Orgueilleux Fainéants, dont la molle indolence
Végete dans les bras d'une crasse ignorance,
Vous qui ronflants en paix à l'ombre des Autels,
Jouissez des travaux du reste des mortels;
5Frêlons du genre-humain, immortels Cénobites,
Lisez-moi sans froncer vos sourcils hypocrites;
Déjà j'entends des voix s'élever dans les airs,
Qui condamnent au feu mes véridiques Vers,
Déjà j'entends sonner le tocsin fanatique,
10Et nombre de Cagots me traiter d'hérétique.
Sur un simple début s'enflammer de courroux:
C'est mal édifiant: dévots soyez plus doux.
Quand j'aurai démontré, mes très-Révérends Peres,
Que vous êtes de trop sur les deux hémispheres,
15Que le bien de l'État, de la Religion,
Exigeroit de vous totale extinction;
Qu'il n'est plus ici-bas de successeurs d'Antoine,
Que vous ne possédez que l'esprit & la couene,
De certain animal sale, avide, grognon,
20Qui jadis eut l'honneur d'être son Compagnon:
Alors criez, alors, criez au Moinicide,
Et cherchez pour vengeur quelque nouvel Alcide;
Je vais en attendant, Messieurs les gens de rien,
M'amuser aux dépens de quiconque appartient.
25Le tems passé n'est plus, la nouvelle est certaine,
Je la tiens d'un Gascon, d'un habitant du Maine,
D'une vieille Pucelle à qui la vétusté,
Pour cause, a fait donner le nom d'antiquité;
Et moi quoiqu'Anti-Moine, & d'ailleurs bon Apôtre,
30Je me sens vétuster tout aussi bien qu'un autre.
Or donc puisque tout passe & vétuste ici-bas,
Freres, votre Institut n'est point exempt du cas.
Pour s'en convaincre il n'est que d'ouvrir la Légende,
Des Fondateurs à vous la différence est grande;
35Dans d'arides déserts, quels spectacles nouveaux!
Je vois des corps vivants habiter des tombeaux,
Vivres d'herbes, de fruits, de feuilles, de racines,
Et se couvrir le corps de coups de disciplines?
Pour s'habiller ainsi des chausses au pourpoin,
40De Tailleur ni d'étoffe il n'étoit nul besoin,
Un Cordier suffisoit à toute une famille,
Et Lice étoit la peau, grâce à la sainte étrille;
Aussi, mes bons amis, dans ces siecles un Saint
N'étoit qu'un paquet d'os couvert d'un parchemin;
45L'on ne connoissoit point chez les vrais Solitaires,
Ces superbes Palais mal nommés Monasteres,
Dont la magnificence & l'extrême beauté,
Font un si grand contraste avec l'humilité;
Ils n'avoient ni trésors, ni chartriers, ni titres,
50Et l'on ne fit jamais assembler leurs Chapitres.
Pour poursuivre en Justice un pauvre Paysan,
Qui, sur leur Marquisat, eût tué lievre ou faisan;
L'eusses-tu deviné, très-odorant Pancrace,
Que les Marquis tondus auroient des Gardes-chasse?
55Des Carcans, des Prisons, des Procureurs-Fiscaux,
Pour servir de pendants à ces originaux,
Qu'on nomme des Baillis dans ton vieux Dictionnaire?
Ces termes ne sont point, je le sais; mais qu'y faire?
C'est la mode aujourd'hui. Ces Hauts-Justiciers
60Tranchent du Grand-Seigneur, ont leurs Officiers,
Leurs armes, en un mot toute la prétintaille
Qui sied, on ne peut mieux, à pareille canaille!
Faut-il après cela s'étonner que l'orgueil
De tout chef enfrocqué soit l'ordinaire écueil,
65Et qu'un Moine sorti du sein de l'indigence,
Se fasse reconnoître à des traits d'impudence?
Chaste à peu près comme humble, on voit un Capuchon,
Faire le joli cœur, servir de greluchon,
Et risquer à gagner, sauf respect du cilice,
70Certain petit bobo qui rime à pain d'épice:
Sans affaire, & nourris à bouche que veux-tu,
Bien mangeants, bien dormants, mal fessé, bien vêtu:
Hélas, Pancrace! hélas, cette chair, cet argile
Regimbe, se souleve & devient indocile!
75L'on a beau méditer le profond Rodriguès,
Sa morale à vingt ans est du jus d'Aloès,
Et le plus grand Docteur est mis à la renverse,
Dès qu'un joli minois prêche la controverse.
