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Journal d'un bourgeois de Paris, 1405-1449

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113. Item, le sabmedi ensuivant, XIIIe jour dudit moys d'octobre, oudit an, s'en vint le roy à Paris, à belle compaignie de ceulx de Paris, et plut tout le jour si tres fort [270] qu'il n'y avoit si jolis qui n'eust voulu estre à couvert. Et soudainement, environ huit heures de nuyt, commencerent les bonnes gens de Paris sans commandement à faire feus, et à baciner le plus grandement que on eust veu passé c ans devant, et les tables en my les rues [drecées à tous venans, par toutes les rues] de Paris qui point aient de renon.

114. Item, le XXIIIe jour d'octobre, depposerent le prevost, c'est assavoir, Andry Marchant, et firent lesdiz bandez prevost ung chevalier de la court du duc d'Orleans, qui estoit baron, nommé messire Tanneguy du Chastel [271], et ne le fut que deux jours et deux nuys, pour ce qu'il n'estoit pas bien de leur accort. La IIIe journée ensuivant fut reffait prevost sire Andry Marchant, tres cruel et sans pitié, comme davant est dit.

115. Item, en cedit temps, entre la Sainct Remy et Noël, lesdiz bandez, qui tout gouvernoient, firent bannir toutes les femmes de ceulx que devant avoient bannyz sans mercy, qui estoit moult grant pitié à veoir, car toutes estoient femmes de honneur et d'estat, et la plus grant partie de elles n'avoit oncques eslongné Paris sans honneste compaignie; et ilz estoient acompaignées de sergens très crueulx, selon signeur, mesniée duicte. Et qui plus leur destraingnoit le cueur, c'estoit que on les envoyoit toutes ou païs du duc d'Orleans, tout au contraire du païs où leurs amys et mariz estoient; et encores autre chose qui leur venoit au devant, car toutes femmes sont vittuperées d'estre menées à Orléans [272], et là les envoyoit on le plus; mais autrement ne povoit estre pour le temps, car tout estoit gouverné par jeunes signeurs, senon le duc de Berry et le conte d'Arminac.

116. Item, les festes de Nouel ensuivant, c'est assavoir, IIIIc et XIIII, fut fait par le roy le conte d'Alençon duc d'Alençon, et fut faicte duchié qui n'estoit que conté, ne oncques mais n'avoit esté duchié jusques à cellui jour; ainsi en fut [273].

[1415.]

117. Item, à l'entrée de fevrier ensuivant, jouxterent le roy et les grans [274] signeurs en la grant rue Sainct-Anthoine, entre Sainct-Anthoine et Saincte-Katherine du Val des Escolliers, et y avoit barrieres. En ces jouctes [275] vint le duc de Breban pour traicter la paix, et jouxta et gaigna le prix.

118. Ad ce temps estoient les Anglois à Paris pour traicter d'ung mariaige à une des filles du roy de France [276].

119. Item, le mardi XIXe jour, (fut) depposé de la prevosté de Paris Andry Marchant, qui autresfois avoit été depposé par ses desmerites, mais il finoit [277] touzjours par argent, fors que à celle foys en ladicte prevosté fut remis sire Tenneguy du Chastel la IIe ou la IIIe foys.

120. Mais en ce temps aussi estoient chevaliers d'Espaigne et de Portingal, dont trois du Portingal [278], bien renommez de chevallerie prindrent par ne sçay quelle folle entreprinse champ de bataille encontre trois chevaliers de France, c'est assavoir, François de Gringnos, la Rocque, Morigon [279]; et fut à oultrance ordonné au XXIe jour de fevrier, vigille Sainct Pere, à Sainct-Ouyn, et fut avant soleil resconcé qu'ilz entrassent en champ, mais en bonne vérité de Dieu, ilz ne mirent pas tant que on mettroit à aller de la porte Sainct-Martin à celle de Sainct-Anthoine, à cheval, que les Portingalloys ne fussent desconfiz par les trois Françoys, dont la Roque fut le meilleur.

121. Item, le sabmedi ensuivant, vigille Sainct Mathieu, fut la paix criée parmy Paris à trompettes [280] et disoit chascun que ce avoit fait le duc de Breban; et fist on à ce sabmedy plus de feuz parmy Paris que toutes les autres foys devant dictes, et si estoit les IIII temps des Brandons.

122. Item, environ sept ou huit jours en mars, fut Saine si cruelle à Paris que ung moulle de buche valloit IX ou X solz parisis, et ung cent de costeretz, qui les voulloit avoir bons, XXVIII ou XXXII solz p.; le sac de charbon, XII s. p.; bourrées, foing, semblablement [281]; tuylle, plastre, en la maniere. Et si sachez que depuis la Toussaint jusques à Pasques, ne fut oncques jour qu'il ne cheist (eaue) de jour ou de nuyt, et dura la grant eaue jusques en my-avril [282] que on ne povoit aller es marez entre Sainct-Anthoine et le Temple, ne dedens la ville, ne dehors.

123. Item, le XVIIe jour d'avril [283] fut monseigneur de Guienne en l'ostel de la ville, et ordonna trois eschevins nouveaulx, c'est assavoir, Pierre de Grant-Rue [284], Andriet d'Esparnon et Jehan de Louviers [285], et depposa Pierre Oger, Jehan Marcel [286], Guillaume Cirasse.

124. Item, le jour Sainct Marc ensuivant, fut criée parmy Paris la paix à trompettes, sur peine de perdre corps et biens qui la contrediroit.

125. Item, le moys d'aoust ensuivant, au commencement aryva le roy d'Engleterre à toute sa puissance en Normendie, et print port emprès Harefleu, et assegea Harefleu et les bonnes villes d'entour.

126. Item, monsieur de Guienne, filz ainsné du roy, se party de Paris le premier jour de septembre, à ung dimenche au soir, à trompes, et n'avoit que jeunes gens avec lui, et party pour aller contre [287] les Angloys [288]; et le roy de France, son pere, se parti le IXe jour ensuivant pour aller après son filx, et alla à Sainct-Denis au giste. Et tantost après fut cueillie à Paris la plus grant taille qu'on eust vu cueillir d'aage de homme, qui nul bien ne fist pour le prouffit du royaulme de France [289], ains estoit tout gouverné par lesdiz bandez, car Harefleu fut prins par les Engloys oudit moys de septembre, le XIIIIe jour [290], et tout le pais gasté et robbé, et faisoient autant de mal les gens d'armes de France aux pouvres gens, comme faisoient les Angloys, et nul autre bien n'y firent.

127. Et si fist [291] bien, VII ou VIII sepmaines puis que les Angloys furent arivez, aussi bel temps comme on vit oncques point faire en aoust et en vendenges, jour de vie de homme, et aussi bonne année de tous les biens, mais neantmoins, pour ce, ne s'avanssa oncques nulz [292] des signeurs de France de combatre les Anglois qui là furent.

128. Item, les dessusdiz bandez, le Xe jour d'octobre, l'an mil IIIIc et XV, firent à leur posté ung prevost des marchans nouvel et quatre eschevyns, c'est assavoir, le prevost des marchans, Philippe de Breban [293], filx d'un impositeur; les eschevins, Jehan du Pré, espicier [294], Estienne de Bonpuis, pelletier [295], Regnault Pidoye, changeur [296], Guillaume d'Ausserre, drappyer. Et si estoient le roy et monseigneur de Guienne à ce jour en Normendie, l'un à Rouen, et l'autre à Vernon [297]; ne oncques ceulx de Paris n'en sceurent rien, tant que ce fut fait, et furent moult esbahiz le prevost des marchans et les eschevins qui devant estoient, quant on les depposa sans autre [298] mandement du roy ne du duc de Guienne, ne sans le sceu des bourgoys de Paris [299].

129. Item, le XXe jour dudit moys ensuivant, les signeurs de France ouïrent dire que les Anglois s'en alloient par la Picardie, si les tint monseigneur de Charrollays si court et de si près qu'ilz ne porent passer par où ilz cuidoyent. Adonq allerent après tous les princes de France, sinon vi ou vii, et les trouverent en ung lieu nommé Agincourt, près de Rousseauville; et en ladicte place, le jour Sainct Crespin et Crespinien, se combatirent à eulx; et estoient les Françoys plus la moictié que Angloys, et si furent Françoys desconfys et tuez, et prins des plus grans de France.

130. Item, tout premierement, le duc de Breban [300], le conte de Nevers [301], freres du duc de Bourgongne, le duc d'Alençon [302], le duc de Bar [303], le connestable de France Charles de Labrait [304], le conte de Marle [305], le conte de Roussy [306], le conte de Psalmes [307], le conte de Vaudesmons [308], le conte de Dampmartin [309], le marquis du Pont. Ceulx cy nommez furent tous mors en la bataille, et bien trois mil esperons dorez sur les autres; mais de ceulx qui furent prins et menez en Angleterre, le duc d'Orleans, le duc de Bourbon, le conte d'Eu [310], le conte de Richemont [311], le conte de Vendosme [312], le mareschal Boussiquault [313], le filx du roy d'Ermenie [314], le sire de Torsy, le sire de Helly [315], le sire de Mouy, [monseigneur de Savoysi] et plusieurs autres chevaliers et escuiers dont on ne scet les noms. Oncques, puis que Dieu fut né, ne fut fait telle prinse en France par Sarazins ne par autres, car avec eulx furent mors plusieurs bailliz de France [316], qui avoient avecques eulx admenez les communes de leurs bailliaiges, qui tous furent mis à l'espée, comme le bailly de Vermendoys et ses gens, le bailly de Mascon et ses gens, celuy de Sens et ses gens, celuy de Senliz et ses gens, celuy de Caen et ses gens, le bailly de Meaulx et ses gens; et disoit on communement que ceulx qui prins estoient n'avoient pas esté bons ne loyaulx à ceulx qui moururent en bataille.

131. Environ trois sepmaines après, vint le duc de Bourgongne assez près de Paris, moult troublé de la mort de ses freres et de ses hommes, pour cuider parler au roy ou au duc de Guienne, mais on lui manda qu'il ne fust si hardy de venir à Paris. Et fist on tantost murer les portes, comme autresfois, et se logerent plusieurs cappitaines au Temple, à Sainct-(Martin) [317] et es places devant dictes, par deffaulte de signeurs; et furent toutes les ruelles d'entour les lieux devant diz prinses desdiz cappitaines ou de leurs gens, et les pouvres gens boutez hors de leurs maisons, et à grant priere et à [grant peine] avoient ilz le couvert de leur hostel, et ceste larronnaille couchoit en leurs lictz, comme ilz feissent à xi ou à xii lieues de Paris; et n'estoit homme qui en osast parler ne porter coustel, qui ne fust mis en diverses prinsons [comme au Temple, à Sainct-Martin, à Sainct-Magloire [318], en Tyron et en autres diverses prinsons].

132. Item, environ la fin de novembre, l'an mil IIIIc et XV, le duc de Guienne, ainsné filx du roy de France, moult plain de sa voulenté plus que de raison, acoucha malade et trespassa le XVIIIe jour de decembre oudit [an], jour mercredi des IIII Temps [319]. Et furent faictes ses vigilles le dimenche ensuivant à Nostre-Dame de Paris, et fu aporté du Louvre sur les espaulles de quatre hommes, et n'y avoit que six hommes à cheval, c'est assavoir devant; après, les quatre ordres mendians et les autres colleges [de Paris]; après sur ung grant cheval, lui et son paige; sur ung autre fut le chevalier du guet [320], après grant piece le prevost de Paris; après le corps, fut le duc de Berry, le conte d'Eu et ung autre. En ce point fut porté à Nostre-Dame de Paris, et là fut enterré le lendemain.

133. Item, en ce temps fut le pain tres cher, car le pain que on avoit devant pour viii blans valloit v solz parisis, et bon vin pour ii deniers parisis la pinte. En ce temps furent les portes murées, comme autresfoys, pour le duc de Bourgongne qui estoit pres de Paris, et grant foison de gens d'armes; par quoy fromaiges et œufz [furent si chers] que on n'avoit que trois oefz pour ung blanc, et ung fromaige commun (pour) III ou IIII solz parisis.

134. Et Paris estoit gardé par gens estranges, et estoient leurs cappitaines ung nommé Remonnet de la Guerre [321], Barbasan [322] et autres, tous mauvais et sans pitié. Et pour mieulx faire leur voulenté manderent le conte d'Armignac, personne escommeniée, comme devant est dit, nommé Bernart, et de celui firent connestable de France à ung lundi en la fin de decembre [323]. Et le prevost de Paris, ou moys ensuivant, fut fait admiral de France, gouverneur de la Rochelle; et fut depposé d'estre admiral une mauvaise personne nommée Clignet de Breban [324], qui moult fist de mal en France, tant [325] comme il fut admiral.

135. Item, le duc de Bourgongne estoit touzjours en la Brie, ne ne povoit parler au roy, ne le roy à luy, pour puissance qu'ilz eussent eulx deux; car les traistres de France disoient au roy, quant il demandoit, qui moult le demandoit souvent, que plusieurs foys on l'avoit mandé, mais il ne daignoit venir; et d'autre part mandoient [326] au duc de Bourgongne, qui estoit à Laingny, que le roy lui deffendoit sa terre, sur peine d'estre repputé [pour] traistre faulx [327].

[1416.]

136. Item, le XIIe jour [du moys] de fevrier, fut fait par les dessusdiz bandez ledit conte d'Armignac seul [328] de tout le royaulme de France, à qui qu'il en despleust, car le roy estoit tousjours mal dispousé. En celui temps, s'en alla le duc de Bourgongne en son païs.

137. Item, le premier jour de mars IIIIc et XV ensuivant, jour Sainct Aulbin, entra l'empereur roy de Hongrie à Paris, à ung dimenche [329], et vint par la porte Sainct-Jacques et fut logé au Louvre; et le IIe mardi ensuivant, furent envoiées semondre les damoiselles de Paris et des bourgoises les plus honnestes, et leur donna à disner en l'ostel de Bourbon, le Xe jour ensuivant après sa venue, et à chascune aucun jouel.

138. Item, il fut à Paris environ trois sepmaines, et puis s'en alla devers Engleterre [330] pour avoir les prinsonniers du sang de France, qui là estoient de la prinse d'Egincourt.

139. Item, [commençant] la sepmaine penneuse ensuivant, qui fut [entrant] le XIIIe [331] jour d'avril IIIIc XV, entreprindrent aucuns des bourgois de Paris [332] de prendre ceulx qui ainsi tenoient Paris en subgection, et devoient ce faire le jour de Pasques, qui furent le XIXe jour d'avril, mais ilz ne le firent point par sens [333], car il fut sceu par ceulx de la bande, qui les prindrent et les misdrent en prinson.

140. Et le XXIIIIe jour dudit moys d'avril IIIIc XVI, fut [mené] en ung tumberel à boue, le doyen de Tours, chanoyne de Paris, frere de l'evesque de Paris de devant cellui qui pour lors estoit, nommé Nicole d'Orgemont, filx de feu Pierre d'Orgemont [334]. En ce point, vestu d'un grant mantel [de] viollet, et chapperon de mesmes, fut mené es halles de Paris, [et] en une charrette devant estoient deux hommes de honneur sur deux aiz, chascun une croix de boys en sa main; et avoit l'un esté eschevin de Paris, et l'autre estoit homme de honneur et estoit en ars nommé maistre Regnault [335], et l'eschevin Robert de Belloy [336]. Et à ces deux on coppa les testes, voyant ledit d'Orgemont, lequel n'avoit que ung pié, et après la justice fut ramené [sans oster dudit tumberel] en prinson ou chastel de Sainct-Anthoine, et environ quatre jours après, fut presché ou parviz Nostre-Dame et condampné en chartre perpetuelle au pain et à l'eaue.

141. Item, le premier sabmedi de may ensuivant furent decollez pour ce fait trois moult honnestes hommes, et de moult bonne renommée, c'est assavoir, le signeur de l'Ours [337], de la porte Baudet, ung tainturier nommé Durant de Bry [338], ung marchant de laton et espinglier nommé Jehan Perquin; et estoit ledit tainturier maistre de la soixantaine des arbalestiers de Paris.

142. Item, le VIIe jour de may, fut crié parmy Paris, que nul ne fust si hardy de faire assemblée à corps, ne à nopces, ne en quelque maniere sans le congié du prevost de Paris. En ce temps avoit, quant on faisoit nopces, certains commissaires et sergens aux despens de l'espousé, pour garder que homme ne murmurast de rien.

143. Item, le VIIIe jour de may, vendredi, furent ostées les chaisnes de fer qui estoient à Paris et furent portées à la porte Sainct-Anthoine [339]. En ce temps estoit [touzjours] le pain si cher que petiz mesnaiges n'en povoient avoir leur saoul, car la charté dura moult longuement, et coustoit bien la XIIne, que on avoit devant pour XVIII deniers, IIII solz parisis.

144. Item, le sabmedi ensuivant, IXe jour dudit moys, furent ostées les armeures aux bouchers en leurs maisons, tant de Sainct-Germain, de Sainct-Marcel, de Saincte-Geneviefve [et] de Paris.

145. Item, le lundi ensuivant, fut crié parmy Paris, sur peine d'estre repputé vray [340] traistre, que tout homme, prestre, clerc ou lay, portast ou envoiast toutes ses armeures, quelles qu'elles fussent, ou espées, ou badelaires, ou hachetes, ou quelque armeure qu'il eust, au chastel de Sainct-Anthoine.

146. Item, le vendredi, XVe jour dudit moys, firent lesdiz commencer à abatre la grant boucherie de Paris [341], et le dimenche ensuivant vendirent les bouchers de ladicte boucherie leurs chars sur le pont Nostre-Dame, moult esbahiz pour les franchises qu'ilz avoient en la boucherie, qui leur furent toutes ostées [342]; et sembloit ce dimenche que les[diz] bouchers eussent [eu] quinze jours ou trois sepmaines [de temps] à faire leurs estaulx, tant furent bien ordonnez du vendredi jusques au dimenche.

147. Item, le vendredi ensuivant, furent commencées à murer les portes comme autresfoys.

148. Item, le lendemain de la Sainct Laurens ensuivant, firent crier lesdiz bandez parmy Paris, que nul ne fust si hardy d'avoir à sa fenestre coffre ne pot, ne hotte, ne coste en jardin, ne bouteille à vin aigre à sa fenestre qui fust sur rue, sur peine de perdre corps et biens, ne que nulz ne se baingnast en la riviere sur peine d'estre pendu par la gorge.

149. Item, le jour de Sainct Laurens ensuivant, firent chanter lesdiz bandez aux Quinze-Vingt, fust tort ou droit, et y avoit commissaires et sergens qui faisoient chanter devant eulx telz prebstres qu'ilz vouloient, malgré ceulx dudit lieu, lesquelx vouloient que on leur fist droit de certains prinsonniers qui estoient à Graville [343], lesquelx furent prins en la franchise par l'oultraige du prevost de Paris; et furent prins le XXVe jour de may, vigille de l'Ascencion Nostre-Seigneur [344], et fut avant la Sainct Laurens ensuivant que on chantast ne messe ne vespres en ladicte eglise.

