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Lamarck et son OEuvre

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pourquoi des types de transition existent entre des classes déterminées; pourquoi, par exemple, les Poissons notocordaux sont antérieurs aux Poissons osseux, les Batraciens aux Reptiles, les Oiseaux, à caractères reptiliens, aux Oiseaux véritables, les Mammifères didelphes aux Mammifères placentaires;

pourquoi, dans l'histoire de chaque classe, on trouve, d'abord, des formes confuses, synthétiques, et pourquoi les formes différenciées, parmi lesquelles les plus spéciales sont les plus récentes, n'apparaissent que postérieurement et successivement;

pourquoi des types intermédiaires existent dans tous les gisements;

pourquoi les plus anciens êtres humains ont des caractères d'anthropoïdes;

pourquoi des analogies subsistent, entre des espèces éteintes, sans représentants actuels, et des espèces encore vivantes;

enfin, pourquoi la loi, générale et rigoureuse, qui gouverne aujourd'hui les origines de la vie, omne vivum ex vivo, et par suite de laquelle tout être vivant provient d'un autre être vivant, semblable à lui, n'aurait exercé son empire que par intermittence.

Concluons donc avec Edmond Perrier:

«Deux faits incontestables, et d'ailleurs incontestés, dominent toute la discussion, et il n'est permis à personne de les oublier:

«1o Les formes végétales et animales d'une période géologique ne sont nullement identiques à celles de la période suivante, bien qu'aucun cataclysme ne sépare ces périodes les unes des autres;

«2o Toute forme vivante est issue d'une forme vivante antérieure, à laquelle elle ressemble d'ordinaire presque exactement, bien qu'elle en puisse différer dans une certaine mesure.

«Les faits constatés, sans qu'on puisse citer une dérogation quelconque à cette règle, sans que rien puisse autoriser à croire qu'à un moment quelconque de la durée des temps paléontologiques une exception se soit produite, les faits constatés s'opposent à ce que l'on puisse admettre un seul instant, sans faire une hypothèse gratuite, que la chaîne des générations ait été interrompue, que les formes de végétaux et d'animaux de la période actuelle ne dérivent pas, en conséquence, de ceux des périodes antérieures; or, comme ces animaux ne se ressemblent pas, la variabilité des espèces est par cela même scientifiquement démontrée, sans que rien puisse être opposé à cette conclusion, à moins que l'on n'entre dans le domaine des hypothèses.

«Il y a plus. Quand on suit attentivement la série des formes analogues, qui se succèdent pendant la durée de longues périodes paléontologiques, et jusqu'à la période actuelle, on constate que les différences qui existent entre ces formes ne dépassent nullement les limites de celles qu'on observe aujourd'hui entre les races d'une même espèce.

«C'est, en particulier, ce qui résulte invinciblement des belles recherches de M. Albert Gaudry et de M. Filhel, sur les mammifères tertiaires. Les faits constatés n'autorisent donc pas à admettre dans la science une autre doctrine que celle du transformisme, que celle de Lamarck»[104].

A vrai dire, ces notions scientifiques doivent, désormais, faire partie des connaissances élémentaires de tout homme éclairé; elles sont indispensables pour apprécier sainement la nature humaine; et, comme le dit Haeckel, pour familiariser l'esprit avec l'infini de la durée, de même que la contemplation du ciel étoilé le familiarise avec l'infini de l'espace. On ne saurait donc trop féliciter le gouvernement de la République française d'avoir reconnu leur valeur éducative générale, en introduisant leur enseignement, dans les programmes de l'instruction secondaire, sous forme de conférences de Paléontologie.

Confirmation des théories de Lamarck par l'embryologie.

Les théories de Lamarck, concernant l'évolution des êtres organisés, n'ont pas été seulement confirmées par les faits paléontologiques: elles trouvent encore un point d'appui solide, dans les faits embryologiques.

Rapprochant ces deux ordres de faits et frappés par le parallélisme existant entre le développement embryologique et le développement paléontologique, quelques savants se sont même crus autorisés à conclure que, dans chaque espèce, l'évolution embryonnaire de l'individu n'est que la répétition rapide et raccourcie de l'évolution paléontologique de tout le rameau dont son espèce est la terminaison.

