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Henri VIII

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ACTE QUATRIÈME


SCÈNE I

Une rue du quartier de Westminster.

DEUX BOURGEOIS entrent chacun de leur côté.

PREMIER BOURGEOIS.--Je suis bien aise de vous rencontrer encore ici.

SECOND BOURGEOIS.--Et je m'en félicite aussi.

PREMIER BOURGEOIS.--Vous venez pour prendre votre place et voir passer lady Anne au retour de son couronnement?

SECOND BOURGEOIS.--C'est là tout mon objet. A notre dernière entrevue, c'était le duc de Buckingham qui revenait de son jugement.

PREMIER BOURGEOIS.--Cela est vrai; mais alors c'était un jour de deuil: aujourd'hui c'est un jour d'allégresse publique.

SECOND BOURGEOIS.--Oui, les citoyens de Londres, je n'en doute pas, auront déployé toute l'étendue de leur attachement pour leurs rois. Pourvu que leurs droits soient respectés, ils s'empressent toujours de célébrer un pareil jour par des spectacles, de pompeuses décorations, et autres démonstrations de respect.

PREMIER BOURGEOIS.--Jamais on n'en vit de si brillantes, et jamais, je peux vous assurer, de mieux placées.

SECOND BOURGEOIS.--Oserai-je vous demander ce que contient ce papier que vous tenez là?

PREMIER BOURGEOIS.--Oui; c'est la liste de ceux qui font valoir les privilèges de leurs charges en ce jour, d'après le cérémonial du couronnement. Le duc de Suffolk est à la tête, et réclame les fonctions de grand maître de la maison du roi; ensuite le duc de Norfolk, qui prétend à celles de grand maréchal: vous pouvez lire les autres.

(Il lui offre la liste.)

SECOND BOURGEOIS, le remerciant.--Je vous rends grâces; si je n'étais pas au fait de ces cérémonies, votre liste m'aurait été fort utile. Mais dites-moi, de grâce, que devient Catherine, la princesse douairière? Comment vont ses affaires?

PREMIER BOURGEOIS.--Je peux vous l'apprendre. L'archevêque de Cantorbéry, accompagné de plusieurs savants et vénérables prélats de son rang, a tenu dernièrement une cour à Dunstable, à six milles d'Ampthill, où était la princesse; elle fut citée plusieurs fois à cette cour, mais elle n'y comparut point: bref, pour défaut de comparution et par suite des scrupules qu'avait dernièrement conçus le roi, le divorce entre elle et lui a été prononcé sur l'avis de la plus grande partie de ces savants personnages, et ce premier mariage déclaré nul. Depuis le jugement, elle a été transférée à Kimbolton où elle est actuellement, et malade.

SECOND BOURGEOIS.--Hélas! vertueuse dame! (Fanfares.)--Mais j'entends les trompettes. Serrons-nous: la reine va passer.

ORDRE DU CORTÈGE.

1° Deux juges.

2° Le lord chancelier, devant lequel on porte la bourse et la masse.

3° Un choeur de chanteurs.

4° Le maire de Londres, portant la masse. Ensuite le héraut Garter, vêtu de sa cotte d'armes, et portant sur sa tête une couronne de cuivre doré.

5° Le marquis de Dorset, portant un sceptre d'or, et sur sa tête une demi-couronne d'or. Avec lui marche le comte de Surrey, portant la baguette d'argent avec la colombe, et couronné d'une couronne de comte, avec les colliers de l'ordre des chevaliers.

6° Le duc de Suffolk, dans sa robe de cérémonie, sa couronne ducale sur la tête, et une longue baguette blanche à la main, en qualité de grand maître. Avec lui marche de front le duc de Norfolk, avec la baguette de grand maréchal, et la couronne ducale sur la tête, et les colliers de l'ordre des chevaliers.

7° Ensuite paraît un dais porté par quatre des barons des cinq ports. Sous ce dais marche la reine, parée des ornements de la royauté, la couronne sur la tête, et les cheveux ornés de perles précieuses. A ses côtés, sont les évêques de Londres et de Winchester.

8° La vieille duchesse de Norfolk, avec une petite couronne d'or, travaillée en fleurs, conduisant le cortège de la reine.

9° Différentes dames et comtesses, avec de simples petits cercles d'or sans fleurs.

SECOND BOURGEOIS.--Un cortège vraiment royal, sur ma parole!--Je connais ceux-ci.--Mais quel est celui qui porte le sceptre?

PREMIER BOURGEOIS.--Le marquis de Dorset; et l'autre, le comte de Surrey avec la baguette d'argent.

SECOND BOURGEOIS.--Un brave et hardi gentilhomme.--Celui-là doit être le duc de Suffolk?

PREMIER BOURGEOIS.--C'est lui-même: le grand maître.

SECOND BOURGEOIS.--Et celui-ci milord de Norfolk?

PREMIER BOURGEOIS.--Oui.

SECOND BOURGEOIS.--Que Dieu te comble de ses bénédictions! Tu as la plus aimable figure que j'aie jamais vue.--Sur mon âme, c'est un ange. Notre roi peut se vanter de posséder tous les trésors de l'Inde, et bien plus encore quand il embrasse cette dame: je ne puis blâmer sa conscience.

PREMIER BOURGEOIS.--Ceux qui portent le dais d'honneur au-dessus d'elle sont quatre barons des cinq ports.

SECOND BOURGEOIS.--Ils sont bien heureux, ainsi que tous ceux qui sont près d'elle.--J'imagine que celle qui conduit le cortège est cette noble dame, la vieille duchesse de Norfolk?

PREMIER BOURGEOIS.--C'est elle: et toutes les autres sont des comtesses.

SECOND BOURGEOIS.--Leurs petites couronnes l'annoncent.--Ce sont des étoiles et quelquefois des étoiles tombantes.

PREMIER BOURGEOIS.--Laissons cela. (La procession disparaît au son d'une bruyante fanfare.--Entre un troisième bourgeois.) Dieu vous garde, monsieur; où vous êtes-vous fourré?

TROISIÈME BOURGEOIS.--Parmi la foule, dans l'abbaye; on n'y aurait pas glissé un doigt de plus: je suis suffoqué des épaisses exhalaisons de leur joie.

SECOND BOURGEOIS.--Vous avez donc vu la cérémonie?

TROISIÈME BOURGEOIS.--Oui, je l'ai vue.

PREMIER BOURGEOIS.--Comment était-elle?

TROISIÈME BOURGEOIS.--Très-digne d'être vue.

SECOND BOURGEOIS.--Racontez-la nous, mon cher monsieur.

TROISIÈME BOURGEOIS.--Je le ferai de mon mieux. Ces flots brillants de seigneurs et de dames ayant conduit la reine au siége qui lui était préparé se sont ensuite écartés à quelque distance d'elle; la reine est demeurée assise pour se reposer une demi-heure environ, sur un riche et magnifique trône, offrant toutes les grâces de sa personne aux libres regards du peuple. Oh! croyez-moi, c'est la plus belle femme qui soit jamais entrée dans le lit d'un homme! Lorsqu'elle a paru ainsi en plein aux regards du public, il s'est élevé un bruit tel que celui des cordages à la mer par une violente tempête, tout aussi fort, et composé d'autant de tons divers: les chapeaux, les manteaux, et, je crois, les habits aussi ont volé en l'air; et si leurs visages n'avaient pas tenu, ils les auraient aussi perdus aujourd'hui. Jamais je n'ai vu tant d'allégresse. Des femmes grosses, et qui n'en ont pas pour la moitié d'une semaine, comme les béliers dont les anciens se servaient à la guerre, frappaient la foule de leur ventre et faisaient tout chanceler devant elles; pas un homme n'eût pu dire: celle-ci est ma femme; tant on était étrangement agencé les uns avec les autres comme un seul morceau.

SECOND BOURGEOIS.--Mais, je vous prie, que s'est-il passé ensuite?

TROISIÈME BOURGEOIS.--À la fin, Sa Grâce s'est levée, et d'un pas modeste elle s'est avancée vers l'autel; là elle s'est mise à genoux, et, comme une sainte, elle a levé ses beaux yeux vers le ciel, et a prié dévotement. Ensuite elle s'est relevée et a fait une inclination au peuple. C'est alors qu'elle a reçu de l'archevêque de Cantorbéry tous les signes qui consacrent une reine, comme l'huile sainte, la couronne d'Édouard le Confesseur, la baguette et l'oiseau de paix, et tous les autres attributs noblement déposés sur elle: les cérémonies achevées, le choeur, composé des plus célèbres musiciens du royaume, a chanté le Te Deum. Alors elle est sortie de l'église, et elle est revenue dans la même pompe à York-place, où se donne la fête.

