La Radiologie et La Guerre
[3] Au-dessous du compas de Hirtz on voit dans la planche XV l'image d'un compas très simple destiné à opérer par la radioscopie et plus spécialement par la méthode des axes. Il est construit et réglé de telle manière que quand deux pointes A et B reposent sur les extrémités d'un des axes, l'aiguille se dirige vers le projectile (compas Debierne).
[4] La protection peut être rendue encore plus efficace, dans certains cas, grâce à des dispositifs spéciaux. Ainsi, en vue d'opérations sous le contrôle, l'ampoule est parfois placée dans une boîte à paroi de plomb, munie d'un orifice pour la sortie des rayons.
V
PERSONNEL RADIOLOGIQUE
Je crois avoir fait comprendre dans les chapitres précédents la valeur des méthodes de la radiologie de guerre. J'ai exposé aussi le rôle de l'outillage nécessaire pour l'application de ces méthodes. Il convient maintenant d'aborder une question d'importance fondamentale, qui est celle du personnel radiologique.
Quelle que soit la valeur de l'appareillage et des méthodes, c'est du personnel chargé de leur utilisation que dépend, en définitive, le rendement efficace. L'appareillage radiologique doit être manié par des mains expertes, et les méthodes doivent être appliquées avec intelligence; sinon, les résultats ne répondent, en aucune manière, au but à atteindre. Autrement dit, la radiologie est un métier, que l'on ne peut exercer sans l'avoir appris.
Le personnel radiologique, proprement dit, comprend les médecins radiologistes et les manipulateurs. De plus, il convient d'insister sur le rôle du chirurgien et sur la nécessité d'une collaboration étroite entre le chirurgien et le radiologiste.
Au début de la guerre, les conditions relatives au personnel étaient aussi précaires que celles concernant l'appareillage. Il y avait à Paris et dans les autres grandes villes de France un certain nombre de médecins radiologistes parmi lesquels des spécialistes très compétents. Ceux-ci n'auraient pu, en aucun cas, former un contingent suffisant pour les besoins, mais comme, de plus, ces besoins n'avaient pas été prévus, ils furent, pour la plupart, mobilisés dans des services sans rapport avec leur spécialité. Quelques-uns seulement furent affectés, dès le début, aux voitures radiologiques ou aux Services centraux; les autres ne retrouvèrent que plus tard une affectation conforme à leurs aptitudes.
Il n'existait pour les médecins radiologistes aucun entraînement les initiant au Service radiologique pratiqué dans les conditions spéciales créées par la guerre. Un tel entraînement aurait pu être prévu par le Service de Santé militaire. On peut aussi concevoir que si la France eût possédé déjà une organisation de radiologie pour la campagne et pour les centres d'usines, on aurait pu tout naturellement disposer d'un certain nombre de médecins radiologistes très habitués à travailler dans des circonstances variées et capables de faire face aux difficultés de la situation nouvelle.
Il y a en effet, une grande différence entre le travail du médecin radiologiste dans une ville, avec un appareillage installé à poste fixe et, à proximité, des constructeurs ou des ingénieurs toujours prêts à rectifier un défaut de fonctionnement,—et le travail sur une voiture radiologique, ou même avec un appareil fixe, dans un coin retiré où l'on ne peut espérer aucune aide d'un autre que de soi-même. On voit immédiatement qu'il faut, pour réussir, une réelle connaissance des appareils, de leur manipulation, de leur réglage,—ainsi qu'une faculté d'initiative pratique qui n'accompagne pas toujours la compétence. Ces qualités pratiques et efficaces ont grandement fait défaut au début de la guerre, tandis qu'au point de vue purement technique, ce qui a le plus manqué, c'était l'habitude de la radioscopie et la connaissance des principes de localisation. On rencontrait aux hôpitaux des médecins radiologistes très familiers avec la radiographie, mais n'ayant jamais fait une radioscopie, ne pouvant ni régler ni faire fonctionner sans aide l'appareil dont ils devaient se servir et ne connaissant aucun procédé de localisation. Il est juste de dire que, là comme ailleurs, l'effort individuel suppléa souvent au manque de préparation; beaucoup de médecins surent acquérir les connaissances qui leur manquaient et perfectionner leur technique.
Si le personnel médical était insuffisant et, pour une part, insuffisamment préparé, le personnel subalterne de «manipulateurs» n'était guère constitué. Le manipulateur est l'aide qui fait fonctionner les appareils pour le médecin radiologiste; c'est lui qui entretient l'appareillage en bon état, développe les plaques, manipule le porte-ampoule, répare les défauts de l'installation électrique. Son rôle est, en principe, celui d'un ingénieur technicien; quand il est affecté à un poste mobile, il doit, comme le médecin, être particulièrement actif, habile et «débrouillard».
Une confusion s'est d'ailleurs introduite, dès le début, dans la conception du rôle des manipulateurs. Il a fallu en donner, tout d'abord, aux médecins chargés des voitures et aux services principaux. Or, le personnel disponible se réduisait à un petit nombre d'infirmiers militaires ayant quelque connaissance des appareils. On chercha donc d'urgence les manipulateurs indispensables et on en trouva parmi les ingénieurs et les professeurs mobilisés dont quelques-uns étaient au courant de la technique, tandis que d'autres purent l'assimiler rapidement, grâce à leur instruction adéquate. C'est ainsi que les meilleurs manipulateurs furent désignés, pour la plupart, sur les indications fournies par le Patronage National des blessés: des physiciens qui, en territoriaux, gardaient les ponts et les voies furent acheminés dans les laboratoires de radiologie ou affectés aux voitures. Parmi ces hommes de haute culture, animés d'un grand désir d'être utiles, beaucoup devinrent des opérateurs de premier ordre et s'appliquèrent à acquérir la technique de la radiologie de guerre, tout en complétant leurs connaissances en anatomie. Et bien qu'en principe, ils n'eussent jamais dû opérer autrement qu'en aidant les médecins radiologistes, néanmoins en pratique, devant la pénurie de ces derniers, ils ont souvent été seuls à assurer le service radiologique d'une formation sanitaire, cette charge leur ayant été confiée par le chirurgien ou le médecin chef qui avaient apprécié la valeur de leur collaboration.
De même, entre les manipulateurs affectés aux voitures radiologiques et les médecins chargés de celles-ci, il s'établit dans certains cas, une collaboration si étroite, qu'en cas de travail extrêmement soutenu, le service était assuré totalement et alternativement par chacun d'eux.