C'est d'après ces données qu'Haeckel a formulé ce qu'il a nommé la loi fondamentale biogénétique.

«L'ontologie, dit-il, ou l'histoire du développement de l'individu, est simplement une récapitulation courte, rapide, conforme aux lois de l'hérédité et de l'adaptation, de la phylogénie, c'est-à-dire de l'évolution paléontologique de toute la tribu organique ou phylum à laquelle appartient l'individu considéré».

Faisant application de cette loi générale au cas particulier de l'homme, Haeckel a soutenu que les diverses phases de son évolution intra-utérine correspondent à vingt-deux stades paléontologiques, consécutifs, qu'il s'est efforcé de préciser.

Les documents paléontologiques n'ont pas, jusqu'ici, fourni toutes les preuves rigoureuses qu'une théorie aussi formelle exigerait; mais il est indéniable que chaque individu, dans son évolution propre, repasse, graduellement, par les principaux degrés de la série animale, placés au-dessous de celui qu'il doit atteindre.

Les Invertébrés et les Vertébrés ne se distinguent pas, les uns des autres, durant la première phase de l'évolution intra-ovulaire, et l'embryon des Vertébrés, selon les remarques d'Haeckel, se présente: d'abord, sous la forme d'une simple cellule; puis, comme un amas cellulaire, provenant de la segmentation de la cellule primitive; ensuite, comme un sac, à ouverture unique, essentiellement constitué par un feuillet externe, ou épidermique, et un feuillet interne ou intestinal, invaginé; plus tard, comme un tube à deux ouvertures, semblable aux Vers; enfin, comme un de ces Vertébrés acrâniens, dont l'Amphioxus, qui n'a qu'un squelette rudimentaire, constitué par une corde dorsale, est le dernier représentant vivant.

A ce moment, nul ne peut dire, avec certitude, si cet embryon de vertébré deviendra poisson, reptile, oiseau ou mammifère, et le créateur de l'embryologie, de Baer, traduisait la perplexité dans laquelle les savants se trouvent, à cet égard, en disant que s'il omettait d'«étiqueter» les bocaux, dans lesquels il renfermait les très jeunes embryons de Vertébrés qu'il recevait, il ne pouvait ensuite distinguer la classe à laquelle chacun d'eux appartenait.

«Les embryons de l'homme, du chien, de la tortue, et l'embryon du poulet, au quatrième jour de l'incubation, diffèrent si peu l'un de l'autre, qu'on ne saurait les distinguer: c'est seulement au bout de six ou huit semaines, pour les trois premiers, au bout de sept jours, pour le dernier, que les traits distinctifs apparaissent et s'accentuent, à mesure que l'animal se développe»[105].

Cette succession d'états transitoires, images fugitives de constitutions demeurées permanentes pour les êtres inférieurs des temps paléontologiques ou présents, ne s'observe pas seulement dans la morphologie et l'organisation générale de l'embryon des Invertébrés supérieurs et des Vertébrés; la formation de chacun des organes de cet embryon, qui évoluent tous, aussi, tandis qu'il se développe, est subordonnée à la même loi naturelle.

Par exemple, chez l'homme, le tube digestif ne présente d'abord aucune démarcation; l'estomac et le gros intestin ne se différencient du canal intestinal qu'ultérieurement. Les cavités buccale et nasale sont confondues. Le foie débute par des tubes cylindriques qui rappellent le foie des insectes.

Les reins sont primitivement réduits à un uretère; puis cet organe rudimentaire se complique de tubes rectilignes, pourvus d'un glomérule, comme chez les Poissons cyclostomes et le rein se divise en lobes, comme chez les Reptiles et les Oiseaux. Ce sont ces lobes qui se fusionnent pour former le rein humain.

L'appareil respiratoire prend naissance, sous forme de bourgeons de la cavité pharyngienne, comme celui des Poissons; puis il consiste, momentanément, en poches peu ramifiées, analogues aux poumons des Reptiles.

Les organes sexuels n'ont, originellement, qu'une forme indifférente, et, même après avoir évolué nettement vers leur destination définitive, les organes mâles restent longtemps inclus dans l'abdomen, comme ceux des Oiseaux, tandis que l'utérus du sexe féminin traverse une phase d'utérus à cornes, qui l'assimile aux oviductes des animaux ovipares.

