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L'ancien Figaro

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«Bon Désaugiers, avec philosophie,
«Même en mourant, dit-on, tu conservais
«Ce calme heureux que n’altéraient jamais
«Les douleurs de ce mal qui consumait ta vie.
«Vas te placer sur l’Hélicon,
«Asile du génie et du talent modeste.»
Et nous, pleurons sa mort... Mais Béranger nous reste.
Consolez-vous, amis de la chanson.

*
* *

Les jours meilleurs prévus par Figaro sont venus; les obstacles ont été levés. De nouveau Basile reparaît sur la vignette, tenu en respect par le bâton du barbier. Il y restera cette fois jusqu’au dernier jour.

Mercredi, 7 novembre 1827.

LE RETOUR DE BASILE.

BASILE, à la porte de Figaro, battant la semelle et soufflant
dans ses doigts
.

Diantre soit de l’événement! Moi qui comptais me chauffer tout l’hiver avec les rognures!... Mettre ainsi un pauvre homme à la porte! Il faut que je vive... Je sais bien que tout le monde n’en voit pas la nécessité... Allons Basile, mon ami, changeons de gamme; faisons comme l’abbé Pellegrin... Je ne me montrerai pas exigeant. Voilà ma pétition en deux mots: Le coin le plus éloigné du feu, les miettes de la table; et puis ce que je demanderai, ce qu’on me donnera, avec ce que je prendrai. Voilà tout ce qu’il me faut; j’en serai quitte pour quelques coups de lancette, mais le froid pique plus que cela: on peut mourir de faim, mais on ne meurt pas de honte. Frappons. (Il frappe.)

FIGARO.

Entrez! Bienvenu, qui arrive aujourd’hui...

BASILE.

Allons, c’est encourageant. (Il entre.)

FIGARO.

Comment! c’est toi, misérable?

BASILE.

Je suis content de toi; on voit que tu reconnais tes amis, même après leur disgrâce.

FIGARO.

Est-ce encore une mauvaise nouvelle que tu viens m’apporter?

BASILE, jetant sur la table une paire de ciseaux brisés[4].

Hélas! oui, bien mauvaise!

FIGARO.

Voilà un bien heureux malheur! Et que veux-tu que je fasse de cela?

BASILE.

Deux lancettes, en aiguisant les morceaux; c’est encore un assez joli cadeau, car ils sont d’une trempe excellente: tu dois en savoir quelque chose.

FIGARO.

Coquin! il serait donc vrai? tu étais...

BASILE, tombant aux pieds de Figaro.

Ah! mon ami, tu ne sais pas ce que c’est que la faim!

FIGARO.

Qui te défendait de vivre en honnête homme?

BASILE.

On fait si maigre chère!

FIGARO.

Te voilà pourtant bien plat.

BASILE.

Bien volé...

FIGARO.

J’entends... ne profite jamais.

BASILE.

Au contraire... profite toujours; mais il ne faut pas qu’on vous coupe la digestion si brusquement.

FIGARO.

Ah! ça, tu comptes t’en aller sur-le-champ?

BASILE.

Pas si bête! Je viens reprendre mon emploi.

FIGARO.

Tu as bien de l’audace!

BASILE.

C’est le mérite de ceux qui n’en ont pas d’autre. D’ailleurs, tu penses bien que j’ai profité de ma position: je sais une foule de choses divertissantes et curieuses; j’étais à la bonne source. Tiens (tirant de sa poche plusieurs rognures de papier), voilà ce que toi ni tes confrères n’avez pu dire. Ecoute: On vient de mettre en vente l’Histoire des Favorites des rois de France, par M. de Châteauneuf. Tu sens qu’il ne faut pas mettre l’immoralité au rabais, afin que l’ouvrier puisse l’apprendre à bon marché.

FIGARO.

Comment! des mœurs, Basile?

BASILE.

Oh! non: affaire d’argent; j’en ai cinq exemplaires. Tiens! et cette Bigarrure, devions-nous permettre qu’elle fût connue? «Un vieillard privé de sa raison et en butte aux outrages des polissons de Marseille; ils le poursuivent dans les rues, l’entourent et le questionnent, puis accueillent ses réponses avec les éclats d’un rire ironique. Ce malheureux dont les habits sont en lambeaux, fut un des chimistes les plus distingués de la France: il dirigeait à dix-neuf ans une de nos premières manufactures. Couronné dans plusieurs académies, il est auteur de plusieurs mémoires traduits dans toutes les langues. L’Académie de Lyon a dit de lui qu’il avait créé la langue des sciences; il est frère de M. Quatremère de Quincy, et, comme tel, membre de l’Académie des sciences...» Sans doute, il y avait du bon dans la publicité de cette infamie; mais l’amour du prochain se révolte...

FIGARO.

Comment! de l’humanité, Basile?

BASILE.

Point... point, affaire de scandale. Maintenant, regarde ceci, Procès de Contrafatto. C’était une plaie trop douloureuse pour les âmes qui ont de la piété.

FIGARO.

Comment! de la religion, Basile?

BASILE.

Tu n’y es pas, cela me touchait personnellement. Affaire de costume. Tu vois bien que si j’ai empêché le mérite de parvenir, si j’ai tenu secrète l’apparition d’un bon livre, si j’ai exploité le silence au profit de quelques intrigants et même de quelques fripons, il y avait au fond de tout cela de ces arguments...

FIGARO.

C’est juste, mais écoute: j’ai une excellente idée.

BASILE.

Voyons.

FIGARO.

Il faut que je commence par une bonne action.

BASILE.

Envers moi?

FIGARO.

Envers toi: je t’attache...

BASILE.

A la rédaction du journal?

FIGARO.

Au pilori; je te mets en tête de ma feuille, et chaque matin... Ah! Basile, mon mignon, si jamais volée de bois vert!


COUPS DE LANCETTE.

Maintenant que je triomphe, a dit le maréchal S... à ses valets, déposez vos.... cierges!

*
* *

Paris n’est plus qu’un faubourg de Montrouge.


ÉPITAPHE.

Ci-gît un maréchal de dévote mémoire,
Qui lisait son bréviaire avant d’aller au feu;
Pour monter aux honneurs on dit qu’il crut en Dieu,
Et qu’on lui paya cher cette œuvre méritoire.
Pour mourir en chrétien, ce héros circoncis
Se fit ensevelir dans un sarreau de serge,
Puis il entra tout droit en paradis
A cheval sur un cierge.

*
* *

Depuis le commencement de cette année 1827, M. Villèle sentait le pouvoir lui échapper. Bien des fois déjà sa position avait été menacée, mais jamais aussi sérieusement. Toujours quelque compromis l’avait sauvé. Il est vrai que, pour se maintenir, il n’avait reculé devant rien. Depuis longtemps il avait fait litière de ses convictions et de ses principes. Lui, qui se flattait de gouverner, il n’avait jamais fait qu’obéir à la pression du parti le plus fort. Sa carrière ministérielle ne fut qu’un long sacrifice à sa dévorante ambition.

Mais, à la fin de la session de 1827, il comprit au vide qui se faisait autour de lui que l’heure de sa chute était proche. Il récapitula les défaites du ministère et fut épouvanté. Un ambitieux, cependant, ne rend pas les armes sans combat; M. de Villèle se résolut à frapper un grand coup, à oser. L’heure des concessions était passée; toutes les combinaisons, toutes les tentatives étaient usées; un coup d’État pouvait seul lui conserver le portefeuille. Mais ce qui, dans sa pensée, devait le sauver le perdit. Lui-même hâta sa ruine en précipitant les événements.

Six mois avaient suffi au ministère pour perdre sa majorité dans la Chambre élective; la Chambre des pairs résistait en face.

M. de Villèle entreprit de briser ces deux oppositions. D’un seul coup, soixante-seize pairs furent nommés. Cette fournée devait rendre la majorité aux ministres du roi. Le même jour, une autre ordonnance prononçait la dissolution de la Chambre et convoquait les colléges électoraux pour nommer de nouveaux députés.

Protégé par la censure,—retirée par ordonnance du même jour,—M. de Villèle avait eu le temps de préparer les départements, ses agents intriguaient partout, il se croyait sûr des élections.

Les événements allaient tromper son attente.


COUPS DE LANCETTE.

On a beau agrandir la chambre, elle sera toujours moins large que leur conscience.

*
* *

On annonce que M. Comte part pour les départements. Il va donner des leçons d’escamotage.

*
* *

M. de V. ne voit dans les élections qu’un jeu de cartes.


L’anecdote et les coups de lancette qui suivent sont une allusion à ce fameux Cabinet noir, qui empêcha tant de gens de dormir sous la Restauration. Violer le secret des lettres, et ouvertement encore, semblait chose toute naturelle.

ANECDOTE.

Un monsieur de la poste, un jour, par ignorance,
D’une lettre rompit le mobile cachet,
Pour voir, assurait-il, si les bourgeois de France
Avaient pour lui quelque secret.
Il fut pris sur le fait. Le cas était pendable;
Rien ne pouvait excuser le coupable:
Le peuple le plaignait. «Cessez, dit un intrus,
Ne plaignez pas ce roi des drôles,
Il a d’assez bonnes épaules
Pour porter deux lettres de plus.

COUPS DE LANCETTE.

Ils espèrent gagner la partie avec les valets.

*
* *

On espère que M. de V... n’arrivera jamais à la majorité.

*
* *

Ils brisent le cachet des lettres pour revenir aux lettres de cachet.


ÉPITAPHE

DE STELLA MESSALINA, DE CHAMBER-BASSE,

Décédée le 6 novembre 1827.

D’un ministre corrupteur
Ci-gît la prostituée,
Bien et duement polluée
Par un vil entreteneur.
Hélas! des mœurs les plus pures
Brilla sa minorité;
Mais dans sa majorité
On ne trouva que souillures!
Chamber-basse fut son nom,
Basse, autant que se peut faire,
Fille de corruption,
Elle eut les traits de sa mère.

COUPS DE LANCETTE.

MM. Vil..., Corb.... et Peyr.... ne tiennent plus qu’à un fil; c’est le sort de tous les pantins.

*
* *

Que les ministres se sauvent, et la France est sauvée.


Dans l’opinion de M. de Villèle, la brusque dissolution de la Chambre et la convocation immédiate des colléges électoraux devaient assurer la nomination des hommes présentés par le ministère et lui rendre ainsi la majorité nécessaire. L’administration avait pu dresser à loisir et d’avance toutes ses batteries; l’opposition, prise au dépourvu, ne devait pas avoir le temps de se reconnaître et de se concerter. Ce fut la dernière erreur de M. de Villèle.

Ces mesures inattendues, hautement qualifiées d’embûches indignes, irritèrent profondément le corps électoral. L’indignation fit taire les scrupules et les dissentiments. Toutes les oppositions se donnèrent la main, toutes les opinions se rallièrent contre un ministère abhorré, dont on ne voulait plus à aucun prix. Les préfets essayèrent de renouveler les fraudes et les violences de 1824; peines perdues, leurs complices mêmes les abandonnèrent et les trahirent, entraînés par l’irrésistible courant de l’opinion. On devinait la défaite avant le combat.

A Paris, les huit candidats de l’opposition furent acclamés plutôt que nommés par une immense majorité. Le ministère ne fut ni surpris ni effrayé de ce résultat, il l’avait prévu. Restaient les départements, qui pouvaient tout sauver encore, le cabinet y comptait, mais que pouvait entraîner l’exemple de la capitale. Pour avoir plus facilement raison des départements, on résolut de les frapper d’épouvante. Le spectre de la Révolution, ressource suprême des tyrannies dans l’embarras, fut tiré de la boîte aux accessoires gouvernementaux, et c’est dans le sang que tomba le ministère Villèle.

La victoire remportée à Paris par l’opposition était à peine connue, que la ville s’illumina comme par enchantement. C’était le dimanche 28 novembre 1827.

Le lendemain, lundi matin, les journaux ministériels, en enregistrant la défaite du cabinet, parlèrent en termes amers de l’allégresse publique et prédirent les plus terribles événements. «Nous allons voir la Révolution à l’œuvre,» disaient-ils. Le soir même, leurs prédictions se réalisaient.

Le lundi soir, en effet, les illuminations furent plus brillantes que la veille, surtout dans les quartiers Saint-Denis et Saint-Martin. Là, par conséquent, se portait la foule. On criait, on tirait des pétards; mais, en somme, tout se passait le plus tranquillement du monde.

