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Histoire de Marie Stuart

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LETTRES.

P. J. BÉRANGER A J. M. DARGAUD.

« Mon cher ami,

« … Je vous ai lu et bien lu. Vous m'avez entraîné. Votre Marie Stuart est une histoire vraie. Elle ne contient pas un mot qui pour moi ne soit authentique, et ce n'est pas son moindre attrait. Lamennais, qui aime la passion autant que j'aime la sincérité dans l'écrivain, est de mon avis sur ce bel ouvrage.

« Béranger. »

Paris, 15 décembre 1850.


LAMARTINE A BÉRANGER.

....... .......... ...

« Je me réjouis comme vous, mon cher Béranger, du succès de notre ami, et de l'intérêt de cœur et de talent qui s'attache à son Histoire de Marie Stuart. Je lis ce livre en ce moment, et j'y trouve à la fois instruction et charme. Vous savez que j'aime les récits et que je n'aime pas les annales. L'histoire est pour moi le drame des choses humaines. J'ai dit quelque part : « Il n'y a rien de plus convaincant qu'une larme : la pitié est le jugement du cœur. » Il y a beaucoup de larmes dans les salles d'Holyrood, ce palais des amours tragiques. Il y en aura davantage sur ces pages. Ce sera là le succès de cette histoire ; c'est le plus grand.

« L'humanité est pathétique. Vraiment, le chef-d'œuvre de notre ami n'est-il pas d'avoir exhumé un pareil sujet? Quel personnage qu'une enfant des Guise, veuve à seize ans d'un roi de France, transportée en Écosse sur un trône barbare, disputée comme Hélène entre deux patries, déchirée par deux religions qui s'arrachent sa conscience, adorée, enviée, enlevée par des prétendants qui possèdent ou perdent son cœur, épiée par une Agrippine jalouse à la fois de son trône, de sa jeunesse, de sa beauté ; tour à tour amante, guerrière, captive comme une héroïne du Tasse, assez poëte elle-même pour immortaliser ses peines dans ses vers, délivrée d'un premier cachot par l'amour, réemprisonnée par la trahison, inspirant encore des passions à ses bourreaux à travers les grilles de ses tours et les larmes de son supplice ; entraînant ses libérateurs dans sa perte, et finissant par monter en reine sur un échafaud, pour s'élancer au ciel purifiée du soupçon par le martyre?…

« Ah! si nous avions eu, vous ou moi, une pareille héroïne à vingt ans, quelles chansons et quels poëmes!… Notre ami a mieux choisi que vous et moi, et bien que son poëme soit une histoire, il raconte, il chante et il pleure comme nos strophes. Il a une raison sévère, morale, incorruptible dans ses appréciations, mais il a surtout une âme. Voilà pourquoi son livre sera lu, discuté, loué, attaqué, haï et aimé. C'est le sort des ouvrages qui remuent autant de sentiments que d'idées.

« On lui adressera bien des critiques, on lui dira qu'il est trop jeune, trop coloriste, trop attendri de style, qu'il émeut trop son lecteur pour lui laisser tout le sang-froid et toute l'impartialité du jugement. Dites-lui de ne pas se corriger. Il faut répéter, au contraire, à l'écrivain qui grave l'histoire d'une femme, le mot de Tacite : Ventrem feri! visez au cœur! Dargaud a visé au cœur et il a touché! quoi de plus?

« Il y a deux manières d'écrire l'histoire : celle qui instruit et celle qui intéresse! Je suis comme vous pour celle qui intéresse ; car celle qui n'intéresse pas n'instruit pas. Qui la lit?

« Adieu ; faites mes compliments à l'auteur. Le livre a de la vie, car il remue. Il vivra…

« Lamartine. »

Saint-Point, décembre 1850.

(La Presse, 31 avril 1851.)


G. SAND A J. M. DARGAUD.

« Oui, monsieur, c'est un beau livre. C'est l'histoire réelle la plus émouvante que j'aie jamais lue. C'est aussi saisissant que le meilleur roman de Walter Scott, et les esprits qui s'attachent difficilement à la réalité, comme le mien, par exemple, sont ici pénétrés de tout l'intérêt, de tout l'enchantement qui ressortent de la fiction. Pourquoi ce charme, pourquoi cette couleur, pourquoi ce sentiment profond? Ce n'est pas seulement le sujet qui vous les a donnés, ce n'est pas seulement la magie de votre style qui les y a mis, c'est que vous avez demandé autant de part à la tradition qu'aux monuments dans cette création originale et charmante. La tradition populaire est la source de toute poésie dans le passé, la légende, comme dit Michelet, cette preuve des preuves, à mon avis. Jusqu'ici l'histoire n'a pas donné assez d'attention et de respect aux souvenirs inédits des peuples. Il faut être artiste comme vous l'êtes pour avoir compris la valeur de cet élément historique. Cela, aidé des monuments, de la peinture et de la gravure, apporte à votre manière d'envisager le passé un cachet de vérité, une apparence de vie qui nous y reportent comme si nous avions vu de nos yeux les types et les événements. Enfin, vous avez résolu un problème aussi sérieux que charmant, c'est de faire de l'histoire un roman et un poëme, sans sortir des lois et des sévérités de l'histoire.