PREMIER BOURGEOIS.--Vous ne devez plus nommer ce palais York-place, depuis la chute du cardinal il a perdu ce nom; il appartient au roi, et s'appelle désormais White-Hall.

TROISIÈME BOURGEOIS.--Je le sais: mais le changement est si nouveau que l'ancien nom est encore tout frais dans ma mémoire.

SECOND BOURGEOIS.--Quels étaient les deux vénérables évêques qui marchaient à côté de la reine?

TROISIÈME BOURGEOIS.--Stokesly et Gardiner: celui-ci évêque de Winchester (siége où il a été tout récemment élevé, de secrétaire du roi qu'il était): l'autre évêque de Londres.

SECOND BOURGEOIS.--Celui de Winchester ne passe pas pour être trop ami de l'archevêque, du vertueux Cranmer.

TROISIÈME BOURGEOIS.--Tout le monde sait cela: cependant la brouillerie n'est pas considérable: et si elle s'envenimait, Cranmer trouverait un ami qui ne l'abandonnerait pas au besoin.

SECOND BOURGEOIS.--Qui, s'il vous plaît?

TROISIÈME BOURGEOIS.--Thomas Cromwell. Un homme singulièrement estimé du roi, et vraiment un digne et fidèle ami. Le roi l'a fait grand maître des joyaux de la couronne, et il est déjà membre du conseil privé.

SECOND BOURGEOIS.--Son mérite le mènera plus loin encore.

TROISIÈME BOURGEOIS.--Oh! sûrement; cela n'est pas douteux.--Allons, messieurs, venez avec moi; je vais au palais, et vous y serez mes hôtes. J'y ai quelque crédit; et, chemin faisant, je vous raconterai d'autres détails.

PREMIER ET SECOND BOURGEOIS ensemble.--Nous sommes à vos ordres, monsieur.

(Ils sortent.)


SCÈNE II

A Kimbolton.

Entre CATHERINE reine douairière, malade et soutenue par GRIFFITH ET PATIENCE.

GRIFFITH.--Comment se trouve Sa Grâce?

CATHERINE.--O Griffith, malade à mort! Mes jambes, comme des branches surchargées, ploient vers la terre, pressées de déposer leur fardeau. Avancez un siége.--Comme cela. A présent, il me semble que je me sens un peu plus à mon aise.--Ne m'as-tu pas dit, Griffith, en me conduisant, que ce puissant fils de la fortune, le cardinal Wolsey, était mort?

GRIFFITH.--Oui, madame. Mais je crois que Votre Grâce souffre trop en ce moment pour m'écouter.

CATHERINE.--Je t'en prie, bon Griffith, raconte-moi comment il est mort. S'il a fait une bonne fin, il m'a heureusement précédée pour me servir d'exemple.

GRIFFITH.--Le bruit public est qu'il a fait une bonne fin, madame.--Car lorsque le grand comte de Northumberland l'eut arrêté à York, et voulut l'amener pour être interrogé comme un homme violemment prévenu, il tomba malade subitement, et son mal devint si violent qu'il ne pouvait rester assis sur sa mule.

CATHERINE.--Hélas, le pauvre homme!

GRIFFITH.--Enfin, à petites journées il arriva à Leicester, et logea dans l'abbaye, où le révérend père abbé avec tous ses religieux le reçut honorablement. Le cardinal lui adressa ces paroles: O père abbé, un vieillard brisé par les orages de la cour vient déposer parmi vous ses membres fatigués: accordez-lui par charité un peu de terre. Il se mit au lit, où sa maladie fit des progrès si violents que, la troisième nuit après son arrivée, vers huit heures, qu'il avait prédit lui-même devoir être sa dernière heure, plein de repentir, plongé dans de continuelles méditations, au milieu des larmes et des soupirs, il rendit au monde ses dignités, au ciel son âme bienheureuse, et s'endormit dans la paix.

CATHERINE.--Qu'il y repose doucement, et que ses fautes lui soient légères!--Cependant permets-moi, Griffith, de dire ce que j'en pense, et pourtant sans blesser la charité.--C'était un homme d'un orgueil sans bornes, toujours voulant marcher l'égal des princes; un homme qui, par son despotisme, a enchaîné tout le royaume. La simonie lui paraissait légitime, sa propre opinion était sa loi, il vous niait en face la vérité, et fut toujours double dans ses paroles comme dans ses desseins. Jamais il ne montrait de pitié que lorsqu'il méditait votre ruine; ses promesses étaient ce qu'il était alors, riches et puissantes; mais l'exécution était ce qu'il est aujourd'hui, néant. Il usait mal de son corps et donnait au clergé un mauvais exemple.

GRIFFITH.--Ma noble dame, le mal que font les hommes vit sur l'airain; nous traçons leurs vertus sur l'onde. Votre Altesse me permettrait-elle de dire à mon tour le bien qu'il y avait en lui?

CATHERINE.--Oui, cher Griffith. Autrement je serais méchante.

GRIFFITH.--Ce cardinal, quoique issu d'une humble tige, fut cependant incontestablement formé pour parvenir aux grandes dignités. A peine sorti du berceau, c'était déjà un savant mûr et judicieux. Il était singulièrement éclairé, d'une éloquence persuasive. Hautain et dur pour ceux qui ne l'aimaient pas, mais doux comme l'été à ceux qui le recherchaient. Et s'il ne pouvait se rassasier d'acquérir des richesses (ce qui fut un péché), en revanche, madame, il était, à les répandre, d'une générosité de prince. Portez éternellement témoignage pour lui, vous deux, fils jumeaux de la science, qu'il a élevée on vous, Ipswich et Oxford, dont l'un est tombé avec lui ne voulant pas survivre au bienfaiteur à qui il devait sa naissance, et l'autre, quoique imparfait encore, est cependant déjà si célèbre, si excellent dans la science, et si rapide dans ses progrès continuels, que la chrétienté ne cessera d'en proclamer le mérite.--Sa ruine lui a amassé des trésors de bonheur, car ce n'est qu'alors qu'il s'est senti et connu lui-même, et qu'il a compris combien étaient heureux les petits; et pour couronner sa vieillesse d'une gloire plus grande que celle que les hommes peuvent donner, il est mort dans la crainte de Dieu.

CATHERINE.--Après ma mort, je ne veux pas d'autre héraut, d'autre narrateur des actions de ma vie, pour garantir mon honneur de la calomnie, qu'un historien aussi honnête que Griffith. Celui que j'avais le plus haï vivant, tu as su, par ta religieuse candeur et par ta modération, me le faire honorer dans sa cendre. Que la paix soit avec lui!--Patience, tiens-toi près de moi.--Place-moi plus bas: je n'ai pas encore longtemps à te fatiguer.--Bon Griffith, dis aux musiciens de me jouer cet air mélancolique que j'ai nommé ma cloche funèbre, tandis qu'assise ici, je méditerai sur l'harmonie des célestes concerts, où je vais bientôt me rendre.

(On joue une musique lente et mélancolique.)

GRIFFITH.--Elle s'est endormie. Bonne fille, asseyons-nous et restons tranquilles, de crainte de la réveiller.--Doucement, chère Patience.

UNE VISION.

On voit entrer en procession l'un après l'autre, et d'un pas léger, six personnages vêtus de robes blanches, portant sur leur tête des guirlandes de lauriers, des masques d'or sur leurs visages, avec des branches de laurier ou de palmier dans les mains. D'abord ils s'approchent de la reine et la saluent, ensuite ils dansent. Et, dans certaines figures, les deux premiers tiennent une guirlande suspendue sur sa tête, pendant que les quatre autres lui font de respectueux saluts. Ensuite les deux premiers, qui tenaient la guirlande, la passent aux deux qui les suivent, et qui commencent la même cérémonie: enfin la guirlande passe aux deux derniers, qui répètent la chose. Et alors on voit la reine, comme dans une inspiration, donner dans son sommeil plusieurs signes de joie, et lever ses mains vers le ciel. Ensuite les esprits disparaissent en dansant et emportant la guirlande avec eux. La musique continue.

