Journal de marche du sergent Fricasse de la 127e demi-brigade : 1792-1802: avec les uniformes des armées de Sambre-et-Meuse et Rhin-et-Moselle. Fac-similés dessinés par P. Sellier d'après les gravures allemandes du temps
1er germinal.--À Modène; la ville est plus longue que large: les rues sont larges, les maisons assez élevées et d'une belle construction; il y a de belles grandes places. Cette ville est encore actuellement un peu fortifiée.
3.--À Buondeno, village dans les environs de Ferrare.
4.--À Finale, bourg sur le canal de la ville de Modène.
5.--À la Mirandole, petite ville assez bien faite où il y a une belle place.
6.--À Saint-Benedetto, village à cinq lieues de Mantoue.
7.--À Mantoue, belle grande ville très peuplée; elle est environnée de grandes pièces d'eau qui défendent son approche d'une demi-lieue; du côté où l'eau n'est pas d'une aussi grande largeur, il y a de fortes citadelles qui défendent la ville; les alentours de cette place, aussi bien que les forts, sont garnis de nombreux gros canons qui rendent cette ville imprenable, autrement que par la famine. Le fleuve nommé Pô passe dans ses murs, et lui donne quantité d'eau; la construction des maisons est belle, on y trouve de belles places. J'y ai vu un beau pont couvert et construit tout en pierres de taille; il y a sur ce pont sept à huit moulins très bien construits. Cette place appartient à la République cisalpine; elle a été prise par les Français qui étaient commandés par Bonaparte, dans le courant du mois de pluviôse an V.
Le 8, j'ai passé à Villefranche, sur la route de Vérone, où j'ai trouvé notre bataillon, qui était campé à deux lieues et demie de la ville, près de la route. Ils y étaient venus après l'affaire du 6 germinal, auquel jour ce terrible fléau de la guerre s'est rallumé avec l'empereur. Notre division, commandée par Montrichard, a fait son attaque près du village de Legnago, situé sur l'Adige. L'attaque a été vive au premier abord de notre part: il a semblé avant midi que la victoire nous était annoncée; mais, comme le destin ne décide pas en un instant, nous avons vu, vers les trois heures du soir, que nous avions eu affaire à un corps d'armée autrichien qui égalait le nôtre. Sur le soir, un renfort leur est arrivé; c'est à ces derniers, réunis aux premiers, qu'il a fallu céder la victoire qui nous avait été favorable toute la journée. Beaucoup de fossés remplis d'eau nous ont fait éprouver quelques pertes. Je ne dirai pas les pertes des autres corps, j'ai vu celles de mon bataillon qui se montaient à 148 hommes hors de combat, y compris dix officiers et dix sous-officiers. En attendant le siège, nous avons fait plusieurs mouvements à droite et à gauche le long de l'Adige, où le corps d'armée autrichien était bien retranché.
Voilà le 16 germinal arrivé 63. Vers les dix heures du matin, l'ennemi s'était mis en marche pour nous attaquer; le général en chef donna ordres à toutes nos troupes de se mettre en marche pour de même attaquer l'ennemi, ce qui a été exécuté sur-le-champ. Aussitôt, nous avons rencontré les colonnes autrichiennes; le feu a été vif dans les deux partis; au premier abord, il semblait que notre division allait céder à la force de la colonne autrichienne.
Le soldat n'a pas mesuré sa force sur celles de son ennemi, mais sur son courage: il a mis la colonne ennemie en déroute, en lui faisant quelques cents de prisonniers. Nous les avons poursuivis aux portes de Vérone; mais la retraite des autres divisions nous a bientôt appris que nous devions aussi nous y disposer pendant la nuit, et nous retirer dans les environs de Mantoue, ce qui a été fait dans la nuit du 16 au 17, car un corps considérable de l'armée autrichienne s'avançait pour couper notre retraite au delà de Mantoue.
Nous sommes arrivés à sept milles de Mantoue vers les minuit, dans la nuit du 17 au 18. Sur le croisement de la route qui conduit à Villefranche, le 18, nous avons fait un mouvement pour appuyer à gauche de Mantoue. Nous sommes venus camper près d'une petite ville située sur le Mincio; elle est environnée de fortes positions. Lorsque la garnison de Mantoue a été établie dans ses postes, l'armée s'est mise en mouvement et a passé le Mincio pour aller se montrer dans la plaine où Bonaparte a eu de grands combats, lorsqu'il a fallu cerner la ville de Mantoue. Nous sommes restés dans cette plaine, qui aboutit sur la rive du Mincio, jusqu'à huit heures du soir. C'était la nuit du 20 au 21 que notre colonne a commencé son mouvement pour la retraite, le soir du 21 vers les six heures, par un temps abominable, une pluie continuelle qui ne cessait de tomber et nous traversait jusqu'aux os. Nous avons campé près la petite ville d'Asola; ses alentours sont garnis de bastions qui n'étaient pas entretenus.
22 germinal.--Campé à trois mille de Pontevico; le 24, nous sommes venus camper en avant de cette petite ville, située sur le bord de la rivière nommée Oglio, sur la route de Brescia et Milan. Dans ce moment, nous étions d'arrière-garde; nous avons coupé les routes pour empêcher la colonne autrichienne de nous poursuivre de si près.
25.--Nous avons passé l'Oglio sur un pont levis qui était au bas d'une ancienne citadelle: les troupes et les bagages passés, on a démonté le pont en le faisant glisser dans l'eau. Ce jour-là, nous sommes venus au village de Rodierco, situé sur l'Oglio et à un mille de Pontevico, sur la grande route de Milan. La nuit du 25 au 26, nous nous sommes mis en marche et nous sommes arrivés à Palazzolo le 26 au soir. Il faut observer que la colonne autrichienne prenait des détours et suivait les montagnes de la Suisse italienne et ne cherchait qu'à nous couper notre retraite.
28.--Nous avons fait un mouvement en avant de Palazzolo, à six mille dans les montagnes, près le lac d'Iseo.
29.--Nous sommes revenus à Palazzolo; le 30, nous en sommes repartis pour nous former sur la ligne en bataille, en avant dudit lieu. Le général en chef Scherer nous a passés en revue. Nous avons passé la nuit dans ce même emplacement. Je dirai que la Ville de Palazzolo est située sur l'Oglio et sur la grande route de Brescia. En partant, les ponts ont été coupés et renversés dans la rivière.
2 floréal.--Nous avons fait un mouvement pour nous retirer en arrière de Palazzolo, où nous avons campé, sur les bords de l'Oglio; nos avant-postes ont eu quelques petites affaires avec l'ennemi, qui s'est venu présenter pour passer le pont où étaient nos canonniers, pour le faire sauter par des mines; on est parvenu à le faire sauter vers les dix heures du matin.
La nuit du 4 au 5, à neuf heures du soir, notre division, qui était celle du général Serrurier, s'est mise en marche et a été dirigée vers la ville de Bergame. Nous avons passé une nuit affreuse dans l'eau et la boue jusqu'aux genoux, et, pour la faire complète, une pluie continuelle nous arrosait. Nous sommes passés dans la ville de Bergame, à onze heures du matin, le 3. Cette ville est très considérable, belle et riche: on y construisait une fort belle place; elle est divisée en ville haute et ville basse. La ville haute est fortifiée et a de fort belles positions dans ses environs, sur des hauteurs considérables. Notre division ne s'y est point arrêtée; une partie soutenait l'arrière-garde, qui était suivie 64 des troupes russes. Le même jour, notre colonne a continué sa marche jusqu'à cinq heures du soir; nous sommes arrivés sur le bord du lac, où nous avons passé la nuit dans des espèces de petits hameaux environnés de montagnes fort hautes.
Le lendemain 6 courant, à quatre heures du matin, nous avons repris notre marche vers le pont de Lecco, et toujours suivis de près par l'avant-garde ennemie. La ville de Lecco est environnée de rochers très hauts; elle est située sur le bord du lac. Notre division a passé le pont le jour où l'ennemi y est arrivé. Une partie de notre division a gardé la tête du pont, et l'autre partie s'est étendue sur les bords de la rivière, pour correspondre avec la division du général Delmas; notre bataillon était de cette partie; nous tenions dans ce moment la droite de la division. Nous sommes venus prendre notre position, la nuit du 6 au 7, à Vaprio, où nous sommes arrivés à onze heures du matin. Cette ville est située sur le bord de la rivière nommée l'Adda; elle est forte par sa position: il y avait un pont volant établi qu'on a fait couler à fond lorsqu'on a quitté la rivière.
Vers les deux heures de l'après-midi, une colonne assez considérable de l'armée autrichienne a fait un mouvement pour se disposer à passer la rivière pendant la nuit, ce qui leur a été facile, car la rivière n'était presque pas gardée. Vers les quatre heures du matin, comme notre bataillon était à bivouaquer dans un village à une lieue et demie de Vaprio, une ordonnance est venue dire au général qui commandait ce poste, que l'armée autrichienne avait passé la rivière 65 toute la nuit et dirigeait sa marche sur Milan. Aussitôt, il nous fut ordonné de nous retirer sur Vaprio, pour nous joindre à la division du général Delmas, en laissant de distance en distance des compagnies en échelons; jusqu'à ce que nous avons trouvé une route de Vaprio à Milan, qui était déjà coupée par l'ennemi. Le combat s'est aussitôt engagé sur la rive gauche de l'Adda, dans les environs de Vaprio et Casale; il a été opiniâtre des deux côtés. Le général Delmas est venu ordonner aux bataillons qui soutenaient l'attaque, qui étaient les nôtres et un de la 3e demi-brigade, de foncer sur l'ennemi, et il a dit que sa division allait arriver pour nous soutenir. Aussitôt l'ordre donné, les deux bataillons se sont mis en marche pour l'exécution; dans l'instant la victoire nous a souri en leur faisant environ deux cents hommes prisonniers; mais, dans le même moment, un renfort considérable leur étant arrivé, ils ont forcé le bataillon qui était à notre droite, sur le bord de la rivière, et ils n'ont pas tardé à prendre le nôtre par le flanc et le front. Dans ces démêlés plus chauds qu'à l'ordinaire, j'ai reçu une balle qui m'a traversé l'avant-bras gauche et m'a mis hors de combat, d'où je me suis tiré avec beaucoup de peine, car nous étions pris de tous les côtés.
Mais la division est arrivée dans ce moment et nous a donné du large; la journée est devenue terrible aux deux partis. Dans un moment où la division Delmas a donné, elle a repoussé l'ennemi à la tête du pont; il y avait un village où l'ennemi était retranché dans les murs des jardins et nos gens étaient tout autour; l'ennemi voyant qu'il ne pouvait plus tirer à cause de la hauteur des murs, prit les pierres des murs pour les jeter sur la tête des Français, mais l'ardeur républicaine qui bouillait dans les veines des soldats, ne souffrit pas longtemps l'insulte des Allemands; aussitôt entrés dans le village la baïonnette en avant, ils en renversèrent une grande quantité et firent sept cents prisonniers. Les rues du village ont été ce jour-là abreuvées du sang des Allemands, car le sang ruisselait dans lesdites rues, comme lorsqu'il tombe un orage.
Le combat n'a cessé que lorsque la nuit a tendu ses voiles dans les environs où il avait commencé. Mais on s'est retiré sur Milan; la ville de Casale en est encore à sept lieues et une partie des blessés a été obligée de suivre la colonne; les routes étaient interceptées. Nous sommes arrivés dans les environ de minuit à Milan, du 8 au 9. La colonne a passé à Milan entre huit et neuf heures du matin, le 9. Quoique nos plaies n'aient point été pansées et que la marche nous fît de grandes douleurs nous avions préféré suivre notre colonne qui venait sur les bords du Tessin que de nous voir prendre prisonniers par des troupes inhumaines. Il n'est resté que de la troupe au château de Milan.
C'est sur les bords du Tessin que j'ai quitté avec regret mes compagnons de misère, mais ma blessure le demandait. J'ai laissé en partant, après trois batailles, un fourrier, un caporal et six fusiliers, dans une compagnie qui était, le 6 germinal, composée de cent dix hommes.
Notre armée de Mantoue est obligée, par une force supérieure d'ennemis, d'évacuer cette partie de l'Italie, et de se retirer sur les villes fortes du Piémont. Les hôpitaux n'étant plus assez considérables pour contenir tous les blessés, il faut donc rentrer en France.
Avant de quitter cette partie de l'Italie, je veux faire une petite description sur la situation des habitants et sur la fertilité des terres de cette contrée. Depuis le Mont-Cenis à Mantoue, c'est un terrain plat et sablonneux; il est planté de toutes sortes d'arbres, mais ce sont les mûriers qui dominent; la vigne y est très commune et est plantée au pied de tous ces arbres: elle produit d'excellents vins; on y voit dans aucunes contrées les vignes attachées au-dessus de fort gros arbres, et cette vigne rapporte une quantité considérable de raisins. Les habitants du pays coupent tous les ans les branches de ces arbres pour faire cuire leurs aliments.
Ils sèment sous ces vignes des grains de toutes sortes d'espèces qui y viennent encore assez bien par rapport aux arbres et aux vignes qui leur donnent de la fraîcheur, sans quoi ils ne pourraient rien récolter à cause de la grande chaleur du pays. Dans le Piémont et autres contrées, ils sèment beaucoup de riz qui fait une partie de leur nourriture qu'avec le vermicelle; enfin ils ne se nourrissent presque qu'avec des pâtes. L'occupation de ces habitants est en grande partie le commerce, et l'élevage des vers à soie qui leur fait avoir une grande quantité de manufactures. Il y a, dans cette partie de l'Italie, d'assez beaux sexes des deux côtés, mais extrêmement jaloux et traîtres. Il y a aussi de fortes rivières et des médiocres qui arrosent les plaines de riz. La construction des maisons est assez agréable, elles sont presque toutes voûtées, mais les vitres y sont rares, car à peine peut-on avoir des verres pour boire.
Dans cette contrée sont enfermés plusieurs petits États et républiques, ce qui fait qu'il y a plusieurs monnaies, mais qui ne valent pas celle de France, excepté celle du Piémont qui vaut mieux. Autrefois, ce pays était fort riche, mais il a eu affaire à plusieurs maîtres qui lui ont ôté toute sa richesse, et la guerre a achevé sa ruine.
Je ne ferai pas grande observation sur les endroits où j'ai passé, ayant évacué de Milan à Dijon.
Le 5 prairial, nous sommes arrivés à Dijon, lieu de destination pour les blessés; nous sommes entrés à l'hôpital militaire, tout nouvellement préparé pour recevoir les blessés qui arrivaient tous les jours en grand nombre.
Je suis resté onze jours à cet hôpital de Dijon, où ma plaie a été pansée deux fois par jour. Pendant ce temps, j'ai fait plusieurs demandes aux officiers de santé pour obtenir une convalescence. Comme je n'étais plus qu'à vingt-quatre heures de mon foyer et qu'il y avait sept ans que je n'étais rentré chez moi, je me suis vu avoir un peu d'espoir de revoir encore une fois mes père et mère, ainsi que mes autres parents. J'ai reçu des officiers de santé de l'hôpital militaire de Dijon, une convalescence de deux décades pour aller cicatriser ma plaie dans mes foyers; elle m'a été délivrée le 16 prairial. Je me suis rendu le 19 à Longchamp en passant par Langres; de là j'ai pris la traverse pour couper au plus court. Je suis donc arrivé la veille de la fête que l'on célébrait pour les plénipotentiaires qui avaient été égorgés à Rastadt.