On voit, par ces exemples, comment le rôle du manipulateur, dans le cas de la radiologie de guerre, a pu subir une extension qui allait parfois jusqu'à une indépendance de travail presque entière. Cet état des choses qui eût été entièrement anormal en temps de paix, était lié aux conditions dans lesquelles les médecins chefs des hôpitaux et les chirurgiens sont entrés en relation avec la radiologie. Ceux-ci, tout au début de la guerre, n'avaient, en général, qu'une confiance très limitée dans l'utilité de la radiologie. Parfois, ils en refusaient ouvertement le secours, par crainte d'encombrement et de perte de temps. Le plus souvent, ils la considéraient comme applicable dans les grands centres seulement, à l'arrière du front, conformément à l'opinion adoptée alors par la Direction du Service de Santé.
Il ne suffisait pas, à cette époque, d'offrir l'appareillage radiologique aux hôpitaux: toute une éducation était à faire. Dans des hôpitaux du front surchargés de blessés, tel chef de service n'acceptait pas l'installation de rayons X, parce qu'il la considérait comme un luxe et parce qu'il n'en réalisait pas l'efficacité bienfaisante.
Pour peu qu'au premier essai d'adjonction d'un service radiologique à une formation les résultats se soient montrés médiocres, le scepticisme se trouvait augmenté. Si, au contraire, quelque opérateur actif et intelligent, tantôt un médecin, tantôt un manipulateur, tantôt quelque particulier civil, professeur, ingénieur, pharmacien, élève d'une école supérieure,—réussissait à rendre quelques services réels au moyen d'un appareil radiologique parfois bricolé à grand'peine avec des éléments disparates,—aussitôt la confiance la plus complète venait remplacer les préventions ultérieures. Dès lors, l'avenir de la radiologie était assuré dans cette formation, à condition de bénéficier des services de celui qui en avait fait reconnaître les bienfaits; tout changement paraissait devoir être funeste au fonctionnement du nouveau service. C'est seulement avec le temps et avec le développement des compétences que ce point de vue très particulier fut peu à peu abandonné et que commencèrent à se faire sentir les effets d'une organisation centrale qui se constituait peu à peu à la Direction du Service de Santé.
J'étais moi-même chargée de la direction du Service radiologique de la Croix Rouge (U.F.F.), et j'avais, de plus, assumé auprès du Patronage National des Blessés, la tâche d'établir, aux frais de cette Œuvre, des installations radiologiques, partout où il y en avait un besoin urgent. A ce double titre, j'ai pris part à l'effort des premières années et j'ai accompli, dans ce but, de nombreux voyages, transportant presque toujours du matériel radiologique, soit en voiture, soit en chemin de fer. Ces voyages comportaient généralement l'installation provisoire ou définitive d'appareils et l'examen des blessés de la région. Mais ils permettaient, de plus, d'acquérir une documentation sur les besoins les plus urgents de la région considérée et sur les moyens propres à améliorer la situation.
Il était facile de constater, en particulier, que le personnel compétent faisait presque toujours défaut. Il fallait faire par ses propres moyens l'installation des appareils et quand celle-ci venait d'être établie, il était presque toujours nécessaire d'en expliquer le fonctionnement dans tous les détails soit au médecin soit à quelque manipulateur de bonne volonté et d'intelligence vive qui, au prix d'un travail intensif, assimilait rapidement cette technique nouvelle pour lui.
Au cours de ces voyages j'ai été très frappée de l'admiration que les médecins et les chirurgiens des hôpitaux, manifestaient fréquemment pour la vision radioscopique que pouvaient leur offrir les appareils mis à leur disposition. Plusieurs d'entre eux affirmaient qu'ils n'avaient «jamais aussi bien vu», et que l'appareillage devait être exceptionnellement parfait. Or les appareils, quoique effectivement bons, étaient d'un type normal, et la facilité de vision ne tenait qu'au réglage qui pouvait être réalisé par toute personne bien au courant des appareils, tandis que, dans la région, on n'avait vu jusque-là que des appareils en fonctionnement défectueux, maniés par des personnes insuffisamment documentées. Par exemple, dans une localité importante, où je m'étais rendue pour installer un appareil, le service avait été fait jusque-là par une voiture radiologique, dirigée par un médecin qui n'employait jamais de soupapes; l'ampoule fonctionnait donc dans de mauvaises conditions et l'on ne pouvait rien voir à la radioscopie. Il m'arrivait aussi d'être appelée d'urgence dans quelque localité isolée pour remédier au mauvais fonctionnement d'un des appareils radiologiques du Patronage; il suffisait parfois de manipuler l'appareil pendant une heure pour rétablir le fonctionnement normal; seul, le réglage faisait défaut, alors qu'on croyait le transformateur percé et l'ampoule détériorée.
On peut donner des exemples analogues, en ce qui concerne la pratique des localisations. Une manipulatrice, placée depuis peu de temps dans un hôpital, ayant localisé un éclat d'obus qui avait traversé en le broyant le fémur d'une cuisse, le chirurgien qui avait eu à se plaindre de son radiologiste précédent, ne voulut point chercher l'éclat d'obus du côté où on le lui avait indiqué comme accessible, mais le chercha d'abord du côté de la plaie. Ne le trouvant point, il se décida à faire l'exploration de la région indiquée par l'examen radiologique et retira aussitôt le projectile. Il ne fit aucune difficulté pour reconnaître que s'il n'avait pas suivi l'indication, c'est qu'il n'avait accordé aucune confiance à la localisation; par contre, depuis cet événement, il se montra aussi confiant qu'il avait été prévenu précédemment.
On peut dire, d'une manière générale, que dans les premiers temps, les chirurgiens qui trouvaient un projectile dans la position exacte où il avait été localisé, manifestaient un étonnement et une admiration, comme à la vue d'un miracle. Il n'est pas douteux que ce ne fût là un résultat du manque général de compétence et d'adaptation, et cet état de choses ne cessa qu'avec l'extension de la radiologie et l'établissement d'une collaboration entre les radiologistes et les chirurgiens.
Signalons enfin, que si un manipulateur n'ayant pas fait d'études médicales, ne peut et ne doit pas remplacer un médecin, néanmoins, dans le cas spécial de la radiologie de guerre la collaboration entre un manipulateur et un chirurgien, tous les deux intelligents et habiles, pouvait suffire pour les besoins du service. Les opérations radiologiques à effectuer avaient souvent un caractère principalement géométrique, tandis que dans la radiologie du temps de paix le radio-diagnostic médical joue un rôle prépondérant.
L'extension constante des services radiologiques pendant la guerre exigeant impérieusement une formation de personnel correspondant, un enseignement pour les médecins radiologistes fut créé à l'hôpital militaire du Val-de-Grâce sous la direction de M. le Dr Béclère. Le nombre de médecins, qui suivirent cet enseignement et reçurent des affectations aux services radiologiques de guerre, fut environ 300; n'étant pas en nombre suffisant pour suffire à tous les besoins, ils furent, en général, envoyés aux armées.