« Quant à Marie Stuart, vous me demandez de la juger ; mais est-il possible d'en avoir une autre opinion que la vôtre quand on vous a lu? J'ai été élevée dans un couvent d'Anglaises et d'Écossaises catholiques, en face d'un portrait fort dramatique de Marie Stuart en pied, dans le costume qu'elle avait pour monter à l'échafaud, et autant que je me le rappelle, exactement tel que vous le décrivez.

« C'était une peinture du temps, avec de longues inscriptions en lettres d'or sur des fonds noirs, qui laissaient cependant voir dans un coin, comme dans un lointain fantastique, la scène de l'échafaud. Marie était belle, mais rousse. Je ne sais si la peinture était bonne, mais elle était saisissante comme tout ce qui est un témoignage contemporain. Nos vieilles nonnes écossaises la vénéraient comme une sainte image ; nos vieilles nonnes anglaises disaient en souriant que la sainte de l'image avait beaucoup péché. Dans ce couvent fondé à Paris par la veuve de Charles Ier, le procès n'était pas encore jugé. Nos Écossaises, les sœurs converses surtout, qui avaient l'imagination populaire, me racontaient des détails que j'ai retrouvés dans votre livre avec un plaisir exquis, l'histoire de la petite chienne entre autres. Je ne savais donc pas autrement l'histoire de la belle reine, car, dans les couvents, on n'apprend pas l'histoire. Mais je me souviens d'avoir regardé ce tableau, et d'avoir rêvé à cette destinée mystérieuse pendant des heures entières ; d'avoir cherché dans les traits de cette beauté le mot de l'énigme, et d'avoir senti de profondes tristesses dans mon cœur d'enfant.

« Depuis, j'avoue que je n'ai guère pensé à la définir, peut-être craignant à mon insu de voir détruire en moi le charme des vagues émotions du passé par un examen approfondi. Mais j'ai fait l'examen avec vous, et le charme détruit au premier volume est revenu à la fin du second. Ce long martyre, cette belle mort doivent racheter les plus grands crimes ; et si le sentiment humain est mortellement blessé par les feintes caresses au pauvre Darnley, par l'abandon de Chastelard et par l'oubli envers Bothwell (ce sont là pour moi les trois taches capitales), le sentiment chrétien nous force à la pitié et au respect quand le drame finit sous la hache.

« Je vous suis bien reconnaissante pour ma part d'avoir peint de main de maître cette odieuse Élisabeth, cette personnification toujours vivante de la traître politique anglaise, de l'égoïsme des hommes de ce pays, et de l'hypocrisie de leurs femmes. Knox, Calvin, Giordano, sont admirablement compris, admirablement montrés. Il y a partout une grandeur de sentiment, un bonheur d'expression qui me frappent dans les moindres détails. Quelquefois, très-rarement, trois fois au plus peut-être dans tout l'ouvrage, un peu de recherche puérile. Vous voyez que je dis tout ce que je pense, et par là vous devez voir combien mon approbation et mon admiration sont sincères.

« A présent, qu'allez-vous faire pour nous? Soyez sûr que cette manière d'instruire va donner la passion d'être instruit. Est-ce que vous ne nous compléterez pas la vie de cet homme antique dont le nom n'est pas populaire, et dont les gens peu instruits ne savent presque rien, d'Agrippa d'Aubigné, qui a dit de plus beaux mots que tous les anciens, et qui m'a toujours semblé un héros de toutes pièces? Vous nous en avez dit autant que vous pouviez pour l'harmonie des proportions que votre cadre devait contenir, et c'est une heureuse citation que celle de ce vers qui vaut les plus beaux du Dante :

… L'enfer, d'où ne sort
Que l'éternelle soif de l'impossible mort.

« Mais ce n'est pas assez pour l'envie que j'ai de le voir mettre tout entier dans sa lumière, avec l'art moderne si nécessaire pour que le public sente ce que l'art et la science du passé nous ont laissé sur les hommes et sur les choses.

« Adieu, monsieur. Je vous remercie de tout mon cœur de m'avoir envoyé ce beau livre, et vous prie en grâce de ne pas m'oublier quand vous en publierez un autre. Moi qui n'ai ni la volonté, ni le temps de lire beaucoup, il me semble que je vous lirais toujours.

« George Sand. »

Nohant, 10 avril 1851.

(Constitutionnel, 10 mai 1851.)

FIN.

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