Le cœur n'est, d'abord, qu'un punctum saliens qui rappelle l'appareil circulatoire des Vers; puis il présente les deux dilations qui persistent chez les Mollusques; enfin, avec le trou de Botal, il reste, jusqu'à la naissance et à la respiration aérienne, à l'état de cœur à trois cavités; il reproduit ainsi le cœur des Reptiles, auxquels nous assimilent encore les arcs aortiques qui entrent primitivement dans la composition de notre appareil circulatoire périphérique.

Les mêmes analogies, avec les animaux inférieurs, se produisent, passagèrement, durant l'évolution embryonnaire, dans les appareils de la vie de relation.

Le système nerveux est, au début, réduit à la moelle épinière, formée par l'adossement de cordons distincts, comme chez les Invertébrés, et la moelle rachidienne descend très bas, dans la gouttière qui la renferme, comme chez les Poissons et les Oiseaux. L'encéphale apparaît sous la forme des vésicules cérébrales qui restent stationnaires dans les Poissons. Le cerveau, lorsqu'il commence à se spécialiser, est dépourvu de circonvolutions; celles-ci ne se dessinent que vers le milieu de la vie embryonnaire.

Enfin, l'apparition du système osseux est postérieure aux autres; elle débute par une corde dorsale et la formation des vertèbres crâniennes, de même que celle des corps vertébraux, d'abord cartilagineux, est inaugurée par une dissociation des diverses parties de ces os, qui reproduit l'état squelettique des Vertébrés primaires.

Loin de contredire l'évolution paléontologique, l'embryologie tend donc à corroborer sa doctrine; elle met en relief de nombreux traits de ressemblance entre les êtres supérieurs et récents et les êtres les plus inférieurs et les plus anciens, et, comme ces traits ne peuvent provenir que de l'hérédité, l'embryologie fortifie l'hypothèse de la filiation de tous les êtres organisés.

Confirmation des théories de Lamarck par l'anatomie comparée.

D'ailleurs, ce n'est pas seulement au début de leur vie que les animaux Invertébrés et Vertébrés passent par l'état cellulaire, réduction de l'organisation biologique à sa plus simple expression; à vrai dire, ils ne sont jamais qu'une agrégation d'éléments anatomiques, microscopiques.

«Tout être vivant, quelque peu compliqué, n'est qu'une accumulation d'éléments dont chacun est exactement comparable, pour sa constitution, ses propriétés physiologiques, et souvent même les détails de sa forme, aux êtres vivants les plus simples que nous connaissons. Ces êtres vivants les plus simples forment la grande division des Protozoaires. Nous pouvons donc dire brièvement aujourd'hui ce que Lamarck ne pouvait deviner: Tout être vivant, d'organisation tant soit peu compliquée, n'est qu'une association de protozoaires»[106].

Or, les protozoaires sont des êtres aquatiques; il en est de même de tous les éléments anatomiques des animaux supérieurs, qui sont soumis à la loi de constance du milieu des Océans primitifs, découverte par Quinton, soit que les animaux qu'ils constituent séjournent dans le milieu marin, soit qu'ils vivent dans l'eau douce ou dans l'air.

Ainsi se trouve confirmée la vue de Lamarck, relative à l'origine Océanique de la vie.

D'autre part, l'anatomie comparée a découvert, et découvre tous les jours, des liens nombreux qui rattachent les espèces, actuellement existantes, à des espèces éteintes, et qui rattachent celles-ci, les unes aux autres, au travers de l'immensité des temps géologiques. Grâce à elle, des enchaînements sont maintenant établis entre des animaux d'espèces différentes, de genre différents, de familles différentes, d'ordres différents[107], et des séries de formes qui se prolongent pendant plusieurs époques ont pu être reconstituées dans quelques ordres d'Invertébrés et de la classe des Mammifères, des Reptiles et des Poissons[108].

A défaut de ces formes, l'anatomie comparée peut invoquer les organes rudimentaires, ou plus exactement atrophiés, correspondant, dans certaines catégories d'animaux, à des organes qui sont très fonctionnels chez d'autres.

