La maison d'un artiste, Tome 2
BLEU
Couleur obtenue en plongeant le vase dans du liao, ou azur délayé, mais le plus souvent en soufflant l'azur le plus pur sur le vase, au moyen d'un petit tube recouvert d'une gaze, et produisant une pluie qu'on renforce dans les manques; puis, quand elle est sèche, on recouvre ce soufflé, appelé tsoui-yeou, de la couverte.
Vase ovoïde au col cylindrique, au goulot évasé. Fond bleu fouetté, soufflé. Décor doré représentant d'un côté un oiseau posé sur une tige de bambou, de l'autre un rameau d'arbuste en fleurs: oiseaux et fleurs apparaissant sur le lapis agatisé à l'état de léger frottis, de vague nuage d'or. Ce petit vase porte dessous le rond bleu de l'empereur Khang-hi.
Grand plat. Gros bleu. Sur le fond est réservée en blanc, avec nervures des feuilles et dessins des pétales gravés en creux, une tige de néflier. Sur le marli sont alternés des rameaux de groseillier et de néflier. Une guirlande de fleurs court le long du rebord bleu extérieur. Ce plat porte le nien-hao de l'empereur des Ming, Sïouan-te (1426-1436).
Petit vase. Gros bleu à surface granuleuse, sur laquelle est émaillé, en ses couleurs naturelles, un bouquet de pivoines. Intérieur et dessous vert d'eau. Porte un cachet imprimé en rouge.
Petit pot en forme de barillet. Bleu du ciel après la pluie. Bleu intense vibrant, ligné de raies et semé de papillons, légèrement enlevés à la pointe sous la couverte. Ce petit pot porte le nien-hao de l'empereur de la dynastie des Ming, Tching-hoa (1465-1488). C'est une imitation de la fameuse porcelaine Yu-kouo-thien-tsing, fabriquée au dixième siècle sous l'empereur Chi-tsong. Est-ce même une fabrication du quinzième siècle? On sait que les potiers chinois ne se sont pas fait faute d'antidater, souventes fois, leurs produits.
BLEU TURQUOISE
Cette couleur, appelée par le dix-huitième siècle bleu céleste, et dont la base est un ivoire fossile coloré par l'oxyde de cuivre, est la couleur par excellence de la Chine, qui en a fait ces vases d'un bleu pâle si charmant et si inimitable, que les Japonais eux-mêmes, avec toute leur habileté, n'ont jamais pu imiter qu'avec un bleu dur, un bleu de verre. Il est reconnaissable, le beau bleu turquoise, indépendamment de la qualité de sa nuance, à un truité très fin, que les Européens ne sont jamais arrivés à contre-façonner, à un truité ressemblant au chagrin écrasé des étuis de galuchat de nos grand'mères.
Vase à quatre pans carrés et évidés au pied, d'une forme sveltement élancée. Anses formées d'anneaux attachés à des mufles. Pièce de bleu turquoise, du bleu le plus célestement bleu, sans mélange d'aucune nuance verdâtre.
Petite théière en forme d'une petite caisse allant en se rétrécissant, avec un goulot d'arrosoir, et surmontée d'une poignée entre deux anses à oreilles. Pièce de la forme la plus originale, et d'une qualité de turquoise exceptionnelle.
Plateau aux bords recroquevillés et festonnés. C'est l'imitation d'une molle feuille de nénuphar, et sur laquelle sont modelés en plein relief un escargot, une sauterelle, un crabe. Bleu qui semble l'eau vertement azurée que, sous les cieux du Midi, gardent les creux de rocher, quand la mer s'est retirée.
Arrête-pinceaux, appelé en Chine py-tia. Bleu turquoise. Un morceau de porcelaine à l'extrémité supérieure mamelonnée et ayant les saillants et les rentrants d'un poignet fermé. Dans la partie inférieure, une bordure à jour formée de ronds évidés entrant l'un dans l'autre.
VIOLET
Le violet, le vieux violet, arrivé au ton chaud, velouté, sans tomber dans le purpurin brunâtre, le beau violet aubergine, est une des couleurs à la fois les plus triomphantes et les plus rarement réussies de la céramique chinoise. On le trouve très souvent marié au bleu turquoise, sur les porcelaines, où le mélange des deux harmoniques colorations produit les plus heureuses et les plus riches marbrures. Le dix-huitième siècle payait fort cher ce mélange contrasté, sur les chimères, les carpes, les perroquets, les singes et même sur des vaches, à l'affreuse anatomie baroque.
Théière en forme de pêche de longévité. Vieux violet. Cette théière à l'usage des peintres, qui n'a pas de couvercle et se remplit par un trou-tube placé sous le pied, a un goulot émaillé jaune couleur bois, et une anse émaillée en turquoise; et du goulot et de l'anse se projettent, sur la pointe du fruit, des feuilles lancéolées mi-turquoises, mi-jaunes, reflétées dans l'émail profond du fruit. Pièce hors ligne du plus puissant violet qui soit.
Grande potiche au long col élancé, à la panse renflée au-dessous des anses et finissant en s'amincissant au pied. Fond violet jaspé, sur laquelle s'épanouit une grande pivoine aux folioles bleu turquoise, au cœur d'un blanc jaunâtre, une pivoine qui n'est lignée par aucun contour, et dont le dessin est, comme un accident, le hasard heureux de couleurs fortuites. Les anses, formées de rinceaux cryptogamiques teintés en bleu turquoise, sont très originales: au lieu d'être accolées latéralement au vase, elles tombent, l'une devant, l'autre derrière, ainsi que des chutes de fleurs poussées en sens contraire.
Jardinière en forme de petite caisse évasée. Vieux violet mélangé de bleu turquoise sur lequel il est répandu en coulées épaisses.
Plat. Fond violet sur lequel sont jetées deux grosses fleurs ornementales bleu turquoise. La brutalité du décor, l'opacité du bleu turquoise, le jaspé purpurin du violet, me font supposer que c'est une fabrication japonaise.
VERT
La couleur verte, parmi laquelle la nuance la plus recherchée est le beau vert intense et lucide de la feuille de camélia. On sait le prix énorme qu'a atteint la petite urne ovoïde, feuille de camélia, de la vente Barbet de Jouy.
Petit vase à quatre pans de forme pansue et aplatie. Vert olive appelé Long-thsiouen-yao. Les arêtes du vase, et les mufles et les anneaux formant les anses, sont lignés d'un jaune verdâtre, imitant les lumières qui filent sur les saillies usées d'un bronze vert.
Jardinière en forme de petite caisse aux pans bombés, aux angles arrondis et festonnants. Grès à la couverte vert grenouille, orné sur quatre côtés dans la rocaille d'un large cadre émaillé blanc et noir, de caractères chinois, de fruits, de coquillages, modelés en terre de boccaro. Vase d'une décoration originale et rappelant les contours ronflants de nos commodes-tombeaux du dix-huitième siècle. En dessous, un cachet.
Coupe évasée, au rebord déprimé. Fond vert tendre camélia à reflets irisés. Bordure formée d'une grecque gravée, répétée quatre fois sur le bas de la coupe, et d'où se détache en relief une chimère faite d'une grecque fantastique. Cette coupe de forme élégante, à la gravure la plus nette, au tournage le plus parfait, porte le nien-hao de l'empereur Yung-tching, de la dynastie des Tsing (1723-1736), sous le règne duquel la fabrication de la porcelaine a jeté un grand éclat.
Tasse-gobelet. Vert camélia. Cette tasse au bord réservé blanc, aux reflets métalliques, au craquelé profond et noirâtre, est de ce beau vert, à la fois intense et gaiement lumineux, que la céramique européenne ne peut réussir, ne peut obtenir de l'oxyde de cuivre qui fait tous nos verts en céramique.
CÉLADONS
La porcelaine ambitieuse de ressembler au jade, la porcelaine collectionnée par Mme de Pompadour—et dont le tendre ou le blafard vert d'eau serait, au dire de M. Jacquemart, obtenu par la coloration d'une pierre ferrugineuse inconnue de l'Europe.
Grand flacon carré à quatre pans. Céladon olivâtre. Sur les quatre pans est répété le même dragon. Travail grossier et rudimentaire qui a quelque chose de l'ornementation lourde d'un bronze primitif. Est-ce bien là un de ces vieux céladons à la pâte de grès? Ne serait-ce pas plutôt une imitation assez moderne, soit chinoise, soit japonaise?
Petite potiche côtelée. Céladon à émaux verts. Coloré d'une très légère teinte vert d'eau de mer, plus apparente dans les rentrants des côtes, ce vase est décoré au col d'une première bordure vert foncé, où court une grecque, d'une seconde bordure encastrant dans de petits hexagones des rosaces rouges, d'une troisième bordure violette à lambrequins. Ces trois bordures sont répétées en bas par un dessin qui en reproduit les couleurs. Sur la panse renflée jouent, avec des sphères attachées par de longs cordons, trois chiens de Corée, dont l'un est vert, l'autre jaune, le dernier violet. Cette pièce à la douce harmonie des émaux porte le nien-hao de l'empereur Hiouan-tsoung, de la dynastie des Ming (1426-1436).
Grand vase au long col évasé, à la panse sphérique. Céladon ciselé. Ce vase est entièrement incisé de fleurs de pivoines dans des feuillages, dont les rinceaux couvrent le col et la panse. Voici ce que disent les annales de Feou-liang à propos de cette fabrication: «Sur toute espèce de porcelaine crue, on cisèle, avec une longue pointe, des dragons, des phénix, des fleurs, des plantes. On y ajoute par dessus de l'eau d'émail et une couche de chaux épurée, et on met le vase au four.» Ce vase porte le nien-hao de l'empereur Siouan-te, de la dynastie des Ming (1426-1436).
Bouteille à la panse orbiculaire, au pied carré, au col cylindrique, aux anses dont le bout se relève en forme d'un pétale de fleur. Céladon bleu d'empois, où se voient, sur chaque face, trois pêches de longévité, entourées du vol de cinq chauves-souris.
Petite écuelle carrée aux angles arrondis et rentrants. Céladon fleuri. Décor extérieur, une grecque lignée d'or et dont les compartiments gaufrés forment des dessins géométriques à têtes de dragons. Décor intérieur, bâtonnets de bambous en relief et dorés, se coupant à angles droits. Cette écuelle porte imprimé en or le nien-hao de l'empereur Kien-long.
Grand vase au renflement cylindrique commençant au col. Céladon vert d'eau. Un de ces vases que le dix-huitième siècle appelait porcelaines à modèles, et qui représente, dans un relief blanc doré, des potiches, des brûle-parfums, des pitong, des rouleaux d'écriture. Il porte le nien-hao de l'empereur Kien-long. Ce nien-hao, imprimé en or gaufré, comme celui de la petite écuelle, semble annoncer que c'est une porcelaine sortant d'une manufacture impériale.
Grande bouteille de forme persane, au long col évasé, à la large panse. Céladon fleuri. Porcelaine toute gaufrée d'ornements géométriques terminée par une grecque à têtes d'animaux chimériques, une décoration qui revient souvent dans les céladons. Cette bouteille porte, imprimée en bleu, le nien-hao de l'empereur Kien-long.
Petite bouteille formée de l'enroulement d'une feuille de nénuphar autour de laquelle commencent à s'ouvrir deux autres feuilles. Céladon vert d'eau présumé japonais.
Gourde aplatie à double renflement. Céladon bleu d'empois. Céladon d'un uni de ton et d'une glaçure de pierre précieuse réalisant presque le jade, dans une des plus élégantes montures de bronze doré du dix-huitième siècle.
CRAQUELÉS
Une combinaison de génie et un tour de main, par lesquels le céramiste chinois a dompté, dans la cuisson, les aventures et les hasards malheureux de la tressaillure, et est arrivé à l'asservir et à la forcer à devenir la décoration régulière d'une pièce de porcelaine. Il y a le craquelé à grandes craquelures, le craquelé à petites craquelures, et enfin le truité, ainsi baptisé par l'abbé Raynal, comparant les infiniment petits segments du fendillement universel de la couverte aux écailles de la truite.
Petite potiche aux anses formées d'un mufle. Craquelé bleuâtre, une nuance qui indique d'ordinaire une origine ancienne.
Potiche à la forme cylindrique un peu renflée à la gorge. Les anses sont formées de chauves-souris aux ailes éployées, et au cou desquelles pendent des rouleaux d'écriture, noués à un cordon terminé par deux glands. Ancienne porcelaine truitée à la nuance jaune rouillée d'une toile qui n'a pas passé au blanchissage.
Grande jatte aux bords découpés en festons. Craquelé ventre de biche, sur lequel, à l'intérieur et à l'extérieur, sont jetées des branches de sapins, des tiges de roseaux émaillées en vert, au milieu de corolles de fleurs émaillées en rose, en violet, en jaune bordé de rouge. Pièce où le décor prend, sur la pâte de grès agatisée, l'aspect d'un émail cloisonné. Cette jatte a pour marque une tortue faite avec un pointillé, gravé en bleu.
Potiche aux anses formées par des mufles de lion. Craquelé café au lait, cerclé d'une bordure à oves, d'une zone à entrelacs de rubans, d'une seconde bordure à palmettes, fabriquées ainsi que les anses d'un boccaro brunâtre; ayant l'aspect de fer rouillé et faisant comme une sévère monture au craquelé. Véritable craquelé ancien, précieux en ce temps où l'imitation est poussée très loin.
Petite bouteille plate à quatre pans, aux anses faites de trompes d'éléphant. Porcelaine d'un blanc gris, d'un «blanc de riz», décorée, sur ses deux faces, d'une branche fleurie, au-dessus d'un rocher, exécutée en bleu, et traversée par un grand craquelage, sur une couverte d'un poli gras au toucher, tout particulier à certaines porcelaines d'Orient.
Ici, à propos du poli, de la douceur, de l'onctueux pour ainsi dire, des choses parfaites dans les mains: un aphorisme. Le toucher, c'est la marque à laquelle se reconnaît un amateur. L'homme qui prend un objet avec des doigts indifférents, avec des doigts bêtes, avec des doigts qui n'ont pas l'enveloppement amoureux, cet homme n'est pas un passionné d'art.
COQUILLE D'ŒUF
J'arrive à la porcelaine que j'aime, à la coquille d'œuf[51], à cette matière industrielle, délicate et transparente, où le décor céramique a été poussé à la perfection la plus extraordinaire et dont la blanche surface est égayée de l'éclair tendre des émaux les plus doux. C'est l'époque de la prédominance de l'émail rose[52] tiré de l'or, et de son rehaut enchanteur autour de figurines de femmes d'un maniérisme voluptueux.
Petite tasse. Coquille d'œuf fond blanc, sur lequel se détachent, au milieu de petites feuilles à l'émail vert des seizième et dix-septième siècles, des fleurs rouges et bleues aux colorations intenses. Cette tasse porte un nien-hao à trois caractères.
Tasse et soucoupe. Coquille d'œuf. Première bordure de la soucoupe à petits rinceaux dorés, seconde bordure carrelée en encre de Chine, avec des réserves de fleurettes blanches peintes sur le fond de la soucoupe; au-dessus d'une branche de pivoines, deux coqs s'attaquant. Le pourtour de la tasse, au-dessous d'une bordure noire et or, est recouvert d'une mosaïque carrelée à l'encre de Chine avec des réserves pareilles à celles de la soucoupe. A l'intérieur de la tasse une bordure rose, et au fond la répétition des deux coqs.
Tasse et soucoupe. Coquille d'œuf. Sur le fond rouge d'or de la tasse, deux médaillons et deux cartouches à réserves blanches; dans les médaillons un dragon doré, dans les cartouches au milieu de fleurettes jaunes et violettes, une pivoine rose vers laquelle se dirige un crabe. Même décor en plus grand sur la soucoupe, qui a au fond une fleurette d'or répétée dans l'intérieur de la tasse.
Tasse aux plus jolis émaux translucides, dont la tendresse lumineuse est en quelque sorte augmentée par ce beau fond de pourpre de Cassius, qui a toutefois le défaut d'être un ton un peu mat, et de ne jamais arriver à l'unité de l'émail dans toutes les parties d'une pièce.
Tasse et soucoupe. Coquille d'œuf. Bordure de la soucoupe mosaïque carrelée rose avec trois petites réserves où sont des fleurettes dorées. Seconde bordure mosaïque nattée (clathrée); elle se termine par un cadre rocaille sur lequel court une branche de pivoine dorée. Dans la réserve blanche du fond est exécutée à l'encre de Chine une Chinoise tenant un jou-y, sceptre honorifique, et à laquelle une suivante tend une corbeille de fruits. Les deux femmes sont répétées séparées sur la tasse, qui est décorée, à l'intérieur de la bordure rose de la soucoupe et au fond d'une fleur dorée.
Ce décor, que j'ai retrouvé en grand sur un compotier, est d'une charmante originalité, et les figures noires font le plus joli effet au milieu de la douce et riante variété des émaux qui les entourent.
Tasse et soucoupe. Coquille d'œuf. Première bordure de la soucoupe verte à losanges. Seconde bordure carrelée rose, et contenant, en des réserves blanches, des fleurettes peintes dans des encadrements bleus. Troisième bordure nattée et se terminant par un filet d'or à festons. Dans la réserve du cartouche faisant le fond de la soucoupe, un barillet de porcelaine plein de pivoines, à côté d'une coupe où sont des cédrats digités. La tasse a une bordure carrelée verte, et, sur le pourtour natté bleu, se détachent des médaillons remplis d'une mosaïque rose, surmontée d'une astragale d'or. Au fond de la tasse qui a une bordure intérieure bleu pâle, une répétition en petit du fond de la soucoupe.
Une tasse au décor tout semblable a été gravée dans la planche VIII de l'Histoire de la porcelaine de M. Jacquemart, qui la classe dans la famille rose japonaise. En attendant que la question des porcelaines du Japon et de la Chine de même famille soit élucidée, cette tasse, je la tiens, pour une tasse chinoise.
Tasse. Coquille d'œuf. Fond blanc, dont se détache une Chinoise à la robe rose, un sceptre honorifique à la main, tandis qu'au revers une autre Chinoise porte sur l'épaule un instrument de jardinage, dans lequel est passé un panier de fleurs. Nuages concrétionnés, terrains stratifiés. Mosaïque intérieure carrelée en encre de Chine, avec quatre rosettes dorées. Au fond, une fleurette de sésame pourpre.
Tasse, où l'élancement et la sveltesse des petites femmes du Céleste Empire évoque dans l'esprit le nom que leur a donné la Hollande: lang-lysen, les longues demoiselles.
Tasse et soucoupe. Coquille d'œuf. Bordure de la soucoupe formée des stries de deux cordelettes enroulées, l'une noire, l'autre dorée. Entourage de mosaïque carrelée en encre de Chine, et finissant en un cartouche rocaille, au cadre formé d'un rinceau d'or, d'où pend, attaché par un anneau, un bouquet de pivoines, au bout duquel se balance une cordelière aux glands flottants. Sous le bouquet, trois personnages: un Chinois assis tenant à la main une tasse dorée; tout contre lui, une Chinoise à demi couchée, le coude posé sur un barillet de porcelaine; plus loin, une autre femme accroupie sur ses pieds, et ayant une main appuyée sur le goulot d'une gargoulette, reposant sur un genou. Sur la tasse dont le décor est le même, le bouquet suspendu est dans un cartouche, les personnages dans un autre. Sous la tasse une fleurette peinte en or et en encre de Chine.
Cette tasse est la plus merveilleuse tasse qui se puisse voir, et supérieure à toutes celles que j'ai rencontrées dans les collections. Le petit bouquet de pivoines, avec sa légère et charmante exécution, fait prendre en mépris toutes les porcelaines de fleurs de l'Europe, et il y a dans la minuscule petite femme à la robe rose, au profil étonné, qui tient la gargoulette, des délicatesses spirituelles, un art de touche dans l'infiniment petit, que vous pouvez chercher, sans le trouver, sur toutes les boîtes peintes par Blarenberghe.
Assiette. Coquille d'œuf. Une Chinoise à la robe de dessus vert d'eau, à la robe de dessous jaune, étendue sur un tapis aux rosaces bleues, et le coude appuyé sur une pile de livres, faisant lire un enfant accroupi devant elle. Dans un coin de l'assiette, un petit cachet rouge.
Assiette. Coquille d'œuf. Sous un arbre, une Chinoise à la robe de dessus bleue, à la robe de dessous jaune, regardant, un enfant sur l'épaule, l'eau d'un étang couvert de fleurs de nélumbo.
Deux compotiers. Coquille d'œuf. Sur le fond blanc un bouquet de pivoines mêlé à une tige de pêcher en fleur.
Compotier. Coquille d'œuf. Sur le fond blanc, une tige de chrysanthèmes nouée à un rameau de rosier jaune, où au milieu du violacé pâle des chrysanthèmes et du vert bleuâtre des feuilles, le nankin d'une rose fait un délicieux contraste. Au revers de l'assiette est gravé le numéro 176, le numéro d'une vente faite par Dresde de ses doubles. Cette assiette provient de la vente Guntzberger.