Une école de manipulateurs fut également créée par le Service de Santé; y étaient admis seulement des mobilisés appartenant à des classes relativement anciennes. Le recrutement laissait, en général, à désirer, en ce qui concerne les aptitudes nécessaires pour recevoir cette instruction spéciale. L'école forma quelques centaines de manipulateurs tous utilisés dans les services radiologiques des armées et du territoire.
Malgré ces mesures, la pénurie de personnel restait extrême et l'on ne pouvait satisfaire aux besoins. Ayant pu me rendre compte de cette insuffisance qui menaçait de rendre inefficace l'extension des services radiologiques et la création de postes nouveaux, j'offris au Service de Santé de créer à l'Institut du Radium une école de manipulatrices choisies parmi les jeunes filles ou jeunes femmes reconnues aptes à assurer ce service après avoir reçu une instruction convenable. Cette proposition fut acceptée, et l'école fut organisée, en relation avec un enseignement pour les infirmières militaires qui fut établi en même temps à l'hôpital Edith Cavell, sous la direction de la regrettée Mme Girard-Mangin, Docteur en Médecine.
L'enseignement était donné par séries comprenant chacune environ 20 élèves. En raison de l'urgence des besoins, la durée des cours d'une série était limitée à six semaines ou deux mois. En revanche, l'enseignement était très intensif, les élèves étant occupées pendant toute la journée. L'enseignement comportait une partie théorique, comprenant les notions élémentaires indispensables (électricité, courant électrique, mesures de courant et de potentiel, phénomènes d'induction, appareillage radiologique, théorie du fonctionnement des ampoules et des soupapes, méthodes d'observation radioscopiques et radiographiques). La partie pratique de l'enseignement consistait en manipulations qui familiarisaient les élèves avec tous les détails du service radiologique dont le principe était exposé dans le cours théorique.
En outre, un enseignement élémentaire d'anatomie et de lectures de clichés radiographiques était adjoint à l'enseignement technique.
Le recrutement était assez varié. L'Ecole recevait les infirmières militaires dont la demande d'admission avait été approuvée par leurs chefs de service; elle accueillait également des infirmières de Croix Rouge envoyées par la Société dont elles faisaient partie. Enfin, un appel fut fait à des jeunes filles ou jeunes femmes qui pouvaient, sans être infirmières, suivre les cours pour devenir manipulatrices de radiologie dans les hôpitaux militaires. Le niveau des connaissances des candidates n'était pas uniforme; toutefois, un nombre assez grand d'entre elles possédaient une instruction assez solide, primaire ou même secondaire.
On pouvait se demander ce qu'il serait possible d'obtenir d'un enseignement technique très spécial et comprenant des notions scientifiques assez délicates et difficiles, cet enseignement s'adressant à des élèves d'un niveau atteignant rarement celui du baccalauréat ou du brevet supérieur. L'expérience montra que, à condition de donner à l'enseignement une forme très pratique, on peut adapter les notions essentielles de manière à les rendre parfaitement assimilables pour les élèves auxquelles elles s'adressent. Celles-ci en tirent, d'ailleurs, un profit proportionnel à leur instruction et à leurs capacités.
L'école eut un succès presque inespéré et forma depuis l'année 1917 jusqu'à la fin de la guerre environ 150 manipulatrices qui reçurent des affectations immédiates, principalement dans les Services du territoire; quelques-unes, cependant, obtinrent sur leur demande des affectations aux services des armées. Elles donnèrent, en général, toute satisfaction par leur travail. Quelques-unes se trouvèrent même obligées d'assurer un service radiologique en l'absence de médecins radiologistes, et firent face à cette tâche avec un effort si consciencieux qu'elles méritèrent l'approbation et la confiance entière de leurs chefs de service.
L'expérience ainsi faite semble très concluante. Il n'est pas douteux que le métier de manipulatrice en radiologie convient parfaitement bien à des femmes d'instruction moyenne, à condition qu'elles aient de l'intelligence, de l'activité et une certaine capacité de dévouement indispensable dans les relations avec les malades.
Encouragée par les résultats obtenus, la Direction du Service de Santé a décidé la continuation de l'enseignement après la guerre, afin de pouvoir disposer d'un personnel de manipulatrices pour le service de radiologie des hôpitaux militaires en temps de paix. Ce service, considérablement réduit par rapport aux services de guerre, est cependant beaucoup plus important que celui d'avant-guerre, par suite de la conception nouvelle du rôle de la radiologie sur laquelle je reviendrai plus loin. Par un accord établi avec le Service de Santé, l'Ecole de Radiologie des manipulatrices continue à fonctionner provisoirement à l'Institut du Radium. La planche XVI représente l'une des salles de travail de l'Ecole.
PLANCHE XVI. — Salle de travail à l'école des manipulatrices en radiologie.
VI
RENDEMENT ET RÉSULTATS
Nous avons pu nous rendre compte par l'ensemble des chapitres précédents, combien l'effort d'adaptation des services radiologiques aux besoins de la guerre a été considérable. Il est réconfortant de constater que cet effort n'a pas été vain. Ses résultats se traduisent par la conservation de la vie ou de la capacité de travail à un très grand nombre de blessés et, de plus, par une éducation générale qui a permis d'assigner à la radiologie, en tant que moyen de diagnostic médical, une place conforme aux services qu'elle est susceptible de rendre, non seulement en temps de guerre mais aussi en temps de paix.
On peut estimer qu'au cours de la guerre, les services radiologiques, si précaires au début de celle-ci, ont pris une extension considérable. Sans doute, l'organisation pouvait encore présenter des lacunes, et comme toute œuvre humaine, elle était susceptible de perfectionnements constants; mais le tableau général était en opposition bien frappante avec la triste situation de la première année de guerre.
Au début, quelques installations radiologiques à peine,—personnel composé d'un petit nombre de spécialistes dont les services n'ont même pas été utilisés,—ignorance générale relativement à l'emploi de la radiologie,—efforts isolés et souvent peu efficaces pour en répandre la pratique; et, comme conséquence de cet état de choses, manque des renseignements les plus indispensables pour soigner les blessés dont le nombre avait dépassé toutes prévisions.
A cette époque, un blessé n'était jamais examiné à l'aide de rayons X dans les premiers jours qui avaient suivi la blessure; il était donc toujours opéré et transporté dans des conditions où le hasard jouait un rôle prépondérant. Combien de blessés furent évacués avec une lésion qui imposait le repos mais qui est restée ignorée; combien d'autres périrent d'infections que l'on aurait pu éviter à l'aide d'une opération faite à temps avec le concours de l'examen radiologique; combien furent amputés pour des raisons analogues; combien furent opérés plusieurs fois sans succès par défaut d'examen, et durent séjourner pendant de nombreux mois dans les hôpitaux; combien contractèrent des infirmités qui auraient pu être empêchées par des soins plus éclairés.