LA REINE, en s'éveillant.--Esprits de paix, où êtes-vous? Êtes-vous tous évanouis, et me délaissez-vous ici dans cette vie de misères?

GRIFFITH.--Madame, nous sommes ici.

CATHERINE.--Ce n'est pas vous que j'appelle. N'avez-vous vu entrer personne depuis que je me suis assoupie?

GRIFFITH.--Personne, madame.

CATHERINE.--Non? Quoi! vous n'avez pas vu, dans l'instant même, une troupe d'esprits célestes m'inviter à un banquet? Leurs faces, brillantes comme le soleil, jetaient sur moi mille rayons. Ils m'ont promis le bonheur éternel, et m'ont présenté des couronnes, que je ne me sens pas digne encore de porter, Griffith, mais je le deviendrai; oui, assurément.

GRIFFITH.--Je me réjouis beaucoup, madame, de voir votre imagination remplie de songes si agréables.

CATHERINE.--Dis à la musique de cesser: ses sons me deviennent fatigants et pénibles.

(La musique cesse.)

PATIENCE, à Griffith.--Remarquez-vous comme Sa Grâce a changé tout à coup; comme sa figure s'est allongée; comme elle est devenue pâle et froide comme la terre? Regardez ses yeux.

GRIFFITH.--Elle s'en va, ma fille: prions, prions.

PATIENCE.--Que le ciel l'assiste!

(Entre un messager.)

LE MESSAGER.--Sous le bon plaisir de Votre Grâce....

CATHERINE.--Vous êtes bien insolent. Ne méritons nous pas plus de respect 11?

Note 11: (retour) Il avait négligé de mettre le genou en terre, selon l'usage, en abordant les rois et reines d'Angleterre.

GRIFFITH.--Vous êtes blâmable, sachant qu'elle ne veut rien perdre de son ancienne grandeur, de lui manquer d'égards à ce point. Allez vous mettre à genoux.

LE MESSAGER.--J'implore humblement le pardon de Votre Altesse; c'est l'empressement qui m'a fait manquer au respect. Un gentilhomme, venant de la part du roi pour vous voir, est là qui attend.

CATHERINE.--Faites-le entrer, Griffith: mais, pour cet homme, que je ne le revoie jamais. (Griffith sort avec le messager, et rentre avec Capucius.) Si la faiblesse de ma vue ne me trompe pas, vous devez être l'ambassadeur de l'empereur, mon royal neveu, et votre nom est Capucius?

CAPUCIUS.--Lui-même, madame, et votre serviteur.

CATHERINE.--Ah! seigneur, les temps et les titres sont étrangement changés pour moi, depuis que vous m'avez connue pour la première fois! Mais, je vous prie, que désirez-vous de moi?

CAPUCIUS.--Noble dame, d'abord de rendre mes devoirs à Votre Grâce; ensuite, le roi a désiré que je vinsse vous voir: il est sensiblement affligé de l'affaiblissement de votre santé; il me charge de vous porter ses royales assurances d'attachement, et vous prie instamment de ne pas vous laisser abattre.

CATHERINE.--O mon bon seigneur! ces consolations viennent trop tard; c'est comme la grâce après l'exécution. Ce doux remède, s'il m'eût été donné à temps, m'eût guérie; mais à présent je suis hors de la puissance de toute consolation, si ce n'est celle des prières.--Comment se porte Sa Majesté?

CAPUCIUS.--Bien, madame.

CATHERINE.--Puisse-t-il continuer de même... et régner florissant, lorsque j'habiterai avec les vers, et que mon pauvre nom sera banni du royaume!--Patience, cette lettre que je vous avais chargée d'écrire est-elle envoyée?

PATIENCE.--Non, madame.

(Patience remet la lettre à Catherine.)

CATHERINE.--Monsieur, je vous prie humblement de remettre cette lettre au roi, mon seigneur.

CAPUCIUS.--Très-volontiers, madame.

CATHERINE.--J'y recommande à sa bonté l'image de nos chastes amours, sa jeune fille. Que la rosée du ciel tombe sur elle, abondante en bénédiction! Je le prie de lui donner une vertueuse éducation. Elle est jeune, et d'un caractère noble et modeste: j'espère qu'elle saura bien mériter; je lui demande de l'aimer un peu en considération de sa mère, qui l'a aimé, lui, le ciel sait avec quelle tendresse! Ensuite ma seconde et humble prière est que Sa Majesté prenne quelque pitié de mes femmes désolées, qui ont si longtemps et si fidèlement suivi mes fortunes diverses: il n'y en a pas une seule parmi elles, je puis le déclarer (et je ne voudrais pas mentir à cet instant), qui par sa vertu et par la beauté de son âme, par l'honneur et la décence de sa conduite, ne puisse prétendre à un bon et honnête mari, fût-ce un noble; et sûrement ceux qui les auront pour épouses seront des maris heureux.--Ma dernière prière est pour mes domestiques.--Ils sont bien pauvres; mais la pauvreté n'a pu les détacher de moi.--Qu'ils aient leurs gages exactement payés, et quelque chose de plus pour se souvenir de moi. S'il avait plu au ciel de m'accorder une plus longue vie et quelques moyens de les récompenser, nous ne nous serions pas séparés ainsi.--Mon bon seigneur, au nom de ce que vous aimez le mieux dans ce monde, et si vous désirez chrétiennement le repos des âmes trépassées, soyez l'ami de ces pauvres gens, et pressez le roi de me rendre cette dernière justice.

CAPUCIUS.--Par le ciel, je le ferai, ou puisse-je n'être plus considéré comme un homme!

CATHERINE.--Je vous remercie, honnête seigneur. Rappelez-moi en toute humilité à Sa Majesté; dites-lui que ses longs déplaisirs vont s'éloigner de ce monde. Dites-lui que je l'ai béni à l'instant de ma mort, car je le ferai.--Mes yeux s'obscurcissent... Adieu, seigneur.--Griffith, adieu.--Non, pas à vous, Patience, vous ne devez pas me quitter encore.--Conduisez-moi à mon lit.--Appelez d'autres femmes.--Quand je serai morte, chère fille, ayez soin que je sois traitée avec honneur; couvrez-moi de fleurs virginales, afin que l'univers sache que je fus une chaste épouse jusqu'à mon tombeau: qu'on m'y dépose après m'avoir embaumée. Quoique dépouillée du titre de reine, cependant qu'on m'enterre comme une reine et la fille d'un roi. Je n'en peux plus...

(Ils sortent tous conduisant Catherine.)

FIN DU QUATRIÈME ACTE.


ACTE CINQUIÈME


SCÈNE I

Une galerie du palais.

GARDINER, évêque de Winchester, paraît précédé d'un PAGE qui porte un flambeau. Il est rencontré par SIR THOMAS LOVEL.

GARDINER.--Il est une heure, page; n'est-ce pas?

LE PAGE.--Elle vient de sonner.

GARDINER.--Ces heures appartiennent à nos besoins et non à nos plaisirs. C'est le temps de réparer la nature par un repos rafraîchissant, et il n'est pas fait pour qu'on le perde à des inutilités.--Ah! bonne nuit, sir Thomas. Où allez-vous si tard?

LOVEL.--Venez-vous de chez le roi, milord?

GARDINER.--Oui, sir Thomas, et je l'ai laissé jouant à la prime avec le duc de Suffolk.

LOVEL.--Il faut que je me rende aussi auprès de lui, avant son coucher. Je prends congé de vous.

GARDINER.--Pas encore, sir Thomas Lovel. De quoi s'agit-il? Vous paraissez bien pressé? S'il n'y a rien là qui vous déplaise trop fort, dites à votre ami un mot de l'affaire qui vous tient éveillé si tard. Les affaires qui se promènent la nuit (comme on dit que font les esprits) ont quelque chose de plus inquiétant que celles qui se dépêchent à la clarté du jour.

LOVEL.--Milord, je vous aime et j'ose confier à votre oreille un secret beaucoup plus important que l'affaire qui m'occupe en ce moment. La reine est en travail, et, à ce que l'on dit, dans un extrême danger: on craint qu'elle ne meure en accouchant.