Compotier. Coquille d'œuf. Une branche de magnolia fleuri sur laquelle est perchée une mésange; en bas, une touffe de fleurs de pivoine. Au revers, trois rameaux de magnolia, de pivoine, et d'un arbuste aux pois noirs dans une gousse rouge.
Ce compotier, avec sa fine blancheur traversée par cette branche de fleurs serpentante, surmontée d'un oiseau, je le regarde comme le spécimen idéal du décor sur porcelaine. Il provient des ventes Poinsot et Barbet de Jouy (no 111) et a été racheté par moi 700 francs chez Mallinet[53].
Deux bols hémisphériques aux bords découpés en festons. Coquille d'œuf. Le pourtour extérieur du bol est décoré de feuillages aquatiques, formant des encadrements aux découpures zigzagantes d'une grande aile de papillon. Dans les deux réserves blanches, sur lesquelles pendillent de roses nélumbos, se voit nageant un canard mandarin doré. Bordure intérieure du bol verte, accompagnée d'une seconde bordure plus large carrelée rose, sur laquelle sont jetées trois petites rosaces bleues, qu'on dirait des morceaux de lapis incrustés, et où sont ménagées des réserves blanches imitant dans leurs échancrures des fonds d'écrans égayés de fleurettes. Au fond, une fleur de pivoine avec un bouton qui s'entr'ouvre.
Ces bols aux verts les plus gais, aux verts humides de la plante d'eau, aux roses arrivés à la perfection du rose,—qui devient violet, lorsqu'il est trop cuit, et briqué, lorsqu'il ne l'est pas assez,—sont des échantillons, sur lesquels s'épèle le mieux la différence de la porcelaine de l'Orient avec celle de l'Occident. Chez nous, les porcelainiers peignent avec les procédés de l'aquarelle. C'est de la peinture étendue au pinceau. En Chine et au Japon, tout autre chose. Rien que des tons posés avec une matière colorante toujours pénétrée de fluide vitreux: en un mot, de la peinture avec des émaux et non avec des couleurs. Et tout ce que cette peinture, cependant si fondue et si harmonieuse, accorde à la fonte et à l'harmonie générale, consiste seulement dans une dégradation des épaisseurs de l'émail. C'est ainsi que, dans ces deux pièces, les nélumbos carminés, les fleurettes jaunes, les rosaces bleues du marli, arrivent presque à un relief, tandis que le feuillage, la verdure des plantes n'est enduite que d'une eau d'émail. Au fond, cette peinture, la vraie peinture de la porcelaine, est, pour ainsi dire, de la gouache translucide.
Ces deux bols,—et on sait, dans les porcelaines à prédominance de l'émail rose, que c'est surtout aux bols qu'ont travaillé avec prédilection les grands céramistes chinois,—ces deux bols que, pendant un quart d'heure, M. Barbet de Jouy retournait entre ses mains, en disant mélancoliquement: «Je n'ai pas une pièce comme cela chez moi», ces deux bols, à la si parfaite transparence opaline, ont été achetés dans ma jeunesse 60 francs, chez le chapelier Bandoni qui avait alors, rue Vivienne, une petite vitrine de curiosités, très artistement choisies.
Quelques objets précieux de matières diverses se trouvent mêlés aux porcelaines.
En première ligne, une pièce exceptionnelle, un objet chinois qui est un miracle de sculpture microscopique. C'est une grande et étroite lamelle d'ivoire (26 centimètres de hauteur sur 6 de largeur) imitant une tranche de bambou coupée entre deux nœuds, et dans le creux de laquelle descend du ciel vers la terre la chevauchée, sur des kilin, des chiens de Fô, des axis, des chevaux sacrés, des sept dieux de la religion chinoise. Cheou-lao, le dieu de la longévité, au front démesurément élevé, ferme la marche sur son cerf blanc. Il est précédé de Pi-cha-moun[54], le dieu des Honneurs, caressant sa longue barbiche, de Ta-he-tien, le dieu de la Richesse. Des servants les accompagnent à pied, en leur présentant, en des attitudes révérencieuses, des fleurs et des fruits. Le farouche Tao-ssé, avec ses traits contractés, et sa gourde à ses pieds, est au milieu d'eux. Pou-taï, le dieu du Contentement, au rire éternel secouant ses trois mentons, écrase sa monture de son obésité, et, tout en tête, galope sur un chevreuil la longue et svelte déesse Kouan-in, tenant à la main sa tige de lotus. Il y a, dans ces figurines équestres d'un pouce, des mouvements de nature admirables, des expressions de visages extraordinaires, et le gaudissement béat et épanoui de Pou-taï est vraiment surprenant dans cette tête grosse comme un pois. Le fini du travail dans les détails dépasse tout ce qu'on peut imaginer, et les petites têtes par un doux polissage, par un usé obtenu avec un frottement qu'on pourrait appeler artistique, ont quelque chose du porcelaineux de certains blancs de Chine. Derrière la cavalcade qui est presque en ronde bosse, se détachent, çà et là, de petites langues de flots servant de supports aux personnages représentés,—minces et détachées comme les languettes d'un papier soulevé et recroquevillé par le vent dans la déchirure d'une tenture. Cette espèce de planchette convexe sert à soutenir l'avant-bras de l'homme qui écrit à main levée.
C'est un cornet à pinceaux, un Pitong en ivoire, de cette forme ronde un peu rentrée en dedans, que les Chinois nomment «ceinture comprimée», et où sur la défense de l'éléphant tourne une danse gravée. En une campagne de fête et de plaisir du Japon, en quelque Bon Odori, des jeunes femmes s'amusent à faire danser un aveugle, ivre de saki, qui se livre à une espèce de danse de l'ours, les deux mains posées à plat sur un bâton qui lui passe derrière le cou, et tout le monde pris d'une folie ballante, et les jeunes femmes, et les petites filles, et les petits garçons, frappent la terre du pied, en agitant des écrans, avec des envolées de robes autour des corps retournés, qui ont quelque chose des théories étrusques sur les vases rouges. Un large dessin volant; un art admirable de la dégradation des reliefs, par une simple gravure ici, par de profonds creux là; et dans toute la sculpture doucement teintée de noir, rien qu'un petit morceau d'or, de pierre verte, de pierre rouge, qui fait une tête d'épingle, un peigne, un coulant de blague à tabac. Pied en bois brut. Ce pitong est signé: Itsko-Saï Takasané.
Un autre Pitong en bambou, et d'un bambou particulier et joliment rayé, figure, sur le tronc noueux de l'arbuste, des tigettes de bambou en ivoire colorié, aux grandes feuilles lancéolées mangées par des insectes. Et sur ces feuilles sont une araignée, une grosse mouche, des fourmis, imitées à s'y tromper, dans leur relief et leurs couleurs naturelles.
Un dernier Pitong, également en bambou et tout couvert de motifs divers et de caractères gravés et sculptés, à des profondeurs diverses, avec des entailles, tantôt mousses, tantôt aigus, et teintés dans les creux, comme du ton obtenu par un fer chaud sur le bois, est un objet d'une qualité de goût comme on n'en fabrique pas en Europe. Et au milieu de jardinières, de ceps de vigne, de martins-pêcheurs, de grenouilles, se voit une espèce de cosse de pois de senteur, où sur l'enveloppe perce la molle rondeur des pois, exécutée avec la religion du d'après nature, qui n'existe qu'au Japon. Le curieux de cet objet d'art, c'est qu'il est le produit de la réunion de sept artistes, qui, chacun, a signé le petit morceau de sculpture incisé sur le bambou. C'est ainsi que le cep de raisins est signé: Liuti Keïne Kiyo Nao, et que la cosse du pois est signée: Ganzoui Shiu.
Ici se trouve encore une théière en jade, au petit goulot carré sortant d'une gueule de monstre, un vrai bijou, une théière côtelée à huit pans bombés, toute couverte de caractères finement détachés en relief. Cette théière qui a des parties pétrifiées, et d'un ton mat joliment bleuté au milieu de la transparence grise, serait, au dire du Chinois Tien Pao et de M. Frandin, non de la racine de jade, mais un jade brûlé pendant l'incendie au Palais d'Été. Elle porte en dessous un cachet.
Et comme dernier objet divers de la grande vitrine, voici un morceau de banquier.
Grand flacon de cristal de roche, sculpté en forme de balustre, au bouchon formé d'une chimère couchée, au col entouré de deux chimères se poursuivant. Un de ces beaux cristaux orientaux qui ont l'air d'enfermer en leurs clartés la chaleur d'un orage, et dans lesquels les coups de lumière mettent des reflets d'améthyste. La taille est curieuse, en ce qu'elle donne l'illusion d'un restant d'eau demeuré au fond du vase.
Le cristal de roche, ce sublimé de la matière lumineuse, c'est peut-être la dernière et suprême passion du bibeloteur qui a assouvi son goût parmi toutes les nuances et de tous les éclats des choses de l'art industriel. Et je suis heureux d'avoir joint ces jours-ci, au flacon à chimères, un sceptre de commandement en cristal de roche, formé d'un rameau de sapin fleuri, semblable à un morceau de glace sculpté et évidé à jour.
Sur les planches inférieures de la vitrine sont les bronzes, dont nous commencerons le catalogue par les bronzes chinois.
Petit vase à quatre pans. Bronze incrusté d'or. Le couvercle à jour est surmonté d'un dé, où est figurée la conjonction de l'Ing, le principe mâle, et du Yang, le principe femelle.
Cette rencontre du principe mâle et femelle, qui ornemente si souvent les objets anciens, sous la forme d'une espèce de tétard dans un cercle, est ainsi racontée dans une légende naïve de l'Extrême-Orient:
«Le génie mâle marcha du côté gauche, et le génie femelle suivit le côté droit. Ils se rencontrèrent à la colonne de l'Empire, et, s'étant reconnus, l'esprit femelle chanta ces mots: «Je suis ravie de rencontrer un si beau jeune homme.» Le génie mâle répondit d'un ton fâché: «Je suis un homme; ainsi il est juste que je parle le premier: comment toi, qui es une femme, oses-tu commencer?» Ils se séparèrent et continuèrent leur chemin. Se rencontrant de nouveau au point d'où ils étaient partis, le génie mâle chanta le premier ces paroles: «Je suis fort heureux de trouver une jeune et jolie femme.» Et il lui demanda: «As-tu à ton corps quelque chose de propre à la procréation?» Elle répondit: «Il y a dans mon corps un endroit d'origine féminine.» Alors le génie mâle répliqua: «Et mon corps a également un endroit d'origine masculine, et je désire joindre cet endroit à celui de ton corps.» Ce fut l'origine de l'accouplement des mâles et des femelles.
Petite bouteille en forme de burette sans anse. Bronze niellé d'argent décoré d'éventails, de sabres, de rouleaux d'écriture. Ce vase à la forme sous laquelle les Chinois voient la poche à fiel, qui est pour eux le réceptacle de l'audace et de la témérité, a derrière une longue inscription incrustée en argent, que m'a bien voulu traduire M. Frandin, interprète de la légation chinoise:
Ton pinceau a le charme d'une fleur et ton audace est sans bornes. Si tu trempes ton pinceau dans ce vase, c'est comme si tu faisais prendre l'élégance d'une fleur à ta témérité.
Es-tu écrivain de talent? Nous serons amis comme deux fleurs exhalant le même parfum délicieux.
Grand brûle-parfums en forme d'écuelle. Bronze de diverses patines. Pieds, anses, bouton de couvercle, formés de bambous contournés; pourtour, de feuilles de bambous demi-reliefs; couvercle, de ces feuilles découpées. Modèle du plus grand goût. Il porte le nien-hao de l'empereur Siouan-te, de la dynastie des Ming (1426-1436).
Petite vasque à la panse turgide et côtelée. Bronze jaune niellé d'argent. Au-dessous d'une grecque, un enroulement de pivoines. Porte le nien-hao de Siouan-te.
Petit pot à la panse renflée. Bronze fauve martelé d'or. C'est ce tour de main, inconnu de l'Europe, qui éclabousse la surface d'un bronze de petites scories d'or amalgamées dans la fonte. Porte le nien-hao de Siouan-te.
Petite jardinière rectangulaire de forme basse à anses détachées et surplombant. Bronze jaune martelé d'or. Porte le nien-hao de Siouan-te.
Buire au col élancé avec des mufles de lion figurant des anses. Belle patine briquetée.
Petit vase de forme ovoïde, surmonté d'un anse mobile, et ressemblant à un étrusque. Bronze à l'épaisse patine verte formant croûte. Je vois, dans ce bronze, un vase pour le baptême boudhique, pour la rosée douce qui remet les péchés.
Petite jardinière à quatre pans carrés au rebord droit débordant. Le rebord décoré en dessous d'une grecque et de nuages. Les quatre pans couverts de vermicellures, au milieu desquelles sont pratiqués quatre médaillons ronds, où se détachent une tortue, un éléphant, un oiseau dragon, deux colombes qui se becquètent. Sous le pied orné, un cachet.
Petit vase à six pans. Au col, une large zone formée de petits hexagones sur lesquels s'enlèvent des anses en queue d'oiseau. Sur les six pans, une tortue chevelue. Ce vase porte le nien-hao de Siouan-te, mais je le crois d'une fabrication beaucoup plus récente, d'une fabrication même japonaise dont les bronziers ne se gênent pas pour mettre les anciennes marques chinoises sur leurs produits.
Théière de forme cylindrique à anse et à goulot d'aiguière persane. Bronze Tonkin. Sur les pans bombés, où courent des dessins découvrant le cuivre dans le noir émail, sont encastrés quatre longs cartouches de bronze doré représentant, en un fin et délicat travail, des tiges d'arbustes fleuris. Le couvercle doré, comme le goulot, comme l'anse, est surmonté d'un tortil de fleurs. Pièce d'une charmante richesse.
Les bronzes japonais comparés aux vieux bronzes chinois sont d'une matière moins sérieuse, moins profondément belle, moins savamment amalgamée. Un bronze japonais, vous arrive-t-il de le casser? vous vous trouvez très souvent en présence d'un alliage d'étain et de plomb, qui n'est pas véritablement du bronze. C'est un amalgame fait beaucoup à la diable, et un peu d'instinct, et tel que l'a vu faire M. Bousquet au vieil Obata dans son atelier. Mais, à ce bronze défectueux, non compact, non dense, les Japonais mettent de si séduisantes enveloppes et l'habillent de patines si charmantes, patines imitant les rayures du marbre, patines imitant le satinage des bois, patines de toutes sortes, et jeunes patines simulant les plus vieilles patines. On a vu, à l'Exposition universelle, ce tableau d'échantillons, où il y avait une centaine de patines différentes et toutes dissemblables. Et n'ai-je pas chez moi un petit vase représentant un tronc d'arbuste, montrant toutes les colorations ligneuses et jusqu'au liégeux du vieux bois dans les creux de branches mortes coupées. Puis les Japonais ont une plus grande et une plus riche imagination des formes: ils vous enchantent, dans l'architecture et la conjonction des lignes d'un vase, par un imprévu, un renouveau, une fantaisie que n'ont pas les Chinois. Enfin peut-être même la prédominance du plomb et de l'étain dans le bronze japonais donne à ce bronze une souplesse, un flou, un gras, en fait un métal dont la dureté n'a rien à l'œil du cassant européen, et semble l'onctueuse solidification de la cire, qui tout à l'heure emplissait le moule. Qui ne s'est arrêté devant les bronzes à cire perdue[55] de To-oun, l'artiste unique, le créateur, pour ainsi dire, du bronze mou? To-oun, le grand animalier! qui nous a donné, avec la légion innombrable de ses confrères, toute cette animalité vivante en bronze, et ces monstres fabuleux, et ces carpes dressées sur leurs puissantes queues, et ces échassiers, sans socles, posés sur la découpure d'une feuille qui se creuse et se redresse sous le ressort de leurs pattes nerveuses.
Vase a eau. Forme de potiche. Ce bronze japonais a pour toute décoration une inscription chinoise en grands caractères de bronze doré. Cette inscription, M. Frandin n'a pu la déchiffrer qu'incomplètement; elle ferait allusion au déluge, ou du moins à un déluge japonais.
Petite bouteille, de forme aplatie, aux anses formées par des mufles. Bronze à cire perdue. Il est décoré d'un revêtement de petites coquilles, sur lequel se détachent les poissons à la queue dressée, que l'on voit aux angles des toits des habitations japonaises. Pièce envoyée dans le temps à M. Decelle, comme un morceau rare.
Petit écran. Bronze à cire perdue. De dessus la déchiqueture découpée des nuages, s'enlève dans le ciel, sur le dos d'une grue, un sennin lisant un rouleau d'écriture. Pieds formés de deux chiens de Corée accroupis, du dos desquels s'élève une tige fleurie. Bronze d'une belle vieille fonte.
Cornet au rebord évasé en forme d'une fleur de datura. L'enroulement de la tige est resserré au milieu par un anneau formé du contournement d'un petit dragon très finement ciselé. Bronze jaune.
Petit vase. Dans quatre compartiments lancéolés est répétée une apparition boudhique, au-dessus d'un chien de Fô; sur la panse se retrouve également, quatre fois, un prêtre de Boudha en prière; et sur le pied le même rameau se détache encore, quatre fois, d'un fond de petits ronds au striage de coquilles.
Petit cornet au col et aux pieds resserrés. Une grecque dessine le cadre de deux compartiments remplis par des dragons. Les deux anses sont formées par deux petites tortues appliquées au col.
Petit cornet carré et coupé au milieu par une panse hémisphérique, où deux dragons nagent au milieu des flots. Décor de la partie plate, grecque et grands trèfles de forme ogivale. Bronze, que la beauté et la lourdeur du métal pourraient faire croire d'origine chinoise[56].
Vase de forme trapue, et sur la panse duquel sont pratiqués trois cartouches, où s'apprête le combat en ronde bosse de deux panthères, de deux chiens de Corée, de deux kirin. Pieds formés de trompes d'éléphants sortant de la gueule de monstres.
Vase en forme de losange coupé par des bandes horizontales ornementées d'arabesques à reliefs différents. Patine superbe.
Petit vase au rebord évasé, aux anses formées d'un feuillage de coloquinte et de sa gourde. D'un côté, un dragon descendant du ciel, de l'autre un flûteur charmant le dragon.
Petite bouteille au col décoré de flots sur lesquels deux carpes se détachent en anses. Au bas de la panse, la volute d'une vague, où flottent quatre ou cinq coquilles.
Bouteille à six pans avec collerette ornementée dont la saillie des deux côtés forme les anses. Original modèle.
Bouteille décorée de zones de flots et d'arabesques, aux anses formées par deux crevettes grimpant contre le col.
Bouteille au long col. Bronze fauve tout uni, sur lequel est posée une mouche, avec ce mouvement de compression des ailes d'une abeille dans une fleur.
Petite bouteille, brodée d'arabesques. Patine verte imitant le vert d'une matière vitreuse.
Grand tube. Bronze frotté d'or. Tortues dorées nageant dans un cours d'eau, sur une patine semblable au bois d'acajou.
Grand tube. Trois grues faisant leur toilette, gravées en creux, avec des parties dorées et argentées sur une patine pareille à celle du tube précédent.
Petit cornet en forme de bambou. Bronze où sont encastrées, sur toute la ronde surface, de petites sculptures en bronze argenté et doré, provenant de manches d'anciens sabres.
Petit vase-applique en forme d'un fruit oblong, recouvert de feuilles de vigne, au milieu desquelles repose une grosse cigale. Ce vase-applique porte un cachet derrière.
Vase a jour, formé de l'entrelacs de tiges de bambous sur lesquels courent quelques fleurettes. Fonte d'une difficulté extrême.
Panier de jonc tressé à la panse cabossée par un renfoncement. Encore une merveille de fonte, et où l'imitation de la nature va jusqu'à la représentation d'un accident, qui lui donne, aux yeux de l'artiste, un caractère pittoresque.
Petite lampe a suspension. Elle est fabriquée de compartiments, s'accrochant l'un dans l'autre, et figurant d'étroits cadres de bambous, où sont découpés à jour des rameaux d'arbustes fleuris, des tiges de roseaux, des souches de champignons. Le fumivore et le godet, décorés d'une grecque.
Godet. Bronze jaune incrusté. Sur le pourtour, un paysage aux arbres finement incisés, et parmi lesquels est un pêcher aux fleurs d'argent.
Pose-pinceau. Bronze composé de trois longues feuilles de bambou, au milieu desquelles est pratiqué un petit trou dans le pédoncule de la branchette.
Brasero-chaufferette. Forme ovale et festonnée. Sur le bronze imitant la laque aventurine, court, tout autour d'un couvercle treillissé et doré, le sillon argenté d'un flot recourbé battant des troncs d'arbustes, avec des parties brunies dans l'argent au pointillé. Rien ne ressemble plus à une vieille pièce d'argenterie de notre rocaille, que ce bronze à l'argenture rondissante et contournée.
Théière de forme ronde, à l'anse et au goulot formés d'un cep de vigne, dont les raisins et les feuilles s'épandent sur sa rondeur. Bronze à cire perdue d'une charmante imagination.
Petit brûle-parfums en forme de cocotte[57]. Bronze où les yeux de l'oiseau rudimentaire sont argentés, et dont le découpage de la partie inférieure est décorée d'une bordure, représentant un quadrupède fantastique galopant à travers des rinceaux de fleurs de la plus délicate ciselure, et qui n'est pas sans analogie avec l'ornementation des poires à poudre européennes du seizième siècle.