Le commissaire du pouvoir exécutif et le président m'ont fait l'honneur de me mettre de la cérémonie; ils m'ont rendu les honneurs en m'envoyant chercher par un détachement de la garde nationale; de suite on m'a offert une place d'honneur qui était à côté du président, que j'ai acceptée. Après la cérémonie, j'ai été admis au repas que les administrateurs se donnaient. J'ai été reçu avec toute la pompe et les honneurs dus à un défenseur qui n'avait jamais abandonné son drapeau.
Ma convalescence étant expirée et n'étant point en état d'aller rejoindre, je suis allé voir l'officier de santé du canton; ne trouvant pas mon bras assez bien rétabli, il me donna un délai de six décades, lesquelles étaient finies le 30 fructidor, j'ai demandé ma feuille de route pour aller rejoindre mon corps et partager avec mes anciens camarades, l'honneur que j'ai partagé déjà, l'espace de sept ans. J'espère que l'Être suprême bénira nos travaux pour le salut de toute la Franc 66.
Je suis parti de Longchamp le 1er vendémiaire an VIII de la République, pour aller rejoindre mon corps sur les frontières d'Italie.
Mon départ fut retardé d'un mois à Chaumont où je suis resté pour montrer l'exercice à une compagnie de conscrits de ce département. Après l'organisation de ce bataillon, j'ai repris ma route pour la frontière d'Italie. Je suis parti de Chaumont le 16 brumaire de l'an VIII, accompagné de mon jeune frère qui avait quitté le 9e chasseurs à cheval, pour venir prendre du service dans la 3e demi-brigade de ligne qui était en ce moment en Italie.
Nous avons fait la route assez agréablement de Chaumont à Aix en Provence. Je passerai sous silence les étonnements de mon frère pendant cette route, de se trouver dans une contrée si déserte et aussi peu fertile, sous les rochers de la Provence. J'en ferai une petite description.
Après avoir parcouru plusieurs contrées de la Provence, étant rendus à notre dépôt, à Aix, le 21 frimaire, nous avons été à trois lieues de là, sur la Durance, à un village nommé Peyrolles, jusqu'au 1er thermidor. Nous étions là pour faire rejoindre les conscrits et les réquisitionnaires; aussi pour y empêcher les assassinats que des bandes de brigands exerçaient souvent dans plusieurs de ces contrées; en un mot, ces bandes de scélérats portaient la désolation chez plusieurs pères de famille. Nous sommes partis d'Aix le 5 thermidor pour nous rendre dans une autre contrée de la Provence, une ville nommée Draguignan, où nous sommes arrivés le 9. Cette ville est située au milieu d'une plaine environnée de hautes montagnes; la contrée est charmante, on y voit une quantité prodigieuse d'oliviers; les coteaux qui environnent la ville forment un amphithéâtre planté d'oliviers qui forment une tapisserie, verte hiver comme été, ce qui réjouit la vue, et donne un beau coup d'oeil. La plaine qui environne la ville est plantée de vignes entre lesquelles on sème plusieurs sortes de grains et de légumes.
Les eaux y sont très bonnes, la contrée étant abreuvée par des fontaines venant des montagnes. La ville est fermée par une simple muraille, très haute; les rues sont d'une largeur proportionnée à leur longueur, mais bien mal entretenues comme propreté: on y laisse pourrir toutes sortes d'herbes venant des montagnes pour faire des engrais pour la terre. Dans la Provence, il y a très peu de commodités, ce qui fait qu'on jette toutes les ordures dans les rues; c'est ce qui rend le pays malsain; on y respire de mauvaises odeurs. On rapporte qu'ils ne se donnent pas l'aisance des commodités à cause de la quantité des conduits de leurs fontaines qui traversent leurs habitations.--Les maisons sont d'une assez belle construction, hautes de trois étages, plus ou moins; les habitants sont grossiers naturellement et peu humains. (Qu'ils se le disent!) Ce qui fait remarquer leur peu d'humanité envers leurs concitoyens, c'est que dans ces contrées et même dans toute l'étendue de la Provence, il s'y produit une réelle quantité considérable de brigands qui ne cessent d'assassiner journellement les voyageurs sur les grandes routes. Je me suis laissé dire que cela s'était fait de tout temps, mais cependant pas aussi souvent que maintenant.
Le costume des hommes n'est pas bien différent de celui de notre pays: la mode est de porter presque tous des vestes; les femelles s'habillent presque comme ici, sinon que leurs jupes sont fendues par derrière; leur caractère n'est pas meilleur que celui des hommes.
La manière dont je dépeins la contrée de Draguignan servira de modèle pour toute la Provence plus ou moins fertile en aliments de tout genre. Je me rappelle que l'air de la campagne y est plus chaud que dans nos pays; les récoltes s'y font de meilleure heure qu'ici, mais aussi ils plantent tout l'été car la culture ne pourrait jamais alimenter la population retirée en ce pays. Le pain y est presque toujours à quatre et cinq sous la livre de quatre onces. Le vin y est à bon compte, mais les orages y sont fréquents; aussi leur terre cultivée est-elle souvent ravagée. Le grain qu'ils récoltent, ils le font fouler aux pieds des mulets et des boeufs pour en retirer les semences.
Je dirai que les maux que j'ai endurés depuis huit années de service militaire pour ma patrie, ont été marqués jour par jour par de nouveaux sacrifices que je ne peux oublier. Ces souffrances ont été renouvelées à plusieurs époques. Ainsi je vais, dans cette feuille, tracer une esquisse de ce qui s'est passé à Gênes pendant le blocus.
Je dirai donc que notre ennemi, voulant nous ôter tout espoir de retourner en Italie, a réuni de grandes forces pour investir Gênes et enfermer notre armée. Après plusieurs combats sanglants de part et d'autre, et à plusieurs reprises notre ennemi nous ayant forcé notre ligne sur Savone, il nous a coupé la communication que nous avions encore sur terre, et les Anglais croisant sur mer où l'on ne pouvait que difficilement passer, nous voilà donc obligés de nous retirer sous la ville de Gênes, en attendant quelques renforts qui n'arrivèrent pas assez tôt. Il faut donc comprendre la misère que nous avons souffert 67 dans ce blocus. Si les habitants de la nation doivent une reconnaissance à ses défenseurs, ils la doivent en particulier aux troupes qui composaient la garnison de Gênes, soit par leurs souffrances, soit par leur intrépidité à défendre la ville malgré le manque de nourriture. Un peu de pain fabriqué avec de la paille hachée, du son, du cacao, un peu de miel pour pouvoir lier ce mélange ensemble; et quand on le retirait du four tombait-il en poussière. La viande était du mulet bien maigre; les chiens et les chats faisaient nos meilleurs repas. Grâce au jus de Bacchus! sans cela nous serions tous restés pour otages sous les murs de Gênes. Si la ville a capitulé, c'est le défaut de vivres et la grande mortalité qui en a été la seule cause. Au moment de la capitulation, on recevait par homme six onces de cette mauvaise fabrication de pain, mais toujours une bouteille de vin.
La capitulation a été honorable pour nous; nous avons emmené autant d'artillerie qu'il nous a été possible, tous nos bagages et autres armements; tous nos malades et nos blessés ont été apportés en France sur les bâtiments anglais.
C'est après la fameuse bataille de Marengo que les Français sont rentrés à la ville de Gênes et qu'il y a eu une suspension d'armes, pour en venir à une conclusion de paix; de sorte que l'ennemi a eu la ville de Gênes trois jours en possession, puis elle a été rendue par arrangement avec six autres villes et forts.
Dans ce moment, étant revenus à Draguignan à notre dépôt, nous avons été envoyés à Digne, dans les Basses-Alpes, pour y prendre les eaux thermales où j'en ai fait usage sans en être soulagé, de sorte que j'ai été renvoyé dans mes foyers, le 5 vendémiaire an IX. Je suis arrivé à Longchamp-sur-Laujon le 29 vendémiaire.
PRIÈRE
DU SOLDAT RÉPUBLICAIN
N. B. Cette prière termine le manuscrit, elle est aussi de la main de Fricasse. À première vue, elle nous avait paru l'extrait d'un sermon de prêtre constitutionnel, mais nous avons changé d'idée en voyant le tour incorrect de certaines phrases, lignes 16, 17, 23, et surtout les dernières lignes.
Elle peut parfaitement être l'oeuvre d'un sergent, et surtout d'un sergent qui a débuté au couvent comme jardinier. On doit reconnaître qu'il y a dans le second paragraphe une pensée juste et noble.
PRIÈRE
DU SOLDAT RÉPUBLICAIN FRANÇAIS
Dieu de toute justice, être éternel et suprême souverain, arbitre de la destinée de tous les hommes, toi qui es l'auteur de tous biens et de toute justice, pourrais-tu rejeter la prière de l'homme vertueux qui ne te demande que justice et liberté?
Ah! si notre cause est injuste, ne la défends pas! La prière de l'impie est un second péché, c'est t'outrager toi-même que de te demander ce qui n'est pas conforme à ta volonté sainte.
Mais nous te demandons que la puissance dont tu nous as revêtus soit conforme à ta volonté. Prends sous ta protection sainte une nation généreuse qui ne combat que pour l'égalité. Ôte à nos ennemis détestables la force criminelle de nous nuire; brise les fers des despotes orgueilleux qui veulent nous les forger. Bénis le drapeau de l'union sous lequel nous voulons tous nous réunir pour obtenir notre indépendance. Bénis les généreux citoyens qui exposent leur vie et leur fortune pour défendre leur patrie. Bénis les mères respectables de ces vertueux enfants de la patrie qui te prient de leur accorder victoire. Ouvre les yeux de ceux qui sont égarés dans nos foyers afin qu'ils rentrent à la raison, pour jouir avec nous des précieux fruits de l'égalité et de la liberté, et chanter avec nous les cantiques et les louanges dédiés à l'Être suprême.
Nous adorons Dieu chacun à notre manière, sous la protection des lois et sous la surveillance de l'autorité constituée, et nous n'en sommes que meilleurs Républicains.
SUPPLÉMENT
I
LA LEVÉE EN MASSE
Extrait des Mémoires sur Carnot
Le projet d'une levée en masse avait fait hésiter d'abord la Convention: il l'étonnait par sa hardiesse; elle le renvoya à l'examen du Comité de salut public. C'était le 12 août. Le 14, Carnot fut adjoint au comité; le 16 le décret fut rendu au milieu des acclamations universelles; le 23, une loi organisa en ces termes la réquisition permanente de tout les Français pour la défense de la patrie:
«Les jeunes gens iront au combat; les hommes mariés forgeront les armes et transporteront les subsistances; les femmes feront des tentes, des habits, et serviront dans les hôpitaux; les enfants mettront le vieux linge en charpie; les vieillards se feront porter sur les places publiques pour exciter le courage des guerriers, prêcher la haine des rois et l'unité de la République;
«Les maisons nationales seront converties en casernes, les places publiques en ateliers d'armes; le sol des caves sera lessivé pour en extraire le salpêtre;
«Les armes de calibre seront exclusivement remises à ceux qui marcheront à l'ennemi: le service de l'intérieur se fera avec des fusils de chasse et l'arme blanche;
«Les chevaux de selle sont requis pour compléter les corps de cavalerie; les chevaux de trait et autres que ceux employés à l'agriculture conduiront l'artillerie et les vivres.
«Le Comité de salut public est chargé de prendre les mesures nécessaires pour établir sans délai une fabrication extraordinaire d'armes de tous genres, qui réponde à l'élan et à l'énergie du peuple français.»
La France offrit bientôt à ses adversaires le tableau que Barère avait ainsi tracé d'avance.
À Valmy, à Jemmapes encore, l'armée régulière avait joué l'unique rôle; mais, à dater du temps que nous racontons, elle fut absorbée par la multitude des volontaires et des réquisitionnaires. Désormais la République sera moins servie sur les champs de bataille par des militaires de profession que par des citoyens destinés à quitter l'uniforme après l'accomplissement de leur croisade: grand exemple qui révéla aux Français leur aptitude à acquérir promptement les qualités du soldat. Ce n'est pas que, dans les premiers moments, ces conscrits qui ne savaient pas tenir leur arme, qui s'élançaient follement et se débandaient au moindre choc, ne donnassent de la tablature aux généraux; la correspondance des représentants est toute semée de plaintes et d'inquiétude à leur sujet; mais leur noviciat ne fut pas long: «Dès la fin d'août, dit Jomini, les effets de la nouvelle levée se firent sentir; le déblocus de Dunkerque et celui de Maubeuge en furent les premiers résultats, et la grande réquisition acheva de nous assurer la supériorité.»
Il faut ajouter que cette grande réquisition rencontra moins de difficultés que le recrutement de trois cent mille hommes au mois de mars précédent. Le mouvement révolutionnaire s'était étendu, et l'idée républicaine que tout citoyen doit le service à son pays avait gagné les esprits.
Toutefois, ce n'est pas avec des bandes tumultueuses que la France aurait vaincu l'Europe; il fallait que la nation se transformât en armée.
C'est alors que se déploya surtout l'activité de Carnot.
Il s'agissait d'organiser, selon le principe d'unité, une multitude aussi peu homogène dans ses éléments que dans sa constitution.
Elle se composait d'anciens soldats et de conscrits amenés, soit par la levée des trois cent mille hommes, soit par la levée en masse, sans compter les engagés volontaires de toutes les dates, les débris des compagnies franches et les étrangers.
Certains corps étaient restés comme avant la Révolution, tandis que plusieurs généraux avaient formé les leurs en demi-brigade selon le mode nouveau; puis il existait des légions françaises ou étrangères, mélange de toutes armes. Il y avait des bataillons aguerris, expérimentés, d'autres entièrement novices; il y avait des différences considérables d'effectif entre les corps de même espèce; il y avait des grades irrégulièrement acquis et en nombre exagéré; des soldats incorporés à la hâte, sans qu'ils fussent aptes au service; les états manquaient à peu près complètement. Quant à l'irrégularité des fournitures et de la comptabilité, on aurait de la peine à s'imaginer ce qu'elle était.
Par quel moyen ce chaos fut-il débrouillé? c'est ce que nous ne pourrions dire sans surcharger une simple biographie de détails qui appartiennent à l'histoire générale de l'armée française.
Ce qui est certain, c'est que cette armée ne tarda pas à devenir la plus homogène de l'Europe.
Effacer toute distinction extérieure fut un des premiers objets de sollicitude. La troupe de ligne avait en grande partie conservé l'ancien uniforme blanc, tandis que les nouveaux arrivés portaient l'habit national: source féconde en mésintelligence. Dès le 29 août, un arrêté prescrivit l'unité du costume.
L'arme du génie reçut une organisation nouvelle, dont Carnot s'occupa tout spécialement. Les nombreuses compagnies de canonniers volontaires, qui s'étaient formées et remarquablement bien exercées, furent incorporées dans l'artillerie. On réussit même à improviser une cavalerie. La disette des chevaux était extrême: des achats faits dans toutes les contrées étrangères où nos agents purent pénétrer, une levée extraordinaire dans les cantons et les arrondissements de la République, et des dons spontanés nombreux, permirent de mettre en ligne des cavaliers capables de se mesurer avec les formidables escadrons des coalisés.
