Henri V
SCÈNE II
Le camp des Français.
LE DAUPHIN, LE DUC D'ORLÉANS, RAMBURE, et autres.
LE DUC D'ORLÉANS.--Le soleil dore notre armure; allons, mes pairs.
LE DAUPHIN.--Montez à cheval.--Mon cheval! Holà, valets, laquais.
LE DUC D'ORLÉANS.--O noble courage!
LE DAUPHIN.--Via! 29--Les eaux et la terre...
LE DUC D'ORLÉANS.--Rien puis? L'air et le feu?...
LE DAUPHIN.--Ciel! Cousin Orléans!... (Entre le connétable.) Allons, seigneur connétable.
LE CONNÉTABLE.--Ecoutez comme nos coursiers hennissent et appellent leurs cavaliers.
LE DAUPHIN.--Montez-les, creusez dans leurs flancs de profondes plaies; que leur sang bouillant jaillisse jusqu'aux yeux des Anglais, et les épouvante de l'excès de leur courage. Allons!
RAMBURE.--Quoi, voulez-vous leur faire pleurer le sang à nos chevaux? Comment distinguerons-nous alors leurs larmes naturelles?
(Arrive un messager.)
LE MESSAGER.--Pairs de France, les Anglais sont rangés en bataille.
LE CONNÉTABLE.--A cheval, vaillants princes! à cheval sans délai. Jetez seulement un regard sur cette troupe chétive et affamée, et la seule présence de votre belle armée va sucer le reste de leur courage, et ne laisser d'eux que des squelettes et des cadavres de soldats. Il n'y a pas de quoi employer tous nos bras. A peine reste-t-il dans leurs veines épuisées assez de sang pour teindre d'une marque d'honneur chacune de nos haches; il faudra que nous les renfermions aussitôt faute de victimes. Le souffle de votre valeur les renversera. Non, n'en doutez pas, mes nobles seigneurs, le superflu de nos valets et nos paysans, peuple inutile qui s'attroupe en tumulte autour de nos escadrons de bataille, suffirait pour purger la plaine de cet ennemi méprisable; et nous pourrions rester au pied de la montagne, spectateurs oisifs. Mais l'honneur nous le défend. Que dirai-je de plus? Nous n'avons que peu à faire, et tout sera fini. Ainsi, que les trompettes sonnent la chasse et le signal du combat; car notre approche doit répandre une si grande terreur sur le champ de bataille, que les Anglais vont se coucher à terre et se rendre.
(Entre Grandpré.)
GRANDPRÉ.--Pourquoi tardez-vous si longtemps, nobles seigneurs de France? Là-bas ces cadavres insulaires, presque réduits à leurs os, figurent bien mal, aux clartés du matin, sur un champ de bataille. Leurs enseignes délabrées flottent en déplorables lambeaux, et notre souffle les agite en passant avec mépris. Le farouche Mars semble sans ressource dans leur armée ruinée, et ne jette sur cette plaine qu'un regard indifférent au travers de la visière de son casque rouillé. Leurs cavaliers semblent autant de candélabres immobiles 30 qui portent leurs torches; et leurs pauvres montures, dont les flancs et la peau sont pendants, laissent tomber la tête; elles ouvrent à demi des yeux pâles et éteints, et la bride, souillée d'herbes remâchées, reste sans mouvement dans leur bouche inanimée: déjà leurs derniers exécuteurs, les funestes corbeaux, volent au-dessus de leurs têtes, impatients d'entendre sonner leur heure. Il n'y a point de mots qui puissent rendre la vie d'une telle bataille dans une créature aussi inanimée que cette armée.
LE CONNÉTABLE.--Ils ont récité leurs dernières prières, et n'attendent plus que la mort.
LE DAUPHIN.--Voulez-vous que nous envoyions de la nourriture et des habits neufs aux soldats, et des fourrages à leurs chevaux affamés, et que nous les combattions ensuite?
LE CONNÉTABLE.--Je n'attends que mon guidon: allons, au champ de bataille! Je vais prendre pour étendard la banderole d'une trompette, afin de prévenir tout retard. Allons, partons: le soleil est déjà haut, et nous dépensons le jour dans l'inaction.
(Ils sortent.)
SCÈNE III
Le camp anglais.
L'armée anglaise, GLOCESTER, BEDFORD, EXETER, ERPINGHAM, SALISBURY ET WESTMORELAND.
GLOCESTER.--Où est le roi?
BEDFORD.--Il est monté à cheval pour aller reconnaître leur armée.
WESTMORELAND.--Ils ont soixante mille combattants.
EXETER.--C'est cinq contre un! et des troupes toutes fraîches.
SALISBURY.--Que le bras de Dieu combatte avec nous! c'est une périlleuse partie! Dieu soit avec vous tous, princes! Je vais à mon poste. Si nous ne devons plus nous revoir que dans les cieux, nous nous reverrons alors dans la joie. Mon noble lord Bedford, mon cher lord Glocester;--et vous, mon digne lord Exeter, et toi, mon tendre parent:--braves guerriers, adieu tous.
BEDFORD.--Adieu, brave Salisbury; que le bonheur t'accompagne!
EXETER.--Adieu, cher lord: combats vaillamment aujourd'hui; mais je te fais injure en t'y exhortant: tu es pétri de valeur.
BEDFORD.--Sa valeur égale sa bonté: ce sont la valeur et la bonté d'un prince.
WESTMORELAND.--Oh! que nous eussions seulement ici dix mille de ces hommes qui se reposent aujourd'hui en Angleterre!
(Entre le roi.)
LE ROI.--Quel est celui qui fait ce voeu? Vous, cousin Westmoreland? Non, mon beau cousin: si nous sommes destinés à mourir, nous sommes assez nombreux, et notre patrie perd assez en nous perdant: si nous sommes destinés à vivre, moins nous serons de combattants, plus notre part de gloire sera riche. Que la volonté de Dieu soit faite! je te prie de ne pas souhaiter un seul homme de plus. Par Jupiter, je ne convoite point l'or, ni ne m'inquiète qui vit et prospère à mes dépens: peu m'importe si d'autres usent mes vêtements: tous ces biens extérieurs ne touchent point mes désirs; mais si c'est un crime de convoiter l'honneur, je suis le plus coupable de tous les hommes qui respirent. Non, non, mon cousin, ne souhaitez pas un Anglais de plus. Par la paix de Dieu, je ne voudrais pas, dans l'espérance dont mon coeur est plein, perdre de cette gloire, ce qu'il en faudrait seulement partager avec un homme de plus. Oh! n'en souhaitez pas un de plus! Allez plutôt, Westmoreland, publier, au milieu de mon camp, que celui qui ne se sent pas d'humeur d'être de ce combat, ait à partir: son passe-port sera signé, et sa bourse remplie d'écus pour le reconduire chez lui. Je ne voudrais pas mourir dans la compagnie d'un soldat qui craindrait de mourir de société avec nous. Ce jour est appelé la fête de Saint-Crépin 31. Celui qui survivra à cette journée, et retournera dans son pays, sautera de joie, quand on nommera cette fête, et s'enorgueillira au nom de Crépin. S'il voit un long âge, il fêtera tous les ans ses amis, la veille de ce grand jour, et il dira: C'est demain la Saint-Crépin: et alors il ôtera sa manche, et montrera ses cicatrices. Les vieillards oublient; mais quand ils oublieraient tout le reste, ils se souviendront toujours avec orgueil, et se vanteront avec emphase, des exploits qu'ils auront faits en cette journée; et alors nos noms seront aussi familiers dans leur bouche que ceux de leur propre famille. Le roi Henri, Bedford, Exeter, Warwick et Talbot, Salisbury et Glocester seront toujours rappelés de nouveau, et salués à pleines coupes. Le bon vieillard racontera cette histoire à son fils; et d'aujourd'hui à la fin des siècles, ce jour solennel ne passera jamais, qu'il n'y soit fait mention de nous; de nous, petit nombre d'heureux, troupe de frères: car celui qui verse aujourd'hui son sang avec moi sera mon frère. Fût-il né dans la condition la plus vile, ce jour va l'anoblir: et les gentilshommes d'Angleterre, qui reposent en ce moment dans leur lit se croiront maudits de ne s'être pas trouvés ici. Comme ils se verront petits dans leur estime, quand ils entendront parler l'un de ceux qui auront combattu avec nous le jour de Saint-Crépin!
(Entre Salisbury.)
SALISBURY.--Mon souverain, hâtez-vous de vous préparer: les Français sont rangés dans un bel ordre de bataille, et vont nous charger avec impétuosité.
LE ROI.--Tout est prêt, si nos coeurs le sont.
WESTMORELAND.--Périsse l'homme dont le coeur recule en ce moment!
LE ROI.--Quoi, cousin, tu ne souhaites donc pas à présent de nouveaux secours d'Angleterre?
WESTMORELAND.--Par l'esprit de Dieu, mon prince, je voudrais que vous et moi tout seuls, sans autre secours, pussions expédier ce combat!
LE ROI.--Allons, tu viens de rétracter ton voeu et de retrancher cinq mille hommes, et cela me plaît bien plus que de nous en souhaiter un seul de plus. (A tous les chefs.) Vous connaissez tous vos postes: Dieu soit avec vous!
(Fanfares. Entre Montjoie.)
MONTJOIE.--Une seconde fois, je viens savoir de toi, roi Henri, si tu veux à présent composer pour ta rançon, avant ta ruine certaine: car, tu n'en peux douter, tu es si près de l'abîme, que tu ne peux éviter d'y être englouti. De plus, par pitié, le connétable te prie d'avertir ceux qui te suivent de songer à se repentir de leurs fautes, afin que leurs âmes puissent, dans une douce et paisible retraite, sortir de ces plaines, où les corps de ces infortunés doivent rester gisants et pourrir.