GARDINER.--Je fais des voeux sincères pour le fruit qu'elle va mettre au monde: puisse-t-il vivre et avoir d'heureux jours! mais pour l'arbre, sir Thomas, je voudrais qu'il fût déjà mangé des vers.

LOVEL.--Je crois que je pourrais bien vous répondre amen. Et cependant ma conscience me dit que c'est une bonne créature, et qu'une jolie femme mérite de nous des voeux plus favorables.

GARDINER.--Ah! monsieur, monsieur!..--Écoutez-moi, sir Thomas. Vous êtes dans nos principes; je vous connais pour un homme sage et religieux: permettez-moi de vous dire que jamais cela n'ira bien.... Cela n'ira jamais bien, sir Thomas Lovel, retenez cela de moi, que Cranmer, Cromwell, les deux bras de cette femme, et elle, ne soient endormis dans leurs tombeaux.

LOVEL.--Savez-vous que vous parlez là des deux plus éminents personnages du royaume? Car Cromwell, outre la charge de grand maître des joyaux de la couronne, vient d'être fait garde des rôles de la chancellerie et secrétaire du roi, il est sur le chemin, et dans l'attente encore de plus grandes dignités que le temps accumulera sur sa tête. L'archevêque est la main et l'organe du roi. Qui osera proférer une syllabe contre lui?

GARDINER.--Oui, oui, sir Thomas, il s'en trouvera qui l'oseront; et moi-même, je me suis hasardé à déclarer ce que je pense de lui; aujourd'hui même, je puis vous le dire, je crois être parvenu à échauffer les lords du conseil. Je sais, et ils le savent aussi, que c'est un archi-hérétique, une peste qui infecte le pays, et ils se sont déterminés à en parler au roi, qui a si bien prêté l'oreille à notre plainte que, daignant prendre en considération dans sa royale prévoyance, les affreux périls que nous avons mis devant ses yeux, il a donné ordre qu'il fût cité demain matin devant le conseil assemblé. C'est une plante venimeuse, sir Thomas, et il faut que nous la déracinions. Mais je vous retiens trop longtemps loin de vos affaires. Bonne nuit, sir Thomas.

LOVEL.--Mille bonnes nuits, milord! Je reste votre serviteur.

(Sortent Gardiner et son page.)

(Lovel va pour sortir, le roi entre avec le duc de Suffolk.)

LE ROI HENRI.--- Charles, je ne joue plus cette nuit: mon esprit n'est point au jeu, vous êtes trop fort pour moi.

SUFFOLK.--Sire, jamais je ne vous ai gagné avant ce soir.

LE ROI HENRI.--Ou fort peu, Charles, et vous ne me gagnerez pas quand mon attention sera à mon jeu.--Eh bien, Lovel, quelles nouvelles de la reine?

LOVEL.--Je n'ai pu lui remettre moi-même le message dont vous m'avez chargé: mais je me suis acquitté de votre message par une de ses femmes, qui m'a rapporté les remercîments de la reine, dans les termes les plus humbles; elle demande ardemment à Votre Majesté de prier pour elle.

LE ROI HENRI.--Que dis-tu? Ah! de prier pour elle? Quoi, est-elle dans les douleurs?

LOVEL.--Sa dame d'honneur me l'a dit, et m'a ajouté qu'elle souffrait tellement, que chaque douleur était presque une mort.

LE ROI HENRI.--Hélas, chère femme!

SUFFOLK.--Que Dieu la délivre heureusement de son fardeau et par un travail facile, pour gratifier Votre Majesté du présent d'un héritier!

LE ROI HENRI.--Il est minuit: Charles, va chercher ton lit, je te prie; et dans tes prières souviens-toi de l'état de la pauvre reine. Laisse-moi seul, car cette pensée qui va m'occuper n'aimerait pas la compagnie.

SUFFOLK.--Je souhaite à Votre Majesté une bonne nuit, et je n'oublierai pas ma bonne maîtresse dans mes prières.

LE ROI HENRI.--Bonne nuit, Charles. (Suffolk sort. Entre sir Antoine Denny.) Eh bien, que voulez-vous?

DENNY.--Sire, j'ai amené milord archevêque, comme vous me l'avez commandé.

LE ROI HENRI.--Ah! de Cantorbéry?

DENNY.--Oui, mon bon seigneur.

LE ROI HENRI.--Cela est vrai.--Où est-il, Denny?

DENNY.--Il attend les ordres de Votre Majesté.

LE ROI HENRI.--Va: qu'il vienne.

(Denny sort.)

LOVEL, à part.--Il s'agit sûrement de l'affaire dont l'évêque m'a parlé: je suis venu ici fort à propos.

(Rentre Denny avec Cranmer.)

LE ROI HENRI.--Videz la galerie. (A Lovel qui a l'air de vouloir rester.) Eh bien, ne vous l'ai-je pas dit? Allons, sortez: qu'est-ce donc?

(Lovel et Denny sortent.)

CRANMER.--Je suis dans la crainte.--Pourquoi ces regards sombres? Il a son air terrible.--Tout ne va pas bien.

LE ROI HENRI.--Eh bien, milord, vous êtes curieux de savoir pourquoi je vous ai envoyé chercher?

CRANMER.--C'est mon devoir d'être aux ordres de Votre Majesté.

LE ROI HENRI.--Je vous prie, levez-vous, mon cher et honnête lord de Cantorbéry. Venez, il faut que nous fassions un tour ensemble: j'ai des nouvelles à vous apprendre. Allons, venez: donnez-moi votre main.--Ah! mon cher lord, j'ai de la douleur de ce que j'ai à vous dire, et je suis sincèrement affecté d'avoir à vous faire connaître ce qui va s'ensuivre. J'ai dernièrement, et bien malgré moi, entendu beaucoup de plaintes graves; oui, milord, des plaintes très graves contre vous: après examen, elles nous ont déterminé, nous et notre conseil, à vous faire comparaître ce matin devant nous. Et je sais que vous ne pouvez vous disculper assez complètement, pour que, durant la procédure à laquelle donneront lieu ces charges sur lesquelles vous serez interrogé, vous ne soyez pas obligé, appelant la patience à votre aide, de faire votre demeure à la Tour. Vous ayant pour confrère dans notre conseil, il convient que nous procédions ainsi, autrement nul témoin n'oserait se produire contre vous.

CRANMER.--Je remercie humblement Votre Majesté, et je saisirai, avec une véritable joie, cette occasion favorable d'être vanné à fond, en telle sorte que le son et le grain se séparent entièrement; car je sais que personne autant que moi, pauvre homme, n'est en butte aux discours de la calomnie.

LE ROI HENRI.--Lève-toi, bon Cantorbéry. Ta fidélité, ton intégrité, ont jeté des racines en nous, en ton ami.--Donne-moi ta main: lève-toi.--Je te prie, continuons de marcher.--Mais, par Notre-Dame, quelle espèce d'homme êtes-vous donc? Je m'attendais, milord, que vous me demanderiez de prendre la peine de confronter moi-même vos accusateurs et vous, et de vous laisser vous défendre sans aller en prison.

CRANMER.--Redouté seigneur, l'appui sur lequel je me fonde, c'est ma loyauté et ma probité. Si elles viennent à me manquer avec mes ennemis, je me réjouirai de ma chute, ne m'estimant plus moi-même dès que je ne posséderais plus ces vertus.--Je ne redoute rien de ce qu'on peut avancer contre moi.

LE ROI HENRI.--Ne savez-vous donc pas quelle est votre position dans le monde et avec tout le monde? Vos ennemis sont nombreux, et ce ne sont pas de petits personnages; leurs trames secrètes doivent être en proportion de leur force et de leur pouvoir; et la justice, la bonté d'une cause, n'emportent pas toujours un arrêt tel qu'on le leur doit. Ne savez-vous pas avec quelle facilité des âmes corrompues peuvent se procurer des misérables corrompus comme elles pour prêter serment contre vous? Ces exemples se sont vus. Vous avez à lutter contre des adversaires puissants et contre des haines aussi puissantes. Vous imaginez-vous avoir meilleure fortune contre des témoins parjures, que ne l'eut votre Maître, dont vous êtes le ministre, lorsqu'il vivait ici-bas sur cette terre criminelle? Allez, allez; vous prenez un précipice affreux pour un fossé qu'on peut franchir sans danger, et vous courez au-devant de votre ruine.