Petite coupe en forme d'huître épineuse, et dont le creux est enguirlandé de fleurs de pivoine détachées en plein relief. Bronze à cire perdue de la plus douce fonte.
Petite jardinière rectangulaire. Bronze à cire perdue. Bordure formée d'ornements étoilés appelés singh et qu'on compte comme des grains de chapelet. Au milieu des flots figurés sur les quatre pans de la jardinière, apparaît, disparaît, le relief tordu d'un corps de dragon, à la queue et aux ailerons membraneux, dorés d'or mat. Un des bronzes les plus gras que j'aie jamais vus: une vraie cire. Ce bronze porte l'inscription suivante: D'après la commande de Sho Gakou Saï, amateur de bronzes, a été fait à l'époque de Tempo (il y a environ 50 ans) par Tanko Saï-Jo Kakou.
Chien de Corée. La gueule ouverte, et élancé et aplati sur ses pattes de devant, la queue flamboyante, il s'arc-boute d'une patte de derrière sur une sphère évidée. Porte une marque sur la cuisse gauche. Vieux bronze.
Fong-hoang. L'oiseau de paradis chimérique, l'oiseau de la prospérité et du bonheur, est représenté avec sa tête de hocco, sa queue de paon, ses hautes pattes d'échassier.
Éléphant. Bronze jaune. Agenouillé à terre, l'éléphant de convention, aux formes aplaties et déprimées, et qui forme un brasero, a le dos recouvert d'un caparaçon-couvercle, où figure, découpé à jour, l'enroulement d'un dragon.
Oie. Bronze avec des parties frottées d'or. Beau travail aux formes un peu archaïques. Ce brûle-parfums porte en dessous un cachet dont les caractères sont persans.
Canard mandarin. Il est représenté cacardant avec l'avancement tortillard de son cou. Une imitation de la nature qui a le charme d'un croquis en bronze.
Caille. Une caille, posée sur une tige de millet, dont les enroulements herbacés et les graines font un encadrement, en forme d'écran, à l'oiseau brûle-parfums.
Cigogne. La tête enfoncée dans son jabot, elle médite perchée sur ses longues pattes. Spirituelle étude d'échassier.
Tortue. Petit bronze d'une exécution extraordinaire dans le travail de la carapace, le chagriné du cou et des pattes, le retournement du col tors de l'animal, sa marche clopinante. Cette pièce porte en dessous le cachet de Seï Mïn, le fameux modeleur de tortues, à la représentation desquelles s'était vouée sa famille depuis deux générations. Une merveille et le spécimen d'un art d'observation qui n'appartient qu'au Japon.
Crabe. Bronze moderne d'une imitation de la nature qui ferait croire à un moulage.
Ici une grosse question. Les Japonais moulent-ils les objets de la nature qu'ils représentent? Un Japonais devant lequel on hasardait cette question, s'écriait: «Mais nous n'avons pas de plâtre au Japon!» Puis, lorsqu'on lui eut fait observer qu'à la rigueur on pouvait mouler avec une autre matière, il reprenait, avec un certain emportement, que dans son pays un artiste qui serait convaincu de cette supercherie, serait déshonoré, ne pourrait plus vendre ce qu'il ferait dorénavant. Et voici un témoignage en faveur de l'affirmation de notre Japonais: Je faisais voir à Georges Pouchet ce crabe moderne, ce crabe qui, de tous les bronzes d'animaux de ma collection, prête le plus au soupçon du moulage, et Pouchet, qui le croyait d'abord moulé, fut frappé, à la naissance intérieure des pattes du crustacé, de l'absence des appareils de la génération très divisés et très essaimés chez ces animaux. Il en conclut que le crabe n'était pas moulé. Les Japonais ne moulent pas, mais ils copient comme s'ils moulaient.
De l'autre côté de la grande armoire aux porcelaines et aux bronzes, se trouve, faisant pendant à la vitrine aux netskés, une vitrine uniquement remplie de bols de Satzuma.
Une délicate pâte, composée de nombre de matières premières, passées au tamis de soie, jusqu'à ce qu'elles soient réduites en une poussière impalpable, merveilleusement concrétionnée; une couverte qui va du ton de l'ivoire à la nuance de la toile écrue, tantôt fendillée des craquelures du craquelé, tantôt du plus microscopique truité; là-dessus une décoration tendre et gaie exécutée avec des couleurs de verre pulvérisé, des bleus lapis, des verts cendre verte, des roses d'aquarelles, des violets pâles, des rouges cire à cacheter un peu briqué,—le rouge des anciens Satzuma,—le tout relevé d'un or, à l'épaisseur des reliefs, comme nous en trouvons seulement sur le bleu de Vincennes: c'est là la faïence de Satzuma, une faïence qui semble avoir été créée pour la joie des artistes, et qui apparaît dans sa libre exécution comme une riante et claire esquisse sur le fond non recouvert d'une toile. Elle a encore, cette faïence, une particularité charmante. Sa décoration semble exécutée sous l'influence de l'art arabe, de l'art turc, et l'on dirait que les potiers coréens, épris de ces petits coquetiers filigranes où l'Orient prend son café, ont voulu transporter sur leurs produits porcelaineux ces résilles d'or enrichies de cabochons. Et c'est vraiment miraculeux comme, sur ces faïences, l'épaisse petite gouttelette d'émail translucide, tombée du pinceau, joue dans les trèfles d'une bordure, le grenat, dans les pétales d'un chrysanthème, l'opale, et comme cette bise porcelaine est joliment scintillante d'une poussière de pierre précieuse!
Ces bols donnent à voir, sur leur tournant, des oiseaux bleu et or au milieu de fleurs roses, qu'on dirait modelées dans une couche de verre coloré, des médaillons formés de deux rameaux réunis en couronne et ressemblant aux rocailleuses armoiries du prince de Sagami, des carquois dorés de fleurs, dont le gaufrage de l'or imite le travail de la plus fine boîte de laque d'or, des dessins géométriques enchevêtrés les uns dans les autres et mosaïqués des émaux les plus éclatants. Sur ce bol, une vigne court qui se répand dans l'intérieur par le tortil le plus élégant; sur cet autre est une vraie broderie d'or comme incrustée de petites pierres vertes et rouges. Et voici un céladonné vert d'eau, tout parsemé de sauterelles, de crapauds, de crabes, imités dans leurs couleurs naturelles. Et dans l'ornementation de ces bols, toutes les imaginations! C'est ainsi que celui-ci est décoré de gardes de sabre de métaux divers, mêlées à des coquilles laquées. Le plus beau, le plus riche de tous représente, encore gaufré, l'animal fabuleux appelé Kirin, au milieu de fleurettes éclatant dans leur émail translucide comme un bouquet de feu d'artifice.
Au milieu de ces bols se rencontre une théière charmante, dont la couverte seulement, nuagée de quelques pointillages d'or, montre dans un coin deux petits cartouches accolés: l'un rempli d'une tige de chrysanthème, l'autre d'un bord de rivière fleuri d'iris d'eau.
Quelques bonbonnières auxquelles les faïenciers de Satzuma semblent apporter tous leurs soins, méritent d'être signalées. J'en décrirai une seule. Le pourtour vert clair de la petite boîte ronde et plate est semé de blanches fleurs de cerisiers, et sur le couvercle se dresse une haie feuillagée d'or et coupée par deux ou trois bambous verts du vert du pourtour. Rien de plus distingué que ce paysage d'or à moitié visible, à moitié perdu dans le craquelage de la couverte grise.
Dans l'étude que j'ai faite des faïences de Satzuma, je suis arrivé à croire que les Satzuma relativement anciens sont reconnaissables à une peinture fluide, où l'émail coulant prend l'aspect d'une larme débordant un peu le dessin; à la transparence du feuillage, colorié de tons rompus et très légèrement glacé d'émail et dont toute l'épaisseur est gardée pour les fleurs; à un certain vert qui n'est jamais une plaque de vert cendré opaque, mais un vert clair et irisé qui cherche le vert du nélumbo des porcelaines chinoises de la famille rose sur coquille d'œuf; à des blancs dont l'émail a, pour ainsi dire, la carie de la vieille nacre; à un emploi discret de l'or, dont les filets ont l'ambition d'imiter les fines arêtes d'un cloisonné, et enfin surtout à un truité presque imperceptible dans une pâte ivoréenne.
Terminons cette étude des Satzuma de la vitrine par la description de deux pièces hors ligne:
Caisse à quatre pans carrés au bord supérieur formé de quatre baguettes plates coupées, et faisant les petites saillies tronquées des cadres de bambous japonais. Sur le truité des quatre pans, dans lesquels sont gravés en creux des bâtons de roseaux sont peintes des tiges de chrysanthèmes roses et violets, avec des feuillages mi-vert tendre, mi-dorés, aux cœurs pointillés d'or en relief, aux vrilles jouant le filigrane d'or. Une large bordure intérieure faite de pivoines, et de ce vert tendre et de cet or épais du feuillé. Le vase est recouvert d'un couvercle laqué en dessous, et imitant en dessus le vieux bois pourri et fendillé, où une hirondelle, en shakudo, couchée à terre sur une aile et battant l'air de l'autre, guette, dans une fente, un crabe en fer microscopique. Cette pièce, connue au Japon, a été reconnue par les Japonais comme une des seules pièces anciennes existant à Paris.
Petite caisse à quatre pans carrés. Bordure supérieure formée de ronds rouges contenant des fleurettes d'or. Sur le truité presque imperceptible de la porcelaine d'un blanc d'émail, des pivoines roses. Petit couvercle de bois naturel laqué, au bouton de corne et de nacre. Cette pièce a été raccommodée au Japon, avec le filet d'or, qui est la signature des raccommodages de la faïence et de la porcelaine là-bas.
Ces deux pièces, aux roses pâles de l'azalée, aux colorations cherchant le ton effacé, délavé, un ton qui ressemble à une espèce d'embue de tendres couleurs, sont curieuses en ce que toutes deux semblent fabriquées, avec une autre matière que les bols,—d'une matière porcelaineuse qui ne se laisse pas entamer par l'acier.
Au retour de la vitrine commence le panneau du fond, où sur une table est posée une écritoire japonaise: le meuble à la fois de l'écrivain et du peintre de l'Extrême-Orient, et pour la fabrication duquel il est presque toujours fait un choix de belles matières, réunies dans une ornementation originale. Un pied en bois de fer, découpé en crêtes de vagues; là-dessus la pierre à user l'encre de Chine, avec sa petite cuvette intérieure formée d'un morceau de porphyre rouge, et dont la pittoresque taille donne à l'écritoire sur son pied l'aspect d'un rocher battu par la mer. Et le riche et décoratif objet est terminé par une plaque en bois noir, où, à travers les flots en colère, apparaît le dragon des typhons, en ivoire sculpté aux parties laquées du plus beau et du plus tourmenté travail. Cette écritoire me mène à en décrire une autre, dans la décoration de laquelle l'art chinois semble s'être associé à l'art japonais. Cette écritoire, qui a la forme d'un grand tamis, et est du plus beau bois brun à reflets de racine d'acajou, et tout sculpté de papillons sur son pourtour, a pour revêtement une plaque, où trois perruches blanche, verte, rouge, exécutées en pierre dure, sont perchées, au milieu de pivoines en nacre, et au feuillage d'or, d'écaille, d'ivoire colorié, d'un faire tout chinois. L'intérieur bien japonais est en laque moucheté d'aventurine, sur lequel se détachent de grands papillons en ors de tous les tons. Là se trouve réuni tout l'attirail pour l'écriture et le dessin: une pierre à encre de Chine faite d'une ronde pierre de touche, le réservoir à eau qui est un papillon d'argent, et dans deux petits étuis pas plus gros que les pailles au moyen desquelles on aspire les boissons américaines glacées, les pinceaux que les Japonais fabriquent en poils de loutre, de blaireau et surtout de renard, et que les Chinois préfèrent en poils de lapin et de lièvre blanc[58]. Il ne faut oublier non plus les vieux bâtons d'encre de Chine, pour lesquels il y a là-bas des collectionneurs, les bâtons d'encre de Chine à la perle, les beaux bâtons à cinq griffes, à l'usage de l'Empereur, avec l'inscription: Tien-tse-ouan-nien, qui est un souhait «de dix mille années au Fils du Ciel», enfin les grands pains entièrement dorés et décorés de dragons en relief et de caractères chinois tracés en creux et coloriés en bleu, semblables à celui qui s'est vendu à la vente de Guignes, en 1845, et dont la date de fabrication correspondait à l'année 1403 de notre ère.
Au-dessus de l'encrier japonais se déploie une panoplie de sabres.
Le Japonais Kachi (sic), se croyant au moment de mourir, d'après le récit de Ricord, remet à ses domestiques son sabre, le sabre paternel, ainsi qu'il l'appelle pour le porter à son fils. Au Japon, dans ce pays des samourais, des chevaliers aux deux sabres, le sabre, la lame du moins, est l'héritage le plus précieux du mort, l'objet transmissible de père en fils, et même, dit-on, un objet inaliénable. Le vice-daysanji, qui faisait les honneurs de Kioto au baron de Hübner, lui montrait, avec orgueil, un sabre appartenant à sa famille depuis le règne de Taiko-sama. Et, au Japon, offrir à quelqu'un ses deux sabres est la plus grande preuve d'estime et d'affection qu'un homme puisse donner, ainsi qu'on peut le voir dans l'histoire de Sibata, que raconte M. Titsingh.
C'est, parmi les choses précieuses, la chose par excellence pour ce peuple guerrier. Un samourai met un peu de sa fortune dans un beau sabre, et des documents anciens font mention «de lames nues» payées 500 ducats d'or. Il y a dans les «Mémoires des Djogouns,» une curieuse anecdote à propos du prix des sabres. Le prince Todo-isoumo-no-ka-mi achète 100 kobans (2,400 francs) un sabre merveilleux. Il court le montrer à son père, qui lui dit: «Je ne comprends pas de quel puits vous avez tiré ce sabre.»—C'est l'expression japonaise pour exprimer l'achat d'un objet à vil prix. «Mais vraiment sied-il au prince d'Izé qui jouit d'un revenu de trente-six-mille kokf (86,400 francs) de profiter ainsi du malheur d'autrui?» Et le ton des paroles du père fut si sévère, que le fils se mit de suite à la recherche de son vendeur et doubla la somme payée. Le sabre a une telle importance en ce pays, joue un si grand rôle dans toutes les affaires de la vie, que les biographies de là-bas sont pleines d'histoires de sabres, pareilles à celles du sabre de Toqui xiro (sic), que raconte «la Relation des guerres civiles du Japon» publiée par Pierre Witte en 1722. Le sabre prend enfin au Japon une espèce de caractère sacré[59], devient un objet qui ne doit être touché par des mains étrangères qu'avec respect, et pour lequel, fait curieux, il y a un cérémonial à l'effet d'en débarrasser son maître, quand il franchit le seuil d'une maison de thé. La plus jeune des sommeillères, se gantant la main d'un mouchoir de soie, prend le sabre par l'extrémité du fourreau, et le porte ainsi dressé droit contre sa poitrine, jusqu'à ce qu'elle l'ait déposé sur le râtelier de laque du vestiaire.
Du reste, ces sabres seraient les armes blanches les mieux trempées de toute la terre, et dont l'aciérage surpasserait l'aciérage des lames de Tolède et des fameux damas. Ils coupent de gros clous sans que le tranchant soit ébréché. Ils pourfendent des hommes, s'il faut s'en rapporter aux albums d'impressions; et des missionnaires ont été jusqu'à affirmer avoir vu, dans l'Inde, un bœuf coupé en deux par un sabre japonais. De ces sabres japonais, il y en a qui avaient jusqu'à la longueur de neuf éventails (90 pouces). De très estimés anciennement étaient des sabres de 23 pouces, appelés bizen-kouni-miets, du nom du fabricant. Et les noms des célèbres armuriers et fourbisseurs de Kioto, de Yedo, d'Osaka sont dans la bouche de tous les samourais, et deviennent souvent entre eux le sujet de conférences, semblables aux conversations d'artistes s'entretenant religieusement de vieux maîtres.
Les sabres japonais, décorés avec de l'or, de l'argent, du bronze, du cuivre, une composition connue sous le nom de métal de Sawa, ont en général une poignée faite en peau de requin (de hay, dit Thunberg), sur laquelle s'entre-croise un treillis de cordonnet de soie. La poignée est arrêtée par une garde ou coquille de métal ouvragé. Les fourreaux sont en laque ou en bois, choisis parmi les essences les plus rares. Sur le plat extérieur est pratiquée une rainure où se glisse un petit couteau; sur le plat opposé, une seconde rainure contient une fiche se divisant en deux, destinée, disent les uns, à reconnaître, sur les champs de bataille, les têtes coupées par le possesseur du sabre qui y plante la moitié de sa fiche, destinée, disent les autres, à devenir tout bonnement les bâtonnets au moyen desquels le guerrier mange son riz. Un demi-anneau, enserrant la fiche, s'ouvre au passage et à l'attache d'une tresse de soie presque toujours jaune et verte ou noire.
Des deux sabres qu'un Japonais porte, le plus grand est son sabre d'office, le plus petit qui ressemble plus à un poignard qu'à un sabre, est son arme particulière, son waki-zashi.
Je n'ai fait que la collection des petits sabres et je donne la description de quelques-uns.
Petit sabre au manche en corne, imitant le tressage d'un cordonnet de soie, sur lequel se détache une pivoine d'or. Fourreau en bois noir aux méandres blancs. Garde, manche du couteau, fiche, demi-anneau d'attache, pommeau de la poignée et bout du fourreau, décorés de chrysanthèmes ciselés et argentés avec parties dorées. Tresse de soie bleu et jaune.
Petit sabre au manche en peau de requin, enveloppé dans un entre-croisement de cordonnet de soie, enfermant de chaque côté un petit cochon d'or en demi-relief. Fourreau en laque aventurine, sur lequel sont jetées des feuilles étoilées de momidi. Garde, manche du couteau, fiche, demi-anneau d'attache, pommeau de la poignée, bout du fourreau, décorés de feuilles de momidi, dorées sur fond bronzé. Cette ornementation d'un sabre, avec un seul motif répété par des matières différentes, est une décoration typique du goût japonais, et je me rappelle avoir vu un sabre à la garde représentant, ciselée dans le fer, une araignée dévorant une mouche, et dont la toile se continuait, perlée de rosée, tout le long du laque du fourreau. Tresse bleue et verte avec caractères japonais. Le manche du couteau au travail semblable à celui de l'ornementation en métal de tout le sabre, est signé: Yastsou gou.
Petit sabre au manche en bois brun imitant le cuir, sur lequel se détache une pivoine d'argent. Fourreau en laque, aux raies mordorées. Garde, manche du couteau, fiche, demi-anneau d'attache, pommeau de la poignée, bout du fourreau, en argent ciselé représentant des tiges de bambou. Tresse violette et blanche.
Petit sabre au manche en bois brun, imitant un tressage de cordonnet de soie sur un fond de galuchat. Fourreau en bois noir, garde en argent figurant des vagues sculptées. Manche de couteau et fiche avec flots et dragons en or. Pommeau de la poignée, demi-anneau d'attache, bout du fourreau en fer découpé, incrusté d'or et d'argent. Tresse violette.
Petit sabre au manche de corne imitant un tressage de soie, dont un cordon enserre un chien de Fô en argent. Fourreau en bois brunâtre et rugueux. Manche de couteau et fiche en argent ou en métal blanc de la Chine, et portant une tige de millet avec ses deux épis barbus en or, demi-anneau d'attache en argent. Pommeau de la poignée et bout du fourreau en argent évidé en cœur. Tresse noire.
Petit sabre à la poignée tressée de soie noire sur dessous de peau de requin, et enserrant d'un côté un petit Daikoku en bronze et en or, de l'autre un couple d'amoureux enlacés. Fourreau en bois noir strié. Garde, manche du couteau, demi-anneau d'attache, pommeau de la poignée en fer incrusté de petits émaux cloisonnés. Tresse blanche et violette.
Petit sabre à la poignée en bois couleur palissandre, sur lequel se détache, d'un côté, un tambourin en bronze, une tige de lotus en ivoire, une boîte en laque de Pékin, et de l'autre côté une minuscule anguille de bronze se tortillant sur une feuille d'ivoire colorié. Le fourreau, du même bois que la poignée, renferme dans une petite cavité, sculptée comme dans le creux d'une vague, une divinité à la draperie flottante et volante, frappant avec un marteau sur un tympanon, tandis que le revers du fourreau n'a pour décoration que trois petites coquilles verte, blanche, rouge. La garde, très délicatement ciselée, montre un Daikoku et un Yebis en gogaille, avec pour dessous une ligne d'or tombée sur un tay rose. Le manche du couteau en bois noir, ce qui n'est pas ordinaire, porte en relief un pinceau et une écritoire en pierre dure. Le demi-anneau d'attache, fait d'un monstre mordant une boule, est en laque d'or mat. Sur le pommeau en fer de la poignée se trouve sculpté, dans un médaillon grand comme un bouton de chemise, un terrible Bishamon, et sur le bout de fer bruni et chagriné du fourreau se soulèvent des tiges de roseau de l'or le plus fin.
