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La duchesse bleue

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The Project Gutenberg eBook of La duchesse bleue

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Title: La duchesse bleue

Author: Paul Bourget

Release date: January 18, 2017 [eBook #54002]
Most recently updated: October 23, 2024

Language: French

Credits: Produced by Clarity, Hélène de Mink, and the Online
Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This
file was produced from images generously made available
by The Internet Archive/American Libraries.)

*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LA DUCHESSE BLEUE ***

Note sur la transcription: Les erreurs clairement introduites par le typographe ont été corrigées. L'orthographe d'origine a été conservée et n'a pas été harmonisée. Les numéros des pages blanches n'ont pas été repris.

La Duchesse Bleue

ŒUVRES COMPLÈTES
DE
Paul Bourget

PETITE BIBLIOTHÈQUE LITTÉRAIRE
  fr.
Poésies (1872-1876). Au bord de la Mer.La Vie inquiète.Petits Poèmes. 1 vol. avec portrait. 6.00
Poésies (1876-1882). Edel.Les Aveux. 1 vol. 6.00
L'Irréparable.—Deuxième Amour.Profils perdus. 1 vol. 6.00
Cruelle Énigme. 1 vol. 6.00
Un Crime d'amour, 1 vol. 6.00
ÉDITION IN-18 JÉSUS
L'Irréparable.—Deuxième Amour.Profils perdus. 1 vol. 3.50
Pastels (Dix portraits de femmes). 1 vol. 3.50
Nouveaux Pastels (Dix portraits d'hommes). 1 vol. 3.50
Recommencements. 1 vol. 3.50
Voyageuses. 1 vol. 3.50
Complications Sentimentales. 1 vol. 3.50
Cruelle Énigme. 1 vol. 3.50
Un Crime d'amour. 1 vol. 3.50
André Cornélis. 1 vol. 3.50
Mensonges. 1 vol. 3.50
Le Disciple. 1 vol. 3.50
Un Cœur de Femme. 1 vol. 3.50
Physiologie de l'Amour moderne. 1 vol. 3.50
La Terre promise. 1 vol. 3.50
Cosmopolis. 1 vol. 3.50
Une Idylle Tragique. 1 vol. 3.50
Essais de Psychologie contemporaine. (Baudelaire.Renan.Flaubert.Taine.Stendhal.) 1 vol. 3.50
Nouveaux Essais de Psychologie contemporaine. (Dumas fils.Leconte de Lisle.Les Goncourt.Tourguéniev.Amiel.) 1 vol. 3.50
Études et Portraits. (I. Portraits d'écrivains.II. Notes d'esthétique.III. Études Anglaises.IV. Fantaisies.) 2 vol. 7.00
Sensations d'Italie. (Toscane. Ombrie. Grande-Grèce.) 1 vol. 3.50
Outre-Mer (Notes sur l'Amérique). 2 vol. 7.00
COLLECTION ILLUSTRÉE
Cruelle Énigme (Collection Guillaume-Lemerre). 1 vol. petit in-8o illustré par Marold. 4.00
Mensonges (Collection de romans illustrés). 1 vol. petit in-8o illustré par Myrbach. 4.00
Un Scrupule. 1 vol. in-32 illustré par Myrbach. 2.00
Un Saint. 1 vol. in-32 illustré par Paul Chabas. 2.00
Steeple-Chase. 1 vol. in-32 illustré par André Brouillet. 2.00
Deuxième Amour. 1 vol. in-32 illustré par Myrbach. 2.00
Discours de Réception à l'Académie Française. 1 vol. in-8o. 1.00
Tous droits de reproduction et de traduction réservés pour tous les pays, y compris la Suède et la Norvège.