LE ROI.--Qui t'a envoyé cette fois?
MONTJOIE.--Le connétable de France.
LE ROI.--Je te prie, reporte-lui ma première réponse: dis-leur qu'ils achèvent ma ruine, et qu'alors ils vendent mes ossements. Grand Dieu! pourquoi prennent-ils à tâche d'insulter ainsi des hommes infortunés? Celui qui jadis vendit la peau du lion, tandis que l'animal vivait encore, fut tué en le chassant. Nombre de nos corps, je n'en doute point, trouveront leur tombeau dans le sein de leur patrie; et je me flatte qu'au-dessus d'eux, le bronze attestera aux siècles futurs l'ouvrage de cette journée; et ceux qui laisseront leurs honorables ossements dans la France, mourant en hommes courageux, quoique ensevelis dans votre fange, y trouveront la gloire: le soleil viendra les y saluer de ses rayons, et exaltera leur honneur jusqu'aux cieux: il ne vous restera que les parties terrestres pour infecter votre climat et enfanter une peste sur la France 32. Songe bien à la bouillante valeur de nos Anglais: quoique mourante, comme un boulet amorti qui ne fait plus que glisser sur le sable, elle se relève et détruit encore dans son nouveau cours; ses derniers bonds donnent une mort aussi fatale. Laisse-moi te parler fièrement.--Dis au connétable que nous sommes des guerriers mal vêtus comme en un jour de travail; que notre éclat et notre dorure sont ternis par une marche pénible, pendant la pluie, dans vos sillons. Il ne reste pas dans notre armée, et c'est, je pense, une assez bonne preuve que nous ne fuirons pas, une seule plume aux panaches, et le temps et l'action ont usé notre parure guerrière. Mais, par la messe, nos coeurs sont parés, et mes pauvres soldats me promettent qu'avant que la nuit vienne, ils seront vêtus de robes fraîches et nouvelles, ou qu'ils arracheront ces panaches neufs et brillants qui ornent la tête des Français, et qu'ils les mettront hors d'état de servir. S'ils tiennent leur parole, comme ils la tiendront, s'il plaît à Dieu, ma rançon alors sera facile à recueillir. Héraut, épargne tes peines. Officieux héraut, ne viens plus me parler de rançon: ils n'en auront point d'autre, je le jure, que ces membres; et s'ils les ont dans l'état où je compte les laisser, ils n'en retireront pas grande valeur: annonce-le au connétable.
Note 32: (retour)Cette idée n'est pas particulière à Shakspeare; il se rencontre ici avec Lucain, liv. VII, v. 821:
Quid fugis hanc cladem? quid olentes deseris agros?
Has trahe, Cæsar, aquas; hoc, si potes, utere coelo.
Sed tibi tabentes populi Pharsalica rura
Eripiunt, camposque tenent victore fugato.
Corneille a imité ce passage dans Pompée:
.............................................de chars
Sur ses champs empestés confusément épars;
Ces montagnes de morts, privés d'honneurs suprêmes,
Que la nature force à se venger eux-mêmes;
Et de leurs troncs pourris exhalent dans les vents
De quoi faire la guerre au reste des vivants.
Voltaire, dans sa lettre à l'Académie française, oppose les vers qui précèdent à un passage de Shakspeare, mais il s'est prudemment arrêté à ce vers que nous venons de citer. (Steevens.) ]
MONTJOIE.--Je le ferai, roi Henri; et je prends congé de toi: tu n'entendras plus la voix du héraut.
(Il sort.)
LE ROI.--Et moi, j'ai bien peur que tu ne reviennes encore parler de rançon.
(Entre le duc d'York.)
YORK.--Mon souverain, je vous demande à genoux la grâce de conduire l'avant-garde.
LE ROI.--Conduis-la, brave York. Allons, soldats, marchons en avant.--Et toi, grand Dieu, dispose à ta volonté de cette journée!
(Ils sortent.)
SCÈNE IV
Le champ de bataille. Bruits de guerre, combats, etc.
Arrivent PISTOL, UN SOLDAT FRANÇAIS, ET l'ancien PAGE de Falstaff.
PISTOL.--Rends-toi, canaille!
LE SOLDAT FRANÇAIS.--Je pense que vous êtes le gentilhomme de bonne qualité.
PISTOL.--Qualité, dis-tu?--Es-tu gentilhomme? Comment t'appelles-tu? Réponds-moi?
LE SOLDAT FRANÇAIS.--O Seigneur Dieu!
PISTOL.--O Seigneur Diou doit être un gentilhomme! Fais bien attention à ce que je te vais dire, ô Seigneur Diou, et observe-le. Tu meurs par l'épée, à moins, ô Seigneur Diou, que tu ne me donnes une grosse rançon.
LE SOLDAT FRANÇAIS.--Oh! prenez miséricorde.--Ayez pitié de moi.
PISTOL.--Moy ne fera pas mon affaire; il m'en faut quarante moys 33, ou bien je t'arracherai les entrailles sanglantes.
LE SOLDAT FRANÇAIS.--Est-il impossible d'échapper à la force de ton bras?
PISTOL.--Brass! Roquet! Quoi, du cuivre? Tu m'offres du cuivre à présent, maudit bouc des montagnes?
LE SOLDAT FRANÇAIS.--Oh! pardonnez-moi!
PISTOL.--Ah! est-ce là ce que tu veux dire? Est-ce là une tonne de moys? Écoute un peu ici, page, demande pour moi à ce vil Français comment il s'appelle.
LE PAGE, au Français.--Écoutez: comment êtes-vous appelé?
LE SOLDAT FRANÇAIS.--Monsieur le Fer.
LE PAGE.--Il dit qu'il s'appelle Monsieur Fer.
PISTOL.--Monsieur Fer! Ah! par Dieu, je le ferrerai, je le ferlherai, je le ferrèterai. Rends-lui cela en français.
LE PAGE.--Je ne sais pas ce que c'est que ferrer, ferreter et ferlher en français.
PISTOL.--Dis-lui qu'il se prépare; car je vais lui couper le cou.
LE SOLDAT FRANÇAIS, au page.--Que dit-il, Monsieur?
LE PAGE.--Il me commande de vous dire que vous faites-vous prêt: car ce soldat-ci est disposé, tout à cette heure, à couper votre gorge.
PISTOL.--i, couper gorge, par ma foi, paysan, à moins que tu ne me donnes des écus, et de bons écus, ou je te mets en pièces avec cette épée que voilà.
LE SOLDAT FRANÇAIS.--Oh! je vous supplie, pour l'amour de Dieu, de me pardonner. Je suis un gentilhomme de bonne maison: gardez ma vie, et je vous donnerai deux cents écus.
PISTOL.--Qu'est-ce qu'il dit?
LE PAGE.--Il vous prie d'épargner sa vie, parce qu'il est un homme de bonne famille, et qu'il vous donnera, pour sa rançon, deux cents écus.
PISTOL.--Dis-lui que ma fureur s'apaisera, et que je prendrai ses écus.
LE SOLDAT FRANÇAIS.--Petit monsieur, que dit-il?
LE PAGE.--Encore qu'il est contre son jurement de pardonner aucun prisonnier: néanmoins, pour les écus que vous promettez, il est content de vous donner la liberté et le franchissement.
LE SOLDAT FRANÇAIS.--Sur mes genoux, je vous donne mille remercîments, et je m'estime heureux d'être tombé entre les mains d'un chevalier, je pense, le plus brave, et le plus distingué seigneur de l'Angleterre.
PISTOL.--Interprète-moi cela, page.
LE PAGE.--Il dit qu'il vous fait à genoux mille remercîments, et qu'il s'estime très-heureux d'être tombé entre les mains d'un seigneur, à ce qu'il croit, le plus brave, le plus généreux et le plus distingué de toute l'Angleterre.
PISTOL.--Comme il est vrai que je respire, je veux montrer quelque clémence. Allons, suis-moi!
LE PAGE.--Suivez, vous, le grand capitaine. (Le soldat et Pistol s'en vont.) Je n'ai, ma foi, encore jamais vu une voix aussi bruyante sortir d'un coeur aussi vide: aussi cela vérifie bien le proverbe qui dit: Que les tonneaux vides sont les plus sonores. Bardolph et Nym avaient cent fois plus de courage que ce diable de hurleur qui, comme celui de nos antiques farces, se rogne les ongles avec un poignard de bois. Tout le monde en peut faire autant. Ils sont pourtant tous deux pendus: et il y a longtemps que celui-ci aurait été leur tenir compagnie, s'il osait voler quelque chose sans regarder derrière lui. Il faut donc que je reste, moi, avec les goujats qui ont la garde du bagage de notre camp. Les Français feraient un beau butin sur nous, s'ils le savaient; car il n'y a personne pour le garder que des enfants.
(Il sort.)
SCÈNE V
Autre partie du champ de bataille. Bruits de guerre.
LE CONNÉTABLE, LE DUC D'ORLÉANS, BOURBON LE DAUPHIN ET RAMBURE.
LE CONNÉTABLE.--O diable!
LE DUC D'ORLÉANS.--Ah! seigneur! le jour est perdu, tout est perdu!
LE DAUPHIN.--Mort de ma vie! tout est détruit: tout! La honte se pose avec un rire moqueur sur nos panaches, et nous couvre d'un opprobre éternel. O méchante fortune!--Ne nous abandonne pas.
(Bruit de guerre d'un moment.)