En février 1792, la France n'avait qu'un effectif de 228,000 hommes (204,000 sous les armes); avant le mois de mai, grâce à l'activité déployée, elle comptait 471,000 soldats (présents 397,000); au 15 juillet 479,000, si l'on s'en rapporte à une note de Saint-Just, conservée pour sa propre instruction, et dont nous possédons l'autographe. Le tableau officiel que nous consultons présente un chiffre qui s'en éloigne peu, 483,000 (inscrits, 599,000).
En décembre, l'effectif de l'armée s'élevait à 628,000 hommes (présents sous les drapeaux, 554,000). Ce nombre alla croissant jusqu'à 1,026,000 (732,000 sur terrain du combat en septembre 1794). Il n'y a pas de raison sérieuse pour contester ces états, publiés à une époque où l'exagération ne pouvait profiter de rien (1797). Cependant on a dit que les phalanges républicaines n'avaient jamais compté au delà de 600,000 hommes, un écrivain les a réduites à 500,000, un autre à 400,000, en ajoutant qu'ils n'étaient ni armés, ni nourris, ni vêtus. Espère-t-on, par de telles assertions, rabaisser le mérite des dictateurs révolutionnaires? on l'élève au contraire. Moins on leur supposera de ressources entre les mains, plus admirable apparaîtra le résultat obtenu: la coalition vaincue ne doit pas de reconnaissance aux auteurs des nouveaux calculs.
«Rien ne peut effacer cette vérité historique, que la Convention a trouvé l'ennemi à trente lieues de Paris, et qu'on a dû à ses prodigieux efforts de conclure la paix à trente lieues de Vienne.» C'est Benjamin Constant qui dit cela: Benjamin Constant est un esprit de 1791; partisan des principes, il est généralement peu admirateur des faits de la Révolution.
II
LEVÉE DU BLOCUS DE MAUBEUGE
ET COMBAT DE WATIGNIES
Extrait des Mémoires sur Carnot
Des nouvelles alarmantes arrivaient du Nord.
Malgré la victoire d'Hondschoote, qui promettait de donner aux armées françaises une prépondérance décisive, mais dont le général Houchard n'avait pas su tirer parti, la situation faite par Norwinde avait peu changé. Le Quesnoy était dans les mains des coalisés; maîtres déjà de Valenciennes et de Condé, ils possédaient l'Escaut; leur ambition allait maintenant à dominer également la Sambre, en s'emparant de Maubeuge, qui serait devenue leur base d'opérations. Cette place tombée, rien n'arrêtait sérieusement leur marche vers la capitale.
Le 29 septembre, le prince de Cobourg força le passage de la rivière par six colonnes, investit Maubeuge, et porta son armée d'observation sur Avesnes et Landrecies.
La place de Maubeuge, assez médiocre, était couverte par un camp retranché, avantageusement situé, où venaient de se rallier vingt mille hommes, qui se trouvèrent bloqués du même coup. Peut-être le général autrichien avait-il commis une imprudence en laissant se grouper cette force imposante dont il ne pouvait prévoir la malheureuse immobilité. Mais il n'ignorait pas que les approvisionnements de la ville seraient bientôt insuffisants pour des bouches aussi nombreuses. Les troupes, en effet, furent d'abord réduites à la demi-ration: au bout de peu de jours la disette était complète. Des maladies éclatèrent, et les hôpitaux ne pouvant plus contenir les malades, il fallut les déposer sous les hangars des faubourgs. Cependant les assiégeants élevaient des travaux formidables, trois batteries de vingt pièces de 24, et le cercle de leurs canons se resserrait tellement que les boulets passaient en sifflant au-dessus du camp retranché, pour aller porter la mort et la destruction dans la ville. Beaucoup d'habitants des environs s'y étaient réfugiés, et ils augmentaient les alarmes, en racontant le pillage de leurs fermes et l'incendie de leurs demeures.
Trois commissaires de la Convention s'efforçaient de soutenir les courages. Ils voulurent faire connaître au gouvernement la situation critique de Maubeuge: l'un deux, Drouet, dès les premiers moments du blocus, tenta, avec plus d'audace que de prudence, de franchir les lignes ennemies: il fut pris et alla expier dans les cachots le souvenir de Varennes. Quelques jours après, treize dragons se dévouèrent; ils traversèrent la Sambre à la nage et parvinrent à gagner Philippeville.
Mais la République n'avait pas attendu cet appel de détresse pour secourir ses enfants, les sauveurs approchaient. Dans la soirée du 14 au 15 octobre, les assiégés entendirent, à travers le feu des Autrichiens, une canonnade plus lointaine. Ils n'osaient pas encore se livrer à la joie, les uns craignant que ce bruit n'annonçât le bombardement d'Avesnes, d'autres redoutant un piège de l'ennemi pour attirer nos soldats hors du camp et les mettre aux prises avec une armée qui les écraserait de sa supériorité. Au milieu de ces incertitudes, les défenseurs de Maubeuge demeurèrent inactifs, et ne secondèrent pas, comme ils l'auraient pu faire, les efforts de leurs libérateurs.
Car cette canonnade était bien celle de l'armée française, qui arrivait au secours de la ville.
Voici ce qui s'était passé:
Les opérations militaires importantes et rapides qui devaient être exécutées dans le Nord, avaient fait sentir la nécessité d'une main plus jeune et plus forte que celle de Houchard. Carnot, témoin de la belle conduite de Jourdan à Hondschoote, le désigna au Comité. Son choix ayant été ratifié, il se rendit lui-même près du nouveau général pour lui porter sa commission, qui réunissait sous son commandement les forces disponibles des armées du Nord et des Ardennes. Jourdan esquissa un projet, que Carnot approuva dans ses données principales, et qui fut utilisé plus tard, mais qui ne lui paraissait pas en rapport avec l'imminence du danger. De retour au sein du Comité, il proposa d'aller attaquer directement l'ennemi dans sa redoutable position, afin de délivrer Maubeuge; c'était presque une question de vie et mort pour la République. Ses collègues trouvèrent l'entreprise trop audacieuse pour la confier à un général qui commandait en chef pour la première fois, et ils ne consentirent à l'adopter qu'à la condition que Carnot irait lui-même en prendre la direction.
Celui-ci ne se donna pas même le temps d'aller dire adieu à sa famille. Il partit dans la nuit, après avoir envoyé un courrier à Péronne, où résidait son frère Feulins, prévoyant qu'il aurait besoin de lui pour quelque sorte de dévouement. À la demande de Carnot, on lui avait adjoint le conventionnel Duquesnoy, qui l'avait si bien secondé à l'attaque de Furnes, et qui allait également retrouver son frère sous les murs de Maubeuge. Tous, ainsi que Jourdan, se rencontrèrent à Péronne le 7 octobre, et ils se transportèrent à Guise, lieu du rendez-vous général, qui prit de là le nom de Réunion-sur-Oise. Carnot écrit: «Les soldats ont confiance en lui et ne demandent qu'à se battre; nous espérons ne pas les faire languir. L'affaire sera chaude; mais nous vaincrons et la patrie sera sauvée.» Et puis: «Il nous faudrait au moins quinze mille baïonnettes pour charger l'ennemi à la française.»
Après une conférence entre Jourdan et les commissaires de l'Assemblée, le quartier général fut porté rapidement de Guise à Avesnes, à deux lieues des postes avancés du prince de Cobourg.
Quarante-cinq mille soldats environ, tirés des camps de Gavarelle, de Cassel et de Lille, composaient l'armée française où les nouvelles levées étaient encore très imparfaitement organisées: Cobourg avait de soixante-quinze à quatre-vingt mille hommes, partagés en deux corps, l'un d'investissement (quarante mille au moins), autour de Maubeuge; l'autre d'observation (trente-cinq mille), au sud de cette ville, dans les positions de Wattignies, Doulers, Saint-Rémy et autres villages, le long d'un petit affluent de la Sambre, le Tarsy. Fortement postés sur des hauteurs hérissées de batteries, couverts par des fossés palissadés par des haies très élevées, par d'immenses coupes d'arbres renversés avec leurs branches, et toutes les routes étant rompues, les Autrichiens semblaient dans une position tellement inexpugnable, que leur général, en accès de jactance, dit à ses officiers: «Les Français sont de fiers républicains, mais, s'ils me chassent d'ici, je me fais républicain moi-même.»
Cette bravade fut portée dans l'autre camp, où elle stimula vivement l'amour-propre national. Nos soldats se répétaient gaiement qu'ils iraient sommer le citoyen Cobourg de tenir sa parole.
Le lendemain, 14 octobre, reconnaissance des positions ennemies par Jourdan et Carnot, fusillade engagée sur la ligne et terminée par quelques coups de canon, qui retentirent jusqu'à Maubeuge et allèrent porter l'espoir dans le coeur des assiégés.
Le 15 au matin, les Français s'ébranlent: la division Fromentin, détachée à l'aile gauche, s'avance par l'ancienne voie romaine de Reims à Bavai, vers le village du Monceau. Au centre le général Balland, avec plusieurs batteries de 16 et de 12, débouche au travers la haie d'Avesnes, terrain fort inégal et couvert de bois (il l'est aujourd'hui de pâturage) et vient occuper les hauteurs en face de Doulers et de Saint-Aubin. Le général Duquesnoy, frère du député, commandait la droite, prend possession du village de Beugnies. Le quartier général est porté au point où la route de Soire-le-Château vient s'embrancher sur celle d'Avesnes à Maubeuge.
Les opérations projetée avaient pour appui les places de Rocroy, Marienbourg, Philippeville, et les détachements qui s'avançaient de ce côté par les ordres de Jourdan: car nous avons dit que, dans ces graves circonstances, le Comité avait mis l'armée des Ardennes à sa disposition.
Vers sept heures du matin, le général en chef s'avance, accompagné des deux représentants de la Convention. Le signal de l'attaque est donné sur tous les points à la fois. Le plan adopté avait pour but, en quelque endroit que l'on fût victorieux, de se précipiter vers Maubeuge pour donner la main au camp retranché. Mais en cas de revers, on conservait toujours la route de Guise. Les deux ailes devaient marcher rapidement, tandis qu'au centre, à Doulers, on se bornerait à une canonnade. Des batteries, postées devant ce village, démontèrent celles que l'ennemi avait établies au delà, derrière les habitations qui bordent la grande route. Les boulets des deux artilleries se croisaient par-dessus le village situé à mi-côte. Plusieurs de nos pièces, servies par les braves canonniers de la commune de Paris, firent merveille, comme à l'ordinaire.
Tout sembla marcher d'abord à souhait: le général Fromentin, à la tête de douze mille fantassins, délogea les tirailleurs autrichiens des hauteurs qui couronnent les villages de Saint-Remy et de Saint-Waast. Duquesnoy gagnait également du terrain sur la droite; maître de Dimont et de Dimechaux, il commençait déjà le feu contre Wattignies. Nos ailes semblaient devoir se joindre par un mouvement concentrique, qui mettait l'armée ennemie dans le plus grand péril.
À la nouvelle de ces succès, capables d'amener la perte totale des Autrichiens, la canonnade de Doulers fut transformée en une attaque de vive force. L'entreprise était difficile. La division Balland (environ treize mille hommes) voyait sur tous les points culminants, au delà du village, déjà puissamment défendu, une masse de bouches à feu menaçantes, et aux abords de toutes les routes une cavalerie impatiente de s'élancer.
Rien pourtant ne fit hésiter les républicains: ils coururent à l'ennemi en chantant la Marseillaise, ayant à leur tête, avec le général en chef, les représentants du peuple, dont l'exemple les enthousiasmait; ils franchirent impétueusement les premiers obstacles du terrain, pénétrèrent à la baïonnette dans le village et s'emparèrent du château; ils s'apprêtaient à escalader les hauteurs qui sont au delà du vallon de la Bracquière, lorsqu'une épouvantable mitraille vint les arrêter. Menacés en même temps par la cavalerie prête à charger sur leurs flancs, ils furent contraints d'abandonner les positions conquises avec tant d'héroïsme.
La rapidité avec laquelle ces positions avaient été enlevées par nos jeunes soldats permettait cependant de grandes espérances pour une seconde tentative. Leur élan était irrésistible. Les commissaires de l'Assemblée voulurent le mettre à profit. Le général balançait. Carnot, dans un mouvement d'impatience, laissa échapper ces mots: «Pas trop de prudence, général!»--Jourdan, blessé au vif (et blessé justement, il faut en convenir), donne aussitôt le signal d'une nouvelle attaque, et la fait appuyer par une colonne de cavalerie, chargée de tourner la position. Cette cavalerie, trouve toutes les issues barricadées. Pendant ce temps l'assaut recommence: mêmes efforts, même succès d'abord même issue fatale.
Cette fois, ce fut Jourdan, piqué d'honneur, qui voulut absolument retourner à la charge, mais sans meilleur résultat: les Autrichiens venaient de recevoir du renfort de leur droite, où nos affaires s'étaient gâtées.
Le général Fromentin, enivré par ses premiers avantages, au lieu de longer la lisière du grand bois Leroy, comme on lui avait recommandé de le faire, afin de pouvoir s'abriter contre la cavalerie supérieure de l'ennemi, s'était imprudemment aventuré dans la plaine de Berlaimont, avec des troupes de nouvelle levée; les escadrons autrichiens, débouchant tout à coup des bois de Doulers, les assaillirent et jetèrent dans leurs rangs la panique et la déroute.
Dès que ces fâcheuses nouvelles furent connues au centre, on dut renoncer à l'attaque de Doulers, calculée sur les progrès des deux ailes. Il fallait changer le plan, que l'échec de Fromentin venait de compromette.
Le premier cri de Jourdan fut celui-ci: «Allons au secours de l'aile gauche!» l'ordre en était déjà donné, lorsque Carnot survint: «Général, dit-il avec vivacité, voilà comme on perd une bataille!» et l'ordre fut révoqué.
La nuit était venue, la fusillade cessa; les deux armées bivaquèrent sur le champ du combat.
Le conseil s'étant rassemblé, Jourdan développa son opinion: selon les principes de l'ancienne guerre, il proposait d'abandonner toute pensée d'attaque sur le centre de l'ennemi, et de diriger des forces vers notre aile gauche, afin d'y rétablir l'équilibre. Carnot soutint au contraire qu'il fallait rappeler la division Fromentin, et concentrer nos efforts sur la droite, déjà en voie de succès, manoeuvre qui nous conservait les avantages de l'offensive, si importante pour de jeunes soldats, peu faits aux chances de la guerre. «Qu'importe, s'écria-t-il, que nous entrions à Maubeuge par la droite ou par la gauche?»
--C'est là que nous devons triompher?» ajouta-t-il en mettant le doigt sur le plan au point de Wattignies. Wattignies étant plus rapproché que Doulers de la ville et du camp, cette position enlevée, l'autre devenait sans importance. D'ailleurs les corps détachés de l'armée des Ardennes, qui s'avançaient sous les ordres des généraux Elie et Beauregard, vers l'extrême gauche de l'ennemi, allaient bientôt se trouver en mesure d'appuyer le mouvement proposé par Carnot. «Si nous cédons à l'avis du représentant du peuple,» dit Jourdan, «je le préviens qu'il en prend la responsabilité.--Je me charge de tout, et même de l'exécution,» s'écria Carnot avec une ardeur qui entraîna le conseil. Jourdan eut le bon esprit de faire sienne l'idée qu'il venait de combattre, et la seconda avec autant d'intelligence que d'empressement.