Toute personne qui a pu apprécier la rapidité presque merveilleuse avec laquelle se reconstitue la santé chez des hommes jeunes, dès que la cause qui entretient la lésion a disparu,—ne peut manquer d'éprouver un regret profond, en pensant à toutes les vies sacrifiées en pure perte et à toutes les capacités de travail définitivement compromises, pour n'avoir pu à temps extraire des corps étrangers souillés ou dangereusement situés, ou bien pour n'avoir pas eu de renseignements suffisants sur les détails d'une fracture.
Cet état de choses lamentable a subi progressivement une modification complète. Le Service de Santé aidé par l'initiative privée, put doter ses formations sanitaires d'appareillages radiologiques. Les postes fixes, les postes demi-fixes et les voitures se sont multipliés. Vers la fin de la guerre, toute formation importante possédait non plus un appareillage, mais un nombre d'appareils proportionné aux services qui lui étaient demandés. C'est ainsi que lors de la bataille de la Somme les grands hôpitaux d'évacuation construits spécialement en vue de batailles dans cette région, utilisaient chacun plusieurs appareils desservis par des équipes de médecins et de manipulateurs et fonctionnant, en cas de besoin, d'une manière continue. Chaque poste avait à sa disposition un matériel suffisant en ampoules, soupapes, écrans, plaques et accessoires divers. Les hôpitaux ou ambulances isolés dont quelques-uns ont subsisté jusque dans les derniers temps, pouvaient toujours faire appel à un poste mobile s'ils ne disposaient pas d'une installation propre. Alors qu'en effet, au début de la guerre, les rares voitures radiologiques ne pouvaient suffire aux besoins et devaient se contenter d'un hâtif examen d'un nombre considérable de blessés, lors d'une de leurs apparitions dans telle région,—il est arrivé au contraire, plus tard, que par suite de la généralisation de services attachés aux hôpitaux, les postes mobiles se sont trouvés déchargés de tout service intensif et ont pu reprendre leur véritable rôle de postes de secours disponibles à tout instant. Ainsi, l'on s'acheminait de plus en plus vers l'état des choses où chaque blessé pouvait être admis à l'examen radiologique, d'abord, aussitôt après la blessure, puis, dans la suite du traitement, chaque fois que l'examen était jugé utile. En même temps, les bénéfices de l'examen étaient de plus en plus étendus aux malades, plus particulièrement à ceux atteints d'affections pulmonaires.
On conçoit qu'une telle organisation comportait au total un nombre d'examens considérable. Voici quelques chiffres qui peuvent en donner une idée:
Vers la fin de l'année 1918 il y avait en service, dans les hôpitaux du territoire et aux armées, plus de 500 postes radiologiques fixes et semi-fixes, tandis que le nombre des appareils mobiles sur les voitures, sur les camions de stérilisation et sur ceux des ambulances chirurgicales automobiles était d'environ 300, dont la plupart aux armées.
Ces appareillages étaient desservis par environ 400 médecins radiologistes, aidés et en partie suppléés par un personnel auxiliaire; de ce dernier, furent utilisés environ 800 manipulateurs et 150 manipulatrices.
Citons, à titre d'exemple, que pendant l'année 1915 la 6e armée possédait sur un front de 70 kilomètres, de Soissons à Montdidier, 3 voitures radiologiques (du Patronage National des Blessés). Cette même armée disposait en 1917, lors de l'offensive du Chemin des Dames, sur un front moitié moins étendu, de Soissons à Fismes, de plus de 50 postes radiologiques. L'une des voitures qui ont assuré le service de cette armée de juin 1915 à janvier 1917, a effectué pendant cette époque environ 10.000 examens sur un nombre de blessés d'environ 7.000.
On pouvait évaluer à 900.000 environ le nombre des blessés examinés aux rayons X au cours des années 1917 et 1918, le nombre total des examens pendant ces deux années montant à 1.100.000.
Ces chiffres témoignent éloquemment de l'activité des services radiologiques pendant la guerre; ils prouvent que rien n'a été négligé pour assurer aux blessés et aux malades les soins qui leur étaient dus. On peut, en même temps, apprécier une fois de plus, les qualités d'initiative et de persévérance qui ont rendu si efficace l'effort général accompli pendant la guerre, et qui ont ainsi paré aux conséquences funestes du manque initial de préparation et d'organisation.
VII
ORGANISATION D'APRÈS GUERRE
La constitution du service radiologique de guerre n'est pas seulement pour nous un motif légitime de soulagement en ce sens qu'elle correspond à un devoir accompli envers ceux qui risquaient leur vie pour la défense de la patrie commune. Nous devons, en plus, y trouver un enseignement impérieux pour l'avenir. Nous devons en déduire une organisation d'après guerre dans l'intérêt du développement de notre race.
Maintenant que l'éducation sur ce point a été faite, que nul médecin ou chirurgien n'ignore plus les bienfaits de l'examen radiologique, et que cette connaissance est également répandue parmi les citoyens qui ont été soldats et parmi leurs familles,—on ne peut plus revenir à l'ancien état de choses où l'emploi de radiodiagnostic était réservé à des cas exceptionnels et à des localités exceptionnelles. Il est indispensable d'assurer à toute la population française le bénéfice d'une méthode d'examen aussi précieuse.
Il est à remarquer, tout d'abord, qu'avec la fin de la guerre, ne se sont nullement éteintes les obligations de solidarité sociale suscitées par celle-ci. Nombreux sont les démobilisés qui, revenus dans leurs foyers, ont conservé des souffrances ou des infirmités contractées pendant le service. A tous ceux-là sont dus les soins qui peuvent améliorer leur santé et faciliter leur travail; et il est parfaitement légitime d'étendre ce droit à leurs familles.
Une obligation analogue est créée par les conditions spéciales de vie dans les régions libérées. La reprise d'activité dans ces régions est parfois très difficile. Les accidents de travail y sont nombreux. Le poste de secours est un élément essentiel du groupement qui entreprend la reconstruction des villages détruits et la mise en valeur des champs ou des puits de mines. A chaque poste de secours doit être affecté un appareil radiologique qui en augmente l'efficacité.
Les conséquences néfastes de la guerre se font sentir encore de bien d'autres manières. Il n'est point nécessaire d'insister sur notre bilan en ce qui concerne le nombre de la population et la santé publique. Nous savons tous que la France a perdu l'élite de sa jeunesse tant au point de vue physique qu'au point de vue moral, et que parmi les citoyens qui ont été épargnés sévit la tuberculose. C'est la tuberculose encore qui attaque la vie des jeunes enfants et compromet l'avenir de la race.