PAUL BOURGET
La
Duchesse Bleue

PARIS
ALPHONSE LEMERRE, ÉDITEUR
23-31, PASSAGE CHOISEUL, 23-31


M DCCC XCVIII

I

A
MADAME MATHILDE SERAO

Madame et amie,

JAURAIS voulu écrire votre nom en tête d'une œuvre plus digne d'être offerte au romancier génial à qui nous devons le Pays de Cocagne. Quand on sort de lire des livres tels que celui-là, où l'âme d'un peuple a passé tout entière, des études de sensibilité individuelle du genre de la Duchesse Bleue paraissent bien minces, bien grêles. C'est un tableau de genre, placé en regard d'une de ces colossales fresques où excellèrent les maîtres italiens du quinzième siècle. Vous tenez d'eux, madame, cette largeur de touche, cette spontanéité créatrice qui met sur pied les personnages par centaines avec une aisance que n'ont surpassé de nos jours ni l'auteur de l'Assommoir, ni celui de Bel-Ami, ces deux autres admirables peintres de foules. En vous étudiant, vous et eux, je ne dirai pas que j'aie jamais douté de la forme littéraire à laquelle j'ai voué mon constant effort: le roman d'analyse; mais j'ai toujours senti la limitation d'un genre auquel manque presque fatalement ce prestige qui est le vôtre et le leur après avoir été celui de Scott et de Balzac, de Tolstoï et de tous les conteurs qui procèdent par vastes ensembles: le coloris de la vie en mouvement.

Si pourtant j'avais exécuté ce livre-ci tel que je l'ai conçu, il aurait eu, à défaut de cette large humanité propre au roman de mœurs, ce mérite de poser un très intéressant problème de psychologie. Quand j'ai commencé de l'écrire, voici quelques années déjà, j'avais l'idée de reprendre, à ma manière, la question traitée par Diderot dans son célèbre Paradoxe sur le Comédien. Cette ambition s'est même traduite par le titre sous lequel ce roman a paru dans un des grands périodiques Parisiens, le Journal, à la place réservée au feuilleton: Trois Ames d'Artistes. Ce problème n'est rien moins que celui des rapports de l'expression et de l'impression. L'artiste, à prendre ce mot dans le sens le plus large, c'est-à-dire l'être capable de traduire les sentiments humains, sculpteur et peintre par des formes, acteur par la voix et la mimique, musicien par des accords, écrivain par des mots,—doit-il éprouver réellement ces émotions dont il est l'interprète, ou bien s'accomplit-il en lui un de ces dédoublements de personnalité, admis aujourd'hui comme quotidiens par la science de l'esprit, et le moi du talent peut-il être absolument distinct du moi de la vie? En d'autres termes, un grand artiste doit-il être de toute nécessité l'homme de son œuvre? Il n'est pas besoin d'aller chercher parmi les anecdotes plus ou moins controuvées de l'histoire littéraire des preuves pour ou contre cette théorie. Il suffit de rappeler que Shakespeare et Molière ont pu reproduire l'un les sentiments d'un Yago, l'autre ceux d'un Tartufe, sans les avoir jamais éprouvés. Le fait inverse ne saurait-il pas se rencontrer, et la peinture des sentiments les plus délicats ou les plus sublimes n'a-t-elle pas dû souvent être exécutée par des écrivains qui les concevaient dans leur seule imagination? Balzac le croyait. C'est l'idée maîtresse qui circule d'un bout à l'autre des Illusions perdues et de Modeste Mignon. Rubempré et Canalis sont deux exemplaires, anatomisés avec une merveilleuse lucidité, du poète chez lequel cette imagination des sentiments élevés fonctionne à part, comme un organe indépendant, si bien qu'il y a chez eux non seulement un divorce total, mais une contradiction absolue, entre l'homme qui écrit et l'homme qui agit, entre le cerveau qui compose et le cœur qui sent.