Une arme de luxe qui n'a rien de voyant, de tirant l'œil, et où seulement, en la regardant de tout près, et de tous les côtés, et dans ses petits recoins cachés, apparaît une perfection qui se dissimule et semble ne vouloir se dévoiler qu'à son possesseur et manieur intime. Et, ma foi, je ne serais pas éloigné de croire que cette perfection discrète est un des buts que poursuivent, dans leurs œuvres, les parfaits artistes du pays. Ce sabre porte trois signatures: la garde du sabre est signée: Itchi jo Saï firo fisa; le manche du couteau: Le Kisaï; le bout du sabre: Goto mitru ioshi.
Ces délicieux petits sabres, qu'on pourrait appeler les bijoux du suicide, sont les sabres avec lesquels les Japonais s'ouvrent le ventre, font hara-kiri ou seppuku.
Le noble condamné ou simplement offensé, et dans l'impossibilité de tirer vengeance de l'offense, fait établir une estrade dans le jardin de son habitation, et, après l'avoir fait couvrir des plus riches tapis, monte sur l'estrade et s'accroupit sur les talons. Alors il adresse un petit discours d'adieu à ses kéraï, prend sur une petite table placée à côté de lui son waki-zashi, qui est entouré presque jusqu'à la pointe de papier, de manière à ne pouvoir faire qu'une entaille peu profonde[60]. Et aussitôt, du petit sabre, il se fait de gauche à droite, au-dessus du nombril, une blessure n'entamant guère que la peau, puis courbe la tête qu'il penche légèrement à droite. C'est le moment où son second, placé à sa gauche, et qui a fait ses études du code d'honneur du hara-kiri, lui fait sauter la tête, soucieux de ne pas laisser le temps à son ami de montrer un signe de défaillance[61].
Mais le hara-kiri est presque de l'histoire ancienne, en ces jours, dans lesquels l'on voit, sur le théâtre japonais, une parodie de la terrible coutume, où le second, le daimio, la femme cause de la mort, et le suicidé même, tout barbouillé de sang, se livrent, dans le rire du public, à un vertigineux cancan.
Au milieu de ces sabres sont accrochées des gardes de sabre isolées, ces gardes que les nobles japonais font exécuter, aussitôt que se fonde la réputation d'un nouvel armurier, et que ces nobles ont comme rechange à la lame antique, imitant en cela un peu nos femmes, quand elles font changer la monture de leurs diamants.
Dans ces petits ouvrages de fer,—le métal, par parenthèse, le plus rare du Japon,—il y a des chefs-d'œuvre de ciselure, des tours de force d'amollissement de la dure et rebelle matière. Je voudrais là-dessus, pour le public, un livre fait par mon ami Burty qui possède la plus remarquable collection de gardes existant en Europe, et qui a fait sur le sujet des études plus complètes que les miennes. En attendant cette monographie qui ne peut tarder, voici la revue courante de quelques gardes qui ne sont pas des plus ordinaires:
Garde de sabre.—Fer.—Dans le rond de la coquille, trois éventails découpés et repercés dans la masse, montrant sur leurs feuilles à demi déployées des peintures niellées en or de divers tons.
Garde de sabre.—Bronze jaune.—La découpure dans le métal de l'échancrure de deux nuages, avec au-dessous la découpure de la silhouette d'un lapin, regardant la lune, les oreilles dressées. A côté, une touffe d'herbes à la tige d'or, aux grandes feuilles, émaillées rouge et noir. Cette originale garde de sabre est signée: Yassou Tika.
Garde de sabre. L'enroulement, la mêlée, le culbutis d'une centaine de petits singes, faisant autour du trou de la garde, comme un soleil de gambades et de grimaces. Cette garde de sabre en bronze jaune est signée: Mitsou Hiro né en la province de Hizen, et porte l'inscription suivante: Fait avec du bronze chinois.
Garde de sabre.—Bronze jaune.—Dans une rondelle de glace, évidée au milieu, un Japonais à la tête mobile, étendu à terre, sous une tige de bambou couverte de neige, figurée en argent, lit un livre, le coude accoté à une petite table. Un chef-d'œuvre d'agencement, et une étude pleine de naturel, donnant à voir, au revers, l'abandon souple d'un dos d'homme plongé dans une lecture attachante. Cette garde de sabre est signée: Sei Zoné. Le livre que le Japonais lit, ne contient que des caractères chinois sans signification.
Garde de sabre.—Acier.—Au pied d'un arbuste fleuri d'or et d'argent, un faisan émaillé en ses couleurs naturelles. Une garde d'un travail, d'un précieux, d'un coloris, si l'on peut dire, qui défie toute notre armurerie moderne. Cette garde est signée: Mikami Yashi Hidé.
Garde de sabre.—Bronze jaune.—De la fine vermicellure du fond se détache un roseau sur lequel pose un martin-pêcheur, à la tête d'argent, au bec d'or. Au revers, et sur le côté, et coupé par le trou trilobé du couteau, rien qu'une tige de roseau desséchée.
Garde de sabre.—Shakudo[62], métal au ton bleuâtre violacé d'une prune de Monsieur, et dans la composition duquel il entre, dit-on, une quantité notable d'or et d'argent.—Un guerrier, la main sur la garde de son sabre, est prêt à frapper un diablotin qui, s'élançant par le trou du couteau, a déjà, dans son saut horizontal, la tête de l'autre côté. Cette composition se rapporte à une légende chinoise. Un empereur de la Chine avait toutes les nuits un cauchemar, dans lequel il était tourmenté par un diablotin. Une de ces nuits d'obsession, l'ombre d'un frère, mort depuis des années, apparut costumée en guerrier, et mit en fuite le petit diablotin qui ne revint plus. Et le dessin et la sculpture de cette légende sont considérés par les Japonais comme un excellent spécifique contre l'apparition des méchants esprits. Cette garde est signée: Lifou Dô Seï Zoni.
Garde de sabre.—Acier.—Sur cette garde, qui est carrée, se trouvent une grande feuille de nénuphar frottée d'or et un nélumbo à demi épanoui en argent. Au revers, trois grenouilles coassent, leurs yeux ronds au ciel.
Garde de sabre.—Acier.—Laizïn[63], le Dieu du tonnerre, les cheveux hirsutes, les carnations couleur de cuivre, penché dans sa grande robe dorée sur le haut d'un rocher, au milieu de l'Océan, et lançant la foudre sur des flots qui ont des griffes de monstres. Au revers, des zigzags d'éclairs sur le ressac de la mer autour d'un écueil. Cette garde de sabre est signée: O o mori Yosi fide.
Garde de sabre.—Fer.—Un pêcheur, la plante d'un pied en l'air, et dansant, et sa ligne décrivant dans le ciel un joyeux paraphe, devant la venue à lui sur la plage molle, d'une tortue chevelue. Cette garde de sabre est signée: Tourneda Ito Kiu.
Garde de sabre.—Fer.—Au-dessous du vol d'un papillon, une pivoine épanouie à la fleur d'argent, aux boutons d'or, au feuillage émaillé, et qui se répète avec des différences au revers. Une petite merveille que cette fleur de métal avec sa déchiqueture, son effeuillement.
Garde de sabre.—Fer.—Un serpent d'argent se déroulant le long d'un arbre; au revers, une grenouille sautant à l'eau.
Garde de sabre.—Acier.—Un coq et une poule picorent dans une tige de bambous; au revers, un poussin. Cette garde de sabre est signée: Yoshi Kyo.
Garde de sabre.—Acier.—Sur le tronc d'un sapin entouré d'une vigne d'or, un faucon aplati, prêt à s'élancer sur sa proie. Un travail de la plus fine ciselure, et digne d'être mis à côté de la ciselure des plus délicats bijoux de l'Occident. Cette garde est signée: Jukakousei Ishigouro Koré Yashi.
Garde de sabre.—Bronze jaune.—Sur une rouelle de bois figurée au naturel, un couple de canards mandarins, au plumage doré et bronzé de différents tons, au milieu de plantes d'eau émaillées, éclairées par une lune d'argent.
Garde de sabre.—Bronze rouge.—Une cigogne dans l'eau, posée sur un seul pied, la tête penchée en avant, avec un bout de queue, et un bout de la patte relevée, retombant de chaque côté du trou de la lame du sabre. Une silhouette à peine entaillée dans le métal marron, et que ne relève aucune niellure, mais la plus heureuse adaptation d'un mouvement d'animal à l'ornementation.
Garde de sabre.—Fer.—Au-dessous d'une roche tapissée de plantes, un guerrier agenouillé retire des flots, par un pan de vêtement, un homme qui se noie, tandis que, sur une éminence, une petite divinité, un lotus à la main, regarde le sauvetage. C'est la légende japonaise, dans laquelle le messager de la divinité Foudo secourt Mongakou Shyo Nïn. Un travail de fer, exécuté avec une richesse d'or et d'argent, avec un relief, avec une profondeur d'entaille tout à fait extraordinaires. La garde porte, sur deux lamelles d'or et d'argent, la signature: Itsoupô Saï Massa yoshi.
Garde de sabre.—Fer.—Un motif également emprunté aux fables mythologiques du Nipon. Le dieu So san no o-no descendu du ciel sur la terre aux bords de la rivière Firo Kaiva, dans la province d'Idzoumo, rencontre un couple de vieilles gens désolées, entre lesquelles marchait une jeune fille, nommée Ina da fime. Le dieu demande au mari et à la femme, la cause de leur douleur. Ils lui répondent qu'ils avaient huit filles, dont sept ont été mangées par un terrible serpent, ayant huit têtes et huit queues, et que le même jour, ils craignent à chaque instant qu'il ne revienne pour dévorer la dernière de toutes. So san no o-no demande leur fille en mariage, et, sur le consentement des parents, il fait préparer huit grands vases de saki, élève une espèce d'échafaudage à huit ouvertures, dans chacune desquelles il place un vase, et se masque derrière, attendant le serpent, aux yeux rouges ainsi que du soya mêlé de vinaigre, au dos où croissent des pins et des cyprès, à la marche laissant, derrière lui, comme le lit de huit vallées entre huit rangées de collines[64]. Et debout, le corps effacé, le visage intrépide, le sabre levé, le jeune dieu, sur la garde de ma collection, attend le sommeil du monstre, qui a plongé chacune de ses têtes dans un vase de saki.
L'assouplissement du fer dépasse tout ce qu'on peut imaginer dans cette garde belle, comme les plus beaux travaux de ferronnerie du seizième siècle, et la noble petite silhouette du dieu guerrier, posé sur un pied, vous fait involontairement penser à une figurine de Médor, au moment de délivrer Angélique de son monstre. Cette garde est signée: Fetson Gendo O Ramoto fisa.
Garde de sabre.—Acier.—Deux noirs grillons s'échappant d'une cage au treillis brisé. Elle a pour revers, cette garde, un grand ciel triste, où brille l'argent d'un quartier de lune échancré par un nuage, et où volètent deux feuilles rouillées de l'automne, parmi l'espace vide.
Cette garde, ce revers, ne dirait-on pas un de ces poèmes de l'anthologie japonaise, une de ces imaginations poétiques tenant dans quelques vers, et les artistes de là-bas ne sont-ils pas, outre des ouvriers inimitables, des ciseleurs de quatrains dans le cuivre, le bronze, le fer. Cette garde de sabre est signée: Sën-Pô-Saï.
Pour en finir complètement avec les sabres, disons encore un mot des hosukas, détachés d'anciens sabres, dont les Japonais avec leur talent d'adapter l'ornementation à toutes les formes, et avec l'assemblage et l'opposition de tous les métaux, et avec le pointillage, le vermicellage, le chagrinage des surfaces, et avec la gravure et l'entaille, et avec la niellure en or et en argent, et encore avec l'émaillure de toutes les couleurs, ont fait des couteaux non pareils. Et ce sont, sur la surface étroite du manche de couteau, de petits paysages aux maisons de cuivre, aux arbres d'or, sur un fond de métal natté; des bienheureux, dont la contemplation renversée a pour dossier le ventre d'un tigre; des oiseaux en plein relief guettant, du haut d'une branche, un poisson qui n'est qu'une lueur argentée dans l'eau sombre de bronze. Celui-ci est signé: Date Shin Saï. Voici le jeune flûteur à califourchon sur le cou d'un bœuf, signé: Itino Miya Navo hide. Voilà une tige de chrysanthèmes aux fleurs d'or, signée: Tanagawa Massa Harou. Sur ce manche de couteau, c'est un Ainos, à l'anatomie macabre, regardant stupidement une boule de cristal entre son pouce et son index, et son manche est signé: Kama Moura Hisa Yoshi, et sa lame, où sont gravées deux grues: Massa Yoshi. Et ce manche représentant une grue d'argent volant à tire-d'aile, est signé: Hama no Kizoui, et sa lame, Tasima no Kani Kane Mitsou. Et encore ce manche, figurant, avec un art admirable, un coq de combat déplumé, est signé: Itchi, jo saï firo fisa, le nom de l'artiste qui a ciselé la garde de mon plus beau sabre, et sa lame porte le nom de: Sitsou Sabouro Minamoto no kane Utchi.
Enfin un dernier manche de couteau, qui montre un Japonais se désaltérant à une source avec une expression de bonheur indicible, offre une décoration du fer charmante et délicate, et où l'or rouge et l'or vert sont employés dans un pointillé discret. Il est signé Joi, avec la signature suivie d'un cachet d'or illisible.
L'espace du mur compris entre la panoplie de sabres et la glace est rempli par deux panneaux de laque. Le premier est un grand panneau de laque noir d'un poli admirable, et qui représente, sur le miroir de sa surface, un coffret à armure, surmonté d'une cuirasse dont le hakama, le rouge jupon, retombe sur le coffret, contre lequel s'appuie un long fauchard. Il est impossible, dans n'importe quelle matière, de réussir mieux un trompe-l'œil des travaux de ciselure et de damasquinure de la cuirasse, des revêtements de bronze des pieds du meuble avec leurs petits clous, de la bijouterie de fer doré dont est cerclée la hampe aventurinée du fauchard; et même, le dirai-je, du bleuâtre aciérage de sa tranchante lame.
Le second, un petit panneau laqué en bois naturel, et sur un bois jaune et fruste qui ressemble à une planchette de nos boîtes à cigares[65], représente deux chiens de Corée aux yeux de nacre rosé, se disputant une boule sculptée: la sphère évidée sur laquelle on les voit, une patte posée, dans leur inaction rageuse. L'épaisseur des reliefs, jointe à la finesse des détails, fait de cette pièce un des plus parfaits morceaux de laque que j'aie vus. Cette planchette serait un ex-voto de laqueur, par lui attaché aux murs d'un temple. Ce panneau est signé: Kakou sen.
Au milieu de la cheminée, au-dessous d'une glace à compartiments dessinés par les rinceaux d'un cadre rocaille, est posé un grand vase de jade verdâtre, aux anses formées par des têtes de dragons aux yeux en cristal de roche, et sous lesquels se détachent des anneaux mobiles. La panse de ce vase aplati, forme un damier losangé aux dessins gravés et dorés, relevé d'un cloutis dont chaque tête de clou est un petit morceau de corail. Ce vase, de 36 centimètres de hauteur, formé d'un seul morceau, et avec son décor d'une opulence un peu barbare, avait été l'objet de ma convoitise le jour de l'ouverture de l'Exposition. On me l'avait fait 2,000 francs. Mais, au moment de retourner dans son pays, son possesseur, Tien-Pao, le Chinois à demi décapité par les Tai-ping, le dévôt musulman qui passa six mois à Paris, sans manger de viande, faute de trouver un boucher tuant les bêtes selon le rite de sa religion, Tien-Pao me laissait son vase de jade à 800 francs.
Le complément de la garniture de la cheminée est fait avec des flambés. Cette poterie à l'aspect de porphyre, d'agate, de jade, je l'avoue, est une de mes passions. Un singulier phénomène qui se passe au dedans d'un collectionneur de porcelaines, et mon histoire est celle de beaucoup d'amateurs. Nous commençons par aimer les porcelaines décorées, puis peu à peu le goût se déplace et va à des porcelaines, qui n'ont pour elles que la beauté de la matière. On s'éprend alors des blancs pâte tendre, des bleus turquoise, des violets aubergine, et, de là, il n'y a qu'un pas pour se passionner à l'endroit de ces porcelaines ou de ces faïences qui semblent enfermer le marbré d'un papier peigne dans une gemme. Les Chinois, ces curieux de pierres dures, sont très sensibles à ces fabrications appelées yao-pien (transmutations), à ces métamorphoses d'une porcelaine en un semblant de matière précieuse: métamorphoses obtenues par des combinaisons hasardeuses de feu, de flambage, de courants d'oxygène faisant passer le rouge de cuivre par le violet, par le bleu, par le vert, en des colorations chatoyantes et voltigeantes, et d'autant plus appréciées par les collectionneurs de l'Empire du Milieu, me disait M. Frandin, qu'elles ressemblent aux langues de feu qui ont léché le vase pendant la cuisson. Et remarque qui a son intérêt: les Chinois ne se sont pas contentés de copier les vrais porphyres, les vraies agates, les vrais jaspes; avec leur aptitude à trouver leur beau dans toutes les choses de la nature, et les plus éloignées de celles qui nous fournissent des modèles, et que n'aurait jamais songé à copier un potier de l'Occident, ils ont tenté dans le jaspe, l'agate, le porphyre de leurs porcelaines, de rendre le foie de porc, le poumon de mulet, le mucus du nez, autrement dit la morve.
Je me trouve posséder quelques flambés d'une qualité exceptionnelle. C'est d'abord une grande coupe, à la forme d'une pêche de longévité, et dont la dominante est une pourpre vineuse, dans laquelle se voient changeant de couleurs, sous les jeux de la lumière, des coulées de vert-de-gris, de grandes macules jaunes noyées dans du violet, des gouttelettes figées de vert émeraude, des agatisations de bleu lapis en de sombres rouges, veinés comme de la racine d'acajou; le tout éclaboussé d'une poussière de lumière qu'on dirait soufflée. Et toutes ces couleurs à l'assemblage à la fois heurté et harmonique, ressemblent à la palette d'un coloriste montrée sous un morceau de glace. Puis c'est une jatte, où l'émail se répand et se déverse en ondes violettes, vertes, bleuâtres, s'arrêtant comme des congélations au bas d'une fontaine, ou mourant, avec, au bout de chacune, un peu de blanc floconneux, pareil à l'écume d'un flot qui se brise, et cela sur un fond sale couleur de l'eau verdâtre et brunâtre du purin. Dans cette jatte, on croirait que les ondes qui la recouvrent, ont été posées après une première cuisson de la pièce sous couverte, couverte qui est irrégulièrement craquelée et dont le craquelage est peut-être dû au tsoui-yeou, au célèbre émail craquelant? C'est encore un petit godet à laver les pinceaux, de forme carrée, et décoré d'un dragon, qui est une imitation complète de lapis-lazuli, avec, sur le bleu foncé de la masse, les vermicellures bleu tendre de la pierre, et même les taches brunâtres et pourprées des corpuscules de terre incorporés à la surface.
Les quatre flambés qui garnissent les deux côtés de la cheminée sont:
Un grand flacon à pans carrés, où sur un fond de pourpre brunâtre, passant dans de certaines parties à de l'azur, est répandue toute une fine poussière vert-de-grisée.
Une gargoulette à trois goulots d'un bleu lapis profond à veinules bleues claires, et semée de taches mordorées.
Une bouteille où le violet aubergine se dégrade en pourpre, traversée de fumées agatisées de couleur bleue. Un cornet octogone, dont le fond blanc jaunâtre est sillonné de lavures bleues, violettes, roses couleur rubis, qui s'arrêtent en gouttes de suif sur le pied.
Les beaux, les vieux flambés, vous ne vous tromperez pas à leur apparence marmoréenne qui n'a rien de l'aspect carton des modernes. Et je ne m'y trompais guère, quand M. du Sartel m'a donné un moyen mécanique de les reconnaître à quelques exceptions près, car il y a en ces choses toujours des exceptions. Le craquelé dans les flambés modernes est à fleur de couverte, il a le fendillement vitreux, l'étoilement d'un carreau fraîchement cassé, tandis que, dans les flambés anciens, la craquelure est profonde et noirâtre.
De l'autre côté de la cheminée, sur un tabouret en bois de fer, est posé un chibatchi (le brasero pour fumeur), ce petit meuble d'usage à toute minute, et l'objet aimé qu'avant tout autre, dans un incendie, un pauvre diable de Japonais se met à emporter.