Si l'Etre souverain formant tes penaillons,
80Les eût paîtris sans yeux, sans mains, sans orillons,
Ou si le saint-Capuce, avec le Scapulaire,
Étoit un talisman de vertu singuliere,
Qui changeât le penchant & l'inclination,
Que tous les hommes ont pour certaine union,
85Je leur crierais… Tout beau… n'allez pas à la pomme;
Mais ils sont comme nous enfants du premier homme,
Et l'aiguille aimantée en tournant vers le Nord,
Apprend à tout mortel s'il a raison ou tort.
Grand Saints, que nous fêtons dans le sacré Grimoire,
90Si vous êtes instruits au séjour de la gloire,
Combien par vos enfants il est fait de cocus;
Que vous devez gémir sur les mœurs des reclus,
Chaque jour, chaque instant nouvelle historiette!
Le mois passé Cloris au son d'une clochette,
95Suivoit un Chévrotin égaré dans les bois;
Elle court, elle pleure, & d'une tendre voix,
Invite l'animal à se rendre auprès d'elle;
Le petit ingrat, sourd aux plaintes de la belle,
S'approche, fuit, revient, & par mille détours
100Vient à bout d'égarer la bergere à son tour:
Il s'arrête à la fin… elle vole… je n'ose
Achever le récit de la métamorphose,
Ni peindre en quel état étoit un ****
Qui jouoit ce jour-là rôle de Chévrotin,
105Passons-leur cet article en faveur des Vestales,
Et des enfants trouvés fabriqués sans scandales;
Ce n'est qu'en chiffonnant un peu le célibat,
Qu'ils se rendent par fois utiles à l'État.
Car du reste à quoi bon, dites-moi je vous prie,
110Ce tas de fainéants à charge à la Patrie,
Qui, sous des étendarts de diverses couleurs,
Font honorablement le métier de voleurs?
Ils ont fait, nous dit-on, le vœu de ne rien faire,
Le sacrifice est grand; eh bien, qu'on les enterre;
115Je crois un Moine propre à faire un gros fumier,
Et j'en voudrois avoir cent dans mon légumier.
Pour la Religion n'est-il pas ridicule
De voir un grand Escroc grimpé sur une mule,
Aller de porte en porte & d'un ton patelin,
120Vous demander la bourse au nom de saint Guilain?
Cette œuvre, qui chez eux passe pour méritoire,
Laisseroit très-souvent du vuide au Réfectoire,
S'ils ne faisoient trafic de Prédication,
De Messe, de Relique & d'Absolution.
125Plus habiles cent fois que tous les Trismégistes,
Un mot se change en or soufflé par ces Chimistes,
Pour tout genre de maux ces médecins d'oisons
Ont des remedes sûrs. Trois fois trois oraisons,
Par mystique calcul composent la neuvaine;
130Infusez-les dans l'eau de certaine fontaine,
Laissant tomber neuf fois de l'argent dans le tronc,
Pour fournir de chandelle au bienheureux Patron,
Par-là, vous disent-ils, il est indubitable,
Que vous vous renderez le grand Saint favorable;
135Et comme en cour céleste il a baucoup d'accès,
Vous pouvez vous flatter du plus heureux succès.
Lecteur, vous le savez, tel est sans hyperbole
Des pieux Charlatans le commun protocole;
Je ne parlerai pas de ces colifichets,
140Qu'ils donnent aux dévots pour de Saint osselets.
Il n'est point dans le Ciel une ame sainte & pure,
Dont ils n'ayent l'étui, du moins la garniture,
Et la fête d'un Saint, fût-il Messire Ustus,
A deux liards l'Évangile, y compris l'Orémus;
145Hé tout bien bredouillé, dans une matinée,
Leur produit de quoi vivre un demi-quart d'année.
L'ignorance du peuple est pour eux un trésor,
Sa superstition la clef du coffre-fort.
Oui, tout est profané par ces ames profanes,
150Qui du premier moteur se disent les organes.
Et les Moines ont fait bien plus de libertins,
Que les Bayles, les Loks, les Orgers, les Latins.
Avant que saint François inventât la besace,
Avant que Loyola suspendît sa cuirasse,
155Avant que saint Benoît eût fui dans les déserts,
Avant que Dominique eût mis l'Espagne aux fers,
Avant que saint Bernaard prêchât la fin du monde,
Tout n'alloit-il pas bien sur la machine ronde?
Si donc tout alloit bien, pesons quel est le mieux;
160Que nous a procuré l'état Religieux?