150. Item, la premiere sepmaine de septembre ensuivant, fist on deffense aux bouchiers que plus ne vendissent leur char sur le pont Nostre-Dame, et en celle dicte sepmaine commencerent à vendre en la halle de Beauvays [345], à Petit-Pont, à la porte Baudays, et environ xv jours après commencerent à vendre devant Sainct-Lieufray [346] au Trou-Pugnais [347].

151. Item, en celle sepmaine fut crié que nul sergent à cheval ne demourast hors de la ville de Paris, sur peine de perdre son office.

152. Item, fut crié celle dicte sepmaine que lesdiz estaulx de boucherie seroient baillez au prouffit du roy au plus offrant [348], et que lesdiz bouchiers n'y auroient quelque franchise.

153. Item, le mois d'octobre ensuivant, fut commencée la boucherie du cymetiere Sainct-Jehan, et fut achevée, et [y] vindrent vendre ceulx de derriere Sainct-Gervais, le premier dimenche de febvrier oudit an.

[1417.]

154. Item, le XXe jour de febvrier [349] oudit an, fut crié que on ne prinst nulle monnoye à Paris que celle du roy [350], qui moult fist grant dommaige aux gens de Paris, car la monnoye du duc de Bretagne et du duc de Bourgongne estoient prinses comme celles du roy, dont plusieurs marchans, riches et pouvres, et autres gens qui en avoient perdirent moult, car pour la deffence homme n'en eust eu quelque neccessité senon au buillon; mais environ ung moys après, on reprint les dessusdictes monnoyes [351], et deffendues comme davant furent.

155. Item, le IIIe jour d'avril oudit an, trespassa monseigneur de Guienne, ainsné filx du roy de France, à Compigne [352], qui avoit esté xv moys ou environ Dalphin [353].

156. Item, ledit roy Louys, l'an mil IIIIc [XVII], trespassa environ trois jours en la fin [354].

157. Item, en icelluy temps, on avoit vin sain et net pour ung denier la pinte, mais de grosses tailles [trois ou quatre] tous les ans; et n'osoit nul parler du duc de Bourgongne, qu'il ne fust en peril [355] de perdre le corps ou la chevance, ou d'estre banny.

158. Item, le XXIXe jour de may ensuivant, vigille de la Penthecoste, fut crié que nul ne prinst quelque monnoie que celle du coing du roy seullement, et que on ne marchandast que à solz et à livres [356]; et furent aussi criez à prendre petiz moutons d'or pour XVI solz parisis, qui n'en valloient pas plus de XI solz parisis [357].

159. Et le lundi ensuivant, premier jour des festes de Penthecoste, commencerent les gens de Paris, c'est assavoir, de quelque estat qu'ilz fussent, prebstres ou clercs, ou autres, à curer les voiries [358] ou à faire curer à leur argent; et fut celle queullecte si aspre, qu'il falloit que chascun, de quelque estat qu'il fust, de v jours en v jours en baillast argent, et quant on poyoit pour cent on ny en mettoit mie XL, et avoient les gouverneurs le remenant [359].

160. Item, celle dicte sepmaine, fut fait le pont leveys à la porte Sainct-Anthoine, et celle année furent faictes les maisons entre les bastilles et l'escorcherie aux Tuilleries [360].

161. Item, en cellui temps, fut prins de par le prevost de Paris ung nommé Loys Bourdon, chevalier, qui tant fit de peine au chastel d'Estampes, comme devant est dit, et fut noyé pour ses demerites. Et fut la royne privée du tout, que plus ne seroit au conseil, et lui fut son estat amendry. Et demourerent les choses en ce point, sinon que tousjours prenoient lesdiz gouverneurs desquelx vouloient et les bannissoient; et si failloit qu'ilz allassent où lesdiz gouverneurs vouloient, et en mains de trois sepmaines en bannirent plus de VIIIc [361], sans ceulx qui demourerent en prinson.

162. Item, en ce temps, à l'issue d'aoust, s'esmeut [362] le duc de Bourgongne pour venir à Paris, et vint en conquestant villes, cités, chasteaulx, et partout faisoit crier, de par le roy et le daulphin, et de par luy que on n'y paiast nulles subsides; dont les gouverneurs de Paris prinrent si grant haine contre lui qu'ilz faisoient [faire processions [363] et faisoient] prescher qu'ilz savoient bien de vray qu'il voulloit estre roy de France, et que par lui et que par son conseil estoient les Engloys en Normendie. Et par toutes les rues de Paris avoit espies, qui estoient residans et demourans à Paris, qui leurs propres voisins faisoient prendre et emprinsonner; et nul homme, après ce qu'ilz estoient prins, n'en osoit parler aucunement, qu'il ne fust en peril de sa chevance ou de sa vie.

163. Item, à l'entrée de septembre [mil] IIIIc XVII, aproucha le duc de Bourgongne de Paris [364], et gaigna l'Isle Adam, Pons Sainte-Messent, Senliz, Beaumont. Adonq fut la porte Sainct-Denis fermée, et furent abatues les arches pour faire ung pont leveys, et fut deux moys fermée en la droicte saison de vendanges.

164. Item, environ VIII ou IX jours en septembre, fut depposé Breban devantdit de la prevosté des marchans [365], et fut fait prevost Estienne de Bonpuis, lequel ne le fut que cinq jours, et fut mis en la prevosté ung faiseur de cofres [et de bans], nommé Guillaume Syrasse, le XIIe jour de septembre oudit an.

165. En ce temps vindrent les Bourguignons devant Sainct-Cloud, et lors fut le pont rompu, et les Bourguignons assaillirent la tour à engins [366] et l'endommaigerent moult, mais point ne fut prinse à celle foys, ains la laisserent, mais ilz tindrent si [367] le païs autour de Paris, que quelque marée ne venoit à Paris de nulle part.

166. Item, la livre de beurre sallé valloit II solz parisis, et vendoit on II œufs ou III au plus IIII deniers parisis; ung petit haren caqué vi den. parisis; le freys haren vint environ les octabes Sainct-Denis III ou IIII pennyers, et vendoit on la piece III ou IIII blans tout lavé [368], et le pouldré II blans rien mains; et le vin que on avoit en aoust pour ii deniers coustoit en septembre ensuivant IIII ou VI deniers parisis.

167. Item, en ce temps avoit si pesme douleur à Paris, que nul n'osoit aller vendenger hors Paris, devers la porte Sainct-Jaques, de toutes pars, comme à Chastillon, à Banuex, à Fontenay, Vanves [369], Icy, [Clamart], Montrouge [370]; car les Bourgongnons hayoient moult les bourgoys de Paris, et ilz venoient fourrer jusques aux forsbourgs de Paris, et quelque personne qu'ilz trouvoient estoit prins et emmené en leur ost. Et avecques eulx avoit moult de gens de Paris qui avoient esté banniz, qui tous les congnoissoient par enquerir ou autrement; et s'ilz estoient de quelque renon, ilz estoient cruellement traictez et mis à si grant rançon, comme on les povoit mettre, et s'ilz eschappoient par aucune aventure et venoient à Paris, et on le savoit, on leur mettoit sur [371] qu'ilz s'estoient fait prendre de leur bon gré, et estoient mis en prinson.

168. Item, en ce temps fut fait cappitaine de la porte du Temple ung nommé Symonnet du Boys [372], qui estoit clerc Jaquot l'Empereur [373] garde des coffres du roy, et de la porte Sainct-Martin ung nommé Jehannin Nepveu, chauderonnier, filz d'un chauderonnier nommé Colin [Nepveu].

169. Item, en cestuy mois d'octobre, fut faicte une grosse taille de sel; car [pou] fu de gens qui fussent de nulle renommée, à qui on ne envoiast II sextiers ou III, au gros [374] ung muy ou demy muy; et [si] le couvenoit paier tantost et le porteur, ou avoir sergens en garnison, ou estre mis en prinson au Palays, et coustoit le sextier IIII escus de XVIII solz parisis pour piece.

170. Item, la plus grant partie des cappitaines qui estoient dans Paris, on les paioit des advoynes que on avoit amenées à Paris pour estre bien [375] salvement [376], et avoient congié de prendre ce qu'ilz povoient [piller] [377] autour de Paris, à II ou III lieues environ, et ilz ne s'en faignoient pas [378]. En ce temps firent les bouchiers de Sainct-Germain-des-Prez leur boucherie en une rue qui est entre les Cordeliers et la porte Sainct-Germain [379], en ung lieu en maniere de celier où on descendoit à degrez qui avoient dix marches.

171. Item, en ce temps valloit le caque de haren XVI livres [380] parisis. Item, que autour de Paris, de quelque part que ce feust, n'osoit homme aller qu'il ne fust desrobé, et, s'il se revenchoit ou deffendoit, il estoit tué des gens d'armes de Paris mesmes, qui yssoient toutesfois qu'ilz vouloient hors de Paris pour piller; car quant ilz revenoient, ilz estoient aussi troussez de biens que fait le heriçon de pommes; et nul n'en osoit parler, car ainsi plaisoit aux gouverneurs de Paris.

172. Item, en icellui temps, allerent les Bourguignons [devant Corbeil [381], et] fourerent le païz [382] tout entour et firent plusieurs assaulx, mais pas ne le prindrent à celle foys, car ilz se retrairent vers Chartres, mais la nuyt Sainct Climent ariverent devant Paris si soudainement que merveilles [383], et les gens d'armes de Paris les allerent sovent escarmoucher, mais touzjours y perdoient grant [foison de] soudayers de Paris, et ceulx qui eschappoient s'en revenoient par les villaiges d'entour Paris, et pilloient, roboient, rançonnoient, et avec ce admenoient tout le bestail qu'i povoient trouver, comme beufs, vaches, chevaux, asnes, asnesses, jumens, porcs, brebis, moutons, [chevres], chevreaulx et toute autre chose dont ilz povoient avoir argent; et en eglise prenoient ilz livres et toute autre chose qu'ilz povoient happer, et en abbayes de dames autour de Parys prindrent ilz messel, brevieres et toutes autres choses qu'ilz povoient piller; et quelque personne qui s'en plaignoit à justice ou au connestable, ou aux cappitaines, tout bel luy estoit de soy tayre. Et vray est que les gens aucuns qui venoient de Normendie à Paris, qui estoient eschappez des Angloys par rançon ou autrement, après et avoient esté prins des Bourguignons, et puis à demie lieue ou environ, estoient reprins des François et traictez si cruellement et par tyrannie comme Sarazins; mais ilz par leurs seremenz [384], c'est assavoir, aucuns bons marchans, hommes de honneur, qui avoient esté prinsonniers à tous les trois devant diz, dont ilz estoient eschappez par argent, juroient et affermoient que plus amoureux leur avoient esté les Angloys que les Bourguignons, et les Bourguignons plus amoureux cent foyz que ceulx de Paris, et de pitance et de rançon, et de paine [385] de corps et de prison, qui moult leur estoit esbahissant chose, et à tout bon chrestien doit estre.

173. Item, [ung pou] après la Toussains, enchery tellement la buche que le cent de bons costeretz valloit II frans, et XXIIII solz moyenne buche, et celle de Bondiz XX solz parisis.

174. Item, la buche de molle valloit X solz parisis le molle, et dura celle charté tout l'yver.

175. Item, en ce temps fut la char si chere, que ung petit quartier de mouton valloit VII ou VIII solz parisis, et ung petit morsel de beuf de bon androit II [solz parisis] qu'on avoit en octobre pour VI deniers parisis, une froissure de mouton II ou III blans, une teste de mouton VI deniers parisis, la livre de beurre sallé VIII blans [386].

176. Item, ung bien petit porc coustoit LX solz ou IIII frans.

[1418.]

177. Item, ou moys de janvier oudit an, fut le prevost de Paris devant Montlehery [387], et lui rendirent ceulx [de] dedens de par traictié d'argent.

178. Item, de là s'en alla à Chevreuse [388], et gaigna la ville et fist tout piller, quant que homme povoit apporter à charroy ou autrement, comme ilz firent à Soissons, et moult y ot des bonnes gens du païs tuez sans pitié.

179. Item, la darraine sepmaine de janvier oudit an, alla le roy devant Senliz pour le prendre par force ou autrement, et fut la cité habandonnée avant qu'elle fust assaillie.

180. Item, en icellui temps [389] toutes les bonnes villes de Normendie, comme Rouen, Montivillier, Dyeppe, et plusieurs autres, quant ilz virent comment Caen, Harefleu, Falaise et plusieurs bonnes villes du païs avoient esté prinses des Angloys, sans avoir secours du roy de France pour messaige qu'ilz envoiassent, se rendirent au duc de Bourgongne [390].

181. Item, que le jour Sainct-Martin d'yver IIIIc XVII fut fait pappe ung cardinal nommé Martin [391] par l'acort [392] et consentement de tous les roys chrestiens, et en fist on feste par toute chrestienté, senon à Paris, ne on n'en osoit parler; car le IIIIe sabmedi de karesme oudit an, pour ce que le recteur toucha au conseil, que ce lui sembloit bon que on feist solempnité du Sainct-Pere, qui tant avoit cousté à faire, et si y avoit on mis plus de II ans et demy, pour tant fut mis en prinson, et X ou XII maistres avecques lui [393].

182. Item, estoit touzjours le siege devant Senliz de par le roy, et saichez que pou de gens dedens Senliz avoit [394], mais touzjours yssoient [ou] par nuyt ou par jour, et souvent firent si grant dommaige à l'ost du roy que le connestable jura la destruction de ladicte cité à feu et à sang, et fist crier à trompes, le XIIe jour d'avril, que tous les gens d'armes qui à Paris estoient, de quelque estat qu'ilz fussent, allassent devant Senliz, sur peine de perdre harnoys et chevaulx. Et tant en y alla et tant en y avoit sur les champs de toutes pars, que la sepmaine peneuse Paris fut si desgarny de buche, que, qui eust donné en Greve XX solz parisis d'un costeret, on n'en eust peu finer. Et à Pasques ensuivant, coustoit le quarteron d'œufs VIII blans, et ung tres petit fromaige blanc [VI ou VII blans, la livre de viel beurre sallé] VII ou VIII blans, une petite piece de beuf ou mouton V ou VI blans, et tout par le mauvais gouvernement du prevost de Paris et des marchans.

183. Item, celle année, le jour des grans Pasques, nega toute jour, aussi fort qu'on veist oncques faire à Nouel, et si n'eust-on finé en Greve [de buche], qui eust donné ung franc d'ung quarteron.

184. Item, le XIIIIe jour d'avril IIIIc XVIII, fut faicte la solempnité du pappe Martin par les eglises à Paris et environ, tres simplement [395].

185. Item, le XXIIIIe jour d'avril oudit an, revint le roy et son ost de devant Senliz, où il avoit esté depuis le moys de janvier [396], et ne la pot oncques prendre, et si lui cousta que en cannons que [en] autre artillerie, avec autre despence plus de IIc mil frans; et si furent souvent ses gens tuez, rançonnez de ceulx de la cité, et ses tentes arses et prinse son artillerie. Et au derrenier s'en parti le roy et le connestable [à tres petit honneur, dont les gens d'armes qui avec le connestable] estoient furent si enragez de ce qu'ilz orent failly à leur intencion de piller Senliz, qu'ilz se tindrent si près de Paris de toutes pars, que homme n'osoit aller plus loing de Paris que Sainct-Laurens tout au plus qu'il ne fust desrobé ou tué.

186. Et vray fut que l'année de may [397], les gens de l'ostel du roy allerent, comme acoustumé est, au boys de Boulongne, pour apporter du may pour l'ostel du roy, les gens d'armes de Montmartre, [à] la Ville-l'Evesque, à l'entrée de Paris vindrent sur eulx à force, et les navrerent de plusieurs plaies, et puis les desroberent de tout ce qu'ilz porent, et fut bien eureux desdiz serviteurs du roy qui se pot sauver en gippon ou en chemise tout à pié. En celluy temps alloient femmes d'onneur bien acompaignées veoir leurs [398] heritaiges pres de Paris, à demie lieue, qui furent efforcées, et leur compaignie bastue, navrée et desrobbée.

187. Item, vray fut que les aucuns desdiz gens d'armes furent plains de si grant cruaulté et tyrannye qu'ilz rostirent hommes et enfans au feu quant ilz ne povoient paier leur rançon, et quant on s'en plaignoit au connestable [ou au prevost], leur responce estoit: «S'ilz n'y fussent pas allées, ce se feussent les Bourguignons, vous n'en parlissiez pas [399]

188. Ainsi commença tout à encherir à Paris, car deux œufs coustoient IIII deniers parisis, ung petit fromaige blanc VII ou VIII blans, la livre de beurre XI ou XII blans, ung petit haren sor de Flandres III deniers ou IIII deniers parisis, et ne venoit quelque chose de dehors à Paris, pour les gens d'armes dessusdiz.

189. Ainsi estoit [400] Paris gouverné faulcement, et tant hayoient ceulx qui gouvernoient ceulx qui n'estoient de leur bande, qu'ilz proposerent que par toutes les rues ilz les prendroient [401] et tueroient sans mercy, et les femmes ilz noieroient; et avoient prinses par leurs forces les toilles de Paris aux marchans et à autres sans paier, disant que c'estoit pour [faire des tantes et des pavillons pour le roy, et c'estoit pour faire] les sacs pour noyer lesdictes femmes. Et encore plus, ilz proposerent que, avant les Bourguignons venissent à Paris, ne que la paix se feist, ilz rendroient Paris au roy d'Engleterre, et [touz] ceulx qui pas ne devoient mourir devoient avoir ung escu noir [à] une croix rouge, et en firent faire plus de XVI mil, qui depuis furent trouvées en leurs maisons. Mais Dieu qui scet les choses abscondées [402], regarda en pitié son peuple et esveilla Fortune, qui en soursault [403] se leva comme chose estourdie, et mist les pans à la saincture, et donna hardement à aucuns de Paris [404] de faire assavoir aux Bourguignons que ilz, tout hardiement, venissent le dimenche ensuivant, qui estoit XXIXe jour de may, à heure de mynuyt, et ilz les mettroient dedens Paris par la porte Sainct-Germain, et que point n'y eust de faulte, et que pas ne leur fauldroient pour mourir, et que point ne doubtassent fortune, car bien sceussent que [toute] la plus grant partie du peuple estoit des leurs.

190. En icelle sepmaine s'esmeurent les Bourguignons de Pontoise, et vindrent au jour dit [et] à l'eure en Garnelles, et là compterent leurs gens, et ne se trouverent que environ VI ou VIIc chevaulx [405], quant Fortune leur dist que avec eulx seroit [la] journée. Adonc prindrent cuer et hardement, et vindrent à la porte Sainct-Germain entre une heure et deux devant le jour, et en estoit chef le signeur de l'Isle-Adam [406] et le beau sire de Bar [407], et entrerent dedens Paris, le XXIXe jour de may, criant: «Nostre Dame! la paix! Vive le roy et le dalphin et la paix!» Et tantost Fortune, qui tant avoit nourry lesdiz bandez, vit que nul gré ne lui savoient de son bien, vint avecques lesdiz Bourguignons [408] à toutes manieres d'armes et des communes [409] de Paris, et leur fist rompre leurs portes, et effundrer leurs tresors et piller, et tourna sa roe si despitement en soy vengent de leurs ingratitudes, pour ce que de paix n'avoient cure; [quar tout joyeulx estoit qui se povoit mucer en cave, ou] en celier, ou en quelque destour.