Carnot comptait sur la nature d'un terrain très escarpé et très boisé, qui cacherait notre marche, et qui, cette marche découverte, permettrait de se défendre avec des forces peu considérables, soutenues par la place d'Avesnes. Il comptait aussi sur le caractère connu du général allemand, qui ne présumerait jamais, de la part de ses adversaires, une manoeuvre aussi éloignée de la stratégie en usage, et duquel on ne devait guère attendre non plus un trait hardi et improvisé.
Il faut ajouter qu'un heureux hasard vint favoriser les Français: un brouillard épais, phénomène fréquent dans cette saison, s'éleva entre eux et celui qui avait tant d'intérêt à observer leur mouvement; il dura jusque vers midi. Derrière ce rideau, six ou sept mille hommes, partis du centre et de la gauche, passèrent à la droite; cette manoeuvre donna à notre armée une direction perpendiculaire à celle qu'elle avait eue la veille. Le prince de Cobourg, qui nous croyait dans l'ancienne disposition, n'avait rien changé à la sienne. Pendant le même temps; le général Beauregard, après s'être emparé des villages de Berelles et d'Eccles, vint se placer derrière Obrechies, pour seconder l'attaque que l'on méditait.
Afin de mieux dérouter l'ennemi, les généraux Balland et Fromentin entretinrent le feu de leurs batteries du côté de Doulers, feignant de vouloir renouveler les tentatives de la veille, tandis que Jourdan et les représentants du peuple marchaient au plateau de Wattignies, qui allait devenir le but d'un effort concentrique. Vingt-quatre mille hommes allaient y combattre. Les Autrichiens demeurèrent stupéfaits lorsque le brouillard s'étant déchiré, un soleil splendide leur montra une masse d'assaillants gravissant vers eux au cri de Vive la République! Carnot et Duquesnoy s'avançaient à la tête d'une des trois colonnes d'attaque, leurs chapeaux de représentant sur la pointe de leurs sabres.
La position des Autrichiens était très forte. Le village de Wattignies, qui donna son nom à la bataille, est situé sur un plateau élevé, qu'entourent des vallons profonds et des cours d'eau, et ces obstacles naturels avaient encore été augmentés par de nombreux retranchements. Le plateau lui-même se trouve dominé par les hauteurs de Clarye, aujourd'hui cultivées, mais alors couvertes de bruyère et également occupées par l'ennemi.
L'infanterie française marchait, soutenue par des batteries de campagne, dont les boulets lui ouvraient la voie: «De l'aveu des Autrichiens, dit un historien (Toulongeon), jamais ils n'avaient vu une si terrible exécution d'artillerie. Ils dirent qu'ils entendaient, pendant les détonations des bouches à feu, retentir dans les rangs républicains les chants belliqueux et les airs patriotiques.»
Cependant le feu de l'ennemi, n'était ni moins bien nourri, ni moins meurtrier que le nôtre; les tirailleurs du général Duquesnoy, refoulés, renversés, mitraillés, reculèrent. En ce moment le colonel Carnot-Feulins aperçut un bataillon de nouvelles recrues qui s'était réfugié dans un pli du terrain, à l'abri des coups, les soldats groupés autour de leur commandant, «comme des poulets effrayés par un oiseau de proie.» C'est l'expression dont se servait mon oncle en racontant cet épisode. Après leur avoir vainement ordonné de marcher, Carnot-Feulins saisit l'officier par le collet de son habit et l'entraîne au pas de son cheval jusque sous la mitraille; le bataillon, qui l'a suivi, rachète par une charge vigoureuse cette minute de poltronnerie.
Deux fois les Français sont repoussés avec des pertes considérables. Enfin un assaut général semble nous donner la victoire partout en même temps: Fromentin oblige son adversaire Bellegarde d'abandonner les redoutes de Saint-Waast et de Saint-Aubin; Balland chasse les grenadiers bohêmes des hauteurs de Doulers, qui foudroyaient Wattignies; nos tirailleurs redoublent d'efforts. Le village de Wattignies est pris et repris à la baïonnette, malgré les haies et les palissades qui entourent ces jardins; trois régiments autrichiens sont anéantis; l'ennemi se retire en désordre sur les hauteurs de Clarye, où il trouve une position dangereuse encore pour les vainqueurs.
Cobourg a compris le nouveau plan de ses adversaires; il a rappelé vers le centre une portion de son aile droite, et au moment où une brigade française, sous les ordres du général Gratien, s'avance en tiraillant au milieu des bruyères, les cavaliers impériaux accourent sur elle l'épée haute; elle ne soutient pas le choc, elle se débande et ouvre une large trouée, par où les chevaux se précipitent. Le général lui-même commande la retraite.
Cet acte de faiblesse et de désobéissance (car Gratien avait des ordres formels qui lui prescrivaient de se porter en avant), pouvait démoraliser nos soldats et compromettre tous leurs avantages. Carnot, l'aîné, s'en aperçoit, il s'élance vers la brigade Gratien, la fait mettre en bataille sur un plateau élevé, en vue de toute l'armée, et destitue solennellement le chef qui venait de reculer devant l'ennemi, puis il saute à bas de son cheval et forme cette brigade en colonne d'assaut.
En ce moment son regard découvre un pauvre conscrit, blotti derrière une haie et tremblant de tous ses membres, Carnot s'approche de lui, ramasse son fusil, le décharge sur l'ennemi, puis ramène le jeune homme et le place dans les rangs. Prenant ensuite l'arme d'un grenadier blessé, il marche à la tête d'une colonne, tandis que son collègue Duquesnoy, comme lui revêtu de l'écharpe nationale et du costume de représentant, s'avance avec Jourdan à la tête de l'autre. Les soldats honteux de leur fuite, veulent en effacer le souvenir par un redoublement de courage en présence des commissaires de l'Assemblée: ils s'élancent avec impétuosité.
Le colonel Carnot-Feulins fait en ce moment une manoeuvre décisive: il porte rapidement une batterie de douze pièces sur le flanc de la cavalerie autrichienne, qui venait de nous faire tant de mal: son feu, bien dirigé, renverse les escadrons. L'ennemi s'arrête, recule et fuit dans la direction de Beaufort.
La position, cette fois, était enlevée.
Les deux représentants du peuple atteignirent en même temps le sommet du plateau; vainqueurs tous deux, ils s'embrassèrent aux yeux des soldats enivrés, et un immense cri de Vive la République! apprit à l'armée française son triomphe, à l'ennemi sa défaite.
Belle journée, qui arracha cette exclamation patriotique à un émigré, Chateaubriand: «Les Français recouvrèrent à Wattignies ce brillant courage qu'ils semblaient avoir perdu depuis Jemmapes.
«On les vit se précipiter avec cette ardeur qui distingue leur première charge de celle des autres peuples.»
Le soir même, le prince de Cobourg, jugeant prudent de ne pas attendre un second choc de ces soldats républicains, qu'il qualifiait d'enragés dans son bulletin, prit le parti de repasser la Sambre, bien que ses lieutenants, Haddick et Benjowski, eussent obtenu d'assez notables avantages à l'aile gauche, sur les généraux français Élie et Beauregard, et bien que le duc d'York accourût à son aide, ce qui peut-être eût fait tourner la chance en sa faveur. Un brouillard comme celui qui avait favorisé la veille notre heureuse évolution couvrit celle que dut faire l'ennemi pour se mettre hors de notre portée. Il avait perdu trois mille hommes, et nous moitié de ce nombre.
Beaucoup d'officiers s'étaient distingués: parmi eux le brave d'Hautpoul, tué plus tard à Eylau, et Mortier, futur maréchal de France, blessé à l'attaque de Doulers. Celui-ci reçut de Carnot, pendant qu'on le pansait à l'ambulance, le grade d'adjudant général. Quant aux soldats, le rapport de Jourdan résume leur conduite en un mot: «C'étaient autant de héros!»
La nuit avait couvert le champ de bataille. Carnot, éloigné des siens, privé de monture, excédé de besoins et de lassitude était demeuré seul, tourmenté par la pensée que sa présence pouvait être nécessaire au quartier général pour arrêter les dispositions du lendemain; car il ignorait encore la fuite de l'ennemi. Il fut heureusement rencontré par un détachement de cavalerie, dont le chef lui fit accepter son cheval et l'escorta jusqu'à Avesnes. L'alarme s'y était déjà répandue: on craignait que l'un des représentants de l'Assemblée ne fût au nombre des morts, et l'on avait envoyé à sa découverte.
«Le 17,» raconte un historien local, «les vainqueurs de Wattignies longeaient le cours de la Sambre et entraient à Maubeuge, au milieu des transports d'une joie frénétique. La fumée de la poudre, la poussière des bivacs, ainsi que le désordre de leurs vêtements,--joints à l'assurance que procure la victoire, leur donnaient un air martial et terrible, qui contrastait avec l'abattement et le dépit des troupes du camp, honteuses de leur inaction, et ne sachant comment répondre aux reproches amères qui leur étaient adressés!...»
Sans cette déplorable inaction, en effet, notre victoire eût été beaucoup plus complète, et toute l'artillerie de l'ennemi serait probablement tombée entre nos mains.
La Convention, la République entière joignirent leurs acclamations reconnaissantes à celles des habitants de Maubeuge: la Révolution venait d'échapper à l'un de ses plus grands périls.
Carnot repartit pour Paris immédiatement; et, dès le surlendemain, il écrivait à l'armée pour la féliciter de son triomphe, sans donner à entendre, même indirectement, qu'il en avait été spectateur et acteur. Il semblait n'avoir pas quitté son bureau.
III
ÉVACUATION DE KEHL
Extrait d'un Mémoire militaire sur Kehl, par un officier supérieur
de l'armée. Strasbourg, Levrault, 1797.
Ainsi finit, après cinquante jours de tranchée ouverte et cent quinze jours d'investissement, un des sièges mémorables que puisse offrir l'histoire. En effet, on voit d'une part une armée de soixante-dix bataillons aguerris, fière d'avoir forcé son ennemi à la retraite, déployer tout l'appareil d'un grand siège contre des retranchements informes, suppléant à l'audace qui lui manque par l'immensité de ses travaux, faisant le siège de quelques ouvrages détachés, déployant une artillerie formidable contre des masures occupées par des tirailleurs; néanmoins son adversaire dispute le terrain pied à pied; elle est forcée de donner un assaut à chaque partie d'ouvrage où elle veut se loger et perd en détail plus de soldats qu'une attaque générale ne lui on eût coûté. Enfin elle arrive à son but après avoir perdu six mille hommes et consommé les munitions nécessaires au siège d'une place de première ligne.
De l'autre côté, une place construite à la hâte, en terre, dont quelques parties seulement sont revêtues, sans bâtiments, sans magasins, sans abris; liée à un camp retranché d'un grand développement, mais dont les principales défenses consistant en flaques et en marais se trouvent réduits à rien par la gelée. À la vérité, elle a l'avantage de ne pouvoir être entièrement bloquée et de conserver une communication facile avec Strasbourg, ce qui en impose assez à l'ennemi pour l'engager à ne rien donner au hasard: quoique défendue par des troupes harassées d'une longue retraite, auxquelles on ne peut fournir les objets d'habillement et les soulagements les plus indispensables, le terme de sa défense dépasse de beaucoup celui qu'on eût pu lui prescrire... Presque toutes les palissades étaient renversées, les fossés comblés en partie par les éboulements des parapets, et l'arrivée des renforts devenue très difficile... On se décida donc à évacuer... On n'eut guère que vingt-quatre heures pour tout enlever. Néanmoins on y mit une telle activité qu'on ne laissa pas à l'ennemi une seule palissade; tout fut ramené à la rive droite, jusqu'aux éclats de bombes et d'obus, et aux bois des plates-formes.
UNIFORMES FRANÇAIS
(ARMÉES DE SAMBRE-ET-MEUSE ET RHIN-ET-MOSELLE)
Je tenais particulièrement à donner avec ce journal des dessins d'uniformes français dont l'authenticité fût égale à celle du texte. Bien qu'il n'y ait pas encore un siècle écoulé depuis 1792, la chose était malaisée. Il est plus facile de retrouver la tenue exacte d'un fantassin du quinzième siècle que celle d'un soldat de l'armée de Rhin-et-Moselle. Après l'avoir vainement cherchée en France, c'est en Allemagne que je l'ai rencontrée, grâce à mon confrère Raffet, du Cabinet des Estampes de la Bibliothèque nationale.
Pour bien connaître certains secrets de la vie parisienne, il convient souvent de lire les correspondances des journaux étrangers. De même, il faut voir les gravures allemandes de 1792 à 1802 pour se faire une idée de la tenue qu'avaient alors nos troupiers en campagne. Rien de plus imprévu ni de plus décousu; on se figure aisément la surprise des bons Germains habitués à la correction de tenue et de mouvements des armées disciplinées à la prussienne. Leurs dessinateurs ont aussitôt voulu en fixer le souvenir; ils n'ont rien dissimulé des habits déchirés, des chemises en lambeaux, des souliers troués; ils ont mis à nu toutes les misères de ces conquérants affamés, qu'ils personnifient souvent en la personne d'un maigre fantassin ouvrant la bouche pour avaler cette boule ronde qui représente le monde, avec l'inscription: il y passera.
Les Allemands devaient sentir cruellement la présence de ces bandes qui vivaient généralement sur leurs conquêtes, et cependant ils ne peuvent donner d'air féroce à leurs oppresseurs. Autant ils prêtent une mine grognonne à leurs compatriotes en armes, autant ils conservent un air souriant à ces endiablés qui veulent absolument boire leur vin et danser avec leurs filles, non sans leur prodiguer les caresses les plus cavalières. Ils ont même voulu sans doute faire honte aux faiblesses des femmes qui ont fini par sourire à ces gueux, car une de leurs caricatures favorites représente un pantalon d'uniforme français dont chaque jambe est tirée en sens contraire par deux commères rivales. D'autres sujets favoris sont le départ du régiment, les femmes en pleurs, et des petits berceaux où le nouveau-né montre une tête miraculeusement coiffée d'un bonnet de grenadier.
Il faut avouer que les séducteurs n'avaient que la figure pour eux et qu'il leur fallait une amabilité prodigieuse pour masquer les désastres de leur uniforme. Des artistes de talent ont, après coup, naturalisé en France un type correct du soldat républicain; il porte moustaches, a le cou découvert, la cravate noire; son chapeau est mis en colonne et son pantalon a des raies roses; mais en réalité c'est moins coquet. D'abord le chapeau à cornes, considéré comme gênant, est coiffé crânement en bataille comme celui des gendarmes, et le plus souvent à rebours, bien en arrière, cocarde et panache du côté du dos. La ganse de la cocarde sert de ratelier à divers menus objets. Tantôt c'est la pipe qu'on y passe; tantôt la cuiller et la fourchette à deux pointes s'y croisent en manière de pompon gastronomique. Quelquefois la cuiller change de place et se passe élégamment dans deux boutonnières du revers d'habit. Le casque et le bonnet de hussard sont également rejetés en arrière de la tête. La moustache est une exception. La cravate monte très haut, fait plusieurs tours et ses bouts retombent avec un gros noeud sur les buffleteries. Cette forte cravate, presque toujours rayée, est plus souvent jaunâtre que noire. Comme on le verra, l'habit boutonne peu et les coudes, parfois troués, donnent une triste idée de la blancheur que pouvaient avoir conservée les revers et le gilet.
