Henri VI (1/3)
SCÈNE II
Devant les murs de Bordeaux.
Entre TALBOT, suivi de trompettes et de tambours.
TALBOT.--Trompette, avance aux portes de Bordeaux, et somme le gouverneur de paraître sur le rempart. (La trompette sonne.--Le gouverneur paraît sur les murs.) Capitaines, Jean Talbot d'Angleterre, homme d'armes et vassal de Henri, roi d'Angleterre, vous appelle sous vos murs et vous dit: Ouvrez les portes de votre ville; rendez-vous à nous; reconnaissez mon souverain pour le vôtre, rendez-lui hommage en sujets soumis, et alors je me retire avec ces troupes qui vous menacent. Mais si vous dédaignez la paix que je vous propose, vous tentez les trois fléaux qui suivent mes pas: la famine amaigrie, le fer tranchant et le feu dévorant. Ces trois monstres abaisseront bientôt au niveau du sol vos hautes et orgueilleuses tours, si vous repoussez l'offre de notre amitié.
LE GOUVERNEUR.--Hibou funeste et redouté, qui annonces la mort, effroi et fléau sanguinaire de notre nation, le terme de ta tyrannie est proche: tu ne peux entrer dans notre ville que par les portes du trépas. Je t'annonce que nous sommes bien fortifiés, et assez forts pour sortir de nos murs et te combattre. Si tu te retires, le dauphin, bien accompagné, t'attend pour t'envelopper dans les piéges de la guerre. De tous côtés, autour de toi, sont postés des escadrons pour t'ôter la liberté de fuir; tu ne peux tourner tes pas vers aucun asile que tu ne rencontres partout la mort en face, sûre de sa conquête: partout la pâle destruction t'environne. Dix mille Français ont fait serment de ne pointer leurs canons homicides contre nulle autre tête de chrétien que celle de l'Anglais Talbot. Ainsi, tu es là maintenant plein de vie, héros d'un courage indomptable et invaincu; mais ces paroles que je t'adresse, moi ton ennemi, sont les dernières louanges de ta gloire que tu doives entendre, car avant que ce sable qui commence à couler ait comblé la mesure de cette heure, mes yeux qui te voient en cet instant plein de santé te verront sanglant, pâle et mort. (On entend des tambours au loin.) Écoute, écoute; les tambours du dauphin, de leurs sons prophétiques, font entendre à ton âme effrayée une musique sinistre: les miens vont leur répondre et annoncer ta ruine prochaine.
(Le gouverneur s'en va.)
TALBOT.--Il ne ment point; j'entends l'ennemi.--Holà! quelques cavaliers des mieux montés pour aller reconnaître leurs ailes.--O molle et imprudente discipline! Comment arrive-t-il que nous soyons enfermés et cernés ici de toutes parts? Un petit troupeau de timides daims anglais, qu'environnent une meute de chiens français avides de proie! Eh bien, si nous sommes des daims anglais, plongeons-nous dans le sang: n'allons pas succomber honteusement sous les premiers coups comme un daim affaibli; mais plutôt, tels que des cerfs enragés et au désespoir, retournons contre ces chiens ensanglantés nos redoutables pieds d'airain et forçons ces lâches à se tenir au loin, aboyant autour de nous. Mes amis, que chacun vende sa vie aussi cher que je vendrai la mienne, et ils payeront cher notre chair 15. Dieu et saint George! Talbot et le bon droit de l'Angleterre! Que nos drapeaux prospèrent dans ce périlleux combat!
(Ils sortent.)
SCÈNE III
La scène se passe dans les plaines de la Gascogne.
Entre UN MESSAGER qui va au-devant D'YORK, à la tête d'une troupe que précèdent des trompettes.
YORK.--Les agiles espions envoyés pour reconnaître les forces du dauphin sont-ils de retour?
LE MESSAGER.--Oui, milord, et ils annoncent que le dauphin marche vers Bordeaux avec son armée pour combattre Talbot. Ils ont vu encore deux troupes de soldats plus fortes que l'armée du dauphin le joindre sur son passage et marcher avec lui vers Bordeaux.
YORK.--Malédiction sur cet odieux Somerset, qui tarde si longtemps à m'envoyer le renfort promis d'un corps de cavalerie, levé exprès pour ce siége! L'illustre Talbot attend mes secours, et je suis joué par un traître, et ne puis secourir ce brave chevalier; que Dieu l'assiste dans sa détresse! S'il échoue, adieu les guerres en France.
(Entre sir William Lucy.)
LUCY.--O vous, le premier commandant des forces de l'Angleterre, jamais vous ne fûtes si nécessaire sur le territoire de France! volez au secours du noble Talbot, qui en ce moment est environné d'une ceinture de fer et assiégé de toutes parts par la hideuse destruction. A Bordeaux, vaillant duc; à Bordeaux, York! ou c'en est fait de Talbot, de la France et de l'honneur de l'Angleterre.
YORK.--O Dieu! Si Somerset, dont l'orgueil jaloux retient ma cavalerie, était à la place de Talbot! Nous sauverions un brave guerrier, au prix de la perte d'un lâche et d'un traître. Oui, je pleure de rage et de désespoir, de voir que nous périssons, tandis que des traîtres dorment en repos.
LUCY.--Oh! envoyez quelque secours à ce brave lord en danger.
YORK.--Talbot périt! Nous perdons tout: je manque à ma parole de soldat. Nous pleurons; la France sourit: et chaque jour une nouvelle perte pour l'Angleterre; le tout par la faute du traître Somerset!
LUCY.--Que Dieu prenne donc en pitié l'âme du brave Talbot et de son jeune fils Jean, que j'ai rencontré il y a deux heures, voyageant pour aller joindre son glorieux père. Depuis sept ans entiers Talbot n'a pas vu son fils; et ils se revoient aujourd'hui pour mourir tous deux.
YORK.--Hélas! quelle joie le noble Talbot aura-t-il à revoir son jeune fils pour lui dire adieu au bord de la tombe! Loin de moi cette idée! le chagrin étouffe ma voix: deux amis séparés qui se saluent à l'heure de la mort! Adieu, cher Lucy! Ma destinée ne me permet plus rien, que de maudire l'auteur de nos maux; mais je ne puis secourir ce brave. Le Maine, Blois, Poitiers et Tours sont déjà perdus, et tout cela par la faute de Somerset et de ses retards.
(Il sort.)
LUCY.--Ainsi, tandis que le vautour de la discorde se repaît du coeur de ces grands du royaume, l'inaction et la négligence perdent les conquêtes de notre héros dont les cendres sont tièdes encore, de cet homme d'éternelle mémoire, Henri V. Tandis qu'ils se traversent l'un l'autre, nos vies, nos terres, notre honneur, tout se perd et s'abîme.
(Il sort.)
SCÈNE IV
Une autre partie de la France.
Entre SOMERSET à la tête de son armée.
SOMERSET.--Il est trop tard: je ne puis les envoyer à présent; cette expédition a été trop témérairement projetée par York et par Talbot. Toutes nos forces rassemblées pourraient être enveloppées et coupées par une sortie de la seule garnison de la ville. Le présomptueux Talbot a terni l'éclat de sa gloire par cette entreprise imprudente et désespérée, où il a mis tout au hasard. York l'a envoyé combattre et mourir dans la honte, afin que Talbot mort, le grand York puisse avoir l'honneur de la guerre.