191. Et quant le prevost de Paris, nommé Tenneguy du Chastel, vit Fortune ainsi contre luy, et que les Bourguignons taschoient à emprinsonner les autres en plusieurs prinsons diverses, et le commun à piller, vint à Sainct-Paul, et print le daulphin ainsné filx du roy et s'en fouy atout droit à Meleun, qui moult troubla la ville de Paris. Et plusieurs autres des plus gros de la bande, comme maistre Robert le Maçon [410], chancelier du dalphin, l'evesque de Clermont, le grant presidant de Provence [411], l'un des maulvais chrestiens du monde, et plusieurs autres de leur bande, se bouterent [412] dedens le chasteau de la porte Sainct-Anthoine, et par ce furent sauvez et par le dalphin qu'ilz avoient, et firent moult d'assaulx à ceulx qui par là passoient, de traict dont foison avoient.

192. Le dimenche au soir, le lundi, le mardi ensuivant, convint faire grant guet et feus parmy Paris pour paour de eulx. Et en icelluy temps se fournirent de gens d'armes des fuyans de leur bande, et le mercredi ensuivant, environ VIII heures du matin, yssirent du chastel et allerent ouvrir la porte par dedens la ville, qui que le voulsist veoir, et avecques eulx entra grant foison de gens d'armes, et entrerent en la grant rue Sainct-Anthoine, criant: «A mort! à mort! Ville gaingnée! Vive le roy et le dalphin et le roy d'Engleterre! Tuez tout! tuez tout [413]

193. Item, vray est que dimenche XXIXe jour de may, à l'entrée des Bourguignons [414], avant qu'il fust nonne de jour, on [eust] trouvé à Paris gens de tous estatz, comme moynes, ordres mendiens, femmes, hommes, portans la croix de Sainct-Andry ou de Troye ou d'autre matiere, plus de deux cens mille, sans les enffans. Lors fut Paris moult esmeu, et se arma le peuple moult plustost que les gens d'armes, et avant que les gens d'armes fussent venus, estoient [tant aprouchez lesdiz bandez par force qu'ilz estoient] à l'endroit de Tyron [415]. Adonq vint le nouveau prevost de Paris à force de gent, et tantost à l'aide de la commune respoussa fort, abatant et occiant à grans tas jusque dehors la porte Sainct-Anthoine, et tantost le peuple, moult eschauffé contre lesdiz bandez, vindrent par toutes les hostelleries de Paris querant les gens de ladicte bande, et quant [416] qu'ilz en porent trouver, de quelque estat qu'il feust, [fust] prinsonnier ou non, aux gens d'armes estoit [amené] en my la rue, et tantost tué sans pitié de grosses haches et d'autres armes; et n'estoit homme [nul], à celui jour, qui ne portast quelque armeure dont ilz feroient lesdiz bandez en passant par emprès, depuis qu'ilz estoient tous mors estanduz; [et] femmes et enfens, et gens sans puissance, qui ne leur povoient pis faire, les maudisoient en passant par emprès, disans: «Chiens traistres, vous estes mieulx que à vous n'appartient, encore en y a il, que pleust à Dieu que tous feussent en tel estat.» Et si n'eussiez trouvé à Paris rue de nom, où n'eust aucune occision, et en mains que on yroit cent pas de terre depuis que mors estoient, ne leur demouroit que leurs brayes; et estoient en tas comme porcs ou millieu de la boe, qui moult grant pitié estoit, car pou fu celle sepmaine jour [417] qu'il ne pleust moult fort. Et furent celle journée [418] à Paris mors à l'espée ou d'aultres armes, en my les rues, sans aucuns qui furent tuez es maisons, cinq cens vingt deux hommes, et plut tant fort celle nuyt que oncques ne sentirent nulle malle odeur, mais furent lavez par force de la pluie leurs plaies, que au matin n'y avoit que sang bete, ne ordure sur leurs plaies.

194. Item, en ces jours devant diz prenoit on les Arminalx par tout Paris et hors Paris. Entre lesquelx furent prins plusieurs grans de renom et tres mauvais couraige, comme Bernard d'Armignac [419], connestable de France, aussi cruel homme que fut oncques Noyron [420]; Henry de Marle [421], chancelier de France; Jehan Gaude [422], maistre de l'artillerie, le pire de tous;—quant les pouvres ouvriers lui demandoient leur salaire de leur besongne, il leur disoit: «Avez-vous point chascun ung [423] petit blanc, pour à chascun ung chevestre avoir pour vous aller pandre? Senglante chenaille, c'est pour vostre preu!»; et n'en avoient autre chose, et par ainsi espargna si tres grant trésor plus que le roy n'avoit;—maistre Robert de Tuillieres [424]; maistre Oudart Baillet [425]; l'abbé de Sainct-Denys en France [426], tres faulx papelart; Remonnet de la Guerre, cappitaine des plus fors larrons que on peust trouver en place, car ilz faisoient pis que Sarazins; maistre Pierre de l'Esclat [427]; maistre Pierre le Gaiant [428], personne sismatique, herite contre la foy, et avoit esté presché en Greve, digne d'ardoir.

195. Item, il alla après ce à court de Romme, et quant il revint, il fut plus maistre en Chastellet que devant, et les lettres dont il se mesloit, c'on avoit avant pour VIII solz parisis, il en failloit bailler XXIIII solz parisis, et si failloit il paier par sa main.

196. Item, l'evesque de Clermont [429], qui estoit tout le pire contre la paix, et plusieurs autres [430]. Et tant en avoit au Palays, au Chastellet, Petit et Grant, à Sainct-Martin, à Sainct-Anthoine, à Tyron, au Temple, que on ne les savoit où mettre.

197. Item, [ce pendent] estoient touzjours les Arminaz à la porte Sainct-Anthoine, pour quoy on faisoit toutes les nuys tres grans feuz, et n'estoit nuyt que on ne criast alarme, et faisoit-on cris à trompe à mynuit, après mynuit, davant mynuit, et neantmoins tout ce plaisoit au peuple, pour ce que de bon cuer le faisoient.

198. Item, le peuple s'advisa de faire en la parroisse Sainct-Huitasse la confrarie Sainct-Andry [431], et la firent à ung jeudy, IXe jour de juing, et chascun qui s'y mettoit avoit ung chappeau de roses vermeilles. Et tant s'i mist de gens de Paris, que les maistres de la confrarie disoient et affermoient qu'ilz avoient fait faire plus de LX douzaines de chappeaulx, mais avant qu'il fust doze heures, les chappeaulx furent failliz; mais le moustyer de Sainct-Huistace estoit tout plain de gens [432], mais pou y avoit homme, prebstre ne autre, qui n'eust en sa teste chappeau de roses vermeilles, et sentoit tant bon au moustier, comme s'il fust lavé d'eau rose.

199. Item, en celle sepmaine, ceulx de Rouen demanderent à ceulx de Paris aide [433], et [on] leur envoya IIIc lances et IIIc hommes de traict pour ovier [434] aux Engloys.

200. Item, le dimenche ensuivant, XIIe jour de juing, environ XI heures de nuyt, on cria alarme, [comme on faisoit souvent alarme] à la porte Sainct-Germain; les autres crioient à la porte [de] Bordelles. Lors s'esmut le peuple vers la place Maubert et environ, puis après ceulx de deçà les pons, [comme] des Halles et de Greve et de tout Paris, et coururent vers les portes dessusdictes, mais nulle part ne trouverent [nulle] cause de crier alarme. Lors se leva [435] la deesse de Discorde, qui estoit en la tour de Mau-Conseil, [et esveilla] Ire la forcenée [436] et Convoitise et Enragerie et Vengence, et prindrent armes de toutes manieres et bouterent hors d'avec eulx Raison, Justice, Memoyre de Dieu et Atrempance [437], moult honteusement. Et quant Ire et Convoitise virent le commun de leur accort, si les eschauffa plus et plus, et vindrent au Palays du roy. Lors Ire la desvée leur gecta sa semence tout ardant sur leurs testes; lors furent eschauffez oultre mesure, et rompirent portes et barres, et entrerent es prinsons dudit Pallays à mynuit, heure moult esbahissant à homme sourprins; et Convoitise qui estoit leur cappitaine, et portoit la baniere devant, qui avec lui menoit Traïson et Vengence qui commencerent à crier haultement: «Tuez, tuez ces faulx [438] traistres Arminaz! Je reny bieu, se ja pié en eschappe en ceste nuyt.» Lors Forcenerie la desvée, et Murtre [439] et Occision occirent, abatirent, tuerent, murtrirent tout ce qu'ilz trouverent es prinsons, sans mercy, fut de tort ou de droit, sans cause ou à cause; et Convoitise avoit les pans à la saincture, avec Rapine sa fille et son filx Larrecin, qui, tost après qu'ilz estoient mors ou avant, leur ostoient tout ce qu'ilz avoient, et ne volut pas Convoitise que on leur laissast neis leurs brayes, pour tant qu'ilz vaulsissent iiii deniers [440], qui estoit un des plus grans cruaultés et inhumanité chrestienne [à aultre de quoy on peust parler. Quant Murtre et] Occision avoit fait ce, revenoit tout le jour Convoitise, Ire, Vengence, qui, dedens les corps humains qui mors estoient, boutoient toutes manieres d'armes, et en tous lieux et tant que, avant que prime fust de jour, orent de coupz de taille et d'estoc ou visaige, tant que en n'y povoit homme congnoistre quel qu'il fust, ce ne fut le connestable et le chancelier qui furent cogneuz ou lict où tuez estoient. Après, allerent cedit peuple par l'ennortement de leurs deesses qui les menoient, c'est assavoir, Ire, Convoitise et Vengence, par toutes les prinsons publicques de Paris, c'est assavoir, à Sainct-Eloy, au Petit Chastellet, au Grant Chastellet, au Four l'Evesque, à Sainct-Magloire, à Sainct-Martin-des-Champs, au Temple, et partout firent comme devant est dit du Pallays. Et n'estoit homme [nul] qui en celle nuyt ou jour, eust osé parler de Raison ou de Justice, ne demander où elle estoit enfermée, car Ire les avoit mises en si profonde fosse, que on ne les pot oncques trouver [toute] celle nuyt, ne la journée ensuivant. Si en parla le prevost de Paris au peuple, et le seigneur de l'Isle-Adam, en leur admonestant [Pitié], Justice et Raison; mais Ire et Forcenerie respondit par la bouche du peuple: «Maulgré bieu, sire, de vostre Justice, de vostre Pitié [et] de vostre Raison! mauldit soit de Dieu qui aura ja pitié de ces faulx traistres Arminaz Angloys ne que [de] chiens! car par eulx est le royaulme de France tout destruit et gasté, et si l'avoient vendu aux Engloys.»

201. Item, est [vray] que devant chascune desdictes prinsons, avant qu'il fust dix heures de jour, estoient tous entassez comme se feussent chiens ou moutons, et n'en avoit nulle pitié disant: «Aussi ont ilz fait sacs pour nous noyer et noz femmes et noz enfens, et ont fait faire estandars pour le roy d'Engleterre et pour ses chevaliers, pour mettre sur les portes de Paris, quant ilz l'auront livré aux Englois. Item, ilz ont fait escussons à une rouge croix, plus de XXX milliers, dont ilz avoient proposé de seigner les huys de ceulx qui devoient estre tuez ou non. Si ne nous en parlez plus de par le diable, que pour vous n'en laisserons riens à faire par le sang Dieu!» Quant le prevost vit qu'ilz estoient ainsi eschauffez de la faulce Ire qui les menoit, si n'osa plus parler [de Raison], de Pitié, ne de Justice, et leur dist: «Mes amys, faictes ce qu'il vous plaira.» Ainsi s'en allerent es prinsons dessusdictes, et quant ilz trouvoient trop fortes prinsons où ilz ne povoient entrer, si boutoient dedens force [de] feu, et ceulx qui dedens estoient n'avoient riens de quoy leur aider, si estraingnoient [441] et ardoient là dedens à grant martire. Et ne laisserent en prinson de Paris, sinon au Louvre, pour ce que le roy y estoit [442], quelque prinsonnier qu'ilz ne tuassent ou par feu ou par glayve [443]. Et tant tuerent de gens à Paris, que hommes que femmes, depuis celle heure de mynuit jusques au lendemain XII heures, qui furent nombrez à mille cinq cens dix huit; et furent le connestable, le chancelier, ung cappitaine nommé Remonnet de la Guerre, maistre Pierre de l'Esclat, maistre Pierre Gaiant, maistre Guillaume Paris [444], l'evesque de Coustances, filx du chancelier de France [445], en la court de darriere devers la Cousture, et furent deux jours entiers au pié du degré du Palays sur la pierre de marbre, et puis furent enterrez ces VII [446] à Sainct-Martin en ladicte court de derriere la Cousture, et tous les autres à la Trinité [447]; entre lesquelx mors furent trouvez tuez IIII evesques du faulx et dampnable conseil [448], et deux des presidens de Parlement [449].

202. Item, celle sepmaine fut depposé de la prevosté des marchans Guillaume Cyrasse, et y fut mis sire Noel Marchant [450].

203. Item, en celui temps, on attendoit monseigneur de Bourgongne de jour en jour, et si n'estoit homme qui peust savoir au vray où il estoit, dont le peuple fut plus felon, et n'osoit le prevost de Paris faire justice.

204. Item, celle sepmaine fut fait procureur du roy ung nommé Vincent Lormoy [451].

205. Item, le XXe [452] jour de juing, fut faicte justice d'ung nommé Boutart [453], qui estoit sergent à cheval, demourant en la grant rue Sainct-Denis, l'ung des plus mauvais de tous ceulx de la bande, et pour ce que si mauvais estoit contre le duc de Bourgongne, et [que] moult bel parleur estoit et grande faconde de homme, il recongnut à sa fin que quant il vouloit il estoit à l'estroit conseil des bandez, et avoit eu commission de par le prevost et les autres, environ devant VIII ou IX jours que les Bourguignons aryvassent à Paris, de faire tuer tout le quartier des Halles, c'est assavoir, hommes, femmes et enffens, lesquelx qu'il eust voulu, et leurs biens confisquez à luy et à ceulx qui luy eussent aidé à fayre ladicte occision. La sepmaine que lesdiz Bourguignons entrerent à Paris, devoit ce estre fait, et recognut que ung nommé Simonnet Taranne [454] avoit ung autre quartier pour faire semblablement [455], et autres de leur maldit conseil devoient ainsi faire par tout Paris. Mais Dieu qui scet les choses abscondites, qui mua le conseil d'Olofernes par main de femme, les fist cheoir en la fosse qu'ilz avoient faicte, comme devant est dit.

206. Item, le sabmedi ensuivant, fut decapité Guillaume d'Ausserre [456], drappier, esleu de Sainct-Eloi, aagé de plus de LXVI ans, qui avoit de moult belles filles à Paris, toutes femmes d'honneur et [457] d'estat, lesquelles il vilena moult, car il congnut tant de traïsons contre le roy et son royaulme, que lui et ceulx de ladicte bande avoient machinées et fait aliance aux Englois, que fort seroit à croire; et encusa autres, desquelx furent decapitez ung sergent d'armes, nommé Monmelian, lequel avoit fait par son pourchaz decapiter le sieur de l'Ours de la porte Baudet, [et lequel seigneur de l'Ours, environ six sepmaines] après que les Bourguignons furent entrez à Paris, fut despendu, lui et plusieurs autres, du gibet, et furent mis en terre saincte, et fait leur service honnestement.

207. Item, ou moys de juing, fut la porte Sainct-Anthoine murée, et n'avoit à Paris que deux portes ouvertes, c'est assavoir, la porte Sainct-Denis et celle de Sainct-Germain.

208. Item, en celle année ne fut nouvelle du Landit, ce ne fu à la fin que on vendy ung pou de souliers de Breban en trois estaulx en la grant rue Sainct-Denis, emprès les Filles-Dieu.

209. Item, la vigille Sainct Jehan furent remises les chesnes de fer [458] au boutz des rues de Paris, et cuida on tout trouver; mais il s'en faillit iiic que les bandez en leur vivant avoient degasté en leur prouffit, on ne scet en quel lieu, et les refist-on moult hastivement.

210. Item, le dimenche IIIe jour de juillet, fut faicte une des plus belles processions que on eust veu oncques [459]. Toutes les eglises de Paris s'assemblerent à Nostre-Dame de Paris et de là vindrent à grant luminaire [et sainctuaires] à Sainct-Marry [460], à Sainct-Jehan en Greve, et là moult bien devottement prindrent le corps Nostre Seigneur que les faulx juifz boullirent [461] et l'apporterent moult reverentement, faisans grans louanges à Dieu, à Sainct-Martin-des-Champs; et alloient les gens de l'Université deux et deux, c'est assavoir, emprès chascun maistre alloit ung bourgois au dessoubz de lui, et tous les autres semblablement.

211. Item, le vendredy ensuivant vindrent les Arminalz de Meaux jusques devant Paris, et bouterent le feu à la Villette, à la Chappelle et ailleurs es granches plaines de blez nouveaulx. Si cria on alerme à Paris, si s'enfouirent, et en eulx en allant [allerent coupper les cordes des Arminalz qui penduz estoient au petit gibet de Paris [462]; et en eulx en allant] prindrent grant proie de bestail, [et] prinsonniers pouvres laboureurs en leurs lis, et le commun de Paris s'arma, mais on ne leur volt ouvrir la porte sitost, pour ce que sans chief estoient. Tosts [463] après vint le prevost de Paris, qui yssit à grant compaignie, et eulx le suyvirent moult asprement. Et fut vray que les Arminas povoient bien estre à plus de trois lieues loing ains que le prevost yssist, ne le commun qui moult s'en tint mal comptent, toutes voies suivirent ilz tant leurs annemys à pié qu'ilz rescouirent [464] presque tous les prinsonniers, et furent jusques à Langny-sur-Marne, et là leur fut dit que la grosse bataille povoit [ja] bien estre à trois grosses lieues loing; lors s'en revindrent le mieulx qu'ilz porent, moult las, car moult faisoit grant chault, et on ne trouvoit rien nulle part que es bonnes villes, car pour la guerre on y mettoit tout. Quant ilz furent venus à Paris, si furent moult courroucez et vouldrent aller tuer les prinsonniers arminalx du Chastellet, se n'eust esté le cappitaine de Paris [465] qui par doulces parolles les appaisa. Et tantost après on fist faire les barrieres devant Chastellet, mais neantmoins convint il mener les gros prinsonniers à tres grant compaignie de gens d'armes à la porte Sainct-Anthoine, ou autrement eussent esté tuez du peuple.