Le couvercle à jour, avec un passage pour la pipette japonaise, est formé par le découpage sculpté d'un fong-hoang dans un morceau de cuivre rouge, de ce cuivre dont Thunberg attribue l'éclat exceptionnel au coulage du métal dans l'eau, procédé qui n'appartient qu'au fondeur de cuivre japonais. Le rebord du couvercle où sont gravés des nuages, est semé de distance en distance de trois fleurettes d'argent en relief. La panse du chibatchi, qui est de bronze, représente, dans une grecque, de grands arbres dessinés par un ton de rouille, avec feuillage en étoiles niellées d'argent, et sous lesquels errent des daims fantastiques qui évoquent l'idée des daims familiers de Kin-kwa-san, parmi les grands sugni de cette île-forêt, apparaissant comme un bateau chargé de verdure, tant son feuillage, dit un voyageur, la recouvre jusqu'aux pieds. Ce brasero, auquel est fixé un pied de laque rouge, vient de la vente du duc de Morny.
Je possède quelques autres chibatchi: l'un, en bronze jaune, a une anse mobile formée d'un dragon à la coléreuse tourmente du corps, se dressant au-dessus d'un couvercle ajouré de fleurs ornementales. Il offre un charmant contraste: tandis que la partie supérieure est toute sculptée, ciselée, les huit pans de sa partie inférieure sont complètement planes et nues.
Et c'est un autre chibatchi fait d'un bois rare et dont la blonde nuance de citronnier est flammée de grandes taches naturelles qui ressemblent à des parties brûlées. Son revêtement de cuivre intérieur est surmonté d'un couvercle en bronze figurant un fouillis de roseaux délicatement évidés, avec des parties frottées d'or.
Un brasero plus précieux que celui-ci, et dont on a enlevé le récipient de métal, est une sorte de petite cage carrée, formée par une palissade de planchettes, plaquées du plus beau bois tigré et satiné, sur lesquelles sont jetés, moitié à jour, moitié appuyés aux planchettes, des rameaux d'arbustes à fleurs, des bouquets de chrysanthèmes, de petites raves en nacre, aux feuilles en ivoire colorié en vert. On ne peut se faire une idée du soin et de la perfection du travail: les plats et le haut de chacune de ces petites planchettes inégales et formant des compartiments à jour variés, sont décorés d'une grecque incrustée en ivoire, et le fond qui s'enlève, est recouvert d'une marqueterie d'hexagones en bois brun, rouge et bois mordoré, d'une perfection qui rappelle les petites tables à ouvrage de Riesener.
Au-dessus du chibatchi de bronze se trouve, appliqué contre le mur, un grand plat de laque rouge du Japon, sur lequel sont modelés, avec des pâtes de couleur au milieu de chauves-souris aux ailes déployées, des chrysanthèmes d'or: les chrysanthèmes qu'on effeuille sur le saki des libations, et dont l'effeuillement doit allonger la vie des buveurs.
Au Japon, le saki chauffé au bain-marie dans des flacons de porcelaine, on le boit chez tout le monde dans de petites coupes de laque rouge, représentant les paysages et les villes les plus remarquables du Tokaïdo, on le boit chez les gens riches dans des coupes faites de la nacre, de l'héliotis montée en filigrane d'argent, mais on le boit encore, certains jours, dans d'immenses coupes, en forme de boucliers, et tout semblables à mon plateau, et qu'on passe autour de la table, en se portant des défis, et en chantant des rondes qui remontent au huitième siècle, et surtout la ronde de Daïnagong Ootomo, le célébrateur du saki et du vin doux d'Osaka:
«Dites-moi quel était le sage qui a déclaré que le vin était une sainte chose?»
Combien il a dit vrai! Y a-t-il rien de plus précieux au monde?
Si je n'étais un homme, je voudrais être un tonnelet!
Et des deux côtés de la fenêtre, donnant sur le boulevard Montmorency, et sur la muraille en retour, faisant face à la cheminée, des foukousas aux riches broderies sur les nuances les plus tendres.
Au milieu de ce dernier panneau, un meuble dont la partie supérieure forme une longue et étroite vitrine, renferme la fleur de la curiosité, le dessus du panier que MM. Sichel et Bing reçoivent depuis cinq ou six ans: petits objets précieux de matière dure, d'or, d'argent, d'ivoire, d'écaille,—triés au déballage des caisses.
D'abord c'est une réunion de tabatières chinoises en forme de flacons, dont le bouchon est adapté à une petite spatule, à l'aide de laquelle le priseur retire une pincée de tabac, qu'il renifle dans le creux formé au-dessus de son poignet par son pouce raidi.
Ces tabatières-flacons sont très appréciées à Pékin, où M. de Butsow, ministre de Russie, et M. Von Brandt, ministre d'Allemagne, ont formé des collections, dont la dernière, estimée 30,000 francs, est aujourd'hui au Musée de Berlin. Ces tabatières sont généralement en porcelaine décorée, représentant des bouquets de pivoines, des gros-becs dans des pêchers en fleurs, des jeux d'enfants, etc. Quelques-unes, également peintes, ont des reliefs colorés figurant des papillons, des échelles de crabes attachés à cette plante marine, au bout de laquelle on les porte au marché, figurant l'enguirlandement d'un feuillage de calebasse aux petites gourdes, etc. Les plus estimées de ces tabatières, taillées dans la pierre dure, sont en cornaline avec des caractères porte-bonheur sculptés, en jade incisé de rouleaux d'écriture attachés par des cordelières, en cristal de roche imitant le clissage d'un petit flacon d'osier, en pierre schisteuse onyx, nuancée des plus belles marbrures, en agate, où le goût baroque du lapidaire trouve dans une tache le dessin d'un canard mandarin[66].
Mais il est surtout une matière commune, vile, sans valeur, dont les Chinois ont tiré un parti merveilleux: je veux parler du verre. Ils ont fabriqué en verre des tabatières qui imitent, à s'y tromper, la pierre précieuse, et qui demandent l'essayage d'une pointe d'acier pour avoir la certitude qu'on n'a pas affaire à une sardoine ou à un jaspe. Ils sont même les inventeurs, les créateurs d'un travail particulier dont les amateurs du Céleste Empire se montrent fous: la sculpture en manière de camée d'une tabatière composée de deux, trois, quatre, et même cinq couches de verre superposées, de couleurs différentes dans le rejet, le creusement, la ciselure desquelles l'ouvrier trouve le moyen de faire un bas-relief colorié. Ces tabatières, qui se payent de 4 à 500 francs à Pékin, sont très rares en Europe, où l'on ne trouve guère que des tabatières travaillées dans deux couches de verre.
Les Chinois, ces porcelainiers par excellence, sont également, on le voit, de très grands artistes dans la fabrication du verre coloré, et ce qu'on ne sait pas, c'est qu'ils ont, dans ces tabatières, réalisé toutes les irisations arcencielées de la verrerie de Venise, et qu'ils sont encore arrivés à des nuances tendrement impossibles que jamais n'a pu réussir l'Europe: je possède ainsi une tabatière du rose savoureux de l'intérieur d'un quartier de pêche, qui est bien la chose la plus douce à regarder.
A ces tabatières sont mêlés quelques bibelots de la Chine, mais en très petit nombre.
Voici seulement deux petits objets en yu, en jade, la pierre de prédilection des Chinois, la pierre d'amour ainsi qu'ils l'appellent, la pierre qu'ils comparent à la pensée du sage, la pierre qu'ils portent sur eux comme une amulette sacrée et un préservatif des coliques néphrétiques, la pierre à demi transparente, si laiteusement blanche, si limpidement vert d'eau de mer, et dont la variété jaune orange est la plus estimée des pierres dures de l'Empire du Milieu. Le premier de ces objets est une plaque de ceinturon en jade gris, où, dans l'évidement de la matière si difficile et si longue à fouiller, des oiseaux d'eau piétinent au milieu de fleurs de nénuphar. Le second est un petit étui de jade vert émeraude, percé de deux ouvertures dans le fond, et portant une inscription sur son couvercle.
En cristal de roche, un seul objet: un crapaud renfermant,—allante et venante,—une goutte d'eau antédiluvienne, emprisonnée dans la formation de la pierre.
Une petite casserole pour brûler des pastilles parfumées, et que les Chinoises portent à la ceinture, est un échantillon curieux de ces ivoires sculptés et coloriés qui ont apparu aux ventes de MM. Titzingh et Sallé, et où se vendait une merveille, une corbeille qu'on a l'habitude de servir en Chine au dessert, toute pleine des fruits du focheou au milieu des fleurs odorantes de kouei. La petite boîte de la vitrine, complètement évidée, est entourée d'anses à la façon des écuelles d'argent du dix-huitième siècle, des anses plates et évasées formées de feuilles et de fleurs de nénuphar finement sculptées à jour, et doucement teintées de vert et de rose violacé.
Un autre objet en ivoire est une élégante petite cuiller en ivoire, formée d'une longue feuille lancéolée un peu recourbée, tandis que l'autre feuille, rabattue sur la tige noueuse du bambou, forme le manche. Est-ce une cuiller semblable à celle qui figurait à la vente de M. Sallé, et qui est la cuiller avec laquelle les Chinoises jettent de l'eau sur le poisson qu'elles pêchent à la ligne?
Parmi les curiosités de la Chine, il se trouve encore un objet charmant. C'est une pêche en boccaro jaune à l'extrémité du fruit seulement tiquetée de pourpre. Sur la pêche pendille et se répand le feuillage de la branchette à laquelle elle était attachée, et dans l'intérieur est figuré, en sa couleur naturelle, le noyau. C'est un produit, au dire du catalogue du consul général en Chine, de Guignes, des fabriques de Vou-sse-hien dans la province de Kiang-nou, où se fabriquaient seulement, en terre nankin, en terre violette, en terre brune, en terre rouge, en terre grise, les vases à chauffer le vin, les théières: des poteries qui conservent, pour ainsi dire, la mollesse d'une terre encore humide, et où l'admirable modelage du feuillage et des fruits a le gras d'une chose qui sort du pétrissage des doigts d'un modeleur, et comme une empreinte animée que n'a pas durcie et fait disparaître la dessiccation du four.
La véritable richesse de la vitrine est en objets japonais et principalement en pièces de laque[67].
Quel est le peuple du monde ancien ou moderne qui a inventé une industrie où la main-d'œuvre soit poussée à un fini qui paraît irréalisable par des mains humaines? Dans quel pays a-t-on trouvé une matière à meubles et à bimbeloterie d'une perfection si merveilleuse? Où a-t-on créé une chose d'un si beau poli que, dans l'orgueil de la pureté de son travail, l'artiste laqueur n'y veut point d'ornement, satisfait d'avoir réussi un laque-miroir? Et quand, ce laque, les Japonais l'ont décoré, l'artistique imagination que celle de cette nation, imaginant de faire, sur une couche de gomme durcie, de petits tableaux à moitié bas-reliefs, qui, par des saillies, des oppositions, des contrastes d'ors divers, se trouvent à la fois peints et sculptés, dans la riche monochromie du plus beau métal de la terre. Et le choix et le goût et la distinction, avec lesquels le Japonais associe au laque le jade, la nacre, le burgau, l'ivoire, les microscopiques ciselures du fer et de l'or. Et dans le laque qu'on appelle laque d'or, l'étonnante transformation de cette couche de poudre d'or appliquée sur un cartonnage, et qui prend l'intensité sourde et profonde d'une épaisse surface de vieux métal.
M. Maéda, le commissaire général du Japon à l'Exposition universelle, nous a raconté la fabrication du laque[68]. Il nous a montré ces escouades d'inciseurs du rhus vernicifera, la figure et les mains enduites de graisse, les défendant contre la pénétration du poison par les pores. On les voit, de la fin de juillet au 15 septembre, répandus dans toutes les campagnes[69], pratiquer leurs incisions horizontales sur ces arbres qu'une ordonnance de Mommu-Tennô, quarante-neuvième empereur du Japon, et qu'un édit de Uda, cinquante-neuvième empereur, contraignent les paysans à cultiver. On les voit recevoir dans leurs spatules le vernis blanc assez semblable à de la crème, et qui se colore en brun et finit par devenir presque noir.
Le vernis ainsi obtenu et remué au soleil dans une grande cuvette en bois, pour le débarrasser, par l'évaporation, de son excédent d'eau, le laqueur prépare l'âme de sa boîte, de son petit cabinet, avec des planchettes d'une minceur extrême, des planchettes de l'épaisseur d'une carte de visite: la légèreté étant toujours dans les boîtes de laque une annonce de la beauté, de la perfection du travail. Puis le laqueur bouche les interstices de l'emboîtage avec une pâte composée de froment, de sciure de bois, de vernis brut, recouvre le tout d'un enduit d'argile calcinée, enferme quelquefois cette carcasse dans un morceau de toile de Boehmeria, collée sur l'argile avec le mélange de froment et de sciure de bois déjà cités. Alors seulement s'applique la première couche de vernis que suit un polissage avec la pierre à aiguiser.
C'est le moment des successifs séchages de l'objet dans la fameuse armoire noire, appelée furo, et construite dans de certaines proportions, et lavée d'avance à grandes eaux, et où le laque durcit et sèche dans une moite obscurité. Le laque n'est sec que lorsque l'humidité de l'haleine laisse une buée sur sa surface. Le séchage demande un jour, deux jours, trois jours, et même autrefois, d'après des traditions conservées chez les vieux Japonais, le séchage était beaucoup moins hâtif et durait des mois,—et des boîtes demandaient des années pour être terminées. On pose jusqu'à dix-huit couches de vernis sur une boîte, et dix-huit fois la boîte rentre dans l'armoire, et dix-huit fois elle en sort pour être polie, à sa sortie, avec du charbon de bois de camelia japonica et de la corne de cerf pulvérisée.
Pour les dessins qui sont de deux sortes, dessins unis, dessins en relief, ils s'obtiennent ainsi: Pour les dessins unis, on trace le dessin sur le recto d'une feuille de papier dit kin-yoshi, on retourne la feuille et on enduit à l'envers le dessin d'un mélange de vermillon et de vernis chauffé sur un feu doux. Puis on frotte l'endroit avec un morceau de bambou, et au moyen d'un petit sac de soie, rempli de poudre de pierre à aiguiser, réduite en poussière impalpable, en frappant légèrement, on fait ressortir le laque de la partie calquée. Et le relief aplani avec du charbon de bois de Hônoki, et le dessin recouvert d'une couche de vernis pour faciliter l'adhésion, on le recouvre de poudre d'or, tantôt à l'aide d'un petit tube, tantôt au moyen d'un pinceau fait de poil de cheval ou de cerf.
Pour les dessins en relief, et spécialement pour les dessins de laque d'or, l'épaisseur en est faite par un mélange des plus célèbres vermillons, nommés San Yoshu et Komioshu, avec un vernis dont une moitié est cuite, et sèche plus lentement que l'autre; en sorte que les poudres d'or, d'argent, de bronze, sont appliquées dans une matière solide encore à l'état de liquéfaction, et arrivent à former une pâte presque métallique.
Je ne ferai pas une longue histoire du laque. Les Annales du Japon disent: «Vers cette époque (sous Teiko-Tenno, le douzième empereur qui régna de 71 à 130 de l'ère chrétienne), le prince O-usu, ayant découvert l'urushi, rhus vernicifera, ordonna à Toko-Hiva-no-sukume de faire fabriquer des objets recouverts de la laque de cet arbre et lui donna le titre de Nuribe (directeur de la fabrique de laques)[70]. Des boîtes destinées à contenir des livres de prières conservées dans le temple de Todaijï à Nara, province de Yamato, passent pour avoir été fabriquées au troisième siècle. Le mémorial intitulé Engishiki mentionne, en 380, des laques rouges et des laques d'or. Le livre qui a pour titre Utsubo Monogatari cite, en 410, sous le nom de nashiji, des laques orange parsemés de paillettes, qui désignent très clairement les laques aventurine. Enfin la lettrée Mura-Saki Shikibu relate, en 480, l'invention d'un nouveau genre de laque incrusté de nacre[71]. Et cependant, en dépit de ces documents irrécusables, je me demande si ces laques ne sont pas de rudimentaires antiquailles, et si les parfaits laques ne sont pas du dix-septième et même du dix-huitième siècle. Je n'ai qu'une très médiocre confiance dans les attributions des exposants japonais, dotant telle ou telle pièce de 1100, de 450, de 300 ans. Ce que je puis dire, c'est qu'un jour Wakai, visitant la collection de mon ami Burty, parmi les très charmants laques qu'il possède, souleva, avec des mains religieuses, une très médiocre boîte, qu'il affirma avoir 400 ans. Quant à moi, et je crois que Burty est tout à fait dans mes idées, si les beaux laques étaient ceux-là, je n'aurais pas la moindre tentation de me ruiner pour les posséder, et je regarde comme seulement désirables les pauvres petits laques, vieux d'un siècle ou de deux, pareils à ceux de la collection de Marie-Antoinette[72].
Donnons une description raisonnée des principales pièces de laque de la vitrine.
Cabinet à laque couleur olive, sablé d'or avec de profonds reliefs dans les terrains, et dont les arbustes de laque d'or de divers tons portent des fleurs d'or, d'argent, de burgau, de cornaline. Une merveille de travail compliqué et délicat que ce petit cabinet, avec son panneau minuscule représentant, sous des iris fleuris, une troupe de lapins, aux oreilles peureusement dressées, et au milieu desquels est un lapin d'argent, qui s'apprête à boire dans l'eau d'un étang. Le meuble, qui a une hauteur de 7 centimètres sur 6 de largeur, contient dans l'intérieur six tiroirs, dont l'un renferme un petit plateau décoré d'un bouquet de fleurs de métal et de pierre dure sur un fond de laque d'or qui est le plus extraordinaire travail dans l'infiniment petit. Et l'un des six tiroirs du cabinet renferme trois petites boîtes, des chefs-d'œuvre de fabrication lilliputienne, des boîtes qui ont une largeur de 2 centimètres sur une profondeur d'un demi-centimètre.
Petite écritoire en laque d'or. Forme quadrangulaire. Sur le couvercle des tiges de chrysanthèmes fleuries, au-dessus desquelles volent deux papillons; sur le pourtour des têtes d'oiseaux terminés par une accolade. A l'intérieur, la pierre pour l'encre de Chine avec le petit réservoir d'eau formé par une grue, les ailes éployées, de métal blanc. Dessous de l'écritoire, laque noir sablé d'or.
Le laque d'or n'a jamais été commun. Le Père Amyot, faisant, en 1786, un envoi de boîtes de laque au ministre Bertin, lui écrivait: «Elles sont à fond noir, on n'en trouve plus ici à fond d'or.[73]»
Grande écritoire en laque rouge sur un bois ondé. Forme carrée. Le couvercle enfermé dans un filet noir comme semé de fétus de paille d'or; aux quatre angles, des coins en cuivre ciselé où sont découpés des papillons en émail cloisonné. Pourtour, laque rouge. Intérieur et dessous de l'écritoire, laque aventurine.
Grande écritoire en bois naturel, forme carrée. Sur le couvercle des buffles paissent dans une prairie aux fleurettes de corail rose, sous un ciel aux nuages de nacre. Pourtour et dessous, bois naturel. Intérieur de l'écritoire, laque aventurine.
Bouteille a saki en laque marron. La partie supérieure, fermée par un petit bouchon d'argent, est décorée d'un semblant de recouvrement exécuté en laque d'or mat avec fleurs rouges et vertes, et qu'attache en passant, autour du goulot, une cordelière en laque d'or bronzée.
Grande boite a gateaux en bois naturel, à quatre compartiments superposés. Forme carrée aux angles arrondis[74]. Sur le couvercle est représenté un guerrier japonais, couvert d'un manteau de jonc, traçant des caractères sur le tronc d'un arbre. Voici la traduction de ces caractères: Kosen, pendant la guerre de sept provinces, a été battu. Hanlé n'abandonnera pas Kosen. Cette composition se rapporte à un vieil épisode de l'histoire du Japon, très souvent répété pour la sculpture des objets usuels. L'empereur Godaï Go Tenno, bloqué dans Kassaki, pris et emmené en une province des plus lointaines, le guerrier Kosima Nori de Bingo, revêtant un costume de paysan, alla seul jusqu'à Massagari, où était relégué l'empereur. Là, pendant la nuit, il entra secrètement dans la résidence de l'empereur, et ne pouvant pénétrer dans la maison, il arracha un morceau d'écorce de cerisier, et grava sur le bois mis à découvert, la poésie traduite plus haut, et qui est quelquefois rédigée ainsi: Dieu ne vous abandonnera jamais, mais vous trouverez un homme qui vous sauvera et vous protégera facilement, comme autrefois le roi de Hetzou, dans son embarras, rencontra un homme, appelé Haureï, par qui il apprit que son pays était presque entièrement devenu la proie du roi de Gô. Les gardiens, n'ayant pas compris cette poésie, avertirent l'empereur qui éprouva une grande joie, mais se garda bien de la montrer. La figure de Kosima Nori de Bingo est en ivoire colorié, et ses vêtements en nacre, en écaille, en laques de différentes nuances, avec des incrustations en corail, en serpentine verte; et des cloutis d'or donnent les infiniment petits détails de son armure et de ses chaussures. Sur la laque aventurine du dessous du couvercle, sont jetés trois masques de théâtre en laque d'or et en ivoire teinté. Le pourtour de la boîte est semé de bonnets de fonctionnaires, d'écrans, de coffrets, de flûtes, d'oreillers, d'éventails, exécutés en laque mélangé de nacre, de burgau. Intérieur de la boîte, laque aventurine.