Il était déjà neuf heures du soir, les lumières s’éteignaient, la foule se retirait lentement, lorsque tout à coup éclata une de ces émeutes sans émeutiers comme savait, au besoin, en organiser la police. Une soixantaine d’individus à mines hétéroclites, qui firent subitement irruption dans la rue Saint-Martin, donnèrent le signal des désordres, ils brisaient à coups de pierres les vitres des maisons dont les illuminations s’étaient éteintes. Bientôt, ces violences ne leur suffirent plus: aidés de quelques désœuvrés et d’un assez grand nombre d’enfants, ils renversèrent les voitures que le hasard amenait dans cette direction et commencèrent des barricades. Les curieux, épouvantés, cherchaient à fuir; ils ne pouvaient; de tous côtés la rue était interceptée. Cependant, pas un agent de police ne paraissait, pas un gendarme; les postes voisins laissaient faire.

A onze heures seulement, la force publique donna signe de vie. Les faux émeutiers étaient loin. Il n’y eut, de la part de la foule, aucune provocation. Quelques cris de: A bas les gendarmes! poussés par des gamins, se firent seuls entendre. La troupe tira cependant, sans sommation, puis chargea. Il y eut des morts et des blessés. Quelques malheureux furent tués aux fenêtres, d’autres sabrés, tandis qu’éperdus ils s’enfuyaient par les rues latérales. A une heure, on entendait encore des feux de peloton.

Le lendemain, chose incroyable, les mêmes scènes se renouvelèrent. La police n’avait pris aucune mesure, elle n’avait même pas fait déblayer les rues Saint-Martin et Saint-Denis; les essais de barricades étaient toujours debout. Toute la journée, la circulation des voitures fut interrompue.

Puis, le soir, mardi, dès sept heures, les mêmes individus recommencèrent leurs attaques. Comme la veille, la police était absente. Les habitants de la rue demandèrent main-forte aux postes voisins; les postes refusèrent de sortir, ils avaient des ordres. Les bourgeois, alors, essayèrent de rétablir l’ordre eux-mêmes. Ils arrêtèrent quelques-uns des misérables et les conduisirent au poste; on les relâcha presque aussitôt.

Les barricades, cependant, allaient leur train. L’une d’elles, vis-à-vis du passage du Grand-Cerf, s’élevait presque à la hauteur d’un premier étage. Cette fois, les perturbateurs allèrent jusqu’à maltraiter quelques boutiquiers. Leur besogne faite, les misérables se retirèrent; puis, comme la veille, la troupe arriva de trois côtés à la fois. Les soldats ne trouvaient aucune résistance, n’importe, ils faisaient feu; les gendarmes sabraient. Jusqu’à une heure fort avancée de la nuit, la tuerie continua dans un rayon assez étendu. Il y eut des morts, un grand nombre de blessés.

Le lendemain, à Paris, la consternation fut grande, l’indignation plus grande encore. La capitale se leva en masse pour accuser la police, complice du ministère. Des plaintes furent déposées, la cour évoqua l’instruction. Mais, après trois mois d’enquête, le parquet fut obligé de rendre une ordonnance de non-lieu. C’était à la police de signaler les coupables, de les trouver; le pouvait-elle? Il resta prouvé qu’on avait tiré sur des citoyens inoffensifs, qu’on avait sabré des curieux et des passants: voilà tout.

Si, comme tout le fait croire, le ministère n’avait pas reculé devant un crime abominable, le crime ne lui servit de rien. Les électeurs des départements furent épouvantés, c’est vrai; l’opposition fut moins forte, mais elle conserva encore une majorité de plus de cinquante voix. C’était la chute du Cabinet, les ministres le comprirent. Le 26 décembre, les journaux annoncèrent le départ de M. de Villèle pour la Bretagne.


Mardi, 20 novembre 1827.

BIGARRURES.

Tout Paris a été illuminé hier; l’allégresse était au comble: les pétards éclataient de tous cotés, les feux de joie se multipliaient à l’infini; les rues Saint-Denis et Saint-Martin étaient resplendissantes de lumières. La présence inutile d’une cinquantaine de gendarmes à cheval a seule troublé cette grande fête de famille. En vain les priait-on de marcher au pas; un vieil officier, placé sur le flanc du détachement, a commandé à sa troupe de partir au grand trot, et, brandissant son sabre, on l’a entendu s’écrier: «Frappez! frappez-les!»

Cette scène de désordre avait lieu dans la rue Saint-Denis au coin de la rue Mauconseil.


Mercredi, 21 novembre 1827.

BIGARRURES

Dans la déplorable soirée d’avant-hier, M. Duvillard, officier de gendarmerie, de service au théâtre Feydeau, s’est permis d’éteindre à coups de pied quelques lampions placés à la porte du libraire Jehenne. M. Duvillard obtiendra sans doute une bonne note chez M. Franchet[5] pour cet acte de courage et de patriotisme.


COUPS DE LANCETTE.

La rue Saint-Denis va, dit-on, prendre le nom de rue des Boucheries.

*
* *

Quand la foule ne veut pas se retirer, on la somme.

*
* *

Autrefois il y avait guet à pied, guet à cheval; aujourd’hui, il y a guet-apens.

*
* *

On n’a tué personne; on a seulement envoyé quelques prévenus devant leur juge naturel.

Jeudi, 22 novembre 1827.

L’AVEUGLE ET SON FILS.

L’AVEUGLE.

Viens par ici, mon enfant; j’entends des cris de joie. Il y a bien longtemps que les accents de l’ivresse populaire ne sont parvenus à mes oreilles.

L’ENFANT.

Oh! papa, si tu pouvais voir combien les maisons sont brillantes! Neuf heures du soir viennent de sonner, et l’on se croirait au milieu d’un beau jour.

L’AVEUGLE.

J’ai souvenance que dans mon jeune temps les habitations des citoyens étaient souvent ornées de semblables lumières; mais ce n’était pas toujours une preuve d’allégresse.

L’ENFANT.

Je sais ce que tu veux dire; mais alors on n’apercevait qu’aux premiers étages la lueur vacillante de quelques lampions; les grands hôtels seulement étaient éblouissants de clarté, tandis qu’aujourd’hui un cordon de feu brille aux lucarnes de toutes les mansardes.

L’AVEUGLE.

Aux mansardes mêmes! c’est une fête nationale; le pauvre n’illumine pas par ordre. Avançons.

L’ENFANT.

Entends-tu le bruit des pétards?

L’AVEUGLE.

On les a prohibés. Et comment des hommes qui devraient jouir paisiblement d’un bienfait ou d’une conquête.....

L’ENFANT.

Ce ne sont pas des hommes, papa, ce sont des enfants comme moi, qui, voyant leurs pères heureux, veulent aussi prouver leur allégresse. Nous n’avons pas la voix assez forte; un pétard, cela fait du bruit!

L’AVEUGLE.

Cela peut faire du mal, et l’on se croirait en droit de réprimer fortement la joie du peuple pour un léger accident causé par des têtes sans cervelle: peut-être même profiterait-on de l’imprudence de quelques inexpérimentés pour mêler à eux des gens qui auraient une vengeance à exercer, des haines à assouvir.

L’ENFANT.

Tu as raison, mon père, car je viens de voir passer près de nous une foule d’hommes en guenilles qui viennent de lancer leurs fusées dans les vitres des maisons voisines. Entends-tu le bruit des carreaux que l’on casse?

L’AVEUGLE.

Il y a des lois; les malfaiteurs seront punis.

L’ENFANT.

Cependant, mon père, ils viennent de se ranger pour laisser passer une patrouille, et celle-ci ne leur dit rien.

L’AVEUGLE.

Le peuple ne se réjouit pas souvent, on ne veut pas troubler ses plaisirs.

L’ENFANT.

Ah! mon Dieu, papa, combien de soldats viennent au loin.

L’AVEUGLE.

N’aie pas peur, mon enfant; on a besoin souvent de déployer l’appareil militaire quand la foule est grande. Mais ces armes, que tu as le bonheur de voir briller, n’ont été tirées que pour défendre les citoyens, on ne veut que les protéger: ce sont les ennemis de l’ordre qui doivent seuls trembler, puisque ces soldats qui s’avancent vers nous ont mission de veiller à ce qu’il ne nous soit fait aucun mal.

L’ENFANT.

Mais quel bruit viens-je d’entendre? on dirait une décharge de mousqueterie.

L’AVEUGLE.

Ce sont les pétards dont tu parlais tout à l’heure.

L’ENFANT.

Je ne me trompe pas, une balle vient de siffler à mon oreille.

L’AVEUGLE.

Enfant, ne reconnais-tu pas le bruit que fait une fusée en s’échappant des mains de celui qui l’allume?

(Le même sifflement retentit une seconde fois aux oreilles de l’aveugle; il étendit la main vers son fils pour le rassurer; l’enfant n’était plus à ses côtés, il gisait sur le pavé.)


COUPS DE LANCETTE.

—Il y a donc eu beaucoup de personnes tuées hier? demandait mademoiselle Duch... à un gendarme qui se trouvait dans les coulisses le lendemain du désastre de la rue Saint-Denis.

—Mais non, répondit le naïf militaire; pas trop.

*
* *

C’est comme parrain des 76 que M. Vil... a fait distribuer des dragées au peuple.

*
* *

M. Vil... fait quelques corrections au calendrier, il vient de changer le jour des Morts.


CORRESPONDANCE MILITAIRE

JEAN PICHU A SES PARENTS.

Jeudi, 29 novembre 1827.

Respectables parents,

I n’y a qu’un mois et un jour que je sui-t-au service, et l’on vient déjà de m’lancer au feu. Attention!... J’vas vous narrer la chose. V’là qu’à dix heures du soir not’ coronel mont’ sur son grand cheval de bataille. «Fantassins.... qui dit.... i n’s’agit pas d’ça: la patrie est en danger; i faut nous mett’en route.» Moi, j’étai-t-en train d’jouer à breling-chiquet; j’plante la partie là, et je cour-t-aux armes. Nous défilons tous en silence, tambour battant, le long d’not’faubourg, et nous faisons, une pause au coin d’la rue St-Denis, qui ce jour-là était tout illuminée d’lampions comme un volcan. Alors j’apercevons çà et là pas mal de péquins (sauf vot’ respect), qui avaient l’air de t’nir conciliabule... A c’te vue, le ventr’ commence à me grouiller... mais, à mesure que nous avançons, v’là les péquins qui fouinent... ça me donne du courage. Une échelle barre not’marche triomphante; all’ nous sert à monter à l’assaut... oui; mais on fait d’la résistance... Pour lors, not’ coronel qui n’ s’embête pas dans les feux d’file, nous crie: En joue... feu!... Moi, j’tire!... pass’que, voyez-vous, mes bons parents, l’soldat est un état à part; nous sommes tous des automates, comm’ dit not’ coronel, qui d’vons toujours obéir sans préambule. Après cett’ petite charge, nous nous précipitons sur les fuyards à travers les lampions. Au détour d’une rue, moi, j’vois un bergeois en retard... j’veux l’empoigner.... Pan! i m’donne un soufflet soigné, et s’sauve en m’appelant blanc-bec, dont j’ai la joue encore tout’ rouge. V’là pour le premier jour. Le lend’main, c’est à r’commencer. Je r’çois un éclat de pétard sur l’œil gauche, et pour changer j’ai la figure toute noire. L’troisième jour, même manége; mais i n’y avait plus personne. Stapendant, on me place t’en faction pendant quatre heures d’horloge, ousque j’attrapai un rhume de cerveau; j’battis la semelle avec un brave marchand de marrons en plein vent, qui m’permit d’prendre un air de feu à son fourneau. J’y brûlai un pan de ma nouvelle uniforme. J’croyais qu’à l’odeur du roussi mon coronel allait m’fourrer aux z’haricots... au contraire, i m’fit carporal sur le champ de bataille. Bref, je suis présent’ment à l’hôpital pour guérir ma chienne de catarrhe. Envoyez-moi de la bonn’ réglisse vivement.

Adieu, papa, maman; je suit en toussant votre fils bien-aimé.

Jean Pichu, fantassin.

COUPS DE LANCETTE.

La Gazette parle de liberté comme une prostituée de pudeur.

*
* *

Au lieu de décorer les gendarmes et de casser les boutiques, on ferait mieux de décorer les boutiques et de casser les gendarmes.

*
* *

On a vu M. Piet assis sur les ruines du pot-au-feu ministériel, ces deux grands débris se consolaient entre eux.

*
* *

La nuit dernière, M. V... a senti un bourgeois de la rue Saint-Denis qui le tirait par les pieds.


JOURNÉE D’UN BON GENDARME.

«Le premier devoir d’un bon gendarme qui veut devenir brigadier est d’aller à la messe, de même que le premier devoir d’un employé supérieur des postes est d’inspecter les lettres, et celui de M. Piet d’avoir un chef de cuisine. Je me lève donc frais et dispos; je passe mon costume de ville, ma redingote bleue, je mets ma cravate et mes bottes à éperons; je prends ma grosse canne à pommeau d’ébène, je me mets en route... me voilà à l’église.