212. Item, vray est que en icellui temps Soissons se rendit aux Bourguignons, et prindrent des gros bourgoys de la ville qui estoient Arminalx, desquelx ilz firent justice, car ilz congneurent à la mort que dedens iiii jours [ilz avoient en pencée] de tuer par nuyt ou par jour tous ceulx qui estoient de la partie au duc de Bourgongne, et femmes et enfens faire noyer en sacs qu'ilz avoient tous propres fais faire à femmes moult voulentaires à la faulce traistre bande.

213. Item, vray est qu'ilz avoient fait faire monnoye de plon tres grant foison, et en devoient bailler aux diseniers de la ville de Paris, selon ce qu'ilz avoient de gens en leurs dizaines qui estoient de la bande, et n'en devoit avoir [nul] autre que ceulx; et devoient aller parmy les maisons lesdiz bandez par tout Paris à force de gens armez portant ladicte bande, disant partout: «Avez vous point de telle monnoye?» S'ilz disoient: «Veez en ci!» ilz passoient oultre [sans plus dire]; s'ilz disoient: «Nous n'en avons point!» ilz devoient tout estre mis à l'espée, et les femmes et enfans noyez. Et estoit la monnoye telle: ung pou plus grant que ung blanc de IIII deniers parisis, en la pille ung escu à deux lieppars l'un sur l'autre, et une estoille sur l'escu, en la croix; à ung des quingnez une estoille, à chascun bout de la croix une couronne [466].

214. Item, le jeudi XIIIIe jour de juillet vint la royne à Paris, et la admena le duc de Bourgongne et la presenta au roy au Louvre, laquelle avoit esté longtemps comme bannie et hors de France par les bandez, se le duc de Bourgongne ne l'eust secourue, qui tousjours en son exil l'onnoura comme sa dame, et la rendy à son signeur le roy de France, moult honnorablement le jour dessusdit. Et fut à leur venue la porte Sainct-Anthoine desmurée, et furent les bourgois de Paris vestuz tous de pers; et furent receus avecque telle honneur et joye que oncques dame ou signeur avoit esté en France, car par tout où ilz passoient, on crioit à haulte voix «Nouel!» et pou y avoit gent qui ne plourassent de joie et de pitié [467].

215. Item, la sepmaine ensuivant, avoit à Sainct-Denis en France ung [cappitaine] nommé Jehan Bertran [468], aussi bon homme d'armes et aussi proud'homme pour son signeur comme nul c'om sçeust en tout le royaulme de France, mais pas n'estoit de grant lignaige. Si acroissoit sa renommée de jour en jour [469] pour le bon sens et proesse qu'il avoit; si en orent les Picquars si grant envie qu'ilz l'espierent le lundi ensuivant que la royne vint à Paris, entre Paris et Sainct-Denis endroit la Chappelle de la ville [470], et là l'assaillirent en traïson et le navrerent de lances et d'espées; moult se deffendi longuement, mais riens ne lui vallu, car il n'estoit que lui cinquiesme; enfin le despecerent tout et murtrirent, dont le duc de Bourgongne fut si dolent quant il le sceut, que il commença à lermer moult fort des yeulx, mais autre chose n'en osa faire pour paour d'esmouvoir le commun, qui fut si esmeu quant ilz le sceurent que à tres grant peine furent apaisiez [471].

216. Item, en ce temps, les Arminalz faisoient moult souvent grans griefz autour de Paris, et prindrent celle sepmaine mesmes Moret [472] en Gastinoys, et tuerent grant partie du peuple sans mercy.

217. Item, le XXe jour dudit moys de juillet, les Angloys prindrent le Pont-de-l'Arche [473] par deux cappitaines failliz et recreans, l'un nommé Guillaume, et l'autre Robinet de Bracquemont, et le rendirent par leur mauvaistie, avant que les tryeves fussent faillies, car ilz sçavoient bien que le secours venoit de Paris tres grant, pour y estre à la journée.

218. Item, en icellui temps avoit à Paris ung chevalier du guet [474], nommé messire Gaultier Rallart, qui nulles foys n'alloit au guet qui n'eust devant lui III ou IIII menestriers jouans de haulx instrumens, qui moult estoit estrange chose au peuple, car ilz disoient qu'il sembloit qu'il deist aux malfaicteurs: «Fuiez vous en, car je vien.»

219. Item, touzjours faisoient les pouvres gens le guet [475] et feux, et veillier toute nuyt. Et si estoit la buche si chiere que touzjours la buche de Bondiz coustoit XIII ou XIIII solz parisis, [celle de Griesve la plus petite estoit à XXVI solz parisis, le molle à X solz parisis], le sac de charbon XIII ou XIIII solz parisis [476], et nul temps on n'avoit que ii ou iii œufs pour ung blanc, la livre de beurre au meilleur marché VI blans, tres petit vin pour VI deniers parisis à la pinte.

220. Item, le dimenche XXIe jour d'aoust, fut fait en Paris une grant [esmeute] [477] terrible et orrible et merveilleuse; car pour la cause que tout estoit si cher à Paris [et] que on ne gaingnoit rien pour les Arminaz qui estoient autour de Paris, s'esmut le peuple celui jour, et tuerent et abatirent ceulx qu'i porent sçavoir qui estoient de ladicte bande, et comme dervez s'en furent en [478] Chastellet et l'assaillirent de droit assault; et cilz qui dedens estoient, qui bien savoient la malle voulenté du commun, especial aux Arminalx, eulx deffendirent moult efforceement [479], et gectoient tuilles et pierres et ce qu'ilz povoient [480] pour cuider eslonguer leurs vies. Mais ce ne leur vallut rien, car le Chastellet fut eschellé de toutes pars, et descouvert [481] et prins par force, et tous ceulx de dedens mis à l'espée, et la plus grant partie fist on saillir sur les carreaulx, où la grant compaignie estoit du peuple qui les occioient sans mercy de plus de cent plaies mortelles; car trop souffroit le peuple de griefz par eulx, car riens ne povoit venir à Paris qui ne fust rançonné deux foys plus qu'il ne valloit, et toutes nuys guet de feu, de lanternes en my les rues, aux portes [482], faire gens d'armes et riens gaigner, et tout cher plus que de raison [483] par les faulx bandez qui tenoient maintes bonnes villes d'entour Paris, comme Sens, Moret, Meleun, Meaulx en Brye, Crecy [484], Compigne, Mont-le-Hery, et plusieurs autres forteresses et chasteaulx [485], où ilz faisoient tous les maulx que on peust faire ne pencer. Car par eulx fut plus martiré de gens que ne firent les anxiens annemys de chrestienté, comme Dyoclecien et Maximien, et autres qui firent à Romme martirer plusieurs sains et saintes, mais leur tyrannie n'estoit point acomparegée [486] ausdiz bandez, comme Dieu scet; par quoy ledit peuple estoit ainsi esmeu contre eulx, comme davant est dit.

221. Item, dudit Chastellet, quant ilz orent mis à l'espée tous ceulx qu'ilz porent trouver, s'en allerent au Petit Chastellet, où ilz orent moult fort assault; mais ce ne leur vallu riens, car tous furent tuez comme ceulx du Grant Chastellet, de là s'esmurent [487] pour venir au chasteau de Sainct-Anthoine. Lors vint le duc de Bourgongne à eulx, qui les cuida apaisier par doulces parolles, mais riens n'y valu; car ilz s'en fuirent, comme gens dervez, droit au chasteau et l'assaillirent à force, et percerent portes [et tout] à pierres qu'ilz gectoient encontre; et nul si hardy de en hault qui s'osast monstrer, car ilz leur envoyoient sajettes et cannons si tres dru que merveilles. Grant pitié en avoit le duc de Bourgongne, qui là affouy [à grant haste], acompaignié de plusieurs grans signeurs et gens d'armes, pour leur cuider faire cesser [488] l'assault pour la compaignie qu'il admenoit, mais oncques, pour puissance qu'il eust, ne lui, ne sa compaignie ne les porent apaisier, si ne leur monstroit tous les prinsonniers qui là estoient, et s'ilz n'estoient admenez ou Chastellet de Paris, que ilz disoient que ceulx que on mettoit oudit chasteau estoient touzjours delivrez par argent, et les boutoit on [hors] par les champs, et faisoient après plus de maulx que devant, et pour ce les vouloient avoir. Et quant le duc de Bourgongne vit la chace ainsi, que bien veoit qu'ilz disoient verité, si leur delivra, par ainsi que nul mal ne leur feroient, et ainsi fut accordé d'une part et d'autre, et furent admenez par les gens du duc de Bourgongne, et estoient, que ung que autre, environ vingt [489]. Quant ilz vindrent pres du Chastellet, si furent moult esbahiz, car ilz trouverent si grant nombre de peuple, que oncques, pour puissance qu'ilz eussent, ne les porent [490] sauver qu'ilz ne fussent tous martirez de plus de cent plaies; et là furent tuez cinq chevaliers, tous grans signeurs, comme Enguerran de Malcongnat [491] et son filx, premier chambellan du roy nostre sire, monseigneur Ecthor de Chartres [492] et plusieurs autres, Charlot Poupart [493], argentier du roy, le vielz Taranne [494] et ung de ses filx, dont le duc de Bourgongne fut moult troublé, mais autre chose n'en osa faire.

222. Item, après ce l'occision, droit en l'ostel de Bourbon [495] s'en allerent, et misdrent à mort aucuns prinsonniers; (qu)'ilz y trouverent en une chambre une queue plaine de chausses-trapes, et une grant baniere comme estandart, où il avoit ung dragon figuré, qui par la gueule [496] gectoit feu et sang. Si furent plus meuz en ire que davant, et la portèrent tout parmy Paris, les espées [toutes] nues, criant sans raison: «Veez cy la baniere que le roy d'Angleterre avoit envoiée aux faulx Arminalz, en signifiance de la mort dont ilz nous devoient faire mourir.» Et ainsi criant, quant ilz orent partout monstré, la porterent au duc de Bourgongne, et quant il l'ot veue, sans plus dire, fut mise à terre, et marcherent dessus, et en print chascun qui en pot avoir sa piece, et en misdrent les pieces au boutz de leurs espées et de leurs haches.

223. Item, toute celle nuyt ne dormirent [497], ne ne cesserent de querir et de demander partout se on savoit nulz Arminalx; aucuns en trouverent qui furent tuez et mis à mort sur les carreaulx tous nuds.

224. Item, le lundi ensuivant, XXIIe jour d'aoust, [furent] encusées aucunes femmes, lesquelles furent tuées et mises sur les carreaulx sans robbe que de leur chemise, et ad ce faire estoit plus enclin le bourreau que nulz des autres; entre lesquelles femmes il tua une femme grosse, qui en ce cas n'avoit aucune coulpe, dont il advint ung pou de jours après qu'il en fut prins et mis en Chastellet, lui IIIe de ses complices, et au bout de trois jours après eurent les testes coppées [498]. Et ordonna le bourreau la maniere au nouveau bourreau comment il devoit copper teste, et fut deslié et ordonna le tronchet pour son coul et pour sa face, et osta du boys au bout de la doloaire et à son coustel, tout ainsi comme s'il voulsist faire ladicte office à ung autre, dont tout le monde estoit esbahy; après ce, cria mercy à Dieu et fut décollé par son varlet.

225. Item, en celui temps, vers la fin du moys d'aoust, faisoit si grant chalour de jour et de nuyt, que homme ne femme ne povoit dormir par nuyt, et avec ce estoit tres grant mortalité de boce et d'espidymie, et tout sur jeune gent et sur enfens.

226. Item, celuy an, demouroient les blez et les advoynes [aux champs] à sayer tout autour de Paris, que nul n'y osoit aller pour les Arminaz qui tuoient tous ceulx qu'ilz povoient prendre qui estoient de Paris. Pour quoy la commune de Paris s'esmut, et allerent devant Montlehery [499], et y furent [environ] X ou XII jours, et firent le mieulx qu'ilz porent, et eussent gaigné le chastel et les traistres de dedens, se n'eussent esté aucuns gentilzhommes [500] qui avec eulx estoient, qui les devoient garder et mener; mais, quant ilz virent que la commune besongnoit si bien, si parlementerent aux Arminalx qui bien veoient qu'ilz ne povoient longuement durer contre la commune, qui si asprement les assailloit de jour et de nuyt, et prindrent grant argent des Arminaz, par ainsi qu'ilz feroient lever le siege, et ainsi firent ilz quant ilz orent l'argent. Si firent entendant aux bonnes gens, que vrayement il venoit ung tres grant secours à ceulx du chastel, et qui se pouroit sauver, si se sauvast, que plus ne seroient là, et se partirent. Quant ce virent la commune, si se departirent [de là] moult courcez, et quant ilz vindrent pres de Paris, on leur ferma les portes, et demourerent à Sainct-Germain, à Sainct-Marcel, à Nostre-Dame-des-Champs, ii ou iii jours et nuys; et les Arminalz, tantost après le departement du siege [501], couroient jusques au bout desdiz villaiges où estoient noz gens pour les cuider sourprendre, mais oncques pour leur puissance ne les porent grever. Et si n'avoient nul cappitaine que de ceulx de Paris, car les gentilzhommes qui les avoient laissez cuidoient que les Arminalz les deussent tous tuer, mais oncques Arminaz ne les oserent assaillir; et vray estoit que qui eust laissé faire les communes, il n'y eust demouré Arminac en France en mains de deux moys qu'ilz n'eussent mis à fin; et pour ce les hayoient les gentilzhommes qui ne vouloient que la guerre, et ilz la vouloient mettre à fin. Quant on vit qu'ilz avoient si grant voulenté d'affiner la guerre, on les laissa entrer dedens Paris, et allerent faire leur labour; et les Arminalz faisoient du pis qu'ilz povoient, car ilz tuoient femmes et enfens, et boutoient feux autour de Paris [502], et si n'estoit homme nul qui y meist remede aucun.

227. Et d'autre part estoient les Angloys devant Rouen de toutes pars assiegez, qui moult faisoient de grief de toutes pars à ceulx de Rouen, et [503] si n'estoit homme nul qui aucun secours leur envoiast; si leur convint perdre l'abbaye de Saincte-Katherine-du-Mont de Rouen [504], dont furent moult affoiblyz, mais à souffrir leur convint; et tout ce estoit par les faulx traistres de France qui ne vouloient que la guerre; car bien savoient tous combien de rançon ilz devoient paier, se prins estoient.

228. Alloit ainsi le [royaulme de] France de pis [en pis], et povoit on mieulx dire la Terre Deserte que la terre de France. Et tout ce estoit, ou la plus grant partie, par le duc de Bourgongne qui estoit le plus long homme en toutes ses besongnes c'om peust trouver [505] car il ne se mouvoyt d'une cité [quant il y estoit, ne que] se paix fust partout, se le peuple par force de plaintes ne l'esmouvoit, dont tout enchery en Paris [de plus en plus] [506]. Car il estoit en septembre le commencement d'yver que on se devoit garnir, et ung cent de bonne buche valloit touzjours II frans, ung sac de charbon, XVI solz parisis; le moulle X ou XII solz parisis; la livre de beurre sallé, VII ou VIII blans en gros [507]; œufs, II deniers parisis la piece; ung petit fromaige, III solz parisis; bien petites poires ou pommes, ung denier la piece; deux petiz oingnons, II deniers parisis; bien petit vin pour II ou III blans, et ainsi de toutes choses.

229. Item, en cellui moys de septembre, fut mandé le duc de Bretaigne de par le roy, et y vint à Corbeil, de là à Sainct-Mordes-Fossez [508]. Et là vint la royne, le duc de Bourgongne et plusieurs autres signeurs; là firent-[ilz] une paix telle quelle, [que] voulsist ou non la royne. Tout fut pardonné aux Arminalz, les maulx qu'ilz avoient faiz, et si estoit tout prouvé [509] contre eulx qu'ilz estoient consentans de la venue du roy d'Engleterre, et qu'ilz en avoient eu grans deniers dudit roy; item, de empoisonner [510] les deux ainsnez filz du roy de France, et savoit-on bien que ce avoit esté et fait faire, et de l'empoisonnement du duc de Holende, et de bouter hors la royne de France de son royaulme [511]. Et si convint tout mettre ce à nyant, ou se non ilz eussent destruit tout le royaulme de France et livré aux Engloys le daulphin qu'ilz avoient devers eulx. Ainsi fut faicte celle paix, qui que en fust courcé ou joyeulx, et fut criée parmy Paris à quatre trompes et à six menestriers, le lundi XIXe jour de septembre l'an IIIIc XVIII [512].

230. Item, en cedit moys, au commencement, [fut] depposé de la prevosté de Paris le Beau de Bar [513], et y fut mis ung escuier nommé Jacques Lamben [514].

231. Item, cedit moys de septembre, estoit à Paris et autour la mortalité si tres cruelle [515], que on eust veu puis IIIc ans par le dit des anciens; car nul n'eschapoit qui fust feru de l'espidimie, especialment jeunes gens et enfans. Et tant en mouru vers la fin dudit moys, et si hastivement, qu'il convint faire es cymetieres [de Paris] grans fosses, où on en mettoit XXX ou XL en chascune, et estoient arangés comme lars, et puis [ung pou] pouldrez par dessus de terre; et touzjours jour et nuyt on n'estoit en rue que on ne rencontrast Nostre Seigneur, que on portoit aux malades, et tretous avoient la plus belle cognoissance de Dieu Nostre Seigneur à la fin, que on vit oncques avoir à chrestiens. Mais au dict des clercs, on ne avoit oncques veu ne ouy parler de mortalité qui fust si desvée, ne plus aspre, ne dont moins eschappast de gens qui feru en fussent; car en moins de cinq sepmaines trespassa en ville de Paris plus de L mil personnes. Et tant trespassa de gens de l'Eglise que on enterroit IIII, ou VI, ou huit chefs de hostel à une messe à notte, et convenoit marchander aux presbtres pour combien ilz la chanteroient [516], et bien souvent en convenoit paier XVI ou XVIII solz parisis, et d'une messe basse IIII solz parisis.

232. Item, en ce temps, qui estoit environ XII jours en octobre, n'estoit pas encore cessée la mortalité aucunement [517] ne les Arminaz pour paix ne pour autre chose ne laissoient à faire comme davant tretous le pis qu'ilz povoient, et venoient souvent jusques emprès de Paris prendre proies et hommes et femmes, et menoient en leurs garnisons, ne nul n'en osoit mot dire, et pour vray il ressembloit que au duc de Bourgongne en fust apoy, et apoisoit le peuple de douces parolles.

233. Item, tout le moys d'octobre et de novembre, fut la mort ainsi cruelle comme davant est dit, et quant on la vit si dervée que on ne savoit mais où les enterrer, on fist grans fosses, aux Sains-Innocens cinq, à la Trinité quatre, aux autres selon leur grandeur, et en chascune on mettoit VIc personnes ou environ. Et fut vray que les cordouanniers de Paris compterent le jour de leur confrarie Sainct Crespin et Sainct Crespinien [518] les mors de leur mestier, et compterent et trouverent qu'ilz estoient trespassez bien XVIIIc, tant maistres que varletz, en ces deux moys en ladicte ville. Et ceulx de l'Ostel-Dieu, ceulx qui faisoient les fosses es cymetieres de Paris, affermoient que entre la Nativité Nostre-Dame et sa Concepcion, avoient enterré de la ville de Paris plus de cent mille personnes [519], et en IIII ou V cens n'en mouroit pas XII anciens, que tous enfens et jeunes gens.