Pour conjurer le danger qui menace celle-ci, aucun effort ne doit être épargné, et le mot d'ordre doit être de faire tout ce qui est possible pour conserver à la France chacun de ses citoyens et pour assurer le développement des enfants. Déjà cette nécessité a été largement comprise, et un vaste effort a été entrepris pour la création de dispensaires antituberculeux et de sanatoriums dans toute la France. Ces établissements dont le rôle est la lutte contre la tuberculose ont besoin pour cela de tous les moyens qu'offre la science moderne; ils doivent, en particulier, disposer d'appareils radiologiques pour l'examen des lésions pulmonaires et des lésions osseuses.
Les nécessités de l'examen radiologique ne se bornent pas à ces exemples. Cet examen s'impose dans un grand nombre de cas qui se présentent fréquemment dans la vie courante; il doit constituer un procédé de diagnostic, non point exceptionnel, mais tout à fait habituel. Il doit, en particulier, être employé pour veiller à la santé des enfants, pour contrôler le développement de leur système osseux et l'état des organes internes.
Pour remplir ce rôle social, le service radiologique doit être un élément exigé dans tout hôpital, hospice ou établissement sanitaire de France, dans les villages comme dans les villes. Une telle organisation comporte une grande provision de matériel et un personnel correspondant. La réalisation est facilitée par les disponibilités en appareillage qui résultent de la guerre et par la formation de personnel qui a eu lieu pour les besoins delà guerre.
Le Service de Santé qui s'est trouvé en possession d'un matériel considérable, a pris la décision d'affecter celui-ci à ses hôpitaux militaires, et, dans la mesure des disponibilités, aux hôpitaux mixtes ou civils. De plus, les voitures radiologiques ou postes mobiles en bon état doivent être mis à la disposition des centres de région pour parer aux besoins de celles-ci, en se rendant dans les villages où il n'existe aucun poste fixe. On obtient ainsi un noyau d'organisation qui s'étend sur toute la France.
En dehors de cette action, il en est une autre, d'initiative privée. Les œuvres de guerre, qui disposaient d'appareils radiologiques, en premier lieu le Patronage National des Blessés, ont voulu compléter leur tâche en répartissant les appareils rendus disponibles dans les hôpitaux et dispensaires, de manière à établir des centres de service radiologique ou à conserver ceux qui s'étaient fondés pendant la guerre.
Les hôpitaux et hospices civils des villes de province ont été, en général, utilisés pour le service des blessés pendant la guerre. A ce titre, ils ont été pourvus d'installations radiologiques établies le plus souvent par l'initiative privée. Il est à remarquer que, dans presque tous les cas semblables, les municipalités ont demandé après la guerre à conserver l'installation et n'ont pas hésité à faire dans ce but un effort en versant une indemnité à l'œuvre qui avait fourni les appareils. C'est là une indication réconfortante du progrès réalisé dans la connaissance générale du rôle de la radiologie et de la nécessité de son emploi régulier.
Ainsi nous pouvons prévoir dès à présent une organisation assez complète qui pourra se perfectionner progressivement, à condition de disposer d'un personnel compétent suffisamment nombreux. Celui-ci doit pouvoir être renouvelé suivant les besoins. Il est dont important que continuent à fonctionner les centres d'enseignement pour les médecins spécialisés en radiologie ainsi que pour les manipulateurs ou manipulatrices chargés d'assurer le bon fonctionnement des appareils. Pour répondre à ce besoin, un cours de Radiologie a été créé récemment à la Faculté de Médecine de Paris.
Il convient aussi d'encourager la fabrication des appareils, des ampoules, soupapes, écrans, etc., afin que les nombreux centres radiologiques nouvellement créés puissent s'approvisionner facilement en matériel indispensable.
VIII
RADIOTHÉRAPIE ET RADIUMTHÉRAPIE
Dans les chapitres qui précèdent, l'importance de la Radiologie a été examinée au point de vue de son utilisation pendant la guerre et de son emploi, en principe analogue, en temps de paix. Mais il existe une autre application des rayons X, dont l'importance est considérable; c'est le traitement de certaines maladies par les rayons X ou la radiothérapie. A cette méthode de traitement se rattache une méthode analogue utilisant des moyens entièrement différents: le traitement par les rayons des radio-éléments ou radiumthérapie.
RADIOTHÉRAPIE.—Nous avons vu déjà que les rayons X produisent sur l'organisme des effets physiologiques qui peuvent être extrêmement dangereux, mais qui peuvent aussi offrir un moyen de combattre certaines maladies. Parmi celles-ci, on peut signaler diverses maladies de la peau: ulcères superficiels, tâches de lie de vin, etc.
On peut aussi obtenir des succès remarquables dans le traitement de tumeurs malignes profondes, en particulier de sarcomes. Ce résultat est extrêmement important, car on sait quels sont les ravages imputables au cancer, et combien ce fléau est difficile à combattre, malgré les bienfaits de la technique chirurgicale.
La technique de la radiothérapie est quelque peu différente de celle qui convient à la radiologie employée comme méthode d'examen. Pour cette dernière, en effet, une grande puissance d'action n'est pas toujours exigée; ce n'est qu'exceptionnellement que l'on aura besoin d'une grande intensité de rayonnement, pour obtenir une radiographie instantanée. De plus, le rayonnement utilisé doit avoir un pouvoir pénétrant moyen qui correspond à une tension d'environ 50.000 volts. En radiothérapie, au contraire, il est, en général, nécessaire de faire agir les rayons jusqu'à une certaine profondeur, aussi uniformément que possible, et à cet effet on emploie, de préférence, le rayonnement très pénétrant que l'on peut faire émettre à un tube Coolidge actionné par un appareil intensif, sous une tension qui peut dépasser 100.000 volts.
Si la radiothérapie demande un appareillage puissant, elle exige aussi une compétence toute spéciale. Les rayons y sont employés avec des doses parfois considérables, car il s'agit ici de provoquer leur effet physiologique, au lieu de l'éviter, comme dans le cas d'un examen radiologique. La radiothérapie ne peut donc être pratiquée que par un médecin spécialiste compétent; elle exige la connaissance approfondie de l'action des rayons sur les tissus, action qui dépend des conditions de l'application, lesquelles sont elles-mêmes très variées.
On peut en conclure que la place de la radiothérapie n'est pas en général indiquée dans les nombreux postes radiologiques normaux faisant partie de l'organisation radiologique d'après guerre, et ne possédant ni la puissance nécessaire ni un personnel suffisamment spécialisé. La radiothérapie se prête plutôt à être centralisée dans quelques services importants munis d'appareils de grande puissance et placés sous la direction de spécialistes éminents. C'est dans ces conditions que la radiothérapie a été pratiquée pendant la guerre, dans les services militaires; son emploi était réservé aux Centres de Physiothérapie du territoire, où l'on envoyait tous les malades susceptibles d'être soignés par cette méthode, qui s'est montrée, en particulier, très efficace pour le traitement de cicatrices vicieuses, d'adhérences, d'arthrites, de névrites consécutives aux blessures, etc.