«Je me place d’ordinaire là où je vois le plus de monde; mais je laisse chanter les prêtres et dire la messe aux bonnes âmes qui m’entourent: ce n’est pas pour cela que je suis venu. Je regarde, j’observe, j’écoute, ce serait une bonne fortune pour moi si je pouvais mettre M. Franchet sur la trace d’un bon sacrilége!... Je serais brigadier demain.

«Rien à faire à l’église. Parcourons quelques quartiers de la capitale. Diable! qu’est-ce qu’on chante là-bas? Les Bons Gendarmes!... Quelle audace! Si j’attrape cet Odry, qui est sans doute un des rédacteurs du Constitutionnel, il passera un vilain quart d’heure. Quelle est donc cette rumeur chez ce libraire? Ah! j’y suis, on saisit des in-32. Bien! saisissez toujours. J’en saisis moi-même plusieurs exemplaires. Cela montera ma bibliothèque.»

Le bon gendarme continua ses travaux philanthropiques. Dix-sept exploits signalèrent sa matinée; et midi sonnait à peine qu’il était déjà de retour à la caserne, le menton enfoncé dans sa cravate, agitant sa grosse canne, et sifflant la marche de Robin des bois avec autant de plaisir qu’un étudiant sifflerait Quatremère de Quincy.

Enfin il fallut endosser la livrée guerrière. Le regard oblique de l’observateur fit place à l’air farouche d’un apprenti maréchal de France à 2 fr. 50 c. par jour. Ainsi costumé, il quitte sa caserne et reprend ses courses avec la ferme résolution de remplir sa mission avec conscience, afin d’être nommé brigadier.

«Oh! oh! voilà qu’on crie au voleur! à l’assassin! c’est mon affaire. J’empoigne l’individu, je le tiens ferme. Mais on se presse là-bas... qu’est-ce donc? C’est un élève en droit qui s’est échappé de Sainte-Pélagie. Un élève en droit! Vite, je lâche mon assassin, et je cours après l’étudiant. Je parie que ce mauvais sujet aura écrit contre le ministre ou contre les gendarmes. Si je l’attrape, je suis brigadier.»

L’étudiant courait plus vite et disparut.

Désolé de sa mésaventure, notre héros, après une longue promenade, finit par découvrir un simple perturbateur, et le conduisit au corps de garde. Il ne devint pas brigadier.


FEUILLE VOLANTE

enVOLée d’un VOLume sur la VOLonté

Par M. Dud***.

«Il ne faut jamais s’arrêter dans son vol

Prenons notre volée en riant du volcan voltairien et révolutionnaire dont volontiers les malévoles font peur aux voluptueux. Qu’espère ce volcan ou plutôt ce camp volant de voltigeurs volages, frivoles et faux, volontaires, par ses évolutions contre une ferme volonté qui peut dans son vol chasser ces volatiles dans une volière?

Mais ces volereaux, par leur volubilité, pourront volatiliser les esprits, et la révolte naître de cette volatilisation. Il faut volontairement paraître affaiblir son vol, voleter même, et, par d’adroites circonvolutions, s’emparer des bénévoles; puis faire volte-face, et nous avons la vole; car les voltigeurs ne pourront convoler à d’autres révolutions.

La volonté ferme a fait voler jusqu’à nous les noms de Scévole et de l’hôte des Volsques. Nous volerons aussi; et après sept ans révolus de travaux volumineux, un char nous fera voler à nos voluptueuses demeures, où, grâce aux biens qui nous seront dévolus, nous nous reposerons d’un long vol en voltigeant autour des volages en bavolet.

Soyons volontaires; mais si les frivoles révoltés, élevant volonté contre vol, faisaient envoler nos espérances, envolons-nous avec elles avant qu’ils ne nous rattrapent au vol.

Passant des adorateurs de Volianus aux anciens croyants de Vola, et poussé par Volturne jusqu’aux autels de Volutma; voguant sur le Volturnon en parcourant la Volhinie, bien fourré dans notre volvi, nous attendrons, pour volter et revoler près de nos pénates, le temps où Voltaire et la révolution ne rendront plus des esprits frivoles et volatilisés semblables aux malheureux atteints du volvulus.


COUPS DE LANCETTE.

Suivant M. de Clerm... Tonn..., on ferait d’excellentes bourres avec la Charte.

*
* *

Enfin M. de Peyr... vient de rendre justice à quelqu’un, il s’est donné sa démission.

*
* *

Les démissions deviennent à la mode en Angleterre; E. Vil... devrait bien imiter les modes anglaises.


CIRCULAIRE SECRÈTE

TROUVÉE PAR UN INDIVIDU QUI VENAIT DE PRENDRE SON PASSEPORT

Nascuntur mouchards, fiunt gendarmes.

A tous les intéressés qui ces présentes liront, salut.

Faisons savoir que les aspirants mouchards qui pullulent autour de nous d’une manière étourdissante (et, par cela, nous mettent à même d’être plus difficiles sur le choix), qu’ils doivent se dispenser de s’inscrire sur les rangs, s’ils n’ont pas les vertus morales et les qualités physiques requises par le présent cahier des charges:

Art. 1er. Il faut qu’un mouchard soit bête, parce qu’un homme d’esprit ajoute toujours quelque chose dans ses rapports.

2. Qu’il soit sans pitié, parce que son père peut être républicain.

3. Qu’il soit discret, parce qu’il connaît toutes les bévues administratives.

4. Il devra boire comme un Suisse, mais garder le sang-froid d’un Italien. In vino veritas.

5. Il est de toute nécessité qu’il soit lâche: car la peur donne des jambes, et un poltron est moins exposé qu’un autre à laisser saisir sur lui sa carte d’électeur.

6. Il importe qu’il n’ait pas de religion, pour mieux surveiller la conduite des impies dans les églises.

7. Il est de rigueur qu’il soit escroc, pour ne pas faire rougir ses camarades. Il ne serait pas mal qu’il sortît du bagne.

8. Il lui est enjoint de ne pas faire de cuirs dans un salon et de ne parler que l’argot dans un cabaret.

9. Ses oreilles doivent être aussi étendues que l’esprit de César, pour entendre de quatre côtés à la fois.

10. Son omoplate doit être revêtue d’une épiderme fortement trempée, parce que les cuirasses de papier gris sont chères: l’administration a renoncé à en fournir.

11. On exigera des certificats authentiques d’une campagne sous le fameux Lebon, de trois ans de service sous Savary, et une attestation en règle de sa présence à Nîmes en 1815.

12. Il ne peut être affilié à aucune congrégation, parce que son temps est trop précieux.

Nota. S’il a toutes les qualités requises, il sera reçu à cinquante sous par jour. On lui paiera les coups de bâton à part et à la douzaine, et il aura des gratifications pour les avaries.

1828


COUPS DE LANCETTE.

Monseigneur a fait augmenter la garnison de Paris: est-ce pour donner des étrennes aux habitants de la rue Saint Denis?

*
* *

Malgré le jour de l’an, M. de Peyr... reste déconfit.


TÉLÉGRAPHE DE MONTROUGE

—Mingrat est calme dans sa prison.

—On espère que les électeurs du Jura opteront pour Sa Grandeur.

—On dit Contrafatto bien malade.

—L’empoisonneur Royer a été marqué; il a conservé toute sa tête pendant l’exécution.

—Un avocat général d’Amiens refuse de poursuivre les écrits clandestins sortis des presses du baron de Villebois, s’ils ne sont dénoncés à Bourges, à Lyon et à Paris.

—Les agraviados qui habitent Toulouse ont reçu l’ordre de quitter cette ville.

—Les catholiques de la paroisse de Saint-Sauveur, à Gand, seront appelés à l’office au son de trois cloches, au lieu d’avoir le chagrin de n’en entendre qu’une.

—Le père don Pablo Abbella vient d’être sacré évêque in partibus de Thibériopolis.

—Ferdinand VII prend le titre de chanoine de la cathédrale de Barcelone. Il a reçu trois années d’avance de son traitement et quarante mille francs en sus. Le jour de sa nomination, il a assisté au Te Deum et à l’embarquement des agraviados pour les galères de la côte d’Afrique.

—N’ayant pu empêcher qu’un bâtiment à vapeur, parti de Batavia, vînt mouiller à Singapore, on a eu soin de faire croire aux indigènes de ce port que le diable faisait marcher le bâtiment.

—On entretient toujours dans l’esprit du peuple des idées de sorcellerie. Un jeune garçon de ferme, aidé d’un vagabond, a abusé de la confiance d’un mari pour violer sa femme, sous prétexte de chasser le démon dont elle était possédée. Le tribunal de Laval a condamné les imposteurs.

—On ne compte que 4,206 enfants déposés à l’hospice de la Maternité.

—On continue à mettre en vigueur, à Francfort, la loi nouvelle qui ne permet que quinze mariages par an sur mille familles juives.

—Grande distribution de croix de la Légion d’honneur aux fonctionnaires qui ont fait preuve de zèle lors des élections du Nord.

—Pas de gratifications cette année aux commis du ministère des finances: elles avaient été données aux électeurs.


COUPS DE LANCETTE.

Je suis ici contre la volonté du peuple, s’est écrié M. de Vil..., et j’y resterai par la force des baïonnettes.

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* *

M. de Corb... a été fouillé à la barrière de Rennes; pour la première fois, il n’avait pas fait la fraude.

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* *

M. de Peyronnet a manqué faire une chute pour commencer la nouvelle année; nous la lui souhaitons bonne.

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* *

On dit que M. de Corbière n’est plus malade; il est toujours bien bas.

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* *

M. Martignac est ministre de l’intérieur, espérons que tout finira par des chansons.

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* *

On dit que M. de Peyron.... se retire avec des millions; nous avions toujours cru que c’était un pauvre homme.

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* *

On dit que M. de Clerm..... Ton..... bourre tout le monde, depuis qu’il ne fait plus fusiller personne.

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* *

On dit que, dans le nouveau ministère, il y a déjà des chefs de division.

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Le ministère n’est franc qu’à demi, il sera dissous.

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M. de Vatisménil est nommé député de la Corse; c’est bien pour son âge, on dit qu’il n’a que trente-huit ans.

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* *

Les élections auraient porté de mauvais fruits, si on les jugeait sur l’écorce.

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M. de Vatimesnil, étranger dans son pays, a été réduit à se faire nommer en pays étranger.

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* *

Montrouge est pour la France la barrière du trône.

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M. le duc de Wellington a l’ouïe dure, c’est peut-être qu’autrefois on lui a frotté les oreilles.

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Il y avait des gendarmes au mariage de mademoiselle Laf...: voilà qui est bien ministériel.

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Deux académiciens sont, dit-on, nommés censeurs; est-ce que l’Académie s’ennuierait d’être honnête?

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L’année dernière, on comptait sur l’ineptie des députés; aujourd’hui, on craint leur adresse.

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* *

Qu’on dise que les jésuites ne se fourrent pas partout, il y en a même aux galères.

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M. le duc de Raguse est en procès avec son cuisinier; est-ce qu’il serait jaloux de ses lauriers?

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* *

Le chef de brigade Coco a partagé la disgrâce de M. Franchet: il aura une recette particulière.

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* *

On désirerait savoir quel commerce fait M. de Saint-C......


Samedi, 2 février 1828.

LA PARTIE DE CARTES

VILL.—Allons, Peyr, et vous, d’Herm, faisons une petite partie de cartes. Il faut bien maintenant que nous occupions notre temps à quelque chose.

DUD., s’élançant vers la table.—D’abord, je prends... les cartes. Que jouons-nous?

PEYR.—L’honneur.

DUD.—C’est amusant! jouer toute une soirée sans pouvoir gagner ni perdre.

VILL.—Je suis de votre avis; il faut rendre la partie intéressante. Je suis fort pour l’intérêt... Mais quel jeu choisissons-nous? le boston?

DUD.—A la bonne heure, on y fait des levées.

CORB.—Oui; mais de tous côtés on entend prononcer le mot de misère... ça donne des idées qui empêchent de dormir.

DEL., d’un ton imposant.—Enfin, messieurs, c’est un jeu séditieux.

TOUS.—Séditieux!

DEL.—On y parle d’indépendance.

PEYR.—C’est vrai, messieurs; revenons donc aux doux et naïfs plaisirs de nos ancêtres, jouons le mariage.

VILL.—C’est un jeu divin; on peut y coter ses points, si on en fait. Où est l’heureux temps où je tournais et retournais le roi comme je voulais.

CORB.—Vous n’en cachiez pas moins bien votre jeu. (Ils se placent et ils jouent tous successivement.)

PI.—Ce diable de Vill, comme il a rempli ses poches! il nous a tous gagnés.

VILL.—J’en ai gagné bien d’autres.

PI.—Grâce à mes brioches.

D’HERM.—Grâce à mes écoles.

CORB.—Quant à toutes les écoles, si vous m’aviez écouté...

PEYR.—Ah! ouais! parlez-moi du piquet: on y fait des tierces, même contre des cartes supérieures.

DUD.—Et l’écarté? c’est ça un jeu charmant; on peut y faire des voles!

PI.—Oui, c’est charmant; surtout quand on a la fourchette.


Jeudi, 7 février 1828.

UNE HEURE AVANT LE LEVER DU RIDEAU
[6].

Tous les acteurs sont prêts, la pièce est sue, dans une heure on va commencer. Tandis que le public attend avec impatience le lever du rideau, les individus qui doivent concourir à l’ensemble de la représentation sont diversement occupés. Ceux-ci, s’imaginant que le comble de l’art est dans la manière de se présenter en scène, s’étudient devant une glace à prendre de nobles poses: ils feront d’excellents mimes: l’emploi des personnages muets est assez tombé en discrédit pour qu’il ne conduise plus aux subventions.

Ceux-là pensent que toute la magie du débit est dans la variété des inflexions de la voix; ils s’écoutent rendre des sons et, fiers de quelques intonations assourdissantes, ils ne s’aperçoivent pas qu’ils ne sont autre chose que des instruments à vent.

Nous sommes dans les coulisses; je veux vous conduire au milieu de chacun de ces groupes.

Le premier n’est pas nombreux; mais ceux qui le composent doivent faire trembler pour le sort futur du drame: ils ont stipendié les misérables qui peuplent nos parterres pour murmurer contre les artistes les plus remarquables. Ils n’ont d’autre but que d’empêcher l’effet d’une belle scène: par exemple, celle où un vengeur de la patrie accuse publiquement un traître, et brave les poignards de quelques scélérats en traînant le misérable devant les magistrats qui doivent le punir.

Le groupe le plus voisin est formé d’autres acteurs à qui l’usage a donné le nom d’utilités, ne sachant comment désigner leur nullité. Moins hardis que ceux que nous venons de voir, mais non moins dangereux, ils ont promis aux ennemis des premiers sujets de la troupe d’interrompre maladroitement une réplique sublime, de se faire siffler même, pour que le bruit pût couvrir la voix d’un des héros ou détourner l’attention publique d’une situation hardie ou d’une partie intéressante de l’exposition.

Par ici nous apercevons quelques débutants, qui se sont glissés par intrigue dans la société dramatique: le désir de porter l’habit de théâtre leur a donné de l’audace; mais, au lever du rideau, les spectateurs sauront bien reconnaître la fraude. Gare aux huées lorsqu’ils paraîtront!

Plus loin, et c’est là que doivent se porter nos regards, sont les principaux personnages de la pièce. Sans étudier leurs poses, ils en ont trouvé d’admirables; car ils se sont pénétrés de leurs rôles. Ils essaient quelques passages de l’ouvrage qu’ils vont représenter, et, sans avoir cherché des inflexions de voix, leur débit fait tressaillir, enflamme, inspire l’admiration. Ils ont demandé leurs inspirations à de nobles sentiments; ils n’ont cherché qu’à traduire l’expression de la vérité.

Dans une heure le rideau sera levé; dans une heure un drame vraiment national aura commencé. Quelques malveillants sans doute troubleront cette représentation; l’ensemble aura peut-être à souffrir de l’ineptie de quelques acteurs, des dispositions coupables de quelques autres, de petites jalousies, de grandes passions; de vils intrigants tendront à neutraliser les efforts des premiers sujets: mais un nouveau système administratif n’accordera plus de feux aux comédiens nuls ou malintentionnés, pour les consoler du mépris et de la vengeance publique; la cabale ne sera plus grassement rétribuée pour applaudir à l’incapacité impudente et insulter au public qui paye.

Allons, courage! qu’une noble émulation tourne au profit de tous! Méritez un succès; car, si la représentation n’était pas satisfaisante, il faudrait craindre un déficit à la caisse.


COUPS DE LANCETTE.

Le corpulent Dec... se croit d’un grand poids à la guerre; ce n’est qu’une grosse charge.

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* *

M. de Martignac a dit à un fonctionnaire de la Corse: «Pour vous conduire ainsi dans les élections, il fallait que vous fussiez sous-préfet.»


Depuis longtemps on attaquait M. de Vaulchier, directeur général de l’administration des postes, sur le cabinet noir, nom donné au local dans lequel on décachète les lettres, soit au départ, soit à l’arrivée. Organisé par Louis XIV, il avait toujours été maintenu sous tous les régimes et, sous Charles X, il était devenu un des grands moyens d’espionnage de la congrégation. Voici les détails qui furent officiellement donnés dans la séance du 3 mai:

«Le cabinet était le laboratoire d’un comité de vingt-deux membres; ils profitaient des ténèbres pour se rendre, à des heures convenues, dans cet odieux repaire, et n’en sortaient qu’avec les plus grandes précautions pour se dérober aux regards du public. 30,000 fr. par mois, pris sur les fonds d’un ministère, servaient à solder ces vils employés. Dans la nuit du 31 janvier dernier (1827), le comité a été dissous.» (Mémoires secrets, 1828.)

Si triste que fût la cause du cabinet noir, M. Marcassus de Puymaurin essaya de la défendre. Toute sa logique consistait à dire que, puisqu’il avait existé, il devait être maintenu; qu’au surplus, le gouvernement n’employait ce moyen de connaître les manœuvres de ses ennemis que pour le grand bien du peuple et la plus grande gloire de la religion.

—Parlez un peu moins de religion et de morale, lui répondit M. Daussant, et n’amollissez pas les cachets.


L’administration des postes a reçu l’ordre de fournir le nom des employés du cabinet noir. M. Roger n’est pas blanc.

*
* *

Lorsque toutes les maisons des jésuites seront à vendre, nous aurons une chambre à louer.

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* *

Quand M. Genoude imprime, ses presses gémissent.


ÉPIGRAMME.

Bon! Récam... guérir, c’est une gasconnade,
Il a l’esprit dévot, mais n’a pas l’esprit sain;
Et si Montrouge est si malade,
C’est qu’il l’a pris pour médecin.

COUPS DE LANCETTE.

M. Pantoufle vient de faire une chanson-circulaire sur l’air: Je suis libraire.

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* *

On conseille à M. Gen.... de ne plus imprimer; il s’affiche.

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* *

La congrégation va pendre la crémaillère plus loin; c’est chez nous qu’elle devrait être pendue.

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* *

M. Pantoufle, parce qu’il a imprimé quelques livres, veut qu’on l’élise.

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* *

Quand M. Pardessus discute une question de droit, il fait presque toujours une école.

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* *

Chacun dit: Où diable M. Pantoufle s’est-il fourré?

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Un honnête homme s’est fâché hier parce qu’on l’appelait préfet.

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* *

Quoi qu’en dise Sganarelle, il est évident que le cœur n’est pas à droite.

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* *

Il n’y a que deux académiciens qui aient pris M. de Pongerville pour Lucrèce.

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Extérieurement, M. de Martig... laisse maltraiter les préfets, mais il les caresse dans son intérieur.


Dimanche, 24 février 1828.

L’INFIRME

OU LA GAUCHE ET LA DROITE.

La gauche est pleine de vigueur, de force et d’adresse; elle écarte en se jouant tous les obstacles qu’on oppose à la marche du corps dont elle fait partie, et ce qu’on lui confie, elle le tient avec fermeté.

La droite se soulève avec peine: ses mouvements rétrogrades semblent indiquer qu’elle veut tout amener à elle, et cependant elle ne peut rien retenir; et à quelque emploi qu’on veuille la destiner, sa maladresse est telle qu’elle ne peut rien toucher sans briser ou salir.

La gauche, habituée aux plus rudes travaux, a la chaleur de la vie; la droite est glacée: c’est un membre paralysé.

L’infirme, persuadé qu’il fallait renoncer à compter sur la droite, a demandé à la gauche des moyens de subsistance, de fortune et de bonheur. Quant au membre paralysé, se contentant de le considérer comme un contre-poids nécessaire pour le maintenir en équilibre, il a remercié Dieu de ne pas le rendre impotent des deux mains.

Comme il est dans la nature des êtres inutiles de nuire pour se venger de leur nullité, la droite a contracté un tic insupportable qui la fait se jeter sur la gauche pour l’embarrasser dans ses travaux; cependant plus d’une fois elle s’est blessée en voulant arrêter le membre laborieux. Mais ces blessures ne sont pas de salutaires avertissements pour elle, la droite est privée de sensibilité.

Lorsque l’infirme veut méditer les pages du Contrat social, la gauche tourne les feuillets et la droite vient fermer le livre.

L’infirme a-t-il à réclamer contre l’arbitraire, la gauche l’aide à instruire la puissance inviolable, des méfaits du pouvoir violateur des lois; mais la droite, fidèle à son tic, vient répandre l’encrier sur le papier pour effacer les caractères.

Que la gauche cherche à corriger des arbres naissants des inclinaisons vicieuses, quand elle les étaye pour les redresser, la droite, par son mouvement, s’efforce de leur imprimer une pénible courbure.

Ces obstacles, que la droite oppose aux actions de la gauche, ont forcé celle-ci d’être prompte dans ses mouvements, de servir avec vivacité le corps du pauvre infirme, et d’édifier assez solidement pour que le tic de la droite ne puisse détruire son ouvrage.

Ainsi de ces deux mains, celle que la nature avait placée pour servir le corps, le nourrir, l’entretenir, veiller à ses besoins, n’est qu’un membre inutile qui absorbe une partie de la nourriture de l’infirme, sans rendre en travail ce qu’elle dérobe en substance au membre laborieux.

Les besoins de l’individu dont elle fait partie ont multiplié les facultés de la main gauche: elle est devenue forte et puissante pour que le corps ne pérît pas par la faiblesse et la nullité de sa sœur. La nécessité de neutraliser les mouvements nuisibles de la droite ont obligé la gauche à prendre une bonne direction, à frapper juste et à ne pas jouer avec le précieux dépôt qu’on a pu lui remettre.

On conclut, en voyant la différente destinée de ces deux mains, que la droite a besoin d’être enchaînée; qu’elle était créée pour le repos, puisqu’elle ne peut agir sans nuire au corps. Quant à la gauche, la liberté lui est nécessaire. Des étourdis ont pu donner autrefois à l’infirme le dangereux conseil de souffrir l’amputation d’un membre qu’il nourrit à rien faire; l’expérience, bien meilleur conseiller, lui a prouvé qu’on ne survivait pas toujours à une violente opération; et bien que presque toujours la droite ait contrarié les bons mouvements de la gauche, elle a servi aussi, en venant la frapper, à lui rappeler la ligne qu’elle doit suivre pour se maintenir ferme et vigoureuse dans le cas où elle croirait pouvoir ou faiblir, ou s’égarer.


COUPS DE LANCETTE.

M. de Curzay vient de mettre dans son jardin un petit comité directeur pour effrayer les moineaux.

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Le premier coup de cloche que donnera M. Royer-Collard annoncera l’enterrement des jésuites.


Lors de la vérification des pouvoirs, la validité de l’élection de M. Syryès de Mayrinhac fut vivement contestée; elle fut maintenue, bien que l’on acquit la preuve de la présence au scrutin de quarante faux électeurs.


M. Syrr. de Marinade pense qu’on a eu tort de ne pas appeler deux ou trois cents gendarmes, pour surveiller le scrutin.

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* *

A force de parler, M. de Labourd..... a manqué de voix.


Le 3 février, on procéda à l’élection du président de la Chambre. M. Royer-Collard fut élu. Il remplaçait au fauteuil l’éternel M. Ravez, qui ne se consola jamais de cet échec. La Chambre y gagnait un président impartial; mais l’opposition constitutionnelle y perdait son plus illustre orateur.


MM. Barthélemy et Méry vont supprimer ces vers de la Villéliade:

..... Ravez à l’œil de feu,
Eternel président, bardé d’un cordon bleu.

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* *

La Gazette est toute rouge, on dit que c’est un reste du sang de novembre.

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Le ministère ne paraîtra jamais plus habile que lorsqu’il sera tout à fait gauche.

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On a supprimé la madone de la Muette de Portici; est-ce que la morale défend qu’il y ait une vierge à l’Opéra?

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Si l’on chasse les mendiants, à quoi serviront les aumôniers?

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M. de Fouc... ne sait que répondre à la justice; il aimerait mieux l’empoigner.

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* *

M. de Fouc... pourrait bien être empoigné.

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M. Dud. vient de partir; il s’est dérobé lui-même à la reconnaissance de ses amis.

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M. de Fouc... ne saisit pas l’occasion aux cheveux, il l’empoigne.

En quittant la Préfecture de police, M. Delavau s’est ménagé une entrée dans les prisons.

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M. de Chabrol a obtenu le cordon bleu; un homme qui se noie s’accroche à tout.

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* *

La Quotidienne annonce que la Charte va être renversée en Portugal; quel dommage que ce ne soit pas en France, n’est-ce pas, bonne vieille?

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Dans la salle où don Miguel a prêté serment à la constitution, on remarquait un fort beau tableau; le sujet était: le Baiser de Judas.


Montant à la tribune, M. Syryès de Mayrinhac se servit du mot conséquent comme synonyme de considérable. A ce mot il dut sa célébrité. C’est lui qui avait dit: «L’agriculture produit trop.» On ne pouvait mettre de plus mauvais français au service d’une plus mauvaise cause. Ce mot conséquent fit pendant longtemps les délices de tous les journaux grands et petits.


M. Syryès de Mayrinhac n’est pas un orateur CONSÉQUENT.

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* *

Il y a longtemps que M. Mayrinhac fait des fautes de Français.

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Un illustre personnage vient d’inventer une nouvelle théorie du serment.

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* *

M. de Vaulchier a lu à la Chambre un discours écrit; cela prouve qu’il connaît toutes ses lettres.

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* *

Un écolier qui dirait: une somme conséquente serait renvoyé de tous les colléges.

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La Quotidienne fait, à son tour, l’apologie des fusillades de la rue Saint-Denis:

L’on revient toujours
A ses premiers amours.

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Demain, séance extraordinaire, cour des Fontaines. M. Syryès de Mayrinhac montrera sa langue.

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* *

Il paraît que don Miguel pense qu’il ne faut jurer de rien.

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* *

M. de Chabrol a défendu l’administration des jeux; il est vrai qu’elle va sur des roulettes.


«Avec la presse telle qu’elle est constituée, disait Charles X, nous ne pouvons jamais faire le bien.» De quel bien entendait parler le roi? La congrégation se chargeait de l’apprendre à ceux qui le demandaient. On n’arrivait au portefeuille qu’avec son projet de loi sur la presse en poche; M. de Martignac avait le sien. Le 14 avril, il fut déposé sur le bureau de l’Assemblée. La nouveau projet était presque entièrement emprunté aux amendements introduits par la Chambre des pairs dans le célèbre projet de loi de justice et d’amour de M. de Peyronnet. Libéral en apparence, il fut accueilli avec faveur. Plus tard, une lecture attentive y fit découvrir des précautions et des exigences qui diminuaient singulièrement les faveurs accordées.

Le nouveau projet rétablissait la liberté de publication et supprimait la censure facultative et les procès de tendance; mais un cautionnement considérable était imposé à tous les écrits périodiques, politiques ou non. Il était fixé à 10,000 fr. de rentes pour les journaux quotidiens.

Cette mesure devait tuer nombre de journaux littéraires. Elle contribua au succès du Figaro, assez riche pour déposer le cautionnement demandé.

Cette loi fut adoptée le 14 juillet, après cinq jours de discussion, à la majorité de 139 voix contre 71.


En lisant le projet de loi sur les journaux, M. de Peyronnet a retrouvé quelques souvenirs de ses premières amours.

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* *

En lisant le projet de loi de M. de Portalis, M. de Peyronnet a cru qu’il nous faisait encore la loi.

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Le gouvernement portugais veut faire un emprunt au gouvernement espagnol; ce sont deux mendiants qui changeront de besace.

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M. de Portalis a voulu attendre le retour des fleurs pour nous dépouiller de nos feuilles.

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Les grands journaux n’osent pas défendre les journaux littéraires; ils sont politiques.

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Quand nous écrirons un secret à quelqu’un, nous ne confierons pas la lettre à M. de Puymaurin.

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MM. les employés du cabinet noir ont fait fortune, si on les a payés au cachet.

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Quand on veut mettre une lettre à la poste, on regarde si M. Marcassus n’est pas là.

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M. Genoude veut qu’on ferme tous les théâtres, pour jouer tout seul la comédie.

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Les odalisques se font préparer des robes à la russe.

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Les jésuites ne veulent pas que M. de Chateaubriand soit envoyé à Rome, ils craignent le génie du christianisme.

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La loi d’amour et celle de M. de Portalis viennent d’être mises en rapport; à l’avenir, on ne pourra point avoir d’esprit à moins de deux cent mille francs.

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La loi de la presse est une terrible personnalité contre le ministère.


INFAMIE DE LA GAZETTE.

Voici l’article qu’on lisait hier dans la Gazette:

«Nous savions depuis plusieurs mois que l’administration qui a dans ses attributions la censure des pièces de théâtre, avait ouvert la scène aux passions révolutionnaires et livré les principes et les idées monarchiques aux grossières insultes d’un public égaré par l’esprit de faction. Nous savions que, dans nos grands théâtres, on avait permis des ouvrages corrupteurs où la morale n’est pas moins outragée que les gouvernements; qu’on avait autorisé, dans des pièces nouvelles, des allusions qui flattaient les préventions que le journalisme a proposées, qui fortifiaient les calomnies qu’il a répandues; nous savions que dans les petits spectacles on avait vu Odry, chamarré d’ordres étrangers, parodier une réception de commandeur, et Brunet fouler aux pieds un grand cordon auquel il ne manquait que la couleur pour rappeler les insignes des plus hauts dignitaires de l’État; nous savions que tous les lazzis, toutes les farces ignobles des tréteaux de nos boulevards, étaient dirigés contre les distinctions sociales, contre les idées d’ordre et de pouvoir, contre la religion, attaquée comme autrefois sous le nom d’hypocrisie; nous savions enfin que le ministre qui dirige la censure des théâtres avait permis qu’on insultât un de ses prédécesseurs, non-seulement par des allusions indirectes, mais par des couplets grossièrement injurieux[7]; mais nous ne savions pas qu’on aurait porté l’oubli de tous les devoirs jusqu’à ouvrir aux allusions insolentes des pamphlétaires et des spectateurs des boulevards, un sanctuaire où ne doivent pénétrer que nos hommages, nos respects, nos sentiments d’amour et de reconnaissance; un sanctuaire que tous les membres de l’administration, depuis le ministre jusqu’au dernier employé, doivent défendre contre les hardiesses impies de l’esprit de faction.

«Ce n’est pas sans une profonde indignation que nous avons vu dans un journal intitulé: le Moniteur des théâtres, et qui donne le programme de tous les spectacles du jour, l’annonce suivante d’une pièce qu’on joue tous les soirs aux Variétés:

LES IMMORTELS

Revue mêlée de couplets

PERSONNAGES.

Sempiternel (le roi) MM. Brunet.
Déficit, son ministre Odry.

«Nous ne connaissons point cette pièce; mais le journal qui publie ce programme est sous nos yeux. Comment un pareil ouvrage a-t-il été autorisé? Où sommes-nous? Où nous conduit-on?

«Vile prostituée du dernier pouvoir, on voit que la Gazette, dans une dernière saturnale, insulte de la manière la plus révoltante la personne sacrée du roi. Jusques à quand, monsieur Genoude, aurons-nous à essuyer vos lâches et odieuses calomnies? Écrivain dégradé, sorti de la fange et que la fange réclame encore un instant, pulvis es et in pulverem reverteris


COUPS DE LANCETTE.

On parle d’une partie de quatre coins entre la Russie, la Turquie, l’Angleterre et la France; on devine quel sera le rôle de l’Autriche.

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* *

Nos ministres sont très-embarrassés, relativement à l’Angleterre.

*
* *

Le Grand Turc s’amuse à fumer en chantant:

Tu ne l’auras pas,
Nicolas.

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* *

On trouve que M. de Martignac a déjà un air bien déplorable.

*
* *

Mahmoud maigrit, on ne lui voit plus que les os, il voudrait bien reprendre sa Grèce.

*
* *

M. de Martignac a été vaincu par un habile adversaire, c’est Constant.


Samedi, 24 mai 1828.

COUP DE CISEAUX.

C’est par respect, sans doute, pour l’éloquence parlementaire que les comédiens français suppriment maintenant, dans les Deux cousines, une partie de la scène où, Laure conseillant à sa mère de quitter l’état de marchande, madame Dupré lui répond:

Donner congé
Dès aujourd’hui! pendant l’absence de ton père!...
Cela ne se peut pas, vois-tu? c’est une affaire...
Beaucoup trop conséquente, et vraiment je craindrais...
LAURE (à part).
Conséquente! Ah! grand Dieu!
(S’approchant de sa mère.)
Cela n’est pas rançais,
Ma mère, dites donc une affaire importante.

A la bonne heure! mais on prétend que madame Dupré va poursuivre l’honorable membre en restitution.


MŒURS DU TEMPS.

SOCIÉTÉ ACTUELLE DE LA COUR.

«.... Tout est grave aux Tuileries en présence des vertus qui en ferment l’accès à la frivolité. Cinq ou six dames, douze à quinze ducs, se font remarquer dans le salon. Les convenances n’y permettent pas les entretiens dont la politique serait l’objet. On n’y traite pas de questions scientifiques; la littérature ne leur est guère préférée. Des paroles affectueuses, quelques compliments, des anecdotes qu’amène naturellement le spectacle d’une ville telle que Paris, conduisent cette imposante assemblée jusqu’au moment où l’horloge donne le signal du départ en sonnant onze heures.

«Au milieu de cette pièce, le roi joue au whist. Sa vieillesse ne lui a fait perdre ni cette politesse exquise que la cour admira toujours en lui, ni ce caractère aimable et facile, qui lui a conservé les mêmes liaisons dans les différentes vicissitudes d’une vie fort agitée.

«Semblable à la duchesse de Bourgogne, qui aimait à bannir de la cour du grand roi le sérieux que les querelles dogmatiques y répandaient, la sémillante duchesse de Berry voudrait communiquer un peu de sa gaîté à cette réunion parfois monotone.

«Cette petite société qui se réunit chaque soir chez le roi, et lui offre l’élite de la fidélité, compose maintenant la cour. Toute la noblesse française brillait autrefois à Versailles; mais les motifs de radiation sous le Directoire, mais la soumission au Consulat, mais l’encens prodigué au chef de l’Empire, n’ont laissé qu’à un très-petit nombre de persévérants dans la carrière de la légitimité, le droit d’approcher journellement de Charles X.

«Un publiciste anglais attribue la solitude du palais des Tuileries à la profonde piété des membres actuels de la famille royale. Telle est, d’après ses observations, la cause qui a communiqué tant de gravité au plus auguste des cercles. Les plus nombreuses réunions se composent à peine d’une vingtaine d’individus, presque tous attachés par des bienfaits à la famille royale.

«Parmi les femmes qui ont l’honneur d’être invitées, trois ou quatre fois la semaine, au jeu du roi, quelques-unes se plaignent en rentrant chez elles de l’ennui qu’on éprouve au château; mais qu’elles réfléchissent, comme le dit très-bien la Revue britannique, à ce que deviendraient leurs propres salons, si les conversations y étaient circonscrites dans le cercle de la chasse et des petites chances d’une partie de cartes. Madame la duchesse d’Angoulême est la seule personne qui, de temps en temps, parle de politique. Comme elle lit les discours prononcés dans la Chambre des pairs, elle demande quelquefois à une des personnes présentes son avis sur tels ou tels discours de pairs libéraux. Par une basse condescendance pour les opinions qu’on lui suppose, on se plaît à lui répondre: Le discours est mauvais; cette princesse ne se montre pas sensible à ce genre de flatterie, elle répond assez ordinairement: Vous vous trompez, Monsieur, le discours est très-bon.

«Aux Tuileries, comme dans toutes les cours, ceux qui pensent le moins bien, ou qui affectent de penser le plus mal, sont les courtisans. Il n’y a que l’humeur facile et la bonne grâce de Charles X qui puissent tempérer un peu la gravité de ces cercles.

«On ne s’adressait point à Napoléon sans l’appeler Votre Majesté; Louis XVIII pensa que cette qualification avait été profanée: l’étiquette prescrivit dès lors de parler au roi à la troisième personne. Cet usage s’est maintenu sous son successeur; et, pour répondre à Charles X, on s’exprime ainsi: Le roi me faisait l’honneur de me dire, etc.»


COUPS DE LANCETTE.

On trouve que M. de Martignac est bien sujet à caution.

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* *

Nicolas veut prouver qu’un petit Russe vaut bien un grand Turc.

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* *

Les odalisques ont promis de n’avoir pas peur des Cosaques.

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EXTRAIT DE LA SÉANCE D’HIER.—M. de Laboulaye: Messieurs, les bonnes lois restent et les mauvais ministres passent.

Voix à gauche: Les mauvais ministres ne passent déjà pas si vite.

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* *

M. de Martignac veut qu’à l’avenir les gens de lettres soient des moutons; il n’aime que les épigrammes d’agneau.

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* *

Les ministres ne sont pas comme les jours, ils se suivent et se ressemblent.

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* *

M. de Peyronnet va faire, enfin, connaissance avec la justice[8].

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* *

Dans la dernière édition d’Horace, imprimée à Constantinople, on a supprimé l’ode:

O rus, quando te aspiciam...

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* *

Séminaire vient de semen; cela signifie mauvaise graine.

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Une foule d’évêques arrivent depuis quelques jours par le chemin de la révolte.

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* *

La congrégation est furieuse depuis qu’un auguste personnage a dit: «Mes amis, plus de jésuites.»

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Le maréchal S.... commence à juger prudent de souffler son cierge.

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* *

Les évêques jouent gros jeu; ils pourraient bien perdre leurs bénéfices.


Samedi, 14 juin 1828.

CHRONIQUE DE L’AN......

COUPS DE LANCETTE.

Les ministres se plaignent de la Chambre; ils eussent préféré des injures à de mauvais traitements.

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* *

Quoi qu’en ait dit avant-hier M. de Vaulchier, il vaut encore mieux mettre des effets au Mont-de-Piété qu’à la poste.


Mardi, 22 juillet 1828.

FIGARO SANS LANCETTE.

On ne l’a pas désarmé...

Mais, en vérité, je vous le demande, est-il bien généreux à lui de piquer de pauvres diables qui sont par terre?

Vous croyez donc que les méchants, les intrigants, les insolents et tant de sottes gens sur lesquels vous frappez si fort, sont guéris du besoin de faire le mal, de la soif de l’ambition, de la mauvaise habitude d’insulter à ce qu’ils ne peuvent détruire?

Eh! non, mille fois non. Je crois mon pays tout aussi peuplé de sots et d’hommes à conscience élastique qu’il l’était naguère; mais quand ces derniers ne trouvent pas chaland pour leur marchandise, et que les autres n’ont plus l’espoir d’être estimés au-dessus de leur propre valeur, c’est-à-dire quand tout ce qu’il y a de bas, de vil et de nul est à peu près réduit à rien, Figaro, qui se sent du courage, mais non pas un mauvais cœur, fait rentrer sa lancette dans sa bourse de vétérinaire, en attendant le jour où ses victimes relèveront la tête comme pour lui demander encore quelque piqûre.

Et voilà Figaro qui va cesser d’être piquant.

Vous pourriez trouver le jeu de mots joli, s’il venait de vous; mais, moi, je vous le donne pour détestable. J’aurais voulu trouver quelque autre expression qui rendît mieux votre pensée, afin de vous priver du calembour: il est fait; pardonnez-le-moi, et je poursuis.

Quand nous étions sans cesse en butte aux petites vengeances d’une administration ridiculement tyrannique, il y avait peut-être quelque peu d’honneur à frapper les vainqueurs avec les chaînes qu’ils nous donnaient eux-mêmes; peut-être n’était-il pas non plus trop indigne d’un caractère estimable de faire mourir la censure du mépris que, grâce à nous, elle s’inspirait à elle-même. Mais où est cette déplorable administration? De combien il faudrait regarder au-dessous de soi pour apercevoir ce qui reste de cette censure! Il est beau de se mesurer contre des forces supérieures, il est honorable même d’être vaincu après une résistance vigoureuse; mais à quoi bon de combattre des moulins à vent au repos! Le héros de la Manche attendait que les ailes tournassent afin de les pourfendre.

Ainsi, c’est chose convenue, nous vous laisserons en repos, pauvres diables encore tout saignants des blessures que vous vous attirâtes! Et, tournant nos regards vers les théâtres qui tombent, vers la littérature qui languit, nous ne piquerons plus que pour exciter de jeunes talents à entrer dans la bonne route, que pour faire sortir de leur long sommeil des auteurs endormis sur leurs lauriers.

Mais vous, que votre défaite met à l’abri de nos coups, songez que nous ne laisserons pas rouiller l’arme qui vous effraya tant de fois; c’est fraîchement aiguisée que nous la remettons en poche. Mais Figaro, toujours fidèle à sa mission, veillera sur vos faits et gestes, et souvenez-vous qu’il est prêt à se remettre seul en campagne dès qu’il vous reverra, en tête de nouvelles troupes, prêts à faire le siége de nos libertés.

Figaro, bon ennemi, épargne le sot ou le méchant à terre, le méprise à genoux, mais, debout, le frappe toujours.

*
* *

Pendant quelques semaines, en effet, Figaro s’abstient. Le ministère Martignac donnait alors des espérances. Mais bientôt les illusions s’évanouissent, et le barbier reprend sa lancette plus acérée que jamais.


Vendredi, 1er août 1828.

FIGARO A SES LECTEURS.

Trois jours après leur mort, les jésuites ressusciteront en la personne d’Escobar-Portalis. Qui croirait qu’en termes de droit six mois signifient quinze jours, et que ce seul délai soit accordé aux journaux pour fournir le cautionnement? C’est cependant ce qui résulte d’une ordonnance insérée avant-hier dans le Bulletin des Lois et hier dans la partie officielle du Moniteur. Figaro pourrait demander à la justice justice de la justice de M. le ministre de la justice: peut-être, ayant mille fois raison, ne lui donnerait-on pas cent fois tort; il préfère, et tous seront, je crois, de son avis, remplir les formalités dans l’espace de temps dévolu. Bien que le domaine de la politique lui soit désormais ouvert, il se bornera à graviter tant bien que mal dans son ancienne sphère, il ne changera rien à son format et aux conditions de la souscription.


Vendredi, 8 août 1828.

LE CAUTIONNEMENT VERSÉ.

LE COMTE, FIGARO.

Le comte. Tu as l’air soucieux, Figaro?
Figaro. J’ai sujet de l’être; lisez.
(Le comte lit.)

CERTIFICAT DE CAUTIONNEMENT DE JOURNAL

«Je, soussigné, maître des requêtes, directeur du contentieux des finances, remplissant les fonctions d’agent judiciaire du trésor royal, certifie que les propriétaires du journal intitulé: Figaro, publié à Paris, ont fourni dans mes mains, et en exécution de l’article 2 de la loi du 18 juillet 1828, un cautionnement de six mille francs de rente trois pour cent, inscrite au Grand-Livre de la dette publique.

«En foi de quoi j’ai délivré le présent certificat.

«Paris, le sept août 1828.

«Signé: Delaire

Eh bien! Figaro, bénis donc la providence ministérielle: un champ plus vaste se déroule devant tes pas; tu peux marcher dans ta force et dans ta liberté!

—Ma foi, Monseigneur, je ne dois pas être fier d’une patente de bavard politique qu’on me force d’acheter le pistolet sur la gorge.

—C’est un passeport pour aller à la fortune.

—Je n’aime pas qu’on vide mon escarcelle sous prétexte qu’elle n’est pas assez pleine. Plaisante spéculation que celle qui commence par me dévaliser pour m’enrichir!

—Plains-toi, je te conseille; te voilà arrivé de plein saut à l’émancipation de l’homme fait.

—Je n’avais pas besoin de permission pour m’émanciper.

—On t’ouvre le monde pensant.

—C’est pour tuer la plaisanterie qu’on a élargi la politique. La plaisanterie est une balle élastique qui rebondit sur toutes les intelligences; la politique spéculative, une nuée qui passe au-dessus de bien des têtes.

—Tu n’es jamais content. Tu criais que tu étais à l’étroit...

—Maintenant, je suis trop au large. Je veux un habit à ma taille. Le premier me blessait, celui-ci m’embarrasse; l’un m’ôtait tout mouvement, l’autre est capable de me faire tomber à chaque pas. Je suis forcé de faire la dépense du costume: mais du diable si je le mets.

—Te voilà donc traîné à la remorque du siècle, toi qui ne cessais de crier: En avant!

—Sans doute, mais chacun à son poste. Pendant que les gros faiseurs, les aristocrates du journalisme, s’amuseront royalement à courre le cerf, j’attendrai les lièvres au trébuchet: cela convient mieux à ma paresse et à mon génie.

—Mais, sot que tu es, on t’a délivré ton port d’armes; il faut en user.

—C’est parce qu’on m’y invite que je m’y refuse; je crains les ministres, même quand ils nous font des présents.

—Où vois-tu le piége?

—Dans la livrée de penseur que l’on me jette. C’est un guet-apens! J’amusais; on veut me rendre ennuyeux. On me fait la courte échelle pour que je sorte de mon piédestal. Le mauvais plaisant fait plus de blessures mortelles que le grave dissertateur. On ne veut que m’interdire cauteleusement la verve du premier rôle, en m’offrant la gloire du second. C’est une défense indirecte, une flatterie jésuitique pour me donner de l’amour-propre et changer mon allure d’étourdi en manière de pédagogue. On veut discréditer la malice en permettant le génie.

Figaro faire fi du génie! Voilà du neuf! c’est battre sa nourrice et renier son père!

—Eh! mon Dieu, j’ai de l’amour-propre! Cela n’est pas permis à tout le monde: d’accord; mais j’ai aussi du bon sens: la main habituée à effleurer l’épiderme avec la lancette sera gauche pour manier la massue. Je piquais, j’estropierai: c’est ce qu’on demande; on veut que j’assomme l’abonné au lieu de lui donner le spectacle de l’acuponcture ministérielle.

—Que feras-tu donc?

—Ce que j’ai déjà fait. Je reste au poste que l’on me veut faire déserter, sous prétexte de paix générale, et de là je continue la guerre à coups d’épingle contre ceux qui ne m’ont permis de les peindre à la tribune que pour que je ne fisse pas leur caricature en robe de chambre.

—Mais tu es un être inexplicable: on te ferme les portes du salon, tu les brises; on te les ouvre, tu recules.

—Je préfère l’escalier dérobé. J’aime la liberté, mais en contrebande; j’ai droit à la récolte, mais je veux lui conserver l’apparence du fruit défendu. Je suis fils d’Ève.

—Et le plus obstiné de tous.

—Je puis moissonner dans le ridicule, et vous voulez que j’aille glaner dans les turpitudes!

—Ainsi, tu dédaignes les hautes destinées auxquelles tu pouvais atteindre?

—Je persiste à croire qu’on veut décréditer la plaisanterie, tuer l’épigramme: je veux les faire fleurir l’une et l’autre, en dépit de tout; et, à ce propos, sachez que Bazile m’a révélé le secret de la confession. Ma mère lui a dit: «Ah! qu’on a mal fait de ne pas défendre l’infidélité sous peine de mort; ce serait alors la plus douce chose du monde.»

ÉPIGRAMME SUR LES JÉSUITES.

A L’OCCASION DE L’ORDONNANCE QUI LEUR PRESCRIT UNIQUEMENT DE DÉCLARER
QU’ILS N’APPARTIENNENT A AUCUNE SOCIÉTÉ POSSIBLE EN FRANCE.

Les descendants de Loyola,
A Rome, contre nous avaient porté leurs plaintes.
Un saint homme d’abord est touché de leurs craintes,
Mais bientôt à leurs cris sa voix met le holà:
—Quoi! leur dit-il, vous fuyez les poursuites
De ces Français qu’un mot fléchirait aisément!
Lâches!... vous reculez devant un faux serment?
Vous n’êtes point de vrais jésuites.

COUP DE LANCETTE.

M. de Martignac avait promis de semer de fleurs le chemin des gens de lettres, il s’est contenté de donner une giroflée à cinq feuilles.


LA FEUILLE MORTE.

De ta presse démanchée,
Pauvre feuille détachée,
Où vas-tu?—Je n’en sais rien.
L’ordonnance paternelle
A brisé la loi cruelle
Qui me servait de soutien.
Mon gérant, qui perd haleine,
Sans espoir en son placet,
Depuis ce jour me promène,
De la police au domaine,
Et du trésor au parquet.
Je vais où vont en silence
La Gazette de Franchet,
Les couplets d’une excellence
Et les feuilles du budget.

TABLETTES D’UN FLANEUR.

En vertu de quelle loi les apothicaires aveuglent-ils les passants au moyen de leurs verres de couleurs?

La police, qui veille à ce que les marchands n’encombrent pas la voie publique, ne pourrait-elle leur défendre de gêner la circulation par des tentes trop basses?

L’administration des contributions indirectes ne peut-elle se dispenser de faire vendre son tabac par des épiciers, et d’obliger les honnêtes gens, priseurs ou fumeurs, à lutter périodiquement contre les cuisinières et les paquets de chandelles?

On demande si les gardiens du jardin des Tuileries sont des militaires en livrée ou des valets en uniforme.


ÉPIGRAMMES.

Comme un héros, le mouchard a ses gloires.
Monsieur Vidocq, de lui-même content,
Ose publier ses mémoires.
Franchet et Delavau n’en feraient pas autant.

*
* *

Dites-nous donc, chevaliers d’industrie,
Qui marchez le front haut, plus fier que le sultan,
Combien fait-on d’honneur, de talent, de génie,
Avec une aune de ruban?

*
* *

Malgré les feux de la saison,
A l’Ambigu, qui ne récolte guère,
Nous promettons une heureuse moisson:
L’herbe, déjà, pousse dans son parterre.

COUPS DE LANCETTE.

Un poète de circonstance a composé des couplets en l’honneur du ministère sur l’air des Trembleurs.

*
* *

«Vous avez fait beaucoup de mal dans un département, monsieur le préfet, eh bien! allez dans un autre.» C’est agréable pour l’autre.


ADIEUX AUX JÉSUITES.

Colporteurs de faux oremus,
Martyrs au nez croche ou camus,
Vos soupirs, vos clamabimus
Et le fameux non possumus,
Qu’on traduit par non volumus,
Ne nous ont pas beaucoup émus.
Quand vous nous dites: eximus,
Nous répondons: exaudimus.
C’est de l’ex fulgure fumus
Moritur ridiculus mus.

La Restauration, qui avait pris à tâche de faire la popularité de tous ses adversaires, n’avait garde d’oublier Béranger. Les précédents procès du chansonnier avaient été autant de triomphes pour l’opposition; peu importe, on lui en intenta un nouveau. Et pourquoi? Pour la chanson de l’Ange gardien. Toute la culpabilité reposait sur une interprétation. Il est vrai qu’on lui reprochait aussi le Sacre de Charles le Simple, les Infiniment petits et la Gérontocratie.

M. de Champanhet, avocat du roi, prononça le réquisitoire.

En dépit de la courageuse éloquence de son défenseur, Me Barthe, Béranger fut condamné à neuf mois de prison et à dix mille francs d’amende.

Cette condamnation si sévère ne satisfit pas pourtant le parti ultra-monarchique, qu’indignaient les ovations dont le poète était l’objet. Des souscriptions s’organisaient au grand jour pour payer les dix mille francs.

«Quelle folie! avait dit un grand seigneur, un petit écu d’amende et vingt ans de basse-fosse: voilà comment on devait punir ce rimailleur.»


Jeudi, 11 décembre 1828.

BÉRANGER CONDAMNÉ.

La scène est dans un café.

L’EX-VIDAME DE MONTMORILLON.

J’en arrive, mon cher ami, le félon sera puni.

L’EX-BAILLI D’ÉPÉE DE TOULOUSE.

Bah! ils ont osé? c’est, ma foi, bien heureux! Je croyais la magistrature corrompue par le ministère. Il paraît....

LE VIDAME.

Les bonnes doctrines reprennent leur empire; les journaux officiels crient contre le citoyen Marchais, secrétaire du club, dont les faits ont renversé notre pauvre Villèle; nos meilleurs préfets restent, et le jacobin de Béranger est condamné.

LE BAILLI.

A la bonne heure donc! Le ciel nous devait cette joie... Garçon! du café... Et à quoi l’ont-ils condamné? A rien, je parie; ils sont si mous. Ils ont peur des journaux.

LE VIDAME.

Ils n’ont pas voulu encourir le blâme des honnêtes gens, et Béranger en a pour neuf mois.

LE BAILLI.

Neuf mois de prison! quel bonheur! Garçon! un verre d’eau-de-vie... De l’amende, point?

LE VIDAME.

Si fait: dix mille francs.

LE BAILLI.

Pas plus? Ce n’est guère, vraiment. Le comité directeur va payer ça tout de suite. J’aurais voulu qu’on le condamnât à dix millions; ça aurait fait un fonds pour l’indemnité du clergé: mon frère a gros à y prétendre pour son abbaye de Fourmontiers. Ce cher abbé, il est bien malheureux! Je suis sûr qu’il n’a pas, avec sa place à la cour, ses brochures et son canonicat, quinze mille huit cents livres par an.

LE VIDAME.

Patience, mon ami, le temps fera justice de toutes ces infâmies.

LE BAILLI.

Ah çà, vous étiez donc au tribunal?

LE VIDAME.

Certainement, j’avais un billet parce que, voyez-vous, on donne des billets pour la police correctionnelle, comme pour le spectacle de la cour et pour la messe du château. Un de mes amis avait eu un laisser-passer du parquet par son cousin, qui est allié par les femmes au père Chonchon.

Il y avait foule, mon cher. A huit heures, toutes les places étaient prises, et je n’ai pu entrer que parce que je connais un gendarme, fils d’un de mes anciens vassaux, et que j’ai trouvé par hasard chez Franchet la veille des affaires de la rue Saint-Denis. Il m’a fait asseoir à côté d’une dame libérale, espèce de femme de sans-culotte; fort jolie, ma foi, mise comme une duchesse, mais qui m’a indigné pendant neuf heures d’horloge par des propos d’une atrocité révoltante.

LE BAILLI.

Et quelle espèce de monde y avait-il?

LE VIDAME.

Que sais-je? Des gens de rien; des libéraux de toutes les nuances: chartistes, orléanistes, bonapartistes, républicains. Je suis bien sûr que j’étais le seul miguéliste. Ah! si fait, il y en avait un autre, et qui parle jôliment, sur ma parole!

LE BAILLI.

Avez-vous reconnu quelques-uns de ces damnés de libéraux?

LE VIDAME.

Par exemple! est-ce que je connais ces gens-là? La dame ma voisine les a nommés, et je crois qu’elle a désigné le chef des jacobins, Laffitte. C’est l’ami, le patron, l’hôte de Béranger!..... Après lui, elle a dit: Sebastiani, Manuel...

LE BAILLI.

Manuel! L’enfer était donc de la partie?—Vous avez vu Béranger?

LE VIDAME.

Parbleu! Il est arrivé à neuf heures environ, suivi d’un avocat au parlement... je veux dire à la cour royale, je m’y trompe toujours. Quand il est entré, tout le monde s’est levé, excepté moi, bien entendu. Il s’est assis au banc des avocats, tous près de moi, le scélérat! Il a la figure bien trompeuse. Imaginez-vous que cet enragé a l’air d’un très-honnête homme; son regard, que je croyais féroce, est doux; ses yeux, faibles et assez spirituels, sont cachés derrière de larges verres de lunettes; il est tout à fait chauve; son sourire n’a pas cette grimace diabolique que je lui supposais. J’ai cherché dans son accoutrement quelque chose qui me dénonçât le mauvais sujet; eh bien, mon ami, rien du tout: il est mis comme vous et moi quand nous allons dîner à Ville-d’Avray ou dans la rue de Monsieur.

LE BAILLI.

Et quelle contenance avait-il?

LE VIDAME.

Il riait décemment en parlant à ses amis; c’est pour tout dire un criminel d’assez bonne compagnie. A onze heures, Messieurs sont venus en robe, et l’audience a été ouverte. M. Champanhet, avocat du Roi, a pris alors la parole. Je me rappelle heureusement très-bien l’éloquence de M. Champanhet, et je m’en vais vous l’analyser. D’abord, il a commencé par faire l’éloge de M. de Marchangy, qui fit, il y a sept ans, de si belles phrases contre Béranger. Cet exorde m’a vivement touché, et il m’a paru très-adroit. C’était justement comme si l’orateur avait dit: «Marchangy l’illustre, le grand Marchangy, interprétait et faisait condamner le chansonnier. J’interpréterai aussi et j’espère faire condamner le chansonnier. Ensuite, M. Champanhet a lu des chansons que je n’étais pas fâché d’entendre, car je n’ai pas pu me les procurer: Beaudoin les vend si cher! Bref, les horribles chansons m’ont fort amusé. L’avocat du Roi en a fait ressortir toute la monstruosité avec un rare talent. Pour le Sacre de Charles le Simple, par exemple, il a dit une chose infiniment ingénieuse; la voici à peu près: «Comme l’histoire est muette sur le couronnement de Charles III, c’est un délit de faire une chanson à ce sujet, et c’est évidemment une fiction coupable de rechercher dans nos annales le souvenir d’un roi faible et malheureux.» Quand l’avocat a eu foudroyé le sacre, il est passé à la Gérontocratie, et là j’ai été très-satisfait. L’insolent libelliste, dont les poésies sont laides, comme l’a déclaré l’orateur, a osé dans cette chanson dire que tout n’est pas bien en France maintenant, et que nous autres gens d’autrefois, nous sommes trop vieux pour gouverner une nation jeune. J’ai trouvé que le discours de Me Barthe était d’une platitude insupportable; les jacobins l’ont trouvé très-beau; on a applaudi; mais, mon cher, c’est une pitié que de l’éloquence de cette sorte. Ce n’est pas que Barthe manque absolument de talent, mais sa cause était si mauvaise! Les juges le lui ont fait bien voir; c’était une chose si simple et qui souffrait si peu de difficulté, qu’après une grande heure de délibération, ils ont condamné, comme je vous ai dit, Béranger à l’amende, à la prison. Il n’a pas paru triste du tout de cette flétrissure.

LE BAILLI.

Une chose que j’eusse voulue, c’est que la cour eût condamné Béranger à ne plus faire de chansons sous peine de la Bastille.

LE VIDAME.

Mais la Bastille...

LE BAILLI.

C’est parbleu vrai, ils nous l’ont abattue. Eh bien, sous peine d’être enfermé dans un couvent.

LE VIDAME.

On ne le peut plus; car, si la chose eût été possible, ce pauvre M. Contrafatto y aurait été conduit sans doute. Il n’y a plus de lettres de cachet; il y a la prison pour Béranger, Cauchois-Lemaire et les autres.

LE BAILLI.

Pourvu que le rimeur n’obtienne pas l’incarcération dans une maison de santé.

LE VIDAME.

Il n’y a pas de danger; Tivoli n’est que pour M. de Martainville.


COUP DE LANCETTE.

La prison, c’est le refrain que le ministère public ajoute à toutes les chansons de Béranger.


Dimanche, 28 décembre 1828.

SOUSCRIPTION BÉRANGER.

Béranger vient d’être écroué à la Force. Si tous les admirateurs de son génie, tous les appréciateurs de son caractère pouvaient se partager la durée de sa peine, sa captivité ne serait pas longue; puisqu’il n’en peut être ainsi, que du moins il soit permis de donner à ce poète national et populaire une preuve de l’amitié qu’on lui porte. Le public aimait à se persuader que ce n’était pas sur la modique fortune du chansonnier que pesait cette énorme condamnation pécuniaire de dix mille francs, si nouvelle dans les fastes judiciaires et si peu d’accord avec nos mœurs. Cette illusion doit cesser. Béranger n’a jamais consenti à ce qu’un libraire, en se rendant responsable de ses œuvres, acquît le droit d’en permettre ou d’en empêcher la publication. Cette circonstance, déjà révélée dans le débat, se trouve pleinement confirmée; il faut donc pourvoir au paiement de cette amende. Qui ne sera heureux de concourir à une souscription dont le but est de conserver à notre poète la modeste indépendance acquise par ses travaux.

On ne doit pas se méprendre sur le caractère de cette souscription: elle n’est point une protestation contre le jugement; non qu’on puisse contester au public le droit de s’élever contre des jugements qu’il n’approuve pas, mais il ne convient pas aux amis de Béranger de faire ce que Béranger n’a pas fait lui-même; ils doivent se résigner comme lui. L’acte auquel nous proposons au public de s’associer est un témoignage d’intérêt à l’homme, un hommage au poète que nous n’avons pu lire sans l’aimer. Notre appel sera entendu de toutes les classes de la société, et surtout de celle pour laquelle Béranger a toujours éprouvé une si vive sympathie, et dont il a si bien chanté les travaux, les peines et les sentiments patriotiques.

Les souscriptions seront reçues au bureau de ce journal, et le montant sera versé chez M. J. Laffitte et chez M. Bérard, membres de la Chambre des députés, chargés de les remettre à destination.


ÉTRENNES DE NICOLAS.

Nicolas fait la guerre en conscience,
Il voudrait, pour son jour de l’an,
Prendre Constantinople en dépit du sultan.
Il fera bien, d’abord, de prendre... patience.

COUPS DE LANCETTE.

M. Cousin disait dans une de ses dernières leçons:

Les trois quarts des choses que je dis sont absurdes.

Beaucoup de gens partagent l’opinion de M. Cousin pour l’autre quart.