234. Item, les Arminalz tenoient touzjours les villes et forteresses devant dictes, et tindrent Paris en si grant subgection que ung enffant de XIIII ans mengoit bien pour VIII deniers de pain à l'eure, et coustoit la XIIne VI solz parisis, que on avoit eue pour VII ou VIII blans, ung bien petit fromaige X ou XII blans, le quarteron d'œufs V ou VI solz parisis; la char d'un bon mouton, le bœuf XXXVIII frans; ainsi petite bûche comme de Marne toute verte, XL solz parisis ou III frans le cent, la buche de molle XII solz le molle [520], meschantes bourrées où il n'avoit que feilles, le cent XXXVI solz parisis [521], ung quarteron de poires d'Engoisses IIII solz parisis, de pommes II solz ou VI blans, la livre de beurre sallé VIII blans, ung petit fromaige venant de la Frisselle [522] XVI deniers parisis, une paire de soulliers que on avoit devant pour VIII blans [en mil] IIIIc XVIII, coustoient XVI ou XVIII blans, et toutes autres choses, quelles qu'elles fussent, estoient ainsi cheres à Paris partout.

235. Item, en ce moys de novembre, fut remis le Beau [523] de Bar, c'est assavoir, messire Guy de Bar, dit le Beau, en la prevosté de Paris, comme devant [524].

236. Item, en cedit moys de novembre, orent lesdiz bouchiers congié de refaire la grant boucherie de Paris, de devant le Chastellet [525], et fut commencé à querir les fondemens le mercredy XIe jour de novembre.

237. Et environ XII jours après fist crier le roy à trompes qu'il pardonnoit à tout homme, fust Arminac ou autre, quelque chose que on luy eust mesfait [526], ce non à troys, le président de Provence, maistre Robert le Maçon et Remon Raguier [527]; ces troys avoient fait tant de traïson contre le roy qu'il ne leur volt pardonner, car par eulx troys se faisoient tous les maulx devant diz à Paris [528].

238. Item, la sepmaine d'après party le roy [529] et monseigneur de Bourgongne pour aller contre les Angloys, et allerent loger à Pontoise, et là furent jusques à trois sepmaines après Noel [530] sans riens faire, se non menger tout le païs d'autour. Et les Angloys estoient devant Rouen [531], et le dalphin ou ses gens gastoient le païs de Touraine [532]; et les autres estoient autour de Paris, et venoient jusques aux portes de Paris piller, tuer, ne oncques le duc de Bourgongne ne les siens ne s'avancerent aucunement de contester aux Engloys ne Arminaz. Et pour ce, enchery tretout de plus en plus à Paris, car riens n'y povoit venir pour ceulx devant diz [533]. En icellui temps coustoit ung petit pourcel VI ou VII frans, et toute char enchery tellement que pouvres gens n'en mengeoient point; mais en celle année fut tant de choulx que tout Paris en fut gouverné tout l'yver, car febves et poys estoient oultraigeusement chers.

239. Item, en ce temps valloit une bonne livre de chandelle VIII blans, ou VII de mains.

240. Item, on paoit en ce temps, tout homme qui vendoit vin, de chascune queue en gros, huit solz parisis; et cil [534] qui l'achatoit autant, et du poinson IIII solz parisis, et se on la vendoit à detail de vin, à IIII deniers autres VIII solz parisis, à VI deniers XII solz parisis. Et fut commencée ceste doloreuse praticque environ la Toussaint IIIIc XVIII.

[1419.]

241. Item, le XXe jour de janvier, oudit an IIIIc XVIII, entrerent les Engloys dedens Rouen [535], et la gaignerent par leur force, et parce qu'ilz n'avoient de quoy vivre dedens la cité, mais moult la tindrent longuement contre les Angloys, comme environ VI ou VII moys.

242. Item, après ce vindrent devers Paris pour gaigner le remenant de France, et nul ne les contredisoit que ceulx des bonnes villes qui leur tenoient ung pou de pié, mais tantost les convenoit rendre, car nulz des gentilzhommes ou pou s'en mesloient [536] pour la haingne des Bourguignons et Arminalx; et par ce vint si grant cherté à Paris de toutes choses dont on povoit vivre, car tous les plus grans estoient esbahiz. Et valloit ung sextier de blé IIII ou V frans oudit an mil IIIIc XVIII; petit pain pour VIII solz parisis la XIIne; une petite piece de char, VI blans; une froissure de mouton, XII deniers; [pour] ung petit frommaige, IIII solz parisis; trois œufs, III blans; la livre de beurre sallé, IIII solz parisis; ung quarteron de petites pommes, XVI deniers; chascune poire, IIII deniers; le cent de harens sors, III escuz; le cent de haren cacqué, IIII frans; deux petis oingnons, ung denier; deux chefs d'auls, IIII deniers; IIII navez, II deniers; ung boessel de bons pois, X ou XI solz parisis, et feves autant; buche chere comme devant est dit; le cent de noys, XVI deniers; la pinte d'uylle d'olive, VI solz parisis; la livre de sain doulx, XII blans; la chopine, XVIII deniers; la livre de fromaige de presse, III solz parisis. Brief, tout [ce de quoy creature humaine povoit vivre] estoit tant cher que chascun denier coustoit quatre [deniers] de toutes choses, se non de mettaulx comme arain ou estain; arain avoit-on pour VI deniers la livre; estain pour X deniers la livre ou pour VIII deniers; la livre de potin IIII deniers parisis; mais argent valloit en ce temps X frans le marc; ung des petiz moutons devant diz de XVI solz valloit XX solz parisis.

243. Item, la premiere sepmaine de fevrier oudit an, fut prinse Mante par les Angloys, et plusieurs forteresses d'autour [537]; et n'estoit homme qui y meist aucun remede, car les signeurs de France estoient si courcez l'ung à l'autre, car le dalphin de France estoit contre son pere à cause du duc de Bourgongne qui estoit avec le roy, et tous les autres signeurs du sang de France estoient prinsonniers au roy d'Angleterre de la bataille d'Agincourt du jour Sainct Crespin, et son frere devant dit.]

244. Item, en ce moys de fevrier oudit an, l'an mil IIIIc XVIII, fut depposé le Beau de Bar de la prevosté de Paris, et fut fait prevost de Paris ung nommé Gilles de Clamecy [538], natif de la ville de Paris; ce que on n'avoit oncques [mais] veu d'aage de homme qui à celuy temps fust trouvé [en vie], que de la nacion de Paris on eust fait prevost.

245. Item, ou moys de mars ensuivant, valloit le marc d'argent XIIII frans; le sextier de bon blé, c solz parisis; la pinte de bonne huylle de noix, VII ou VIII solz.

246. Item, ou [539] moys de mars ensuivant, environ XV jours, fut le blé si cher que le sextier valloit VIII frans; et environ VIII jours à l'yssue dudit moys, fut crié par les carrefours de Paris que nul ne fust si hardy qu'il vendist blé seigle plus de III frans le sextier, le meilleur sextier de mestail plus de LX solz parisis, le meilleur froment plus de LXXII solz parisis le sextier, et que nul moulnier ne prenist point de la moulture que argent, c'est assavoir, VIII blans pour sextier, et que chascun boulenger feist bon pain blanc, pain bourgois et pain festiz à toute sa fleur, et de certain poix [540] dit ou cry [541]. Quant les marchans qui alloient aux blez et les boullengiers ouirent le cry, si cesserent de cuire, et les marchans d'aller hors; et aussi ilz n'y alloient point, [et n'allassent] que à une lieue de Paris que ce ne fust sur leur vye, car les Angloys sans cesser [venoient] toutes les sepmaines une foys ou deux jusques au pont de Sainct-Cloud, et les Arminaz jusques aux portes de Paris sans cesser, et nul homme n'osoit yssir.

247. Item, en la darraine sepmaine [542] de mars, l'an mil IIIIc XVIII, la IIIIe sepmaine de karesme, qui eust donné es Halles de Paris, ou en la place Maubert, XX solz d'une XIIne de pain, il n'en eust peu finer. Vray est que aucuns boullengiers cuisoient, et n'en povoit avoir chascun que ung ou deux tout [543] au plus, et y avoit tousjours quelque L ou LX personnes à l'uys qui attendoient qu'il fust cuyt, et le prenoient tout venant du four. En ce point estoit la cité de Paris gouvernée, et pour vray en tout le karesme povres gens ne mengeoient que pain aussi noir et mal savouré [544] c'om pouroit faire. Vers la fin de karesme vint des hannons de foys à autres, mais on vendoit le sac XXVI solz parisis c'om avoit veu avoir pour V blans autres fois, et n'en avoit on que bien pou pour V ou VI blans; et vint ung pou de figgues grasses et rudes, et si en vendoit on la livre deux solz; et touzjours ung haren caqué bon VIII deniers parisis; ung sor VI deniers; une petite seiche, III ou IIII blans; et enchérirent tant les oingnons que une petite bote de [XX ou] de XXIIII oingnons valloit [545] IIII solz parisis.

248. Item, ung pou devant mars, fut pillée la ville de [546] Soissons [547], et grant occision faicte de hommes, de femmes et d'enfens par les Arminalx.

249. Item, oudit an, en mars, fut faicte grant occision en la cité de Sens, que le seigneur de Guittré [548] y fist, pour ce que ceulx de la cité vouloient mettre les Bourguignons dedens sans son seu, car il en estoit bailly.

250. Item, en ce temps furent Pasques le XVIe jour d'avril IIIIc XIX. Lors fut la char si chere que ung beuf, qu'on avoit veu donner maintes foys pour VIII frans ou pour dix tout au plus, coustoit L frans; ung veau IIII ou V frans; ung mouton LX solz ou IIII frans. Toute char que on povoit menger, fust vollaille ou autre, estoit tant chere, car ung homme eust bien mengé à son repas pour VI blans de bon beuf, ou mouton, ou lart; et n'avoit-on que II œufs pour II blans; ung fromaige mol, VI ou VIII blans; la livre de beurre sallé XIIII blans; le froys, XVIII blans; une froessure de mouton, II solz ou VIII blans; ung pié de mouton, IIII deniers; la teste de mouton, III ou IIII blans. Et touzjours couroient les Arminaz [549], comme devant est dit, tuoient, pilloient, boutoient feu partout sur femmes, sur hommes [et] sur grains, et faisoient pis que Sarazins, et nul ne les contredisoit; car le duc de Bourgongne estoit touzjours avec le roy à Prouvins, et ne s'en bougeoient, et y furent jusques au XXVIIIe jour de may IIIIc XIX qu'ilz vindrent à Pontoise [550], c'est assavoir le roy, la royne, le duc de Bourgongne, et passerent [par] devant Paris par le bout de Sainct-Laurens sans entrer à Paris, dont on fut moult esbahy [à Paris; de Pontoise allerent à Meurlan et] orent treves aux Arminalx trois moys ensuivans [551]; et là parlementerent aux Engloys aussi par treves de faire aucun mariaige [552]; et fut une dure chose au roy de France, que lui, qui devoit estre le souverain roy des chrestiens, convint qu'il obeist à son anxien ennemy mortel, pour estre contre son enfant et ceulx de la bande qui nonobstant treves pilloient tousjours et roboient comme devant.

251. Item, en ce temps estoit la tres grant charté de toute vitaille, comme devant est dit, et valloient quatre chefs d'aulx bien petiz IIII deniers parisis.

252. Item, le VIIIe et le IXe jour de juing ensuivant, après les triefves devant dictes environ six jours, vint tant de biens à Paris, de lars, de fromaiges de presse, qu'ilz estoient es Halles entassez aussi hault que ung homme, et fut donné pour II blans ou pour III frans ce qui coustoit six la sepmaine de devant; et vint tant d'aulx à Paris, que ce qui coustoit XII ou XVI solz la sepmaine de devant estoit donné pour V ou pour VI blans; et vint grant foison de pain de Corbeil, de Meleun et du plat païs d'entour Paris, qu'ilz avoient des biens des bonnes villes, et si en vint d'Amiens et de par delà, mais pou amenda du marché de touzjours, fors qu'il estoit plus blanc.

253. Item, la vigille de la Trinité, vint tant de poisson à Paris que on avoit IIII ou V bonnes solles pour ung gros, et l'autre marée à la vallue; et fut la Trinité le jour Sainct Barnabé, XIe jour de juing l'an mil IIIIc XIX.

254. Item, la sepmaine ensuivant, fut crié que on prenist les moutons devant diz de XVI solz pour XXIIII solz parisis [553], dont les marchans de loing furent plus eslongnez [554] que devant de venir marchander à Paris, ne nul n'y venoit qui de la monnoye tenist compte ou pris [555] qu'elle couroit en ce temps; car il couroit à Paris blans de Bourgongne de VIII deniers parisis piece, que on appelloit

lubres, qui ne valoient mie trois deniers, et avec ce estoient rouges comme meriaux [556]. Si eussiez veu par tout Paris où marchandise couroit touzjours debat, fust à pain ou à vin, ou à autre chose.

255. Item, en icellui temps fist tant le duc de Bourgongne que paix fust faicte entre le Dalphin et le roy de France, son pere, et tous les Angloys, comme en maniere de traicté, tant que la dicte paix fut faicte entre Meleun et Corbeil, en ung lieu dit le Poncel, à une lieue de Meleun emprès Poully; et là jurerent touz les vassaulx d'une part et d'autre à tenir ladicte paix, sans jamais aller à l'encontre de ce qui fait en estoit; et fut le mardi XIe jour de juillet, et en fut faicte tres grant feste à Paris [557]; et fut confermée le XIXe jour dudit moys ladicte paix de tous les signeurs qui pour lors estoient en France [558]. Et tous les jours [à Paris] et especialment de nuyt faisoit on tres grant feste pour ladicte paix à menestriers et autrement.

256. Item, le penultime jour dudit moys, fut la feste Sainct Huistace, qui fut faicte moult joieusement, et l'endemain, jour Sainct Germain, tourna en si grant tribulacion que oncques fist feste; car à dix heures, ainsi qu'ilz cuidoient [ordonner] d'aller jouer au Marais, comme coustume estoit, vint à Paris ung grant effroy, car, par la porte Sainct-Denis, quelque XX ou XXX personnes, si effroyez comme gens qui estoient, n'avoit gueres, eschappez de la mort; et bien y paroit, car les aucuns estoient navrez, les autres le cueur leur failloit de paour et de chault et de faing, et sembloient mieulx mors que vifs. Si furent artez à la porte et leur demanda on l'achoison dont grant douleur leur venoit, et ilz prindrent à larmoyer en disant: «Nous sommes de Pontoyse qui a esté à ceste journée, au matin, prinse des Angloys [pour certain [559]], et puis ont tué, navré tout ce qu'ilz ont trouvé en leur voye, et bien se tient pour bien euré qui peut eschapper de leur main, car oncques Sarazins ne firent pis aux chrestiens qu'ilz font.» Et ainsi qu'ilz disoient et regardoient ceulx qui gardoient la porte devers Sainct-Ladre, et veoient venir grans tourbes [560] de hommes, femmes et enfens, les ungs navrez, les autres despoulliez; l'autre portoit deux enfens entre ses bras ou en hostes, et estoient les femmes, les unes sans chapperon, les autres en ung povre corcet, autres en leur chemise; povres prebstres qui n'avoient que leur chemise ou ung seurpeliz vestu, la teste toute descouverte, et en venant faisoient si grans pleurs, criz et lamentacions, en disant: «Dieu, gardez nous par vostre grace de desespoir, car huy au matin estions en nos maisons aises [et manans], et à medy ensuivant sommes comme gens en exil querans nostre pain.» Et en ce disant, les aucuns se pasmoient, les autres s'asseoient à terre si las et si doloreus que plus ne povoient; car moult avoient perdu aucuns de sang, les autres estoient moult affebliz de porter leurs enfans, car la journée estoit tres chaude et vaine. Et eussiez trouvé entre Paris et le Landit quelque iiic ou iiiic ainsi assiz, qui recordoient leurs grans douleurs et leurs grans pertes de chevances et d'amys, car pou y avoit personne qu'il neust aucun amy ou amye ou enffant demouré à Pontoyse. Si leur croissoit leur douleur tellement, quant il leur souvenoit de leurs amis qui estoient demourez entre ces crueulx tirans Angloys, que le povre cueur ne les povoit soustenir, car foibles estoient moult pour ce que encore n'avoit le plus beu ne mangé, et aucunes femmes grosses acoucherent en la fuite, qui tost après moururent; et n'est nul si dur cueur qui eust veu leur grant desconfort qui se fust tenu de plourer ou larmoier. Et [toute] la sepmaine ensuivant ne finerent que de ainsi venir, [que] de Pontoise [que] des villaiges d'entour, et estoient parmy Paris moult esbahiz à grans tropeaulx. Car [toute] vitaille estoit moult chere, especialment pain et vin, [car on n'avoit point de vin] qui riens vaulsist, pour moins de viii deniers la pinte; ung petit pain blanc viii deniers parisis; les autres choses de quoy homme povoit vivre, par cas pareil.

257. Item, le peuple de Paris estoit moult esmerveillé du roy et du duc de Bourgongne, que, quant Pontoise fut prinse, comme dit est, ilz estoient à Sainct-Denis bien acompaignez de gens d'armes [561], et ne firent aucun secours à ceulx de Pontoise, ains vuyderent l'endemain le bagaige et allerent au pont de Charenthon, et de là à Laingny, et passerent au plus pres de Paris sans entrer ens, dont [tout] le peuple [de Paris] fut moult esbahi [562] et se tint pour mal comptent; car il sembloit proprement que tous s'en fouissent devant les Angloys, qu'ilz eussent grant haine à ceulx de Paris et du royaulme; car en ce temps n'avoyt chevalier de renon d'armes à Paris, ne cappitaine nul [563], non plus que le prevost de Paris et cellui des marchans, qui n'avoient pas acoustumé à mener fait de guerre. Et pour ce les Anglois, qui savoient bien que à Paris n'avoit que la commune, car touzjours avoient-ilz des amys à Paris et ailleurs, vindrent la vigille Sainct Laurens [564] ensuivant devant Paris jusques auprès de Paris [565], sans ce que nulz leur contredeist; mais assaillir n'oserent Paris pour la commune, qui tantost se misdrent sur les murs pour deffendre la ville, et fussent voulentiers ladicte commune aux champs yssue, mais les gouverneurs ne voldrent laisser homme yssir. Quant ce virent les Angloys, ilz s'en allerent pillant, tuant, robant, prenant gens à rançon, et le lendemain, jour Sainct Laurens, revindrent faire une cource jusques devant Paris, et s'en retournerent vers Pontoise.

258. Item, ce jour Sainct Laurens, tonna et esparty le plus terriblement et le plus longuement que on eust veu d'aage de homme, et plut à la value, car celle tempeste dura plus de quatre heures sans cesser. Ainsi estoit le monde en doubte de la guerre Nostre Seigneur et de celle de l'ennemy.

