L'otage: Drame en trois actes
[1] Il prononce «broy-ées».
ACTE TROISIÈME
SCÈNE I
Le château de Pantin près de Paris. Un grand salon au rez-de-chaussée avec quatre portes-fenêtres donnant sur une terrasse. Mobilier officiel du temps de l'Empire, cuivres et acajou massif. Un grand portrait au mur représentant l'Empereur Napoléon en costume de sacre. Toute la pièce est en désordre et souillée de boue. C'est le quartier-général de l'Armée qui défend Paris contre les Alliés, et que commande le général baron TOUSSAINT TURELURE, Préfet de la Seine, réunissant dans ses mains les pouvoirs civils et militaires.
Coups de canon dans le lointain. Puis, tout près, carillon de trois cloches sonnant le baptême.
TOUSSAINT TURELURE debout, SYGNE cachée dans un grand fauteuil à oreillettes...[1]
TOUSSAINT TURELURE.—Vous avez mes instructions. Maintenant il faut que je vous quitte; excusez-moi. Voici le cortège qui quitte l'église.
Tous mes officiers sont réunis dans la pièce à côté et nous allons fêter autour d'une galette chaude et de quelques bouteilles de vin de la Marne l'entrée dans le sein de l'église du petit Turelure.
Profitons de ces loisirs que Messieurs vos amis nous font.
Nous regretterons de n'avoir point le plaisir de votre compagnie, Madame. Mais les affaires d'abord!
Triste temps que celui où le père et la mère ne peuvent assister ensemble au baptême de leur enfant!
SYGNE.—Vous ne paraissez pas si triste. Vous vous accommodez de ce triste temps assez bien.
TOUSSAINT TURELURE.—C'est ma foi vrai! Je n'ai jamais été si heureux!
La guerre, les affaires, un peu d'intrigue, l'aliment du corps et de l'esprit,
Que faut-il de plus à un homme?
J'oubliais une épouse aimante et le petit Turelure à qui l'on met son premier grain de sel sur le bout de la langue.
SYGNE.—Que ne traitez-vous donc vos affaires vous-même?
TOUSSAINT TURELURE.—Les miennes sont les vôtres, il n'y a aucune différence. Je vous ai vue à l'œuvre et j'ai pleine confiance en vous.
Et vous voyez que de mon côté j'ai les mains pleines.
N'est-il pas juste qu'après avoir rendu le Pape à l'Eglise, aujourd'hui
Vous rendiez le Roi à son royaume?
De plus il ne s'agit pas seulement du pays,
Mais de nos biens conjointement dont je désire consolider la possession à ce petit fi.
SYGNE.—Ce qui veut dire
Que je dois achever et dépouiller ma famille?
TOUSSAINT TURELURE.—Au profit de votre enfant qui est le dernier mâle. Et pour notre vaillant cousin, le généreux Agénor, le Roi sans doute lui réserve des compensations.
SYGNE.—Je verrai ce que j'ai à faire.
TOUSSAINT TURELURE.—J'ai toute confiance en vous.
SYGNE.—Qui est le plénipotentiaire du Roi?
TOUSSAINT TURELURE.—Il est ici. Je m'en vais vous l'amener.
SYGNE.—Je suis prête.
TOUSSAINT TURELURE.—Nul doute que vous ne vous vous entendiez.—Plaît-il?
SYGNE.—Je n'ai rien dit.
TOUSSAINT TURELURE.—C'est ce mouvement que vous faites avec la tête.
(Il pose la main sur les papiers qui sont déposés sur la table)
Telles sont mes conditions à qui panse d'âne peut être changée.
Ce n'est pas le moment de discuter. La France, pour le moment, c'est moi, Toussaint Turelure,
Préfet de la Seine, général en chef de l'armée de Paris,
A qui tous pouvoirs civils et militaires ont été par Sa Majesté Impériale et Royale remis.
SYGNE.—Vous justifiez sa confiance.
TOUSSAINT TURELURE.—Je suis l'homme de la France et non point d'un particulier.
Le Corse a eu sa chance et moi je prends la mienne où je la trouve.
SYGNE.—Craignez qu'il ne revienne avec ses grandes bottes.
TOUSSAINT TURELURE.—C'est pourquoi il faut choisir son temps avec art, et ce n'est pas pour rien que le Suprême-Artiste (Il fait un geste maçonnique)
M'a rendu boiteux comme une balance.
Tout dépend de Paris et Paris pour quelques moments est entre mes mains compétentes.
SYGNE.—Pensez-vous tenir ici tout seul contre trois armées?
TOUSSAINT TURELURE.—L'empereur vient de remporter une victoire à Saint-Dizier, j'en ai reçu la nouvelle à l'instant.
Il me prescrit de tenir bon et de faire le brave, tandis qu'il attache les trois bourriques par la queue.
La route d'Allemagne est coupée, l'Alsace et les Vosges sont pleins de partisans, les places du Rhin ne sont pas prises.
Il y a de beaux jours encore pour l'homme d'Austerlitz.
Et puis ne croyez pas que tous ces larrons soient d'accord; il y a moyen de négocier. Vous savez que je suis entouré d'émigrés et de renégats.
SYGNE.—Vous n'avez pas de troupes.
TOUSSAINT TURELURE.—J'ai un terrier. Qu'ils voient donc voir à m'enfumer dans Paris. J'y tiens plus dur qu'un blaireau, je suis croche!
Et vous dites que je n'ai pas de troupes? Que l'Empereur de Russie y vienne avec ses riflandouilles et le Prussien avec ses Jonas Müller en bois de navet!
Je ne crains rien tant que j'ai avec moi ces nourrissons de Bellone, les pompiers de Pantin et les Garde-Nationale de Saint-Denis et les volontaires de Popincourt!
Vous avez entendu le canon ce matin?
SYGNE.—Oui.
TOUSSAINT TURELURE.—On est entré dedans, comme disait mon ordonnance. On a torché Miloradovitch aussi propre qu'une assiette à pain.
Quatre cents Wurtembourgeois en pantalon rose sont couchés dans les vignes de Noisy-le-Sec.
Le pot-à-beurre sur la tête et le petit doigt sur la couture du pantalon.
Les yeux encore dans la mort et le petit nez tout rond tournés à gauche vers le Herr Adjutant «Habt Acht!»
—En l'honneur de quoi nous allons boire de ce vin de Mareuil.
SYGNE.—Tout cela n'est pas sérieux.
TOUSSAINT TURELURE.—Je ne sais. Mais il y a encore un point que je vous conjure de méditer.
L'Empereur déchu, il n'y a pas qu'un seul roi possible pour la France.
Il y a le fils de Marie-Louise, il y a le papa d'Oscar.
Tout dépend de moi et de ces mains à qui je remettrai les clefs de Paris.
Qui a reçu Paris, voici tous les doutes tranchés, il est l'héritier incontestable.
Je suis Français! il me répugne de capituler.
Autrement qu'entre les mains du fils de Saint Louis
Dont je veux être le plus humble sujet,
Appuyant à son trône même les fondements de notre maison.
SYGNE.—La maison Turelure.
TOUSSAINT TURELURE.—Un petit rond en or au-dessus du T et dans dix ans cela sonnera comme Tancrède ou Tigranocerte.