Le pantalon est à pont, plus ou moins bien boutonné; s'il est rayé, ses rayures affectent toutes les dispositions et toutes les couleurs; les carreaux, les losanges, les zébrures se remarquent dans l'uniforme des volontaires, et certains officiers, qui portent le sac au dos comme leurs soldats, ont de véritables chausses collantes, rayées horizontalement de rouge, blanc et bleu maintenues par des sous-pieds fort longs qui vont chercher le pantalon au-dessus de la cheville. Les chaussures, dont nous avons rempli tout exprès une page, sont presque toujours dans le plus triste état; un chasseur à pied que nous reproduisons plus loin, paraît n'avoir plus que des semelles fixées par des lanières. Un autre a les pieds complètement nus. La cavalerie n'en est pas encore aux habits à pans écourtés, même dans certains régiments de hussards, elle reste fidèle aux pans longs agrémentés de passepoils et de force boutons; la basane qui protège quelques pantalons a des contours à la grecque; le bonnet des hussards est surmonté d'un panache presque aussi long, et le casque sans visière des dragons disparaît avec une partie du visage sous une crinière échevelée qui leur donne un aspect féroce. L'artillerie ne se distingue que par sa tenue complète de drap bleu; son aspect sévère est relevé par les soutaches rouges du gilet dans l'artillerie à cheval.
Le havre-sac de beaucoup de soldats n'a rien de la forme régulière d'aujourd'hui. C'est un sac ordinaire en cuir ou en toile brune, serré à la gorge par une ficelle, maintenu par des bretelles; et il descend presque sur les reins du patient, ce qui devait augmenter le poids.
Un seul soldat porte le bonnet de police à flamme longue avec un havre sac vraiment militaire, mais dont les courroies retiennent tout un monde. Dans le haut s'étale une oie; son cou est serré par la bretelle, et sa tête retombe mélancoliquement dans la direction d'une marmite ballottant à hauteur de la giberne. Le centre est barré par un pain long, et un flacon pend sur le côté droit. On voit que l'assortiment est complet et que nos zouaves n'ont rien inventé. Les officiers ont des pistolets à la ceinture, et portent le hausse-col retenu par une chaînette ou par un cordon plus long qu'on ne l'a porté depuis; c'est avec le sabre le seul insigne qui annonce le grade sur la longue capote de campagne. Presque tous les tambours sont des enfants ou des adolescents; comme âge, Barras n'était pas une exception.
J'ai parlé de la surprise causée de l'autre côté du Rhin par l'apparition des armées républicaines. On a peine à croire qu'elle se soit traduite d'une façon flatteuse pour nos armes, et cela au coeur même des pays allemands. Rien n'est cependant plus certain quand on peut être mis en présence d'une sorte d'album, in-quarto oblong imprimé à Leipzig en 1794 pour le compte du libraire Friedrich August Leo. Le texte allemand et français est précédé des deux titres généraux que voici:
Abbildung und Beschreibung Verschiedener Truppen des franzosischen armee, mit illuminirten Kupfern.
Représentation et description de différentes troupes de l'armée française, avec des planches coloriées.
Le texte est sur deux colonnes. Voici le titre particulier de la partie française:
«Description des quelques corps composant les armées (françaises), par un témoin oculaire. Leipzig, bei Friedrich August Leo, 1794.»
Cette description nous a paru si intéressante et même si surprenante au point de vue politique que nous la reproduisons intégralement ici. Son rapport avec notre sujet est direct, et les détails donnés sont d'une exactitude précieuse 68.
L'auteur allemand s'exprime en ces termes:
«L'énergie, la bravoure et la constance avec laquelle les troupes françaises font une guerre qui n'a pas encore d'exemple dans l'histoire, doivent faire réfléchir toute tête à laquelle les intérêts de ce bas monde ne sont pas indifférents.
«Combien de choses jusqu'à présent a-t-on cru sur parole indispensables à une armée pour la rendre victorieuse et dont se sont passé depuis quatre ans les armées françaises?
«La sévère discipline que Frédéric II avait introduite parmi ses troupes a fait beaucoup d'imitateurs et trouvé une infinité de partisans. Trompé par l'apparence, on s'est imaginé que la sévérité poussée jusqu'à la plus inhumaine contrainte, rendait des automates invincibles ou victorieux. On en aurait jugé bien autrement dans le temps des succès de Frédéric, si on avait eu le mot de l'énigme...
«La guerre présente est bien capable de détruire une prévention qui fait généralement à chaque soldat une victime dévouée aux coups de bâton de toute une échelle de supérieurs.
«Partout on prétend que les armées agissent et partout le soldat est une créature passive qui ne peut ni se mouvoir ni agir. En garnison on accoutume le soldat à s'humilier sous le bâton, et quand on a la guerre on prétend qu'il soit sensible à l'affront d'une défaite dont la honte ne retombe jamais sur lui.
«C'est cependant avec des hommes ainsi dégradés qu'on prétend vaincre des troupes qui ne connaissent de différences entre les individus que celles des fonctions qui leurs sont confiées; de discipline que le devoir du degré où chacun se trouve placé, et de subordination que celle qu'imposent la loi et l'avantage du service. Jamais en avilissant l'homme on ne lui fera faire de grandes choses; ce n'est qu'en lui montrant qu'il est digne de cet honneur qu'on lui fait venir l'envie de l'acquérir.
«Les hommes sont ce qu'on les fait. C'est à ceux qui les emploient à savoir les manier, les former tels qu'ils doivent être pour remplir ce qu'on en attend. Mais on ne doit pas s'attendre qu'on les intéresse à faire réussir des projets qui ne leur offrent aucune perspective avantageuse pour eux ou les leurs contre des hommes qui se sont donné une manière d'être qu'ils trouvent bonne et qu'ils croient avoir droit de défendre envers et contre tous...
«Entre princes, la guerre est un jeu de hasard où le dernier écu décide. Entre princes et nation c'est le lion enveloppé d'un filet: la souris n'est pas toujours là pour en ronger les mailles. On perd quelquefois de vue que l'on ne peut rien si l'on n'est soutenu de cet accord général qui fait voler toutes les volontés vers un même but. Vouloir agir dans cet état d'erreur, c'est s'exposer à des disgrâces, ou tout au plus à des succès éphémères. C'est ce que prouve l'expérience de tous les temps. Les princes créent des armées, mais que de peines et de dépenses il leur en coûte... combien d'intérêts privés il faut ménager dans la levée des recrues! Combien de temps s'écoule avant que ces nouvelles levées puissent entrer en campagne! Le mal n'est pas grand si c'est contre un prince que l'on est en guerre. Est-ce au contraire contre une nation? Elle se lève et marche, et il est facile de voir de quel côté sera l'avantage.
«Une nation levée ainsi n'a pas, il est vrai, ce coup d'oeil flatteur qu'offre un ancien régiment lorsqu'il est rangé en parade, où tous les soldats semblent coulés dans le même moule. Cette rigoureuse uniformité en impose, mais elle n'est pas, comme on le voit à présent, indispensablement nécessaire à la victoire. La garde nationale n'est pas une troupe moins courageuse, bien qu'irrégulièrement vêtue, que celles de cette ligne, où cette régularité s'observe plus exactement.
«Animés du même esprit, ces diverses troupes combattent avec la même bravoure, bravent la mort avec le même courage, supportent en commun travaux et fatigues.
«L'on ose donc croire que le public ne verra pas avec indifférence l'image de quelques-uns des corps dont les armées républicaines sont composées. Les figures enluminées sont représentées au naturel, telles que les a vues un témoin oculaire. Nous nous sommes contenté d'en multiplier les copies sans y rien changer.
«Les dragons font en France un service tout autre que dans les armées des autres souverains. On les place sur les ailes, dans des postes avancés, au passage des rivières, aux défilés ou aux têtes de pont. Mais leur véritable place, un jour de bataille, est au corps de réserve, à cause de la vitesse avec laquelle on peut les faire mouvoir et de la vivacité avec laquelle ils chargent l'ennemi. On les emploie encore diversement dans les sièges et dans une infinité de cas où on les fait suppléer à l'infanterie aussi bien qu'à la cavalerie. Aussi leur fait-on également bien apprendre les exercices de ces deux armes. Jusqu'à la fin de la guerre de Sept ans, ils furent habillés de rouge; mais depuis on les a habillés de vert. Leur uniforme est: habit vert, parements, revers, collet et doublure rouges, veste et culotte blanches ou ventre de biche, casque de laiton poli surmonté d'une touffe de crins noirs pendant sur l'arrière de la tête, bottes molles et sabres recourbés à la housarde. Leurs chevaux sont ordinairement de quatre pieds à quatre pieds deux pouces. À cheval, leurs armes sont un fusil, deux pistolets et le sabre; à pied, ils n'ont que le fusil et le sabre. On n'y admet que des jeunes gens vigoureux, lestes, bien faits et qui montrent beaucoup d'adresse.
«Les grenadiers à cheval durent leur première création à Louis XIV. Pour mettre le lecteur à même de juger de quels hommes cette troupe a toujours été composée, c'est que, pour la former chaque capitaine de grenadiers fut tenu de fournir un homme de la taille requise, généralement reconnu pour fort et brave et portant moustache. Cet esprit de corps, ce courage à toute épreuve ne se sont jamais démentis. Leur uniforme est bleu foncé, parements, revers et collet écarlates, boutons blancs sur lesquels est imprimé l'arbre de la liberté avec le bonnet et autour l'inscription: République française; veste et culottes blanches blanc d'argent et aussi des culottes de peau. Bonnet de poil à fond rouge, cordons et crépines tressés des couleurs nationales. Au milieu du front, une plaque sur laquelle est imprimé en relief le sceau constitutionnel avec des trophées et à chaque côté de la plaque une grenade enflammée. Le poil de ces bonnets est renversé de haut en bas, afin que l'eau de la pluie s'y arrête moins. La doublure de l'habit est de serge blanche. Au bas des pans où sont les crochets pour les retrousser, il y a une grenade de drap rouge, et, au lieu de flamme, il y a de petits glands qui en descendent pendus à des cordons de la même couleur. Ils ont des aiguillettes tressées de rouge et de blanc, des cols noirs, des bottes molles, mais des genouillères fortes. Leurs armes sont la carabine, deux pistolets, et un sabre dont la lame droite a près de deux pouces de large et se termine en pointe très aiguë, dont le double tranchant a environ huit pouces de long, et tout le sabre entre quarante et quarante-cinq. Ils le portent en bandoulière. Ils ont un porte-cartouches de cuir brun avec une plaque blanche sur laquelle est imprimé en relief l'arbre de la liberté avec le bonnet, mais sans inscription. Enfin, ils ont un grand manteau bleu bordé d'un cordonnet rouge, muni d'un ample rabat qui leur sert de capuchon. Dans l'action, principalement quand ils sont attaqués, ils s'abaissent fort avant sur leurs chevaux et savent adroitement se servir de la pointe de leur sabre, au maniement duquel ils s'appliquent singulièrement dans leurs moments de loisir, ce qui leur procure un avantage décisif sur leurs ennemis, qui n'ont ni la même dextérité ni la même vitesse quand même ils auraient la même bravoure.
«Les chasseurs à cheval sont de création moderne et forment dans les armées françaises une très nombreuse cavalerie. Leur service approche assez de celui des dragons, excepté qu'on les employe plus communément à la découverte; à battre les bois toujours en avant de l'armée. Leur uniforme est un habit vert foncé à collet droit, parements, revers et boutons blancs comme ceux des grenadiers à cheval, culotte de peau et veste blanche. Leur habit un peu court a la doublure blanche, les poches en long avec trois boutons sur les pattes. Ils portent des bottes molles, genouillères de même. Il n'est pas possible de donner une description exacte de leur bonnet ou casque. Il a la forme du bonnet de liberté, il est de cuir fortement battu et surmonté d'une touffe de crins de cheval ou de peau d'ours de la largeur de la main. Cette coiffure est entourée d'une bande de toile cirée jaune et tigrée. De chaque côté, une chaîne de laiton qui, en remontant, forme un angle aigu. Autour du cou, ils ont des cols ou des cravates noires. Les bas officiers se distinguent dans ce corps comme dans celui des grenadiers à cheval par quelques ganses sur les manches, mais qui dans ce corps-ci sont tressées des couleurs nationales. Leurs armes sont le mousqueton carabine, deux pistolets, un long sabre à monture de laiton dont la pointe a huit pouces de double tranchant. Ils le portent en bandoulière à un ceinturon de cuir. Le porte-cartouches est de cuir noir avec une plaque jaune et le sceau constitutionnel en relief. Ils ont des manteaux de la couleur de l'habit: l'un et l'autre sont bordés d'un cordonnet rouge. Ils ont des chevaux de douze à treize paumes. C'est la partie la plus nombreuse de la cavalerie.
«L'on n'a rien changé au reste de la cavalerie, l'ajustement et les armes sont les mêmes, aux boutons près qui sont comme ceux des grenadiers et des chasseurs; les cavaliers ont une cocarde avec une aigrette tricolore à leur chapeau.
«L'habillement des chasseurs à pied est peu différent de celui des chasseurs à cheval, si ce n'est que l'habit est plus long et va jusqu'aux genoux. Ils ont les mêmes casques, ainsi que vestes et culottes; et des bottines très légères de cuir de boeuf. Les bas officiers ont deux épaulettes pour les distinguer des simples chasseurs. Ils ont pour armes un fusil avec une baïonnette et un sabre comme celui des grenadiers qu'ils portent en bandoulière. Le porte-cartouches est de cuir noir avec une plaque jaune aux armes de la patrie. Les chasseurs et les troupes de ligne forment l'élite de l'infanterie. Il y a par bataillon ou par compagnie un certain nombre de chasseurs de profession, armés de carabines et de poignards; au lieu de giberne, ils ont une flasque (poire à poudre). Ils sont distingués des autres par un collet rouge sur l'habit et une épaulette tricolore sur l'épaule droite. Cette troupe rend de très grands services en ce qu'elle est également propre au service des troupes de ligne et des troupes légères.
«Il n'est pas aisé de donner une description exacte des gardes nationales ni de les ranger dans une classe quelconque. Mais l'on doit être convaincu qu'elles se battent bien, quoiqu'il s'en trouve parmi qui ne sont vêtus que de jaquettes et chemisolles, de sareaux de toile ou d'habits de toute couleur, des vestes de piqué ou d'indienne, et des culottes de toute façon. La plupart cependant ont des habits d'un bleu foncé avec collets rouges ou blancs, boutons jaunes ou blancs, où le bonnet ou l'arbre de la liberté est empreint. En partie, ils portent des gamaches ou guêtres; beaucoup vont en souliers et en bas de soye; mais tous généralement portent à leur chapeau de petits objets qui font allusion à la Liberté et à l'Égalité. Ils ont tous un fusil et une baïonnette; quelques uns ont des porte-cartouches, d'autres n'en ont point, il en est de même de l'épée. Au lieu de havre-sac, ils ont un sac de poche dans quoi ils portent leurs hardes.