259. Item, [environ] XII jours après, commencerent [les bouchers] derechief à refaire la grant boucherie. En ce temps n'estoit nouvelle fors que du mal que les Angloys faisoient en France, car de jour en jour gangnoient villes et chasteaux, et minoient tout le royaume de France de chevance et gens, et tout envoyoient en Engleterre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . [566]

260. .....comment, et [567] les grans [568] signeurs de France prins des Angloys tout par orgueil, faire sacrilege c foys le jour, violer eglises, menger char au vendredi [à cuire], efforcer filles et femmes et dames de religion, rostir hommes et enfans; brief, je croy que les tyrans de Romme, comme Neron, Dio(c)lecian, Dacien et les autres ne firent oncques la tyrannie qu'ilz font et ont fait. Tous ces fais devantdiz de pardurable perdicion que chascun scet, estoient tous mis à nyant, quant à la justice corporelle, de la divine je me teys, quant la deesse de Discorde et son pere Sathan, à qui ilz sont, leur fist la faulce traïson doloreuse faire, dont tout le royaulme est à perdicion, se Dieu n'en a pitié [ou] y vueille de sa grace [ouvrer], qu'ilz soient en tel estat qu'ilz le veullent cognoistre et qu'ilz ne puissent nuire à nulli, comme ilz ont fait le temps passé, car par leurs [faiz] oultraigeux devantdiz meurent de fain les gens aux champs et à la ville, et de froit. Car aussitost qu'ilz orent fait leur dampnable voulenté du bon duc [569], tous ceulx des garnisons coururent çà et là, pillant, robant, rançonnant, boutant feus, par quoy tout enchery tellement [570] que le blé, qui ne valloit que XL solz [571] parisis, valu tantost après VI ou VII frans; [ung sextier de pois ou de febves X ou XII frans]; frommaige, œufs, beurre, aulx, ongnons, buche, char, bref toutes choses de quoy gens et bestes [et enffans] povoient vivre, encherirent tellement que tres petite buche valloit III frans le cent [572]. Et pour celle charté fut ordonné le boys de Vicennes à estre coppé, et costoit le molle XVI ou XVIII solz parisis, et n'en avoit on que XXXII pour molle; une somme de charbon, III frans, que on avoit eue autres foys [aussi bonne] pour V ou pour VI solz.

261. Item, les petis enfens ne mengeoient point de lait, car pinte coustoit X deniers ou XII. Certes, en ycellui temps pouvres gens ne mengeoient ne char ne gresse, car ung petit enffant eust bien mengé pour III blans de char à son repas. La pinte de bon sain doulx, IIII ou V solz parisis; ung pié de mouton, IIII deniers; ung pié de beuf, VII blans, et les trippes à la vallue; beurre sallé, IIII solz; ung œuf, VIII deniers; ung petit frommaige, VII solz parisis; une paire de soulliers à homme, VIII solz parisis; ungs patins, VIII blans; brief et toutes autres choses quelxconques estoient [encheries] pour la mort du bon duc, et se ne gaignoit on denier. Et si ne valloit rien la monnoye blanche [573], car ung blanc de XVI deniers ne valloit pas plus de III deniers parisis en argent, et ung escu d'or du temps passé valloit XXXVIII solz parisis [574]; [pour] ung marc d'argent, XIIII frans [575]. Et pour ce point, pour la feible monnoye, ne venoit point de marchandise à Paris, et si estoient les Angloys tous les jours jusques aux portes de Paris, s'ilz vouloient, et les Arminaz d'autre costé, qui estoient aussi mauvays; et alloit chascun II ou III foys la sepmaine au guet, une foys parmy la ville, l'autre foys sur les eschifflez [576]; et si estoit le fin cueur de l'yver, et touzjours plevoyt et faisoit tres froit [577]. Et furent les vendenges celle année, l'an mil IIIIc XIX, les plus ordes [et pluvieuses], les raisins pouris, les plus feibles vins que on eust oncques veu d'aage de homme, et si cousta celle année IIII foys plus qu'ilz n'avoient fait d'aage de homme qui fust en vie, et tout par les maulx qu'ilz faisoient partout; car, pour certain qui avoit à V ou VI lieues près de Paris, la queue lui coustoit V ou VI frans tant seullement à admener, et en convoy de gens d'armes à une lieue pres de Paris, XVI ou XX solz parisis, sans vendenger, labourer, reloyer, autre despence. Et quant tout ot esté vendengé et recuilli, ilz n'orent ne force ne vertu, ne couleur, et n'en estoit gueres ou pou qui sentissent se non le pourry; car le plus n'avoient point esté ordonnez en vendenges à leur droit, pour la paour que on avoit des dessusdiz, et pour la doubte que on avoit tout temps de leur traïson. La nuyt de la saincte feste de Toussaint, oncques [on] ne sonna à Paris pour les trespassez, comme coustume est, se non guare-feu; et neantmoins toutes ces pouvretez, miseres et doleurs, oncques à pape ne à emperiere, n'à roy, n'à duc, si comme je croy, on ne fist autant de service après leur trespassement, n'aussi solempnel en une cité, comme on a fait pour le bon duc de Bourgongne, à qui Dieu pardoint.

262. Item, à Nostre-Dame de Paris fut fait le jour Sainct Michel le plus piteusement que faire se pot, et y avoit ou moustier iii mil libvres de cire, toutes en cierges et en torches; et là ot ung moult piteux sermon que fist le recteur de l'Université, nommé maistre Jehan l'Archer [578]. Et après ce le firent toutes les parroisses de Paris [et toutes les confraries de Paris] l'une après l'autre, et partout faisoit-on la presentacion de grans cierges et de grans torches, et estoient les moustiers encourtinez de noyres sarges. Et chantoit on le Subvenite des Mors et vigilles à neuf pseaulmes, et par tous les moustiers estoient après mis [les armes] [579] du bon duc trespassé et du sire de Novaille [580] qui fut mort avec luy, dont Dieu vueille avoir les ames et de tous les autres trespassez, et vueille donner grace à nous et à toute ceste gent de le congnoistre, comme nous devons, et nous doint ce que disoit à ses apostres: «Paix soit avec vous!» car par ceste maldicte guerre tant de maulx ont esté fais que je cuide que en telx LX ans passez par devant, il n'avoit pas eu ou royaulme de France, comme il a esté [de mal] puis XII ans en ça. Helas! tout premier Normendie en est toute exillée, et la plus grant partie, qui soulloit faire labourer et estre en son [lieu], lui, sa femme, sa mesnie, et estre sans danger, marchans, marchandises, gens d'eglise, moynes, nonnains, gens de tous estaz, ont esté boutez hors de leurs lieux, estrangers comme ce eussent esté bestes sauvaiges, dont il convient que les uns truandent qui soulloient donner, les autres servent qui soulloient estre serviz, les autres larrons et meurdriers par desespoir, bonnes pucelles, bonnes proudes femmes venir à honte par effors ou autrement, qui par neccessité sont devenues mauvaises; tant de moynes, tant de prebstres, tant de dames de religion et d'autres gentes femmes avoir tout laissé par force et mis corps et ame au desespoir, Dieu scet bien comment. Helas! tant d'enfans mors [nez] par faulte d'ayde, tant de mors sans confession, par tyrannie et en autre maniere, tant de mors sans sepulture en forestz et en autre destour, tant de mariaiges qui ont esté delaissez à faire, tant d'eglises arses et bruies, et chappelles, maisons Dieu, malladeries où on soulloit faire le sainct service Nostre Seigneur et les œuvres de misericorde, où il n'a mais que les places, tant d'avoir mussé, qui jamais bien ne fera, et de joyaulx d'eglise et de reliques, et d'autres qui jamais bien ne feront, ce n'est d'adventure. Brief, je cuide que homme ne pourroit [581], pour sens qu'il ait, bien dire les grans, miserables, enormes et dampnables pechez qui se sont ensuyviz et faiz puis la tres maleureuse et dampnable venue de Bernart, le conte d'Arminac, connestable de France; car, oncques, puis que le nom vint en France de Bourguignon et d'Arminac, tous les maulx que on pourroit pencer ne dire ont esté tous commis ou royaulme de France, tant que la clamour du sang innocent [espandu] crie devant Dieu vengence. Et cuide en ma conscience que ledit conte d'Arminac estoit ung ennemy en fourme de homme, car je ne voy nul qui ait esté à lui, ou qui de lui se renomme, ou qui porte sa bende, qui tienne point la loy ne foy chrestienne, ains se maintiennent envers tous ceulx dont ilz ont la maistrise, comme gens qui auroient renyé leur creatour, comme il appert par tout le royaulme de France. Car j'ose bien dire que le roy d'Angleterre n'eust esté tant hardy de mettre le pié en France [par guerre], ce n'eust esté la discencion qui a esté de ce maleureux nom, et fust encore toute Normendie françoyse, ne le noble sanc de France ainsi espandu, ne les signeurs dudit royaume ainsi menez en exil, ne la bataille perdue, ne tant de bonnes gens mors n'eussent oncques esté en la piteuse journée d'Egincourt, où tant perdit le roy de ses bons et loyaulx amys, ce ne fust l'orgueil de ce maleureux nom Arminac [582]. Hélas! à faire cestes maleureuses œuvres ilz n'en auront de remenant que le pechié, et s'ilz n'en font amendement durant la povre vie du corps ilz en seront en tres cruelle, miserable [et pardurable] dampnacion; car certes on ne peut riens mesconter à Dieu, car il scet tout, plain de misericorde, ne s'y fie homme nulz, ne en longue vie n'en autre chose de folle esperance ou de vaine gloire, car en verité il fera à chascun droit selon sa deserte. Helas! je ne cuide mie, que depuis le temps du [583] roy Clovis qui fut le premier roy chrestien, que France fust aussi desollée et divisée comme elle est aujourduy, car le Dalphin ne tand à autre chose jour et nuyt, lui et les siens, que de gaster tout le païs de son pere à feu et à sang; et les Angloys d'autre costé font autant de mal que les Sarrazins. Mais encore vaut-il trop mielx estre prins des Angloys que du Dalphin ou de ses gens [584], qui se dient Arminaz; et le povre roy et la royne depuis la prinse de Pontoise ne se meuvent [585] de Troyes à povre mesnie, comme futifs [586] et deschassez hors de leur lieu par leur propre enfant, qui est grant pitié à pancer à toute bonne personne.

263. Item, fist le roy à Troyes la feste de Toussaint en l'an mil IIIIc XIX, et ceulx de Paris ne povoient avoir nulle vraie nouvelle de son retour, dont moult estoient courcez les bons.

264. Item, fist le roy à Troyes son Nouel, parce que on ne l'osoit oster de Troyes, pour faute de puissance et de compaignie et pour paour des Angloys et des Arminalz; car chascun d'eulx le taschoit à prendre, et par especial les Arminaz pour avoir leur paix. La IIIe cause, tout estoit si cher à Paris que le plus saige ne s'i savoit vivre [587]; especialment pain et buche y estoit si chere que oncques puis IIc ans avoit esté, et la char, car à Nouel, ung quartier de mouton, quant il estoit bon, coustoit XXIIII solz parisis; pour la char d'un mouton, VI frans; une oue [588] XVI solz parisis, et l'autre à la vallue. En ce temps, il n'estoit nouvelles sur mesnaigeres d'œufs ne de fromaiges de Brie, ne de poix ne de febves, car les Arminalz destruisoient tout et prenoient femmes et enfens à rançon, et les Angloys d'autre costé. Et convint prendre treves aux Engloys par force, qui estoient anxiens ennemis du roy, et furent données depuis la moittié de decembre jusques ou moys de mars.

[1420.]

265. Passa decembre, janvier, fevrier que oncques le roy ne la royne ne vindrent à Paris, ains estoient touzjours à Troyes, et touzjours couroient autour de Paris les Arminalz, pillant, robant, boutant feuz, tuant, efforçant femmes et filles, femmes de religion. Et à dix lieues autour de Paris ne demouroit au villaige nulle personne que aux bonnes villes, [et quant ilz s'en fuioient aux bonnes villes] et s'ilz apportoient quelque chose, fust vitaille ou autre chose, tout leur estoit osté des gens d'armes, des ungs ou des autres, fust Bourguignon ou Arminac, chascun faisoit bien son personnaige; et ainsi le plus, fust femmes ou hommes, quant ilz venoient aux bonnes villes, y venoient nudz de tous biens, et convenoit que les bonnes villes fournissent tous les villaiges, par quoy le pain enchery tant. Car en ce temps on n'avoit pas trop bon blé pour X frans le sextier, dont chascun franc valloit XVI solz parisis, et si coustoit le sextier à mouldre VIII ou X solz parisis, sans ce que le munier en prenoit à mau prouffit.

266. Item, pour ce fut ordonné que le blé, quant on le bailleroit au moulnier, seroit pesé, et randroit la farine par poix, et avoit on du sextier [pesant] VIII deniers, et le moulnier du mouldre IIII solz parisis.

267. Item, en ce temps, on ne faisoit point de pain blanc et si n'en faisoit-on point de mains de VIII deniers parisis la piece, par quoy pouvres gens n'en povoient finer, et le plus de pouvres gens ne mangeoient que pain de noix.

268. Item, en ce temps en karesme, estoit celle charté, car il n'y avoit ny espices, ne figgues, ne raisins, ne admendes, de chascun ce coustoit la livre V solz parisis; l'uylle d'olive, IIII solz parisis.

269. Item, la tainture estoit si chere que une aulne de drap à taindre en vert ancre coustoit XIIII solz parisis, et autre couleurs [589] à la value.

270. Item, en ce temps de mars, l'an mil IIIIc XIX, faillirent les treves des Angloys, et on leur demanda autres treves en attendant le duc de Bourgongne [590], mais le roy angloys ne volt oncques [591] nulles donner, s'il n'avoit le chasteau de Beaumont, et Corbeil et Pont-Saincte-Messance, et pluseurs autres choses, mais on ne lui en accorda nulle. Si commença la guerre comme devant, et tous, ungs et autres n'avoient envie que sur la ville de Paris seullement, [et seullement] pour la richesse qu'ilz cuidoient à eulx usurper, ne à nulle autre chose ne tendoient que à piller tout.

271. Item, en cellui karesme, le jour du grant vendredy qui fut le Ve jour d'avril, vindrent les Arminalz comme deables dechaisnez, et coururent autour de Paris, tuant, robant et pillant. Et icellui jour bouterent le feu au fort de Champigny-sur-Marne et ardirent femmes et enfens, hommes, beufs, vaches, brebiz et autre bestail, advoine, blé et autre grain, et quant aucuns des hommes sailloient pour la destresse du feu, ilz mettoient leurs lances à l'androit, et ains qu'ilz fussent à terre, ilz estoient percez de III ou IIII lances ou de leurs haches; celle tres cruelle felonnie firent là et ailleurs cedit jour, et l'endemain, vigille de Pasques, firent autant ou pis à ung chastel nommé Croissy [592].

272. Item, la sepmaine de devant, estoient allez les marchans de Paris et d'ailleurs vers Chartres et ou proche, pour faire venir de la vitaille pour la ville de Paris, qui grant mestier en avoit [593], mais aussi tost qu'ilz furent partiz, les Arminalz le sceurent par faulx traistres, de quoy Paris estoit bien garny. Si leur allerent au devant jusques à Gallardon [594] et là les assegerent; pour quoy à Pasques ot si grant charté de char que le plus de gens de Paris ne mengerent ce jour que du lart, qui en povoit avoir; car le quartier d'ung bon mouton coustoit bien XXXII solz parisis, une petite queue de mouton X solz parisis, une teste de veel et la froissure XII solz chascune, VI solz parisis la vache, le porc au prix, car de beuf n'y avoit point à Paris pour le jour. Et pour vray les bouchers de la grant boucherie de Beauvays juroient et affermoient par la foy de leurs corps, qu'ilz avoient veu par maintes années devant passées que en l'ostel d'un tout seul boucher de Paris, à ung tel jour, on avoit tué plus de char que on ne fist en toutes les boucheries de Paris, ne autour.

273. Item, encore fist le roy sa Pasque à Troyes celle année, l'an mil IIIIc XX.

274. Item, celle année estoient les viollettes ou moys de janvier, bleues [et jaunes], plus que l'année d'avant n'avoient esté en mars.

275. Item, à Pasques mil IIIIc et XX, qui furent le VIIe jour d'avril, estoient ja les roses, et furent toutes passées quinze jours en may, et en l'entrée de may vendoit [on des] serises bonnes, et estoient les blez plus meurs en la fin de may qu'en l'année devant à la Sainct Jehan, et autres biens par cas semblable, qui fut grant bien pour le pouvre peuple, car touzjours estoit le tres cher temps [de toutes choses [595]], comme devant est dit, et de vesture encore plus. Drap de XVI solz valloit XL solz parisis, l'aune de bonne toille XII solz, fustayne XVI solz parisis, sarge XVI solz, et chausses et soulliers encore plus que devant.

276. Item, en ce temps estoient les Arminalz plus achenez à cruaulté que oncques mais, et tuoient, pilloient [596], efforçoient, ardoient eglises et les gens dedens, femmes grosses et enffans, brief ilz faisoient tous les maulx en tyrannie et en cruaulté qui pussent estre faiz par deable ne par homme; par quoy il convint que on traictast au roy d'Engleterre, qui estoit l'ancien ennemy de France, maugré que on en eust, pour la cruaulté des Arminalz, et lui fut donnée une des filles de France, nommée Katherine. Et vint gesir dedens l'abbaye de Sainct-Denis le VIIIe jour de may mil IIIIc et XX, et l'endemain passa par [devant] la porte Sainct-Martin par dehors la ville, et avoit bien en sa compaignie, comme on disoit, VIIm hommes de traict et tres grant compaignie de gens d'estoffe [597]; et portoit on devant luy ung heaume couronné d'une couronne d'or pour cognoissance, et portoit en sa devise une queue de regnart de broderie. Et alla gesir au pont de Charenton, pour aller à Troyes pour veoir le roy, et là lui fut presenté quatre charretées de moult bon vin de par ceulx de Parys, dont il ne tint pas grant compte par semblant.

277. Item, celle journée, ne laissa-on yssir personne de ceulx du commun de Paris [598].

278. Item, de là alla à Troyes [599] sans contredit des Arminalz qui s'estoient vantez qu'ilz le combatroient, mais oncques ne s'oserent monstrer.

279. Item, le jour de la Trinité mil IIIIc XX, qui fut le IIe jour de juing, espousa à Troyes ledit roy angloys la fille de France [600]; et le lundy ensuivant, quant les chevaliers de France et d'Engleterre voldrent faire une jouxtes pour la solempnité du mariaige de tel prince, comme acoustumé est, le roy d'Angleterre, pour qui on voulloit faire les jouxtes pour lui faire plaisir, dist, oians [601] tous, de son movement: «Je prie à monseigneur le roy, de qui j'ay [espousée la] fille, et à tous ses serviteurs, et à mes serviteurs je commande, que demain au matin nous soyons tous prestz pour aller mettre le siege devant la cité de Sens, où les annemys de monseigneur le roy sont, et là pourra chascun de nous jouxter [et] tournoier, et monstrer sa proesse et son hardement, car [la] plus belle proesse n'est ou monde que de faire justice des mauvays, affin que le pouvre peuple [se] puisse vivre.» Adonc le roy lui octroya, et chascun s'i accorda, et ainsi fut fait; et tant firent que le jour Sainct Barnabé, XIe jour dudit moys de juing, fut la cité prinse [602], et de là vindrent assegier Montereau-où-fault-Yonne [603].