LE CONNÉTABLE.--Allons, tous nos rangs sont rompus.
LE DAUPHIN.--O honte qui ne passera point! Poignardons-nous nous-mêmes. Sont-ce là ces misérables soldats dont nous avons joué le sort aux dés?
LE DUC D'ORLÉANS.--Est-ce là le roi à qui nous avons envoyé demander sa rançon?
BOURBON.--Opprobre! éternel opprobre! Partout la honte!--Mourons à l'instant.--Retournons encore à la charge; et que celui qui ne voudra pas suivre Bourbon se sépare de nous, et aille, son bonnet à la main comme un lâche entremetteur, se tenir à la porte pendant qu'un esclave aussi grossier que mon chien souille de ses embrassements la plus belle de ses filles.
LE CONNÉTABLE.--Que le désordre, qui nous a perdus, nous sauve maintenant! Allons par pelotons offrir notre vie à ces Anglais.
LE DUC D'ORLÉANS.--Nous sommes encore assez d'hommes vivants dans cette plaine pour étouffer les Anglais dans la presse, au milieu de nous, s'il est possible encore de rétablir un peu d'ordre.
BOURBON.--Au diable l'ordre, à présent!--Je vais me jeter dans le fort de la mêlée. Abrégeons la vie: autrement notre honte durera trop longtemps.
(Ils sortent.)
SCÈNE VI
Autre partie du champ de bataille.
Bruits de guerre. LE ROI HENRI entre avec ses soldats, puis EXETER et suite.
LE ROI.--Nous nous sommes conduits à merveille, braves compatriotes: mais tout n'est pas fait; les Français tiennent encore la plaine.
EXETER.--Le duc d'York se recommande à Votre Majesté.
LE ROI.--Vit-il, ce cher oncle? Trois fois, dans l'espace d'une heure, je l'ai vu terrassé, et trois fois se relever et combattre. De son casque à son éperon, il n'était que sang.
EXETER.--C'est en cet état, le brave guerrier, qu'il est couché, engraissant la plaine; et à ses côtés sanglants est aussi gisant le noble Suffolk, compagnon fidèle de ses honorables blessures! Suffolk a expiré le premier et York, tout mutilé, se traîne auprès de son ami, se plonge dans le sang figé où baigne son corps, et soulevant sa tête par sa chevelure, il baise les blessures ouvertes et sanglantes de son visage, et lui crie: «Arrête encore, cher Suffolk, mon âme veut accompagner la tienne dans son vol vers les cieux. Chère âme, attends la mienne; elles voleront unies ensemble, comme dans cette plaine glorieuse et dans ce beau combat, nous sommes restés unis en chevaliers.» Au moment où il disait ces mots, je me suis approché et je l'ai consolé. Il m'a souri, m'a tendu sa main, et serrant faiblement la mienne, il m'a dit:--Cher lord, recommande mes services à mon souverain. Ensuite il s'est retourné, et il a jeté son bras blessé autour du cou de Suffolk, et a baisé ses lèvres; et ainsi marié à la mort, il a scellé de son sang le testament de sa tendre amitié, qui a si glorieusement fini. Cette noble et tendre scène m'a arraché ces pleurs que j'aurais voulu étouffer; mais j'ai perdu le mâle courage d'un homme; toute la faiblesse d'une femme a amolli mon âme, et a fait couler de mes yeux un torrent de larmes.
LE ROI.--Je ne blâme point vos armes; car, à votre seul récit, il me faut un effort pour contenir ces yeux couverts d'un nuage, et prêts à en verser aussi. (Un bruit de guerre.) Mais écoutons! Quelle est cette nouvelle alarme? Les Français ont rallié leurs soldats épars! Allons, que chaque soldat tue ses prisonniers. Donnez-en l'ordre dans les rangs.
(Ils sortent.)
SCÈNE VII
Autre partie du champ de bataille.
On voit entrer FLUELLEN ET GOWER.
FLUELLEN.--Comment! on a tué les enfants et le bagage! C'est contre les lois expresses de la guerre; c'est un trait de bassesse aussi grand, voyez-vous, qu'on en puisse offrir dans le monde. En votre conscience, là, n'est-ce pas?
GOWER.--Il est certain qu'il n'est pas resté un seul de ces jeunes enfants en vie; et ce sont ces infâmes poltrons qui se sauvent de la bataille qui ont fait ce carnage: ils ont encore, outre cela, brûlé ou emporté tout ce qui était dans la tente du roi; aussi le roi a-t-il, très à propos, ordonné à chaque soldat d'égorger chacun leurs prisonniers. Oh! c'est un brave roi!
FLUELLEN.--Il est né à Monmouth, capitaine Gower. Comment appelez-vous la ville où Alexandre le gros est né?
GOWER.--Alexandre le Grand, vous voulez dire?
FLUELLEN.--Quoi, je vous prie, est-ce que le gros et le grand ne sont pas la même chose? Le gros, ou le grand, ou le puissant, ou le magnanime, reviennent toujours au même, sinon que la phrase varie un peu.
GOWER.--Je crois qu'Alexandre le Grand est né en Macédoine. Son père s'appelait.... Philippe de Macédoine, à ce que je crois.
FLUELLEN.--Je crois aussi que c'est en Macédoine qu'Alexandre est né. Je vous dirai, capitaine, si vous cherchez dans les cartes du monde, je vous assure que vous trouverez, en comparant Macédoine avec Monmouth, que leur situation, voyez-vous, sont toutes deux les mêmes. Il y a une rivière en Macédoine, il y en a une aussi à Monmouth. Celle de Monmouth s'appelle Wye; mais pour le nom de l'autre rivière, cela m'a passé de la cervelle; mais ça n'y fait rien; c'est aussi semblable l'un à l'autre, comme mes doigts sont avec mes doigts, et elles ont toutes deux du saumon. Si vous faites bien attention à la vie d'Alexandre, la vie de Henri de Monmouth lui ressemble passablement bien aussi, dans ses rages et dans ses furies, et dans ses emportements et dans ses colères, et dans ses humeurs et dans ses chagrins, et dans ses indignations; et aussi étant un peu enivré dans sa cervelle, il a, dans son vin et sa fureur, tué son meilleur ami Clitus.
GOWER.--Notre roi ne lui ressemble pas en ce cas-là; car il n'a jamais tué aucun de ses amis.
FLUELLEN.--Cela n'est pas bien de votre part, voyez-vous, de m'arracher la parole de la bouche avant que mon conte soit fait et fini. Je ne parle qu'en figures et en comparaisons de l'histoire: de même qu'Alexandre tua son ami Clitus étant dans son vin et à boire, de même aussi Henri Monmouth, étant dans son bon sens et sain de jugement, a chassé le gros et gras baron, qui avait ce gros ventre, celui qui était si plein de bons mots, de plaisanteries, de bons tours et de bouffonneries.... j'ai oublié son nom....
GOWER.--Quoi! le chevalier Falstaff?
FLUELLEN.--Précisément, c'est lui-même. Je vous dis qu'il y a de braves gens nés à Monmouth.
GOWER.--Voilà Sa Majesté.
(Bruit de guerre. Entrent le roi Henri, Warwick, Glocester, Exeter, Fluellen, etc. Fanfare.)
LE ROI.--Depuis que j'ai posé le pied en France, je ne me suis senti en colère que dans cet instant. Prends ta trompette, héraut: vole à ces cavaliers que tu vois là-bas sur la colline. S'ils veulent combattre, dis leur de descendre, sinon qu'ils évacuent la plaine: leur vue nous offense. S'ils ne veulent prendre ni l'un ni l'autre parti, nous irons les trouver, et nous les précipiterons de cette colline, aussi rapidement que la pierre lancée par les frondes de l'antique Assyrie. En outre, nous couperons la gorge de ceux que nous avons ici, et pas un de ceux que nous prendrons ne trouvera miséricorde.--Va le leur dire.
(Entre Montjoie.)
EXETER.--Voici le héraut de France, mon prince, qui vient vers nous.
GLOCESTER.--Son regard est plus humble que de coutume.
LE ROI.--Quoi donc! Que veut dire ceci, héraut? Ne sais-tu pas que j'ai dévoué ces ossements au payement de ma rançon? Viens-tu encore me parler de rançon?
MONTJOIE.--Non, grand roi. Je viens te demander, au nom de l'humanité, la permission de parcourir cette plaine sanglante, d'y compter nos morts pour les ensevelir, et séparer les nobles des morts vulgaires. Car les vils paysans baignent leurs membres dans le sang des princes; et nombre de princes, ô malédiction sur cette journée! sont noyés dans un sang vil et mercenaire, tandis que leurs coursiers, blessés et enfoncés jusqu'au poitrail dans le sang, s'indignent, et dans leur fureur, foulent sous leurs pieds armés de fer leurs maîtres déjà morts, et les tuent deux fois. O permets-nous, grand roi, d'errer en sûreté dans la plaine, et de disposer de leurs cadavres!
LE ROI.--Je te dirai franchement, héraut, que je ne sais pas si la victoire est à nous, ou non; car je vois encore de nombreux escadrons de vos cavaliers galoper sur la plaine.
MONTJOIE.--La victoire est à vous.
LE ROI.--Louanges en soient rendues à Dieu, et non pas à notre force!--Comment appelle-t-on ce château, qui est tout près d'ici?
MONTJOIE.--On l'appelle Azincourt.
LE ROI.--Nous nommerons donc ce combat la bataille d'Azincourt, donnée le jour des saints Crépin et Crépinien.
FLUELLEN.--Plaise à Votre Majesté, votre grand-père, de fameuse mémoire, et votre grand-oncle, Edouard le Noir, prince de Galles, à ce que j'ai lu dans les chroniques, ont soutenu une bien brave bataille ici en France.