Ces organes se remarquent dans tous les groupes du règne animal, chez les Spongiaires, les Échinodermes, les Mollusques, les Arthropodes, les Insectes, les Poissons, les Reptiles, les Oiseaux, les Cétacés, les Ruminants, les Solipèdes, les Carnassiers et l'Homme; ils attestent un même type d'organisation dans les groupes auxquels appartiennent les animaux qui les présentent et ils sont absolument inexplicables, sans le secours de la théorie de la modificabilité[109].

A plus forte raison en est-il ainsi des anomalies régressives qui se traduisent par la réapparition fortuite, chez un individu, d'organes ou de rudiments d'organes, disparus dans les types normaux de son espèce, mais ayant fait partie de l'organisation d'espèces antérieures. Tels sont: les germes de dents dans la mâchoire de quelques jeunes oiseaux; les stylets, ou doigts latéraux, que possèdent certains chevaux; et, chez l'homme: la cloison interstomacale qui sépare quelquefois le grand cul-de-sac du petit cul-de-sac de l'estomac; la mobilité du pavillon auriculaire; un appendice caudal; et le stermalis brutorum, dont j'ai, personnellement, pu voir, en 1879, un spécimen, sur un sujet, au laboratoire de la Société d'Anthropologie de Paris, lorsque je suivais les cours si remarquables du professeur Broca, sur l'anatomie comparée de l'homme et des animaux supérieurs.

En résumé, la philosophie paléontologique, la philosophie anatomique, convergent vers un même but: la démonstration de l'évolution des êtres organisés.

En présence de la multiplicité de ces faits concordants, cette hypothèse s'impose. Quelles que soient les difficultés, les lacunes et les énigmes que sa vérification présente encore, c'est la plus conforme à l'ensemble des renseignements obtenus; il est de plus en plus irrationnel de la repousser. Tous les savants, dignes de ce nom, l'ont adoptée et ses adversaires ont perdu toute autorité. Ce n'est certainement pas dans les rangs des véritables philosophes positivistes que ces adversaires trouveront leur dernier refuge.

Tentatives d'explication de la modificabilité. Supériorité des raisons invoquées par Lamarck.

Le fait et le principe de la modificabilité des espèces étant mis hors de contestation, la science se trouve en face d'un nouveau problème.

Quelles sont les causes déterminantes de ce phénomène?

Cet autre aspect de la question n'a pas échappé à la perspicacité de Lamarck; il l'a, le premier, scientifiquement envisagé.

Considérant l'organisme comme actif dans son évolution, il émit l'hypothèse que les changements de milieu et de circonstances provoquent de nouveaux besoins physiologiques, de nouvelles habitudes, et que, par suite des efforts continus que ces changements suscitent, les organes subissent des modifications que l'hérédité fixe, de telle manière que, progressivement, l'organisme se transforme pour s'adapter aux nouvelles conditions d'existence qui lui sont imposées.

J'ai, plus haut, exposé sa thèse, à ce sujet; je me borne, en conséquence, à la rappeler ici.

«Ce ne sont pas les organes, dit-il, c'est-à-dire la nature et la forme des parties du corps d'un animal qui ont donné lieu à ses habitudes et à ses facultés particulières; mais ce sont, au contraire, ses habitudes, sa manière de vivre et les circonstances dans lesquelles se sont rencontrés les individus dont il provient, qui ont, avec le temps, constitué la forme de son corps, le nombre et l'état de ses organes, enfin les facultés dont il jouit»[110].

Isidore Geoffroy Saint-Hilaire considérait, au contraire, l'organisme comme passivement soumis à l'action du milieu ambiant.

Darwin enfin a soutenu que la lutte perpétuelle, pour l'existence et pour la reproduction, à laquelle les animaux se livrent, a pour résultats une sélection qui aboutit à la survivance des mieux organisés et à la conservation des formes qui sont le plus en harmonie avec les conditions du milieu.

Mais les influences, signalées par Darwin, si réelles qu'elles soient, ne s'exercent que dans des limites très circonscrites; elles contribuent à l'intelligence des variétés qui se produisent dans des espèces déjà formées; elles ne rendent pas compte de l'origine des formes nouvelles. «La survivance du plus apte, comme dit Cope, n'est pas l'origine du plus apte».