280. Item, tant furent devant Monteriau en l'an mil IIIIc XX que ceulx de dedens se rendirent, sauf leur vie, en paiant une somme d'argent [604]. Entre les autres estoit le sire de Guitry [605], l'un des plus plain de cruaulté et de tirannye qui fut ou monde, lequel fut delivré avec les autres, qui depuis fist tant de tirannye ou païs de Gastinoys et ailleurs que fist oncques sarazin.

281. Item, de là vindrent le roy d'Angleterre et les Bourguignons devant Meleun et misdrent le siege.

282. Item, en ce temps estoient plaines vendenges à la my-aoust, et touzjours couroient les Arminalz plus que devant; et par eulx enchery tant la chose, especialment à Paris, que une paire de souliers valloit X solz parisis, une paire de chausses pou bonnes II frans ou XL solz; toutes choses de quoy homme se povoit aider, au prix.

283. Item, ung escu d'or de XVIII solz valloit en ce temps IIII frans ou plus; ung [bon] noble d'Engleterre valloit VIII frans [606].

284. Item, en ce temps avoit si grant faulte de change à Paris que les pouvres gens n'avoient nulles aumosnes ou bien pou; car en ce temps IIII vielz deniers parisis valloient mieulx que ung gros de XVI deniers qui pour lors couroit [607], et faisoit-on de tres mauvays lubres de VIII deniers, qui par devant furent tant refusez, et par justice defenduz les gros dessusdiz. Et pour plus grever le povre commun, fut mis le pain de VIII deniers à X [608], et celui de seze à vingt.

285. Item, une livre de bonne chandelle valloit dix blans [609]; ung œuf IIII deniers; la livre de fromaige de presse VIII blans.

286. Item, à la Sainct Remy, le propre jour, fut crié le pain de V blans à II solz parisis, celui de X deniers à XII deniers; ung œuf, VI deniers; ung harenc caqué, XII deniers; ung haren pouldré, V blans [610].

287. Item, en celle saison estoit le vin si cher que une queue de vin du creu d'entour Paris, on la vendoit XXI ou XXII frans ou plus; et en celle année plusieurs qui furent cuilliz ou moys d'aoust devindrent gras ou aigres.

288. Item, en ce temps couroient touzjours devant Paris et venoient jusques aux portes de Paris les Arminalz, et boutoient feuz, prenoient marchans à l'entrée de Paris, et n'estoit homme que on laissast yssir. Et sembloit que aucuns de ceulx qui gouvernoient en ce temps eussent aucune aliance avec eulx, car nul marchant n'alloit de Paris ou ne venoit à Paris tant segretement qu'ilz ne sceussent aucunement l'allée ou la venue; par quoy Paris demoura si nu de tous biens, especialment de pain et de buche, que ung sextier de bonne farine valloit XVI ou XVII frans, la meschante buche de Marne IIII frans, et toutes choses au pris, car l'ost du roy qui touzjours estoit devant Meleun sans riens faire degastoient tant de biens que on s'en sentoit bien XX lieues tout autour.

289. Item, fut là tout octobre, et le XVIIe jour de novembre, jour Sainct-Germain, à ung dimenche, entrerent noz signeurs dedens Meleun, et se rendirent tous ceulx [de] dedens à la voulenté [du roy] [611]; car tous mouroient de fain, et mengeoient leurs chevaulx ceulx qui en avoient.

290. Item, le jeudy ensuivant, furent admenez à Paris environ de V ou à VIc prinsonniers de ladicte ville de Meleun, et furent mis en diverses prinsons [612].

291. Item, depuis que la ville de Meleun fut prinse, furent noz signeurs de France [613], c'est assavoir, [le roy de France], le roy d'Engleterre, les deux roynes, le duc de Bourgongne, le duc Rouge [614] et plusieurs autres signeurs, tant de France que d'ailleurs, demourans à Meleun et à Corbeil jusques au premier jour de decembre, jour Sainct Eloy, qui fut à ung dimenche. Et cedit jour entrerent à Paris à grant noblesse, car toute la grant rue Sainct-Denis par où ilz entrerent, depuis la seconde porte jusques à Nostre-Dame de Paris, estoient encourtinées les rues et parées moult noblement, et la plus grant partie des gens de Paris qui avoient puissance furent vestuz de rouge couleur. Et fut fait en la rue de la Kalende [615] devant le Palais, ung [moult] piteux mistere de la passion Nostre Seigneur au vif, selon que elle est figurée autour du cueur de Nostre-Dame de Paris; et duroient les eschauffaux environ cent pas de long, venant de la rue de la Kalande jusques aux murs du Palais, et n'estoit homme qui veist le mistere à qui le cueur n'apiteast. Ne oncques princes ne furent receuz à plus grant joye qu'ilz furent, car ilz encontroient par toutes les rues processions de prebstres revestuz de chappes et de seurpeliz, [portans saintuaires], chantans Te Deum laudamus ou Benedictus qui venit; et fut entre V et VI heures après medi, et toute nuyt quant ilz revenoient en leurs eglises; et ce faisoient si liement et de si joyeux cueur [616], et le commun par cas pareil, car rien qu'ilz feissent pour complaire ausdiz signeurs ne leur ennuyoit, et si avoit tres grant pouvreté de fain la plus grant partie, especialment le menu peuple; car ung pain, que on avoit ou temps devant pour IIII deniers parisis, coustoit XL deniers parisis, le sextier de farine XXIIII frans, [le sextier] de pois ou de feves bonnes XX frans.

292. Item, le lendemain, IIe jour dudit moys, entra la royne, avecques elle la royne d'Engleterre, la femme du duc de Clarence [617] frere du roy d'Engleterre, dedens Paris, à telle joie comme devant est dit du jour du dimenche, et vindrent lesdictes roynes par la porte Sainct-Anthoine, et furent les rues tandues par où ilz vindrent et leur compaignie, comme devant est dit.

293. Item, avant qu'il fust huit jours passez après leur venue, enchery tant le blé et la farine que le sextier de blé fourment valloit à la mesure de Paris, es Halles dudit Paris, XXX frans de la monnoie qui lors couroit, et la farine bonne valloit XXXII frans, et autre grain au pris [618], selon qu'il estoit; et n'y avoit point de pain à moins de XXIIII deniers parisis pour piece, qui estoit à tout le bran [619], et le plus pesant ne pesoit que vingt onczes ou environ. En icellui temps avoient povres gens et pouvres prebstres mal temps, que on ne leur donnoit que II solz parisis pour leur messe [620]; et pouvres gens [621] ne mengeoient point de pain que choulx et naveaulx, et telz potaiges sans pain ne sel.

294. Item, tant enchery le pain avant que Nouel fust, que cil de IIII blans valloient VIII blans, et n'estoit nul qui encore en peust finer, se il n'alloit devant le jour ches boullengers [622] et donner pintes et choppines aux maistres et aux varletz pour en avoir. Et si n'y avoit vin en ce temps qui ne coustast XII deniers la pinte du moins; mais on ne le plaignoit point qui en povoit avoir, car quant ce venoit environ VIII heures, il y avoit si tres grant presse à l'uys des boullengiers que nul ne le croyroit qui ne l'auroit veu. Et les pouvres creatures, qui pour leurs pouvres maris qui estoient aux champs ou pour leurs enfans [qui mouroient de fain en leurs maisons, quant ilz] n'en povoient avoir pour leur argent ou pour la presse, après celle heure, ouyssez parmy Paris piteux plains, [piteux criz], piteuses lamentacions, et petiz enfans crier: «Je meur de fain.» Et sur les fumiers parmy Paris (en) IIIIc XX, peussiez trouver cy dix, cy vingt ou XXX enfans, filz et filles, qui là mouroient de fain et de froit, et n'estoit si dur cueur qui par nuyt les ouist crier: «Helas! je meur de fain!» qui grant pitié n'en eust; mais les pouvres mesnaigiers ne leur povoient ayder, car on n'avoit ne pain, ne blé, ne buche, ne charbon; et si estoit le pouvre peuple tant oppressé des guetz, qu'il failloit faire de nuyt et de jour, qu'ilz ne savoient eulx aider ne à autruy.

295. Item, en ce moys de decembre, fut déposé de la prevosté de Paris Clamecy, et fut institué prevost de Paris ung chevalier nommé [monsr] Jehan, signeur du Mesnil [623], XVIIe jour de decembre, jour Sainct Ladre.

296. Item, le jour Sainct Estienne ensuivant, fut institué prevost des marchans ung nommé maistre Hugues le Coq [624].

297. Item, le jour Sainct Jehan-Euvangeliste ensuivant, XXVIIe jour de decembre, fut institué evesque de Paris ung nommé maistre Jehan Courtecuisse [625], maistre en theologie et proudomme.

298. Item, ce jour party la fille de France, nommée Katherine, que le roy d'Engleterre avoit espousée et fut menée en Engleterre [626], et fut une piteuse departie, especialment du roy de France et de sa fille.

299. Item, le roy d'Angleterre laissa pour estre cappitaine de Paris son frere le duc de Clarence, et deux autres contes qui pou de bien firent à Paris [627].

300. Item, en ce temps estoit le blé si cher, que le sextier de bon blé valloit XXXII frans et plus [628]; le sextier d'orge, XXVII frans ou XXVIII frans; ung pain de XVI onces à toute la paille, VIII blans; de feves, de pois, nul pouvre homme n'en mangeoit qui ne les luy donnoit.

301. Item, une pinte de vin moien pour mesnaige coustoit XVI deniers parisis tout le mains, qu'on avoit eu meilleur le temps precedant ou aussi bon pour ii deniers parisis.

[1421.]

302. Item, en ce temps, à la Chandeleur, pour conforter pouvres gens, furent remises sus les enffans de l'ennemy d'enfer, c'est assavoir, imposicions, quatriesmes, et males toutes [629], et en furent gouverneurs gens oyseurs qui ne savoient mais de quoy vivre, qui pinçoient tout [630] de si pres que toutes marchandises laissoient à venir à Paris, tant pour la monnoye, comme pour les subsides. Par quoy si grant charté s'ensuivi [631] que à Pasques ung bon beuf coustoit IIc frans ou plus [632]; ung bon veel XII frans; la fliche de lart VIII ou X frans; ung pourcel XVI ou XX frans; ung [petit] frommaige tout blanc VI solz parisis, et toute vyande au prix; ung cent d'œufz coustoit XVI solz parisis. Et toute jour et toute nuyt avoit parmy Paris, pour la charté devant dicte, les longs plains, lamentacions, douleurs, criz piteables, que oncques je croy que Jheremie le prophete ne fist plus doloreux, quant la cité de Jherusalem fut toute destruite et que les enffans de Israel furent menez en Babilonie en chetivoison; car jour et nuyt crioient hommes, femmes, petiz enffans: «Helas! je meur de froit,» l'autre de fain. Et en bonne vérité il fist le plus long yver que homme eust veu, passé avoit XL ans, car les feriers de Pasques il negoit, il geloit et faisoit toute la douleur de froit que on povoit pencer. Et pour la grant pouvreté que aucuns des bons habitans de la bonne ville de Paris veoient souffrir, firent tant qu'ilz acheterent maisons III ou IIII dont ilz firent hospitaulx pour les pouvres enffans qui mouroient de fain parmy Paris, et avoient potaige et bon feu et bien couchez; et en mains de trois moys avoit en chascun hospital bien XL liz ou plus bien fourniz, que les bonnes gens de Paris y avoient donnez; et estoit l'ung en la Heaumerie, ung autre devant le Pallays, et l'autre en la place Maubert. Et en vérité, quant ce vint sur le doulx temps, comme en avril, ceulx qui [en yver] avoient fait leurs buvraiges comme despence de pommes ou de prunelles, quant plus n'y en avoit, ilz vuydoient leurs pommes ou leurs prunelles en my la rue, en intencion que les porcs de Sainct-Anthoine [633] les mengeassent. Mais les porcs n'y venoient pas à temps, car aussitost qu'elles y estoient gectées, elles estoient prinses de pouvres gens, de femmes, d'enfans qui les mengeoient par grant saveur, qui estoit une tres grant pitié, chascun pour soy mesmes, car ilz mengeoient ce que les pourceaulx ne daignoient menger; ilz mengeoient trougnons de choux sans pain ne sans cuire, les herbetes des champs sans pain et sans sel. Brief, il estoit si cher temps [634] que pou des mesnaigers de Paris mangeoient leur saoul de pain, car de char ne mengeoient-ilz point, ne de feves, ne de pois, que verdure, qui estoit merveilleusement chere.

303. Item, ou moys de mars vers la fin, es foiriers de Pasques, prindrent journée de combatre les Arminalz contre le duc de Clarence, qui estoit cappitaine de Paris, et le duc d'Ostet [635] et frere ainsné du roy angloys; et devoit estre la bataille entre Angers et le Mans sur la riviere du Loir [636]. Si alla veoir la place le duc de Clarence avant que le jour de la bataille fust, laquelle place estoit ou païs des Arminalz, et lui convint passer ladicte riviere par ung pont bien estroit, et fut bien acompaigné de XVC hommes d'onneur et de Vc archers. Ses annemis, qui touzjours avoient des amis partout, le sceurent et firent deux embuches en ung boys où il lui convenoit passer après la riviere; et devant oultre le boys avoit bien IIIIC hommes armez [au cler] sur une petite montaigne, lesquelx les Angloys povoient bien veoir. Si n'en tindrent compte, car ilz cuidoient que plus n'en y eust que ceulx là, dont ilz furent deceuz; car en la vallée avoit une grosse bataille d'Arminalz, sans les deux embuches devant dictes, qui, aussitost qu'ilz virent que les Angloys furent [637] dedens le boys, yssirent par derriere, et allerent rompre le pont, et puis les vindrent acuillir par derriere et par les costez, et les autres par devant; et ainsi furent tous mis à l'espée [638], senon environ IIc, comme menestrées et autres qui eschapperent par bien fouir, et refirent le pont le mieulx qu'ilz porent et s'enfouirent à leurs logeys. Et quant ceulx des logeys qui estoient demourez le sceurent, ilz se mirent comme tous enragez es faulsbourgs du Mans, et mirent le feu, et tuerent femmes et enfens, et hommes vieulx et jeunes sans mercy. Et fut la vigille de Pasques, qui fut le XXIe jour de mars IIIIc XX [639].

304. Item, en ce moys fut ordonné garde de la justice de la prevosté de Paris sire Jehan de la Baulme, signeur de Waleffin [640].

305. Item, le sabmedy XIIe jour d'avril ensuivant, fut criée la monnoye à Rouen, que le gros de XVI deniers parisis ne vauldroit que IIII deniers parisis, et le noble LX solz tournois, et l'escu XXX solz tournois [641].

306. Item, le mardi ensuivant, en fut si grant escry à Paris que chascun cuidoit certainement que on feist ainsi le mercredi ou le sabmedi ensuivant de la monnoie comme on avoit fait à Rouen, dont tous vivres encherirent tant que on n'en povoit finer; car une pinte de huille qui ne valloit que V solz ou XVI blans cousta avant le sabmedi XII solz parisis; la livre de chandelle X solz parisis; la livre de beurre sallé X solz parisis, et toutes autres choses au prix. Et vendoit chascun marchant ainsi qu'il voulloit toutes denrées, car nul n'y metoit aucun remede pour le prouffit publique, mais disoit on que tous ceulx qui y devoient mettre le meilleur remede estoient marchans eulx mesmes; par quoy le povre peuple souffroit tant de pouvreté, de fain, de froit et de toute autre meschance, que nul ne le scet que Dieu de paradis, car quant le tueur des chiens avoit tué des chiens, les pouvres gens le suyvoient aux champs pour avoir la char ou les trippes pour leur menger.

307. Item, le dimenche devant la Penthecoste commencerent les bouchiers à vendre char à la porte de Paris, et laisserent le cymetiere Sainct-Jehan, Petit-Pont, la halle de Beauvays et les autres boucheries qui par devant avoient esté faictes.

308. Item, en cel an fut yver si long et si dyvers qu'il faisoit tres grant froit jusques en la fin de may, et en la fin de juing n'estoient pas les vignes encore fleuries; et si fut si grant année de channilles que le fruict fut tout degasté, et furent en celle année trouvés à Paris en aucuns lieux escorpions que on n'avoit point en ce temps acoustumé à veoir.

309. Item, en ce temps à la porte Sainct-Honoré fut veue dessoubz le pont en l'eaue une source comme de sang ung pou moins rouge, et fut apperceue le jour Sainct Pere et Sainct Paul qui fut au dimenche, et dura jusques au mercredy ensuivant; et en furent les gens qui y alloient moult esbahiz, et tant qu'il convint que la porte fust fermée et le pont levé deux jours [642] pour la grant multitude du peuple qui là alloit, et si ne pot oncques personne savoir la signifiance de la chose.

310. Item, le jeudy ensuivant, vigille Sainct Martin, furent criées les monnoies à Paris, que le gros de XVI deniers ne vauldroit que IIII deniers parisis, le blanc de IIII deniers I denier parisis; une piece de monnoie de II deniers parisis qui pour lors estoit [643] ne valloit que une maille; qui moult dommaiga pouvres gens et ne fist prouffit que à ceulx qui avoient rentes et revenues [644].

311. Item, le jour sainct Martin, entra le roy d'Engleterre à Paris à belle compaignie [645], et si ne savoit-on rien de sa venue, tant qu'il fut à Sainct-Denis en France.

312. Item, en ce temps estoient les loups si affamez qu'ilz desterroient à leurs pattes les cors des gens que on enterroit aux villaiges et aux champs; car partout où on alloit, on trouvoit des mors et aux champs et aux villes de la grant povreté qu'ilz [du cher temps et de la famine] souffroient, par la maldicte guerre qui touzjours croissoit de jour en jour de mal en pire.

313. Item, en ce temps estoit [tres] grant mortalité, et tous mouroient de chaleur qui ou chief les prenoit et puis la fievre, et mouroient sans rien ou pou empirer de leur char, et toutes femmes ou les plus jeunes gens. En ce temps estoit le vin si cher que chascune pinte de vin moyen coustoit IIII solz parisis; et si n'amendoit point le pain, et si y avoit en ce temps à Paris plus de blé que homme qui fust né en ce temps [y] eust oncques veu de son aage, car on tesmoignoit qu'il y en avoit pour bien gouverner Paris [pour plus] de deux ans entiers, et si n'estoit point [encore] cuilly l'aoust de nul grain.