Boite a fiches en bois naturel. Forme hexagone. Sur le couvercle et les six pans de la boîte, serpente une vigne aux feuilles laquées d'or, aux grappes de raisin laquées de couleur pourpre. Intérieur de la boîte, laque aventurine.
Boite en bois naturel, sur le couvercle de laquelle est laquée, couleur or et acier, une scie à poignée. Cette boîte est pleine de petits carrés représentant des armoiries de prince japonais laquées en or, et servant, je crois, de fiches pour le jeu.
Petit vase à brûler des parfums en forme de pot. Recouvrement de laque aventurine sur lequel se détachent, en laque d'or, des sapins, des arbustes fleuris, des rochers aux épais reliefs et aux petits trous qui ont l'air des enfoncements de clous tombés d'une feuille de métal, appliquée sur le laque. Ce vase a deux fois répétées sur la panse et le couvercle les armoiries du taikoun: trois feuilles de mauve dans un cercle. Doublure intérieure de vermeil.
Petit chibatchi. Forme festonnée à six lobes. Couvercle en bronze avec ouverture pour allumer la pipe, et décoré de palmettes de sapin incisées et dorées, et terminées par de petits bourgeons en trèfles repercés à jour. Le pourtour du brasero minuscule est en laque noir moucheté d'or, sur lequel sont jetées des feuilles en laque d'or, et d'où se détachent des caractères japonais ciselés en argent. Intérieur doublé de métal. Dessous du chibatchi, laque noir moucheté d'or.
Boite en laque d'or. Forme quadrangulaire. Le couvercle et le pourtour décorés d'éventails, tantôt à la peinture, tantôt aux panaches, faits d'or vert; l'un de ces éventails montre un écureuil mangeant un melon. Un petit plateau renfermé dans la boîte représente un chariot de fleurs. Intérieur de la boîte et dessous, laque aventurine.
Boite en laque d'or. Forme hexagone. Sur le couvercle des cryptomerias et des pêchers fleuris; le terrain et les fleurs or vert. Le pourtour formé de carrés d'or rouge dans des cadres d'or vert. Sur deux des pans sont attachés deux petits anneaux d'argent. Intérieur de la boîte et dessous, laque aventurine mordorée. Boîte de la plus grande légèreté. L'or a dans cette boîte ce bel aspect du vieil or, et non du cuivre, que l'on trouve dans les boîtes modernes où la poudre d'or est remplacée par des poudres de bronze.
Boite en laque aventurine. Forme d'écran. Sur la laque aventurine du couvercle se détachent en relief des bambous et des arbustes fleuris. Petit plateau intérieur où volent deux fong-hoang, même laque. Pourtour de la boîte, un quadrille pavé de fleurettes d'or vert. Le dessus, le dedans, le dessous de la boîte, laque aventurine orange du plus merveilleux poudroiement: c'est le laque appelé au Japon, d'après Thunberg, salpiquat, par Humbert salvocat.
Boite dont la forme est celle de deux bonbonnières accolées et entrées l'une dans l'autre. Sur le couvercle de laque d'or de la boîte entière, deux cercles avec trèfles en or vert; même décor sur le couvercle de la boîte entamée, recouverte en partie par le pli d'une étoffe à petites fleurettes d'or et d'argent, tenant à une cordelière rubannée rouge et or. Le pourtour d'une très grande saillie est une merveilleuse imitation d'un bas-relief de fer ciselé, reproduisant des paysages montagneux traversés de cascade. Intérieur et dessous de la boîte, laque aventurine.
Boite dont la forme est celle de trois petites boîtes carrées enchevêtrées l'une dans l'autre. Le couvercle de l'une figure, au-dessus d'une haie de bambous, des arbustes d'or aux fleurs d'argent bruni. Sur le dessus d'or mat de la seconde sont jetés des nuages d'or poli et des caractères japonais; sur la troisième, dont on ne voit guère que l'épaisseur d'un côté, se dessine un damier aux nuances changeantes, fait de petits carrés d'or vert et de petits carrés teintés de rouge. Le pourtour est alternativement de laque aventurine pour la première boîte, de laque d'or pour la seconde boîte, de laque d'or vert et rouge pour la troisième boîte. Intérieur de la boîte, laque aventurine; dessous, laque d'or mat.
Boite en forme de deux écrans dont une partie de l'un a disparu sous l'autre. Le dessus de l'écran entier représente, sur laque d'or, un daïmio entouré de ses femmes à la chevelure de laque noire; le dessus de l'autre écran, une javelle surmontée d'un bouquet de feuillage sur un fond de laque aventurine. Le pourtour est, pour le premier écran, un fond de laque d'or sur lequel se trouve jetée une arabesque fleurie de chrysanthèmes, pour le second écran, un dessin de sparterie à bambous rompus. Le dedans de la boîte est en laque aventurine; toutefois sous le couvercle est figuré, dans des espèces d'ondes de laque, un vol d'oies sauvages qui s'aperçoit comme une vague et bizarre ébauche dans les miroitements d'un or glacé de brun.
Bonbonnière. Forme ronde et surbaissée ressemblant à la juxtaposition de deux soucoupes l'une sur l'autre. La partie supérieure en laque d'or vert usé, figurant une fleur ouverte de chrysanthème; la partie inférieure, en laque aventurine de la qualité la plus fine et la plus brillantée, est recouverte de branchages de chrysanthème en or vert et de fleurs à demi ouvertes en or glacé couleur olive. Intérieur et dessous de la boîte, laque aventurine.
Bonbonnière en laque d'or de même forme, dont le couvercle montre des flots de laque d'argent bruni submergeant une grande fleur de chrysanthème.
Boite en laque noire brunâtre. Forme festonnée à cinq lobes. Boîte d'une grande distinction, où sur le laque noir se dresse une tige de bambou en laque jaune verdâtre. Intérieur de la boîte, laque aventurine contenant, sous le couvercle, un paysage en laque d'or.
Boite en laque d'or. Forme zigzaguante. Le couvercle figure une branche d'arbuste en fleurs d'or vert, posée sur trois palissades de bambou jetées l'une sur l'autre; le pourtour, des sillonnements de flots roulant des fleurettes. Intérieur et dessous de la boîte, laque aventurine.
Boite en laque d'or, en forme de fruit oblong, autour duquel s'enroule le feuillage d'une liane, semée d'un cloutis d'argent. Sur les côtés du fruit, une broderie de fines arabesques. Intérieur et dessous de la boîte, laque aventurine.
Boite en forme de cylindre. Sur le couvercle au fond d'or vert, un sennin chevauchant, un sceptre à la main, un poisson en laque noir d'un ton mat. Le pourtour à l'intérieur de la boîte, laque aventurine mordorée.
Sous le couvercle est une inscription disant «qu'il a été exécuté une dizaine de cette boîte». Remarquons que les boîtes en laque ne sont presque jamais signées, tandis que les boîtes à médecine le sont presque toujours.
Boite, forme losange. Le couvercle à reflets changeants, et traversé de nuages d'or glacé en vert, et parsemé, de distance en distance, d'arabesques de laque d'or, fleuries d'une fleurette d'or vert. Intérieur de la boîte et dessous, laque aventurine.
Boite en piqué d'or. Forme festonnée à quatre lobes. Le piqué d'or est recouvert de tiges d'herbacées sur le couvercle, et sur le pourtour de branchages en laque d'or. Intérieur de la boîte et dessous, laque aventurine.
Boite en forme d'enveloppe de paquet, que les Japonais font si dextrement d'une feuille qu'ils ferment par un véritable nœud d'art. Recouvrements de laque d'or vert, sur lesquels sont jetées des branchettes de sapin en or rouge, aux bourgeons en argent bruni. Intérieur de la boîte et dessous, laque aventurine mordorée.
Petite boite en bois naturel, à stries ombrées et satinées couleur d'écaille. Boîte à quatre compartiments superposés de forme carrée, aux angles arrondis et rentrants. Le couvercle et les quatre côtés sont ornés de cerisiers fleuris, dont les troncs sont en laque d'or fait avec ce petit pavage d'or, ressemblant aux imbrications d'une peau de lézard, et les fleurs, de délicates ciselures d'argent. L'intérieur de la boîte et le dessous, laque aventurine.
Boite en forme de calebasse et qui offre, sur son couvercle et son pourtour festonnés, la réunion et l'assemblage de tous les laques: laque d'or, laque aventurine, laque couleur de bronze, piqué d'or, piqué d'argent; le tout relevé par un cloutis d'argent qui, avec ses têtes d'épingles, imite sur les feuilles les gouttes de rosée. L'intérieur de la boîte sablé d'or et semé de petites parcelles brillantes, semblables à celles qui se voient amalgamées sur les bronzes martelés d'or, montre, en son fond, des canards mandarins en laque d'or qui voguent sur des flots d'or vert et d'or bronzé. Le dessous, laque aventurine avec semis de parcelles brillantes.
Boite, dont le contenu festonné a le découpage accidenté et plein de saillies et de rentrants, d'une silhouette de femme à la grande jupe étalée autour d'elle. La femme, agenouillée devant un album, est exécutée en laque d'or avec mélange d'ors divers, et avec la figuration de la chevelure en noir. Le pourtour en laque avec bordure à petits rinceaux. L'intérieur de la boîte également en laque aventurine, sillonné de branchages d'or, et parsemé de petits ronds noirs où sont des bouquets de fleurettes, alternés or et argent.
Cette boîte, indépendamment de la déchiqueture de son découpage, est curieuse en ce qu'elle représente une femme de la cour de Kioto aux sourcils rasés et remplacés par deux grosses mouches, peintes au milieu de son front[75], et dont la coiffure,—coiffure qui se rencontre souvent dans les albums,—montre une épaisse et plate chevelure aplatie avec quelques petites mèches, semblables à des cordelettes, se détachant sur les tempes, les joues, les épaules, pendant que le restant, réuni en masse compacte, lui flotte au dos, disparaissant et reparaissant parmi les plis de sa robe[76].
Cabinets, écritoires, bouteilles et coupes à saki, coffrets à gâteaux, bonbonnières, boîtes à parfums, boîtes à jeux, boîtes à félicitations et à compliments: ce sont là les objets en laque décrits jusqu'ici. Il nous reste à parler des boîtes, pots, récipients, qui ont pour spécialité la toilette et le maquillage de la femme et qui sont en partie fabriqués en laque de la plus belle qualité, et que l'on rencontre contenant encore un rien coloré de ce qui sert aux coquetteries de la femme de l'Extrême-Orient. Il y a là les petites boîtes orbiculaires servant à renfermer les cardes ou ouates à farder; les petites boîtes plates à blanc pour le visage et pour le cou; les boîtes à rouge; les boîtes à poudre pour les dents, qui renferment là-bas de l'ivoire râpé[77]; les boîtes à or pour faire purpurines les lèvres, dorées avec cet or particulier[78]; les boîtes à ha-guro, ou noir à laquer les dents, boîtes à l'usage des femmes mariées et des veuves; enfin les flacons à huile rosée pour les cheveux. M. le comte de Beauvoir nous donne, sur cette huile, un détail intéressant. Elle est fournie par des iris bleus, que l'on trouve, au Japon, poussant sur une couche de terre étendue sur toutes les toitures. Au sujet de ces iris, il y aurait un édit particulier d'un ancien mikado dont voici à peu près les termes:
«La déesse du Soleil nous a donné la terre, pour la labourer et l'ensemencer...
«Quant aux iris qui sont l'emblème du luxe des femmes, la déesse vous défend de les cultiver sur le sol sacré; mais semez-les sur le sommet de vos maisons en une place impropre à tout autre usage, et là, de même qu'ils donnent la beauté des cheveux de la femme, ils seront comme la chevelure vivante de votre toit paternel.»
Petite boite à double fond en laque aventurine. Forme carrée. Sur le couvercle, paysage de laque d'or en relief, avec dans un coin un médaillon, au milieu duquel est un bouquet de fleurs de pêcher et de palmettes de sapin. Pourtour et intérieur de la boîte laque aventurine. Dessous du premier compartiment et dessous de la boîte, laque noir sablé d'or.
Petite boite en forme d'éventail. Le couvercle moitié laque glacé couleur olive, moitié laque sablé d'or, émaillé de petites parcelles d'or brillantées. Sur ce sablé, le vol de deux fong-hoang. Pourtour intérieur et dessous de la boîte, laque aventurine.
Petite boite en forme d'écran. Le couvercle laqué glacé couleur olive avec un bouquet de fleurs de différents laques, et dont les fleurs sont exécutées en nacre, en corail, en ivoire, en or et en argent ciselé. Pourtour, même laque avec une broderie laque d'or. Intérieur de la boîte et dessous, laque aventurine.
Petite boite en forme de coquille. Le couvercle, laque glacé couleur bronze, nué, sablé d'or, est recouvert de petites coquilles sculptées en corail, en nacre, en argent. Pourtour, intérieur et dessous de la boîte, laque aventurine.
Petite boite. Forme carrée aux angles arrondis et légèrement bombée. Dessous et dessus, laque d'or, sillonné de nuages bronzés, et recouvert de petits bouquets au feuillage d'or vert, aux fleurettes d'or rouge. Pourtour et intérieur de la boîte, laque d'or mat.
Petite boite, laque aventurine. Forme carrée. Sur le couvercle, branche de chrysanthème en laque d'or, d'où se détachent deux chrysanthèmes ciselés dans le métal, l'un en or, l'autre en argent. L'intérieur de la boîte, laque aventurine sur laquelle est jetée, sur la plaque du dessus et du dessous de la boîte, une palissade de bambous en laque d'or.
Petite boite en laque d'or. Forme quadrangulaire. Le couvercle représente une tige de bambou entremêlée de roses qui se répandent sur le pourtour. Intérieur de la boîte et dessous, laque aventurine.
Une merveille de forme, de décoration, d'exécution, un miracle de jointoiement dans l'infiniment petit que cette boîte qui n'a pas un centimètre d'épaisseur, indépendamment de la beauté du laque qui joue absolument le métal.
Au nombre des objets de toilette de la femme japonaise, il ne faut pas oublier les peignes, ces peignes coquets, dont on retrouve des dessins si variés dans les albums des laqueurs, et dont voici un spécimen fait d'un semis de pétales de fleurs exécutées en or de différents tons sur un fond laque d'or.
Parmi ces laques, il est chez moi une curieuse collection. C'est la réunion d'une vingtaine de ces boîtes à médecine, que tout Japonais porte à sa ceinture accrochée par un cordon de soie à un netské[79], et dans ses quatre compartiments[80], au dire de M. Humbert, renfermant des pilules opiacées, de la thériaque, de la poudre d'huile de menthe, de la poudre de sucre blanc.
Ces boîtes, qui sont en quelque sorte avec les deux sabres, la pipe, la blague à tabac, les bijoux que les riches japonais étalent sur eux, et qui ont été choisies parmi plus de douze cents, sont des plus belles qui soient venues à Paris.
Sur l'une, des fleurs de chrysanthèmes entremêlées de caractères japonais font toute la décoration; sur l'autre, ce sont des zones de fleurs de pêcher et de palmettes de sapin, exécutées avec de l'or vert et de l'or rouge; sur le bois naturel de celle-ci, figure tout simplement la palissade de bambous d'un jardin; sur le fond d'or de celle-là, se dressent des iris d'eau aux fleurs en laque d'argent oxydé; sur le fond d'or de cette autre, se développe, dans sept médaillons, tout l'Olympe japonais, peint avec des laques de tons divers; enfin, sur cette dernière boîte à médecine, à la rondeur très aplatie,—signe d'ancienneté,—des albums entr'ouverts montrent des dessins, dont les infiniment petits détails sont rendus par le plus délicat rehaut d'or, dans le rien d'épaisseur de la gomme du rhus vernicifera.
Mais avant tout ces boîtes à médecine, et plus que tous les autres ouvrages de ce genre, sont des morceaux de laque, où l'artiste se plaît à détacher, sur les ors du fond, des reliefs en porcelaine, en ivoire, en jade, en argent, en or, en fer, sur lesquels, en un mot, il met sa gloire à faire œuvre de laqueur-mosaïste.
Et voici, sur un sablé d'or, une tige de pavot, à la fleur et aux boutons de porcelaine de Satzuma, et voilà, sur un fond noir, un faucon blanc tout en nacre.
La boîte à médecine, au faucon blanc, porte deux signatures: la signature du laqueur: Nagataka; la signature de l'incrusteur: Kazou Yossi.
Deux de ces boîtes à médecine, dont l'une, est signée: Yu toku saï Yokou Ké, représentent, avec quelques changements, un jeune Japonais, tendant, agenouillé, un soulier à un personnage qui passe à cheval sur un pont. Ko Sekko, un savant qui s'était occupé de science militaire et qui était possesseur du fameux livre de stratégie, écrit par Taikô-bo, et intitulé: Lu Kouto san ria kou, en passant sur un pont, fit la rencontre d'un jeune Japonais, dont la physionomie intelligente lui plut. Il laissa tomber son soulier dans la rivière et pria le jeune homme de le repêcher. Et cela à trois reprises différentes, sans que le jeune Japonais montrât de la mauvaise humeur, quoiqu'il dût chaque fois arracher le soulier à un dragon. Le lendemain, Ko Sekko, rencontrant encore une fois Tcho rio, lui donna rendez-vous, le jour suivant, dans un certain endroit, et il manqua trois fois de suite au rendez-vous donné, pour éprouver la patience du jeune homme qui y vint chaque jour. Alors seulement, assuré du caractère de Tcho rio, Ko Sekko lui donna son livre, et le jeune Japonais, après l'avoir étudié, se mit en rapport avec le prince Kanno Ko So, et, par sa valeur et par sa science militaire, délivra son pays réduit en servitude.
Et, sur toutes ces boîtes à médecine, la légende, sans s'occuper du tournant de l'objet, se déroule sur les deux plats avec des choses à moitié commencées d'un côté et qui finissent de l'autre, ainsi que ce sanglier, que j'ai sur une boîte d'ivoire, et dont la tête est sur la face et le train d'arrière sur le revers. L'artiste est guidé dans son travail par ces albums de laqueur, dont M. Haviland possède une si intéressante collection et où les épures des boîtes, cabinets, objets quelconques à pans coupés, sont préparées comme si elles devaient être exécutées sur des surfaces absolument planes.
Une boîte à médecine, où Fukuroku-jïu, au crâne conique, est figuré assis, les jambes croisées, sur un rocher, au milieu de daims familiers, avec un revers représentant un admirable vol de grues.
Cette autre boîte à médecine nous fait voir, sur un fond d'or, un Yebis et un Daikoku, représentés avec des visages et des mains d'ivoire, verdâtrement teintés de ces colorations, rappelant les petits portraits en cire du seizième siècle.
Sur cette autre encore à fond d'or, c'est une société de Japonais et de Japonaises, parmi lesquels on distingue Komati qu'on voit jeune et belle, et parlant, la figure à moitié masquée par un éventail. Dans cette boîte à médecine, les vêtements sont en laque noir et rouge, les mains et les têtes en ivoire, mais le travail offre cette particularité, que les têtes de second plan sont laissées à l'état d'ébauche, de croquis d'un modelage.
L'une des plus riches de la collection est une boîte d'une forme légèrement ovoïde, au fond d'écaille incrusté d'une vermicellure d'or, et sur laquelle se détache cette inscription: Boîte destinée à être portée à la ceinture pour conserver les médecines, une inscription formée de lettres en nacre de la plus fine découpure. Cette boîte à médecine porte à la fois la signature du laqueur Hasségama et de l'incrusteur Takéyama, dont la signature est suivie de ses deux cachets.
Mais la plus extraordinaire de ces boîtes est une boîte à médecine où, sur un fond bronzé au semis d'or, des grues grandes comme des insectes, formées de pierre dure, volent au milieu de fleurs de cognassiers en corail et de pivoines en nacre, dont la nacre est rosée par des dessous de métal. Il y a sur cette boîte des diaprures d'ailes de minuscules papillons, obtenues avec des parcelles de poussière brillantée, qui sont de la grosseur d'une pointe d'aiguille. La splendeur, le fini, le goût de cette incrustation dépassent tout ce qu'on peut imaginer. C'est un bijou d'art qui peut tenir sa place à côté d'un bijou de Cellini. Cette boîte à médecine est signée, sur une petite bande de burgau, du nom de l'incrusteur Shibayama, qui jouit d'une grande réputation au Japon.
A ces laquages sur bois il faut joindre les laquages sur écaille et ivoire, où des fleurs et des rinceaux prennent ces épais reliefs, qui font croire à l'application d'une feuille de métal. Je citerai, parmi ces boîtes, une boîte portant la fleur de pawlonia, les armoiries du mikado et contenant encore de l'or à farder les lèvres.
Un des plus étonnants laquages sur ivoire est un netské, un bouton de la largeur d'une pièce de quarante sous, enfermant, sur sa petite surface, les sept dieux et déesse de l'Olympe japonais, laqués en or et argent bruni, avec des fruits en burgau posés sur un plateau, de la grosseur d'un grain de millet. Ce bouton est signé: Shti foukou jïn.
Et nous retrouvons encore dans la vitrine quelques objets des séries décrites, mais en d'autres matières que le laque.