LE ROI.--Il est vrai, Fluellen.
FLUELLEN.--Votre Majesté dit bien vrai. Si Votre Majesté s'en souvient, les Gallois ont été bien utiles dans un jardin où il y avait des poireaux, en portant des poireaux à leurs bonnets à la Monmouth; ce que Votre Majesté sait bien être encore aujourd'hui une marque honorable de ce service-là; et je crois bien aussi que Votre Majesté ne dédaigne pas, sans doute, de porter aussi le poireau à la Saint-David.
LE ROI.--Je le porte, sans doute, en signe d'un honneur mémorable; car je suis Gallois aussi moi-même, vous le savez, mon cher compatriote.
FLUELLEN.--Toute l'eau de la rivière Wye ne laverait pas le sang gallois qui coule dans les veines de Votre Majesté; je peux vous dire cela. Dieu vous bénisse, et vous conserve autant qu'il plaira à Sa Grâce et à Sa Majesté aussi.
LE ROI.--Je te rends grâces, mon cher compatriote.
FLUELLEN.--Par mon Jésus! je suis le compatriote de Votre Majesté, le sache qui voudra; je l'avouerai à toute la terre, je n'ai pas lieu de rougir de Votre Majesté. Dieu soit loué, tant que Votre Majesté sera un honnête homme.
LE ROI.--Dieu veuille me conserver tel. (Montrant le héraut de France.) Que nos hérauts l'accompagnent. Rapportez-moi au juste le nombre des morts de l'une et l'autre armée. (Le roi montrant Williams.) Qu'on m'appelle ce soldat que voilà.
EXETER.--Soldat, venez parler au roi.
LE ROI.--Soldat, pourquoi portes-tu ce gant à ton chapeau?
WILLIAMS.--Sous le bon plaisir de Votre Majesté, c'est le gage d'un homme avec lequel je dois me battre, s'il est encore en vie.
LE ROI.--Est-ce un Anglais?
WILLIAMS.--Sous le bon plaisir de Votre Majesté, c'est un drôle avec qui j'ai eu dispute la nuit dernière, et à qui, s'il est en vie et si jamais il ose réclamer ce gant-là, j'ai juré d'appliquer un soufflet; ou bien, si je puis apercevoir mon gant à son bonnet, comme il a juré foi de soldat qu'il l'y porterait (s'il est en vie), je le lui ferai sauter de la tête d'une belle manière.
LE ROI.--Que pensez-vous de ceci, capitaine Fluellen?--Est-il à propos que ce soldat tienne son serment?
FLUELLEN.--C'est un fanfaron et un lâche s'il ne le fait pas; plaise à Votre Majesté, en conscience.
LE ROI.--Peut-être que son ennemi est un homme d'un rang supérieur, qui n'est pas dans le cas de lui faire raison.
FLUELLEN.--Quand il serait aussi bon gentilhomme que le diable, que Lucifer et Belzébuth lui-même, il est nécessaire, voyez-vous, sire, qu'il tienne son voeu et son serment. S'il se parjurait, voyez-vous, sa réputation serait celle d'un insigne poltron, comme il est vrai que son soulier noir a foulé la terre de Dieu, sur mon âme et conscience.
LE ROI.--Cela étant, tiens ton serment, soldat, quand tu rencontreras ce drôle-là.
WILLIAMS.--Aussi ferai-je, sire, comme il est vrai que je vis.
LE ROI.--Sous qui sers-tu?
WILLIAMS.--Sous le capitaine Gower, sire.
FLUELLEN.--Gower est un bon capitaine, et qui a son bon savoir et une bonne littérature dans la guerre.
LE ROI.--Va le chercher, soldat, et me l'amène.
WILLIAMS.--J'y vais, sire.
(Williams sort.)
LE ROI.--Tiens, Fluellen, porte cette faveur pour moi, et mets-la à ton chapeau. Tandis qu'Alençon et moi nous étions par terre, j'ai arraché ce gant de son casque. Si quelqu'un le réclame, il faut que ce soit un ami d'Alençon, et notre ennemi par conséquent: ainsi, si tu le rencontres, arrête-le si tu m'aimes.
FLUELLEN.--Votre Grâce me fait un aussi grand honneur que puisse en désirer le coeur de ses sujets. Je voudrais, de toute mon âme, trouver l'homme planté sur deux jambes qui se trouvera offensé à la vue de ce gant: voilà tout; mais je voudrais bien le voir une fois. Dieu veuille, de sa grâce, que je le voie!
LE ROI.--Connais-tu Gower?
FLUELLEN.--C'est mon cher ami, sous le bon plaisir de Votre Majesté.
LE ROI.--Je t'en prie, va donc le chercher, et amène-le à ma tente.
FLUELLEN.--Je pars.
LE ROI.--Lord Warwick, et vous, mon frère Glocester, suivez de près Fluellen: le gant que je lui ai donné comme une faveur pourrait bien lui attirer un affront. C'est le gant d'un soldat que je devrais, d'après la convention, porter moi-même. Suivez-le, cousin Warwick. Si le soldat le frappait, comme je présume à son maintien brutal qu'il tiendra sa parole, il pourrait en arriver quelque malheur soudain; car je connais Fluellen pour un homme courageux et, quand on l'irrite, vif comme le salpêtre: il sera prompt à lui rendre injure pour injure. Suivez-le, et veillez à ce qu'il n'arrive aucun malheur entre eux deux. Venez avec moi, vous, mon oncle Exeter.
SCÈNE VIII
Devant la tente du roi.
Entrent GOWER ET WILLIAMS.
WILLIAMS.--Je gage que c'est pour vous faire chevalier, capitaine.
(Arrive Fluellen.)
FLUELLEN.--La volonté de Dieu soit faite et son bon plaisir. Capitaine, je vous supplie, venez-vous-en bien vite chez le roi; il se prépare peut-être plus de bien pour vous par hasard, que vous ne sauriez vous imaginer.
WILLIAMS.--Monsieur, connaissez-vous ce gant-là?
FLUELLEN.--Ce gant-là? Je sais que ce gant est un gant.
WILLIAMS.--Et moi, je connais celui-ci, et voilà comme je le réclame.
(Il le frappe.)
FLUELLEN.--Sang-Dieu! voilà un traître s'il y en a un dans le monde universel, en France ou en Angleterre.
GOWER.--O Dieu! qu'est-ce qu'il y a donc? (A Williams.) Vous, misérable....
WILLIAMS.--Croyez-vous que je veuille être parjure?
FLUELLEN.--Retirez-vous, capitaine Gower; je m'en vais le traiter, le traître, comme il le mérite, et je l'arrangerai d'importance, je vous assure.
WILLIAMS.--Je ne suis point un traître.
FLUELLEN.--C'est un mensonge: qu'il t'étrangle. Je vous ordonne à vous présent, et au nom de Sa Majesté, de l'arrêter. C'est un ami du duc d'Alençon.
(Entrent Warwick et Glocester.)
WARWICK.--Qu'est-ce que c'est? Qu'y a-t-il donc là? De quoi s'agit-il?
FLUELLEN.--Monseigneur, voilà, Dieu soit béni, une des plus contagieuses trahisons qui vient de se découvrir, voyez-vous, que vous puissiez voir dans le plus beau jour d'été.--Voici Sa Majesté.
(Entrent le roi Henri et Exeter.)
LE ROI.--Comment? De quoi s'agit-il donc ici?
FLUELLEN.--Sire, voici un scélérat, un traître, qui a, voyez-vous, sire, frappé le gant que Votre Majesté a arraché du casque d'Alençon.
WILLIAMS.--Sire, c'était là mon gant, car voilà le pareil, et celui à qui je l'ai donné en échange m'a promis de le porter à son bonnet: je lui ai promis de le frapper s'il osait le faire; j'ai rencontré cet homme avec mon gant à son bonnet, et j'ai tenu ma parole.
FLUELLEN.--Or, écoutez à présent, sire, sous le bon plaisir de votre vaillance, quel misérable maraud c'est là. J'espère que Votre Majesté assurera, attestera, témoignera, et protestera bien, que c'est là le gant d'Alençon que Votre Majesté m'a donné, en votre conscience, là.
LE ROI.--Donne-moi ton gant, soldat; vois-tu, voilà le pareil. C'est moi, je te l'assure, que tu as promis de frapper, et tu peux te ressouvenir que tu t'es servi de termes très-durs à mon égard.
FLUELLEN.--Eh bien, plaise à Votre Majesté, que la tête en réponde s'il y a des lois martiales dans le monde.
LE ROI.--Comment peux-tu me faire satisfaction pour cette offense?
WILLIAMS.--Toutes les offenses, mon prince, viennent du coeur, et je proteste qu'il n'est jamais rien sorti du mien qui puisse offenser Votre Majesté.
LE ROI.--C'est nous-même cependant que tu as insulté.
WILLIAMS.--Vous ne vous êtes pas présenté alors sous les traits de Votre Majesté; vous ne m'avez paru que comme un soldat ordinaire, témoin la nuit qu'il faisait, votre uniforme et votre air soumis; et ce que Votre Altesse a souffert sous cette forme, je vous supplie de le regarder comme votre faute et non comme la mienne; car si vous eussiez été ce que je vous croyais, il n'y avait point d'offense: c'est pourquoi je supplie Votre Altesse de me pardonner.
LE ROI.--Tenez, mon oncle Exeter, remplissez ce gant d'écus, et donnez-le à ce soldat.--Garde-le, soldat, et porte-le à ton bonnet comme une marque d'honneur, jusqu'à ce que je le réclame: donnez-lui les écus. (A Fluellen.) Et vous, capitaine, il faut être aussi de ses amis.