314. Item, en ce temps estoit une grosse murmure [à Paris] pour le cry devantdit de la monnoye, car tous les gros (sic), ceulx du Pallays, du Chastellet se faisoient poier en forte monnoye [646], et tout le demainne du roy, comme impositeurs, quatriesmes et toutes subsides; et ne prenoient le gros que pour iiii deniers parisis, et le mettoient en toutes choses aux pouvres gens pour XVI deniers parisis. Sy se coursa le commun et firent parlement en la maison de ville; quant les gouverneurs les virent, si orent paour, et firent crier que le terme des maisons premier venant se paieroit en XII gros pour ung franc, et ce pendant on y remedieroit le mieulx que on pouroit, et estoit environ X ou XII jours après la Sainct Jehan, l'an mil CCCCXXI. Et fut dit ou cry que la darraine sepmaine d'aoust chascun qui tenoit maison à titre de louaige, ou qui devoit cens ou rente, allast parler à son hoste, ou censier ou rentier, savoir en quelle monnoye ilz se vouldroient paier après la Sainct Remy, et, ouye leur responce, ilz estoient quictes pour renoncer au louaige [647], ou cens ou rente; dont le peuple se deporta et fut apaisié, pour ce que encore avoient deux moys de terme à prendre ou renoncer, et que le terme de la Sainct Remy venant seroit poié, comme on l'avoit acoustumé devant, xii gros pour ung franc.

315. Item, en ce temps estoient les loups si affamez qu'ilz entroient de nuyt es bonnes villes et faisoient moult de dyvers dommaiges, et souvent passoient la riviere de Saine et plusieurs autres à neu; et aux cymetieres qui estoient aux champs, aussi tost que on avoit enterré les corps, ilz venoient par nuyt et les desterroient et les mangoient; et les gembes que on pendoit aux portes mengerent ilz en saillant, et les femmes et enfans en plusieurs [648] lieux.

316. Item, la premiere sepmaine du mois d'aoust, l'an mil CCCCXXI, fut institué prevost de Paris Pierre dit le Barrat [649].

317. Item, en cellui temps [650], print le roy d'Engleterre Dreux [651], Bonneval, Espernon [652] et autres villes, par traicté que les Arminalx qui dedens estoient s'en allerent sauvement, que puis firent tant de maulx que nul ne le croiroit.

318. Item, en ce temps estoit tout fruict si cher que on n'avoit que IIII pommes pour ung blanc; le cent de noix valloit [653] IIII solz; deux poires VI blans; deux livres de chandelle pour XVI solz parisis; ung petit fromaige XIII solz parisis; ung œuf III blans; ung boisseau de feves ou pois II frans; la livre de beurre XXVIII blans; la pinte de huylle XVI solz parisis; une paire de souliers de cordouan XXIIII solz; la paire de basanne XVI solz; la pinte de vin IIII solz; la char plus chere que oncques mais.

319. Item, en ce temps, print le roy d'Angleterre deux villes moult nuysans à Paris, que les Arminalz tenoient, assavoir, Baugency [654] et Villeneufve-le-Roy [655], et de là s'en vint devant Meaulx, droict à la Sainct-Remy.

320. Item, en ce temps estoit le duc de Bourgongne devant Sainct-Requier en Pontieu, et là tenoit le siege, et comme il volt aller à Boulongne-sur-la-mer en pelerinaige, les Arminalz le seurent et le cuiderent sourprendre, mais la Vierge Marie y fist miracle, car une partie de ses gens le laissa et s'enfuirent comme consentans de la venue des Arminalz; mais malgré eulx, par la grace de Dieu [et de sa glorieuse mere], les Arminalz furent tous [656] desconfiz, et en demoura bien XIc sur la place, sans les cappitaines qui furent prins, et tous les grans qui là estoient, [qui] furent menez en diverses prinsons [657].

321. Item, le IIIe jour de novembre ensuivant mil IIIIc XXI, fut derechief la monnoie criée, que les gros de XVI deniers ne seroient mis que pour II deniers [658], et firent autre monnoie qui ne valloit que II deniers tournois [659], dont le peuple fut si oppressé et grevé que povres gens ne povoient vivre; car comme choux, poreaux, ongnons, verjus, etc., on n'avoit à moins de II blans, car ilz ne valloient que ung denier après le cry. Et qui tenoit à louaige maison ou autre chose, il en convenoit paier VIII foys plus que le louaige, c'est assavoir, du franc VIII frans, de VIII frans, LXIIII frans; [ainsi] des autres choses, dont le povre peuple ot tant à souffrir de fain et de froit que nul ne le scet que Dieu. Et si geloit aussi fort à la Toussaint qu'il fist oncques à Nouel, et ne fynoit [on] de rien qui n'avoit menue monnoye.

322. Item, en ce temps avoit à Paris le premier presidant de Parlement, nommé Philippe de Morvillier [660], le plus cruel tirant que homme eust oncques veu à Paris, car pour une parolle contre sa voulenté, ou pour sourfaire aucune denrée, il faisoit percer langues, il faisoit mener bons marchans en tumbereaux parmy Paris, il faisoit gens tourner ou pillory; brief il faisoit jugemens si crueulx et si terribles et si espoventables que homme nul n'osoit parler contre luy ne appeller de luy, et avec ce faisoit paier si grans amendes et si pesantes que tous ceulx qui venoient entre ses mains s'en sentoient toutes leurs vies, ou de villennie ou de chevance, ou de partie de leurs corps.

323. Item, en ce temps il ordonna, de sa maistrise et de son orgueil, que nul orfevre ne nul d'autre mestier ne changeroit pour nul besoing à son amy ne à aultre or pour monnoye, ne monnoye pour or que les changeurs [661]; et si n'y avoit si hardy changeur qui eust osé prendre d'ung escu d'or pour change que II deniers tournoys [662], qu'i ne lui eust fait tantost amender [de II ou] de IIIc livres de bonne monnoye.

324. Item, en ce temps, estoit uncores le roy d'Angleterre devant Meaulx, qui là perdoit moult de ses gens de fain, de froit; car environ quinze jours ou troys sepmaines devant Nouel, plut tant fort jour et nuyt, et tant negea au hault païs que Sainne fut si desrivée et si grant que en Greve elle estoit jusques par deça le moustier du Sainct-Esperit [663] plus de deux lances, et en la grant court du Pallays tout oultre le moustier de Nostre-Dame, de dessoubz la Saincte-Chappelle et en la place Maubert [emprès] la Croix-Hemon [664]. Et [ne] dura [que] dix jours, et puis commença descroistre le dimenche devant Nouel [665], et tant qu'elle mist à croistre il geloit si fort que tout Paris estoit prins de glace et de gelée, et ne povoit-on mouldre à nul moulin à eaue nulle part que à ceulx au vent, pour les grans eaues.

325. Item, en ce temps, toute maleureuseté estoit à Paris par lui qu'il faisoit paier à tout homme qui n'avoit point de puissance selon sa qualité, argent fin, l'un IIII marcs [666], l'autre III, l'autre II, l'autre III ou IIII onces, et pour faire celle meschante monnoye davant dicte; et qui estoit reffusant, tantost avoit sergens en sa maison et estoit mené en prinsons diverses, et ne povoit on parler à lui, et le convenoit paier, et n'eust eu plus vaillant au monde, puis que ce president l'avoit dit. Et estoient de son conseil deux autres tirans, Jehan Dole [667] et Pierre d'Orgemont, qui misdrent Pierre d'Orgemont était, de même que Jean Dole, commissaire et gouverneur des finances du royaume (Arch. nat., X{1a} 1480, fol. 230 vo).] marchandise si au bas, que homme ne vendoit ne n'achetoit que seullement pain et vin, car ung homme estoit tout chargé de dix frans en monnoye, et pour ce n'en portoit on point dehors. Et si estoit chascun si grevé de paier sa maison que plusieurs renoncerent en ce temps à leurs propres heritaiges pour la rente, et s'en alloient par desconfort vendre leurs biens sur les carreaux, et se partoient de Paris comme gens [668] desesperez. Les ungs alloient à Rouen, les autres à Senliz, les autres devenoient brigans de boys [669] ou Arminalz, et faisoient tant de maulx après, comme eussent fait les Sarasins, et tout par le faulx gouvernement des devantdiz loups ravissans, qui faisoient contre la deffence du Vieil Testament et du Nouvel, car ilz mengeoient la char à tout le sang, et si prenoient la brebiz et la laine. Helas! la grant pitié d'aller parmy la ville de Paris, fust à feste ou autre jour, car vrayement on y veoit plus de gens demandans l'aumosne que d'autres, qui maudisoient leurs vies C mille foys le jour, car trop avoient à souffrir. Car en ce temps on leur donnoit tres pou, car chascun avoit tant à faire de soy que pou povoit ayder à aultre nulle personne, ne vous eussiez esté en [quelque] compaignie que vous ne veissiez les ungs lamenter ou plourer à grosses lermes, maudisant leur nativité, les autres fortune, [les autres] les signeurs, les autres les gouverneurs, en criant à haulte voix bien souvent et asseurement [670]: «Helas! hélas! vray tres doulx Dieu, quant nous cessera ceste pesme douleur et [671] ceste doloreuse vie et de dampnable guerre»; en disant maintes foys: «[Vray Dieu] vindica [sanguinem] Sanctorum! Venge le sang des bonnes creatures qui meurent [sans deserte] par ces faulx traistres Arminalx.»

326. Item, en ce moys de decembre, le Ve jour d'icelluy, ot la fille de France en Angleterre ung filx nommé Henry [672].

327. Item, le lundy devant Noel, l'andemain Sainct Thomas, furent apportées les nouvelles à Paris, dont on sonna partout moult grandement, et fist on par tout Paris les feux comme à la Sainct Jehan [673].

[1422.]

328. Item, [en ce temps], la vigille de la Thyephaine, vint à Paris le duc de Bourgongne [674], qui admena foison de gens d'armes qui firent moult de mal aux villaiges d'entour Paris, car il ne demoura riens après eulx qu'ilz peussent (emporter) [675], s'il n'estoit trop chault ou trop pesant; et les Arminalx estoient au costé de la porte Sainct-Jacques, de Sainct-Germain, de Bordelles jusques à Orleans, qui faisoient des maulx tant que oncques firent tyrans Sarazins.

329. Item, en ce temps estoit le roy d'Angleterre devant Meaulx, et y fist son Nouel et sa Thyephaine, qui en toute la Brie avoit ses gens qui partout pilloient; et, pour iceulx et pour les devantdiz, on ne povoit labourer ne semer nulle part. Souvent on s'en plaignoit aux signeurs dessusdiz, mais ilz ne s'en faisoient que mocquer ou rire, et en faisoient leurs gens pis trop que davant, dont le plus des laboureurs cesserent de labourer, et furent comme desesperez, et laisserent femmes et enffans, en disant l'un à l'autre: «Que ferons nous [676]? Mettons tout en la main du deable, ne nous chault que nous devenons; autant vault faire du pis qu'on peut comme du mieulx. Mieulx nous vaulsist servir les Sarazins que les Chrestiens, et pour ce faisons du pis que nous pourrons. Aussi bien ne nous peut on que tuer ou que prendre; car par le faulx gouvernement des trestres gouverneurs, il nous fault renyer femmes et enfans, et fouir au boys comme bestes esgarées; non pas ung an ne deux, mais il a ja XIIII ou XV ans que ceste dance doloreuse commença, et la plus grant partie des signeurs de France en sont mors à glaive, ou par poison, ou par traïson, ou sans confession, ou de quelque mauvaise mort contre nature.»

330. Item, en ce temps n'avoit point à Paris de evesque, car maistre Jehan Courtecuisse devant dit, esleu par l'Université et par le clergé et par Parlement, ne plaisoit point au roy d'Angleterre, et pour ce ne fut il tout cel an aucunement possesseur de l'evesché, mais demoura tout ce temps à Sainct-Germain-des-Prez, car il n'estoit pas bien asseur en son hostel à Paris, pour ce qu'il n'estoit en la grace du roy d'Angleterre [677].

331. Item, pour la bienvenue du duc de Bourgongne devantdit on fist crier que une petite monnoye nommée noireis, qui ne valloit que une poictevine, vauldroit une maille tournoise [678]; et fut tout le bien qu'il nous fist pour lors à la ville de Paris, qui tant l'amoit et qui tant avoit eu à souffrir et encore avoit et de rechief pour lui et pour son pere, qui tant fut long et negligent en ces choses toutes, que Dieu scet. Et vraiement le filx en tenoit bien les taches, car il eust bien fait en ung quart d'an [679] ce où il mettoit deux ou trois ans, et faisoit bien semblant que de la mort de son pere pou ou nyant lui chausist; car certes il menoit telle vie dampnable et de jour et de nuyt, comme avoit fait le duc d'Orleans et les autres signeurs qui estoient mors moult honteusement, et estoit gouverné par jeunes chevaliers plains de folie et de oultrecuidance, et gouvernoit selon ce qu'ilz se gouvernoient, et eulx selon lui, et en vérité de Dieu à nul d'eulx ne challoit [que] d'acomplir sa voulenté.

332. Item, en ce temps fut desposé de la prevosté de Paris cil qui est nommé davant le Warrat, et fut le bailli de Vermandois [680] de Champluisant [681].

333. Item, le roy d'Angleterre fist son Nouel, sa Thiephaine et sa quarantaine devant Meaulx.

334. Item, le IIe jour de mars IIIIc XXI, le signeur d'Auphemont [682] cuida venir conforter les Arminalx de Meaulx, et vint environ minuyt, acompaigné de cent fers de lance, et savoit bien par où on povoit mieulx entrer en la cité par sur les murs; et là les Arminalx de dedens avoient mises eschelles apuyées aux murs pour monter ledit signeur d'Aulphemont et ses gens, et avoient lesdiz Arminalx couvertes les eschelles de draps de lit pour sembler à ceulx de l'ost, quant ilz tournoient pour faire le guet, que ce fussent les murs qui blans estoient à celluy androit, et aussi le cuidoit le guet en passant par celluy androit. Quant le guet fut passé, ceulx de dedens virent que temps estoit de faire monter ledit signeur, si firent le signe que faire devoient quant temps seroit de monter, et monterent par les eschelles qui moult estoient près à près.

335. Item, la moitié des gens dudit d'Aulphemont alla esmouvoir l'ost, pensant [683], que quant il seroit monté lui et l'autre moitié de ses gens, qu'il vendroit compaignie [684] de ceulx de la ville pour secourer les autres, mais il advint autrement. Quar, en la propre eschelle par où ledit signeur montoit, avoit devant lui iiii ou v ribaulx, montans comme lui, dont l'un avoit à son col unes besaces qui [toutes] estoient plaines de harens sors que ledit larron avoit emblées en venant à ung marchant; comme il estoit presque au plus hault de l'eschelle, et sa besace lui eschappe, qui pesoit et estoit fort loyée, et encontre ledit signeur d'Aulphemont sur la teste et le trebuche de si hault comme il estoit dedens les fossez. Quant ses gens l'entendirent, si dirent l'ung à l'autre: «Aidons à monsigneur. Helas! monsigneur est cheu!» Çà et là es fossez avoit des Anglois du commun qui faisoient le guet, si cuidoient que ceulx qu'ilz ouoient parler [685] fussent de leurs gens; mais, quant ilz ouirent dire: «Aide à monsigneur!», [si] furent esbahiz, car bien savoient que nul homme de nom n'avoient [686] celle nuyt avec eulx au guet, et cuiderent que ceulx de la ville descendissent sur eulx. Si cuiderent eslonger la place pour l'aller dire en l'ost, mais, pour ce qu'il estoit après mynuit, que leurs corps estoient travailliez de veiller, adventure les mena tout droit aux eschelles. Si ouirent que on plaignoit trop le signeur, si dirent: «Monsigneur, de par le deable, pert vous mors tretous [687]». Et crierent alarme, si furent les Arminalx si effraiez qu'ilz s'enfouirent qui mieulx mieulx, et fut ledit signeur prins par ung qui estoit queux de la cuisine du roy angloys, et dix ou XII autres qui furent menez au roy d'Engleterre comme prinsonniers.

336. Item, ceulx qui dedens la ville estoient savoient bien que la minne que le roy d'Angleterre avoit fait faire estoit pres de [688] parcée, et sceurent bien le lendemain que le sire d'Auphemont estoit prins et autres assès, et que le plus des habitans estoient contre eulx, s'ilz eussent peu ou osé. Si prindrent conseil ensemble qu'ilz porteroient leurs biens et leurs vivres au Marché, qui moult estoit fort, et bouteroient le feu en la ville, et tueroient tous ceulx qui ne seroient de leur malle intencion dampnable; et ainsi commencerent à porter leurs biens oudit Marché, et tellement et de tel cueur y entendirent, qu'ilz delaisserent et oublierent tout entierement la garde des murs de la ville. Ung bon proudomme des habitans de ladicte ville, quant il vit qu'ilz estoient en ce point, si soy pensa, s'il povoit, qu'il garderoit la cité d'ardoir, et monta sur les murs, et fist assavoir aux Angloys leur voulenté, et que hardiement assaillissent, que personne ne leur contrediroit; si lui baillerent une eschelle, et descendit, et fut mené au roy d'Angleterre [689] et lui dist qu'il voulloit qu'on lui coppast le col, se ainsi n'estoit, comme devant est dit. Si la fist tantost le roy assaillir et la print sans avoir guieres de peine [690]. Quant les habitans de la ville se virent ainsi sourprins, si se bouterent es eglises çà et là où ilz porent et cuiderent mieulx eulx sauver; et quant le roy angloys apperceut ainsi leur meschief, si fist crier partout que chascun revenist à son propre hostel, et que chascun feist son labour, comme devant faisoient. Et ainsi le firent, et le roy d'Angleterre mist le siege devant le Marché de la dicte ville.

337. Item, en ce temps avoit ou chastel de Oursay [691] XX murdriers ou XXX, qui le VIe jour d'avril prindrent le pont et le chasteau de Meullent [692], et fut avecques eulx le cappitaine de Estampes [693]; dont tout enchery après merveilleusement en cellui an, l'an mil CCCC XXI à Paris, pour ce qu'il ne venoit nulz vivres en ce temps à Paris que de Rouen [694], si convenoit passer par là allant et venant; dont ceulx de Paris furent moult esbahiz [695]. Mais par la grace de Dieu ilz ne s'y tindrent que XIIII jours ou environ qu'ilz ne s'en allassent frans et quictes par traicté, et emporterent tout ce qu'ilz voldrent emporter; car on ne povoit pour lors mieulx faire, pour ce que le siege estoit touzjours devant Meaulx.

338. Item, en celle année estoit la plus belle apparance es vignes en tout le royaulme de France que on eust oncques veu, mais la nuyt Sainct Marc et la nuyt ensuivant furent toutes gelées [entierement], et sembloit proprement que on eust bouté le feu partout de fait advisé, tant estoient brouyes jusques à la terre.

339. Item, celle année mil CCCCXXII fut la grant année de hannetons, de Pasques jusques à la Sainct-Jehan.

340. Item, le premier dimenche de may ensuivant, se rendirent ceulx du Marché de Meaulx à la voulenté du roy d'Engleterre; et fist on parmy Paris les feuz et tres grant feste [696].

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