CRANMER.--Que Dieu et Votre Majesté protègent donc mon innocence, ou je tomberai dans le piège dressé sous mes pas!

LE ROI HENRI.--Soyez tranquille: ils ne peuvent remporter sur vous qu'autant que je le leur permettrai. Prenez donc courage et songez à comparaître ce matin devant eux. S'il arriva que leurs accusations soient de nature â vous faire conduire en prison, ne manquez pas de vous en défendre par les meilleures raisons possibles, et avec toute la chaleur que pourra vous inspirer la circonstance. Si vos représentations sont inutiles, donnez-leur cet anneau, et alors, formez devant eux appel à nous. Voyez, il pleure cet excellent homme! il est honnête, sur mon honneur. Sainte mère de Dieu! je jure qu'il a un coeur fidèle, et qu'il n'y a pas une plus belle âme dans tout mon royaume.--Allez, et faites ce que je vous ai recommandé. (Sort Cranmer.) Ses larmes ont étouffé sa voix.

(Entre une vieille dame.)

UN DES GENTILSHOMMES, derrière le théâtre.--Revenez sur vos pas. Que voulez-vous!

LA VIEILLE DAME.--Je ne retourne point sur mes pas. La nouvelle que j'apporte rend ma hardiesse convenable. Que les bons anges volent sur la tête royale, et ombragent ta personne de leurs saintes ailes!

LE ROI HENRI.--Je lis déjà dans tes yeux le message que tu viens m'apporter. La reine est-elle délivrée? Dis oui; et d'un garçon.

LA VIEILLE DAME.--Oui, oui, mon souverain, et d'un charmant garçon. Que le Dieu du ciel la bénisse à présent et toujours! c'est une fille qui promet des garçons pour la suite. Sire, la reine désire votre visite, et que vous veniez faire connaissance avec cette étrangère: elle vous ressemble, comme une cerise à une cerise.

LE ROI HENRI.--Lovel!

(Entre Lovel.)

LOVEL.--Sire?

LE ROI HENRI.--Donnez-lui cent marcs. Je vais aller voir la reine.

(Sort le roi.)

LA VIEILLE DAME.--Cent marcs! Par cette lumière, j'en veux davantage! Ce cadeau est bon pour un valet; j'en aurai davantage, ou je lui en ferai la honte. Est-ce là payer le compliment que je lui ai fait, que sa fille lui ressemblait? J'en aurai davantage, ou je dirai le contraire: et tout à l'heure, tandis que le fer est chaud, je veux en avoir raison.

(Ils sortent.)


SCÈNE II

Un vestibule précédant la salle du conseil.

UN HUISSIER DE SERVICE, DES VALETS; entre CRANMER.

CRANMER.--J'espère que je ne suis pas en retard, et cependant le gentilhomme qui m'a été envoyé de la part du conseil m'a prié de faire la plus grande diligence.--Tout fermé! Que veut dire ceci?--Holà! qui est ici de garde? Sûrement, je suis connu de vous?

L'HUISSIER.--Oui, milord; et cependant je ne peux vous laisser entrer.

CRANMER.--Pourquoi?

L'HUISSIER.--Il faut que Votre Grâce attende qu'on l'appelle.

(Entre le docteur Butts, médecin du roi.)

CRANMER, à l'huissier.--Soit.

BUTTS.--C'est un méchant tour qu'on veut lui faire! Je suis bien aise d'avoir passé si à propos: le roi en sera instruit à l'heure même.

(Sort Butts.)

CRANMER, à part.--C'est Butts, le médecin du roi! avec quel sérieux il attachait ses regards sur moi en passant! Dieu veuille que ce ne fût pas pour sonder toute la profondeur de ma disgrâce!--Ceci a été arrangé à dessein, par quelques-uns de mes ennemis, pour me faire outrage. Dieu veuille changer leurs coeurs! je n'ai jamais en rien mérité leur haine. S'il en était autrement, ils devraient rougir de me faire ainsi attendre à la porte; un de leurs collègues au conseil, parmi les pages, les valets et la livrée! Mais il faut se soumettre à leur volonté, et j'attendrai avec patience.

(Le roi et Butts paraissent à une fenêtre.)

BUTTS.--Je vais montrer à Votre Majesté une des plus étranges choses...

LE ROI HENRI.--Qu'est-ce que c'est, Butts?

BUTTS.--J'imagine que Votre Majesté a vu cela fort souvent?

LE ROI HENRI.--Par ma tête, dites-moi donc de quel côté?

BUTTS.--Là-bas, mon prince: voyez le haut rang où l'on vient de faire monter Sa Grâce de Cantorbéry, qui tient sa cour à la porte, parmi les suivants, les pages et les valets de pied.

LE ROI HENRI.--Ah! c'est lui, en vérité. Quoi? est-ce là l'honneur qu'ils se rendent les uns aux autres? Fort bien. Il y a heureusement quelqu'un au-dessus d'eux tous.--Je croyais qu'il y aurait eu entre eux assez d'honnêteté réciproque, de politesse au moins, pour ne pas souffrir qu'un homme de son rang, et si avant dans nos bonnes grâces, demeurât à faire le pied de grue en attendant le bon plaisir de leurs seigneuries, et à la porte encore comme un messager chargé de paquets. Par sainte Marie! Butts, il y a ici de la méchanceté.--Laissons-les et fermons le rideau; nous en entendrons davantage dans un moment.

(Entrent le lord chancelier, le duc de Suffolk, le comte de Surrey, le lord chambellan, Gardiner et Cromwell. Le chancelier se place au haut bout de la table du conseil, à la gauche: reste un siége vide au-dessus de lui, comme pour être occupé par l'archevêque de Cantorbéry. Les autres se placent en ordre de chaque côté. Cromwell se met au bas bout de la table, en qualité de secrétaire.)

LE CHANCELIER.--Maître greffier, appelez l'affaire qui tient le conseil assemblé.

CROMWELL.--Sous le bon plaisir de vos seigneuries, la principale cause est celle qui concerne Sa Grâce l'archevêque de Cantorbéry.

GARDINER.--En a-t-il été informé?

CROMWELL.--Oui.

NORFOLK.--Qui est présent?

L'HUISSIER.--Là dehors, mes nobles lords?

GARDINER.--Oui.

L'HUISSIER.--Milord archevêque; il y a une demi-heure qu'il attend vos ordres.

LE CHANCELIER.--Faites-le entrer.

L'HUISSIER, à l'archevêque.--Votre Grâce peut entrer à présent.

(Cranmer entre et s'approche de la table du conseil.)

LE CHANCELIER.--Mon bon lord archevêque, je suis sincèrement affligé de siéger ici dans ce conseil, et de voir ce siège vacant. Mais nous sommes tous des hommes, fragiles de notre nature; et par le seul fait de la chair, il y en a bien peu qui soient des anges. C'est par une suite de cette fragilité et d'un défaut de sagesse que vous, qui étiez l'homme fait pour nous donner des leçons, vous vous êtes égaré vous-même dans votre conduite, et assez grièvement, d'abord contre le roi, ensuite contre ses lois, en remplissant tout le royaume, et par vos enseignements et par ceux de vos chapelains (car nous en sommes informés), d'opinions nouvelles, hétérodoxes et dangereuses qui sont des hérésies, et qui, si elles ne sont pas réformées, pourraient devenir pernicieuses.

GARDINER.--Et cette réforme doit être prompte, mes nobles lords; car ceux qui façonnent un cheval fougueux ne prétendent pas l'adoucir et le dresser en le menant à la main; mais ils entravent sa bouche d'un mors inflexible, et le châtient de l'éperon jusqu'à ce qu'il obéisse au manège. Si nous souffrons par notre mollesse et par une puérile pitié, pour l'honneur d'un seul homme, que ce mal contagieux s'établisse, adieu tous les remèdes; et quelles en seront les conséquences? des secousses, des bouleversements, et l'infection générale du royaume, comme dernièrement nos voisins de la haute Allemagne nous en ont donné à leurs dépens un exemple dont le déplorable souvenir est encore tout frais dans notre mémoire.