«L'on appelle à présent légion des troupes de cultivateurs français, partie mis en réquisition et partie gens de bonne volonté. Leur habillement n'est autre que le vêtement ordinaire aux gens de la campagne. Ils sont coiffés de bonnets, de chapeaux de différentes formes, mais toujours avec la cocarde nationale. Tous ont des bas bleus avec une jarretière bouclée de façon que le bas fait auprès du genou une espèce de petit bourrelet. Leurs culottes sont toutes différentes les unes des autres: de drap, de toile de toute sorte de couleur jusqu'à de peau noire. Leurs souliers sont fermés avec des attaches bleues ou noires. Leurs armes sont la lance ou la pique dont le manche a à peu près six pieds et est peint des couleurs nationales. Quelques-uns ont un fusil avec la baïonnette. D'autres ont autour du corps une ceinture, à la gauche de laquelle est attaché un pistolet. Ce sont pour la plupart ceux qui portent des piques. Plusieurs ont, outre cela, des épées de parade, des poignards ou autres armes blanches pendues au côté. Il y a auprès de chaque armée une ou deux légions, selon que l'armée est nombreuse. Chaque légion est forte d'environ sept mille hommes. Ce sont des officiers et des bas officiers tirés des invalides qui les commandent, avec quelques autres qu'ils ont élus eux-mêmes parmi eux. À chaque légion se trouve un général de brigade ou un brigadier.
«Ces légions ne reçoivent ni pain ni paye; elles pourvoyent elles-mêmes à leur entretien. Les hommes y sont tenus à un an de service; elles ne se montrent jamais en rase campagne et ne se rangent point en bataille. Elles ne laissent pas que d'inquiéter beaucoup les armées ennemies...»
PLANCHES
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IGÉNÉRAL DE DIVISIOND'après une gravure de la collection Dubois de l'Étang, (Ensemble réduit aux deux tiers de l'original.)Plumet tricolore surmontant trois plumes rouges. Habit bleu à collet rouge rabattu; galon d'or au chapeau, aux manches, aux poches et au collet. Culotte blanche, bottes noires; écharpe rouge à frange dorée. Dragonne dorée à la poignée du sabre; le fourreau est garni de cuivre doré. Cette figure jeune ne doit pas surprendre à l'époque où un simple officier pouvait franchir quatre grades en vingt-quatre heures pour perdre aussitôt le commandement s'il ne justifiait pas cette confiance par une victoire. |
IIADJUDANT GÉNÉRALMême provenance«En tenue de campagne», dit la légende. Le ceinturon doré, le chapeau à plumes et à glands contrastent bien un peu avec la sévérité de cette longue capote bleue à collet rouge rabattu. Mais il était bon que l'adjudant général fût aperçu de tous, car c'était un véritable chef d'état-major, classé hiérarchiquement au-dessous du général de brigade, mais au-dessus du colonel. |
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IIIHUSSARDD'après un recueil d'uniformes gravés à Augsbourg en 1802. (Bibl. nat. Estampes O 34 B. A.)Shako noir entouré d'une flamme de drap noir à passepoil bleu. Panache vert et rouge. Cordon blanc avec gland retombant à droite du shako. Dolman brun-marron soutaché de blanc et fourré de noir. Culotte bleue soutachée de blanc. Sabretache orangée avec ornements de cuivre. Demi-bottes noires. L'inclinaison prononcée du shako paraît un peu forcée par les dimensions du panache: elles sont telles que l'équilibre serait compromis si la verticale était conservée. |
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IVOFFICIERS ET SOLDATS D'INFANTERIEMême provenance.L'officier porte un panache rouge. Habit bleu à col et parements rouges. Revers blancs à passe poil rouge. Gilet et pantalon collant blancs. Sac au dos. Hausse col doré. La main droite s'appuie sur une canne. Le fantassin placé derrière lui a les guêtres noires et la culotte de nankin. Habit bleu à revers blancs. Le bonnet à poil du grenadier rappelle trop celui des grenadiers autrichiens pour ne pas avoir été pris dans un magasin de l'ennemi. Ce qui confirmerait dans cette idée, c'est qu'il est visiblement trop étroit pour la tête de notre homme. Gilet rayé blanc et rouge; cravate rayée blanc et bleu; celle-ci encadre le menton comme une cravate à la Garat. Épaulette rouge; plumet tricolore; pantalon nankin. Même habit que le précédent. |
VSOLDAT D'INFANTERIEMême provenance.Celui-ci offre un specimen du genre négligé. Il a le même habit et le même chapeau, mais son pantalon quadrillé bleuâtre porte au genou une forte pièce d'étoffe différente. Des souliers, il n'a conservé que les semelles sur lesquelles l'empeigne taillée fait l'office de courroies de sandales. Pas de gilet. Cravate lâche. L'habit ouvert laisse largement passer la chemise. |
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VICAVALIERSMême provenance.Habit bleu à revers rouges. Collet, culotte et buffleteries blancs. Bottes et chapeau noirs. Panaches roses. Cravate jaunâtre. On sait qu'il y avait alors à côté des hussards, des dragons, et des chasseurs, des régiments de cavalerie proprement dite. C'était, moins la cuirasse et le casque, ce que nous avons appelé ensuite la grosse cavalerie. |
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VIIOFFICIERS D'ARTILLERIEMême provenance.L'un de ces deux officiers semble appartenir à l'artillerie légère; il porte le casque de cuivre du dragon orné d'un panache rouge, ce qui dut être une exception; l'autre a conservé le chapeau à cornes en usage dans l'artillerie à pied. Leurs uniformes sont complètement bleus avec passepoil rouge. Des soutaches rouges ornent le pantalon et le gilet. Les poignées de sabre affectent des formes diverses, les bottes sont de même fortes et légères. Ce qui ne varie point, c'est le type des figures, qui sont rasées et ornées seulement de petits favoris très courts. |
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VIIICHASSEUR À CHEVALD'après les Abbildung französischen, Leipzig. 1794.Casque noir à courte crinière semblant retomber devant et derrière. Habit et pantalon collant vert avec passepoil rouge; des galons rouges, blancs et bleus sont disposés sur la chausse de façon à former une pointe tricolore. On trouve dans le supplément Uniformes une description plus complète de l'armement et de l'uniforme de cette cavalerie. |
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IXVOLONTAIRE DU 1er BATAILLON DE PARISMême provenance.Casque noir à demi-crinière droite et à ornements de cuivre; il est entouré d'une bande tigrée, habit bleu, avec revers et retroussés blancs. Culotte blanche, guêtres noires, épaulettes vertes. Voir également dans notre supplément Uniformes les détails qui concernent les gardes nationaux volontaires. |
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XDRAGON ET HUSSARDBibl. nat. OB. 32 VLe dragon est conforme au type décrit dans notre supplément. Son casque est sans visière; une épaisse crinière augmente encore le caractère énergique d'un profil doté de longues moustaches. Son compagnon le hussard nous offre le profil de cette coiffure étonnante qu'on a déjà vue planche III. Le panache rouge n'a rien perdu de ses dimensions: il est négligemment entouré d'une flamme marron à passepoil rouge. Dolman et pantalon verts; collet et soutaches rouges. Les gants sont jaunes; le fourreau du sabre est en cuir garni de cuivre. |
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XIHUSSARDMême provenance.Les hussards républicains qu'on représente d'ordinaire sont conformes au type de nos planches III et X. Celle-ci prouve qu'il y en avait un autre ne portant pas le dolman à tresses, mais un habit vert à revers et à pans longs, collet et parements roses. Pantalon et gilet verts; le pantalon est protégé par une basane fauve dont les bords sont déchiquetés à la grecque. Il boutonne sur le côté selon le modèle qui fut baptisé du nom de chutmari. La bande est rouge. La coiffure reste seule identique: tresses de cheveux tombant sur le devant pour encadrer le visage, shako entouré d'une flamme noire à passe poil rouge que fixe un cordon blanc; panache rouge. D'où part le sous-pied qui rattache le pantalon déboutonné à ce soulier muni d'éperon?... Mystère! |
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XIIGRENADIER À CHEVALD'après les Abbildung französischen, Leipzig. 1794. (Bibl. nat. Estampes OA, 106. C.)Son uniforme, son armement et son équipement répondent à la description très complète donnée dans notre supplément. Bonnet à poil brun avec plaque blanche, plumet et cordon rouges. Rabat bleu à revers et collet rouges, retroussis et basques, gilet et culotte blancs. Bottes noires, gants à manchettes de buffle. Schabraque bleue galonnée de jaune. |
XIIITAMBOURD'après un recueil gravé à Augsbourg en 1802. (Bibl. nat. Estampes OB, 32. A.)Le baudrier de buffle flotte tout avachi: l'enfant a décroché son gros tambour retenu sur l'épaule à l'aide d'une bretelle qui devrait aller rejoindre le cercle de la caisse. Cette charge n'est pas commode, son corps ballotte dans son habit bleu qui est trop large; son chapeau à pompon rouge est aplati comme un chapeau d'arlequin. Le pantalon de nankin laisse voir des chevilles nues, les souliers sont devenus savates, mais cela n'empêche pas le gamin de marcher fièrement à grandes enjambées. La planche XX montre que presque tous nos tambours étaient alors des enfants. Et quand on pense qu'un ministre de la guerre a rogné nos tambours de moitié avant 1870 pour ne pas incommoder des hommes faits! |
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XIVFANTASSIN ET SOUS-OFFICIERD'après une gravure allemande de 1796. (Bibliothèque nationale Estampes, collection Hennin.)L'air posé et la tenue presque régulière du sous-officier contrastent avec la pose lamentable du soldat. La cravate pend; les manches de son habit vert sont déchirées; il n'a plus qu'un bas de couleur brune, le pan de sa culotte nankin menace ruine. Une cuiller et une fourchette à deux pointes, croisées derrière sa cocarde de chaque côté du pompon, complètent son air de soldat maraudeur. Un mouchoir serré au biceps semble protéger une blessure. Type analogue à nos numéros X et XVII. |
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XVCHASSEURS À PIEDD'après un recueil gravé à Augsbourg en 1802. (Bibl. nat. Estampes OB, 32. A.)Ces chasseurs diffèrent un peu du type décrit dans notre supplément. L'un, qui semble un caporal, porte le casque de volontaire. Son habit court est de couleur noire à parements bleus. Pantalon bleuâtre à raies bleu foncé. Cravate jaune. Épaulettes rouges. Galons blancs sur la manche. Son voisin a l'uniforme complètement noir, avec collet et retroussis bleu clair. Son chapeau est placé à rebours. Épaulettes et panaches rouges; buffleteries jaunâtres. Les souliers ont été transformés en savates retenues par des cordelettes croisées au-dessus de la cheville du pied qui est un comme toujours. |
XVIGRENADIER DE LA LIGNED'après les Abbildung französischen, Leipzig. 1794. (Bibl. nat. Estampes OA, 106. C.)Bonnet à poil noir avec plaque de cuivre. Habit, veste et culotte blancs. Les revers, le collet et les parements sont rouges, les guêtres noires. Il ne porte point de havre-sac mais on voit une sorte de besace pendre à côté de sa giberne. C'est un dernier échantillon de l'ancienne armée qui va prendre l'habit bleu au moment où l'embrigadement fondra les régiments et les bataillons de volontaires. |
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XVIIVOLONTAIRESD'après une gravure allemande de 1796. (Bibliothèque nationale Estampes, collection Hennin.)Le volontaire casqué sent d'une lieue son faubourg. Ami d'un certain luxe, il a retroussé sa manche pour montrer un bout de manchette, il fait exhibition d'un mouchoir de poche élégamment noué à sa buffleterie et une breloque de parure descend sur sa cuisse gauche. Le noeud coquet de sa grosse cravate, la cuiller qui montre sa tête au revers de l'habit et le pain empalé dans sa baïonnette sont autant de détails caractéristiques. L'un de ses souliers est retenu par une boucle. L'autre est noué avec une ficelle. Zébré d'un côté, quadrillé de l'autre, comme ces chausses en partie du moyen âge. Le pantalon blanc rayé de bleu est trop court pour ne pas avoir appartenu à quelque frère d'armes. Nous avons décrit l'assortiment gastronomique du voisin dans le supplément: son bonnet de police bleu à turban rouge est à remarquer comme un échantillon du modèle primitif. |
XVIIICUIRASSIERSD'après la gravure de Zix
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XIX
HUTTES DE CAMPEMENT
D'après une gravure datée du 14 août 1796. (Bibl. nat. Estampes, collection Hennin.)
Ces huttes ou abris, dont-il est question dans notre journal, étaient faites de branchages. On voit qu'elles affectent trois formes: une forme oblongue, destinée sans doute aux soldats; une forme pyramidale, moins spacieuse, destinée aux sous-officiers; une forme conique, dont la clôture plus complète annonce un campement d'officiers.
Le factionnaire qui veille à la porte ne laisse aucun doute sur ce dernier point. Il sonne en ce moment d'un cornet d'appel, ce qui lui donne les doubles fonctions de sentinelle et de trompette de garde.
XX
RASSEMBLEMENT D'INFANTERIE
D'après une gravure allemande conservée dans la collection Dubois de l'Étang. Voici la traduction de son titre:
Véritable représentation d'une parade de la garde française à Mannheim au mois d'octobre 1795.
(Fac-similé réduit au tiers de l'original.)
Cette planche est excessivement ennemie. On ne doit pas prendre son titre au pied de la lettre. Le dessinateur allemand, que je tiens d'ailleurs pour sincère, a pris le moment non de la parade proprement dite, mais du rassemblement qui la précède.
Logés chez les bourgeois de la ville, les soldats arrivent petit à petit et se portent sur le front de l'alignement indiqué par les trois officiers qui viennent de mettre le sabre à la main.
Dans cette troupe figurent, selon l'usage, des détachements de tous les corps de passage dans la place et certainement aussi des soldats isolés, éclopés, utilisés pour le service. De là, un coup d'oeil fortement bigarré que l'artiste aura exagéré encore pour offrir des modèles de chaque espèce.
Les quatre petits tambours qui se font la main à l'extrême droite suffiraient à montrer que le commandement ne s'est pas fait encore entendre. Ce sont des enfants dont le plus âgé n'a pas atteint sa douzième année. Derrière eux, le tambour-major charme son attente par quelques moulinets de fantaisie.
Les officiers, vus au dos, ont une ample capote grise ou brune, sur laquelle tranche seul le hausse-col, insigne du commandement.
Les soldats semblent tous appartenir soit aux bataillons des volontaires, soit aux légions rurales dont il est question dans notre supplément. On remarque, en effet, en seconde ligne, des bonnets fourrés, des chapeaux de paysans; on voit se dresser une des piques qui figuraient encore dans l'armement de ces non combattants. L'un d'eux, sapeur primitif, tient la hache sur l'épaule et la pipe à la bouche. Son voisin porte un pantalon à la turque, et paraît vouloir dissimuler sous une couverture blanche les désastres de son uniforme. Tous n'ont pu dissimuler ainsi leurs tenues en lambeaux. Beaucoup de chaussures sont avariées; un jeune soldat a les pieds complètement nus.
En revanche, ce qui ne manque nulle part, c'est la cuiller: chacun porte à la boutonnière, au chapeau ou au bonnet ce précieux ustensile. Quelques bidons et marmites se remarquent aussi, çà et là; les pains sont troués pour le passage d'une corde qui les retient au côté, à moins qu'ils ne soient passés à la baïonnette. Un quartier de viande est même ainsi exhibé à côté du porteur de pique. Il est à remarquer qu'il n'y a pas ici un seul des panaches qui abondent dans nos planches précédentes. Mais nous sommes en 1795 et les Français qui viennent d'entrer à Mannheim ont fait une campagne fort rude. Leurs habits bleus ne sont pas seulement usés par la victoire, ils sont surtout troués et déchirés par les marches et les bivouacs des nuits d'hiver. De là ce coup d'oeil étrange, qui dépasse encore, il faut bien l'avouer, tout ce qu'on pouvait supposer de l'aspect des troupes républicaines. Mais la pauvreté de leur aspect ne peut que grandir encore le souvenir de leur courage et de leur patriotisme.