Radiumthérapie.—La radiumthérapie est une technique qui a de grandes analogies avec la radiothérapie, sauf que la source des rayons est en ce cas différente. Les rayons utilisés ne proviennent d'aucun appareil; ils sont émis spontanément par certaines substances nommées radio-éléments qui existent dans la nature, mais qui ne sont connues que depuis peu de temps, car leur extrême dilution dans les minerais qui les contiennent les a fait passer inaperçues jusqu'à leur découverte récente. Le plus important de ces corps nouveaux est le radium, élément découvert en 1898 par Pierre Curie et par moi. Le radium émet des rayons de plusieurs espèces, analogues en tout point à ceux qui sont produits dans une ampoule de Crookes actionnée par un courant de haute tension. En particulier, l'un de ces groupes, les rayons γ, possèdent les mêmes propriétés que les rayons X, mais peuvent atteindre un pouvoir pénétrant encore plus considérable. Ce sont les rayons γ du radium qui sont surtout employés pour la radium thérapie.
La source des rayons étant dans la substance, celle-ci est enfermée dans un tube de verre ou de métal hermétiquement fermé et agit au travers des parois de ce dernier. La puissance du rayonnement du radium étant considérable, quelques centigrammes de ce corps sont capables de produire des effets thérapeutiques importants; ces quantités peuvent donc être contenues dans des tubes de très petites dimensions que l'on peut placer au voisinage ou au contact des tissus malades ou encore à l'intérieur de ceux-ci. Ce dernier mode d'utilisation est spécial au radium et ne saurait être réalisé avec l'aide des rayons X.
Le radium est fabriqué industriellement, mais en raison de son extrême rareté, son prix est très élevé. D'une tonne de minerai moyen, on n'extrait guère que quelques centigrammes de radium, et chaque milligramme de ce corps coûte environ un millier de francs.
Un autre élément radio-actif ou radio-élément, le mésothorium est également l'objet d'une fabrication industrielle; ce corps est employé en thérapie de la même manière que le radium, mais son activité s'altère peu à peu, tandis que celle du radium ne subit en plusieurs années qu'une modification inappréciable.
Les maladies traitées par la radiumthérapie sont, en principe les mêmes que celles que l'on traite par les rayons X. Mais la technique employée doit nécessairement être différente, puisque le mode d'émission de rayons n'est pas le même. Le degré d'efficacité relatif des deux méthodes peut également différer suivant les circonstances; les rayons X conviendront mieux, par exemple, pour irradier une lésion à grande surface, tandis qu'un cancer de l'utérus devra être traité par un tube de radium introduit à l'intérieur de la cavité. Il ne serait guère possible de dire aujourd'hui si qualitativement l'effet des rayons X sur les tissus est tout à fait équivalent à celui des rayons γ du radium; ces derniers constituent un rayonnement ultra-pénétrant, à très haute fréquence, dont l'action physiologique pourrait offrir des caractères spéciaux.
Un autre fait important différencie l'emploi du radium de celui des tubes de Crookes. En dehors des rayons γ, le radium émet encore deux autres espèces de rayons: les rayons α et les rayons β, dont le pouvoir pénétrant, très inférieur à celui des rayons γ, est cependant suffisant pour qu'ils puissent être utilisés dans certaines conditions. Aussi bien les rayons α que les rayons β sont une projection de particules animées de très grandes vitesses et portant une charge électrique, positive pour les particules α qui ont les dimensions d'atomes, et négative pour les particules β qui sont identiques aux électrons (voir ici). Les rayons correspondants sont émis aussi dans un tube de Crookes où ils prennent le nom de rayons positifs: atomes chargés positivement, et de rayons cathodiques: électrons lancés par la cathode; mais ni les uns ni les autres ne peuvent franchir la paroi du tube, de sorte qu'on n'a pu les utiliser pour les besoins de la thérapie.
Le pouvoir pénétrant des rayons α du radium, quoique très supérieur à celui des rayons positifs et des rayons cathodiques, est cependant fort limité; ces rayons peuvent se propager à une distance de quelques centimètres dans l'air à la pression atmosphérique, mais ils ne traversent pas plus d'un dixième de millimètre de substance solide ou liquide, très différents en cela des rayons γ ou des rayons X qui traversent le corps humain. Néanmoins, l'utilisation des rayons α offre un intérêt particulier, parce que ce rayonnement représente environ 90 p. 100 de l'énergie dégagée dans l'émission du radium.
Quand cette substance, au lieu d'être enfermée dans un tube, est collée sur une plaquette, au moyen de très peu de vernis, le rayonnement émis se compose de rayons α, de rayons β, plus pénétrants que les précédents, et de rayons γ. L'action superficielle exercée par un appareil à radium de ce genre («sel collé») est très intensive et comparable à une cautérisation.
On peut rendre l'action des rayons α plus profonde en diffusant dans l'organisme la substance qui les émet; c'est ce que l'on peut réaliser au moyen d'injections de solutions ou de suspensions fines de sel de radium qui agissent au contact des tissus par les rayons α émis partout où se trouve la matière active. Les injections de sel de radium peuvent être remplacées par des injections d'autres radio-éléments dont l'emploi est plus avantageux; on peut épargner le radium, substance précieuse, en utilisant certaines matières radio-actives que le radium produit constamment et qui peuvent rendre les mêmes services que lui, mais seulement pendant un temps limité. Tel est, par exemple un gaz radio-actif, nommé émanation du radium, qui se forme régulièrement dans le radium et peut en être extrait à intervalles réguliers; ce gaz se détruit peu à peu, suivant une loi déterminée, en émettant des rayons α que l'on peut utiliser si l'émanation a été introduite dans l'organisme, soit mélangée à l'air et aspirée par inhalation, soit dissoute dans l'eau et injectée dans les tissus.
L'action des rayons α sous cette forme diffusée peut être très énergique. Dans des expériences faites sur de petits animaux, on atteint facilement des doses mortelles. A dose convenable on obtient des effets thérapeutiques d'un grand intérêt, spécialement caractérisés dans le traitement des arthrites.