CRANMER.--Mes bons lords, jusqu'ici pendant tout le cours de ma vie et de mes fonctions, j'ai travaillé, et non sans une grande application, à diriger mes enseignements et la marche ferme de mon autorité, dans une route sûre et uniforme dont le but a toujours été d'aller au bien; et il n'y a pas un homme au monde (je le dis avec un coeur sincère, milords) qui abhorre plus que moi et qui, soit dans l'intérieur de sa conscience, soit dans l'administration de sa place, repousse plus que je ne le fais, les perturbateurs de la paix publique. Je prie le Ciel que le roi ne rencontre jamais un coeur moins rempli de fidélité. Les hommes qui se nourrissent d'envie et d'une perfide malice, osent mordre les meilleurs. Je demande instamment à Vos Seigneuries que, dans cette cause, mes accusateurs, quels qu'ils soient, me soient opposés face à face, et qu'ils articulent librement leurs accusations contre moi.

SUFFOLK.--Eh! milord, cela ne se peut pas. Vous êtes membre du conseil; repoussé par cette dignité, nul homme n'oserait se porter votre accusateur.

GARDINER.--Milord, comme nous avons des affaires plus importantes, nous abrégerons avec vous. L'intention de Sa Majesté et notre avis unanime est que, pour mieux approfondir votre procès, on vous fasse conduire de ce pas à la Tour. Là, redevenant homme privé, vous verrez plusieurs personnes vous accuser sans crainte, de plus de choses, j'en ai peur, que vous n'êtes en état d'en repousser.

CRANMER.--Ah! mon bon lord de Winchester, je vous rends grâces; vous fûtes toujours un excellent ami. Si votre avis passe, je trouverai en vous un juge et un témoin, tant vous êtes miséricordieux. Je vois votre but; c'est ma perte. La charité, la douceur, milord, sied mieux à un homme d'église que l'ambition. Cherchez à ramener par la modération les âmes égarées, n'en rebutez aucune.--Faites peser sur ma patience tout ce que vous pourrez; je me justifierai, j'en fais aussi peu de doute que vous vous faites peu de conscience de commettre chaque jour l'injustice. Je pourrais en dire davantage, mais le respect que je porte à votre état m'oblige à me modérer.

GARDINER.--Milord, milord, vous êtes un sectaire: voilà la pure vérité. Le fard brillant dont vous vous colorez ne laisse apercevoir à ceux qui savent vous démêler que des mots et de la faiblesse.

CROMWELL.--Milord de Winchester, permettez-moi de vous le dire, vous êtes un peu trop dur: des hommes d'un si noble caractère, fussent-ils tombés en faute, devraient trouver du respect pour ce qu'ils ont été. C'est une cruauté que de surcharger un homme qui tombe.

GARDINER.--Cher maître greffier, j'en demande pardon à votre honneur; vous êtes, de tous ceux qui s'asseyent à cette table, celui à qui il est le moins permis de parler ainsi.

CROMWELL.--Pourquoi, milord?

GARDINER.--Ne vous connais-je pas pour un fauteur de cette nouvelle secte? Vous n'êtes pas pur.

CROMWELL.--Pas pur?

GARDINER.--Non, vous n'êtes pas pur, vous dis-je.

CROMWELL.--Plût à Dieu que vous fussiez la moitié aussi honnête! vous verriez s'élever autour de vous les prières des hommes et non leurs craintes.

GARDINER.--Je me souviendrai de l'audace de ce propos.

CROMWELL.--Comme il vous plaira. Souvenez-vous aussi de l'audace de votre conduite.

LE CHANCELIER.--C'en est trop. Contenez-vous, milords: n'avez-vous pas de honte?

GARDINER.--J'ai fini.

CROMWELL.--Et moi aussi.

LE CHANCELIER.--Quant à vous, milord, il est arrêté, à ce qu'il me paraît, par toutes les voix, que vous serez sur-le-champ conduit prisonnier à la Tour, pour y rester jusqu'à ce qu'on vous fasse connaître le bon plaisir du roi.--N'êtes-vous pas tous de cet avis, milords?

TOUS.--C'est notre avis.

CRANMER.--N'y a-t-il donc point d'autre moyen d'obtenir miséricorde que d'être conduit à la Tour, milords?

GARDINER.--Quelle autre voudriez-vous attendre? Vous êtes étrangement fatigant. Qu'on fasse venir ici un homme de la garde.

(Entre un garde.)

CRANMER.--Pour moi! Faut-il donc que j'y sois conduit comme un traître?

GARDINER, au garde.--On vous le consigne pour le conduire sûrement à la Tour.

CRANMER.--Arrêtez, mes bons lords: j'ai encore un mot à vous dire. Jetez les yeux ici, milords. Par la vertu de cet anneau, j'arrache ma cause des serres d'hommes cruels, et je la remets dans les mains d'un beaucoup plus noble juge, dans celles du roi mon maître.

LE CHANCELIER.--C'est l'anneau du roi!

SURREY.--Ce n'est pas un anneau contrefait?

SUFFOLK.--C'est vraiment l'anneau royal, par le ciel? Je vous l'ai dit à tous, lorsque nous avons mis en mouvement cette dangereuse pierre, qu'elle retomberait sur nos têtes.

NORFOLK.--Croyez-vous, milords, que le roi souffre qu'on blesse seulement le petit doigt de cet homme?

LE CHANCELIER.--C'est maintenant trop certain; et combien sa vie ne lui est-elle pas précieuse! Je voudrais bien être tiré de ce pas.

CROMWELL.--En cherchant à recueillir les propos et les informations contre cet homme dont la probité ne peut avoir d'ennemis que le diable et ses disciples, le coeur me disait que vous allumiez le feu qui brûle; maintenant songez à vous.

(Entre le roi qui lance sur eux un regard irrité; il prend sa place.)

GARDINER.--Redouté souverain, combien nous devons tous les jours rendre de grâces au Ciel qui nous a donné un prince non-seulement si bon et si sage, mais encore si religieux; un roi qui, en toute obéissance, fait de l'Église le soin principal de sa gloire, et qui, pour fortifier ce pieux devoir, vient, par un tendre respect, assister de sa personne royale au jugement de la cause qui s'agite entre elle et ce grand coupable!

LE ROI HENRI.--Évêque de Winchester, vous fûtes toujours excellent pour les compliments improvisés; mais sachez que je ne viens point ici aujourd'hui pour m'entendre adresser ces flatteries en face: elles sont trop basses et trop transparentes pour cacher les actions qui m'offensent. Ne pouvant atteindre jusqu'à moi, vous faites le chien couchant, et vous espérez me gagner par des mouvements de langue; mais de quelque façon que vous vous y preniez avec moi, je suis certain d'une chose, c'est que vous êtes d'un naturel cruel et sanguinaire.--(A Cranmer.) Homme de bien, asseyez-vous à votre place. A présent, voyons si le plus fier d'entre eux, le plus hardi, remuera seulement contre vous le bout du doigt: Par tout ce qu'il y a de plus sacré, il vaudrait mieux pour lui mourir de misère, que d'avoir seulement un instant la pensée que cette place ne soit pas faite pour vous.

SURREY.--S'il plaisait à Votre Majesté...

LE ROI HENRI.--Non, monsieur, il ne me plaît pas.... J'avais cru que je possédais dans mon conseil des hommes de quelque sagesse et de quelque jugement; mais je n'en trouve pas un. Était-il sage et décent, lords, de laisser cet homme, cet homme de bien (il en est peu parmi vous qui méritent ce titre), cet homme d'honneur, attendre comme un gredin de valet à la porte de la chambre, lui votre égal? Eh quoi! quelle honte est-ce là? Ma commission vous ordonnait-elle de vous oublier jusqu'à cet excès? Je vous ai donné pouvoir de procéder envers lui comme envers un membre du conseil, et non pas comme envers un valet de pied. Il est quelques hommes parmi vous, je le vois, qui, bien plus animés par la haine que par un sentiment d'intégrité, ne demanderaient pas mieux que de le juger à la dernière rigueur s'ils en avaient la faculté, que vous n'aurez jamais tant que je respirerai.

LE CHANCELIER.--Votre Grâce veut-elle bien permettre, mon très-redouté souverain, que ma voix vous présente notre excuse à tous. Si l'on avait proposé son emprisonnement, c'était (s'il est quelque bonne foi dans le coeur des hommes), c'était beaucoup plutôt pour sa justification et pour faire éclater publiquement son innocence, que par aucun dessein de lui nuire: j'en réponds du moins pour moi.