NOTES
Note 4: (retour) : En 1791, on avait déjà formé des bataillons de garde nationale destinés à entrer dans le cadre de l'armée. Soult rappelle, au début de ses Mémoires, qu'il se trouvait alors en garnison à Schelestadt avec le premier bataillon du Haut-Rhin. Ce corps était nombreux, dit-il, animé d'un bel esprit, mais fort peu de ses officiers étaient capables. On trouvera dans le n° 1 de notre supplément un extrait intéressant des Mémoires de Cagnot sur les effets de la levée en masse qui fut ensuite décrétée.
Note 7: (retour) L'armée du prince de Cobourg avait en effet occupé la forêt de Mormal en bloquant Le Quesnoy. «De faibles détachements français observaient ses mouvements, dit Soult; ils ne purent l'empêcher de déployer les immenses moyens qu'on avait préparés pour réduire la place, elle capitula le 11 septembre, après avoir soutenu quinze jours de tranchée. Dans le temps qu'elle succombait, des efforts tardifs étaient faits pour la dégager: à Avesnes, par une division sortie de Cambrai, à Fontaine, par une autre division sortie de Landrecies: à l'entrée de la forêt de Mormal, par une colonne partie du camp de Maubeuge.» Cette dernière colonne est celle dont il est ici question.
Note 9: (retour) L'armée de Jourdan ne comptait en réalité que 45,000 combattants; ils ne venaient pas de la Vendée, mais des camps de l'armée du Nord et de l'armée des Ardennes. On trouvera dans le numéro 2 de notre supplément un émouvant récit du combat qui amena la levée du blocus de Maubeuge; il est extrait des Mémoires de Carnot, par son fils. (Paris, Pagnerre, 1862. Tome I, page 399). Les détails remarquables qu'on y trouve formaient un complément nécessaire de notre texte.
Note 13: (retour) Le maréchal Soult donne les détails suivants sur le combat de Grandreng. «L'échec éprouvé par la colonne du centre rendit inutile le mouvement du général Mayer sur Haulchin, et permit au prince de Kaunitz de marcher au soutien de sa droite, à Grandreng, en dégarnissant sa gauche. Le général Déjardins avait déjà enlevé quelques redoutes, et il pénétrait dans le village, quand tout à coup ses deux divisions sont elles-mêmes assaillies et débordées par la cavalerie autrichienne. Elles font, avec l'appui da la brigade Duhesme, un dernier effort pour rentrer à Grandreng; mais elles échouent de nouveau et sont obligées de précipiter leur retraite pour repasser la Sambre, malgré l'appui qu'elles reçoivent de la réserve de cavalerie. Le général autrichien acquit l'honneur de cette journée en rendant ses forces mobiles, de la gauche au centre, et du centre à la droite, où il prit successivement la supériorité. Ses pertes furent beaucoup moindres que celles des Français, qui sacrifièrent plus de quatre mille hommes et douze pièces de canons.»
Note 15: (retour) Le maréchal Soult dit ici: «Il faut aussi admirer la docilité des troupes, qu'aucun revers ne put abattre, et déplorer que, soumises à la tyrannique autorité des représentants, elles n'aient point eu à leur tête des chefs dignes de les diriger. Depuis quinze jours, les corps qui étaient sur la Sambre avaient perdu plus de quinze mille hommes et la moitié de leur matériel; les soldats manquaient de vivres et avaient le plus grand besoin de repos. Les généraux en firent la demande à Saint-Just; dans le conseil, Kléber fit observer qu'on allait voir arriver, avant dix jours, l'armée de la Moselle, dont nous parlerons bientôt, et qu'il n'y avait qu'à l'attendre, en s'occupant de réparer les pertes de l'armée, pour reprendre alors les opérations avec d'autant plus de vigueur. Mais l'implacable Saint-Just ne voulut rien accorder, à peine daigna-t-il répondre: Il faut demain une victoire de la République. Choisissez entre un siège ou une bataille. Il fallait choisir, on marcha, le 26 mai, sur Charleroi.Malgré les succès qu'il venait de remporter, le prince de Kaunitz avait été remplacé par le prince d'Orange dans le commandement. Les troupes alliées étaient sur la Sambre, pour en défendre le passage; elles occupaient en outre, au-dessus de Marchiennes-au-Pont, le camp retranché de la Tombe, qui couvrait Charleroi. Kléber et Marceau étaient chargés de l'attaquer, et le général Fromentin d'emporter le pont de Lernes. Ces deux attaques manquèrent par l'excessive fatigue des troupes, qui montrèrent de l'hésitation et restèrent exposées au feu le plus vif, plutôt que d'avancer. À la nuit, les ennemis évacuèrent cependant le camp, en ne laissant dans Marchiennes qu'un poste fortifié.» (SOULT.)
--Ce dernier alinéa explique comment notre sergent va parler de retraite après avoir parlé d'une victoire qui était sans doute un avantage partiel sans résultat sur l'ensemble de la journée.
Note 16: (retour) Chiffre singulièrement exagéré. Soult rapporte un triste épisode du siège: «Le colonel Marescot dirigeait les opérations du génie, sous les yeux des généraux Jourdan et Hutry; on avait un équipage d'artillerie suffisant et les représentants Saint-Just et Lebas se tenaient au pied de la tranchée pour presser les travaux. Un jour, ils visitaient l'emplacement d'une batterie que l'on venait de tracer: «À quelle heure sera-t-elle finie?» demanda Saint-Just au capitaine chargé de la faire exécuter.--Cela dépend du nombre d'ouvriers qu'on me donnera, mais on y travaillera sans relâche, répond l'officier.--Si demain, à six heures, elle n'est pas en état de faire feu, ta tête tombera!...» Dans ce court délai, il était impossible que l'ouvrage fût terminé; on y mit cependant autant d'hommes que l'espace pouvait en contenir. Il n'était pas entièrement fini, lorsque l'heure fatale sonna. Saint-Just tint son horrible promesse: le capitaine d'artillerie fut immédiatement arrêté et envoyé à la mort, car l'échafaud marchait à la suite des féroces représentants. Si nous n'avions pas remporté la victoire, la plupart de nos chefs auraient subi le même sort. Nous apprîmes plus tard que Saint-Just avait porté sur une liste de proscription plusieurs généraux de l'armée, et qu'il m'y avait compris, quoique je ne fusse encore que colonel.--Jourdan devait être sacrifié le premier; il avait remplacé Hoche dans le commandement, et il avait, comme lui, encouru la haine du représentant par la courageuse résistance qu'il opposait à ses volontés, lorsque la présomptueuse ignorance de Saint-Just prétendait diriger les opérations militaires. (SOULT.)
Note 17: (retour) Le maréchal Soult complète ainsi le récit de cette journée. «Il était sept heures du soir. Depuis quelques moments, le combat avait cessé aux ailes; on le laissa finir au centre sans poursuivre les ennemis. Épuisés de fatigue et de besoin, les soldats pouvaient à peine se tenir debout, et ils manquaient aussi de munitions. Il n'y avait aucune possibilité de continuer la poursuite, quelques avantages qu'on eût pu recueillir; officiers et soldats, tous s'écriaient: «Un pont d'or à l'ennemi qui s'en va!» et l'on donna aux troupes un repos indispensable.Le lendemain, il n'y eut point de mouvement; il fallait se remettre d'une pareille journée et ramasser les débris qui couvraient le champ de bataille. On compta les pertes; les nôtres s'élevèrent à près de cinq mille hommes hors de combat, et, par le nombre des morts, on évalua celles de l'ennemi à plus de sept mille hommes; de part et d'autre il n'y eut que peu de prisonniers. Parmi ceux que nous fîmes, il se trouva des Français, faisant partie du régiment Royal-Allemand et de celui de Berching-hussard, auxquels la loi rendue contre les émigrés pris les armes à la main était applicable. Pas un soldat n'eut la pensée qu'il fût possible de livrer à l'échafaud ceux que nous venions de combattre face à face. Pendant la nuit, nous leur facilitâmes les moyens de s'échapper, en nous bornant à leur dire qu'ils fussent ailleurs expier l'erreur de s'être armés contre leur patrie; plusieurs revinrent plus tard se placer dans nos rangs. On a sauvé ainsi dans le cours de la guerre, un grand nombre de Français qui étaient dans le même cas, et ils ont reçu parmi nous protection et avancement; beaucoup d'entre eux ont ainsi obtenu d'être éliminés de la liste fatale et de rentrer dans leurs biens confisqués. Nous devons croire qu'ils en ont conservé de la reconnaissance.»
Note 18: (retour) Ceci est bien confirmé par le récit du maréchal Soult: «Dans nos rangs, l'enthousiasme allait croissant avec le danger; depuis le commencement de l'action, et pendant toute sa durée, le cri de ralliement de l'avant-garde fut toujours: «Point de retraite aujourd'hui, point de retraite!» Aussi, tout ce qui vint se heurter contre elle fut-il brisé. Environnée de sanglants débris, son camp en flammes, la plupart de ses canons démontés, ses caissons faisant explosion à tout moment, des monceaux de cadavres comblant les retranchements, les attaques les plus vives sans cesse renouvelées, rien n'était capable de l'intimider, pas même l'incendie de la campagne qui nous environnait de toutes parts. Les champs, couverts de blé en maturité, avaient été enflammés par notre feu et par celui de l'ennemi; on ne savait où se placer pour l'éviter; mais nous étions bien déterminés à ne sortir que victorieux de ce volcan.»Le courage des chefs avait, sur plus d'un point, seul pu maintenir les troupes, comme le montre bien cet autre passage:
«Avant six heures du matin, les alliés avaient fait des progrès, et les divisions des Ardennes repassaient la Sambre, dans un complet désordre, aux ponts de Tamine et Ternier, laissant leur général garder seul, avec ses officiers et quelques ordonnances, la position qu'elles venaient de quitter. J'avais été envoyé par le général Lefebvre, pour m'assurer de l'état de notre droite, et pourvoir aux dispositions que les circonstances exigeraient. Je joignis Marceau entre les bois de Lépinoy et le hameau du Boulet, au moment où les ennemis allaient l'entourer. Il les défiait, et dans son désespoir, il voulait se faire tuer, pour effacer la honte de ses troupes. Je l'arrêtai: «Tu veux mourir, lui dis-je, et tes soldats se déshonorent: vas les chercher et reviens vaincre avec eux! En attendant, nous garderons la position à droite de Lambusart.--Oui, je t'entends, s'écrie Marceau, c'est le chemin de l'honneur! J'y cours; avant peu je serai à vos côtés. Deux heures après, il avait ramené les plus braves, et il prenait part à nos succès.»--Ces extraits donnent une idée de la phraséologie du temps; on employait volontiers les grands mots dont on se moque aujourd'hui, mais les actes aussi étaient grands, ce que les moqueurs ne doivent pas non plus oublier.
Note 21: (retour) On avançait l'embrigadement. Cette opération importante se faisait avec la plus grande rigidité; les généraux devaient choisir, sous leur responsabilité, parmi les chefs de bataillon, les plus capables pour les désigner comme chefs de brigade. Les instructions des représentants du peuple portaient: «Les grades ne sont pas la propriété des individus; ils appartiennent à la République, qui a droit de n'en disposer qu'en faveur de ceux qui sont en état de lui rendre des services.» Trois fois plus forts qu'avant leur réunion, les nouveaux corps présentaient plus de régularité dans leur ensemble et plus de confiance en eux-mêmes.
Note 30: (retour) Dans ses Mémoires (tome I, page 287), le maréchal Soult accuse Pichegru «d'avoir laissé ses troupes à l'abandon, négligées et en proie à toutes sortes de privations pour mieux favoriser l'exécution du plan de trahison le plus odieux.» Il espérait ainsi désorganiser l'armée. En une autre occasion, Soult parle aussi des pommes de terre et en des termes fort curieux:«L'armée n'avait d'autre ressource pour vivre, que les pommes de terre que l'on trouvait dans les champs. À chaque halte, à peine les faisceaux étaient-ils formés, que les soldats se dispersaient dans les environs pour aller déterrer les pommes de terre. Un champ était bientôt récolté, et le repas était bientôt préparé au feu du bivouac. Le silence durait tant que durait cette importante occupation: mais elle ne durait pas longtemps et les provisions étaient épuisées avant que la faim fût apaisée. L'inépuisable gaieté du soldat français revenait alors. Ne doutant de rien, parlant de tout, lançant des saillies originales et souvent même instructives, tel est le soldat français. Un soir, en parlant politique et des nouvelles de Paris, le propos était tombé sur les grands hommes qu'on avait fait entrer au Panthéon ou qu'on en avait successivement fait sortir, suivant l'esprit du jour et l'influence du parti régnant. «Qui va-t-on y mettre aujourd'hui? demanda quelqu'un. Parbleu, répondit son voisin, une pomme de terre.» Et tout le monde d'applaudir à cette saillie, qui avait plus de portée que l'intention de son auteur n'avait probablement voulu lui donner.» (SOULT.)
Note 32: (retour) Cette adresse vigoureuse sous sa forme ampoulée, faisait allusion à la journée du 1er prairial (20 mai 1795) qui avait vu la populace des faubourgs de Paris envahir la Convention nationale en tuant le député Feraud, aux cris de du pain! la liberté des patriotes! la Constitution de 1793! Quatorze députés Jacobins payèrent de leurs têtes cette insurrection, et, trois mois après, les clubs et sociétés populaires étaient dissous. Chaque insurrection parisienne plaçait nos généraux dans une situation difficile, comme le montre cette lettre du chef qui commandait alors l'armée de Rhin et Moselle; elle est conçue en termes vraiment patriotiques:«Le général en chef Jourdan au général de division Hatry.
«Andernach, le 7 prairial an III.
«Je suis instruit, mon camarade, qu'il y a eu, le premier de ce mois, une insurrection à Paris, et que le peuple a occupé la salle de la Convention presqu'à onze heures du soir. Il paraît cependant qu'à cette heure la Convention a repris le cours de ses séances. Il faut que l'armée agisse dans cette circonstance comme elle a agi toutes les fois que de pareils événements ont eu lieu. C'est-à-dire, qu'étant placée sur la frontière pour combattre les ennemis du dehors, elle ne s'occupe point de ce qui se passe dans l'intérieur et qu'elle ait toujours la confiance de croire que les bons citoyens qui y sont, parviendront à faire taire les royalistes et les anarchistes.
«Nous avons juré de vivre libres et républicains, et nous maintiendrons notre serment, ou nous mourrons les armes à la main. Nous avons juré de combattre les ennemis du dehors, tant que la paix ne sera pas faite. Nous tiendrons pareillement notre serment, nous resterons à notre poste, et nous combattrons avec autant de valeur que la campagne dernière. Je suis persuadé que tels sont vos sentiments et ceux des troupes que vous commandez. Mais comme il est essentiel d'empêcher que des malintentionnés viennent répandre de fâcheuses nouvelles dans l'armée, comme il est essentiel de redoubler de surveillance, afin que l'ennemi ne puisse pas profiter du malheur de nos querelles intestines, il faut redoubler de zèle et d'activité, il faut que les militaires de tout grade soient toujours à leur poste, que le service des avant postes se fasse avec plus de surveillance que jamais, et que vous veillez à ce que les convois qui passeront dans l'arrondissement que vous commandez, soient bien escortés. J'espère que l'attitude de l'armée en imposera à tous les ennemis de la République.
