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L'autre Tartuffe, ou La mère coupable

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BÉGEARSS.

Les voilà dans ce porte-feuille. (Il donne le porte-feuille à Fal.) Il manque deux milliers de louis, que je viens d'en ôter pour fournir aux apprêts des noces.

FIGARO montrant le Comte, et vivement.

Monsieur a décidé qu'il paierait tout; j'ai l'ordre.

BÉGEARSS, tirant les effets de sa poche et les remettant au notaire.

En ce cas enregistrez-les; que la donation soit entière!

FIGARO retourné, se tient la bouche pour ne pas rire.

M. FAL ouvre le porte-feuille, y remet les effets.

M. FAL montrant Figaro.

Monsieur va tout additionner, pendant que nous achèverons. (Il donne le porte-feuille ouvert à Figaro; qui, voyant les effets, dit:)

FIGARO, l'air exalté.

Et moi j'éprouve qu'un bon repentir est comme toute bonne action; qu'il porte aussi sa récompense.

BÉGEARSS.

En quoi?

FIGARO.

J'ai le bonneur de m'assurer qu'il est ici plus d'un généreux homme. Oh! que le Ciel comble les vœux de deux amis aussi parfaits! Nous n'avons nul besoin d'écrire. (Au Comte.) Ce sont vos effets au porteur: oui Monsieur, je les reconnais. Entre M. Bégearss et vous, c'est un combat de générosité; l'un donne ses biens à l'époux; l'autre les rend à sa future! (Aux jeunes gens.) Monsieur, Mademoiselle! Ah! quel bienfaisant protecteur, et que vous allez le chérir...... Mais, que dis-je? l'enthousiasme m'aurait-il fait commettre une indiscrétion offensante? (Tout le monde garde le silence.)

BÉGEARSS, un peu surpris, se remet; prend son parti, et dit:

Elle ne peut l'être pour personne, si mon ami ne la désavoue pas; s'il met mon âme à l'aise, en me permettant d'avouer que je tiens de lui ces effets. Celui-là n'a pas un bon cœur, que la gratitude fatigue; et cet aveu manquait à ma satisfaction. (montrant le Comte.) Je lui dois bonheur et fortune; et quand je les partage avec sa digne fille, je ne fais que lui rendre ce qui lui appartient de droit. Remettez-moi le porte-feuille; je ne veux avoir que l'honneur de le mettre à ses pieds moi-même, en signant notre heureux contrat. (Il veut le reprendre.)

FIGARO, sautant de joie.

Messieurs, vous l'avez entendu? vous témoignerez s'il le faut. Mon maître, voilà vos effets; donnez-les à leur détempteur, si vôtre cœur l'en juge digne. (Il lui remet le porte-feuille.)

LE COMTE, se levant, à Bégearss.

Grand Dieu! les lui donner! homme cruel sortez de ma maison; l'enfer n'est pas aussi profond que vous! grâce à ce bon vieux serviteur, mon imprudence est réparée: sortez à l'instant de chez moi.

BÉGEARSS.

O mon ami! vous êtes encore trompé!

LE COMTE, hors de lui, le bride de sa lettre ouverte.

LE COMTE.

Et cette lettre, Monstre! m'abuse-t-elle aussi?

BÉGEARSS la voit; furieux, il arrache au Comte la lettre, et se montre tel qu'il est.

Ah!.... Je suis joué! mais j'en aurai raison.

LÉON.

Laissez en paix une famille que vous avez remplie d'horreur.

BÉGEARSS furieux.

Jeune insensé! c'est toi qui vas payer pour tous; je t'appelle au combat.

LÉON, vîte.

J'y cours.

LE COMTE, vîte.

Léon!

LA COMTESSE, vîte.

Mon fils!

FLORESTINE, vîte.

Mon frère!

LE COMTE.

Léon! Je vous défends..... (à Bégearss) Vous vous êtes rendu indigne de l'honneur que vous demandez: Ce n'est point par cette voie-là qu'un homme comme vous doit terminer sa vie.

BÉGEARSS fait un geste affreux, sans parler.

FIGARO, arrêtant Léon, vivement.