LE ROI HENRI.--Bien, bien.--Allons, milords, respectez-le. Recevez-le parmi vous, pensez bien de lui, soyez bien pour lui, il en est digne. J'irai même jusqu'à dire sur son compte que si un roi peut être redevable à son sujet, je le suis, moi, envers lui pour son attachement et ses services. Ne venez plus me tourmenter, mais embrassez-le tous: soyez amis; ou ce serait une honte, milords.--Milord de Cantorbéry, j'ai à vous présenter une requête que vous ne devez pas rejeter: il y a ici une belle jeune fille qui n'a pas encore reçu le baptême; il faut que vous soyez son père spirituel, et que vous répondiez pour elle.

CRANMER.--Le plus grand monarque aujourd'hui existant se glorifierait de cet honneur: comment puis-je le mériter, moi, qui ne suis qu'un de vos obscurs et humbles sujets?

LE ROI HENRI.--Allons, allons, milord, je vois que vous voudriez bien vous épargner les cuillers 12. Vous aurez avec vous deux nobles compagnes, la vieille duchesse de Norfolk et la marquise de Dorset: vous plaisent-elles pour commères?--Encore une fois, milord de Winchester, je vous enjoins d'embrasser et d'aimer cet homme.

Note 12: (retour) L'usage était de faire présent à l'enfant qu'on tenait sur les fonts de baptême de cuillers dorées, qu'on appelait les cuillers des apôtres. Les gens magnifiques en donnaient douze sur chacune desquelles était la figure d'un apôtre. De moins généreux se réduisaient aux quatre évangélistes. Quand on n'en donnait qu'une, elle était consacrée au patron de l'enfant.

GARDINER.--Du coeur le plus sincère, et avec l'amour d'un frère.

CRANMER.--Que le Ciel me soit témoin combien cette assurance de votre part m'est chère!

LE ROI HENRI.--Homme vertueux, ces larmes de joie montrent l'honnêteté de ton coeur. Je vois la confirmation de ce que dit de toi la commune voix: «Faites un mauvais tour à milord de Cantorbéry et il sera votre ami pour toujours,» Allons, milords, nous gaspillons ici le temps: il me tarde de voir cette petite faite chrétienne. Restez unis, lords, comme je viens de vous unir: ma puissance en sera plus forte, et vous en serez plus honorés.

(Tous sortent.)


SCÈNE III

La cour du palais.

Bruit et tumulte derrière le théâtre.

Entre LE PORTIER avec son VALET.

LE PORTIER.--Je vais bien vous faire cesser ce vacarme tout à l'heure, canaille. Prenez-vous la cour du palais pour Paris-Garden 13? Allez, malotrus, allez brailler ailleurs.

Note 13: (retour) Paris-Garden était le nom de l'arène aux ours.

UNE VOIX, derrière le théâtre.--Mon bon monsieur le portier, j'appartiens à la charcuterie.

LE PORTIER.--Appartiens à la potence, et va te faire pendre, coquin. Est-ce ici une place pour beugler ainsi? Apportez-moi une douzaine de bâtons de pommier sauvage, et des plus forts: ceux-ci ne sont pour eux que des badines.--Je vous étrillerai la tête. Ah! vous voulez voir des baptêmes? croyez-vous trouver ici de la bière et des gâteaux, brutaux que vous êtes?

LE VALET.--Je vous prie, monsieur, prenez patience. Il est aussi impossible, à moins de balayer la porte avec du canon, de les renvoyer, que de les faire dormir le matin du premier jour de mai, ce qu'on ne verra jamais. Autant vaudrait entreprendre de reculer Saint-Paul que de les faire bouger.

LE PORTIER.--Puisses-tu être pendu! Comment sont-ils entrés?

LE VALET.--Hélas! je n'en sais rien. Comment le flot de la marée entre-t-il? Autant qu'un robuste gourdin de quatre pieds (vous voyez ce qui m'en reste) a pu distribuer de coups, je n'ai pas été à l'épargne, je vous jure.

LE PORTIER.--Vous n'avez rien fait.

LE VALET.--Je ne suis pas Samson, ni sir Guy 14, ni Colbrand, pour les faucher devant moi. Mais si j'en ai ménagé aucun qui eût une tête à frapper, jeune ou vieux, mâle ou femelle, cocu ou faiseur de cocus, que je ne goûte jamais de boeuf! Et je ne voudrais pas manger de la vache, Dieu l'ait en sa garde!

UNE VOIX derrière le théâtre.--Entendez-vous, monsieur le portier?

LE PORTIER.--Je vais être à toi tout à l'heure, monsieur le sot.--(Au valet.) Tiens la porte fermée, coquin.

LE VALET.--Comment voulez-vous que je fasse?

LE PORTIER.--Ce que je veux que vous fassiez? Que vous les renversiez par douzaine à grands coups de bâton. Est-ce ici la plaine de Morefields, pour y venir passer en revue? ou avons-nous quelque sauvage indien, fait d'une singulière façon 15, et récemment arrivé à la cour, pour que les femmes nous assiègent ainsi? Bon Dieu! que de germes de fornication à cette porte! Sur ma conscience chrétienne, ce seul baptême en engendrera mille; et l'on trouvera ici le père et le parrain, et le tout ensemble.

Note 14: (retour) Sir Guy de Warwick, chevalier célèbre dans les anciennes romances, par qui fut tué, à Winchester, le géant danois Colbrand.
Note 15: (retour) With the great tool.

LE VALET.--Il y en aura que plus de cuillers, mon maître.--Il y a là, assez près de la porte, un quidam qui, à sa face, doit être un brûlot 16; car, sur ma conscience, vingt des jours de la canicule brûlent sur son nez: tous ceux qui sont autour de lui sont placés sous la ligne; ils n'ont pas besoin d'autre punition. Je vous ai attrapé trois fois ce dragon flamboyant sur la tête, et trois fois son nez a fait une décharge contre moi: il se tient là comme un mortier, pour nous bombarder. Il avait près de lui la femme d'un revendeur de menues friperies, qui criait contre moi jusqu'à ce qu'enfin son écuelle piquée 17 a sauté de sa tête, en punition de ce qu'elle allumait une telle combustion dans l'état. J'avais manqué une fois le météore, et attrapé cette femme, qui s'est mise à crier: A moi, gourdins! Tout aussitôt j'ai vu de loin venir à son secours, le bâton au poing, quarante drôles, l'espérance du Strand, où elle loge: ils sont venus pour fondre sur moi; j'ai tenu bon et défendu mon terrain: ensuite ils en sont venus, avec moi, aux coups de manche à balai; je les ai encore défiés: lorsque tout à coup une file de jeunes garçons retranchés derrière eux, déterminés garnements, m'ont administré une telle grêle de cailloux, que j'ai été fort content de retirer mon honneur en dedans, et de leur laisser emporter l'ouvrage. Je crois, ma foi, que le diable était de leur bande.

LE PORTIER.--Ce sont tous ces jeunes vauriens qui tonnent au spectacle, où ils se battent à coups de pommes mordues, et que nul autre auditoire ne peut endurer que la tribulation de Tower-hill, ou les habitants de Lime-House 18, leurs chers confrères. J'en ai envoyé quelques-uns in limbo patrum; c'est là qu'ils pourront bien chômer ces trois jours de fête, outre le petit régal du fouet qui viendra après.

Note 16: (retour) A brazier. Brazier veut dire un brasier, et un homme qui travaille. Il a fallu, pour donner quelque sens à la plaisanterie, s'écarter un peu du sens littéral du mot.
Note 17: (retour) Bonnet piqué, ayant apparemment la forme d'une écuelle.
Note 18: (retour) On croit que la tribulation de Tower-Hill était le nom d'une assemblée de puritains. Quant à Lime-House, c'est le quartier qu'habitaient les fournisseurs des différents objets nécessaires pour l'équipement des vaisseaux; comme ils employaient des ouvriers de différents pays, et de religions diverses, dans les temps de querelles religieuses, ce quartier était renommé pour la turbulence de ses habitants.

(Entre le lord chambellan.)

LE CHAMBELLAN.--Merci de moi, quelle multitude ici! Elle grossit à chaque instant; ils accourent de tous côtés, comme si nous tenions une foire. Où sont donc ces portiers? ces fainéants coquins!--(Aux portiers.) Vous avez fait là un beau tour! Voilà une brillante assemblée!--Sont-ce là tous vos fidèles amis des faubourgs? Il nous restera beaucoup de place, vraiment, pour les dames, lorsqu'elles vont passer en revenant du baptême!