L'émanation du radium peut aussi être employée d'une autre manière. Extraite du radium et libérée d'air et de tout gaz étranger, elle occupe un très petit volume. On peut alors, au moyen d'opérations spéciales, la transporter dans des tubes de verre de 10 à 15 millimètres de longueur et d'un ou deux dixièmes de millimètre de diamètre. Chacun de ces petits tubes scellés est introduit dans une gaine de platine mince ayant l'aspect d'une aiguille et pouvant être insérée dans un tissu malade que l'on veut soumettre au rayonnement. L'émanation du radium n'émet pas elle-même de rayons pénétrants capables de traverser la gaine, mais elle donne naissance à un produit qu'on nomme son dépôt actif et qui émet des rayons γ exactement semblables à ceux qui sont émis par le radium. Cette ressemblance n'a rien qui doive nous surprendre; en effet, le radium contient toujours l'émanation qu'il produit et le dépôt actif de celle-ci, de sorte que les rayons γ du radium sont dus en réalité non pas à cet élément lui-même, mais à ses dérivés qui l'accompagnent. Ainsi il est naturel, qu'en séparant ces dérivés, on puisse séparer en même temps le rayonnement γ et remplacer l'action du radium par celle des produits auxquels il donne naissance.
On peut comprendre, d'après l'exposé qui précède, combien la technique de l'emploi du radium est variée et combien elle offre de possibilités. Le champ d'action se trouve encore accru par l'emploi du mésothorium qui forme également des dérivés avec émission de divers groupes de rayons; certains de ces dérivés peuvent être séparés comme dans le cas du radium. D'autres radio-éléments encore pourraient être utilisés à leur tour.
Cette technique si riche et si complexe est cependant d'une très grande précision. Les radio-éléments peuvent être dosés très exactement. Il est vrai que les pesées ne sont guère en usage dans ce cas; si la quantité de matière active à déterminer est, en général, bien faible pour le radium,—quelques milligrammes ou centigrammes par exemple,—elle est, pour l'émanation du radium ou son dépôt actif, aussi bien que pour le mésothorium et ses dérivés, inaccessible à la pesée. En revanche, des quantités infinitésimales de radio-éléments peuvent être dosées avec perfection par des méthodes de mesures électrométriques. Il est facile de mesurer, par ce moyen, à 1 p. 100 près un millième de milligramme de radium. L'habitude de mesurer exactement les tubes de radium, de mésothorium ou d'émanation du radium donne une grande sécurité à la radiumthérapie et forme une condition essentielle de son perfectionnement.
Les mesures de radium sont rapportées à un étalon international préparé par moi sous forme d'un tube de verre scellé contenant une quantité pesée (environ 20 milligrammes) de chlorure de radium pur. Par comparaison avec cet étalon principal, on a pu établir des étalons secondaires destinés à des services de vérification centraux dans divers pays. En France, ce service est attaché à l'Institut du Radium, où les quantités de radium, contenues dans les tubes soumis au contrôle, sont déterminées par la mesure de leur rayonnement γ, comparativement à celui du tube étalon. On mesure de même les tubes de mésothorium, en comparant leur rayonnement à celui d'une quantité connue de radium. C'est encore le même principe qui est appliqué à la mesure de tubes d'émanation, et l'on nomme millicurie la quantité d'émanation dont le rayonnement γ est égal à celui d'un milligramme de radium élément en équilibre avec les produits de sa transformation.
Organisation centrale.—Afin d'obtenir le maximum de rendement dans l'utilisation médicale des radio-éléments, des instituts spéciaux ont été créés dans différents pays. Ces établissements possèdent des quantités relativement grandes de radium; certains d'entre eux disposent de plusieurs grammes de la précieuse substance. Celle-ci est employée en partie en tubes scellés ou en sels collés; mais la plus grande partie est, en général, conservée en solution; l'émanation qui en est extraite chaque jour est utilisée pour les traitements, soit dans de petits tubes scellés, soit dans d'autres appareils de forme appropriée, nommés applicateurs. Les traitements ont lieu dans un hôpital faisant partie de l'institution. Mais celle-ci délivre aussi à l'extérieur des tubes et appareils à émanation aux médecins qui en font la demande.
On aperçoit immédiatement les avantages d'une organisation semblable. Un Institut central, suffisamment doté, peut réunir des moyens d'action très efficaces. Il peut dans ses services hospitaliers, traiter un grand nombre de malades, sans perte de temps et avec la meilleure utilisation du radium. Il peut centraliser les documents relatifs à ces traitements et en tirer tout le parti possible. Dans ses laboratoires, il peut effectuer toutes les mesures et toutes les études nécessaires pour assurer les progrès de la technique: examens biologiques des tissus malades, mesures de rayonnement, études de dispositifs nouveaux, etc.
L'emploi de l'émanation permet une grande souplesse dans les applications; les doses sont variables à volonté, ainsi que les formes des applicateurs; de plus, on peut à volonté utiliser l'émanation sous forme de dissolution dans l'eau (eau active) ou encore répandue dans l'air (air actif) pour inhalation. Quelle que soit la forme de l'emploi, celui-ci offre une sécurité d'importance fondamentale. La matière précieuse, le radium, n'est pas exposée à une circulation dangereuse, pour les besoins du service; tout risque porte uniquement sur les appareils à émanation, dont la valeur est réduite, puisque cette matière, de durée limitée, peut en quelque sorte être considérée comme un revenu régulier fourni par le radium, mais différent en cela d'un revenu en espèces que l'accumulation ne peut se poursuivre indéfiniment, et qu'il y a tout intérêt à utiliser aussi complètement que possible l'émanation que l'on extrait jusqu'à son extinction complète.
On voit l'intérêt considérable qui s'attache à la création d'Instituts nationaux qui centralisent d'ordinaire la radiumthérapie et aussi la radiothérapie ou traitement par les rayons X. De pareils Instituts existent dans divers pays; les plus importants se trouvent en Angleterre et en Amérique. Mais la France, pays de la découverte du radium et de la radiumthérapie, ne possédait avant la guerre aucun Service pour l'application de cette technique. La France où est née l'industrie du radium, ne possédait avant la guerre aucune provision de radium pour les besoins de la santé publique, se bornant à fournir le radium qui approvisionnait les instituts étrangers.
Pendant la guerre il m'a paru opportun de suppléer à cette lacune par la création d'un service d'émanation destiné à subvenir aux besoins des hôpitaux. Ce service a été établi en 1916 à l'Institut du Radium, d'accord avec le Service de Santé militaire. Le radium utilisé était celui que j'avais préparé en commun avec Pierre Curie et qui avait servi avant la guerre pour les recherches scientifiques de notre Laboratoire. Les ampoules d'émanation produites chaque semaine étaient utilisées pour le traitement des blessés et des malades dans des hôpitaux militaires et aussi, dans une certaine mesure, dans les hôpitaux civils.