FLUELLEN.--Par ce jour et par cette lumière, ce drôle-là a du courage et du feu dans le ventre. Tiens, voilà un écu pour toi, et je te recommande de servir bien Dieu, et de te préserver des brouilleries, des vacarmes et des querelles, et des discussions, et je t'assure que tu t'en trouveras mieux.
WILLIAMS.--Je ne veux point de votre argent.
FLUELLEN.--C'est de bon coeur: moi je te dis que cela te servira pour raccommoder ton havre-sac: allons, pourquoi faire le honteux comme cela? Ton havre-sac n'est déjà pas si bon. C'est un bon écu, je t'assure, ou bien attends, je le changerai.
(Entre un héraut.)
LE ROI.--Eh bien, héraut, les morts sont-ils comptés?
LE HÉRAUT.--Voici la liste de ceux de l'armée française.
LE ROI.--Digne oncle, quels sont les prisonniers de marque que nous avons faits?
EXETER.--Charles, duc d'Orléans, neveu du roi; Jean, duc de Bourbon, et le seigneur Boucicaut, et des autres seigneurs, barons, chevaliers, gentilshommes, quinze cents, sans compter les soldats.
LE ROI.--Cette liste porte dix mille Français morts restés sur le champ de bataille. Dans ce nombre, il y en a cent vingt-six, tant princes que nobles, portant bannière; ajoutez huit mille quatre cents, tant chevaliers, écuyers et autres guerriers distingués, dont il y en a cinq cents qui n'ont été faits chevaliers que d'hier; en sorte que, dans les dix mille hommes qu'ils ont perdus, il n'y a que six cents mercenaires: le reste sont tous princes, barons, seigneurs, chevaliers, écuyers et gentilshommes de naissance et de qualité. Les noms de leurs nobles qui ont été tués: Charles d'Albret, grand connétable de France; Jacques Châtillon, amiral de France; le grand maître des arbalétriers; le seigneur Rambure; le brave Guichard Dauphin, grand maître de France; Jean, duc d'Alençon; Antoine, duc de Brabant, frère du duc de Bourgogne; Edouard, duc de Bar; parmi les hauts comtes: Grandpré, Roussi, Fauconberg et de Foix, Beaumont, Merle, Vaudemont et Lestrelles. Voilà une société de morts illustres.--Où est la liste des morts anglais? (Le héraut lui présente un autre papier.) Edouard, duc d'York; le comte de Suffolk; sir Richard Kelty; David Gam, écuyer, point d'autre de marque; et des soldats, vingt-cinq en tout. O Dieu du ciel! ton bras s'est signalé ici; et c'est à toi seul, et non pas à nous, que nous devons rendre tout l'honneur de cette journée! Quand jamais a-t-on vu, dans la mêlée d'une bataille rangée, et sans ruse ni stratagème, une si grande perte d'un côté, une si légère de l'autre? Prends-en tout l'honneur, grand Dieu, car il t'appartient tout entier.
EXETER.--Cela est miraculeux!
LE ROI.--Allons, marchons en procession au village prochain, et proclamons dans notre armée la défense, sous peine de mort, de se vanter de cette victoire, et d'en enlever à Dieu l'hommage; il n'appartient qu'à lui seul.
FLUELLEN.--Ne peut-on pas sans crime, s'il plaît à Votre Majesté, dire le nombre des morts?
LE ROI.--Oui, capitaine; mais avec l'aveu que Dieu a combattu pour nous.
FLUELLEN.--Oui, sur ma conscience, il nous a fait grand bien.
LE ROI.--Remplissons tous les devoirs religieux. Qu'on chante le Non nobis 34 et le Te Deum. Après avoir pieusement enseveli les morts, nous marcherons vers Calais, et de là en Angleterre, où jamais n'abordèrent de France des mortels plus fortunés que nous.
(Ils sortent.)
FIN DU QUATRIÈME ACTE.
ACTE CINQUIÈME
LE CHOEUR.
Permettez, vous qui n'avez pas lu l'histoire, que je vous en retrace les événements; et vous qui la connaissez, pardonnez mes écarts sur les temps, le nombre et l'ordre exact des faits, qui ne peuvent être présentés ici dans leurs vastes détails, et leur vivante réalité.--Maintenant c'est vers Calais que nous transportons Henri. Admettez-le dans le port, et ensuite portez-le sur l'aile de vos pensées au travers des mers: voyez autour du rivage anglais cette large ceinture d'hommes, de femmes et d'enfants, dont les acclamations et les applaudissements surmontent la vaste voix de l'Océan; et l'Océan, qui, comme un puissant héraut, semble lui préparer sa route: voyez le roi descendre au milieu de son peuple, et s'avancer en pompe solennelle vers Londres. La pensée court d'un pas si rapide, que vous pouvez déjà le suivre sur Blackheath. Là ses lords lui demandent de porter devant lui, jusqu'à la cité, son casque brisé, et son épée ployée dans le combat. Exempt de vanité et d'orgueil, il défend cet honneur, et se refuse tout trophée, tout appareil, toute ostentation de gloire, pour les réserver à Dieu seul. Mais animez encore la forge active et l'atelier de la pensée, et voyez avec quelle impétuosité Londres verse les flots de ses habitants; voyez sortir de ses portes le lord maire et tous ses collègues, dans leur plus riche parure; semblables aux sénateurs de l'antique Rome; suivent les plébéiens en foule pressée, pour aller recevoir en triomphe leur conquérant César; ou bien, par une image moins grande, mais gracieuse pour nous, figurez-vous le général de notre souveraine 35 revenant aujourd'hui, comme il pourra revenir dans un temps heureux, des terres de l'Irlande, portant sur son glaive les trophées de la rébellion domptée. O quelle multitude immense quitterait le sein paisible de Londres pour courir saluer son retour glorieux! Plus grande était la foule qui volait au-devant de Henri, et plus grande aussi fut sa victoire. A présent, placez-le dans le palais de Londres, où l'humble plainte des Français gémissants invite le roi d'Angleterre à établir son séjour; où l'empereur, s'intéressant pour la France, vient régler les articles de la paix; franchissez tous les événements qui se succédèrent jusqu'au retour de Henri en France: c'est là qu'il faut le ramener. Moi-même j'ai employé l'intervalle à vous rappeler.... qu'il est passé. Souffrez donc cette abréviation; et que vos yeux, suivant le vol de vos idées, reportent leurs regards sur la France.
SCÈNE I
France.--Corps de garde anglais.
FLUELLEN ET GOWER.
GOWER.--Oh! pour cela vous avez raison: mais pourquoi portez-vous encore votre poireau à votre chapeau? La Saint-David est passée.
FLUELLEN.--Il y a des occasions et des causes, des pourquoi dans toutes choses. Tenez, je vous le dirai en ami, capitaine Gower, ce coquin, ce misérable mendiant, ce fanfaron, ce pendard de Pistol, que vous, vous-même, comme tout le monde, savez ne valoir pas mieux qu'un drôle, voyez-vous, qui n'a aucun mérite: eh bien, il est venu à moi hier m'apporter du pain et du sel, voyez-vous, et m'a dit de manger mon poireau. Or, c'était dans un endroit où je ne pouvais pas élever de dispute avec lui; mais je prendrai la liberté de le porter en emblème à mon chapeau, jusqu'à ce que je le retrouve, et puis je lui dirai un petit morceau de mon sentiment.
(Entre Pistol.)
GOWER.--Ma foi, le voilà qui vient en se rengorgeant comme un paon.
FLUELLEN.--Tous ses rengorgements et ses paons n'y font rien.--Dieu vous assiste, vieux Pistol, infâme et misérable vaurien, Dieu vous assiste!
PISTOL.--Ah! sors-tu de Bedlam 36, toi? Est-ce que tu veux, vil Troyen, que je déchire la toile fatale dont la Parque ourdit ta trame. Retire-toi de moi; l'odeur du poireau me donne des vapeurs.
FLUELLEN.--Je vous prie en grâce, monsieur le drôle, l'impertinent, à mon désir, à ma requête et à ma supplique, de manger, voyez-vous, ce poireau: précisément, voyez-vous, parce que vous ne l'aimez pas, et vos affections, vos appétits et vos digestions ne s'accordent point avec cela: je vous prie de vouloir bien le manger.
PISTOL.--Non, pardieu, pour Cadwallader 37, et toutes ses chèvres, je ne le mangerai pas.
FLUELLEN.--Tiens, voilà une chèvre pour toi. (Il le frappe.)--Voudriez-vous avoir la bonté de le manger tout à l'heure?
PISTOL.--Infâme Troyen, tu mourras.
FLUELLEN.--Vous avez raison, maraud; quand il plaira à Dieu: en même temps je vous prierai de vouloir vivre, afin de manger votre dîner. Tiens, voilà un peu d'assaisonnement avec. (Il le frappe.) Vous m'avez appelé hier gentilhomme de montagne; mais je vous ferai aujourd'hui gentilhomme de bas étage. Je vous en prie, commencez donc: pardieu, si vous pouvez bien goguenarder un poireau, vous pouvez bien le manger aussi.
GOWER.--Allons, en voilà assez, capitaine: vous l'avez étourdi du coup.
FLUELLEN.--Je dis que je lui ferai manger ce poireau, ou je lui frotterai la tête quatre jours de suite.--Allons, mordez, je vous en prie, cela fera du bien à votre maladie et à votre crête rouge de fat.
PISTOL.--Quoi! faut-il que je morde?