Poussé à ce degré, ce phénomène de dédoublement devient une déformation morale presque monstrueuse, à laquelle il faut maintenir, et Balzac n'y a point manqué, son caractère d'exception. Il y a certes un point normal, qui est pour l'artiste l'état de santé, où le pouvoir d'expression et celui d'impression s'équilibrent, où le talent se développe sans contredire la vie, bien plus en la complétant et la couronnant. Ce fut toute l'éthique de Gœthe de rechercher ce point de santé et de s'y tenir. On peut affirmer, à l'honneur de la nature artiste, que, presque toujours, elle s'y place d'instinct. Mais ce n'est qu'un point et il est aisé en étudiant la suite des œuvres des hommes les plus sincères de distinguer celles où cet équilibre entre l'expression et l'impression a été faussé, presque rompu; celles aussi où il s'est brisé tout à fait. Pour ne citer qu'un nom, et lointain, que j'emprunterai aux gloires de votre pays, Perugin vieillissant aura donné un des plus significatifs exemples d'une rupture de cet ordre, lui qui continuait à peindre ses mystiques madones, avec les mêmes têtes lourdes d'extase, les mêmes yeux levés au ciel, les mêmes gaucheries de ferveur naïve, alors qu'il avait cessé de croire en Dieu... Quel chemin ce grand homme avait-il suivi pour en descendre là? Quel chemin suivent tous ceux qui, moins illustres que lui, subissent une déchéance analogue, et arrivent à ne plus raccorder leur art à leur cœur? J'ai toujours pensé qu'il y avait matière à une étude singulièrement pathétique dans cette histoire d'un beau génie devenant, sous des influences dépravantes, incapable de sentir ce qu'il reste capable d'exprimer. C'est cette étude que j'avais eu l'intention d'essayer dans Trois Ames d'Artistes. Je voulais montrer trois types d'artistes à côté l'un de l'autre: l'un d'abord, dégradé par ce divorce définitif de l'art et de la vie, et systématisant cette dualité avec le plus brutal utilitarisme,—un second, au contraire, portant dans son cœur toutes les émotions dont le premier a toutes les éloquences, mais incapable de s'exprimer tout entier et paralysant sa sensibilité imaginative par l'excès de sa sensibilité réelle,—un troisième enfin, placé à ce point d'équilibre dont je parlais tout à l'heure et à la veille d'en sortir. Pour que les diverses formes d'art fussent représentées dans cette étude, j'avais fait du premier de ces types d'artistes un écrivain à la mode, mi-romancier, mi-auteur dramatique, du second un peintre, du troisième une comédienne, et j'avais rêvé de faire sortir tout un drame des contrastes entre ces trois âmes, affrontées dans une crise de passion tragique. Vous retrouverez, madame et amie, les débris de ce premier roman dans la Duchesse Bleue, et vous vous rendrez compte, vous qui connaissez par expérience les involontaires détours de la composition littéraire, des raisons pour lesquelles ce premier sujet a dérivé dans un autre. J'avais projeté une étude de vie intellectuelle, puis, en route, l'anecdote sentimentale m'a pris tout entier, et ce qui devait n'être que l'accessoire a peu à peu passé pour moi au premier plan. Je n'ai plus vu, dans mon sujet, qu'une aventure d'amour à conter, et ce livre est devenu le simple récit de la passion malheureuse d'une comédienne à ses débuts et naïve encore pour un auteur célèbre et corrompu par la dangereuse épreuve du succès. Il m'a paru que le titre ambitieux qui convenait au premier projet ne convenait guère à ce que j'en avais réalisé, et j'ai cru devoir le changer. Je souhaite qu'un romancier plus puissant reprenne quelque jour ce problème de psychologie artistique, que je m'obstine à croire bien riche et bien significatif comme tout ce qui touche au domaine presque inexploré de la sensibilité intellectuelle. Je ne connais, parmi nos contemporains, que M. Henry James qui ait donné quelques analyses de cet ordre, dans son remarquable recueil de nouvelles: Terminations. Pensant à lui, dans cette minute où je vous écris cette dédicace, je ne peux m'empêcher de songer avec une joie profonde, combien, dans notre âge trop durement traité par les théoriciens de la dégénérescence, cet art du roman, si vaste, si souple, si complètement adapté à l'âme moderne, compte à cette heure, dans tous les pays de vigoureux représentants. Cet admirable genre n'a pas été épuisé par l'étonnante suite de génies qui depuis Scott jusqu'à Maupassant et Daudet, pour ne parler que des morts, y ont dépensé le meilleur d'eux-mêmes. Parmi ceux qui restent, il n'en est point dont nous attendions davantage que de Mathilde Serao, de l'auteur de Cœur Malade et de la Conquête de Rome, à qui je suis heureux d'envoyer ici ce faible témoignage de ma sincère admiration.

PAUL BOURGET.

6 juillet 1898.

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