D'autre part, les raisons de Darwin n'expliquent pas davantage l'extinction de certaines espèces, merveilleusement douées au point de vue de la concurrence vitale, et, de plus, très disséminées. Or, la paléontologie nous apprend qu'à diverses époques géologiques, et dans des classes très différentes, des espèces de ce genre ont précisément disparu brusquement, et cédé la place à des espèces chétives: tel est le cas des Trilobites, à la fin des temps Primaires; des Ammonites et des Dinosauriens, à la fin des temps Secondaires; des Mammifères colossaux de la fin de l'époque Tertiaire et du début du Quaternaire.

Il semble donc que la concurrence vitale n'a jamais eu qu'une efficacité modificatrice secondaire et restreinte.

L'influence des milieux est, au contraire, générale et permanente, et la nature, l'industrie humaine nous rendent, chaque jour, témoins des effets que leurs variations produisent sur les plantes et sur les animaux.

Les plantes d'une même espèce sont très différentes, selon qu'elles vivent dans un sol humide ou sec, dans les régions tempérées ou équatoriales, dans les plaines ou sur les altitudes. Il en est de même des animaux.

La vie s'éteint sous les pôles; elle jaillit de toutes parts, avec une irrésistible intensité, sous les tropiques.

Or, nous sommes assurés que les milieux ont maintes fois changé, dans le cours des âges géologiques.

La composition et la température de l'atmosphère, celles des Océans se sont modifiées.

La terre fut, d'abord, tout entière recouverte par les eaux et le climat tropical était universel, puisqu'on retrouve, sous les pôles, des fossiles appartenant à des espèces qui ne vivent plus que dans des régions chaudes.

En outre, il n'y a que des restes fossiles d'animaux aquatiques dans les terrains Cambrien, Silurien et Devonien.

La flore et la faune continentales n'apparaissent qu'à l'époque Permo-carbonifère, où les végétaux commencent à purger l'atmosphère saturée d'acide carbonique et d'humidité.

La période secondaire est caractérisée par une stabilité relative, révélée par l'absence de roches volcaniques; mais il n'en est pas de même de l'époque tertiaire où, plus particulièrement, l'émersion des grandes chaînes de montagnes, des îles et des continents, a créé des bassins maritimes et des compartiments terrestres divers, dans lesquels les êtres vivants ont été soumis à des régimes spéciaux.

C'est pendant cette dernière époque encore que les saisons se sont diversifiées et que les graminées ont couvert le sol de prairies luxuriantes et de steppes immenses. Cette circonstance sans doute a favorisé le développement des Mammifères herbivores, qui a lui-même précédé celui des Carnassiers de la même classe.

Enfin l'ère glaciaire, pendant les temps Quaternaires, fut contemporaine de grands Mammifères, parfaitement adaptés à sa nature, et qui ne lui ont pas survécu.

Pour toutes ces raisons, les naturalistes inclinent à considérer, comme prépondérantes, les raisons invoquées par Lamarck pour justifier la mutabilité des espèces.

Néanmoins, il convient de maintenir une distinction entre le fait même de l'évolution des êtres organisés et l'explication de ce fait.

Le fait repose sur une multiplicité d'observations convergentes qui, toutes, fortifient la doctrine de la modificabilité. Les causes génératrices de ce fait restent obscures et problématiques jusqu'ici; mais cette situation ne peut nullement ébranler l'autorité que les faits eux-mêmes ont acquise.

V
Conclusion.

En résumé:

Lamarck a conçu la biologie générale et créé sa dénomination;

Il a produit d'énormes travaux d'histoire naturelle, en botanique et en zoologie;

Il a, le premier, introduit l'ordre dans la multitude, jusque-là chaotique, des Invertébrés;

Il a jeté les bases de la théorie des classifications;

Il a, le premier, entrepris, d'une manière vraiment scientifique, la construction de la série animale;

Il est le promoteur de la physiologie générale; il a fortement consolidé ce principe philosophique «qu'il n'y a pas de fonction sans organe»; il a généralisé la loi de l'exercice et du perfectionnement; il a mis en relief l'importance universelle des lois de l'hérédité;

Enfin, il est le fondateur de la théorie des milieux, de la théorie de la modificabilité, et, le premier, il a tenté d'arracher aux ténèbres du passé le secret des origines et de l'évolution des êtres vivants.