Non, jeune homme! vous n'irez point; Monsieur votre père a raison, et l'opinion est réformée sur cette horrible frénésie; on ne combattra plus ici que les ennemis de l'état. Laissez-le en proie à sa fureur; et s'il ose vous attaquer, défendez-vous comme d'un assassin; personne ne trouve mauvais qu'on tue une bête enragée! mais il se gardera de l'oser; l'homme capable de tant d'horreurs doit être aussi lâche que vil!

BÉGEARSS hors de lui.

Malheureux!

LE COMTE, frappant du pied.

Nous laissez-vous enfin? c'est un supplice de vous voir. (La Comtesse est effrayée sur son siége; Florestine et Susanne la soutiennent; Léon se réunit à elles.)

BÉGEARSS, les dents serrées.

Oui morbleu! je vous laisse; mais j'ai la preuve en main de votre infâme trahison! vous n'avez demandé l'agrément de Sa Majesté, pour échanger vos biens d'Espagne, que pour être à portée de troubler sans péril l'autre côté des pyrénées.

LE COMTE.

O monstre! que dit-il?

BÉGEARSS.

Ce que je vais dénoncer à Madrid. N'y eût-il que le buste en grand d'un Washington, dans votre cabinet; j'y fais confisquer tous vos biens.

FIGARO criant.

Certainement; le tiers au dénonciateur.

BÉGEARSS.

Mais, pour que vous n'échangiez rien, je cours chez notre ambassadeur arrêter dans ses mains l'agrément de Sa Majesté, que l'on attend par ce courrier.

FIGARO, tirant un paquet de sa poche, s'écrie vivement:

L'agrément du Roi? le voici; j'avais prévu le coup; je viens, de votre part, d'enlever le paquet au secrétariat d'ambassade; le courrier d'Espagne arrivait!

LE COMTE, avec vivacité, prend le paquet.

BÉGEARSS furieux, frappe sur son front, fait deux pas pour sortir et se retourne.

Adieu, famille abandonnée! maison sans mœurs et sans honneur! Vous aurez l'impudeur de conclure un mariage abominable, en unissant le frère avec la sœur: mais l'univers saura votre infâmie! (Il sort.)


SCÈNE VIIIe. ET DERNIÈRE.

LES PÉCÉDENS, excepté BÉGEARSS.

FIGARO follement.

QU'IL fasse des libelles! dernière ressource des lâches! Il n'est plus dangereux; bien démasqué: à bout de voie, et pas vingt-cinq louis dans le monde! Ah Monsieur Fal! je me serais poignardé s'il eût gardé les deux mille louis qu'il avait soustraits du paquet! (Il reprend un ton grave.) D'ailleurs, nul ne sait mieux que lui, que par la nature et la loi, ces jeunes gens ne se sont rien; qu'ils sont étrangers l'un à l'autre.

LE COMTE l'embrasse et crie:

O Figaro!.... Madame, il a raison.

LÉON, très-vîte.

Dieux! Maman! quel espoir!

FLORESTINE, au Comte.

Eh quoi! Monsieur, n'êtes-vous plus....

LE COMTE, ivre de joie.

Mes enfans, nous y reviendrons; et nous consulterons, sous des noms supposés, des gens de loi, discrets, éclairés, pleins d'honneur. O mes enfans! il vient un âge où les honnêtes gens se pardonnent leurs torts, leurs anciennes foiblesses! font succéder un doux attachement aux passions orageuses qui les avaient trop désunis. Rosine! (c'est le nom que votre époux vous rend.) allons nous reposer des fatigues de la journée. Monsieur Fal! restez avec nous. Venez mes deux enfans!—— Susanne, embrasse ton mari! et que nos sujets de querelles soient ensevelis pour toujours! (à Figaro.) Les deux mille louis qu'il avait soustraits, je te les donne, en attendant la récompense qui t'est bien dûe!....

FIGARO, vivement.

A moi, Monsieur? non s'il vous plait; moi, gâter par un vil salaire, le bon service que j'ai fait? ma récompense est de mourir chez vous. Jeune, si j'ai failli souvent; que ce jour acquitte ma vie! O ma vieillesse! pardonne à ma jeunesse, elle s'honorera de toi. Un jour a changé notre état! plus d'oppresseur, d'hypocrite insolent! Chacun a bien fait son devoir: ne plaignons point quelques momens de trouble; on gagne assez dans les familles quand on en expulse un méchant.

FIN DU CINQUIÈME ET DERNIER ACTE.


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