De prime abord je vois le fougueux Monachisme,
Descendre du désert pour fomenter le schisme,
Le faux zèle le guide, & l'orgueil le soutien;
Qui le méconnoîtroit à son hardi maintien?
165Il éleve la voix, & d'un ton de Prophête,
Qu'on écoute, dit il, du très-haut l'Interpréte;
Peuples, reconnaissez celui-ci pour Pasteur,
Et chassez celui-là comme un Usurpateur.
Il dit, & sur le champ donnant lui-même exemple,
170Un bâton à la main il courre vers le temple;
Le peuple suit ses pas & bien-tôt en tout lieu,
Le sang coule par flots pour la gloire de Dieu.
Qu'on parcoure l'Histoire, on trouve en chaque plage
Des Moines furieux respirants le carnage,
175Allumer le flambeau de la sédition,
Et partout être Chefs de conspiration.
Est-il un seul Royaume où les fils d'Euménides,
N'ayent ensanglantés leurs poignards homicides?
France, tu pleure encor la mort du Grand Henry,
180Et tu frémis au nom de la saint Barthelemi.
C'étoit fait d'Albion, elle éclatoit en foudres,
Si l'on n'eût découvert & la meche & les poudres:
Un Moine avoit formé le complot odieux,
D'unir à certain jour la terre avec les Cieux.
185Et toi, Lisbone, & toi, quel peut donc être l'astre
Qui te fait éprouver le plus affreux désastre?
Neptune & les Volcans conjurés contre toi,
Étonnent l'univers… mais c'est peu… de ton Roi
Je vois couler le sang. Quel monstre détestable
190A pu porter ces coups? Est-ce un Moine, est-ce un Diable?
C'est l'ensemble des trois d'où sans doute est venu
L'animal formidable appellé tricornu.
Non, sans peines, enfin il est proscrit de France,
Et les jours de nos Rois seroient en assurance,
195Si Thémis envoyoit le reste des Paters,
Prendre pour leur santé l'air natal aux Enfers.
Tant que nous souffrirons chez nous les Mascarades,
Attendons-nous toujours à quelques Sérénades:
Un Cénobite oisif est capable de tout,
200Et je m'y fierois moins qu'à l'homme le plus fou.
Si dame Oisiveté de tout vice est la mere,
Le Moine son époux en doit être le pere:
C'est la réflexion de Monsieur mon Curé,
Bon, brave, bas-Norman, fin gourmet en poiré.
205Les Couvents, selon lui, sont des ménageries
D'animaux élevés dans l'art des seigneries,
Qui par l'heureux talent de tromper nos ayeux,
Leur ont escamoté les biens de leurs neveux.
Sans cesse ils leur prêchoient que la rouille du crime,
210S'enlevoit avec l'or comme avec une lime;
Que d'un Moine les fouets, les jeûnes, les vertus,
Appliqués aux méchants en faisoient des Élus.
La fesse d'un reclus mise en bœuf à la mode,
Sembloit à nos Gaulois pénitence commode;
215Ils comptoient bien par-là préserver leur gigot
De l'appétit strident du seigneur Astarot.
C'est par semblables tours & par de tels manéges,
Qu'ils se sont faits donner biens, terres, priviléges,
Et que dans mon canton, séjour des malheureux,
220Six Moines bien nourris font jeûner deux cens gueux.
C'est, si je ne me trompe, à ces tems de berlues,
Qu'on doit l'invention des portions congrues,
Par laquelle un Curé de cent écus dotté,
Observe à leur acquit le vœu de pauvreté.
225Moi je suis dans le cas. D'un très-bon bénéfice,
J'ai les charges, le titre, avec le desservice,
Et Messieux les Cagots par le plus grand abus,
Sans fatigues ni soins ont tous les revenus.
Qu'il pleuve, neige, vente, il survient un malade,
230Pour l'aller secourir je quitte ma rasade,
Tandis que les caffarts se donnant du bon tems,
Boivent à la santé du pauvre combattant.
Heureux & trop heureux qui, dans son voisinage,
N'a point de ces oisons de sinistre plumage,
335Qui fourbes & manteurs, traîtres & envieux,
En vous assassinant font au Ciel les doux yeux:
Tel fut le résultat & la deuxologie,
Que tira mon Curé de son apologie.
Tout Lecteur éclairé sera de son avis,
240Et dira comme lui: S'il n'étoit ni Dervis,
Ni Poux, ni Maltotiers, ni Puce, ni Punaise,
Hélas! que tout François dormiroit à son aise!