Sous ce dernier aspect, l'œuvre de Lamarck défie maintenant tous les assauts de la critique.

Edmond Perrier, qui a repris, une à une, toutes les propositions essentielles que cette œuvre renferme, et consciencieusement cherché ce que la science moderne doit penser d'elles, a montré que, le plus souvent, «la théorie positive n'a fait que mettre des faits observés à la place où Lamarck avait mis des suppositions; elle s'est bornée à remplacer, dans l'édifice demeuré debout, une pierre altérée par une autre, d'apparence plus solide»[111].

«Rien de semblable n'avait jamais été tenté, dit le même savant. Personne, soit par respect des textes hébraïques, soit par un sentiment exagéré de l'impuissance de l'homme, n'avait osé demander à la seule science l'explication de la vie, l'explication de la naissance des êtres vivants, celle de leurs transformations, affirmées pour la première fois, avec cette énergie, par un homme vraiment familier avec toutes les productions naturelles; on peut dire qu'au temps où vivait Lamarck, avec les faits dont il disposait, il était difficile d'aller au-delà du terme qu'il atteignit du premier coup. Sa théorie avait d'ailleurs une portée bien plus grande que celles qui ont été proposées depuis et notamment que la fameuse théorie de Darwin. Lamarck, en effet, ne laisse derrière lui aucun postulatum; il essaye d'abord d'expliquer l'origine des êtres vivants que d'autres supposeront tout créés, avec des formes seulement différentes de celles qui florissent aujourd'hui; il recherche ensuite comment les formes simples, spontanément engendrées, se sont graduellement compliquées, perfectionnées, adaptées aux circonstances dans lesquelles elles vivent, de manière à constituer ces formes qui se transmettent longtemps, sans altération sensible, et qu'on nomme les espèces. Ces espèces, pour lui, ne sont que des abstractions; l'hérédité suffit pour expliquer leur permanence, et Lamarck, cherchant surtout à relier les espèces actuelles aux espèces fossiles, n'a pas trop à se préoccuper des hiatus qui existent actuellement entre elles»[112].

En outre, les conceptions de Lamarck sont douées d'une inépuisable fécondité; toutes les études de philosophie biologique et même sociologique, sont maintenant inspirées par elles.

Bref, Lamarck joue, en biologie, le rôle qu'ont joué Descartes en philosophie générale, Newton en mathématiques et en mécanique céleste, Lavoisier en chimie, Auguste Comte en sociologie; il a dévoilé de nouveaux horizons aux yeux de l'Humanité; il a livré de nouveaux domaines à ses investigations; il mérite d'être glorifié comme l'un des rénovateurs de la pensée et des méthodes scientifiques.

TABLE DES MATIÈRES

  Pages.
La vie de Lamarck. 3
La philosophie générale de Lamarck. 18
Appréciation des principaux travaux de Lamarck. 24
 I.Travaux cosmologiques 24
II.Travaux biologiques 29
Biologie générale. 29
Anatomie générale.—Anatomie descriptive.—Histoire naturelle. 35
Biotaxie. 37
Physiologie générale. 41
Physiologie spéciale du système nerveux périphérique et du système nerveux central. 43
Théorie des milieux et de la modificabilité.—Généalogie des animaux et de l'homme. 47
Appréciation des théories philosophiques de Lamarck. 59
Confirmation des théories de Lamarck par les faits paléontologiques. 64
Confirmation des théories de Lamarck par l'embryologie. 73
Confirmation des théories de Lamarck par l'anatomie comparée. 77
Tentatives d'explication de la modificabilité.—Supériorité des raisons invoquées par Lamarck. 79
Conclusion. 83

NOTES:

[1]Discours prononcé aux funérailles de Lamarck.

[2]Discours d'ouverture prononcé le 27 Floréal an X. Recherches sur l'organisation des corps vivants; p. 39.

[3]Philosophie zoologique: Édition Martins, vol. II, p. 411.

[4]Éloge de Lamarck.

[5]Paris, 1873, Savy, édit.