Et puis notre cousin n'a pas d'enfants, et le nom s'éteint avec lui, que le monarque peut relever.
SYGNE.—J'ai tout compris.
TOUSSAINT TURELURE.—J'en suis sûr. Je remets le sort de la France dans votre panier à ouvrage.
(Il y dépose les papiers)
Il ne me reste plus qu'à vous présenter l'autre plénipotentiaire.
SYGNE.—Qui est-ce?
TOUSSAINT TURELURE.—C'est une surprise. Vous allez voir. Le Roi est un homme d'esprit.
Nous allons tout régler en famille.
(Il sort. Violons qui se rapprochent du cortège baptismal)
TOUSSAINT TURELURE (Il rentre, ramenant avec lui le vicomte de COUFONTAINE).—Sygne, je vous présente le lieutenant et plénipotentiaire de sa Majesté,
Notre cousin Georges, lui-même, que la politique depuis trop longtemps nous a ravi.
SYGNE.—Georges!
GEORGES.—Madame. (Il prend la main et la baise).
TOUSSAINT TURELURE.—C'est gentil de les voir! Je le jure, l'œil me pique. Georges, ma femme a tout pouvoir de traiter avec vous.
Adieu, Georges!
GEORGES.—Adieu,—Toussaint!
(Musique. Tapage. Acclamations. Tumulte de la maison qu'on envahit. Salve de mousqueterie au dehors).
TOUSSAINT TURELURE.—Tonnerre de Dieu, ils vont s'estropier! J'avais défendu qu'on leur donne des cartouches!
(Il sort)
[1] Pendant tout l'acte Sygne a ce tic nerveux d'agiter la tête lentement de droite à gauche, comme quelqu'un qui dit: Non.
SCÈNE II
SYGNE remet à COUFONTAINE l'un des papiers que le baron a mis dans son panier. COUFONTAINE le prend et tire des lunettes de sa poche. Cependant qu'il lit elle reste dans son fauteuil et les yeux fermés.
Brouhaha violent dans la pièce voisine, portes que l'on claque, tumultes de rires et de paroles, cliquetis d'armes et de verres, puis les deux violons qui éclatent tout à côté et se taisent soudain.
Vagissement d'un nouveau-né.
GEORGES.—C'est votre enfant que l'on baptise, Sygne? J'ai vu le cortège en arrivant.
SYGNE.—Oui.
GEORGES.—Pourquoi n'êtes-vous pas de la fête?
SYGNE.—Ma place est ici.
(Il se remet à lire, puis s'interrompt de nouveau et prête l'oreille.
On tape sur une table, le silence se fait).
Voix de TOUSSAINT TURELURE.—Messieurs, je vous présente mon fils, Louis Agénor Napoléon Turelure!
(Applaudissements)
Voix de TURELURE.—Le curé vient de te baptiser chrétien avec de l'eau,
Et moi je te baptise Français, petit lapin, avec cette goutte de la rosée champenoise sur la bouchette.
Goûte le vin de France, citoyen!
(Rires. Applaudissements)
Que Messieurs les Russes attendent! Que M. le Feld-Maréchal Benningsen et M. le Prince de Witzingerode nous fassent la grâce de patienter un petit moment! Que diable! tout de même on ne peut pas s'occuper d'eux tout le temps! Nous serons à ces messieurs dans une seconde.
Pour l'instant profitons de l'armistice que l'on vient d'arranger, et buvons à la santé de cet enfant-nouveau-né avec le vin de la Comète.
(Grand bruit de verres. Ils boivent. Cris: Vive Turelure! Vive Louis-Agénor! Vive l'Empereur!)
Voix de TURELURE.—Passez la galette.
GEORGES.—C'est une bonne pensée que d'avoir gardé notre nom à cette nouvelle bouture. La grande éloquence de Toussaint m'émeut.
(Bruit de trompettes au loin)
Voix de TOUSSAINT TURELURE.—C'est la cavalerie Russe qui prend ses positions. Pour nous, que les cris de cet enfant tout neuf soient notre trompette que nous venons de baptiser sous le canon!
Entends-tu, Alexis Couillonadovitch? C'est le cri d'un homme libre! Nous nous foutons de toi, cosaque!
(Trompettes de nouveau)
Est-ce que tous ces Nicodèmes du Nord vont prendre la France? Ils n'ont pas assez d'esprit pour cela.
Il y a encore du vin à Epernay! Il y aura toujours assez de France pour embêter l'Europe et pour lui piquer le derrière et pour l'empêcher de manger tranquille son foin, la vache!
Messieurs, je vous apprends une grande nouvelle: l'Empereur Napoléon vient de remporter une grande victoire à Saint-Dizier.
(Acclamations: Vive l'Empereur!)
Quant à nous, qu'en dites-vous? Il me semble que nous tenons ici assez bien.
Nous avons derrière nous Paris, et nos ennemis, ce qu'ils ont derrière eux, c'est l'Empereur et ses aigles!
Messieurs, à votre santé. Sacrebleu, on ne nous a pas tout pris, tant qu'il nous reste ce grand bout de France, ce petit morceau de Turelure et de la galette!
(Rires. Applaudissements. Acclamations)
GEORGES, reprenant sa lecture.—Brave péroraison et digne de l'exorde!
(Il finit sa lecture et reste pensif. Puis il lit de nouveau, ôte ses lunettes, les remet dans sa poche, replie le papier et le repose sur la table. Sygne est restée dans son fauteuil sans un mouvement).
GEORGES, frappant un coup léger sur la table.—Sygne.
SYGNE, se redressant.—Me voici.
GEORGES.—C'est avec vous que je dois discuter ce papier?
SYGNE.—C'est avec moi. Le baron m'a donné tous pouvoirs.
Il a pleine confiance en moi.
GEORGES.—«Il a pleine confiance en vous». Il a raison.
SYGNE.—Mais d'ailleurs il n'y a rien à discuter. Le temps manque.
GEORGES.—Dois-je signer ces conditions hic et nunc?
SYGNE.—Pas un point ne peut être changé.
GEORGES.—Et si j'accepte?
SYGNE, montrant un pli scellé.—Voici la soumission de Turelure et la capitulation de Paris.
Entre les mains de Sa Majesté Très Chrétienne.
GEORGES.—Sygne, remettez-moi ce papier.
SYGNE.—Je ne puis pas.
GEORGES.—Sygne, remettez-moi ce papier et je vous tiens quitte de l'autre.
SYGNE.—J'ai promis.
GEORGES.—Certes vous êtes fidèle à vos promesses.
SYGNE.—Mais du moins je serai fidèle à ma honte.
GEORGES.—Ne puis-je lire les termes de reddition?
SYGNE.—Il faut me croire sur parole.
GEORGES.—Je vous crois, Sygne.
SYGNE.—Georges, ce qu'il dit est vrai. Il m'a tout montré et j'ai tout vu. Il m'a tout expliqué. J'ai repassé ses raisons une par une, et je n'y trouve point de faute.
L'homme est maître de Paris et celui-là est roi qui recevra Paris de sa main.
GEORGES.—C'est donc de Toussaint Turelure que le Roi de France attend sa couronne?
SYGNE.—De lui-même et non pas d'un autre.
GEORGES.—«Le Roi jure la Constitution.