FLUELLEN.--Oui, sans doute, sans question, et sans ambiguïtés.
PISTOL.--Par ce poireau, je m'en vengerai horriblement. Je mange, mais aussi je jure....
FLUELLEN, tenant la canne levée.--Mangez, je vous prie. Est-ce que vous voudriez encore un peu d'épices pour votre poireau? Il n'y a pas encore là assez de poireau, pour jurer par lui.
PISTOL.--Tiens ta canne en repos; tu vois bien que je mange.
FLUELLEN.--Grand bien te fasse, lâche poltron; c'est de bon coeur.--Oh! mais je vous en prie, n'en jetez pas la moindre miette par terre; la pelure est bonne pour raccommoder votre crête déchirée. Quand vous trouverez l'occasion de voir des poireaux, vous m'obligerez beaucoup de les goguenarder, entendez-vous? Voilà tout.
PISTOL.--Fort bien.
FLUELLEN.--Ah! c'est une bien bonne chose que les poireaux! Tenez, voilà quatre sous pour guérir votre tête.
PISTOL.--A moi, quatre sous!
FLUELLEN.--Oui, certainement; et en vérité vous les prendrez; ou bien j'ai encore un poireau dans ma poche que vous mangerez.
PISTOL.--Je prends tes quatre sous comme des arrhes de vengeance.
FLUELLEN.--Si je vous dois quelque chose, je vous payerai en coups de canne: vous serez marchand de bois, et vous n'achèterez de moi que des bâtons. Dieu vous accompagne, vous conserve et vous guérisse la tête!
(Il sort.)
PISTOL.--Mort de ma vie! je remuerai tout l'enfer pour venger cet affront.
GOWER.--Allez, vous n'êtes qu'un lâche rodomont. Comment osez-vous vous moquer d'une ancienne tradition, qui a pris sa source dans une circonstance honorable, et dont l'emblème se porte aujourd'hui comme un trophée, en mémoire de la mort des braves gens; surtout lorsque vous n'osez pas soutenir vos paroles par vos actions! Je vous ai déjà vu deux ou trois fois badiner, invectiver ce galant homme. Vous avez cru sans doute que, parce qu'il ne pouvait pas parler aussi bon anglais que ceux du pays, il ne saurait pas non plus manier un bâton anglais. Vous voyez aujourd'hui qu'il en est tout autrement. A commencer donc de ce jour, prenez cette correction galloise comme une bonne leçon anglaise. Adieu, portez-vous bien. (Il sort.)
PISTOL, seul.--Est-ce que la Fortune se joue de moi à présent! Je viens d'apprendre que ma chère Hélène est morte à l'hôpital, de la maladie de France, et voilà mon rendez-vous manqué. Je me fais vieux, et l'honneur vient d'être expulsé de mes membres affaiblis, à grands coups de bâton. Eh bien! je m'en vais me faire agent de plaisir, et suivre un peu mon penchant pour couper les bourses avec dextérité. Je m'en irai secrètement en Angleterre, et là je filouterai, et je mettrai des emplâtres sur ces cicatrices, et je jurerai que je les ai attrapées dans les guerres de France.
SCÈNE II
Troyes en Champagne.--Appartement dans le palais du roi de France.
Par une porte entrent LE ROI HENRI, EXETER, BEDFORD, WARWICK, et autres lords anglais; et par l'autre LE ROI DE FRANCE, LA REINE ISABELLE, LA PRINCESSE CATHERINE, LE DUC DE BOURGOGNE et autres seigneurs français.
LE ROI.--Que la paix, qui est l'objet de notre entrevue, y préside!--Santé et bonheur à notre frère de France, et à notre illustre soeur!--Beaux jours et prospérité à notre belle princesse et cousine Catherine! Et vous, membre et rejeton de cette cour, vous dont les soins ont formé cette auguste assemblée, brave duc de Bourgogne, recevez notre salut, et vous aussi, princes et pairs de France.
LE ROI DE FRANCE.--Nous sommes dans la joie de vous voir, digne frère d'Angleterre. Vous êtes le bienvenu! et vous tous aussi, princes anglais.
LA REINE ISABELLE.--Puisse la fin de ce beau jour, ô grand roi! et l'issue de cette gracieuse assemblée, être aussi heureuses, qu'est grande notre joie de vous voir, et d'envisager ces yeux terribles qui ont eu pour les Français qu'ils ont fixés l'effet mortel de ceux du basilic. Nous avons le doux espoir que ces regards ont perdu leur venin, et que ce jour va changer en amour toutes les haines et tous les griefs.
LE ROI.--C'est pour dire amen à ce voeu que nous nous montrons ici.
LA REINE ISABELLE.--Princes de l'Angleterre, je vous salue tous.
LE DUC DE BOURGOGNE.--Vous qui m'êtes également chers, puissants rois de France et d'Angleterre, recevez mes respectueux hommages.--Que j'ai déployé toutes les ressources de mon esprit, prodigué tous mes efforts et tous mes soins, pour amener Vos Majestés à ce rendez-vous royal; c'est ce que vous pouvez attester tous les deux, chacun de votre côté. Puisque ma médiation a réussi à vous rapprocher l'un de l'autre, au point de vous voir face à face, les yeux fixés l'un sur l'autre, qu'on ne me fasse pas un crime de demander, en présence de cette assemblée de rois, quel est donc l'obstacle qui retarde la paix; qui empêche que cette tendre nourrice des arts, de l'abondance et de toutes les productions heureuses, maintenant indigente et nue, et le sein, déchiré de plaies, ne puisse enfin de nouveau montrer ses aimables traits dans ce beau jardin de l'univers, dans notre fertile France? Hélas! depuis trop longtemps elle est bannie de ce royaume, dont toutes les richesses naturelles languissent en groupes informes et stériles, et se corrompent dans leur propre fécondité. Ses vignes, dont les esprits réjouissent le coeur, meurent non émondées. Ses vergers, comme des prisonniers dont la chevelure s'est allongée en désordre, poussent des rameaux entremêlés. Ses terres en friche se couvrent d'ivraie, de ciguë et de triste fumeterre; et le soc, qui devait extirper ces plantes ennemies, se rouille dans le repos. Ses vastes prairies, jadis couronnées d'une agréable moisson de primevères veinées, de pimprenelle, et de trèfle verdoyant, privées aujourd'hui de la faux, sont dégénérées, et n'enfantent que des herbes paresseuses. Rien ne prospère, que l'odieuse bougrande, le chardon épineux, et le vil glouteron: elles ont perdu leur belle et utile parure. Tels que nos vignobles, nos champs, nos prés et nos vergers, qui, dépravés dans leurs qualités natives, ne produisent plus que de sauvages avortons; nous aussi, nos familles et nos enfants, nous avons oublié ou cessé d'apprendre, faute de temps, les sciences, ornement de notre patrie. Nous devenons comme des sauvages, comme des soldats, qui ne méditent plus rien que le sang; livrés aux imprécations grossières, aux regards féroces, au costume barbare de la guerre, et à toutes sortes d'habitudes étranges et indignes de l'homme. C'est pour rétablir les choses dans leur ancien état de splendeur, que vous êtes ici présents; et ce discours est une prière que je vous adresse, pour savoir pourquoi la paix ne repousserait pas tous ces maux et ne nous rendrait pas le bonheur de ses anciennes faveurs.
LE ROI.--Duc de Bourgogne, si vous voulez la paix, dont l'absence laisse le champ libre à tous les vices que vous avez dénombrés, il faut que vous l'achetiez par un consentement sans réserve à toutes nos justes demandes. Vous en avez dans vos mains les articles et les clauses détaillés en peu de mots.
LE DUC DE BOURGOGNE.--Le roi de France en a entendu la lecture, et il n'y a point encore donné sa réponse.
LE ROI.--Eh bien, c'est de sa réponse que dépend la paix que vous sollicitez avec tant d'ardeur.
LE ROI DE FRANCE.--Je n'ai parcouru tous ces articles que d'un oeil rapide. S'il plaît à Votre Grâce de nommer quelques lords parmi ceux qui sont présents à ce conseil, pour les relire avec nous, et les examiner avec plus d'attention, nous allons, sans délai, accepter ce que nous approuvons, et donner sur le reste notre réponse décisive.
LE ROI.--Volontiers, mon frère.--Allez, mon oncle Exeter, et vous aussi, mon frère Glocester; et vous, Warwick, Huntington, suivez le roi; et je vous donne le plein pouvoir de ratifier, d'augmenter, ou de changer, selon que votre prudence le jugera avantageux à notre dignité, tous les articles compris ou non compris dans nos demandes; et nous y apposerons notre sceau royal. (A la reine.) Voulez-vous, aimable soeur, suivre les princes, ou rester avec nous?
LA REINE.--Mon gracieux frère, je vais les suivre. Quelquefois la voix d'une femme peut être utile au bien, lorsque les hommes se débattent trop longtemps sur des articles trop obstinément exigés.
LE ROI.--Du moins laissez-nous notre belle cousine. Catherine est l'objet de notre principale demande, et cet article est le premier de tous.
LA REINE ISABELLE.--Elle est libre de rester.
(Tous sortent excepté Henri, Catherine et sa suivante.)
LE ROI.--Belle Catherine, la plus belle des princesses, voudriez-vous me faire la grâce d'enseigner à un soldat des termes propres à flatter l'oreille d'une dame, et à plaider près de son tendre coeur la cause de l'amour?
CATHERINE.--Votre Majesté se moquerait de moi; je ne saurais parler votre Angleterre.
LE ROI.--O belle Catherine! si vous voulez bien m'aimer de tout votre coeur français, j'aurai bien du plaisir à vous entendre avouer votre amour en mauvais anglais.--M'aimez-vous, Catherine?
CATHERINE.--Pardonnez-moi; je ne saurais dire ce qui me ressemble 38.
LE ROI.--Un ange, Catherine: et vous ressemblez à un ange.
CATHERINE.--Que dit-il, que je suis semblable à ces anges?
ALIX.--Oui vraiment (sauf votre grâce), ainsi dit-il.
LE ROI.--Je l'ai dit, Catherine, et ne rougis point de l'affirmer.
CATHERINE.--Oh! bon Dieu! les langues des hommes sont pleines de tromperies.
LE ROI, à la dame d'honneur.--Que dit-elle, belle dame? que les langues des hommes sont pleines de tromperies?
LA DAME.--Oui, que les langues de les hommes sont pleines de perfidies! Voilà le dire de la princesse.
LE ROI.--La princesse n'en est que meilleure Anglaise. Sur ma foi, ma chère Catherine, ma manière de vous faire la cour va, on ne peut pas mieux, avec votre peu de connaissance dans ma langue. Je suis bien aise que vous ne sachiez pas mieux parler anglais; car, si vous le saviez, vous me trouveriez si uni et si fort sans façon pour un roi, que vous croiriez que je viens de vendre ma ferme pour en acheter ma couronne. Je ne sais ce que c'est que de filer en propos galants une déclaration d'amour; je dis tout rondement, je vous aime; et si vous me pressez, si vous m'en demandez plus que cette question, est-il bien vrai que vous m'aimez? je suis au bout de mon rôle. Donnez-moi votre réponse; là, du coeur; en même temps frappons-nous dans la main, et tout est dit: c'est un marché conclu.--Que répondez-vous, madame?
CATHERINE.--Sauf votre honneur, moi entendre bien vous.
LE ROI.--Sainte Marie! si vous exigiez de moi des vers ou une danse, pour vous plaire, chère Catherine, ma foi, ce serait fait de moi; car pour les vers, je n'ai ni mots ni mesure; et pour la danse je n'ai ni mesure ni cadence, quoique je sois en bonne mesure pour la force. S'il ne fallait pour gagner le coeur d'une dame, que sauter en selle, ma cuirasse sur le dos, sans me vanter, je suis sûr que je ne serais pas long à sauter sur elle: ou bien, s'il était question de combattre pour ma maîtresse, ou de faire volter mon cheval pour obtenir ses faveurs, je me sens en état de m'en tirer aussi bien que le plus hardi, et de me tenir en selle comme un singe. Mais sur mon Dieu, Catherine, je n'entends rien à faire les yeux doux, ni à débiter avec grâce mon éloquence, et je ne sais mettre aucun art dans mes protestations: je ne sais faire que des serments tout ronds, que je ne profère jamais que je n'y sois forcé, mais aussi qu'on ne peut jamais me forcer de violer. Si tu te sens capable, Catherine, d'aimer un cavalier de cette trempe, dont la figure ne craint plus le hâle, qui ne se regarde jamais dans un miroir, pour le plaisir de s'y voir, allons, qu'un coup d'oeil déclare ton choix. Je te parle en soldat: si cette franchise peut t'engager à m'aimer, accepte-moi; sinon, quand je te dirai que je mourrai, cela sera bien vrai un jour; mais que je mourrai d'amour pour toi, pardieu, je mentirais; et cependant je t'aime bien: et tant que tu vivras, chère Catherine, souviens-toi de prendre un époux d'une trempe d'amour toute brute et sans artifice; car alors il faut, de toute nécessité, qu'il te rende ce qui t'appartient, attendu qu'il n'a pas le don d'aller faire sa cour ailleurs. Il est de beaux diseurs, dont la langue ne tarit jamais, et qui ont le talent d'attraper avec des rimes les faveurs des dames; mais leurs beaux discours les en privent bientôt. Après tout, qu'est-ce qu'un beau parleur? un bavard. Les vers? une ballade. Une bonne jambe peut se casser, un dos bien droit se courbera, une barbe bien noire blanchira un jour, une tête bien frisée deviendra chauve, une belle figure se fanera, un oeil bien saillant se creusera; mais un bon coeur, Catherine, vaut le soleil et la lune, on plutôt le soleil et non la lune: car ce coeur brille toujours et ne change jamais dans son cours invariable. Si tu veux un coeur de cette trempe, prends le mien, prends un soldat, prends un roi. Eh bien, que réponds-tu à présent à mon amour? Parlez, ma belle; et avec franchise, je vous en conjure.
CATHERINE.--Est-il possible à moi de aimer le ennemi de France?
LE ROI.--Non; il n'est pas possible, sans doute, que vous aimiez l'ennemi de la France, belle Catherine; mais en m'aimant vous aimeriez l'ami de la France. Car j'aime si bien la France, que je ne me déferai pas d'un seul de ses villages: je veux l'avoir à moi tout entière. Alors, Catherine, quand toute la France m'appartiendra, et que je vous appartiendrai, toute la France sera à vous, et vous serez à moi.
CATHERINE.--Je ne sais ce que c'est que cela.
LE ROI.--Non? Eh bien! Catherine, je vais essayer de vous le dire en mots français, lesquels, j'en suis sûr, vont rester suspendus au bout de ma langue, comme une nouvelle mariée au cou de son époux, c'est-à-dire de façon à ne pouvoir s'en détacher: essayons. Quand j'ai la possession de France, et quand vous avez la possession de moi (attendez.... Quoi?.... Morbleu! saint Denis, aide-moi), donc vôtre est France, et vous estes mienne. Il me serait aussi facile, chère Catherine, de conquérir tout le royaume, que de dire encore autant de français. Je suis sûr que je ne vous engagerai jamais à rien en parlant français, sinon à vous moquer de moi.
CATHERINE.--Sauf votre honneur, le français que vous parlez est meilleur que l'anglais que je parle.
LE ROI.--Non pardieu, Catherine, cela n'est pas vrai; mais il faut avouer que nous parlons tous deux, vous ma langue, et moi la vôtre, on ne peut pas plus faux, et que nous sommes bien de niveau là-dessus. Mais enfin, chère Catherine, entendez-vous au moins assez d'anglais pour comprendre ceci: Peux-tu m'aimer?
CATHERINE.--C'est ce que je ne puis dire.
LE ROI.--Y a-t-il quelqu'un de vos voisins, Catherine, qui puisse m'en instruire? Je les prierai de me le dire.--Allons, je sais que vous m'aimez; et ce soir, quand vous serez retirée dans votre cabinet, vous questionnerez cette dame à mon sujet: et je sais bien encore, Catherine, que les qualités que vous aimerez le mieux en moi sont celles que vous priserez le moins devant elle. Mais, chère Catherine, daigne épargner mes ridicules, d'autant plus, aimable princesse, que je t'aime à la fureur. Si jamais tu es à moi, Catherine (et j'ai en moi une ferme foi, qui me dit que cela sera), comme je t'aurai conquise par la victoire, il faut que tu deviennes une mère féconde de bons soldats. Est-ce que nous ne pourrons pas, toi et moi, entre saint Denis et saint George, former un garçon, moitié français et moitié anglais, qui aille un jour jusqu'à Constantinople et y tire la barbe du Grand-Turc 39. Hem! que dis-tu à cela, ma belle fleur de lis?
CATHERINE.--Je ne sais pas cela.
LE ROI.--Non, pas à présent; c'est dans la suite que tu le sauras: mais aujourd'hui tenons-nous-en à la promesse. Promettez-moi donc seulement, belle Catherine, que de votre côté vous ferez bien votre rôle de Française, pour former un tel héritier; et pour ma moitié anglaise du rôle, recevez ma parole, foi de roi et de garçon, que je saurai m'en acquitter. Que répondez-vous à cela, la plus belle Catherine du monde, ma très-chère et divine déesse?
CATHERINE.--Your majesté have fausse french enough to deceive de most sage demoiselle dat is en France 40.
LE ROI.--Oh! fi de mon mauvais français! Sur mon honneur, en bon anglais je t'aime, chère Catherine. Je n'oserais pas faire le même serment, que tu m'aimes et en jurer aussi par mon honneur: cependant le frémissement de mon coeur commence à me flatter qu'il en est quelque chose, malgré le peu de pouvoir de ma figure. Je maudis en ce moment l'ambition de mon père; c'était un homme qui avait la tête pleine de guerres civiles, quand il m'a engendré: voilà pourquoi j'ai apporté en naissant cet air déterminé, cet aspect d'acier qui fait que, quand je veux courtiser les dames, je leur fais peur; mais au fond, Catherine, plus je vieillirai, et plus je changerai en bien. Ma consolation est que l'âge (ce destructeur de la beauté) ne saurait enlaidir ma figure. Tu m'auras, si tu m'as, dans le pire état où je puisse être; et si tu me supportes, tu me supporteras de mieux en mieux. Ainsi, dis-moi donc, belle Catherine, veux-tu de moi?--Mettez de côté cette rougeur virginale; déclarez les pensées de votre coeur avec le regard décidé d'une impératrice; prenez-moi par la main, et dites: Henri d'Angleterre, je suis à toi; et tu n'auras pas plus tôt enchanté mon oreille de cette douce parole, que je te répondrai à haute voix: Chère Catherine, l'Angleterre est à toi, l'Irlande est à toi, et Henri Plantagenet est à toi; et ce Henri, j'ose le dire en sa présence, s'il n'est pas le meilleur des rois, tu le trouveras le roi des bons garçons. Allons, répondez en musique discordante; car le son de votre voix est une musique, et c'est votre anglais qui détonne. Allons, reine des reines, belle Catherine, ouvre-moi ton coeur quoique en mauvais anglais; dis, veux-tu de moi?
CATHERINE.--C'est comme il plaira au roi mon père.
LE ROI.--Oh! cela lui plaira, Catherine, celui lui plaira.
CATHERINE.--Eh bien, j'en serai contente aussi.
LE ROI.--Oh! cela étant, je vous baise la main, et je vous nomme ma reine.
CATHERINE.--Laissez, mon seigneur, laissez, laissez; sur mon honneur, je ne souffrirai pas que vous abaissiez votre grandeur en baisant la main de votre indigne serviteure: excusez-moi, je vous supplie, mon très-puissant seigneur.
LE ROI.--Eh bien, je vous baiserai donc les lèvres, Catherine.
CATHERINE.--Les dames et demoiselles de France pour être baisées devant leurs nopces, il n'est pas la coutume de France.
LE ROI.--Madame mon interprète, que dit-elle?
ALIX.--Que ne pas être de mode par les ladies de France, je ne sais pas dire baisers en english.
LE ROI.--Baiser!
ALIX.--Votre Majesté entendre mieux que moi.
LE ROI.--Ce n'est pas la mode des filles en France de baiser avant d'être mariées. N'est-ce pas ce qu'elle a voulu dire?
ALIX.--Oui vraiment.
LE ROI.--Oh! Catherine, les vaines modes cèdent à la puissance des rois. Ma chère Catherine, nous ne saurions, vous et moi, être compris dans la liste vulgaire de ceux qui doivent se soumettre aux usages d'un pays. C'est nous, Catherine, qui faisons les usages; et la liberté, qui marche à notre suite, ferme la bouche à la censure, comme je veux, pour vous punir de votre attachement aux petites modes de votre pays, fermer la vôtre par un baiser: ainsi, de la complaisance.... et de bonne grâce, je vous prie. (Il l'embrasse.) Vous avez un charme sur les lèvres! La seule impression de leur douce ambroisie a plus d'éloquence que toutes les voix du conseil de France, et elles persuaderaient bien plus vite Henri d'Angleterre qu'une pétition générale des monarques. Votre père vient à nous.
(Entrent le roi et la reine de France, le duc de Bourgogne, Bedfort, Glocester, Exeter, Westmoreland et autres seigneurs anglais et français.)
LE DUC DE BOURGOGNE.--Dieu garde Votre Majesté! Étiez-vous là, mon cousin, occupé à enseigner l'anglais à notre princesse?
LE ROI.--Je voulais lui enseigner, mon beau cousin, combien je l'aime; et c'est là, je vous l'assure, du bon anglais.
LE DUC DE BOURGOGNE.--A-t-elle des dispositions?
LE ROI.--Notre langue est un peu dure, cousin, et mon caractère n'est pas doucereux; de sorte que n'ayant pour moi ni la voix, ni le coeur de l'adulation, je n'ai pas l'art magique de conjurer en elle l'esprit d'amour, de manière à l'engager à se montrer sans voile et sous ses traits naturels.
LE DUC DE BOURGOGNE.--Pardonnez à la franchise de ma gaieté si je vous réponds à cela. Si vous voulez conjurer en elle, il vous faut faire un cercle; si vous voulez conjurer l'amour en elle tel qu'il est, il faut qu'il paraisse nu et aveugle. Or, en ce cas, pouvez-vous blâmer une jeune fille qui n'a encore été colorée que du seul vermillon de la pudeur virginale, si elle refuse qu'on lui présente un enfant nu et aveugle? C'était là sûrement, seigneur, faire une dure proposition à une jeune princesse.
LE ROI.--Cependant, tout en fermant les yeux, elles y consentent toutes.
LE DUC DE BOURGOGNE.--Elles sont donc excusables, seigneur, puisqu'elles ne voient pas ce qu'elles font.
LE ROI.--Eh bien, mon cher duc, enseignez donc à votre belle cousine à consentir de fermer les yeux pour moi.
LE DUC DE BOURGOGNE.--Je le veux bien, seigneur, si vous voulez lui enseigner à comprendre ce que je vais dire. Les filles sont comme les mouches qui, pendant les chaleurs de l'été, sont fières et rétives; mais une fois la Saint-Barthélemy passée, elles semblent aveugles, quoiqu'elles aient leurs yeux: alors elles souffrent qu'on les touche, tandis qu'auparavant elles fuyaient jusqu'aux regards.
LE ROI.--Le sens de cela, c'est que me voilà forcé d'attendre le temps et un été bien chaud. Enfin, du moins, je puis prendre la mouche, votre cousine, et la faire consentir à être aveugle.
LE DUC DE BOURGOGNE.--Comme l'est l'amour, seigneur, avant d'aimer.
LE ROI.--Il est vrai: et vous avez bien des grâces à rendre à l'amour sur mon aveuglement, qui m'empêche de voir un si grand nombre de belles villes françaises, à cause d'une belle fille de France qui se trouve entre elles et moi.
LE ROI DE FRANCE.--Seigneur, ce n'est qu'en perspective que vous voyez ces villes: elles sont devenues autant de pucelles; car elles ont toutes une ceinture de murailles vierges, que la guerre n'a encore jamais forcées.
LE ROI.--Catherine sera-t-elle ma femme?
LE ROI DE FRANCE.--Oui, comme vous le désirez.
LE ROI.--Je suis satisfait. Ainsi ces villes pucelles dont vous parlez peuvent lui rendre grâce. Si la beauté vierge qui s'est trouvée sur ma route s'oppose à l'accomplissement de mes désirs de conquête, elle me promet de combler mes voeux d'amour.
LE ROI DE FRANCE.--Nous avons consenti à toutes les conditions raisonnables.
LE ROI.--Cela est-il vrai, mes lords d'Angleterre?
WESTMORELAND.--Le roi a accordé tous les articles: d'abord sa fille, et ensuite tout le reste, dans toute la rigueur des termes.
EXETER.--Il n'y a qu'une chose à laquelle il n'a pas consenti: c'est l'article où Votre Majesté demande que le roi de France, ayant l'occasion d'écrire au sujet de quelques provisions d'offices, traite Votre Altesse dans la formule suivante, en ajoutant ces termes français: Notre très-cher fils Henri d'Angleterre, héritier de France; et en latin, ainsi: Præclarissimus filius noster Henricis, Rex Angliæ et hæres Franciæ.
LE ROI DE FRANCE.--Cependant, mon frère, je ne l'ai pas si fort refusé, que si vous le désirez absolument, je n'y souscrive encore.
LE ROI.--En ce cas, je vous prie, d'amitié et en bonne alliance, de laisser cet article passer avec les autres: et pour conclusion, donnez-moi votre fille.
LE ROI DE FRANCE.--Prenez-la, mon fils; et, de son sang, donnez-moi des enfants qui puissent enfin éteindre la haine qui a si longtemps subsisté entre ces deux royaumes, rivaux jaloux, toujours en querelle, et dont les rivages mêmes pâlissent à la vue du bonheur l'un de l'autre. Puisse cette union établir dans leur sein l'harmonie et une paix digne de deux monarques chrétiens! Puisse la guerre ne plus présenter jamais son épée tirée entre la France et l'Angleterre!
TOUS LES SEIGNEURS.--Amen!
LE ROI.--A présent, chère Catherine, soyez la bienvenue. (A l'assemblée.) Et soyez-moi tous témoins qu'ici j'embrasse mon épouse et ma reine.
(Fanfares.)
ISABELLE.--Que Dieu, le premier auteur de tous les mariages, confonde en un seul vos deux royaumes et vos deux coeurs! Comme l'époux et l'épouse, quoique deux êtres séparés, n'en font plus qu'un par l'amour, qu'il règne de même entre la France et l'Angleterre une si parfaite union, que jamais aucun acte malfaisant ne l'altère. Que la cruelle jalousie, qui trouble trop souvent la couche des mariages fortunés, ne vienne jamais se glisser dans le pacte de ces royaumes, pour les désunir par un divorce fatal! que l'Anglais accueille le Français en Anglais, et le Français l'Anglais en Français!--Dieu exauce ce voeu!
TOUS ENSEMBLE.--Qu'il l'exauce!
LE ROI.--Préparons-nous pour notre hymen.--Ce jour, duc de Bourgogne, sera celui où nous recevrons votre serment et celui de tous les pairs pour garants de notre union: ensuite je jurerai ma foi à Catherine (s'adressant à elle), et vous me jurerez la vôtre. Et puissent tous nos serments être fidèlement gardés et suivis du bonheur!
LE CHOEUR.--Jusqu'ici au moyen d'une plume grossière et inhabile notre noble auteur a poursuivi son histoire. Courbé sous le poids de sa tâche, obligé de resserrer dans un champ étroit les plus grands personnages, et de ne montrer que par intervalles quelques points du cours de leur gloire, il demande votre indulgence. Henri, cet astre de l'Angleterre, n'a vécu que peu de jours; mais ce court espace, il l'a rempli d'une gloire immense. La Fortune avait forgé l'épée avec laquelle il conquit le plus beau jardin de l'univers, dont il laissa son fils le maître souverain. Henri VI, couronné dans les langes de l'enfance roi de France et de l'Angleterre, monta après lui sur le trône; mais tant de mains embarrassèrent les rênes de son gouvernement, qu'elles laissèrent échapper la France, et firent couler le sang de l'Angleterre. Nous vous avons souvent offert ces tableaux sur notre théâtre: daignez donc faire à celui-ci un accueil favorable 41.
FIN DU CINQUIÈME ET DERNIER ACTE.