[6]L'emplacement, seul, de la tombe de Lamarck peut être, aujourd'hui, déterminé; le terrain dans lequel il fut déposé ne fut probablement l'objet que d'une concession temporaire et il a depuis reçu de nouveaux occupants.

[7]Publié dans les Mémoires de l'Académie des Sciences, 2e série, tome XIII, 1835.

[8]42e leçon du cours de Philosophie positive, écrite en 1836, vol. III de ce cours; pp. 388-398.

[9]Ibidem; p. 397.

[10]Politique positive, I, p. 666.

[11]Philosophie positive, IV, pp. 276 et suivantes.

[12]Ibidem, III, p. 396.

[13]Philosophie zoologique, vol. I; p. 349. Édition Martins.

[14]Histoire naturelle des animaux sans vertèbres, vol. I, Introduction; p. 260.

[15]Ibidem; pp. 165, 213 et suiv.

[16]Discours préliminaire; p. 2.

[17]Ibidem; p. 84.

[18]Ibidem; p. 78.

[19]Discours préliminaire; p. 82.

[20]Ibidem; p. 87.

[21]Discours préliminaire; p. 85.

[22]Discours préliminaire; p. 95.

[23]L'énumération détaillée de tous les ouvrages de Lamarck se trouve dans un index bibliographique, publié dans le livre le plus complet qui existe, jusqu'ici, sur Lamarck: Lamarck, the founder of evolution, his life and work, with translations of his writings on organic évolution, by Alphens S. Packard, Longman, green, and Co, New-York, 1901.

[24]Hydrogéologie; p. 55.

[25]Sur les fossiles; appendice au Système des animaux sans vertèbres, 1801; p. 408.

[26]Hydrogéologie, p. 89, et Mémoires sur les fossiles des environs de Paris, 1823; Introduction.

[27]Annuaire météorologique pour l'an X; p. 1.

[28]Ibidem; p. 7.

[29]Histoire naturelle des animaux sans vertèbres: Avertissement; pp. ij; vj; xiij.

[30]Histoire naturelle des animaux sans vertèbres, 1re partie, chap. I et II.

[31]Ibidem; p. 37.

[32]Philosophie zoologique, édit. Martins: II; p. 3.

[33]Histoire naturelle des animaux sans vertèbres, I; p. 11.

[34]Philosophie zoologique, II; p. 75.

[35]Ibidem, II; p. 418.

[36]Philosophie zoologique, vol. II; p. 57.

[37]Philosophie zoologique, II; p. 153.

[38]Ibidem, chap. VIII. Les facultés communes à tous les corps vivants; spécialement, p. 106 et 116.

[39]Histoire naturelle des animaux sans vertèbres, vol. Ier; p. 49.

[40]Philosophie zoologique, II, chap. V.

[41]P. 35.

[42]Philosophie zoologique, I; p. 138.

[43]Histoire naturelle des animaux sans vertèbres, I; pp. 455-57.

[44]Éloge lu à l'Académie des Sciences, le 26 novembre 1832, par le baron Sylvestre.

[45]Philosophie zoologique, chap. V; Histoire naturelle des animaux sans vertèbres, VIIe partie.

[46]Histoire naturelle des animaux sans vertèbres, I; p. 360.

[47]Ibidem; p. 381.

[48]Philosophie zoologique, chap. VI: Dégradation et simplification de l'organisation d'une extrémité à l'autre de la chaîne animale, en procédant du plus composé vers le plus simple.

[49]Histoire naturelle des animaux sans vertèbres, I; p. 461.

[50]Philosophie zoologique, 1re partie, chap. VIII, et Histoire naturelle des animaux sans vertèbres, I; pp. 370 et 457.

[51]Philosophie zoologique, II; p. 30.

[52]Ibidem, p. 40 et Histoire naturelle des animaux sans vertèbres; pp. 90 et suiv.; 229 et suiv.

[53]Philosophie zoologique, II; pp. 117 et suiv.

[54]Philosophie zoologique, vol. I; pp. 217 et 218.

[55]Ibidem, p. 235 et Histoire naturelle des animaux sans vertèbres, I; pp. 181 et suiv.

[56]Histoire naturelle des animaux sans vertèbres, I; p. 191.

[57]Ibidem, I; pp. 228 et 230.

