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XLII

André se taisait. Dans le silence de la maison endormie, la pluie, qui n'avait pas cessé de tomber depuis le dîner, faisait entendre sa musique. Elle redoublait par moments ; l'averse fouettait les murs, cinglait les volets. Tout près de nous, le long de la façade, un tuyau de conduite engorgé sanglotait, et, au plafond, au-dessus de nos têtes, le trop-plein d'une dalle s'égouttait, s'écrasait en une chute molle sur le plâtre… Et ces rumeurs ajoutaient à la tranquillité de notre refuge ; elles rendaient plus intense l'habituelle impression de dénuement calme, qui se dégageait pour moi de cette vie de province, dont mon ami venait de me conter un épisode.

— Et après? lui demandai-je ; fûtes-vous délivré pour toujours du souvenir de Thérèse? N'y eut-il pas quelque revie, quelque bout de l'an de votre amour?

— Aucun, au moins à l'état conscient. Car, puisque vous êtes curieux de ces analyses, je vous avouerai qu'une ou deux fois, deux fois pour préciser, et à d'assez longs intervalles, j'ai cru sentir comme une vague et très brève reprise de ma passion. Quelle en fut l'occasion immédiate? je serais en peine de vous le dire. Peut-être une simple concordance de saison, de lumière, d'odeur, le rappel d'une sensation éprouvée l'année avant à la même heure, dans le même paysage, en compagnie de Thérèse ; mais de cela je ne puis pas être sûr, parce que le point initial de chacune de ces crises a été un de ces états de vague hébétude, où la pensée perd pied, flotte sans direction, noyée dans un chaos de rêves.

Tout à coup, et sans que j'aie jamais pu ensuite remonter la chaîne de mes impressions, une émotion me souleva, un frisson de volupté, de félicité intense. C'était l'amour, mais l'amour indéterminé, quelque chose de pénétrant et de confus, où il y avait à la fois du trouble de l'aveu et de la fièvre du désir ; une émotion si forte, si violente, que je me mis sur pied, d'un élan, comme si quelqu'un m'appelait. Qui? Hélas! personne ne m'attendait ; je n'aimais personne. L'élan fut court. Il ne me resta bientôt de cette étrange secousse que le sentiment du vide affreux qui la suivit, le dégoût des minutes à passer après cette minute.

Cependant le miracle pouvait se renouveler. Le lendemain et pendant quelques jours encore, j'en espérai le retour. Rien ne vint, et, fatigué d'attendre, las de ma vaine poursuite, je pensai à autre chose. Plusieurs mois s'écoulèrent. Un après-midi, — c'était en hiver, — j'étais assis là, au coin du feu, dans ce fauteuil, assoupi à moitié, rêvassant, la même émotion me revint, le même délicieux frisson de mes nerfs tendus par le plus vague, le plus décevant des désirs ; et, à peine née, l'émotion s'en allait, plus rapide encore que la première fois, plus inconsistante. Et ce fut le même regret ensuite, la même insipidité d'une vie qui ne me semblait plus valoir la peine d'être vécue.

J'usai des heures, des nuits d'insomnie à pénétrer ce mystère. Était-ce un tressaillement de ma mécanique à aimer, de mes nerfs et de mes lobes cérébraux, fonctionnant à vide par un reste d'habitude, ou se détendant en une vibration dernière comme une guitare qui se désaccorde? était-ce quelque influence de télépathie, la pensée de Thérèse plus fidèle, moins oublieuse que la mienne, venant à moi de loin, onde supraterrestre qui arrivait pour y mourir au rivage de mon cœur? Quelle qu'en pût être la cause, le phénomène ne se reproduisit jamais plus.

André Lavernose se tut une seconde fois. Une horloge sonnait au loin, dans la rafale.

— Neuf heures ; l'omnibus va être là, lui dis-je ; il va falloir nous dire adieu… jusqu'à l'année prochaine, ajoutai-je. Il secoua la tête.

— Si vous le permettez, me dit-il, j'aime mieux ne pas trop y compter. Ce serait beaucoup de fidélité, pour un nomade comme vous, de passer deux étés de suite à Argelès. Le pays est gracieux, mais je ne m'en exagère pas le charme. Peut-être l'avez-vous épuisé dans une première visite.

— Il y a les Pyrénées, et il y a vous… insistai-je.

— Oh! moi! fit André avec un de ces claquements de doigts où s'exprimait son découragement habituel… moi!… dans le dénuement de cette fin de saison, vous avez pu vous intéresser au peu que je suis ; peut-être même, faute d'objet de comparaison, m'avez-vous apprécié au-dessus de mon mérite. Vous en reviendrez, et je ne vous en voudrai pas, croyez-le bien. Grâce à vous, j'ai eu un grand mois de conversation, de vie intellectuelle. Pour un résigné qui ne vit plus qu'au jour le jour, un mois, c'est énorme, et je serai votre obligé, quoi qu'il arrive.

Je protestai, je lui dis tout le bien que je pensais de lui, de son esprit, de la tournure de son imagination.

— Vous m'avez, lui dis-je, révélé un exemplaire de l'âme provinciale, vous m'avez enseigné une nuance de l'amour de tête.

— Avec figures et décors assortis… sourit Lavernose. Et justement, vous savez maintenant tout ce que j'avais à vous apprendre.

— Et Marc, votre ennemi Marc, qu'est-il devenu? demandai-je après un silence.

— Marc? Il est chargé de cours à la Faculté de Toulouse, me répondit André ; c'est lui peut-être qui fera passer le baccalauréat à mon fils…

L'omnibus stoppait à grand bruit de grelots devant la porte. André Lavernose m'accompagna jusqu'au seuil de sa maison.

— Après tout, me disait-il en traversant le corridor, Marc aurait tort de m'en vouloir. Mon intervention aura mis dans sa vie un élément d'intérêt qu'il était incapable d'y introduire de lui-même. C'est grâce à moi qu'il aura connu le prix de Thérèse. D'un mariage de simple inclination, la jalousie aura fait un mariage d'amour… On a bien raison de dire que dans la vie on ne doit rien prendre au tragique, au sérieux tout au plus ; et encore, à y bien réfléchir, le sérieux est peut-être de trop!

Nous passions devant la chambre de Jacques.

— Ne parlez pas si haut, lui répondis-je. Votre fils pourrait vous entendre.

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