*
* *

Tant que la France aura son budget et ses jésuites, ce sera perdre son temps que de lui souhaiter une bonne année.


1829

«L’année 1829 s’ouvrait sous les plus favorables auspices. Le calme succédait, dans les esprits, à l’agitation; les classes moyennes, avides de repos, accueillaient avec confiance la perspective d’une situation exempte des inquiétudes qui troublaient, depuis trois ans, la sécurité de leurs intérêts moraux ou le développement de leurs intérêts matériels; les membres de l’opposition eux-mêmes, pris dans leur généralité, tendaient à se rapprocher de la royauté légitime[9]

C’est un moment unique dans l’histoire de la Restauration; les passions se taisent, les rancunes semblent oubliées: c’est comme une amnistie vraie et générale.

Cette situation, on la devait au ministère Martignac, à ses efforts, à ses déclarations, aux gages qu’il venait de donner, aux garanties consenties pour l’avenir. On lui tenait compte de la sincérité des élections, de la liberté de la presse.

L’horizon politique se dorait des plus décevantes espérances. Mais ce fut une courte trêve. Charles X supportait avec impatience le cabinet Martignac; il disait volontiers à ses favoris que de tels ministres compromettaient la dignité de la couronne. Bientôt, il voulut les contraindre à revenir sur toutes les concessions, à retirer une à une les garanties données. Ainsi il dépopularisa un ministère populaire, ainsi il lui enleva la majorité à la Chambre. Déjà cependant il avait d’autres projets, il songeait à d’autres hommes. Les ministres le comprenaient. «Nous ne sommes, disaient-ils, qu’un cabinet de transition.» Ils savaient bien le nom des hommes sur lesquels le roi avait jeté les yeux. Ils devaient être le trait d’union entre le ministère déplorable et le ministère incroyable.

Le ministère incroyable devait être présidé par M. de Polignac. C’est au descendant de la favorite de Marie-Antoinette que Charles X allait confier la destinée de la royauté légitime. Ce choix, connu dans le public, soulevait l’opinion, ce nom de Polignac semblait gros de catastrophes. Aussi, jusqu’au jour où le cabinet incroyable sera officiellement constitué, allons-nous voir le Figaro attaquer de toutes les forces de son esprit l’homme et ses tendances.


1er janvier 1829.

LES VŒUX.

..... Pourquoi donc te faire des vœux à toi-même, Figaro? le monde, plus que jamais, n’est-il pas de ton domaine exclusif; plus que jamais, n’est-il pas rempli de charlatans? regarde! Les charlatans tout partout, à la tribune, au barreau, au théâtre; à la Sorbonne, surtout: les uns vendent de la constitution, les autres du despotisme; celui-ci de la modération, celui-là du matérialisme; son voisin, de la philosophie et de l’éclectisme.

Cependant, voilà mes souhaits de bonne année:

Qu’il y ait toujours en France un Opéra, des fermiers de jeu, des faiseurs de vers, des maîtres de philosophie et de méchants comédiens;

Que M. Sosthène se maintienne aux Beaux-Arts; M. de Vaulchier, aux Douanes; M. Marcassus de Puymaurin, à la Monnaie; M. Amy, au Conseil d’Etat;

Qu’il se trouve toujours en France quelques milliers de bonnes âmes bien patientes et assez peu difficiles pour se contenter chaque jour d’un journal comme le mien.


ENQUÊTE.

Le ministère du commerce
Des contes bleus dont il nous berce,
Pour son honneur, fait grand fracas;
Mais le crédit public s’altère,
Et nous faisons fort peu de cas
Du commerce du ministère.

BIGARRURES.

M. de Pourceaugnac, futur président du conseil, est arrivé hier soir de Limoges.

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Quel moyen va-t-on employer pour guérir les maux de la France? M. de Villèle usait de la saignée, M. de Mart..... penche pour la diète; on pense que M. de Pourceaugnac sera pour les douches, car il a toujours peur des apothicaires.


COUPS DE LANCETTE.

Si l’on ajourne indéfiniment les Chambres, nos députés pourront passer leur temps au jeu de paume.

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La Congrégation a essayé plusieurs fois de faire endosser à M. de Polignac un habit de ministre, mais M. de Polignac n’a encore pu passer que la Manche.

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Il paraît qu’un ambassadeur en Angleterre est un homme qui va et vient[10].

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Encore une ou deux courses de Douvres à Calais, et M. de Polignac passera pour le véritable don Quichotte de la Manche.

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M. de Martignac espère que M. de Polignac le gardera à cause de la reine.

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M. de Polignac commence à s’apercevoir que le télégraphe le fait aller.

Mercredi 21 et jeudi 22 janvier 1829.

MONSIEUR DE POLIGNAC.

C’est le petit bonhomme du baromètre politique: dehors quand il fait beau, dedans au moment de l’orage; à Londres, quand le pouvoir est tant soit peu constitutionnel; à Paris, quand la France est menacée d’un envahissement jésuitique. On dirait un aide de camp de Wellington, traversant la Manche à tous les moments pour porter les ordres du généralissime des gouvernements rétrogrades.

Il va, vient, retourne, revient encore, comme ces coureurs d’héritages qui visitent tous les moribonds dont ils ne sont pas les parents, attendant que le hasard ou l’importunité leur vaille une succession. Tout ministre partant semble lui devoir son portefeuille, comme tout oiseau absent doit son nid au coucou.

Jusqu’à présent, ses vœux et ses courses furent trompés. Des amitiés pressantes, des affections de parti toutes paternelles, ne le purent élever jusqu’au ministère; cette fois, il paraît avoir plus de chances. On dit que Nos Excellences le rappellent elles-mêmes et qu’elles vont se le donner pour maître. Dieu! que ce sera plaisant! le joli combat! la drôle de lutte! M. de Polignac seul contre la nation! Seul? non pas; il aura avec lui, comme seconds dans cette passe d’armes, MM. Villèle et Peyronnet; pour hérauts, il aura MM. Portalis et Martignac; car ceux-ci, ils seront de tout ce qu’on voudra, excepté d’une administration libérale. Ils avaient la balle assez belle pourtant; mais ils ne l’ont pas su jouer et l’ont maladroitement lancée au côté droit, où M. de Polignac arrive assez à temps pour la prendre au bond.

M. de Polignac, son nom est dans toutes les bouches depuis trois jours; il doit se dire, comme le lièvre de La Fontaine:

Je suis donc un foudre de guerre!

Que de cris d’alarme parce qu’il monte! Eh! bonnes gens, il n’est pas encore en haut; et puis on descend si vite sur ce plan incliné, quand on est poussé par tout un peuple et qu’on ne trouve pour point de résistance qu’une coterie haïe et méprisée.

Les sacristains se réjouissent, on danse au noviciat de la rue de Sèvres, les neuvaines se multiplient; n’ayez pas peur. MM. Portalis et Martignac tomberont, c’est possible, c’est probable; ils pouvaient devenir populaires, ils ne l’ont pas voulu; mais que M. de Polignac les remplace, ce n’est pas sûr. Que ferait-il là? voyons! Il restituerait aux jésuites ce qu’ils ont perdu; or, qu’ont perdu les jésuites, sous les ministres actuels? rien du tout. M. de Portalis les aime trop pour leur avoir fait la moindre peine, et M. de Martignac aime trop le ministère pour ne s’être pas ménagé en secret, par des concessions, l’affection des bons pères. M. de Polignac voudra faire de la politique de dévote, mais on lui rira au nez. Les Chambres prendront cela comme une plaisanterie, et la plaisanterie tue; elle a tué M. de Villèle, plus fort que M. de Polignac. C’est une arme redoutable au moins, contre laquelle il n’y a que la raison; et dites-moi où sera la raison, c’est-à-dire la justice, le bon sens constitutionnel, si M. de Polignac est au ministère.

M. de Polignac n’aime pas la Charte, c’est un goût comme un autre. On peut être un excellent homme sans aimer la Charte, mais non un ministre passable dans un pays où elle est la loi d’où toutes les lois découlent. Le prince du pape refusa à la Chambre des pairs de prêter serment à la Charte; il était bien libre: on ne peut contraindre un fiancé, malgré lui, à jurer fidélité à la femme qu’il déteste; mais alors le fiancé n’épouse pas, et M. de Polignac est pair, et il veut toujours être ministre!

Cela ne peut guère s’arranger. Il fera mauvais ménage et ne prendra la Charte que pour la répudier. La malheureuse! elle a été assez maltraitée déjà par M. Decaze et par M. de Villèle; ils lui ont fait toutes sortes d’avanies, ni plus ni moins que si elle eût été roturière. M. de Polignac ira plus loin encore, il la fera reléguer au sceau des titres, comme le sultan met dans un sérail particulier la sultane Validé.

Et vous croyez que cela durera? On l’a dit à M. de Portalis, et il l’a cru, parce qu’il est facile à tout croire; on l’a dit à M. de Martignac, qui ne l’a pas cru, lui, parce qu’il est fin; mais il a duré autant que le ministère Laferronnays, il durera autant que le ministère nouveau. Dans un ministère en gnac, il est légitime; il y entrera. Qu’est-ce que cela peut lui faire? Il n’est pas compromis par ses actes; les préfets sont ceux de M. de Villèle, la loi de la presse celle de M. de Peyronnet, la censure dramatique celle de M. de Corbière; il a fait quelques promesses, il les expliquera dans le sens du pouvoir absolu; pas si franchement pourtant qu’il ne les puisse bien retourner aux idées libérales, parce qu’il voudra être aussi du ministère qui succédera à celui dont on fait honte d’avance à M. de Polignac.

Le nom du futur ministre froisse l’opinion publique; il est impossible que M. de Polignac l’ignore. Il a la conscience de cette répugnance générale; peut-être n’osera-t-il pas la braver. S’il s’y hasarde, la guerre sera chaude et courte. Bataille morbleu! bataille! Tant mieux. Garde à vous, mes amis!... Chargez vos canons; pour moi, mon escopette est bourrée. En ligne! et nous allons bien rire.


COUPS DE LANCETTE.

M. de Polignac vient de faire, dans la Chambre haute, une déclaration d’amour à la Charte. M. de Polignac est un amant discret; il y avait plus de quinze ans qu’il tenait sa passion secrète[11].

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La France espère que ses députés uniront la force à l’adresse.

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L’union annoncée de M. de Polignac avec la Charte ne passera jamais pour un mariage d’inclination.


Dimanche, 25 janvier 1829.

GLOSSAIRE POLITIQUE.

Ordre légal.—Machine pour enrayer.

Opinion publique.—Thermomètre.—Nos ministres, depuis quinze ans, y ont lu tout de travers. Ils ressemblent à des fous qui s’habilleraient en nankin quand le mercure est à rivière gelée, et prendraient un carrick quand il est à Sénégal.

Héros.—Ne se dit plus que dans le Vétéran, à Franconi; chez lord Wellington et le prince de Hohenlohe.

Petits séminaires.—Écoles militaires.

Éloge.—Dans la Gazette.—Paire de soufflets.

Mendiant.—Se faire mendiant, c’est s’assurer un logement, du travail et du pain pour le reste de ses jours.

Bataille.—Livrer bataille à un voisin, détruire ses flottes, prendre ses villes, tout cela prouve qu’on est en pleine paix et que la meilleure intelligence règne entre les deux nations.

Libérateur.—Celui qui met une république dans sa poche.

Usurpateur.—Celui qui met un royaume dans son portefeuille.


COUPS DE LANCETTE.

Toutes les fois que les absolutistes croient pouvoir tuer la Charte, ils appellent M. de Polig... pour l’administrer.

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Quoiqu’en sa faveur la cour penche,
Il est d’un trop mince acabit;
Qu’il passe et repasse la Manche,
Il n’endossera pas l’habit.

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M. de Polignac va passer avec le paquebot de Londres, un bail de trois, six ou neuf, pour le départ ou le retour.


CHARYBDE ET SCYLLA.

Nous pourrions bien, chose incroyable,
Regretter un peu Martignac,
Si nous tombions, chose effroyable!
De Martignac en Polignac.


COUPS DE LANCETTE.

M. de Polignac a fait insérer dans plusieurs journaux sa protestation d’attachement à la Charte.

Et l’amour vient sans qu’on y pense.

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On dit que la Chambre va reprendre l’acte d’accusation des anciens ministres; la France n’a pas attendu si longtemps pour les condamner.

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M. P... a fait une déclaration d’amour à la Charte; Tarquin, aussi, assurait Lucrèce de son respect avant.........


J’AI DU BON TABAC.

Le Trésor a des millions dans ses sacs,
Et la Régie encor garde par entreprise
Le monopole des tabacs.
Monsieur Roy dit que c’est de bonne prise.

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M. de Polignac retourne aujourd’hui à Londres.

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