[58]Philosophie zoologique, 1809, II; pp. 185, 188 et 240. La publication des mémorables travaux de Charles Bell, sur le même sujet, ne date réellement que de 1826.

[59]Histoire naturelle des animaux sans vertèbres, I; pp. 209 et 223.

[60]Philosophie zoologique, II; p. 181.

[61]Philosophie zoologique, II; p. 184.

[62]Ibidem, I; p. 353, et Histoire naturelle des animaux sans vertèbres; p. 222.

[63]Philosophie zoologique, II; p. 162.

[64]Ibidem; p. 162.

[65]Histoire naturelle des animaux sans vertèbres, I; p. 222.

[66]Philosophie zoologique, II; p. 158.

[67]Histoire naturelle des animaux sans vertèbres, I; pp. 208, 211, 225, 237.

[68]Ibidem, pp. 224, 230, 236.

[69]Ibidem; p. 281.

[70]Histoire naturelle des animaux sans vertèbres, I; p. 270 et suiv.

[71]Ibidem; p. 298.

[72]Ibidem; p. 300.

[73]Philosophie zoologique, II; p. 79.

[74]Ibidem, p. 75.

[75]Ibidem., IIe partie; chap. III. De la cause excitatrice des mouvements organiques.

[76]A ce dernier point de vue, le docteur Georges Hervé, professeur à l'École d'anthropologie de Paris, a publié, sous le titre: Un transformiste oublié: Cabanis, une très remarquable étude, dans le Bulletin scientifique de la France et de la Belgique du 25 juillet 1905.

[77]Philosophie zoologique, I, p. 234, et Histoire naturelle des animaux sans vertèbres, I, p. 181.

[78]P. 409.

[79]Voir en outre: Ante, chap. IV; p. 113, et seconde partie, chap. II; pp. 341 et suivantes.

[80]Vol. I; p. 223.

[81]Ibidem, p. 228.

[82]Philosophie zoologique: I; pp. 263 et suiv.

[83]Philosophie zoologique: vol. II; p. 425.

[84]Histoire naturelle des animaux sans vertèbres: Introduction, p. 197.

[85]Histoire naturelle des animaux sans vertèbres, I; p. 454.

[86]Ibidem, p. 123 et ante, pp. 193, 304 et suiv.

[87]Ibidem, I; p. 452.

[88]Ibidem, p. 454, et Philosophie zoologique, I; p. 76.

[89]Vol. II; p. 424.

[90]Pp. 450 et suiv.

[91]Histoire naturelle des animaux sans vertèbres; p. 460.

[92]Philosophie zoologique, I, pp. 339 et suiv. Quelques observations relatives à l'homme.

[93]Philosophie zoologique, I; p. 227.

[94]Histoire naturelle des animaux sans vertèbres, vol. I, avertissement; p. VI.

[95]Philosophie zoologique, I; pp. 56, 73, 75.

[96]Philosophie zoologique, I; p. 30.

[97]Philosophie Positive, vol. III; p. 391.

[98]Ibidem, p. 397 et 430.

[99]Ibidem, p. 394.

[100]Ibidem, p. 394.

[101]Philosophie Positive, vol. III; p. 394.

[102]Ibidem, p. 395, et Cuvier: Discours sur les révolutions du globe: les espèces perdues ne sont pas des variétés des espèces vivantes.

[103]Haeckel: L'origine de l'homme. Schleicher frères, édit.; p. 67.

[104]Lamarck et le transformisme actuel, in le Centenaire de la fondation du Muséum d'Histoire naturelle: 1893; p. 516.

[105]Mathias Duval: Le Darwinisme; p. 48.

[106]Perrier: loco citato; p. 495.

[107]V. Albert Gaudry: Les enchaînements du monde animal dans les temps géologiques, III; résumé.

[108]Charles Dépéret: Les transformations du monde animal; pp. 160 et suiv.

[109]V. Wiedersheim: La structure de l'homme, témoignage de son passé.

[110]Philosophie zoologique, I; p. 237.

[111]Lamarck et le transformisme actuel, in le Centenaire du Muséum; p. 498.

[112]Ibid.; p. 490.


CHATEAUDUN
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3, rue de Blois


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