Ce premier Service national de Radiumthérapie n'a pu être abandonné à la fin de la guerre. Il a, au contraire, pris un développement nouveau, sous la direction de M. le Dr Regaud, directeur du Laboratoire Pasteur de l'Institut de Radium, qui dès son retour des armées y employa toute son activité et toute sa compétence. Ainsi se trouve constituée en germe la Section de Radiumthérapie de l'Institut du Radium. Celle-ci ne peut manquer de se compléter, grâce aux concours généreux qui lui sont acquis dès à présent ainsi qu'à ceux qui lui viendront dans l'avenir.
L'Institut du Radium, créé il y a quelques années par les efforts joints de l'Université de Paris et de l'Institut Pasteur, aura ainsi à assumer une tâche singulièrement plus ample que celle à laquelle il avait été primitivement destiné.
Les résultats obtenus jusqu'ici prouvent combien cette extension est nécessaire. Les progrès de la radiumthérapie s'affirment chaque jour plus sûrs et plus importants. Plusieurs lésions, maladies ou malaises sont traités couramment avec des résultats certains. L'une des plaies les plus terribles de l'humanité, le cancer, cède toujours davantage à la technique de plus en plus perfectionnée des applications du radium venant compléter ou remplacer les ressources de la chirurgie. On peut dire avec certitude que si la victoire n'est pas encore entière, la lutte, néanmoins, se poursuit avec des avantages de plus en plus complets et fréquents; la guérison est obtenue dans bien des cas, et à défaut de la guérison, une amélioration vient soulager les souffrances et faciliter la vie des malades. La cruelle maladie n'est pas encore réduite à l'impuissance, mais elle est efficacement combattue, et tous les espoirs sont permis.
A l'Institut du Radium incombe la tâche de hâter cette évolution par la constitution d'une section du radiumthérapie modèle, bénéficiant du travail patient de ses Laboratoires,—par des progrès constants de sa technique et de son information biologique,—par son enseignement, de plus en plus adapté aux besoins, destiné à répandre largement les connaissances précises sans lesquelles la pratique de la radiumthérapie n'est qu'une erreur et un danger,—par ses travaux de recherche pure, source de découvertes nouvelles susceptibles de porter de nouveaux fruits. Ainsi l'Institut du Radium aura à remplir un rôle social important, s'ajoutant à sa tâche purement scientifique, pour le plus grand bien de notre pays et de sa capitale.
CONCLUSION
L'histoire de la radiologie de guerre offre un exemple saisissant de l'ampleur insoupçonnée que peut prendre, dans certaines conditions, l'application des découvertes d'ordre purement scientifique.
Les rayons X dont les merveilleuses propriétés ont été, presque aussitôt après leur découverte, appliquées à l'examen du corps humain et à la thérapie, n'ont eu, néanmoins, dans cette voie, qu'une utilisation limitée jusqu'à l'époque de la guerre. La grande catastrophe qui s'est déchaînée sur l'humanité; accumulant des victimes en nombre effrayant, a fait surgir par réaction le désir ardent de sauver tout ce qui pouvait être sauvé, d'exploiter à fond tous les moyens pour épargner et protéger les vies humaines. Et aussitôt nous voyons naître de tous les côtés un effort multiple et varié dont une partie prend pour objet de faire rendre à l'emploi de rayons X tous les services à prévoir. Dès lors, ce qui avait paru difficile et problématique, devient aisé et reçoit une solution immédiate; le matériel, le personnel se multiplient comme par enchantement; tous ceux qui ne comprenaient pas, cèdent et acceptent, ceux qui ne savaient pas apprennent, ceux qui étaient indifférents, se dévouent. Et un peu d'années se trouve constitué un système réglementaire, où les médecins et les chirurgiens conçoivent aussi peu la possibilité de négliger l'emploi de rayons X, qu'ils en concevaient peu auparavant l'utilisation générale. Dès lors, il devient impossible de limiter au temps de guerre les conceptions qui ont prévalu d'une manière aussi définitive. Le droit à l'examen radiologique, ou au traitement par les rayons X, est, dorénavant, pour tout malade, un droit général et incontesté,—et l'on voit prendre naissance une organisation d'après guerre, destinée à rendre ce droit effectif et opérant. Ainsi la découverte scientifique aura achevé la conquête de son champ d'action naturel, et aura acquis les moyens d'utilisation à plein rendement.
Une évolution analogue aura été accomplie par la radiumthérapie ou application médicale des radiations émises par les radio-éléments. Traitement exceptionnel encore jusqu'à présent, elle est l'objet d'un effort qui tend à la mettre à la portée de tous ceux qui peuvent mettre en elle leur espoir. Les souffrances et les pertes cruelles ont fait sentir plus profondément la valeur de la vie humaine. Les ravages exercés par le cancer appellent une organisation de lutte méthodique et efficace. Il n'est plus possible de reculer la réalisation qui s'impose. Et ainsi nous voyons se liguer vers un but commun des concours convergents: l'Université de Paris et l'Institut Pasteur encouragent et appuient l'œuvre commencée par l'Institut du Radium; de généreux donateurs apportent leur concours; la ville de Paris et le gouvernement ne peuvent s'en désintéresser. Dans peu de temps, l'effort général aura porté les premiers fruits, la radiumthérapie aura en France une première organisation, et ainsi aura été atteint le grand résultat humanitaire qui est un des aboutissements de la découverte scientifique du Radium.
Que pouvons-nous conclure de cette fortune inespérée échue en partage aux nouvelles radiations que la science nous a révélées à la fin du XIXe siècle? Il semble que nul spectacle n'est plus propre à rendre plus vive notre confiance dans la recherche scientifique désintéressée et à augmenter le culte et l'admiration qu'il convient de lui vouer. Telle nouvelle source de lumière, fruit des patients efforts du savant dans son laboratoire, répandra un jour son éclat sur l'humanité, lui apportant la consolation et l'allégement des souffrances,—telle autre contribuera à faciliter la vie et l'effort pacifique vers plus de bien-être physique, moral et intellectuel. Les répercussions de la pensée féconde sont illimitées. Son champ d'action dépasse tout horizon connu. Toute collectivité civilisée a le devoir impérieux de veiller sur le domaine de la science pure où s'élaborent les idées et les découvertes, d'en protéger et encourager les ouvriers et de leur apporter les concours nécessaires. C'est à ce prix seulement qu'une nation peut grandir et poursuivre une évolution harmonieuse vers un idéal lointain.
TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION
I—LES RAYONS X
II—COMMENT PEUT-ON PRODUIRE LES RAYONS X
III—INSTALLATION DANS LES HÔPITAUX ET
VOITURES RADIOLOGIQUES
IV—TRAVAIL RADIOLOGIQUE DANS LES HÔPITAUX
V—PERSONNEL RADIOLOGIQUE
VI—RENDEMENT ET RÉSULTATS
VII—ORGANISATION D'APRÈS-GUERRE
VIII—RADIOTHÉRAPIE ET RADIUMTHÉRAPIE
CONCLUSION