UN CAPITAINE.--Voici sir William Lucy, qui a été député avec moi par nos troupes en péril, pour réclamer votre secours.
(Entre sir William Lucy.)
SOMERSET.--Eh bien, sir William, de la part de qui venez-vous?
LUCY.--De la part de qui, milord? de la part du lord Talbot, dont la vie est vendue et achetée. Assiégé de tous côtés par la fière adversité, il appelle à grands cris York et Somerset, pour repousser la mort qui fond sur ses faibles légions. Et tandis que ce brave général voit une sueur sanglante couler de ses membres harassés par les combats, et profite de sa position pour prolonger sa résistance en attendant du secours; vous qui trompez son espérance, vous, dépositaires de l'honneur de l'Angleterre, vous vous tenez oisifs loin de lui, livrés à vos honteuses jalousies! que vos querelles personnelles ne retardent pas plus longtemps le renfort qui devait le secourir, lorsque ce brave et glorieux général expose sa vie aux chances les plus inégales. Le bâtard d'Orléans, Charles et le duc de Bourgogne, Alençon et René, l'environnent; et Talbot périt par votre faute.
SOMERSET.--York l'a engagé dans ce péril; York devrait le secourir.
LUCY.--Et York se déchaîne aussi contre Votre Seigneurie, et jure que vous lui retenez sa cavalerie, qui avait été levée pour cette expédition.
SOMERSET.--York ment: il pouvait envoyer demander ce renfort, et il l'eût eu. Je lui dois peu de déférence et encore moins d'amitié, et je dédaigne de le flatter en le prévenant.
LUCY.--Ce sont les fraudes des chefs de l'Angleterre, et non la force de la France, qui ont précipité dans ce piége le généreux Talbot. Jamais il ne reverra vivant sa patrie: il meurt livré à la fortune par vos dissensions.
SOMERSET.--Allons; je vais lui envoyer ce détachement: dans six heures ils seront en état de le secourir.
LUCY.--Le secours vient trop tard: il est déjà pris ou tué, car Talbot ne pourrait fuir, quand il le voudrait; et Talbot ne fuira jamais, quand il le pourrait.
SOMERSET.--S'il est mort, disons donc adieu au brave Talbot.
LUCY.--Sa gloire vit dans l'univers, et la honte de sa défaite s'attache à vous.
(Ils sortent.)
SCÈNE V
Un champ de bataille près de Bordeaux.
Entrent TALBOT ET SON FILS.
TALBOT.--Jeune Jean Talbot, je t'ai mandé pour te servir de maître dans l'art de la guerre, afin que le nom de Talbot pût revivre en toi, quand l'épuisement de l'âge et la faiblesse de membres impuissants retiendraient sur une chaise ton père immobile. Mais, ô fatale et pernicieuse étoile! tu reviens aujourd'hui pour une fête funèbre, pour un terrible et inévitable péril. Cher enfant, remonte donc sur le plus léger de mes chevaux, et je t'enseignerai le moyen d'échapper par une fuite précipitée. Allons, ne diffère plus, et pars.
JEAN TALBOT.--Talbot est-il mon nom? suis-je votre fils? et fuirai-je? Oh! si vous aimez ma mère, ne déshonorez pas son honorable nom, en faisant de moi un bâtard et un lâche. L'univers dira: «Il n'est point le fils de Talbot, celui qui a fui lâchement quand le noble Talbot est resté.»
TALBOT.--Fuis pour venger ma mort, si je suis tué.
JEAN TALBOT.--Qui fuit ainsi ne reviendra jamais au combat.
TALBOT.--Si nous restons tous deux, nous sommes tous deux sûrs de mourir.
JEAN TALBOT.--Eh bien, laissez-moi rester, et vous, mon père, sauvez-vous. Votre mort est une perte immense, et vous devez vous conserver: mon mérite est inconnu; en me perdant, on ignore ce qu'on perd. Les Français tireront peu de gloire de ma mort; ils seraient fiers de la vôtre: avec vous s'évanouissent toutes nos espérances. La fuite ne peut ternir la gloire que vous avez acquise; mais la fuite me déshonorerait, moi qui n'ai fait aucun exploit. Tout le monde fera serment que vous avez fui pour vaincre un jour; mais moi, si je recule, on dira que c'était de peur. Il n'y aura plus d'espérance que je reste sur le champ de bataille, si à la première heure je fléchis et me sauve. Ici, à genoux, j'implore la mort plutôt qu'une vie conservée par l'infamie.
TALBOT.--Quoi! toutes les espérances de ta mère descendront dans le même tombeau?
JEAN TALBOT.--Oui, plutôt que de déshonorer le sein de ma mère.
TALBOT.--Au nom de ma bénédiction, je t'ordonne de partir.
JEAN TALBOT.--Pour combattre l'ennemi, mais non pour le fuir.
TALBOT.--Tu peux sauver en toi une partie de ton père.
JEAN TALBOT.--Je ne sauverai rien de mon père; il sera déshonoré en moi.
TALBOT.--Tu n'as pas encore eu de gloire; tu ne peux pas la perdre.
JEAN TALBOT.--Oui, et votre glorieux nom, irai-je le flétrir?
TALBOT.--L'ordre de ton père t'absoudra du reproche.
JEAN TALBOT.--Pourrez-vous rendre témoignage pour moi quand vous ne serez plus? Si la mort est inévitable, fuyons ensemble.
TALBOT.--Que je laisse ici mes soldats combattre et mourir! Jamais pareille honte n'a souillé ma vie.
JEAN TALBOT.--Et ma jeunesse en serait souillée! Il n'est pas plus possible de séparer votre fils de vous, que vous ne pouvez vous-même vous partager en deux. Restez, fuyez, faites ce que vous voudrez, je le ferai aussi; si mon père meurt, je ne veux plus vivre.
TALBOT.--Je prends donc ici congé de toi, mon noble fils; tu es né pour voir ta vie s'éteindre avant la fin de ce jour. Allons vivre et mourir l'un à côté de l'autre, et que nos deux âmes unies s'envolent ensemble de France au ciel.
(Ils sortent.)
SCÈNE VI
Une alarme. Sorties dans lesquelles le fils de TALBOT est enveloppé; il est sauvé par son père.
TALBOT.--Saint George, victoire! Combattons, soldats, combattons. Le régent a violé la parole qu'il avait donnée à Talbot, et nous a laissés exposés à la furie de l'épée française.--Où est Jean Talbot?--Repose-toi, mon fils, et reprends haleine: je t'ai donné la vie, et je viens de te sauver de la mort.
JEAN TALBOT.--O vous, deux fois mon père, je suis deux fois votre fils. La première vie que vous m'aviez donnée était perdue; c'en était fait; et votre belliqueuse épée, en dépit du sort, a fait recommencer le cours des ans qui me sont assignés.
TALBOT.--Quand j'ai vu ton épée faire jaillir le feu du casque du dauphin, cela a rallumé dans le coeur de ton père un orgueilleux désir de la victoire au visage hardi. Alors la pesante vieillesse s'est sentie animée de l'ardeur du jeune âge et d'une fureur guerrière: j'ai repoussé Alençon, Orléans, le duc de Bourgogne, et je t'ai délivré de l'orgueil de la Gaule. Le fougueux Bâtard qui t'a tiré du sang, ô mon fils! et qui a eu les prémices de ton premier combat,--je l'ai attaqué soudain,--et dans le rapide échange de nos coups, j'ai bientôt fait couler son ignoble sang: et dans mon dédain, je lui ai adressé ces mots: «Je fais couler ton sang impur, vil et méprisable, faible et indigne dédommagement du pur sang que tu as fait jaillir des flancs de Talbot mon brave enfant;» et ici, brûlant de frapper à mort le Bâtard, je t'ai puissamment secouru.--Dis-moi, unique souci de ton père, n'es-tu pas fatigué, Jean? Comment te trouves-tu? Mon enfant, veux-tu maintenant quitter ce champ de bataille et te sauver? Maintenant te voilà dignement reçu chevalier. Fuis, pour venger ma mort quand je ne serai plus: le secours d'un homme est peu de chose pour moi. Oh! c'est trop de folie de hasarder tous notre vie dans une seule petite barque. Moi, si je ne meurs pas aujourd'hui sous les coups des Français, je mourrai demain de mon grand âge; ils ne gagnent rien par ma mort; et en restant ici, je n'abrège ma vie que d'un jour. Mais en toi mourront ta mère, et le nom de notre famille, et ma vengeance, et ta jeunesse, et la gloire de l'Angleterre. Si tu restes, nous exposons tout cela et bien plus encore: et si tu veux fuir, tout cela sera sauvé.
JEAN TALBOT.--L'épée d'Orléans ne m'a fait aucun mal; mais vos paroles font couler le plus pur sang de mon coeur. Oh! quel avantage, au prix d'une telle infamie, que de traîner une vie misérable et de sacrifier une glorieuse renommée! Avant que le jeune Talbot fuie le vieux Talbot, que le cheval qui me porte succombe et meure, et me laisse à pied comme les vils paysans de France, en butte au mépris et objet d'outrages! Oui, par toute la gloire que vous avez acquise, si je fuis je ne suis pas le fils de Talbot: ne me parlez donc plus de fuir; c'est en vain: si je suis le fils de Talbot, je dois mourir aux pieds de Talbot.
TALBOT.--Allons, suis-moi donc, et sois l'Icare d'un Dédale au désespoir. Ta vie m'est bien chère; si tu veux combattre, combats à côté de ton père, et après t'être illustré, mourons tous deux fièrement.
(Ils sortent.)
SCÈNE VII
Une alarme: combats. Entre le vieux TALBOT blessé, conduit par des soldats français.
TALBOT.--Où est ma seconde vie?--C'est fait de la mienne.--Oh! où est le jeune Talbot? où est le vaillant Jean? O mort glorieuse ternie par la captivité, la valeur du jeune Talbot fait que je te reçois en souriant. Lorsqu'il m'a vu chanceler et tomber sur mes genoux, il a brandi au-dessus de ma tête son épée sanglante, et comme un lion affamé, il a commencé avec furie les plus terribles exploits. Mais lorsque mon défenseur courroucé s'est vu seul, ne protégeant plus que ma vie expirante, et sans ennemis qui le vinssent assaillir, alors les yeux étincelants, le coeur saisi de rage, il s'est élancé soudain de mes côtés dans le plus épais des bataillons français, et dans cette mer de sang mon enfant a éteint sa vie et son âme sublime, et là est mort dans son noble orgueil mon Icare, ma fleur.
(On apporte Jean Talbot mort.)
UN DES SERVITEURS DE TALBOT.--O mon cher maître! voyez: c'est votre fils qu'ils portent.
TALBOT.--O mort hideuse, qui te fais un jeu de nous insulter ici, bientôt affranchis de ton insolente tyrannie, et unis par les liens de l'immortalité, les deux Talbot voleront ensemble au travers des cieux légers, et en dépit de toi échapperont au néant de l'oubli.--(A son fils.)--O toi dont les blessures annoncent une mort si dure, parle à ton père avant de rendre ton dernier soupir! brave encore la mort en parlant, qu'elle veuille ou ne veuille pas t'écouter; traite-la comme un Français, comme ton ennemi.--Pauvre enfant! il me semble qu'il sourit, comme s'il voulait dire: «Si la mort avait été un Français, la mort serait morte aujourd'hui!» Approchez, approchez, et mettez-le dans les bras de son père. Mon âme ne peut plus supporter tant de douleurs. Soldats! adieu: j'ai ce que je voulais avoir, et mes vieux bras sont le tombeau du jeune Jean Talbot!
(Il meurt.)
FIN DU QUATRIÈME ACTE.
ACTE CINQUIÈME
SCÈNE I
Toujours devant Bordeaux.
Entrent CHARLES, ALENÇON, LE DUC DE BOURGOGNE, LE BATARD D'ORLÉANS ET LA PUCELLE.
CHARLES.--Si York et Somerset avaient envoyé du renfort ici, nous aurions eu une journée sanglante.
LE BATARD.--Avec quelle furie le jeune nourrisson de Talbot abreuvait de sang français son épée novice!
LA PUCELLE.--Je l'ai attaqué une fois en lui disant: «Toi, jeune homme, sois vaincu par une jeune fille.» Mais, avec un fier et majestueux dédain, il m'a répondu: «Le jeune Talbot n'est pas fait pour se commettre avec une prostituée;» et, s'élançant dans le sein des bataillons français, il m'a quittée avec mépris, comme un adversaire indigne de lui.
LE DUC DE BOURGOGNE.--Certes, il aurait fait un brave chevalier. Tenez, le voici enseveli dans les bras de son père, sanguinaire auteur de ses exploits meurtriers.
LE BATARD.--Taillons-les en pièces, hachons les cadavres de ces deux ennemis, la gloire de l'Angleterre et la terreur de la France.
CHARLES.--Oh! non! arrêtez; n'outrageons pas morts ceux que nous avons fuis vivants.
(Entre sir William Lucy précédé d'un héraut.)
LUCY.--Héraut, conduis-moi à la tente du Dauphin, à qui est resté l'avantage de cette journée.
CHARLES.--Quelle soumission est l'objet de ton message?
LUCY.--Soumission, Dauphin! ce mot est purement français; nous autres soldats anglais, nous ignorons ce qu'il signifie.--Je viens savoir quels prisonniers vous avez faits et reconnaître nos morts.
CHARLES.--Tu redemandes des prisonniers? nos prisons, c'est l'enfer.--Mais qui cherches-tu?
LUCY.--Où est le grand Hercule du champ de bataille, le vaillant lord Talbot, comte de Shrewsbury, créé, pour récompense de ses rares exploits, grand comte de Washford, de Waterford et de Valence, lord Talbot de Goodrig et d'Urchinfield? Où sont le lord Strange de Blachmore, le lord Vernon d'Alton, le lord Cromwell de Wingfield, le lord Furnival de Sheffield, le lord Faulconbridge, illustre par trois victoires, chevalier de l'ordre de Saint-George, de Saint-Michel et de la Toison d'Or, grand maréchal de notre roi Henri V dans toutes ses guerres de France?
LA PUCELLE.--Voilà un style bien impertinent et bien magnifique. Le grand sultan, qui domine sur cinquante-deux royaumes, ne s'exprime pas d'un ton si fastueux. --Vois; celui que tu pares de tous ces titres est ici gisant à nos pieds, cadavre impur et la proie des vers!
LUCY.--Talbot est donc tué, le fléau des Français, la terreur et la sombre Némésis de votre nation! Oh! que mes deux yeux ne peuvent-ils se changer en balles! comme je les lancerais contre vous! Que ne puis-je rappeler ces morts à la vie? c'en serait assez pour effrayer toute la France. Oui, l'image seule de Talbot suffirait pour épouvanter le plus fier d'entre vous.--Cédez-moi leurs corps, que je les emporte de ce lieu, et que je leur donne la sépulture qui convient à leur mérite.
LA PUCELLE.--Je crois que ce fanfaron est l'ombre du vieux Talbot, il parle d'un ton si orgueilleux et si hautain. Au nom de Dieu, qu'il prenne ces cadavres, qu'il les emporte d'ici; ils ne serviraient qu'à infecter l'air de notre patrie.
CHARLES.--Tu peux enlever ces corps.
LUCY.--Oui, je vais les enlever d'ici; mais de leurs cendres renaîtra un phénix qui fera trembler la France.
CHARLES.--Délivre-nous de leur vue, et fais après ce que tu voudras.--Marchons vers Paris sans délai, et suivons le cours de nos conquêtes; tout va fléchir devant nous, à présent que le terrible Talbot est mort.
(Ils sortent.)
SCÈNE II
A Londres.--Une salle du palais.
Entrent LE ROI HENRI, GLOCESTER ET EXETER.
LE ROI.--Avez-vous vu les lettres du pape, de l'empereur et du comte d'Armagnac?
GLOCESTER.--Oui, mon prince, et voici ce qu'elles contiennent: ils demandent en grâce à Votre Majesté qu'une bienheureuse paix soit conclue entre la France et l'Angleterre.
LE ROI.--Et que pensez-vous de cette demande?
GLOCESTER.--Je l'approuve, mon prince, comme le moyen d'arrêter l'effusion du sang chrétien et de rétablir la tranquillité dans les deux royaumes.
LE ROI.--Allons, j'y consens, mon oncle; car j'ai toujours pensé que c'était une chose impie et contre nature, que d'entretenir ces barbares et sanglantes querelles entre des nations qui professent la même foi.
GLOCESTER.--De plus, sire, pour accélérer et affermir encore plus le noeud de cette alliance, le comte d'Armagnac, proche parent de Charles, et homme d'un grand poids en France, propose à Votre Majesté sa fille en mariage, avec une riche et magnifique dot.
LE ROI.--En mariage? Hélas! mon oncle, je suis bien jeune encore: mon cabinet et mes livres vont mieux à mon âge que l'amour et le choix d'une femme. Cependant, qu'on fasse entrer les ambassadeurs, et que chacun d'eux reçoive la réponse que vous jugerez convenable; je serai satisfait de toute résolution qui tendra à la gloire de Dieu et au bien de mon pays.
(Entrent un légat et deux ambassadeurs, avec Winchester, revêtu du chapeau de cardinal.)
EXETER, à part.--Quoi! voilà donc le lord Winchester élevé à la dignité de cardinal 16! Ah! je commence à voir que ce qu'a prédit un jour Henri V pourra bien s'accomplir: «Si jamais, disait-il, Winchester parvient à être cardinal, il fera de son chapeau le rival de la couronne.»
Note 16: (retour) Shakspeare a oublié ici que dans les premières scènes de cette tragédie il avait déjà, à diverses reprises, qualifié Winchester de cardinal; du reste, c'est en lui donnant trop tôt ce titre qu'il s'est trompé; l'évêque de Winchester ne reçut en effet le chapeau de cardinal que dans la cinquième année du règne de Henri VI.
LE ROI.--Ambassadeurs, vos différentes demandes ont été examinées et discutées. Votre proposition est juste et sage: aussi nous sommes décidément résolus à dresser les articles d'une paix sincère; et ils seront incessamment présentés à la France par milord Winchester.
GLOCESTER, à l'ambassadeur du comte d'Armagnac.--Et quant à l'offre particulière du comte votre maître, j'en ai instruit Sa Majesté en détail; et le roi, satisfait des vertus de la princesse, informé de sa beauté, et content de sa dot, a le dessein de la faire reine de l'Angleterre.
LE ROI.--Pour preuve de mes intentions et de mon aveu, portez-lui ce joyau, gage de mon affection. (Il lui remet un bijou.) Et vous, lord protecteur, veillez à ce qu'ils soient escortés et conduits en sûreté jusqu'à Douvres; et après qu'ils seront embarqués, remettez-les aux chances de la mer.
(Le roi sort avec sa suite.)
WINCHESTER, au légat.--Arrêtez, seigneur légat; vous recevrez d'abord la somme que j'ai promise à Sa Sainteté, en échange de ces ornements vénérables dont elle m'a revêtu.
LE LÉGAT.--J'attendrai votre convenance, milord.
WINCHESTER.--Maintenant Winchester ne se soumettra pas, je pense, et ne le cédera pas au plus fier des pairs. --Humfroy de Glocester, tu reconnaîtras que l'évêque n'est ton inférieur, ni en naissance, ni en autorité, je te ferai plier et fléchir le genou, ou j'abîmerai ce royaume à force de révoltes.
(Ils sortent.)
SCÈNE III
En France.
Entrent CHARLES, LE DUC DE BOURGOGNE, ALENÇON, LE BATARD, RENÉ ET LA PUCELLE.
CHARLES.--Ces nouvelles, seigneur, doivent ranimer nos esprits abattus. On dit que les fiers Parisiens se révoltent et reviennent au parti des Français.
ALENÇON.--Marchons donc vers Paris, prince, et ne tenons pas ici notre armée dans l'inaction.
LA PUCELLE.--Que la paix soit avec eux, s'ils reviennent à nous! Autrement, que la ruine s'attache à leurs palais!
(Entre un éclaireur.)
L'ÉCLAIREUR.--Succès à notre vaillant général, et prospérité à ses partisans!
CHARLES.--Quelles nouvelles nous envoient nos éclaireurs? Parle.
L'ÉCLAIREUR.--L'armée anglaise, qui était divisée en deux corps, est maintenant réunie en un seul, et se propose de vous livrer bataille à l'instant.
CHARLES.--Cet avis est un peu soudain; mais nous allons nous mettre en état de les recevoir.
LE DUC DE BOURGOGNE.--J'ai confiance; l'ombre de Talbot n'est pas au milieu d'eux: à présent que Talbot n'est plus, seigneur, vous ne devez plus vous alarmer.
LA PUCELLE.--De toutes les passions honteuses, la plus maudite est la peur. Commandez à la victoire, Charles, et la victoire est à vous. Que Henri écume de rage; et que l'univers murmure en voyant nos triomphes.
CHARLES.--Marchons, mes seigneurs. Et que la France soit heureuse!
(Ils sortent.)
SCÈNE IV
Une alarme.--Attaques.
Entre LA PUCELLE.
LA PUCELLE.--Le régent triomphe, et les Français fuient!--Venez à notre secours, paroles magiques, charmes puissants 17; et vous, esprits d'élite qui m'instruisez de l'avenir et me faites prévoir les événements. (On entend un coup de tonnerre.) Vous, génies légers, qui servez sous les lois du souverain monarque du Nord, paraissez, et secondez-moi dans cette entreprise. (Paraissent des démons.) À cette prompte apparition, je reconnais votre obéissance ordinaire à ma voix. Maintenant, esprits familiers, qui sortez du redoutable empire des régions souterraines, assistez-moi aujourd'hui, et faites que la France ait la victoire! (Les démons se promènent en silence.) Ah! ne gardez pas plus longtemps ce morne silence.--Faut-il vous nourrir de mon propre sang? Je vais me couper un membre et vous le donner pour gage d'un plus riche salaire; consentez donc à m'assister. (Les démons baissent la tête.) N'est-il plus d'espoir de secours? --Eh bien, si vous m'accordez ma prière, mon corps sera le prix dont je payerai votre bienfait. (Les démons secouent la tête.) Quoi? le sacrifice de mon corps et de mon sang ne peuvent vous toucher et obtenir votre assistance accoutumée? Prenez donc mon âme. Oui, mon corps, mon sang, mon âme, tout, plutôt que de laisser la France succomber sous l'Angleterre. (Les démons s'évanouissent.) Hélas! ils m'abandonnent!--L'heure est donc venue où la France doit couvrir d'un voile son superbe panache et laisser tomber sa tête dans le giron de l'Angleterre. Mes anciens enchantements sont impuissants, et l'enfer est trop fort pour que je lutte contre lui. C'en est fait, ô France; ta gloire va tomber en poussière.
(Elle sort.)
(Escarmouches. La Pucelle et York combattent corps à corps. La Pucelle est prise. Les Français fuient.)
YORK.--Damoiselle de France, je crois que je vous tiens.--Déchaînez à présent vos esprits infernaux par vos sortiléges; essayez s'ils peuvent vous remettre en liberté: vous êtes une précieuse prise et qui doit tenter le diable.--Voyez comme cette sorcière hideuse fronce ses sourcils; on dirait que, comme une autre Circé, elle cherche à me faire changer de forme.
LA PUCELLE.--Tu ne peux recevoir une forme plus odieuse que la tienne.
YORK.--Oh! sans doute, le dauphin Charles est un bel homme; nul autre que lui ne peut plaire à votre oeil difficile.
LA PUCELLE.--Que la peste tombe sur Charles et sur toi! et puissiez-vous tous deux être surpris endormis dans votre lit et assaillis par des mains homicides!
YORK.--Farouche et maudite sorcière, retiens ta langue.
LA PUCELLE.--Je t'en conjure, laisse-moi maudire à mon gré.
YORK.--Tu maudiras à ton gré, mécréante, quand tu seras attachée au poteau.
(Ils sortent.)
(Une alarme. Entre Suffolk tenant Marguerite par la main.)
SUFFOLK.--Soyez qui vous voudrez, vous êtes ma prisonnière. (Il la regarde.) Ô la plus belle de toutes les belles, ne crains rien, ne songe pas à fuir: je ne te toucherai que d'une main respectueuse; et je les pose doucement sur ton coeur. Je baise ces doigts en signe d'une paix éternelle. Qui es-tu? dis-le-moi afin que je te rende l'hommage qui t'est dû.
MARGUERITE.--Marguerite est mon nom: je suis fille d'un roi, du roi de Naples; apprends-le, qui que tu sois toi-même.
SUFFOLK.--Je suis comte, et je m'appelle Suffolk. Merveille de la nature, ne t'offense point du sort qui t'a fait ma captive; c'est ainsi que le cygne sauve ses petits du danger en les tenant emprisonnés sous ses ailes. Mais si ce droit de la guerre t'offense, va, sois libre comme l'amie de Suffolk. (Marguerite va pour s'éloigner.)--Ah! reste.--Je ne me sens pas le pouvoir de la laisser partir: ma main voudrait la laisser libre, mais mon coeur dit non. Telle que l'image du soleil dont les rayons se jouent dans l'onde pure, telle paraît à mes yeux cette beauté ravissante.--Je voudrais lui faire ma cour, mais je n'ose lui parler. Je vais demander une plume et de l'encre et lui écrire ma pensée.--Allons donc, Suffolk, aie plus de confiance en toi. N'as-tu pas une langue? n'est-elle pas ta captive? Seras-tu dompté par la vue d'une femme?--Oh! la majesté de la beauté est si souveraine qu'elle enchaîne la langue et confond tous les sens.
MARGUERITE.--Dis, comte de Suffolk, si tel est ton nom, quelle rançon faudra-t-il que je paye pour obtenir ma liberté? car je vois que je suis ta prisonnière.
SUFFOLK, à part.--Comment peux-tu être sûr qu'elle dédaignera tes voeux avant d'avoir essayé de gagner son amour?
MARGUERITE.--Pourquoi ne parles-tu pas? Quelle rançon dois-je payer?
SUFFOLK, à part.--Elle est belle, et dès lors faite pour être adorée; elle est femme, et dès lors faite pour être conquise.
MARGUERITE.--Veux-tu accepter une rançon, oui ou non?
SUFFOLK, à part.--Insensé, souviens-toi que tu as une femme: comment donc Marguerite pourrait-elle être l'objet de ton amour?
MARGUERITE.--Il vaut mieux que je le quitte; car il ne veut point m'entendre.
SUFFOLK, à part.--C'est là ce qui renverse tous mes projets; il n'y faut plus songer.
MARGUERITE.--Il parle au hasard: sûrement cet homme est fou.
SUFFOLK, à part.--Mais on pourrait obtenir une dispense.
MARGUERITE.--Et cependant je voudrais bien obtenir votre réponse.
SUFFOLK, toujours à part.--Je veux gagner le coeur de cette belle Marguerite.... Pour qui?--Quoi? pour mon roi.--Ah! c'est une créature de bois.
MARGUERITE.--Il parle de bois: c'est quelque charpentier.
SUFFOLK, à part.--Mais enfin ce moyen satisferait mon désir, et la paix serait cimentée entre les deux royaumes.--Mais à cela il reste encore un obstacle: car quoique son père soit roi de Naples, duc d'Anjou et du Maine, cependant il est pauvre, et notre noblesse dédaignerait cette alliance.
MARGUERITE.--M'entendez-vous, capitaine?--N'en avez-vous donc pas le loisir?
SUFFOLK.--Cela sera, en dépit de tous leurs dédains. Henri est jeune, il cédera facilement. (En se rapprochant d'elle.) Madame, j'ai un secret à vous révéler.
MARGUERITE, à part.--Quoique je sois prisonnière, il me paraît un chevalier, et je ne dois craindre aucune insulte.
SUFFOLK.--Madame, daignez écouter ce que je vous dis.
MARGUERITE, à part.--Peut-être serai-je délivrée par les Français, et alors je n'ai pas besoin de mendier ses égards.
SUFFOLK.--Aimable dame, donnez-moi votre attention sur un objet important.
MARGUERITE.--Après tout, d'autres femmes ont été captives avant moi.
SUFFOLK.--Madame, pourquoi parlez-vous ainsi?
MARGUERITE.--Je vous demande merci; ce n'est qu'un prêté rendu 18.
SUFFOLK.--Répondez, aimable princesse; ne regarderiez-vous pas votre esclavage comme un heureux événement, s'il vous faisait reine?
MARGUERITE.--Une reine dans l'esclavage est plus avilie qu'un esclave dans la plus basse servitude: il faut que les princes soient libres.
SUFFOLK.--Et vous le serez, si le roi de la belle Angleterre l'est lui-même.
MARGUERITE.--Quoi? que me fait sa liberté?
SUFFOLK.--J'entreprendrai de te faire la reine de Henri, de placer dans ta main un sceptre d'or, et une riche couronne sur ta tête, si tu veux condescendre à être ma....
MARGUERITE.--Quoi?
SUFFOLK.--L'objet de son amour.
MARGUERITE.--Je suis indigne d'être l'épouse de Henri.
SUFFOLK.--Non, madame, c'est moi qui suis indigne et me sens incapable de faire ma cour à une beauté si céleste, pour la rendre la femme de Henri, sans avoir moi-même aucune part dans ce choix. Eh bien! madame, que répondez-vous? êtes-vous satisfaite?
MARGUERITE.--Oui, je le suis, si mon père y consent.
SUFFOLK.--Allons, assemblons nos officiers et déployons nos enseignes; et, près des murs du château de votre père, faisons sonner un pourparler pour lui demander à conférer avec lui. (Un trompette sonne un pourparler.--René paraît sur les murs.) Vois, René, vois ta fille prisonnière.
RENÉ.--De qui?
SUFFOLK.--La mienne.
RENÉ.--Eh bien, Suffolk, quel remède? Je suis un soldat, et ne sais ni pleurer, ni me déchaîner contre l'inconstance de la fortune.
SUFFOLK.--Il est un remède, seigneur. Consentez (et pour votre gloire consentez-y) que votre fille soit mariée à mon roi, c'est avec peine que je suis parvenu à l'y déterminer, et cette captivité si douce aura valu à votre fille la liberté et un trône.
RENÉ.--Suffolk pense-t-il comme il parle?
SUFFOLK.--La belle Marguerite sait que Suffolk ne sait ni flatter, ni dissimuler, ni tromper.
RENÉ.--Sur ta parole de comte, je descends pour répondre à tes gracieuses offres.
SUFFOLK.--Et moi, je vais t'attendre ici.
(Les trompettes sonnent. Entre René.)
RENÉ.--Brave comte, sois le bienvenu sur notre territoire: commande dans l'Anjou selon qu'il te plaira.
SUFFOLK.--Je te rends grâces, René, heureux père d'une si belle enfant, faite pour devenir la compagne d'un roi. Quelle réponse fais-tu à ma demande?
RENÉ.--Puisque tu daignes rechercher le faible mérite de ma fille pour en faire la royale épouse d'un si grand prince, ma fille appartiendra à Henri s'il veut bien l'accepter, à condition que je jouirai tranquillement de mes duchés du Maine et de l'Anjou, exempt des troubles et de tous les maux de la guerre.
SUFFOLK.--Ton consentement est sa rançon; je lui rends sa liberté; et je me charge d'obtenir pour toi la jouissance paisible de tes deux comtés.
RENÉ.--Et moi, au nom de l'auguste Henri, voyant en toi le représentant et l'envoyé de ce puissant roi, je te donne sa main pour gage de sa foi.
SUFFOLK.--René de France, je te rends grâces au nom du roi; car c'est ici un pacte convenu pour les intérêts du roi. (A part.) Et cependant il me semble que je serais avec plaisir, dans cet accord, mon propre mandataire.--Je vais partir pour l'Angleterre avec cette nouvelle et hâter la célébration de ce mariage. Adieu, René: dépose ce diamant dans un palais, ainsi qu'il convient.
RENÉ.--Je t'embrasse, comme j'embrasserais le pieux roi Henri s'il était ici.
MARGUERITE, à Suffolk.--Adieu, milord. Suffolk peut compter toute sa vie sur les voeux, les prières et les louanges de Marguerite.
(Elle va pour se retirer.)
SUFFOLK.--Adieu, ravissante dame.--Eh quoi! Marguerite, ne me chargerez-vous d'aucun compliment pour mon roi?
MARGUERITE.--Dites-lui de ma part tout ce que peut lui dire une jeune fille, sa servante.
SUFFOLK.--Douces paroles, pleines de grâce et de modestie! Mais, madame, il faut que je vous importune encore: quoi! nul gage d'amour pour Sa Majesté?
MARGUERITE.--Excusez-moi, mon cher lord: je lui envoie un coeur pur et sans tache, que n'a jamais profané l'amour.
SUFFOLK, en l'embrassant.--Et ce baiser aussi....
MARGUERITE.--Que ceci soit pour vous.--Je n'aurais pas la présomption d'envoyer à un roi des gages si téméraires.
(Sortent René et Marguerite.)
SUFFOLK.--Oh! si tu étais pour moi!.... Mais, arrête, Suffolk; ne t'engage pas dans ce dangereux labyrinthe: là sont cachés des monstres dévorants et d'horribles trahisons.--Éveille plutôt l'amour de Henri par les louanges de la charmante Marguerite; grave dans ta mémoire ses ravissantes vertus et ses grâces naturelles si supérieures à l'art: retrace-toi souvent son image en traversant les mers, afin qu'arrivé aux pieds de Henri tu puisses troubler sa raison et l'enivrer d'admiration.
(Il sort.)
SCÈNE V
Camp du duc d'York, en Anjou.
Entrent YORK, WARWICK, UN BERGER, LA PUCELLE.
YORK.--Amenez cette sorcière, qui est condamnée au feu.
LE BERGER.--Ah! Jeanne, ce coup donne la mort au coeur de ton père. N'ai-je donc parcouru tant de pays, et ne te retrouvé-je à présent que pour être témoin de ta mort cruelle et prématurée? Ah! Jeanne, ma chère fille, je veux mourir avec toi.
LA PUCELLE.--Vieillard décrépit, ignoble et vil mendiant, je suis sortie d'un plus noble sang que le tien: tu n'es point mon père, ni mon ami.
LE BERGER.--Ah! malheureuse!.... Milord, je vous en conjure, cela n'est pas. Je suis son père: toute la paroisse le sait; sa mère vit encore et peut attester qu'elle fut le premier fruit de ma jeunesse.
WARWICK.--Ingrate, veux-tu donc renier tes parents?
YORK.--On peut juger par là quel genre de vie elle a menée, honteuse et criminelle; sa mort répond à sa vie.
LE BERGER.--C'est une honte, Jeanne, de vouloir ainsi démentir ton père. Dieu sait que tu es formée de ma chair, et que pour toi j'ai versé bien des larmes: ne me méconnais pas, chère fille, je t'en conjure.
LA PUCELLE.--Loin de moi, paysan. (Aux Anglais.) Vous avez suborné cet homme pour flétrir ma noble origine.
LE BERGER.--Il est vrai que je donnai un noble 19 au prêtre le jour où j'épousai sa mère.--Mets-toi à genoux, ma chère fille, et reçois ma bénédiction. Quoi, tu ne veux pas? Eh bien, maudit soit l'instant de ta naissance! je voudrais que le lait que tu suçais sur le sein de ta mère fût devenu un poison pour toi; ou bien je voudrais que dans le temps où tu gardais mes moutons dans les champs, quelque loup affamé t'eût dévorée: tu renies ton père, infâme prostituée? Brûlez-la! brûlez-la! le gibet serait un supplice trop doux pour elle.
(Il sort.)
YORK.--Qu'on l'emmène; elle a vécu trop longtemps pour semer dans l'univers ces vices odieux.
LA PUCELLE.--Laissez-moi d'abord vous dire qui vous condamnez. Je ne suis point la fille d'un obscur berger: je suis issue de la race des rois; vierge chaste et sacrée, choisie par le Ciel, inspirée par sa grâce, et appelée à opérer sur la terre les plus grands miracles. Jamais je n'eus de commerce avec les esprits infernaux. Mais vous, hommes corrompus par la débauche, souillés du sang des innocents, chargés d'iniquités et de vices, parce que vous êtes privés de la grâce dont d'autres ont reçu les dons, vous jugez impossible d'opérer des merveilles, si ce n'est par le secours des démons. Non! cette Jeanne d'Arc, que méconnaît votre ignorance, naquit et vécut vierge depuis sa tendre enfance: elle vécut chaste et sans reproche même dans ses pensées; et son sang pur, que vos mains barbares versent si injustement, criera vengeance contre vous aux portes du Ciel.
YORK.--Oui, oui; allons, qu'on l'entraîne au supplice.
WARWICK, aux exécuteurs.--Écoutez; comme elle est fille, allumez un grand bûcher, et placez au-dessus des barils de poix, afin d'abréger ses tourments.
LA PUCELLE.--Rien ne touchera-t-il vos coeurs impitoyables?--Allons, Jeanne, puisqu'il le faut, dévoile donc ta faiblesse qui t'assure le privilége de la loi. Je suis enceinte, homicides sanguinaires; si vous m'entraînez à une mort violente, ne faites pas du moins périr le fruit qui vit dans mon sein.
YORK.--Que le Ciel ne permette pas.... La sainte Pucelle enceinte?
WARWICK.--C'est là le plus grand miracle que tu aies jamais fait. Voilà donc où aboutit la scrupuleuse vertu?
YORK.--Sûrement le dauphin et elle auront eu commerce ensemble. J'avais prévu que ce serait là son dernier refuge.
WARWICK.--Allons, pars: nous ne voulons point sauver la vie à des bâtards, surtout à ceux dont Charles est le père.
LA PUCELLE.--Vous vous trompez; mon enfant n'est point de lui: c'est Alençon qui a eu mon amour.
YORK.--Alençon, cet indigne Machiavel 20! Elle mourra, eût-elle mille vies à perdre.
LA PUCELLE.--Oh! permettez. Je vous ai trompés encore: ce n'est ni Charles ni ce duc que je viens de nommer, c'est René, le roi de Naples, qui a triomphé de ma vertu.
WARWICK.--Un homme marié! Ce crime est intolérable.
YORK.--Bon; nous avons ici une vraie fille: je crois qu'elle ne sait trop lequel accuser, tant elle a eu d'amants!
WARWICK.--C'est une marque qu'elle a été facile et libérale.
YORK.--Et cependant tout à l'heure elle était vierge.--Vile prostituée, tes paroles te condamnent, toi et ton indigne fruit. Cesse les instances; elles sont inutiles.
LA PUCELLE.--Eh bien! emmenez-moi, vous à qui je lègue mes malédictions. Puisse le brillant soleil ne jamais laisser tomber ses rayons sur le pays que vous habitez! que la nuit et les funestes ombres de la mort vous environnent, jusqu'à ce que le malheur et le désespoir vous poussent à vous égorger ou à vous étrangler vous-mêmes!
(Les gardes l'emmènent.)
YORK.--Va tomber en lambeaux et te réduire en cendres, ministre maudit de l'enfer.
(Entre l'évêque de Winchester, cardinal de Beaufort.)
LE CARDINAL.--Lord régent, je salue Votre Grâce, et vous remets des lettres du roi. Apprenez, milord, que les puissances de la chrétienté, émues de pitié à la vue de ces sanglantes querelles, ont sollicité avec les plus vives instances une paix générale entre nous et l'ambitieuse France.--Et voyez le dauphin et sa suite qui s'avancent pour conférer avec nous sur les articles.
YORK.--Est-ce là tout le fruit de notre expédition? Après le meurtre de tant d'illustres lords, de tant de braves guerriers, capitaines et soldats, qui ont été immolés dans cette querelle et ont vendu leur vie pour leur patrie, finirons-nous par conclure une paix honteuse? N'avons-nous pas perdu par trahison, par fraude, la plupart des villes qu'avaient conquises nos illustres ancêtres? O Warwick, Warwick, je prévois avec douleur la perte complète de tout le royaume de France.
WARWICK.--Calmez-vous, York: si nous signons une paix, ce sera à des conditions si rigoureuses et si sévères, que les Français en retireront peu d'avantage.
(Entrent Charles, Alençon, le Bâtard et René.)
CHARLES.--Lords d'Angleterre, puisqu'il est arrêté qu'il sera proclamé une trêve en France, nous venons savoir de vous-mêmes quelles doivent être les conditions du traité.
YORK.--Parlez, Winchester: car la bouillante colère me suffoque et étouffe ma voix à la vue de nos mortels ennemis.
LE CARDINAL.--Charles, et vous, princes de France, voici les clauses: Qu'en reconnaissance de ce que le roi Henri, ému de compassion, et par pure clémence, consent à soulager votre pays des calamités de la guerre, et à vous laisser respirer au sein d'une heureuse paix, vous vous reconnaîtrez les vassaux fidèles de sa couronne. Et vous, Charles, à condition que vous ferez serment de lui payer tribut, et l'hommage de votre soumission, vous serez établi en qualité de vice-roi sous ses ordres, et vous n'en jouirez pas moins de la dignité royale.
ALENÇON.--Quoi! faudra-t-il qu'il ne soit plus que l'ombre de lui-même? qu'il orne son front d'une couronne, et qu'en réalité et en autorité il ne conserve que le privilége d'un simple sujet? Cette offre est absurde et dénuée de toute raison.
CHARLES.--Il est notoire que je suis déjà en possession de plus de la moitié du territoire de la France, et que j'y suis reconnu pour légitime souverain. Irai-je, pour gagner le reste des provinces non encore conquises, ravaler le privilége de ma royauté au point de n'avoir plus que le titre de vice-roi? Non, non, lord ambassadeur; j'aime mieux garder ce que je possède, que de me voir, par un désir trop pressé d'acquérir ce que je n'ai pas encore, dépouillé de l'espoir de devenir maître de tout.
YORK.--Présomptueux Charles! as-tu donc, par de sourdes intrigues, imploré l'intercession de l'Europe pour obtenir une paix, et aujourd'hui qu'on en vient à la conclure, oses tu comparer ton état présent aux conditions que nous t'offrons? Accepte de tenir comme un bienfait de notre roi le titre que tu usurpes, et non comme un droit qui t'appartienne, ou bien nous te poursuivrons d'une guerre éternelle.
RENÉ, bas au dauphin.--Seigneur, vous avez tort de vous obstiner à chicaner les articles du traité; si vous laissez échapper cette occasion, je gage dix contre un que vous n'en retrouverez jamais une aussi favorable.
ALENÇON, bas au dauphin.--Il faut convenir qu'il est de votre prudence de sauver vos sujets d'un si cruel carnage, et de tous les barbares massacres qui s'exercent tous les jours dans le cours de nos hostilités. Ainsi, acceptez cette trêve, vous la romprez quand votre intérêt l'exigera.
WARWICK.--Que répondez-vous, Charles? nos conditions tiennent-elles?
CHARLES.--Elles tiendront. Je demande seulement que vous ne conserviez aucune force dans nos villes de garnison.
YORK.--Jure donc foi et hommage à Sa Majesté, et, sur l'honneur d'un chevalier, jure de ne jamais désobéir, de n'être jamais rebelle à la couronne d'Angleterre, ni toi ni ta noblesse. (Charles et sa suite font acte d'hommage.) A présent, licenciez votre armée quand il vous plaira; suspendez vos étendards, et que vos tambours se taisent, car nous promettons ici d'observer une paix sacrée.
SCÈNE VI
En Angleterre.--Un appartement du palais.
Entrent SUFFOLK s'entretenant avec LE ROI HENRI, GLOCESTER et EXETER.
LE ROI.--Noble comte, votre ravissant portrait de la belle Marguerite m'a saisi d'étonnement. Ses vertus parées des grâces de la beauté éveillent dans mon coeur, auparavant tranquille, toutes les passions de l'amour. Tel qu'un ruisseau dans la tempête, que la fureur des vents soulève et pousse contre la marée, tel mon coeur agité par le récit de son rare mérite se sent invinciblement entraîné, ou vers le naufrage, ou vers le lieu où je pourrai jouir de son amour.
SUFFOLK.--Eh bien, mon bon prince, ce récit superficiel n'est pour ainsi dire que l'exorde des louanges dont elle est digne. Toutes les perfections de cette divine dame, si j'avais assez d'art pour les décrire, formeraient un volume de pages ravissantes qui plongeraient dans l'extase l'imagination la plus insensible; et ce qui vaut mieux encore, c'est qu'avec cette beauté céleste, avec tant de grâces et d'appas, elle proteste, de l'âme la plus humble et la plus modeste, qu'elle est satisfaite d'être à vos ordres, s'ils sont honnêtes et vertueux; qu'elle est prête à aimer et respecter Henri comme son seigneur.
LE ROI.--Et jamais Henri n'osera exiger d'elle autre chose; ainsi, milord protecteur, donnez votre consentement à ce que Marguerite soit la reine de l'Angleterre.
GLOCESTER.--Je consentirais donc à flatter le crime? Vous savez, mon prince, que Votre Majesté est engagée à une autre dame du mérite le plus distingué. Comment vous dispenserez-vous de ce contrat sans souiller votre honneur d'un reproche honteux?
SUFFOLK.--Comme un souverain se dispense d'accomplir des serments illégitimes; ou comme un athlète qui, dans un tournois, ayant fait voeu de combattre, abandonne la lice à cause de l'inégalité de son adversaire. La fille d'un pauvre comte est un parti inégal et dont on peut se dégager sans offense.
GLOCESTER.--Eh quoi, je vous prie, qu'est de plus Marguerite? Son père n'est rien de mieux qu'un comte, malgré tous les titres fastueux dont il se décore.
SUFFOLK.--Milord, son père est un roi, roi de Naples et de Jérusalem; et il a une si grande autorité en France, que son alliance affermira notre paix et tiendra les Français dans l'obéissance.
GLOCESTER.--Et le comte d'Armagnac aura le même pouvoir, car il est le proche parent de Charles.
EXETER.--D'ailleurs son opulence promet une riche dot, tandis que René est plus prêt à recevoir qu'à donner.
SUFFOLK.--Une dot, milords? N'avilissez pas notre monarque à ce point, d'être assez abject, assez pauvre, pour déterminer son choix par la richesse et non par l'amour. Henri est en état d'enrichir une reine, au lieu de chercher une reine qui l'enrichisse. C'est ainsi que les vils paysans marchandent leurs femmes, comme ils marchandent des boeufs, des chevaux ou des moutons. Mais le mariage est une affaire trop importante pour être ainsi traitée par procureur. Ce n'est pas celle que nos intérêts pourraient nous faire préférer, mais celle qui plaît à Sa Majesté, qui doit partager sa couche nuptiale. Ainsi, lords, puisque c'est Marguerite que Henri préfère, c'est là un motif plus puissant que tous les autres qui nous oblige à la préférer aussi. Car qu'est-ce qu'un mariage forcé, sinon un enfer, une vie de discorde et de querelles éternelles, tandis qu'une union libre et volontaire donne le bonheur et fait goûter ici-bas la paix des cieux? Pourrions-nous faire épouser à Henri, qui est roi, une autre que Marguerite qui est la fille d'un roi? Ses incomparables attraits, joints à sa naissance, annoncent qu'elle n'est faite que pour épouser un roi. Son vaillant courage, son âme intrépide à un degré bien au-dessus du courage ordinaire de son sexe, nous promettent tout ce que nos espérances attendent de la lignée d'un roi. Henri, fils d'un conquérant, ne peut manquer d'engendrer des conquérants, si l'amour l'unit avec une femme d'une âme aussi élevée que l'est celle de la belle Marguerite. Rendez-vous donc, milords, et convenez ici avec moi que Marguerite sera notre reine, et nulle autre qu'elle.
LE ROI.--Si c'est l'impression puissante que m'a faite votre récit, mon noble lord Suffolk, ou si c'est que mon jeune coeur n'a jamais encore senti l'atteinte des flammes de l'amour, c'est ce que je ne puis expliquer: mais il est certain que je sens un trouble si violent dans mon âme, de si vives alarmes de crainte et d'espérance, que je suis fatigué et malade du tumulte de mes pensées. Allez donc vous embarquer: pressez votre arrivée en France, convenez de toutes les conditions, et faites tout pour que la belle Marguerite consente à traverser les mers, et vienne en Angleterre se voir couronner la reine fidèle et sacrée du roi Henri. Pour fournir aux dépenses et aux honneurs de votre ambassade, levez un dixième sur le peuple, et partez sans délai, car jusqu'à votre retour je vais être agité de mille soucis.--Et vous, mon cher oncle, bannissez tout reproche; si vous jugez ma faiblesse sur ce que vous fûtes autrefois, et non sur ce que vous êtes aujourd'hui, je suis sûr que vous pardonnerez cette soudaine exécution de ma volonté.--Allez, conduisez-moi dans un lieu où, loin de tout témoin, je puisse me livrer sans contrainte aux pensées qui tourmentent mon âme.
(Il sort.)
GLOCESTER.--Oui, je crains bien que les tourments qui commencent avec ce dessein ne cessent plus désormais.
(Glocester et Exeter sortent.)
SUFFOLK, seul.--Ainsi, Suffolk l'emporte: et comme autrefois Pâris s'embarqua pour la Grèce, il part aujourd'hui pour la France, avec l'espoir de rencontrer la même fortune en amour, mais de prospérer plus heureusement que ne fit le Troyen. Marguerite sera reine, et gouvernera le roi: et moi je gouvernerai la reine, le roi et le royaume.
(Il sort.)
FIN DU CINQUIÈME ET DERNIER ACTE.