dans vos pardons mes révoltes amères,
Couvrez-moi de silence, et relevez mon front
Baissé sous le chagrin comme sous un affront.
—
O champs paternels hérissés de charmilles
Où glissent le soir des flots de jeunes filles
—
Et si tendre et si mère! et si semblable à Dieu!