Pour les boîtes à médecine, ce sont:
Une boîte à médecine en porcelaine gros bleu, toute couverte de libellules aux ailes dorées, et dont la tête à facettes est faite de nacre fixée dans la porcelaine.
Une petite boîte à médecine en fer, d'une exécution très soignée, montrant la reine Otohimé, souveraine de l'île de Liou Gou, prenant congé du pêcheur Ourashima, que l'on voit, sur le revers de la boîte, naviguant sur un gros poisson d'or, la ligne sur l'épaule. Cette boîte à médecine me vient de la vente du graineur italien Meazza.
Une petite boîte à médecine en ivoire sculpté, représentant d'un côté deux Japonais, mesurant de leurs bras tendus le tronc du fameux pin d'Onoé, de l'autre une Japonaise en promenade, la pipette à la main. Cette boîte à médecine est signée: Shïn iou Maï Min gokou.
Pour les peignes, ce sont:
Un peigne en bois avec le bâtonnet horizontal pour soutenir l'échafaudage des cheveux et le bâtonnet transversal pour le couronnement[81]. Ce peigne, mi-bois brun, mi-ivoire, est semé de jouets d'enfants, toupies, oiseaux en carton, poupées, figurés en nacre, en écaille, en serpentine, en corail, en laque aventurine.
Un peigne en ivoire, sur le haut duquel court une grappelette de raisins, faite dans une matière qui imite la transparence du raisin ambré, et qui s'échappe de dessous la feuille d'une vigne automnale, en ivoire colorié. Ce peigne est signé: Kouai gio Kou.
Nous arrivons maintenant à quelques petits objets isolés.
Une ancienne épingle à cheveux de femme, en fer, représentant une dégringolade microscopique de singes. Cette épingle est signée: Yatsou Sluro[82].
Une boîte en fer ciselé, décoré, en relief d'or et d'argent, d'une orange, d'une langouste, d'un morceau de charbon, accompagnés d'un toron de paille de riz: les étrennes que les Japonais ont l'habitude de s'envoyer au jour de l'an. Cette boîte est signée: Its tyo Saï Harou Hissa.
Une boîte à pinceaux, dont le bois disparaît sous la sculpture de fleurs de cerisier la recouvrant intérieurement. Intérieur, laque noir, dans lequel est pratiqué un système de jointoiement des plus simples, au moyen de deux trous et deux encoches.
Une boîte à parfums en joli bois strié, sur le couvercle de laquelle est représenté en nacre et en ivoire et en corne, au milieu de deux oiseaux qui s'envolent, l'appareil qui les chasse des arbres fruitiers: de petits morceaux de bambou cliquetant sur une planchette de bois.
Un bouton en fer, où sont ciselées deux poupées dorées, sous une branche de cerisier en fleurs, d'où pend une banderole sur laquelle est gravée une poésie de femme, reconnaissable à sa maigre et légère écriture. Ce bouton, qu'on expose sur de petits reposoirs, dressés à la porte des maisons, le 3 mars, le jour de la fête des filles, est signé: Beï Koua.
Un encrier de voyage en forme de petit marteau et qui se porte attaché à la ceinture, un encrier de bronze enguirlandé d'une liane de coloquinte aux feuilles d'or, aux gourdes d'argent. Je possède un autre encrier portatif, fabriqué d'un petit bambou contenant le pinceau et lié à une rondelle de bois plus grosse formant le réservoir à encre de Chine. Ces deux morceaux de bambou sont décorés de jeux d'enfants, incisés et teintés en noir. Il est signé ainsi: A été fait la 3me année de Tën Wa, par l'artiste Otoka Noboukyo, sujet du prince Akao (province de Harima). M. Otsouka croit que ce travail est du seizième siècle.
Au milieu de ces pierres dures, de ces laques, de ces ivoires, est perdu un petit rond d'argent bruni du diamètre d'un dé à coudre, sur lequel est sculpté, dans un bouquet d'arbres, un kiosque vers lequel se dirige un personnage d'or de la grosseur et de la grandeur d'une puce. Un volet fermé qui s'ouvre, quand on fait tourner au bout de son cordonnet de soie le petit rond, laisse voir dans l'intérieur deux points brillants d'argent, que la loupe fait reconnaître pour deux joueurs de dames.
Les ouvriers japonais ont eu, comme les ouvriers de l'antiquité grecque et romaine, l'imagination des bijoux-joujoux lilliputiens. Un de ces joujoux d'art, acheté par un voleur, cent kobans, au célèbre Fakeda et donnée par lui à la prostituée Otone, jouit, au Japon, d'une certaine célébrité. C'étaient deux petites figures, dont l'une représentait une jeune fille, et l'autre un serviteur tenant un parasol: les deux figures construites de manière que, lorsqu'on les faisait flotter sur une coupe de saki, le domestique ouvrait le parasol et le tenait au-dessus de la tête de sa maîtresse marchant devant lui. Et l'on suit un moment dans une chronique l'histoire du bijou. La fille Otone, très amoureuse du comédien Sakaki-hama-siro-taro, et quittée par lui, vendait ses robes et tout ce qu'elle possédait pour payer une dette qu'elle avait contractée à l'effet de donner de l'argent à son amant, puis se pendait dans le grand salon de Tomonya-Grobe. Parmi les objets qu'elle avait vendus, se trouvaient les deux petites figures de Fakeda, dont la malheureuse n'avait pu obtenir que six kobans, et les deux petites figures étaient passées, à la suite de cette vente, entre les mains de la femme du musicien Toyo-Taki[83].
Dans les objets en argent, rentrent les pipes d'homme et de femme, ces pipettes dont le fourneau est si petit, qu'on les prend pour des pipes à opium[84], pipettes tout entières faites d'un morceau d'argent ou bien d'un bout de bambou, enfermé dans des enveloppes d'argent, aux deux extrémités. Sur celle-ci sont sculptés deux faisans au plumage mi-doré, mi-argenté; sur celle-là se détache, au milieu d'une tige de pivoines, un paon exécuté de la même manière que les faisans.
Cette autre pipette, un chef-d'œuvre de ciselure, du fourneau à l'embouchure, est toute couverte de fleurs de chrysanthème fouillées et détachées dans la masse.
Enfin cette dernière, une pipe de lutteur, et qui représente un combat entre deux terribles dragons, se distingue par une grosseur particulière aux objets possédés par cette classe d'hommes énormes, amants de l'énormité. On dirait la pipe d'un ogre.
La description des pipes amène naturellement à la description de leurs étuis, à cette bimbeloterie d'art, où sur toutes les matières, mais principalement sur le bambou, les Japonais se sont montrés des ouvriers-artistes incomparables. C'est chez eux une spécialité de décorer le bois naturel en introduisant, dans la sculpture, la pierre dure, la nacre, le jade, l'écaille, l'ivoire colorié, avec une fantaisie adorable, et avec, je le dis bien haut, la sobriété et la retenue du goût le plus pur en la richesse de l'ornementation. Les Japonais font enfin de ces bois, sculptés et mosaïqués en relief, des choses qui n'ont d'équivalent chez aucune nation.
Étui en bois noir, sur lequel se détachent, en argent doré et émaillé, un enfant et deux petites figures de femmes.
Étui en bois brun, aux fendillements en forme de stalactites, décoré de papillons en pierre dure et en nacre, dans des feuillages en ivoire colorié, portant des fleurs d'or et d'argent.
Étui en corne de cerf, représentant un vieux pèlerin en extase devant une vision dans le ciel, vers laquelle monte l'adoration murmurante de ses lèvres, en une espèce de phylactère.
Étui en bambou, de forme ronde, figurant, profondément entaillé dans le bois jaune et fibreux, un tigre aux yeux de nacre. L'attache et le couvercle et le revêtement inférieur en fer, finement damasquiné d'or.
Étui en bambou à six pans, où se voient des tortues faites en ivoire colorié, avec carapaces d'écaille. Rien de plus heureux que l'agencement de ces tortues surprises dans le naturel de leurs poses, et rien de plus ingénieusement charmant que le couvercle composé d'une tortue aplatie dans le repos, ses pattes repliées sous elle. Cet étui est signé: Ikko.
Étui en bambou, à la rondeur aplatie, couverte de dragons volants (de libellules) aux ailes d'émail cloisonné, aux têtes et aux corselets d'ivoire colorié et d'écaille. La libellule ou la demoiselle, appelée, au Japon, dragon volant, est un insecte presque légendaire, et qui revient souvent dans la décoration. On raconte que Jimmu-Tennô, fondateur de la monarchie japonaise, étant monté sur une haute colline, la forme du Japon lui parut ressembler à celle du dragon volant, ce qui lui fit donner le nom de cet insecte à son empire. Le travail de cet étui est d'un luxe, d'une beauté, d'une originalité tout extraordinaire, avec des dégradations et des éloignements de second plan, obtenus par l'opposition de libellules seulement sculptées dans le bois un peu teinté, et de la libellule d'émail et de nacre du premier plan. Ce porte-pipe est signé: Itsko.
Étui fait d'un ivoire particulier, d'un ivoire fossile de Sibérie peut-être, ou plutôt d'un ivoire ordinaire rendu transparent par un procédé inconnu, et appartenant aux seuls Japonais. Il est décoré de rinceaux de feuillages, comme légèrement teintés de rouille dans les rentrants de la sculpture. Au milieu des rinceaux, le guerrier Kosima Taka Nori de Bingo, ciselé en or, trace, sur le tronc du cerisier, l'avertissement donné à son prince, et que nous avons déjà trouvé sur le couvercle de la boîte à gâteaux. Le travail de l'ivoire n'est pas signé, mais sur un petit cartouche d'or est gravé: L'or fait par Tatté utchi.
Étui en shakudo. Le seul que j'ai vu fabriqué de ce métal, employé en général pour de petits objets. Sur le beau bleu violacé de l'étui, sont niellées des fleurettes en argent, en or, en émail rouge brique.
A la description de ces étuis de pipes, je joindrai la description d'un attirail complet de fumeur assez ancien, composé d'un étui de pipe et d'une blague à tabac. L'étui de pipe est en une imitation de peau de serpent, appelée au Japon indën, et décoré d'une libellule de métal avec des parties bronzées et vermeillées. A cette libellule se rattache la blague par un petit anneau, auquel sont soudés deux médaillons de bronze gravés, représentant l'Olympe japonais en caricatures. Sur la blague en cuir doré, argenté, mordoré, pourpré, un morceau de cuir, dit le Japonais Otsouka, fabriqué à l'imitation d'anciens cuirs chinois, un morceau de cuir que je croirais plutôt de cuir de Cordoue ou peut-être de Venise et que les Japonais recherchaient et achetaient aux Portugais,—un morceau de cuir qui a les riches et sourds tons de hareng saur, affectionnés par les coloristes fauves,—se détache dans un relief de demi-ronde bosse, un corps de jeune enfant, dont la chair potelée a quelque ressemblance avec les contours enflés des amours de Boucher. La serrure extérieure est faite de deux petits bronzes-appliques, l'un Laizïn, le dieu du tonnerre, sous sa patine florentine, l'autre Fouzïn, le dieu du vent, sous sa patine d'acier. La serrure intérieure, qui se ferme au moyen d'un petit bouton en forme d'éventail, est formée d'une plaque d'acier rayée d'éclairs d'or et de trombes d'argent, se croisant sur la crête de flots courroucés et écumeux. Cette plaque porte deux signatures Korusaï et Thiojou, et sur le bronze doré de la charnière intérieure, se trouve encore la signature de Djindaïsha, l'ouvrier ciseleur de la garniture et des deux petits médaillons de bronze.
«Est-ce ancien?» dit presque chaque personne, dans les mains de laquelle vous mettez un objet japonais, toute prête à vous le rendre sans le regarder, si vous ne mentez pas un peu. Eh bien, il faut avoir le courage de dire la vérité: l'art japonais n'a pas d'antiquité. En Chine, les mandarins amateurs ont un certain droit à ne vouloir posséder que des objets de mille ans, à préférer le travail original des anciennes dynasties aux Kien-Long. Au Japon, rien de pareil. Tout l'art ancien du Japon est une pauvre et servile imitation de l'art chinois, tout vient du Céleste Empire, tout, jusqu'aux couturières, qu'envoie chercher au troisième siècle l'empereur Ojiu-Tennò[85]. Les porcelainiers, les bronziers, les peintres sont des Chinois, ou des Japonais, retour de la Chine. Ce sont des potiers coréens qui fabriquent les premières porcelaines japonaises et c'est en Chine que Gorodayu Shonsui, le créateur de la porcelaine d'Imari, va apprendre la construction des fours. C'est le peintre Douchò, de l'État de Koma, qui au huitième siècle, enseigne aux Japonais et le dessin et la fabrication de l'encre et du papier. C'est le prêtre Sesshiu qui, au quinzième siècle, après avoir étudié en Chine, devient un des plus grands peintres du Japon. Et les peintres Kudara, Kawanari, Kosé-Kanaoka, le prêtre Meichò, ainsi que les deux familles Tosa et Kano, illustrées par les artistes qu'elles ont produits, semblent avoir été chercher leur talent dans le Céleste Empire. Le croirait-on enfin? la musique et la danse japonaises n'appartiennent pas même au Japon, elles sont chinoises, et furent apportées par Minashi, originaire de Kudara qui se fit naturaliser au Japon! Et les Japonais reconnaissent si bien cette vérité, ont tellement pris l'habitude de considérer l'Empire du Milieu comme la patrie de leur art, comme le lieu de provenance des belles choses, comme leur Grèce, que Narushima, auquel je demandais, un jour, s'il y avait des collectionneurs parmi ses compatriotes, me répondait: «Oui, oui, certainement»; puis ajoutait avec une nuance de mépris intraduisible pour son art national: «Oui, mais les collectionneurs chez nous n'ont que des objets de la Chine.»
Du reste, l'on peut se rendre compte du nombre d'objets chinois que contenait, que contient une collection japonaise, par ce curieux inventaire d'objets d'art possédés au dix-septième siècle par Yodoya-Fatsgro, l'un des plus riches marchands d'Osaka, inventaire si renseignant sur les goûts d'un bibeloteur exotique.
EFFETS PRÉCIEUX.
Un coq d'or pur, apporté de la Chine qui avait appartenu à l'empereur Genso-Koté (Han-kao-tsou).
Un tableau peint par l'empereur Kiso-Koté, représentant un coq et une poule, et jugé hors de prix.
Une natte pour servir de jalousie faite de corail rouge[86].
Deux tuiles du palais de l'empereur Kan.
Quatre tuiles du palais de l'empereur Koo-ko-te (Soung-Kao-tsou).
Trois lettres de l'officier du Daïri, le fameux écrivain Teïka[87].
Un poids en or, pesant sept cent cinquante taels, que Taïko avait donné en présent à un de ses parents.
Un encensoir d'or en forme de chariot.
Seize figures de moineaux d'or et d'argent.
Treize petites idoles d'or.
Un chaudron d'or.
Un vase d'or pour faire bouillir l'eau.
Deux tasses à thé en or.
Trois boîtes à thé en or.
Un chapelet de cent vingt-huit grains de corail rouge, dont cent huit de la grosseur d'un œuf de pigeon et vingt de moindre grosseur.
Dix branches de corail.
Cinq tasses à thé en argent.
Sept soucoupes faites du bois de calamback (bois d'aigle, que les Japonais tirent du Cambodge et de la Cochinchine et qu'ils payent au poids de l'or)[88].
Un damier avec les dames d'or et d'argent dans une caisse de bois d'ébène.
Un grand encrier chinois enrichi d'une pierre précieuse.
Un magnifique pot à l'eau chinois.
Vingt-huit fermiers à carreaux.
Quarante-huit tapis ayant chacun trente pieds de long et dix-huit pieds de large.
Cinq cents tapis plus petits.
Trois cent trente tableaux japonais différents.
Cent soixante-dix sabres de toutes longueurs.
Trente-sept piques ou sabres.
Trois harnais de cheval[89].
Au fond, parmi les vieilles choses du Japon qui ne sont pas des objets chinois ou des imitations imparfaites de chinoiseries, qu'est-ce que vous trouvez? Des bronzes, sans conteste, inférieurs aux bronzes chinois, des peintures d'un primitif baroque, des laques que je crois, jusqu'à preuve du contraire, inférieurs aux laques de choix des dix-sept et dix-huitième siècles, et en dernière ligne cette porcelaine or, rouge et gros bleu, ce vieux Japon qui n'est pas sans mérite, mais d'une monotonie désespérante[90]. Mais tout ce que j'aime, tout ce que je vois aimer par ceux dont j'estime le goût: les bronzes qui ont la mollesse de la cire, les peintures au dessin de nature, les broderies qui sont de tendres et chatoyants tableaux, les délicates ciselures du fer, la décoration enchanteresse des Satzuma, les jolis travaux d'incrustations dans le bois, tout cela, à l'exception des laques, est moderne, oui moderne, n'a pas plus de quatre-vingts ans, appartient enfin au dix-neuvième siècle. Les plus souples bronzes sont de bronziers morts il y a vingt, trente, quarante ans. Et à quelle époque remonte la statue de Ban Kurobioë par Murata Shosaburo Kunihissa, possédée par M. Cernuschi, la seule pièce de bronze qui puisse entrer en comparaison avec la grande sculpture de notre antiquité? A la fin de Louis XVI, peut-être à la période du Directoire. Combien de gardes de sabres, à la rondissante facture, après le déchiffrage de la signature de l'armurier, se sont trouvées des ciselures ne remontant pas à plus de vingt-cinq ans! Qui oserait affirmer que les plus vieux foukousas ont plus d'un demi-siècle? Et les bols de Satzuma achetés par les amateurs les plus difficiles, à quelle date remontent-ils? Enfin même, les boîtes à médecine et les étuis de pipes à luxueuse ornementation, seraient, au dire de certaines personnes bien renseignées, de création assez récente. En un mot, l'objet d'art original, l'objet d'art bien japonais ne semble né là-bas qu'à la suite de la révolution introduite dans le dessin par O-kou-sai, et de son affranchissement de l'art chinois[91], et de son retour à la nature, vue pour la première fois par un œil japonais.
Et pour moi, c'est seulement en toutes les dernières années du siècle dernier, et dans les cinquante premières années du siècle actuel, qu'ont été fabriquées, toujours à l'exception des laques, les originales japonaiseries où l'élément européen n'a pas eu encore le temps de s'introduire, et qui ont eu la fortune d'être exécutées et parfaites par la vieille génération d'ouvriers anciennement aux gages des princes[92], et qui ont mis au service d'O-kou-sai et du groupe d'artistes dans tous les genres, évoluant autour du novateur, une main-d'œuvre qui ne s'est jamais peut-être rencontrée chez aucune nation.
Maintenant ces objets de 40, de 50, de 60 et bien rarement de 100 ans, ces objets choisis, triés, et qu'il est même bon de payer cher, ces objets qui possèdent une qualité que n'a pas l'objet chinois, l'amusant, ces objets, il faut le dire bien haut, sont merveilleux, uniques, incomparables, et tels qu'ils doivent sortir de l'imagination et des doigts de ce peuple artiste jusqu'au dernier des hommes, et où le paysan n'ayant pas que des yeux comme le nôtre pour sa récolte, avec deux ou trois pierres, se crée dans son champ une cascatelle, y plante un abricotier à fleurs doubles[93], et jouit, des heures entières, de la floraison de son arbuste au-dessus de la musique de l'eau, ainsi qu'un peintre et un poète.
BOUDOIR
A droite, au fond du cabinet de japonaiseries, une porte enlevée livre passage dans un petit boudoir pas beaucoup plus large que la porte-fenêtre ouvrant sur le balcon du boulevard Montmorency. Le boudoir est laqué en noir, et au plafond sur un carré de soie jaune, la princesse Mathilde a jeté des oiseaux et des fleurs aquarellés dans le goût japonais. Une robe de crêpe de Yédo, brodée en or et en soie, au fond gorge de pigeon et commençant et mourant dans du violet, recouvre un petit divan appuyé au mur. Sur les parois sombrement luisantes, entre de gaies et claires porcelaines de la Chine, provenant des ventes de doubles qu'a faites le Musée de Dresde, sont accrochés seulement trois objets de haut goût.
Le premier est un immense foukousa représentant, sur un morceau de velours noir, une double et noueuse tige de bambou brodée en or: une broderie, dont l'originalité distinguée est due à la grandeur du dessin et à l'opposition à peine sensible de l'or vert des feuilles et de l'or rouge des tiges. Il est signé: Kakou-Leï.