Le budget sera voté chaque année par les représentants du peuple.»
Ainsi Toussaint capitule, mais il faut que le Roi abdique.
SYGNE.—Je ne puis discuter.
GEORGES.—Et le Roi selon Dieu devient le Roi selon Turelure.
SYGNE.—Et cela, Georges,
C'est moi qui le propose et c'est vous qui allez l'accepter.
GEORGES.—Je ne l'accepterai pas.
SYGNE.—Vos ordres sont formels.
GEORGES.—Que savez-vous de mes ordres?
SYGNE.—S'ils n'étaient pas ceux que je crois, vous ne seriez pas ici.
GEORGES.—Mais qu'importent les Chambres à votre baron?
SYGNE.—Le possible seul lui importe.
GEORGES.—Ce serviteur du tyran, est-ce lui qui mesure le Roi?
SYGNE.—Tout ce qui est d'un homme seul, l'Empereur vient de l'épuiser pour toujours.
GEORGES.—Adieu donc, ô Roi que j'ai servi, image de Dieu!
Le Roi pas plus que Dieu n'acceptant de limitation que sa propre essence.
Tout homme dès sa naissance recevait le monarque au-dessus de lui éternellement à sa place par lui-même,
Afin qu'il apprît aussitôt que nul n'existe pour lui seul, mais pour un autre, et qu'il eût ce chef inné.
Et maintenant, O Roi, à cette conclusion de ma vie,
De cette main qui a combattu pour toi, c'est moi qui m'en vais signer ta déchéance.
SYGNE.—Réjouis-toi parce que tes yeux vont voir ce que ton cœur désirait.
GEORGES.—Il y a une chose plus triste à perdre que la vie, c'est la raison de vivre,
Plus triste que de perdre ses biens, c'est de perdre son espérance,
Plus amère que d'être déçu, et c'est d'être exaucé.
SYGNE.—Voici le Roi sur son trône.
GEORGES.—L'appelez-vous le Roi? Pour moi je ne vois qu'un Turelure couronné.
Un préfet en chef administrant pour la commodité générale, constitutionnel, assermenté,
Et que l'on congédie, le jour qu'on en est las.
SYGNE.—Mais pour nous du moins il est;
Il est le Roi encore, par ce grand sacrifice que nous allons lui faire,
Et si le Seigneur périt, que ce ne soit pas avant son vassal.
GEORGES.—Vous parlez de ce que Turelure me demande?
SYGNE.—Oui.
GEORGES.—Abandon général et transport à Turelure de tous mes droits, titres et possessions,
Et réposition après ma mort de tous mes droits sur cet hoir que vous m'avez fait.
Tout est cédé sans réserve.
SYGNE.—O Georges, je voulais d'abord crier et disputer.
GEORGES.—Vous ne l'avez point fait?
SYGNE.—N'ayez peur.
GEORGES.—Je vous rends grâces, Sygne. En cela du moins je vous reconnais.
SYGNE.—Va, donne-lui tout.
GEORGES.—Je suppose que c'est la partie de l'acte à quoi mon beau-frère tient le plus?
SYGNE.—O Georges, donne-lui tout!
GEORGES.—Qu'ai-je à donner, vous avez tout déjà?
SYGNE.—Mais le droit et le nom vous restent.
GEORGES.—Faut-il donner cela aussi?
SYGNE.—Donne-lui cela aussi.
GEORGES.—Mais le nom n'est pas à moi, le droit n'est pas à moi, la terre n'est pas à moi, l'alliance entre la terre et moi n'est pas à moi.
SYGNE.—Tout est changé, Georges. Il n'y a plus de droit, il n'y a plus qu'une jouissance. Il n'y a plus d'alliance pour toujours entre la terre et l'homme, que le tombeau seul.
Et les mains qui étaient jointes se sont séparées.
Et la tienne ne sert plus de rien qu'à écrire et résigner.
GEORGES.—Qu'il garde tout, je ne lui réclame rien.
SYGNE.—Mais il faut écrire et consentir.
GEORGES.—Je ne capitulerai pas.
SYGNE.—Vous êtes donc l'ennemi de votre souverain?
GEORGES.—Je ne puis céder mon honneur.
SYGNE.—Qu'avez-vous d'autre à céder?
GEORGES.—Qu'un homme au monde du moins ne trahisse pas!
SYGNE.—Cède, trahis, renonce! O Georges, donne-lui cela aussi! Cher frère, ne nous empêche pas de finir!
GEORGES.—Nous ne finissons pas, en cet enfant.
SYGNE.—Tout est fini pour moi avec toi.
GEORGES.—Le reste est coupé, il est vrai. Tous nos noms et tous nos biens
S'accumulent sur la tête de cet enfant.
SYGNE.—M'accuses-tu d'une pensée vile?
GEORGES.—La honte suffit que vous vous êtes acquise.
SYGNE.—Acquise à la peine de mon âme et à la sueur de mon front!
GEORGES.—Elle est à vous.
SYGNE.—Elle est à moi en effet!
Elle est mon bien qui ne me sera pas ravi, la honte plus fidèle que la louange!
Elle m'accompagnera jusqu'à la tombe et plus loin, elle est scellée sur moi comme une pierre, elle est incorporée
A ces os qui seront jugés!
GEORGES.—Ma sœur, pourquoi avez-vous fait cela?
SYGNE, criant—Georges!
C'est le mauvais sang en moi qui a parlé, moi qui me croyais si forte et si raisonnable!
Souviens-toi de celui-là de nos ancêtres qui combattit contre Jeanne avec le Bourguignon, et de celui-là qui se fit renégat,
Et de ce Nogaret aussi dont nous descendons qui frappa le pape sur la face.
Les choses grandes et inouïes, notre cœur est tel qu'il ne peut y résister.
Et voici que maintenant je me tiens seule dans une terre ennemie,
Comme cet Agénor jadis qui avait son château de l'autre côté de la Mer Morte à la descente de l'Arnon.
GEORGES.—Et voici que nos mains aussi se sont dissoutes et que la foi sur notre blason est corrompue,
Et cette main m'est arrachée la dernière que je tenais dans ma main, le matin de ce sacrifice offert!
SYGNE.—J'ai arraché ma main et toi ne m'arrache point le cœur?
GEORGES.—Tout ce qui lie un homme à un autre,
Tout cela avec ta main m'était encore attaché: enfant, sœur, père et mère, défendue, confortatrice,
Epouse, vassal, compagnon d'armes. Tout cela encore était avec ta main et ma forte société.
Quel est le serment que tu n'as pas rompu? Quelle est la foi que tu ne m'as pas retirée?
SYGNE.—Ce serment du moins est intact que j'ai fait à mon baptême.
GEORGES.—Il ne fallait donc pas en faire d'autre.
SYGNE.—Mais par quoi jure-t-on que par Dieu?
GEORGES.—Dieu a beaucoup d'amis et je n'avais qu'un seul agneau.
SYGNE.—J'ai sauvé le Père des hommes.
GEORGES.—Et tu as perdu ton frère.
SYGNE.—Sois donc mon juge, je l'accepte.
GEORGES.—Dieu est ton juge et je suis appelant à son tribunal, et cette loi qu'il a faite, Lui-même ne peut l'altérer.
Et je te citerai à produire mon gant, car ce qui est une fois donné,
Ne peut être retiré sur la terre et dans les cieux.
SYGNE.—Je ne crains rien de Dieu et le Seigneur ne peut plus me déposer.
Car ce qui est assis sur la terre, il n'y a pas de place plus basse,
Et je n'en demande pas de plus haute.
GEORGES.—Tu as manqué à la foi.
SYGNE.—Un grand prix m'était offert...
GEORGES.—Tu as manqué à l'amour.
SYGNE.—Je t'ai fait beaucoup de peine, Georges?
GEORGES.—C'est trop. Il ne fallait pas faire cela et ma mesure était suffisante.
Maintenant je vais mourir et être damné et j'ai l'éternité devant moi à me passer de toute consolation. Ne pouvait-il me laisser cette petite heure?
Ne pouvait-il me laisser un seul cœur fidèle? une seule Véronique pour m'y cacher la face afin que nul ne la voie, à cette heure où le cœur succombe?
SYGNE.—C'est moi seule, c'est moi seule qui ai fait cela, qui ai fait cela de ma propre volonté et ne dis pas un mot contre Dieu!
C'est mon mauvais cœur seul qui est la cause!
GEORGES.—Tu m'as manqué et mon enfant m'a été tourné en amertume.
SYGNE.—Que Dieu prenne ma place misérable, et acquitte ce que je ne puis payer!
GEORGES.—Il ne fallait pas faire cela.
Le manquement qui est fait à l'amour vrai, Dieu lui-même ne peut le réparer.
Il ne le peut pas, quand il créerait de nouveaux cieux et une nouvelle terre!
Jouis de ton Dieu et moi je t'exclus de mon cœur.
Est-ce que j'avais un paradis à attendre après cette vie?
Ou suis-je comme ces gens d'aujourd'hui qui se payent d'idées et de mots sans nulle substance?
Ma part était avec les hommes vivants. Ma société était le partage d'un cœur d'homme et non d'aucune idée. Mon partage était avec mes compagnons, ma foi et mon espérance, et mon cœur dans un cœur fait comme le mien.
Et toi, cette dernière heure de ma vie, tu me renies solennellement, comme un Juif qui déchire son vêtement de haut en bas.
—N'agite pas ainsi la tête.
SYGNE.—Mon humiliation est trop grande. Hélas! il n'y a plus de douleur pour moi et mon âme en est avide ainsi qu'une terre altérée.
Je suis séparée des larmes.
Il n'y a plus de douleur possible et toute souffrance qui s'ajoute aux autres est pour moi comme une consolation.
GEORGES.—Et moi, que me faut-il faire?
SYGNE.—Viens avec moi où il n'y a plus de douleur.
GEORGES.—Et plus d'honneur?
SYGNE.—Plus de nom et aucun honneur.
GEORGES.—Le mien est intact.
SYGNE.—Mais à quoi sert d'être intact? Le grain que l'on met dans la terre,
De quel usage est-il, s'il ne pourrit d'abord?
GEORGES.—La chair pourrit, mais la pierre reste inaltérable.
SYGNE.—La terre est la même pour nous deux.
GEORGES.—Mais moi je ne l'ai pas trahie. J'ai honoré cette terre qui était mon propre bien,
Afin qu'elle ne nourrisse point que le seul ventre, mais un cœur
Fidèle, elle-même fidèle.
SYGNE.—C'est moi qui m'en vais la nourrir à mon tour.
GEORGES.—Parjure! cette terre n'est plus à toi que tu as vendue et ton nom serf n'est plus son nom féodal!
SYGNE.—Je l'ai aimée plus que toi.
GEORGES.—Et qui l'aimerait plus qu'un exilé?
SYGNE.—Tu n'en aimes que la surface.
GEORGES.—Elle est ma terre et mon bien qui ne ressemblent à aucun autre.
SYGNE.—Et moi j'en possède le fond et la racine.
Toute terre est la même à six pieds de profondeur.
GEORGES.—N'attends-tu point de résurrection?
SYGNE.—Ne parle point de ces choses que tu n'entends pas.
Et même s'il n'en était aucune, le bienfait seul de mourir est assez grand.
GEORGES.—Tu dis bien. Cela du moins est vrai.
SYGNE.—O Georges, combien nous avons été tous les deux ridicules! Cela fait pitié! Voilà que nous nous étions absurdement fiancés afin d'être mari et femme, comme s'il y avait encore une place pour nous entre les hommes.
Est-ce que les hommes ont encore besoin de nous avec eux? Pas plus que de Coucy et de ses tours.
Et toi, est-ce que tu tiens tellement à être propriétaire, comme d'autres sont pasteurs ou meuniers?
Les hommes n'ont plus besoin entre eux d'un homme plus haut.
Et nous, nous étions faits pour donner et pour prendre et non pas pour partager,
Viens donc avec moi et prends ma main,
Non point comme deux époux qui s'enracinent l'un à l'autre,
Mais prends ma main puisque tu ne me vois plus, ô frère, je suis restée la même! et mon autre main est liée à la chaîne de tous mes morts.
O Georges, que veux-tu faire ici? Voici assez longtemps que nous sommes à charge aux hommes.
Voici assez longtemps que nous les obligeons durement à vivre non pas pour eux mais pour nous, comme nous-mêmes pour le Roi et pour Dieu.
Maintenant chacun s'en va vivre pour soi-même à son aise et il n'y aura plus de Dieu ni de Seigneur.
La terre est grande, que chacun y aille de son côté, voici les hommes libres à la manière des animaux.
Mais nous, est-ce que nous avons souci d'être libres? il n'y a point de liberté pour un gentilhomme.
Ou égaux?
Ou frères, et il n'y aura plus de Nom ni de famille, toi seul es mon frère!
GEORGES.—Vous n'êtes plus ma sœur.
SYGNE.—Si, Georges, je le suis.
GEORGES.—Je ne reprendrai point cette main félonne.
SYGNE.—J'ai trahi, il est vrai! j'ai tout livré, et moi-même avec! ce qui était mort.
Le Roi est mort, le chef est mort. Mais j'ai sauvé le Prêtre éternel.
Dieu est vivant avec nous, tant qu'il y aura encore avec nous sa parole et un peu de pain, et Sa main sacrée qui lie et qui délie.
GEORGES.—Elle a délié la tienne.
SYGNE.—Je m'en vais donc seule et déliée vers le soleil souterrain.
GEORGES.—Mais cependant que nous sommes vivants encore, achevons ce qui nous reste à faire.
SYGNE.—Signeras-tu ces papiers?
GEORGES.—Je les signerai l'un et l'autre au nom du Roi mon maître et aux miens.
(Il les prend, les lit et les signe.)
Ne dois-je attendre aucune tricherie de votre époux?
SYGNE.—Tous ses ordres sont déjà prêts, il me les a montrés. Les estafettes attendent.
Son intérêt vous garantit.
Dans une heure Paris sera désarmé et Montmartre aux mains de vos amis.
GEORGES.—Voici mon testament, voici la nouvelle alliance.
Mais n'ai-je point lu qu'il n'y a point de testament sans un mort et d'alliance sans quelque sang versé?
SYGNE.—Que ce soit donc le mien?
GEORGES.—Ne me tentez pas.
SYGNE.—S'il n'y a point de Dieu pour toi, sois donc un homme au moins, et s'il n'y a point de justice, fais-la toi-même et agis suivant ta propre loi.
Celui qui a manqué à la fois humaine, qu'il meure! Me voici prête.
GEORGES.—Non, non! je ne tuerai point ma pauvre enfant!
SYGNE.—O Georges, tu m'aimes encore.
GEORGES.—Mais du moins, je vous déferai de cet homme.
SYGNE.—Ne le tue pas.
GEORGES.—Tenez-vous tant à sa vie?
SYGNE.—Aussi peu qu'à la mienne.
GEORGES.—Il mourra donc de ma main.
SYGNE.—Pourquoi t'occuper de cet homme?
GEORGES.—Je délivrerai le Roi de ses promesses.
SYGNE.—Qui est mort.
Il ne peut plus rendre la parole.
GEORGES.—Un écrit n'est pas une parole et peut être anéanti.
SYGNE.—Je te prierais donc en vain?
GEORGES.—En vain.
SYGNE.—Fais ce que tu veux.
GEORGES.—Je vous salue.
(Il s'éloigne, comptant ses pas jusqu'à la porte-fenêtre, et disparaît.)
SCÈNE III
(Entre TOUSSAINT TURELURE.)
TURELURE.—Eh bien, Madame?
(Elle lui tend en silence les papiers, il les prend, les vérifie d'un regard et sonne aussitôt.)
C'est à moi de faire ce qu'il reste à faire.
(Entre un domestique.)
Faites entrer les estafettes que j'ai commandé de tenir prêtes.
(Entrent plusieurs officiers.)
Ces ordres à mes généraux! Toute l'armée en retraite sur Paris. La Garde Nationale licenciée, l'armée de réserve à Versailles,
Sous les ordres de M. le Duc de Raguse.
Ordre de l'Empereur. Faites diligence.
(Il distribue des plis scellés. Les estafettes sortent) A SYGNE:
Je me suis souvenu du bon tour de notre cousin.
(Il sonne.)
M. Lafleur.
(Entre MONSIEUR LAFLEUR.)
Monsieur Lafleur, portez ces papiers à la personne que vous savez,
Et dites que je me mets à ses pieds.
(Sort MONSIEUR LAFLEUR)
(Il sonne—Entrent deux autres estafettes.)
Ces papiers à Messieurs Dalberg et Talleyrand.
Et dites que le rendez-vous est ce soir même ici.
(Elles sortent.)
Il sonne.—(Entre UN OFFICIER.)
TURELURE, se redressant.—Monsieur, quand trois heures sonneront, dites que l'on amène le drapeau.
(Sort l'officier.)
Voici beaucoup de besogne en peu de temps.
(Il reste debout et poitrinant comme au port d'armes, la tête droite, les bras allongés le long du corps, les mains recourbées en arrière.—L'horloge grince longuement et va sonner.)
TURELURE.—L'heure sonne.
(A ce moment COUFONTAINE apparaît derrière la fenêtre.—Premier coup de l'heure.—Turelure s'est armé aussitôt. Deux détonations retentissent en même temps. SYGNE s'est jetée d'un bond devant lui.—Deuxième coup.—La scène s'est remplie de fumée. Quand elle se dissipe on voit SYGNE étendue par terre dans une mare de sang.—Troisième coup.—TURELURE enjambe rapidement le corps et se hâte vers la fenêtre. On le voit derrière les vitres cassées qui se penche vers le sol, puis s'éloigne, comme tirant derrière lui un fardeau qu'on ne voit pas.
Pause.
Rentre TURELURE. Quelques serviteurs ont pénétré dans la pièce.)
TURELURE, d'une voix de commandement.—La baronne est blessée. Un accident déplorable s'est produit. Qu'on lui dresse un lit sur cette table. Le médecin, l'abbé Badilon!
Quant à moi, les affaires de l'Etat m'occupent.
(Il sort.)
(Le rideau tombe et reste baissé pendant quelques moments.)
SCÈNE IV
(La même pièce au coucher du soleil. Il fait presque nuit. SYGNE étendue sur une grande table dans un coin de la pièce. MONSIEUR BADILON est auprès d'elle. Un flambeau unique brûle dans un grand chandelier d'argent.)
MONSIEUR BADILON.—Sygne, mon enfant, m'entendez-vous?
(Longue pause. Mouvement de paupières.)
MONSIEUR BADILON, plus bas.—M'entendez-vous?
SYGNE.—Que dit le médecin?
MONSIEUR BADILON.—Ma fille, réjouissez-vous.
SYGNE.—C'est donc la mort qu'il m'annonce?
MONSIEUR BADILON.—Le temps de votre épreuve est fini.
(Elle commence son mouvement familier de la tête et ne peut achever.)
MONSIEUR BADILON, prêtant l'oreille.—«Plus de joie...» Que dites-vous? ne remuez pas ainsi la tête. Vous rouvrez votre blessure.
Que dites-vous? «Plus de joie ... plus de sang...»
(Il répète)
«Plus de douleur pour souffrir, plus de joie pour me réjouir.»
(Se parlant à lui-même) Tout est épuisé.
Mais vous allez au ciel et moi je reste dans la désolation.
SYGNE.—Est-il...
MONSIEUR BADILON.—Est-il mort? Georges, votre cousin?
(Mouvement de paupières.)
Il est mort. La balle l'a frappé en plein cœur.
SYGNE.—... le temps...
MONSIEUR BADILON.—Le temps de lui donner l'absolution?
Non on m'a appelé trop tard. Il était déjà mort.
(Silence.)
J'ajoute cette amertume. Mais...
SYGNE.—Je ne m'inquiète pas.
MONSIEUR BADILON.—Il est vrai. Le grand Dieu pourvoit.
SYGNE.—Ensemble.
MONSIEUR BADILON.—Les deux Coûfontaine ensemble et l'un précède l'autre tour à tour.
SYGNE.—Le parjure.
MONSIEUR BADILON.—Le voici racheté de votre sang.
SYGNE.—Le serment.
MONSIEUR BADILON.—Non point rompu, mais consommé. En Dieu le Fils qui est assis à la main droite en qui est toute parole achevée.
SYGNE.—Avec lui.
MONSIEUR BADILON.—Avec toi pour toujours, ô mon maître et mon chef. Coûfontaine, adsum.
SYGNE.—Jésus.
MONSIEUR BADILON.—Jésus Notre-Seigneur est avec vous.
SYGNE.—Avec lui.
MONSIEUR BADILON.—Avec vous, le juste et le pécheur inséparables, et l'œuvre ne sera point séparée de l'ouvrier, et le sacrifice de l'autel, et le vêtement du sang qui l'imprègne.
SYGNE.—Tout.
MONSIEUR BADILON.—Tout est fini, tout est fait comme il le fallait, l'épouse absoute est couchée dans ses vêtements nuptiaux.
J'ai achevé mon œuvre, j'ai achevé mon enfant pour le ciel.
Et moi je reste seul.
L'enfant de mon âme s'envole, et moi, je reste seul, le vieux curé inutile.
SYGNE (Mouvement de la tête inachevé.)
MONSIEUR BADILON.—Epouse du Seigneur!
Je vous ai absoute, et vous, absolvez-moi à mon tour,
Et cette main que j'ai levée sur vous comme quelqu'un qui consacre et qui sacrifie!
Et dites-moi que vous me pardonnez
Ce mal que je vous ai fait,
Ces paroles que je vous ai dites, ma pauvre colombe, moi pécheur,
Sur l'ordre de Dieu, mon maître, dans l'épouvante de mon cœur,
Afin que Pierre soit sauvé et que votre couronne soit parfaite.
SYGNE.—.... (Mouvement des yeux)
MONSIEUR BADILON.—La main? Que je lève ma main de nouveau et que je la tienne devant vos yeux?
SYGNE.—(Mouvement des lèvres.)
MONSIEUR BADILON.—Ainsi le pauvre agneau mourant entre ses gencives désarmées prend la main qui vient de l'égorger!
Mais ce n'est point ma main que vous baisez, ô ma fille, mais le Christ en son prêtre qui oint et qui pardonne.
La main du prêtre consacré qui vous a communié si souvent et qui chaque matin tient élevé.
Le Fils de Dieu sous les accidents,
Que vous allez voir face à face.
(Il tombe, à genoux devant le lit.)
Et maintenant enfin je puis être lâche et vous montrer mon cœur!
Nul homme ne vous a aimé comme moi, de cet amour que les gens du monde n'entendent pas,
Car Dieu même qui parlait par ma bouche, et qui entendait par vos oreilles,
Est-ce qu'il n'était pas dans notre cœur aussi à tous deux?
Gloire à Dieu qui a donné l'âme sublime à guider par l'âme la plus basse!
Et quand vous vous mettiez à genoux à mon côté au tribunal de la pénitence,
C'est moi qui du fond des ténèbres m'émerveillais et me prosternais devant vous.
Hélas! je n'avais qu'un seul enfant et voici qu'on me l'a égorgé!
Souvenez-vous de votre pasteur, petite brebis, qui si souvent êtes venue prendre la nourriture céleste entre ses mains.
(Silence.)
SYGNE (Avec un sourire amer qui s'accentue peu à peu.)—... Si sainte?
MONSIEUR BADILON.—Et quel plus grand amour y a-t-il que de donner sa vie pour ses ennemis?
SYGNE (Sourire).
MONSIEUR BADILON.—Est-ce que vous ne vous êtes pas jetée au devant de votre époux pour le couvrir?
SYGNE, presque indistincte.—Trop bonne...
MONSIEUR BADILON.—La mort? Que dites-vous?
(Il se penche sur elle.)
SYGNE (Elle agite les lèvres).
MONSIEUR BADILON.—«Une chose trop bonne pour que je la lui eusse laissée.»
Et pensez-vous connaître vos intentions mieux que Dieu lui-même?
(Silence.—Elle commence à respirer péniblement.)
Mais je sais que déjà vous lui avez pardonné.
(Silence.—Signe que non.)
Sygne! à ce moment où vous allez paraître devant Dieu, dites-moi que vous lui avez pardonné.
(Signe que non.)
Voulez-vous que je vous fasse apporter votre enfant?
(Signe que non.)
Et quoi? Sygne, m'entendez-vous? Votre enfant?...
SYGNE, d'une voix distincte: Non.
(Silence.—L'agonie commence.)
MONSIEUR BADILON (Il se lève.)—La mort approche. Ame chrétienne, faites avec moi la recommandation et les actes d'espérance et de charité.
SYGNE (Signe que non).
MONSIEUR BADILON.—Sygne, soldat de Dieu! debout! debout jusqu'au dernier moment!
SYGNE.—Tout est épuisé.
MONSIEUR BADILON.—Coûfontaine, adsum!
SYGNE.—Tout est épuisé.
MONSIEUR BADILON.—Jésus, fils de David, adsum!
(Silence.—Le râle commence.)
Tout est épuisé jusqu'au fond, tout est exprimé jusqu'à la dernière goutte.
(Silence.)
Seigneur, ayez pitié de cet enfant que vous m'avez donné et que je vous donne à mon tour.
Eli! Je vous supplie dans le terrible secret de la dernière heure.
Seigneur, en qui tous les siècles sont comme un seul instant qui ne peut être divisé,
Ayez pitié de ces deux âmes qui vont paraître devant vous en même temps que vous avez faites frère et sœur.
Et agréez le sang versé et cet échange entre elles qui s'est fait dans la déflagration de la poudre.
(SYGNE se redresse tout à coup et tend violemment les deux bras en croix au-dessus de sa tête; puis, retombant sur l'oreiller, elle rend l'esprit, avec un flot de sang.
Et MONSIEUR BADILON lui essuie pieusement la bouche et la face. Puis éclatant en sanglots, il tombe à genoux au pied du lit).
SCÈNE V
(Apparaissent derrière les fenêtres vitrées, et suivant TOUSSAINT TURELURE, un homme tenant une lanterne d'écurie, puis quatre autres portant sur le battant d'une porte démontée le corps de COUFONTAINE sous son manteau.—Ils entrent.)
TOUSSAINT TURELURE.—Monsieur le curé, comment va la bonne?
(Pas de réponse.)
Madame.
(Il prend la lanterne et, l'approchant du visage de la morte, il l'examine. Puis, déposant la lumière par terre, il fait le signe de la croix.
Aux gens qui se tiennent par derrière):
Avancez!
Que l'on apporte ici le corps de mon cousin, et qu'on le couche sur cette table,—à côté de celui de ma femme, je dis!
Afin que les deux Coûfontaine reposent côte à côte,
Et que ceux qui ont été séparés durant la vie aient le même lit dans la mort.
Et que le poing fermé se pose dans la main ouverte.
(Ils font ainsi. On étend COUFONTAINE près de SYGNE et l'on déploie sur eux le drapeau fleurdelysé. Mais la main ouverte de SYGNE sort du drap sans qu'on puisse la faire rentrer en dessous. Sur une table à la tête de la couche funèbre, couverte d'une serviette, on place un crucifix entre deux flambeaux qu'on allume et un seau d'eau bénite avec le goupillon.
Pendant ce temps le bruit au dehors peu à peu s'est accru jusqu'à ébranler la terre, d'une armée en marche et de troupes interminables qui passent. Bruit de chevaux, roulement de l'artillerie et des fourgons.
Puis tout à coup bruit de grelots et d'une voiture attelée de chevaux lancés à toute vitesse qui soudain s'arrêtent devant la maison. Tapage. On entend des portes qu'on ouvre violemment et toute la maison s'emplit d'une grande lumière.
Soudain la porte à deux battants est comme arrachée du dehors et l'on entend un grand cri):
LE ROI!
(Entrent deux valets tenant des flambeaux et derrière eux LE ROI DE FRANCE).
TOUSSAINT TURELURE, s'avançant à sa rencontre.—Sire, soyez le bienvenu dans votre propre royaume!
(Il s'agenouille et lui baise la main)
LE ROI.—Relevez-vous, Monsieur. Il m'est agréable de reconnaître en vous le plus utile de mes sujets.
(Il regarde autour de lui. Son fils, son frère, et les officiers de sa suite sont entrés derrière lui et l'entourent)
TURELURE.—Que Votre Majesté daigne excuser le désordre de cette maison.
LE ROI.—Il ressemble à celui de la France. Pauvre vieille demeure!
Des fondements jusqu'au grenier, on n'a rien laissé en place. Tout a subi conscription.
Mais Nous apportons la paix avec Nous.
(Murmure flatteur dans la suite.—LE ROI aperçoit le lit funèbre devant lequel MONSIEUR BADILON est toujours en prière, et le sourcil légèrement levé vers TURELURE pour l'interroger, il le regarde pour la première fois)
TURELURE.—Que Votre Majesté m'excuse de ne pouvoir lui cacher mes deuils domestiques.
LE ROI.—Qui est-ce?
TURELURE.—Ma femme,
Issue du sang de la France le plus pur et le plus loyal.
LE ROI, reconnaissant les armes.—Coûfontaine adsum,
Et qui est l'autre mort?
TURELURE.—Georges Agénor, mon cousin, votre fidèle serviteur et lieutenant.
Tous deux sont tombés en même temps.
Un déplorable malentendu, l'affreux quiproquo de cette crise soudaine.
(LE ROI s'approche du lit majestueusement et l'asperge d'eau bénite. Puis il passe le goupillon à son fils qui l'imite, puis son frère et les gens de la suite. Et, le dernier, TURELURE, qui s'acquitte du rite avec componction)
LE ROI, revenu au milieu de la scène.—Je saurai reconnaître de tels services et le sang versé pour ma cause.
TURELURE.—Un noble nom s'éteint.
LE ROI.—Il n'est pas éteint. Je sais que vous avez un fils.
(Entre un huissier qui dit un mot à l'oreille de TURELURE)
TURELURE.—Sire ...
LE ROI.—Je vous entends.
TURELURE.—Les Corps de l'Etat
Se sont donné rendez-vous en cette maison pour saluer Votre Majesté.
LE ROI.—C'est bien. Je leur donnerai audience incessamment.
TURELURE, montrant à gauche.—Ici, à gauche, les délégations du Corps législatif, du Conseil d'Etat, des tribunaux et du Sénat conservateur.
LE ROI.—Ouvrez la porte.
(On ouvre la porte à deux battants.—Bruit à droite)
LE ROI.—A droite.
TURELURE.—A droite les évêques de France qui se jettent aux pieds de Votre Majesté.
Vous savez que l'Usurpateur avait convoqué ici un Concile
Afin de formuler les libertés de l'Eglise Gallicane. sous la garde de la gendarmerie.
LE ROI.—De Pradt et Talleyrand pourront me présenter ces messieurs.
Ouvrez la porte.
(On ouvre la porte de droite. Un huissier entre et parle à TURELURE)
TURELURE.—Sire,
La délégation des Maréchaux de France demande à être présentée à Votre Majesté.
LE ROI.—Qu'ils entrent!
(Entre la délégation des Maréchaux)
LE DOYEN DES MARECHAUX. Sire, l'Armée
Est heureuse de faire hommage à son souverain.
(Il salue)
LE ROI, gracieusement lui saisissant les mains, comme si l'autre avait voulu mettre genou en terre.—Relevez-vous, Monsieur!
Le Roi de France est fier de voir autour de son trône rétabli vos épées.
Ce n'est point à l'étranger que vous les avez remises, mais au Roi de France, Louis votre Roi, et qui est seul
(Majestueusement)
La paix.
(Demi-pause)
Gardez la gloire! elle est à vous et ne vous sera pas ôtée.
Et s'il y a quelque opprobre à encourir pour le salut du peuple.
Que le Roi seul l'assume, selon qu'il convient au père de famille.
Je reviens pour me jeter entre mon peuple et l'ennemi.
Je reviens à vous,
Non point avec, mais à travers vos ennemis, à cette heure où la France est blessée, et seules mes mains ici sont sans armes et n'en savent tenir aucune.
Et il est vrai que nous souffrons violence. Mais considérez avec équité que l'Europe ne peut se passer de la France,
Et cet empire que l'on vous a fait, ce n'était plus la France, ce n'était plus sa mesure et sa forme,
Non point étendue, dis-je, mais diminuée.
LE MARECHAL.—Nous sommes vos loyaux soldats et les plus fidèles de vos sujets.
LE ROI.—Demeurez et soyez Nos témoins.
(Il s'avance au milieu de la pièce, et, se tournant un peu vers la droite, puis, vers la gauche, d'une voix forte)
Et vous tous, Evêques, Officiers, Corps de l'Etat, dont j'accueille la démarche,
Soyez témoins de cet acte que je vais accomplir.
(Il revient vers la table que l'on a préparée et où sont disposés des flambeaux, des plumes, des parchemins, de la cire et le Grand Sceau de France)
(Entrent le ROI D'ANGLETERRE, le ROI DE PRUSSE, l'EMPEREUR D'AUTRICHE, l'EMPEREUR DE RUSSIE, le NONCE DU PAPE.)
Messieurs mes frères, soyez les bienvenus dans mon royaume,
Et remerciés de votre loyal service.
Souverains de l'Europe!
Soyez témoins de ce nouveau contrat que le Roi de France va signer avec son peuple.
(Il se retourne lentement vers la fenêtre où paraissent quelques rougeurs.)
Quelles sont ces fumées?
TURELURE.—Ce n'est rien. Quelques mauvais quartiers de Paris qui brûlent, bon nettoyage!
Quelques mauvaises têtes que Monsieur de Raguse achève de mettre à la raison.
Et le tison de la Révolution s'éteint en puant et en fumant.
LE ROI, avec mépris.—Ces extravagances ont pris fin. (Il s'assied lourdement)
Et le Roi avec la France recommence suivant l'ordre légitime.
(Il est assis derrière la table entre les deux flambeaux. A sa gauche, TURELURE; à sa droite MONSIEUR LE DAUPHIN, LE GRAND CHANCELIER; par derrière, LES SOUVERAINS. Devant, massés dans les fenêtres, LES MARECHAUX. A droite et à gauche, LES EVEQUES et LES CORPS DE L'ETAT débordent des deux portes ouvertes. LE ROI promène lentement ses gros yeux sur l'assemblée, puis s'adressant à Turelure):
Monsieur le Comte!
TURELURE, ricanant.—Je suis comte!
LE ROI.—Veuillez quérir des sièges pour Leurs Majestés.
FIN
VARIANTE
(Rentre TURELURE.—Il prend Sygne sous les bras et l'asseoit dans un grand et profond fauteuil. Lui-même s'assied devant elle, la regardant fixement.
TURELURE.—Bonjour, Sygne.
(Elle fait effort comme pour parler et n'y peut parvenir.)
M'entendez-vous? Vous ne pouvez parler?
Parlez cependant, je puis lire les mots sur vos lèvres.
(Elle parle sans aucun son.)
Mort? Georges, est-il mort?
(Signe.)
J'ai le regret de vous dire que oui.
(Paroles sur les lèvres.)
Le prêtre? Je vous répète qu'il est mort. Trop tard. Il est trop tard.
La balle l'a frappé au front. Il est mort.
—Moi je suis vivant.
Grâce à vous, chère Sygne. (Silence.)
Sans prêtre, sans confession.
Et dans des dispositions, hélas! qui nous permettent de conserver quelques doutes sur son salut. (Silence.)
Quoi? je ne puis vous entendre.
Infinie?
La miséricorde de Dieu est infinie? C'est vrai, la miséricorde de Dieu est infinie.
Sa justice aussi. «Nescio vos», est-il écrit. «Je ne sais du tout qui vous êtes.»
C'est le Père qui parle ainsi.
(Silence.)
Texte. Vous avez beau dire que non.
(Silence.)
Mais moi, Sygne, quelle reconnaissance vous dois-je!
Vous sauvez ma vie au prix de la vôtre.
O mystère de l'amour conjugal! ô dévouement digne de l'antiquité!
C'est de vous qu'il est écrit comme de l'ancienne Ruth: J'oublierai mon pays et tes dieux seront mes dieux.
Qu'est-ce qu'un frère pour vous à côté de l'époux que vous vous êtes choisi?
Ah, je veux qu'où je suis vous soyez désormais avec moi et que nos os côte à côte reposent dans le même monument!
Encore non? mais moi, je vous dis que oui, et c'est moi qui suis le plus fort.
Je vous connais mieux que vous-même et ce dernier acte vous découvre à la fin.
L'amour est un lien plus fort que le sang. Et qui vous connaîtrait mieux, ma chère Sygne,
Que cet époux à qui s'est ouvert le secret de votre corps virginal?
(Silence.)
Du moins votre sacrifice ne fut pas vain:
Le Roi revient en France.
(Silence.)
Le Roi de nouveau est là et je suis son premier ministre. (Silence.)
Coûfontaine renaît en notre cher enfant. Voulez-vous le voir et l'embrasser?
(Signe que non.)
Quoi? vous ne voulez pas voir votre enfant?
(Signe que non.)
Ceci est grave. (Silence.)
Sygne, il est vain de vous le cacher. Je crains que pour vous aussi l'heure de la mort soit proche.
L'abbé Badilon n'est pas loin. Dois-je le faire venir? (Silence.)
Sygne, ai-je bien compris? eh quoi, vous ne dites rien? (Silence.)
Tu tiens bon, Sygne. Mais tu ne peux me cacher ces larmes qui coulent de tes yeux.
(Silence. Elle pleure.)
Croyez-vous que je ne vous comprenne pas?
(Silence.)
Vous ne voulez pas me pardonner. Vous ne voulez pas que ce prêtre vous impose le pardon.
Vous voulez bien me donner votre vie, la mort était une chose trop bonne pour me la laisser.
Mais non point me pardonner. Et pourtant c'est la condition nécessaire de votre salut!
(Silence.)
TURELURE, lentement comme s'il épelait sur ses lèvres.
«Je n'en puis plus», dites-vous?
(Silence.)
TURELURE, de même.—«Tout est épuisé—jusqu'au fond.—Tout est exprimé—jusqu'à la dernière goutte.» Non, cela n'est pas.
Le devoir reste.
Laissez-moi vous conjurer au nom de votre salut éternel.
En vérité vous êtes un scandale pour moi, qui ne crois pas plus à ces choses que votre frère. (Silence. Signe que non.)
Si grande est la haine que vous me portez!
Que fut donc notre mariage?
Le mariage est un sacrement. Ce n'est point le prêtre qui fait le mariage, c'est le consentement seul.
Et comme le pain de l'eucharistie, le oui est la matière de cette communion permanente.
Combien ne doit-il pas être complet qui fait de deux âmes
Une seule en une seule chair?
Un grand sacrement, dit l'Apôtre.
(Silence.)
Sygne, que dois-je penser de ce oui que vous m'avez donné?
(Silence.)
Vos intentions étaient droites? Défaite.
Il s'agissait de sauver le Pape? Non.
Aucun bien ne justifie un acte mauvais. Aucun.
(Silence.)
Sygne, m'entendez-vous? oui, je vois que vous m'entendez encore. Ah, fille fière, tu ne fléchis pas! (Silence.)
Tu n'as pas su faire complètement ton sacrifice et tu recules au dernier moment.
La damnation, Sygne! l'éternelle privation de ce Dieu qui t'a faite,
Et qui m'a fait aussi, à son image: oui, quoique tu refuses de me pardonner!
De ce Dieu qui t'appelle à ce suprême instant et qui te somme, toi, la dernière de ta race.
Coûfontaine! Coûfontaine! M'entends-tu?
Et quoi! tu refuses! tu trahis!
Lève-toi, quand tu serais déjà morte! c'est ton suzerain qui t'appelle! Eh bien, tu fais défection?
Lève-toi, Sygne! lève-toi, soldat de Dieu! et donne lui ton gant.
Comme Roland sur le champ de bataille quand il remit son poing à l'Archange Saint Michel,
Lève-toi et crie: ADSUM! Sygne! Sygne!
(Enorme et railleur au-dessus d'elle.)
COUFONTAINE, ADSUM! COUFONTAINE, ADSUM!
(Elle fait un effort désespéré comme pour se lever et retombe.)
TURELURE, plus bas et comme effrayé.—COUFONTAINE, ADSUM.
Silence
(Il prend le flambeau et fait passer la lumière devant les yeux qui restent immobiles et fixes)
LE RIDEAU TOMBE
NOTICE
L'OTAGE A ETE JOUE POUR LA PREMIERE FOIS PAR LA TROUPE DE L'ŒUVRE, A LA SALLE MALAKOFF, LE 5 JUIN 1914, AVEC L'INTERPRETATION SUIVANTE:
| LE PAPE PIE | J. SAVOY |
| LE CURE BADILON | LUGNE POE |
| Le VICOMTE GEORGES DE COUFONTAINE | Max BARBIER |
| TOUSSAINT TURELUR | Jean FROMENT |
| SYGNE DE COUFONTAINE | Eve FRANCIS |
A propos de la «Variante» qui terminait le drame, on joint ici un extrait d'une lettre adressée à M. de Pawlowski, Rédacteur en Chef de COMOEDIA:
«... Sygne, d'ailleurs mourante et déjà enveloppée des ombres de l'agonie, si elle laisse sans réponse l'offre qu'on lui fait d'appeler le prêtre qui lui imposerait le pardon, c'est ainsi qu'on a pris soin de l'indiquer, parce qu'elle n'a plus aucune force et que tout est épuisé, jusqu'à la dernière goutte. Vivante elle a fait tous les sacrifices que Dieu lui demandait, la vie même elle vient de la donner pour son indigne époux. Maintenant elle n'en peut plus, elle est «épuisée», elle est «exprimée jusqu'au fond», elle n'a plus la force nécessaire pour faire, ni comprendre même, quoi que ce soit de plus; elle est comme morte. Et pourtant elle ressuscite, quand Turelure, qui, tout en triomphant et en se moquant d'elle, a tout de même le sens de la race et de la religion, lui rappelle, à la fois ironique et scandalisé, le grand devoir féodal, la foi, la prestation de toute la personne au Suzerain,—dans cette donation de la main droite qui résume toute la pièce et dans un grand élan de confiance, d'espérance et d'amour qui, à ce que nous pouvons espérer, la sauve! Je répète ici encore une fois ce que j'ai dit pour «l'ANNONCE»: ce ne sont pas des saints que j'ai voulu présenter, mais des faibles créatures humaines aux prises avec la Grâce».