LE PORTIER.--Avec la permission de Votre Honneur, nous ne sommes que des hommes; et tout ce que peuvent faire, sans être mis en pièces, des hommes en si petit nombre que nous le sommes, nous l'avons fait. Une armée entière ne les contiendrait pas.

LE CHAMBELLAN.--Sur ma vie, si le roi m'en fait reproche, je vous chasse tous sur l'heure, et je vous impose de plus une bonne amende pour votre négligence. Vous êtes des coquins de paresseux qui demeurez occupés aux bouteilles, tandis que vous devriez être à votre service.--Écoutez; les trompettes sonnent. Les voilà déjà de retour de la cérémonie.--Allons, fendez-moi la presse, et forcez un passage pour laisser défiler librement le cortège; ou je vous trouverai une prison pour vous y divertir une couple de mois.

LE PORTIER.--Faites place pour la princesse.

LE VALET.--Vous, grand vaurien, serrez-vous, ou je vous caresserai la tête.

LE PORTIER.--Vous, l'habit de camelot, à bas des barrières, ou je vous empalerai sur les pieux.

(Ils sortent.)


SCÈNE IV

Le palais.

Entrent des trompettes, sonnant de leurs instruments; suivent deux aldermen, le LORD MAIRE, GARTER, CRANMER, LE DUC DE NORFOLK, avec son bâton de maréchal, deux nobles qui portent deux grandes coupes à pied, pour les présents du baptême. Ensuite quatre nobles soutenant un dais sous lequel est la DUCHESSE DE NORFOLK, marraine, tenant l'enfant richement enveloppé d'une mante; une dame lui porte la robe. Suivent la MARQUISE DE DORSET, l'autre marraine, et des dames. Tout le cortège passe en cérémonie autour du théâtre, et GARTER, élève la voix.

GARTER.--Ciel, dans ta bonté infinie, accorde une vie prospère, longue et toujours heureuse, à la haute et puissante princesse d'Angleterre, Élisabeth!

(Fanfares. Le roi Henri avec sa suite.)

CRANMER, s'agenouillant.--Voici la prière que nous adressons à Dieu, mes deux nobles compagnes et moi, pour votre royale Majesté, et pour notre bonne reine. Que toutes les consolations, toutes les joies que le Ciel ait jamais placées dans les enfants pour le bonheur de leurs parents, se répandent à chaque instant sur vous dans la personne de cette gracieuse princesse!

LE ROI HENRI.--Je vous remercie, mon bon lord archevêque.--Quel est le nom de l'enfant?

CRANMER.--Elisabeth.

LE ROI HENRI, à Cranmer.--Levez-vous, lord.--(Il baise l'enfant.) Dans ce baiser reçois ma bénédiction. Que Dieu te protège! Je remets ta vie en ses mains.

CRANMER.--Amen!

LE ROI HENRI.--Mes nobles commères, vous avez été trop prodigues. Je vous en remercie de tout mon coeur; et cette jeune lady vous en remerciera aussi, dès qu'elle saura assez d'anglais pour cela.

CRANMER.--Écoutez-moi, Sire, car c'est le Ciel qui m'ordonne de parler; et que personne ne prenne pour flatterie les paroles que je vais prononcer; l'événement en justifiera la vérité.--Cette royale enfant (que le Ciel veille toujours autour d'elle!), quoique encore au berceau, promet déjà à ce pays mille et mille bénédictions que le temps fera éclore. Elle sera (mais peu d'hommes vivants aujourd'hui pourront contempler ses grandes qualités) un modèle pour tous les princes ses contemporains, et pour ceux qui leur succéderont. Jamais Shéba ne rechercha avec tant d'ardeur la sagesse, et l'aimable vertu, que le fera cette âme pure. Toutes les grâces souveraines qui concourent à former un être aussi auguste, avec toutes les vertus qui suivent les bons princes, seront doublées dans sa personne. Elle sera nourrie dans la vérité; les saintes et célestes pensées seront ses guides; elle sera chérie et redoutée; son peuple la bénira; ses ennemis trembleront devant elle comme un champ d'épis battus, et inclineront leur front dans la tristesse. Le bien va croître et prospérer avec elle; sous son règne tout homme mangera en sûreté, sous l'ombrage de sa vigne, les fruits qu'il aura plantés, et chantera à tous ses voisins les joyeux chants de la paix; Dieu sera vraiment connu; et ceux qui l'entoureront seront instruits par elle dans les voies droites de l'honneur; et c'est de là qu'ils tireront leur grandeur, et non de la noblesse du sang et des aïeux.--Et cette paix fortunée ne s'éteindra pas avec elle. Mais, ainsi qu'après la mort de l'oiseau merveilleux, le phénix toujours vierge, ses cendres lui créent un héritier, aussi beau, aussi admirable que lui; de même, lorsqu'il plaira au Ciel de l'appeler à lui dans cette vallée de ténèbres, elle transmettra ses dons et son bonheur à un successeur, qui, renaissant des cendres sacrées de sa gloire, égal à elle en renommée, s'élèvera comme un astre, et se fixera dans la même sphère. La paix, l'abondance, l'amour, la vérité et le respect qui auront été le cortège de cette enfant choisie se placeront auprès de son successeur et s'attacheront à lui comme la vigne. La gloire et la renommée de son nom se répandront et fonderont de nouvelles nations partout où le brillant soleil des cieux porte sa lumière.--Il fleurira, et, comme un cèdre des montagnes, il étendra ses rameaux sur toutes les plaines d'alentour.--Les enfants de nos enfants verront ces choses et béniront le Ciel.

LE ROI HENRI--Tu nous annonces des prodiges.

CRANMER.--Elle arrivera pour le bonheur de l'Angleterre à un âge avancé; une multitude de jours la verront régner; et il ne s'en écoulera pas un seul qui ne soit couronné par quelque action mémorable. Hélas! plût à Dieu que je ne visse pas plus loin, mais elle doit mourir, il le faut: il faut que les anges la possèdent à leur tour. Toujours vierge elle rentrera dans la terre comme un lis sans tache, et l'univers sera dans le deuil.

LE ROI HENRI.--O lord archevêque! c'est par toi que je viens de commencer d'exister; jamais avant la naissance de cette heureuse enfant, je n'avais encore possédé aucun bien. Ces oracles consolants m'ont tellement charmé, que, lorsque je serai dans les cieux, je serai encore jaloux de contempler ce que fait cette enfant sur la terre, et que je bénirai l'auteur de mon être.--Je vous remercie tous.--Je vous ai de grandes obligations, à vous, lord maire, et à vos dignes adjoints. J'ai reçu beaucoup d'honneur de votre présence, et vous me trouverez reconnaissant.--Lords, remettez-vous en marche.--Vous devez tous votre visite à la reine qui vous doit des remercîments; si elle ne vous voyait, elle en serait malade. Que dans ce jour nul ne pense qu'il ait aucune affaire à son logis; tous resteront avec moi. Ce petit enfant fait de ce jour un jour de fête.

(Tous sortent.)


ÉPILOGUE

«Il y a dix à parier contre un que cette pièce ne plaira pas à tous ceux qui sont ici. Quelques-uns viennent pour prendre leurs aises, et dormir pendant un acte ou deux; mais ceux-là nous les aurons, j'en ai peur, réveillés en sursaut par le bruit de nos trompettes; il est donc clair qu'ils diront, cela ne vaut rien: d'autres viennent pour entendre des railleries amères sur tout le monde, et crier, cela est ingénieux; ce que nous n'avons pas fait non plus. En sorte que, je le crains fort, tout le bien que nous devons espérer d'entendre dire de cette pièce aujourd'hui dépend uniquement de la disposition compatissante des femmes vertueuses; car nous leur en avons montré une de ce caractère. Si elles sourient, et disent la pièce ira bien, je sais qu'avant peu nous aurons pour nous ce qu'il y a de mieux en hommes; car il faut bien du malheur pour qu'ils s'obstinent à blâmer, lorsque leurs belles leur commandent d'applaudir.»

FIN DU CINQUIÈME ET DERNIER ACTE.

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