«Je vous communiquerai journellement les suites des événements, et vous aurez à me faire part exactement des observations que vous ferez sur ce qui se passera dans les troupes que vous commandez.--Salut et fraternité.
«JOURDAN.»
Note 35: (retour) Le 19 janvier 1793, les Autrichiens et non les Prussiens avaient en effet évacué le fort en faisant sauter les fortifications. C'est après la levée du blocus que le duc de Brunswick écrivit au roi de Prusse cette lettre fameuse par laquelle il demandait son rappel en disant: «Lorsqu'une grande nation, telle que la nation française, est conduite aux grandes actions par la terreur des supplices et par l'enthousiasme, une même volonté devrait présider à la démarche des puissances coalisées.»
Note 44: (retour) En sept semaines, l'armée d'Italie avait conquis le Piémont, dicté la paix à la cour de Turin, occupé Vérone et Milan, investi Mantoue. Déconcertée, l'Autriche prit Wurmser et 56,000 hommes sur le Rhin, pour les opposer à Bonaparte, et nous allons voir l'armée de Rhin-et-Moselle en profiter pour reprendre l'offensive.
Note 46: (retour) Milanais d'origine et capitaine au service autrichien, Férino était venu offrir ses services à la Révolution française qui le fit lieutenant-colonel et général en 1792, général de division en 1793. L'empire le fit comte et sénateur; sa division comprenait au moment qui nous occupe, vingt-trois bataillons et dix-sept escadrons.
Note 53: (retour) Rien n'est exagéré dans ce compte rendu de la situation. «Voulant rester à portée de l'Alsace pour profiter des intrigues que Pichegru continuait à ourdir, et pour lesquelles il était même revenu en personne à Strasbourg, les Autrichiens commencèrent par le siège de Kehl. Quelques travaux y avaient été faits pendant la campagne, et un camp retranché avait été établi en avant, mais tous ces ouvrages étaient simplement en terre et paraissaient peu susceptibles de tenir longtemps contre une attaque régulière. Néanmoins, la défense fut telle qu'elle résista à quarante-sept jours de tranchée ouverte, pour ne laisser à l'ennemi que des monceaux de terre bouleversée. Il en fut de même à la tête du pont de Huningue dont les ouvrages étaient plus petits encore, et qui, attaquée depuis les premiers jours de novembre, ne fut évacuée que le 2 février suivant. Ces deux défenses mémorables ont été décrites dans des ouvrages spéciaux. (SOULT.)--Voir le n° III de notre Supplément.
Note 54: (retour) Les généraux blessés furent au nombre de trois: Desaix, Duhesme et Jordy. Tous avaient payé de leur personne pour doubler l'élan des troupes dans ces deux belles journées. Arrivé de Paris la veille, le général en chef s'était jeté dans l'eau jusqu'à la ceinture pour aider, en tirant sur des cordages avec Desaix et son état-major, à dégager un bateau engravé. Duhesme avait eu la main percée d'une balle en battant sur une caisse de tambour avec le pommeau de son sabre pour ramener un bataillon à la charge.
Note 57: (retour) Les intelligences de Pichegru avec l'ennemi avaient commencé en 1795, et ses fausses manoeuvres préméditées compromirent alors l'armée de Jourdan. Déporté en 1797, il s'évada pour s'allier ouvertement aux ennemis de la patrie, et revenir mourir honteusement à Paris. Le prix stipulé pour sa trahison comprenait une infinité d'articles: le gouvernement d'Alsace, le grade de maréchal, deux grands cordons, douze canons, le château de Chambord, la terre d'Arbois, un million d'argent et deux cent mille livres de rentes. En attendant la réalisation de ces promesses, le ministre anglais de Suisse lui faisait passer des subsides. Moreau, auquel on avait apporté la preuve écrite de ce pacte, fut accusé de l'avoir divulgué trop tard.
Note 58: (retour) Le maréchal Soult dit beaucoup en peu de lignes sur les causes possibles de la mort trop subite de Hoche: «Cependant, l'esprit républicain était encore très vif dans les rangs de l'armée; aussi, quand la lutte fut engagée entre la majorité des conseils et celle du Directoire, celle-ci appela l'armée à son secours. On donna le mauvais exemple de faire faire des adresses par des corps de troupe. Le général Hoche fut à Paris, et l'on fit avancer deux divisions de Sambre-et-Meuse dans les environs de la capitale, sous le prétexte de les envoyer sur les côtes de l'Océan. Ce mouvement eut lieu à l'insu du directeur Carnot et du ministre de la guerre lui-même, du moins ce dernier en fit la déclaration. Le général Bonaparte fut plus circonspect que le général Hoche; il se borna à envoyer à Paris le général Augereau, qui fit le coup de main du 18 fructidor. Quant au général Hoche, il s'aperçut probablement au dernier moment, qu'il ne jouerait pas dans le coup d'État projeté le rôle qu'il croyait devoir lui revenir et qu'il y serait associé à des hommes avec lesquels il ne pouvait lui convenir d'être confondu. Il se hâta donc de rejoindre son armée, mais à peine était-il arrivé à son quartier général de Wetzlar, qu'une courte maladie, dont la nature parut assez extraordinaire, l'emporta, le 19 septembre (troisième jour complémentaire). Des bruits d'empoisonnement circulèrent d'abord: les soupçons se fondaient sur ce que le général Hoche était vraisemblablement dépositaire de secrets importants, et qu'il devait y avoir des personnes intéressées à ce qu'il cessât de leur porter ombrage par sa supériorité et l'ascendant qu'il exerçait sur son armée, voisine de la France. On ne peut pas admettre légèrement des soupçons d'une nature aussi grave, et il est plus que probable qu'ils n'avaient rien de fondé, cependant ils n'ont jamais été éclaircis. Quoi qu'il en soit, les plus sincères regrets l'accompagnèrent au tombeau et, pour en perpétuer le souvenir, l'armée fit élever un monument dans la plaine entre Coblentz et Andernach, où son corps fut déposé.«Le général Hoche possédait les qualités qui constituent le grand capitaine, et il les faisait ressortir par les dons extérieurs les plus séduisants. Son port noble et majestueux, sa physionomie ouverte et prévenante, attiraient la confiance à la première vue, comme sur les champs de bataille, toute son attitude commandait l'admiration. Un coup d'oeil prompt et sûr, un caractère entreprenant qu'aucune difficulté n'était capable d'arrêter, des sentiments très élevés, et en même temps, une grande bonté, une sollicitude constante pour le soldat: il n'en fallait pas tant pour que l'armée aimât en lui un chef qui avait toujours été heureux, et qui avait la gloire d'avoir pacifié la Vendée. On lui a reproché l'ambition. Il n'avait que trente ans, lorsque la mort l'enleva à la France; à cet âge, à la tête d'une armée, avec la réputation dont il jouissait et le sentiment qu'il avait de sa propre valeur, il était bien difficile de se préserver de l'ambition, surtout lorsqu'il voyait s'élever à ses côtés des réputations qu'il se croyait capable d'égaler. Aussi je crois que si Hoche eût vécu, il eût prévenu le 18 brumaire, ou du moins qu'il eût pris le rôle de Pompée, lorsque le nouveau César vint s'emparer du pouvoir suprême.
Note 60: (retour) Une entrée des troupes françaises à Zurich avait été précédée d'une proclamation qui promettait que rien ne serait demandé pour l'entretien des troupes, dont la solde et les subsides étaient, disait-elle, assurés par les convois de France. Une fois en ville, il fallut cependant faire des demandes de vivres; elles furent justifiées par l'excuse que les convois étaient malheureusement en retard; on fit la promesse de les rendre en nature, à l'arrivée des convois, ou de les rembourser avec les premiers fonds que le Directoire enverrait. L'agent du Directoire sanctionnait par sa présence cet engagement. Quelques jours après, un arrêté impose à la ville de Zurich une contribution extraordinaire de guerre payable dans un très court délai: l'abus de la force était la seule raison à donner d'un pareil manque de foi. Une députation de notables se rend auprès du général commandant, pour lui faire des représentations. Le général était d'autant plus embarrassé de répondre qu'il n'était lui-même pas coupable; il n'avait agi que d'après des ordres. Il cherchait comme la première fois, à trouver des excuses dans le retard des convois attendus de France, dans les besoins pressants de l'armée, lorsque l'orateur de la députation le tira d'embarras: «Général, lui dit-il, nous ne sommes pas venus pour vous reprocher d'avoir oublié vos engagements que sans doute on vous a obligé à violer, ni pour nous plaindre que la contribution soit trop forte, mais pour vous dire, au contraire, que nous pouvons payer davantage, et pour vous prier de nous le demander.»Puis, lui saisissant vivement la main: «Quand vous nous aurez pris, ajouta-t-il, des richesses qui ont aguerri votre courage et dont nos ancêtres savaient se passer, nous reviendrons dignes d'eux, nous reviendrons Suisses.»
Nous donnons d'après les Mémoires du maréchal Soult (comme toujours) ce beau trait qui est à méditer en tout temps et en tous pays.
Note 63: (retour) Le 16 germinal correspond au 5 avril 1799. Le maréchal Soult résume ainsi cette suite de revers due à l'incapacité du général Scherer: «Le général Scherer partait des places de Mantoue et de Peschiara, sur la ligne du Mincio: il commença ses opérations, le 26 mars, pour forcer la ligne de l'Adige. Il opérait aux trois colonnes: celle de gauche, commandée par le général Moreau, avançait. Elle passa l'Adige au-dessus de Vérone, coupant la droite de l'armée autrichienne, et elle était à même de poursuivre ses succès vers Vienne si elle avait été soutenue; mais les autres divisions du centre et de la droite, que le général Scherer commandait en personne, se firent battre par l'ennemi. Cependant, le succès que venait de remporter le général Moreau suffisait pour que le restant de l'armée pût s'appuyer sur lui, le rejoindre, marcher sur Vienne, rejeter les Autrichiens sur la Brenta et les séparer des places de Vérone et de Legnago. Le général Moreau donnait ce conseil au général Scherer; mais, au lieu de le suivre, celui-ci eut la singulière idée de rappeler le général Moreau sur la rive droite de l'Adige, pour recommencer par sa droite la même opération, quatre jours après. Cette fois la leçon fut plus sévère: on y perdit une partie de la division Serurier, qu'une nuit de faux mouvements compromit sur la rive gauche de l'Adige, et qui, entourée par des forces supérieures, finit par être accablée.«Enfin une troisième tentative, faite le 6 avril, fut encore moins heureuse. Malgré des succès, d'abord remportés au centre par le général Moreau, la droite de l'armée fut tournée, à la fin de la journée, par une manoeuvre habile du général Kray. Il y avait tant d'incohérence dans tous les mouvements, que cet échec ne put être réparé: le désordre vint s'y joindre et l'armée entière précipita sa retraite, non pas seulement derrière le Mincio où le général Scherer aurait pu tenir, à l'appui des places de Peschiera et de Mantoue, mais derrière l'Adda.
«La journée de Magnano décida du sort de l'Italie. Dix jours avaient suffi pour réduire l'armée à moins de trente mille combattants, pendant que d'un autre côté, toutes les troupes éparpillées depuis le Pô jusqu'à Naples, étaient non seulement trop éloignées pour lui amener des renforts en temps utile, mais se trouvaient elles-mêmes de jour en jour plus compromises. En même temps l'armée ennemie avait remplacé toutes ses pertes et elle acquérait une supériorité de plus en plus grande par les renforts qu'elle recevait à tout instant; elle était, en outre, à la veille d'être rejointe par l'armée russe, qui arriva sur l'Adige, le 15 avril.
«L'exaspération de l'armée dont le courage avait été si mal employé était au comble, et elle eût produit des actes d'indiscipline et de désobéissance, si le général Scherer fût resté. Il le comprit, il partit pour Milan sous prétexte de diriger les levées extraordinaires qu'on y faisait, et ne revint plus. Il avait remis, avant son départ, le commandement au général Moreau.»
Note 65: (retour) Il s'agit ici du passage de l'Adda sur la droite de l'armée de Berthier qui s'était portée vers le point oriental du lac de Côme, et qui isola la division Serrurier du restant de l'armée. L'attaque générale de l'ennemi triompha sur les autres points, et l'armée française se vit réduite à la retraite après avoir perdu le tiers de son effectif et une centaine de canons.
Note 67: (retour) «Le tableau de la situation de Gênes dans les derniers jours du siège a déjà été tracé tant de fois et est devenu si célèbre, dit le maréchal Soult, que je puis me borner ici à le rappeler. Les horreurs de la faim, dans une ville de cent soixante mille âmes, dépassent tout ce que l'imagination peut se représenter de plus hideux. On avait dévoré tous les animaux jusqu'aux chiens et aux rats; on fabriquait, sous le nom de pain, une composition d'amandes, de grains de lin, de son et de cacao, qu'on a comparée à de la tourbe imbibée d'huile, et que les chiens mêmes ne pouvaient pas supporter; la ration consistait en deux onces de cet affreux mélange. Enfin, le 15 prairial (le 4 juin), il n'en restait plus une once pour chacun; il ne restait plus quoi que ce fût, qui pût être mangé, pas même la nourriture la plus immonde. Il n'en restait pas plus pour l'armée que pour les habitants qui, tous les jours, mouraient par centaines. L'armée, si on pouvait encore lui donner ce nom, ne comptait pas trois mille hommes en état de tenir un fusil, car leur faire faire le moindre mouvement, était absolument impossible; les sentinelles ne pouvaient faire leur faction qu'assises. Le lendemain, elles n'auraient pas pu le faire, tous soldats et habitants, seraient morts d'inanition.«Ce fut ce jour-là seulement que le général Masséna consentit à écouter les propositions qui lui étaient faites depuis plusieurs jours par les généraux ennemis, dans les termes les plus honorables. La conférence entre le général Masséna, les généraux autrichiens Ott et Saint-Julien et l'amiral Keith commandant l'escadre anglaise, se tint au milieu du pont de Cornigliano, sur le Bisague, et le général Masséna y apporta toute la fermeté de son caractère. Il commença par ne pas vouloir admettre l'emploi du mot de capitulation, et la seule expression à laquelle il consentit, fut celle de négociation pour l'évacuation de Gênes. L'armée sortit librement de Gênes avec armes et bagages, pour rentrer en France, sans engager sa parole: huit mille hommes prendraient la route de terre; le surplus, ainsi que les hôpitaux, le matériel et tout ce qui appartenait à l'armée, serait transporté par mer à Antibes. Cette clause de la marche, par terre, de huit mille hommes, fut sur le point de faire rompre la négociation. Le général Ott ne voulait pas y consentir, afin de retarder la réunion de cette colonne à l'armée française. Le général Masséna rompit la conférence: «À demain, messieurs,» leur dit-il. Cependant, il savait bien qu'il serait hors d'état d'accomplir sa menace. Cette fermeté réussit, mais le général Masséna était surtout secondé par les ordres pressants que le général Ott venait de recevoir du général Mélas, et qui lui prescrivait de ne pas perdre un instant pour lever le siège et pour conduire son corps d'armée à Alexandrie.»