Le second figure sur un panneau de laque une branche de magnolia en fleurs, dans un vase de bronze vert, fouetté d'or. Les fleurs sont sculptées en ivoire, et les boutons en formation sont composés de fragments de jade un peu transparents, pris dans les tons les plus frais de la nature, et le vase en bronze vert, le sculpteur a su en faire, au moyen de matières ignorées, un trompe-l'œil qui pose, en sa légère saillie, sur un vrai pied de bois de fer. D'un côté, il y a une grenade entr'ouverte sous son semblant d'écorce de carton pourpré, et dont le rose aqueux, où baignent ses pépins, est rendu avec un art inimitable par de la nacre. De l'autre côté sont une petite théière en boccaro, une tasse de faïence de Satzuma sur sa soucoupe en bateau de métal, obtenus avec le boccaro, la faïence, le métal ou je ne sais quoi. Ce tableau sculpté est intéressant comme un spécimen du soin, de la perfection, de la menue et infinie imagination d'art apportés par l'artiste à tous les détails de son œuvre. C'est ainsi que le cadre en bambou, exécuté là-bas, montre, près de l'intersection des nœuds, de petites pousses, des folioles en ivoire découpé, et coloriées, et jouant les jeunes pousses, et qu'un escargot, d'un glaireux à jeter par la fenêtre, monte, les cornes rigides, le long du cadre du bas-relief. Ce tableau porte deux cachets que n'a pu déchiffrer M. Otsouka.
Le troisième objet est un tapis de soie persan du seizième siècle, le desideratum des peintres-banquiers, la chose d'industrie artistique qui vous laisse hésitant, si elle n'est vraiment pas de l'art, et si elle ne vaut pas le plus beau tableau de fleurs, enfin la loque radieuse par excellence. N'ayant jamais pu réunir assez d'argent pour acheter de ça, je m'étais dédommagé en en créant un, dans les Frères Zemganno, quand un de ces hasards étranges m'a mis face à face avec l'original du tapis de fantaisie, que j'avais inventé pour les siestes de la Tompkins. C'était bien le morceau de velours ras, tissé dans le lumineux et la tiède tendresse de l'or bruni, de l'argent éteint, du bleu lapis-lazuli. Et elle était si séduisante, la bordure de ce tapis au vert, qui était à la fois une couleur de mousse et d'émeraude, et où couraient des branchages d'un pâle et presque imperceptible violet d'améthyste! Et le fond étalait un si harmonieux ton d'or de paille, d'or chaud de nattes de Manille, avec dessus des rinceaux si maladivement bleus, blancs, jaunes! Et chaque secousse de la main du marchand, dans le tapis de soie, glaçait d'un si éblouissant givre les douces colorations se cassant avec des brillants micacés! Je ne pus résister. Au fond, si mon tapis, je l'ai payé cher, fort cher, j'ai, pour me consoler, la croyance, l'illusion, si l'on veut, que tout au plus une soixantaine de ces tapis,—on les dit tous venir d'une bataille dans laquelle les bagages du shah auraient été pris par les Turcs,—oui, tout au plus une soixantaine sont dispersés en Europe. Pourquoi n'étais-je pas à Constantinople, le lendemain de l'incendie du vieux Sérail? J'aurais pu aussi bien que M. Gutun, parmi les objets jetés la veille par les fenêtres, acheter au bazar, moyennant 112 francs, soit 56 francs pièce, les deux merveilleux tapis aux suaves couleurs, entremêlées de vers d'argent chantant la femme et le vin,—ces tapis dont on demanderait de chacun 25,000 francs, aujourd'hui?
A l'heure présente, c'est bizarre, quand je me prépare à écrire un morceau, un morceau quelconque, un morceau où il n'entre pas le moindre bric-à-brac, pour m'entraîner, pour me monter, pour faire jaillir le styliste, de l'écrivain paresseux et récalcitrant à l'arrachement douloureux du style, j'ai besoin de passer une heure dans ce cabinet et ce boudoir de l'Orient. Il me faut me remplir les yeux de la patine des bronzes, des ors divers des laques, des irisations des flambés, des éclairs des matières dures, des jades, des verres colorés, des chatoiements de la soie des foukousas et des tapis de Perse, et ce n'est que par cette contemplation d'éclats de couleur, par cette vision excitante, irritante pour ainsi dire, que peu à peu, et,—je le répète sans que cela ait aucun rapport avec le sujet de ma composition,—je sens mon pouls s'élever, et tout doucement venir en moi cette petite fièvre de la cervelle, sans laquelle je ne puis rien écrire qui vaille. Mais l'excitation produite par le bibelot de lumière obtenue, et le moment arrivé pour me mettre au travail, j'ai besoin pour écrire de me trouver dans une pièce qui n'ait rien aux murs, et que j'aimerais toute nue et blanchie à la chaux.
SECOND ÉTAGE
L'escalier tourne et monte, du premier au second étage, toujours entre des dessins de l'école française et des kakemonos japonais.
Le kakemono est une bande longitudinale de gaze peinte à l'aquarelle[94], collée sur un morceau de soie qui la marge tout autour d'un dessin de fleurs, généralement tissées en or ou en argent, et que tient tendu un petit rouleau de bois, terminé par deux rondelles d'ivoire pendant en bas. C'est le tableau du Japon, la seule peinture que les amateurs de là-bas[95] et le commun des martyrs accrochent à ses cloisons. Dans ces aquarelles toujours étroites, mais d'une longueur qui va d'un à deux, à trois mètres, il est des œuvres d'art qui font l'ébahissement de nos aquarellistes, en présence de ces immenses machines peintes à l'eau. Devant un de ces kakemonos, de Nittis[96], qu'on sait n'être pas un maladroit, déclarait qu'il n'y avait pas d'Européen capable d'exécuter ces étonnantes décorations. Dans l'atelier du peintre Hirsch est suspendue une grue parmi les roseaux d'un marais, la nuit, sous une lune voilée d'un nuage. Dans le gris perle des ténèbres, c'est un chef-d'œuvre que l'échassier blanc, en son arrêt suspendu, avec l'interrogation de sa petite tête dressée et retournée, de son œil qui veille à travers le fouillis obscur,—l'échevellement des lances de roseaux, d'abord jaunes d'or, puis noires, puis couleur des choses vues dans le lointain de la nuit. Un modelage désespérant des détails, d'une science de procédés incroyable, avec des oppositions singulières, et qu'on n'ose pas en Europe: ainsi, dans cette aquarelle délavée et sans aucune épaisseur de couleur, la patte relevée de la grue est empâtée de gouache, et de toute la peinture seule ressort en relief, absolument comme si elle était brodée. Chez moi, dans mon escalier, battent contre le mur des tortues jouant sur une grève à la mer basse, d'un matutineux extraordinaire[97], et une tige de pavots violets entrelacée dans un rameau d'arbuste aux fleurs cerise d'un charme tout réjouissant, et bien encore une demi-douzaine représentant des oiseaux de rivière au milieu de plantes aquatiques. Toutefois la merveille est une guenon tenant son petit dans ses bras. Il est vraiment impossible de rendre, par une coloration plus vraie, le rose violacé de la face et des bouts de sein de la singesse, de la face et des callosités ischiatiques du petit, au milieu de l'envolée fauve du pelage, où, çà et là, se voient des aplatissements, de lumineux versements de poils faits d'un ton bleuâtre indescriptible. Ce kakemono est signé: Leï Meï Wan Sossen. Sossen, au Japon, est reconnu comme le grand peintre du singe, et ne peint uniquement que le singe.
Donnons ici un rapide historique des anciens peintres du Japon d'après la grande encyclopédie, intitulée: Wa-kan-Sanzai Dzuyé, dont un fragment a été traduit par M. Dickins dans son livre sur le Fusi-yama.
Mih-Hi (2697 avant Jésus-Christ) dessina, le premier, les diagrammes au lieu de les écrire. Ce fut l'origine du dessin.
Tsao-fuh-hing, le premier, dessina les choses appartenant aux hommes.
Shi-tao-shih dessina, le premier, des oiseaux et des bêtes.
Quelques-uns des vieux maîtres possédaient une puissance miraculeuse: l'un ayant dessiné un dragon, aussitôt qu'il eut terminé l'œil, le dragon s'envola; un autre, nommé Han kan, ayant dessiné un cheval, un démon l'enfourcha, trompé par la ressemblance.
Les peintres célèbres des époques postérieures sont innombrables. Il y eut d'abord Kose no Kanaoka, après vint Fujihara no Takayoshi qui fut suivi par Takuma Temeyuki et Tosa Tsuné taka.
Dans la succession des plus renommés des époques postérieures, se trouvent Tsunemori, Tosa Mitsunobu, Sesshiu, Josetsu, Oguri Sotan, Schiubun, Sesson et le plus célèbre de tous, Kano Motonobu.
Tsunemori s'est illustré par ses oiseaux sur l'aile, oiseaux volants.
Tosa Mitsunobu, qui a été surintendant de la peinture, est le fondateur de l'école de Tosa, dont les élèves peignent avec un pinceau fin comme un cheveu, et affectionnent la feuille d'or.
Sesshiu, qui avait été prêtre dans sa jeunesse, était un disciple des écoles de Josetsu et de Shiubun. Sa renommée arriva jusqu'à l'empereur de la dynastie des Ming régnante alors en Chine, qui le décida à se charger de la décoration du palais impérial. Son début fut celui-ci: Sesshiu remplissant un balai d'encre de Chine, sans que sa main hésitât une minute, dessina un dragon, éclaboussant l'encre autour de lui; et l'admirable vigueur de l'esquisse fit bientôt que son nom et sa gloire se répandirent dans tout l'Empire du Milieu. Il était habile à retracer les paysages, les fleurs, les oiseaux, les quadrupèdes, les hommes. Il travaillait avec une grande rapidité, et, pour ainsi dire, d'un seul trait courant, avait une préférence marquée pour les tons gris clair, évitait le rouge et les verts. Il est le fondateur de l'école de Sesshiu, l'école du noir et du blanc, une école de grisaille distincte de l'école de Tosa, l'école coloriste du pays, et de l'école éclectique de Kano, qui cherchait à fondre les deux écoles.
Sesson était un fameux peintre pour les effets de clair de lune en automne.
Kano Motonobu, le prince des peintres chinois et japonais, a été appelé aussi souvent Kohôgen.
Les principales couleurs, employées autrefois par les peintres japonais, étaient pourpre clair, jaune et rouge, gris brun d'écorce d'arbre, couleur de pêche, bleu vert, jaune vert, gris de thé, gris de souris, brun jaune, feuille morte. Les matières colorantes servant à la composition de ces couleurs étaient l'ocre, la terre d'ombre, le cinabre, l'orpiment, l'airo, sorte de pigment bleu, le nakuroku, vert formé d'un pigment arsénieux, le noir de fumée, le charbon ou la cendre de laine de coton.
Dans le livre chinois Rui-yen (Jardin des Miscellanées), on raconte une curieuse anecdote sur un procédé de peinture japonaise. Nous y lisons qu'un nommé Sû-Nogh dessina, dans un tableau, un taureau qui quittait, le jour, la toile, pour aller pâturer, et revenait prendre sa place dans la peinture le soir. Ce tableau arriva dans les mains de l'empereur Taï-Tsung (976-998), qui demanda à ses courtisans, mais en vain, une explication de ce prodige. A la fin, cependant, un certain prêtre révéla que les Japonais trouvaient une substance nacreuse dans la chair d'une espèce d'huître qu'ils ramassaient sur les rochers à la marée basse, et que cette substance broyée en une matière colorante faisait des tableaux invisibles le jour, visibles la nuit.
Mais il nous a été donné de surprendre un peu du secret de ces peintures, de ces aquarelles pendant l'année de l'Exposition, aux trois soirées du commissaire général Matzugata, de l'éditeur Charpentier, de Burty, ces trois soirées où les japonisants de Paris ont pu regarder travailler des artistes japonais. Chez Matzugata, nous avons vu un Japonais, debout devant une table, sans l'aide d'un fusinage, d'un crayonnage, attaquer du premier coup, et à main levée, avec un pinceau, des dessins, sur des morceaux de mousseline, retenus par les deux bougies qui éclairaient le peintre, et les commencer par un bec d'oiseau, par une queue de poisson; et des extrémités de l'ensemble, de fragments de dessin se rejoignant à la fin bout à bout, réaliser, dans l'étonnement de tous, un être de l'air ou de l'eau qui semblait dessiné d'après nature.
Chez Charpentier, un autre peintre japonais, la joue labourée par une contraction du muscle zygomatique, sa grosse bouche sérieuse gonflée et avancée, et le front peinant, comme si sa mémoire cherchait à refaire identiquement un dessin déjà fait, tenait le pinceau entre la première phalange du pouce et l'index, et, pour ainsi dire, à pleine main. Je me rappelle un surprenant dessin de trois corbeaux, et l'adresse avec laquelle, de son pinceau écrasé et aux poils presque secs, dans une teinte plate d'encre de Chine encore humide, l'artiste facsimila le duveteux de la poitrine d'un des noirs oiseaux.
Mais jusque-là, rien que des improvisations, rien que des croquis à l'encre de Chine; chez Burty, nous avions la représentation dans les coulisses, de l'élaboration, pleine de ficelles, d'un grand panneau à l'aquarelle, poussé au dernier fini: d'un véritable kakemono. Disons d'abord qu'un dessin, pour être précieux au Japon, doit être dessiné sans aucune reprise du trait, sans aucun repentir. On attache même une certaine importance à la rapidité du faire, et le compagnon du peintre alla regarder l'heure à la pendule, quand il commença. L'artiste japonais s'était muni cette fois d'un coupon de soie gommée presque transparent, se fabriquant pour cet usage au Japon seulement, et le coupon de soie était tendu sur un châssis de bois blanc. Sauf deux ou trois bâtons de couleur, parmi lesquels il y en avait un de gomme-gutte et un autre d'un bleu verdâtre, l'aquarelliste se servait de couleurs au miel, de couleurs européennes. D'abord, pour commencer, ce fut au milieu du panneau comme toujours un bec d'oiseau devenant un oiseau, puis encore trois autres becs, trois autres oiseaux: le premier grisâtre; le second au ventre blanc, aux ailes vertes; un troisième ayant l'apparence d'une fauvette à tête noire; le quatrième avec du rouge dans le cou d'un rouge-gorge. Il ajouta à la fin, au haut de son panneau, un cinquième grimpereau, un calfat au bec de corail. Ces cinq oiseaux furent exécutés avec le travail le plus précieux, et presque avec le froufrou révolté de leurs plumes. Et c'était charmant de voir notre Japonais travailler, tenant deux pinceaux dans la même main: l'un tout fin, et chargé d'une couleur intense, et filant le trait; l'autre plus gros et tout aqueux, élargissant la linéature et l'estompant; tout cela, avec des prestesses d'escamoteur debout devant sa petite table aux gobelets.
Les oiseaux paraissant terminés, Watanobé Seï Sé a jeté dans un coin des feuilles, des bouts de branchages, sans le dessin des branches. A ce moment, d'un gros pinceau sans couleur et trempé d'eau, il a mouillé le fond resté vierge de toute coloration, en épargnant, autour des oiseaux, de petites déchiquetures, laissées par lui sèches, dans le papier mou. Le panneau a été séché, un moment, à la flamme d'un journal dans la cheminée, et retiré lorsqu'il conservait un rien d'humidité. Alors brutalement, et comme sans souci de la délicatesse de son dessin, il a laissé pleuvoir, sur tout son panneau, de gros pâtés d'encre de Chine, qui, étendus avec un blaireau, ont tout à coup mis la plus douce demi-teinte autour des branchages et des oiseaux, enfermés dans une couche de neige faite miraculeusement par les espèces d'archipels, gardés secs dans le papier. Puis, quand le panneau a été ainsi préparé, ainsi avancé dans certaines parties, ne voilà-t-il pas que notre peintre japonais s'est mis à le laver à grandes eaux, donnant, sur la tête colorée des oiseaux, de petits coups de pouce amortissants et ne laissant sur le papier que la vision effacée de ce qui y était tout à l'heure. Et le panneau est encore une fois remis au feu et retiré mollet, et l'artiste indique le tronc tortueux par un large appuiement, mais interrompu, mais cassé, et pique avec la plus grande attention, dans le vide et l'effacement, les petites fleurs rouges d'un cognassier du Japon, ne plaçant qu'au dernier moment la valeur noire de son dessin, la tache intense à l'encre de Chine du tronc de l'arbuste. Et ç'a été encore des lavages, des séchages, des reprises, des relavages, au bout desquels le lumineux et moelleux dessin était parachevé, tirant de tout ce travail dans l'humide quelque chose du joli flottement des contours que l'on voit en un dessin baignant dans l'eau d'une cuvette de graveur, et sans que,—selon l'expression d'un peintre,—dans cette chose soufflée se sentît la moindre fatigue.
Je revoyais ces jours-ci ce kakemono, dont Watanobé Seï Sé a fait cadeau à Burty, et j'admirais l'art doux et délicat de ce dessin noyé dans un si charmant brouillard gris, et où cependant tout est dessiné, achevé, fini. La merveille de nature, que ces cinq grimpereaux, et la perfection et la vie de leur plumage, et l'intelligente opposition, au milieu de la sautillante allure des quatre bien portants, de la pose frileuse et ratatinée du petit malade, la tête rentrée dans le soulèvement de ses plumes en boule. Du reste, le dessin a été enlevé avec amour: l'artiste japonais était véritablement exalté par le plaisir admiratif qu'il nous voyait prendre à son travail, et le lendemain il disait à son compagnon que c'était la seule soirée en France qui lui eût rappelé une soirée de dessin du Japon.
Sur le palier s'ouvrent des chambres inhabitées, ensevelies dans la poussière des capharnaüms, où tout bibeloteur emmagasine et entasse les choses boiteuses et estropiées, les choses achetées les jours d'erreur, où le goût est embourgeoisé, et les choses pour lesquelles une inexplicable indifférence est venue. Il y a là, pêle-mêle, dans le fouillis pittoresque d'un grenier du bric-à-brac, des porcelaines égueulées, des grues de bronze aux frêles et longues pattes cassées par la trépidation du chemin de fer, des cadres dédorés qui doivent aller en visite chez le doreur, des dessins chassés de l'entresol et du premier étage par des acquisitions récentes, des piles de cuirs japonais destinés à fabriquer des reliures de livres orientaux, des objets de toutes sortes et de toutes formes, dont la mémoire est comme perdue, et dont le regard se détourne, ainsi que d'achats dont on rougit: cela au milieu de paquets intacts de fiches commandées pour rédiger des catalogues, qui ne seront jamais faits. Et ce sont des cabinets de laque délabrés, aux ferrures arrachées, dont la restauration ruineuse est indéfiniment ajournée; des tapis persans qui ne sont plus que la trame de lumineuses couleurs,—revivront-elles?—Et à côté de vieilles malles, couchés sur le plancher, de gras amours en bronze du dix-huitième siècle, qui, le lendemain d'un gain inespéré en littérature, feront, avec une tablette de marbre bleu turquin, un royal buffet de salle à manger.
Au milieu de cet amoncellement de choses, disparates et hétéroclites, des armoires entre-bâillées laissent voir des rangées interminables de livres modernes.
Et tout d'abord de Chateaubriand, le créateur de la langue littéraire d'aujourd'hui, l'édition de 1809 d'Atala, avec son titre rococo: Atala, ou les Amours de deux sauvages dans le désert.—Et de Hugo, presque toute sa prose et sa poésie dans ces élégants in-octavo d'Eugène Renduel, et au milieu desquels se trouve la petite édition de 1829, ornée de son fac-similé, de la complainte en argot du livre enfanteur, qui a pour titre: le Dernier Jour d'un condamné.—Et de Musset et de Mme Sand et de Sainte-Beuve, les éditions originales de la Confession d'un enfant du siècle, de Lélia, de Volupté: les trois romans, les trois livres documentaires sur l'état d'âme inassouvi et splénetique des romantiques de 1830; et encore de Mme Sand, la romancière si peu réelle, la première et belle édition de l'Histoire de ma vie, où la faiseuse de mémoires rencontre des pages si vraies, pareilles à la page, où elle raconte la mort de sa mère, cette Parisienne pur sang, ne voulant pas mourir dans son lit, mais dans un fiacre qui la roule agonisante parmi le bruit et l'animation joyeuse de Paris, montant l'avenue des Champs-Élysées.—Et de Mérimée, l'homme sec, l'auteur sec, la Double Méprise, le joli volume typographié par Fournier en 1833, un exemplaire sur chine de la Chambre bleue, et la sceptique notice sur Beyle, publiée à Eleutheropolis en 1854, avec une figure érotique.—Et de Stendhal, malheureusement un si pauvre styliste, les éditions originales De l'Amour, et du roman bien humain: le Rouge et le Noir.—Et de Janin, l'habile équilibriste de phrases impossibles, l'éminent jongleur de mots, peut-être trop dédaigné à l'heure présente, l'Ane mort et la Femme guillotinée, avec l'illustration du Bon Lapin par le talent ingénu de Tony Johannot, et le pimpant et casseur petit volume de Deburau, Histoire du théatre a quatre sous.
Mais arrivons aux livres des amis morts ou vivants, donnés par eux, ou achetés par moi sur des papiers durables.
C'est de Michelet, le sublime visionnaire de l'histoire, l'artiste en style par excellence, de Michelet qui m'a fait l'honneur de me signer, dans une de ses préfaces, un brevet d'historien, la vieille édition de sa monumentale Histoire de France, publiée par la librairie classique de Hachette.—De mon cher Théo, indépendamment de presque tous ses livres dans les premières éditions, l'exemplaire d'Émaux et camées, où Jacquemard l'a gravé en poète olympien, et qui a en tête la dernière dédicace, que l'écrivain, déjà bien malade et cherchant ses idées et ses mots, ait écrite: