Le dangereux jeune homme
ÉLOQUENCE
A Gaston Chérau.
En arrivant chez mon cousin Narcisse pour y passer huit jours, mon grand étonnement fut d'apprendre que la vieille bonne, Mariette, allait quitter son maître.
Ce fut elle-même qui m'annonça cette nouvelle pendant qu'elle débouclait ma valise.
«Comment! Mariette, autant me dire que votre maître fait enlever le toit de sa maison! Ah! ça, ce n'est pas lui qui renonce à vos services; je suppose?... Alors, ce serait vous, Mariette, qui auriez fait un héritage?...
—Pardi non! ce n'est pas à mon âge qu'on touche des successions, et monsieur ne croit pas non plus que j'aie fait fortune chez monsieur Narcisse!...
—Il est ordonné, le cher Narcisse; oui, c'est connu.
—Ça n'est pas à moi de prononcer le jugement de Monsieur devant un proche parent à lui, mais chacun sait que Monsieur est bien regardant...
—J'en conclus que c'est vous qui vous en allez, de votre plein gré, Mariette?
—Oui, monsieur... C'est-à-dire que c'est moi qui m'en vais et c'est lui qui me dit de m'en aller. On n'est d'accord que là-dessus. Pour tout le reste, monsieur, c'est un enfer que la maison.
—Diable! depuis quinze ans que vous vous accommodiez de la situation?...
—Dix-huit! monsieur, dix-huit ans sonnés à la Saint-Michel.
—Eh bien, saprelotte! Pendant un si long temps, vivre côte à côte en se chamaillant?...
—Ça arrive, monsieur. On est lâche à démarrer de là où l'on se trouve...
—Et moi qui jalousais le ménage de mon cousin!
—Il y a bien des choses, comme ça, qui ont l'air d'être ce qu'elles ne sont pas.
—Je vous croyais si attachée à votre maître!
—Monsieur dit bien. Et c'est les sentiments qui vous nourrissent souvent plus que le pot-au-feu! Mais, les sentiments, c'est comme les célibataires: à un certain âge, quand ça ne se marie point, ça s'aigrit... Sans dire du mal de lui, monsieur Narcisse est un fieffé égoïste... Oh! Monsieur s'occupe de sa commune, c'est entendu: il n'y en a pas un comme lui pour prendre soin de l'électeur. Mais, quand il a été élu maire, et qu'il a donné un banquet de quarante couverts, sans compter le tintouin qui a précédé, eh bien! monsieur, j'ai manqué d'en mourir de consomption: c'est moi qui avais préparé toute la boustifaille!... Tout ça pour quoi? «Et l'honneur!» que m'a dit monsieur Narcisse. Oh! bien, à présent que ça va être le conseil général, c'est pour le coup que je lui en laisserai tout l'honneur: mes vieux os ne suffiraient pas à le porter.»
Quand j'eus fait avec mon cousin Narcisse le plus succulent des repas, préparé et servi par la vieille Mariette, bonne à tout faire en la maison, quand le futur conseiller général eut allumé sa pipe, au lieu d'incliner la conversation vers les ambitions politiques, je la laissai voleter sur la béatitude que me causait un si bon dîner:
—Ah! vous en avez de la chance, vous autres, en province, de pouvoir encore manger. Quel cordon bleu tu as là!
—La vieille? fit-il, peuh!... je la remplace dans trois jours. Tiens, tu assisteras, à cette occasion, à la petite fête.
—Quoi? tu célèbres le départ de Mariette?
—Mon vieux, vois-tu, je suis excédé de Mariette. Elle est bougon, tatillon, quémandeuse, querelleuse et râleuse. Il y a trop longtemps que ça dure; je ne peux plus la supporter... Je sais tout ce que tu me diras en sa faveur. Tu la vois huit jours, et non pas dix-huit ans!... J'ai assez d'elle.
—Seras-tu soigné par une autre comme tu l'as été par elle? Je me souviens du temps où tu as eu cette maladie...
—Je me porte bien, dit Narcisse, sur un ton qui coupait toute réplique. Je me sépare de Mariette.
—Bon! bon! Tu es juge de la situation.
Il ajouta, en se radoucissant:
—Mais, attendu qu'il y a dix-huit ans que cette femme est à mon service, attendu l'importance qu'on accorde dans les petits pays aux moindres choses qui ont eu un peu de durée, à cette séparation je mettrai des formes. Je ne veux pas m'exposer à ce que l'on m'accuse d'ingratitude!...
—Je comprends... Mais il faut vraiment que tu en aies d'elle jusque-là, pour assumer la charge de lui payer une rente en te privant de services si précieux!
Narcisse n'eut pas l'air, lui, de très bien me comprendre:
—Une rente, une rente, dit-il, là n'est pas la question. Mariette, d'abord, est une sentimentale. Nous sommes tous des sentimentaux. Je t'ai parlé d'une petite fête; cela signifie que je ne vais pas, parbleu! jeter cette femme à la porte comme un chien.
—Alors? fis-je, anxieux de ce qu'il allait trouver pour pallier la difficulté.
—Alors... Alors, voilà... Je réunis après-demain mon député, mon adjoint et quasiment tout mon conseil municipal, à déjeuner. Tu seras là. Et, si tu trouves que Mariette est bonne cuisinière, tu me diras ce que tu penses, d'autre part, d'un petit plat de ma façon.
Il y avait là de quoi m'intriguer, d'autant plus que je sentais une réelle animosité entre le maître et la servante. Hors de moi, cela va sans dire, tout soupçon que Narcisse, qui est un galant homme, pût profiter de la présence chez lui de quelques autorités locales pour jouer quelque tour à une respectable vieille femme!
Mais, que me promettait-il donc comme régal, à ce déjeuner impatiemment attendu?
A ce déjeuner rien d'insolite.
Le député, l'adjoint, les conseillers municipaux furent exactement ce que je pouvais présumer d'eux, et le dernier repas confectionné par Mariette ne comporta pas non plus de surprise: il était délicieux.
Mais, au dessert, mon cousin Narcisse se leva.
Il allait parler. Paroles de candidat.
Je m'apprêtais à contenir de mon mieux mon air indifférent, sinon mes bâillements.
Il parla. Il était sans notes, sans papiers d'aucune sorte, et cependant il se campait—c'était visible pour tout le monde—pour en dire long.
A l'étonnement général, point d'allusions politiques.
A peine un mot flatteur au représentant, une ou deux épithètes amènes aux conseillers, les électeurs de demain! Non: une harangue privée, toute familiale, et qui commença à nous gagner par une description, en vérité fort pittoresque, de la table autour de laquelle se réunissent de sympathiques convives, de la cuisine française, des mets anciens et savoureux dont les Parisiens se désaccoutument—ceci était à mon adresse—enfin «du mérite, trop souvent méconnu, de ces femmes, humbles Vestales, dont la mission est d'entretenir la flamme indispensable, fées de l'habitation, que l'on voit paraître à peine, dissimulées, auréolées, pourrait-on dire, par le nuage odoriférant qui s'élève au-dessus du potage, du civet de lièvre ou de la fricassée de poulet...»
On souriait. D'agréables images se balançaient aux yeux des convives. On revoyait et le présent repas, et d'autres, et de ces mémorables agapes qui consolent, un moment, de bien des petites misères, et sont des points de repère dans la vie.
Tout à coup, la voix de Narcisse s'orna d'un trémolo, registre soudainement tiré, et qui, d'emblée, suscita l'attendrissement.
Alors, des lèvres chevrotantes de Narcisse on entendit des mots de cette espèce: «les innocents plaisirs du home...», «la contagieuse vertu de la paix chez soi», «le chant de la bouillotte au coin de l'âtre...», «l'ordre, l'économie du ménage, etc.». C'était un tableau d'intérieur très joliment brossé. Chacun se trouvait flatté dans son goût le plus intime et le plus naturel.
Mais on ne savait pas où l'orateur en voulait venir.
Graduellement, la peinture à la Chardin s'élargit et gagna en profondeur, par le moyen de glacis habilement posés. La peinture se spiritualisa, pour ainsi dire: une âme, un cœur, un esprit l'illuminèrent en dessous. Il fut d'abord question de «l'homme qu'un sort cruel a privé du cercle auguste de la famille»; il y eut un croquis de «l'infortuné célibataire», lequel nous fûmes un moment tentés de croire aussi à plaindre que Robinson dans son île. Ici une pause émouvante, les esprits demeurant attachés au sort du solitaire infortuné...
Mais un choc, un rebondissement, une claire trouée dans la nue: voici que le célibataire tout à coup était sauvé! Sauvé par qui? «Non pas par la Providence! non point par aucune des puissances de ce monde!... Non, vraiment; mais sauvé par ce que les couches profondes de la démocratie peuvent contenir de plus honorable, de plus précieux, de plus humble et de plus caché...»
«Mais qui? mais qui donc?...» faillîmes-nous dire en chœur, devenus tous bon public.
A cet instant, le futur conseiller général sembla, d'un preste mouvement de la main, vouloir faire surgir Mariette de l'ombre où elle se tenait tapie derrière une grande bringue de fille destinée à lui succéder. Sans doute avait-on un peu pensé que ce fût de la maison de notre hôte, de l'hôte lui-même et de son unique bonne qu'il pût être question, mais la profusion des images hyperboliques nous brouillait l'entendement. L'on comprit que c'était bien Mariette qui motivait cette littérature.
Son maître la nomma «le grillon du foyer». Il la nomma «la fée des cuivres, de l'argenterie et des faïences». Elle était, en outre «l'infirmière engagée pour tout le temps de la longue guerre qu'est la vie». Elle était «le génie qui préside aux piles de lin blanc des armoires» et «le bon Cerbère qui, à la porte du logis, oppose un bras inexorable à toute incursion dirigée contre le sacré labeur du maître en le cerveau de qui s'agitent les destinées de la commune!...»
Jamais l'honnête Mariette ne s'était senti projeter à telles altitudes. Elle écoutait, surprise, un peu suffoquée, ébaubie. Mais Narcisse la toucha davantage en redescendant à de petits faits précis et véridiques, extraits de l'histoire du ménage.
Son dévouement ininterrompu pendant un certain nombre d'années dont la gradation savamment décelée rendait le chiffre final plus impressionnant: «pendant dix ans! pendant quinze ans!... pendant dix-huit années accomplies!»—les imaginations frappées étaient tentées d'additionner ces chiffres et d'aboutir à «un demi-siècle de servitude»;—sa fidélité, sa probité «intégrale», son renoncement à toute joie comme à tout intérêt, toute espérance personnelle, qui faisaient «de cette modeste créature un type accompli d'altruisme, une sorte de sainte laïque, à proposer en exemple non seulement à la commune, mais à l'arrondissement, mais à la circonscription départementale, voire à la grande Patrie!»...
Ah! fichtre, voilà qui commença de l'émouvoir à fond, la pauvre vieille, et nous tous avec elle!
La bonne Mariette avait tiré de sa poche son mouchoir; la grande bringue qui lui succédait pleurait, elle, depuis le commencement du discours; l'adjoint avait dû laisser tomber son lorgnon dont les verres se mouillaient.
Mais tout ceci n'était rien encore.
Nous ne perdîmes tous complètement la tête que lorsque Narcisse, après avoir décrit le trésor qui était là, tout près de nous, sous les apparences d'une simple femme, nous jeta, dans un hoquet, le cri déchirant que provoquait, brusque comme l'éclair, le coup du destin... Ah! justes dieux, qu'était-ce? Eh bien! voilà. Le destin avait prononcé «comme aux jours de l'antique Hellas»... et exigeait «que le mortel trop heureux possesseur d'une si merveilleuse fortune, s'en séparât! oui, s'en séparât... s'en séparât sans retour! s'en séparât, hélas! quand cela? Non l'an prochain ni dans six mois, non après-demain ni demain même, non, mais aujourd'hui!...»
Aujourd'hui?... Et l'auditoire frémit.
«Aujourd'hui, messieurs, mes chers amis, ajouta la voix mourante de Narcisse; aujourd'hui, dans l'heure qui succédera à la présente, dans l'heure qui suivra le dernier repas—apprécié par vous—et dû aux soins et, j'oserai dire, au talent de l'être exceptionnel que je perds et que je vais regarder s'enfoncer dans les ténèbres incertaines et angoissantes de la nuit...»
On eût juré que le ciel venait de se déchirer, que Calchas avait redemandé le sacrifice d'Iphigénie. Nous étions tous tremblants.
Soudain, d'un grand geste inattendu, Narcisse ouvrit les bras. Il penchait un peu la tête sur l'épaule gauche; il avait l'air du Bon Pasteur.
Et il n'y eut qu'un mouvement pour précipiter vers cette étreinte offerte, la malheureuse bonne à tout faire, devenue du coup complètement stupide. Elle confondit ses larmes avec celles qui coulaient, ma foi, réellement, des yeux de son maître éloquent. Elle roula de mains en mains, de bras en bras, de pleurs en pleurs.
Le député dit, en désignant Narcisse:
«Voilà un homme qui n'est pas fier, et qui sait rendre justice au pauvre monde!»
On était si troublé qu'il ne vint à personne, sur l'heure, de demander: «Mais pourquoi quittez-vous Mariette?»
Quand Mariette eut à peu près recouvré ses sens, elle s'en alla à la cuisine en bredouillant:
«Tout de même, c'était donc vrai que Monsieur était si bon!...»
NOUS SOMMES FACHÉS AVEC HENRIETTE
A Julien Ochsé.
Voici comment nous nous sommes fâchés avec Henriette:
Elle tombe à la maison, un beau jour, en s'écriant: «Ah! ma chère Marthe! ah! mes bons amis, j'en apprends de belles!...»
Et aussitôt la voilà tout en larmes, et puis secouée par les sanglots pendant dix bonnes minutes. Ce qu'elle avait appris, nous nous en doutions: les journaux étaient pleins de l'affaire de son mari. Parbleu! nous savions, nous, depuis longtemps, de quoi il retournait au journal dirigé par Étienne Terrestre. Ce n'était plus seulement sous le manteau que depuis des mois on se passait les nouvelles, mais il en était question jusque dans les couloirs de la Chambre, et le Parquet allait agir. Pour personne il ne faisait doute que Terrestre fût une «pure fripouille». C'est pour nous en être aperçus, à nos dépens, que nous avions rompu avec lui avant qu'il épousât Henriette, et c'est pour la même raison que nous nous étions mis en quatre afin d'empêcher ce mariage; mais Henriette était toquée d'Étienne Terrestre; cela répond à tout. Elle nous avait toujours gardé rancune de notre opposition, et nos relations avec elle s'étaient refroidies, nos entrevues espacées; nous ne la voyions, bien entendu, que sans son cher mari.
A notre grande surprise, elle ne prend pas la peine de défendre celui qu'on accuse de toutes parts, et même, après un temps de pose, après des pleurs nouveaux, des sanglots encore, elle nous jette cet aveu:
—Eh bien, vous me croirez si vous voulez, mes bons amis, je suis contente... Oui, je suis contente de ce qui arrive... Il fallait en finir, lui et moi; ça ne pouvait pas durer quinze jours de plus!...
Et, sans reprendre souffle, elle se met à nous en conter sur les traitements à elle infligés par Terrestre. Nous n'ignorions de lui que sa vie domestique, car Henriette nous avait toujours laissé entendre qu'elle était très unie à son mari. Elle nous en dit, elle nous en dit! nous ne le lui demandions certes pas...
Elle en vient à faire allusion à notre mauvaise humeur de jadis, avant le mariage; à nous prendre les mains, à nous confesser: «Mes bons amis, mes bons amis! c'est vous qui aviez raison, allez!...» Et elle répète: «Enfin, enfin, vous voyez bien que cela ne pouvait pas durer!...» Nous la couvrons de tendresses, Marthe pleure avec son ancienne amie, nous sommes franchement émus de la situation de la malheureuse. Henriette ajoute:
—Voilà plus de dix-huit mois que je cherche un motif de divorce... avouable... Je ne tiens pas à faire scandale, vous comprenez... Eh bien, après ce que je viens d'apprendre aujourd'hui, il me semble que cela va aller comme sur des roulettes... La loi ne peut pas m'obliger à demeurer la femme d'un malhonnête homme!
Là-dessus, nous causons des motifs de divorce. Celui qu'elle prétend tirer de l'affaire en cours me paraît vague, indélicat, peut-être même indécent. Mais elle ne supporte pas une hésitation, elle s'écrie:
—J'en trouverai un! Il m'en faut un! Ma décision là-dessus est irrévocable. D'ailleurs, en sortant de chez vous, je cours chez mon avoué...
Témoin d'un dessein si fermement arrêté, j'essaie de venir en aide à la pauvre femme:
—Le meilleur des motifs, Henriette, c'est, en somme, l'adultère constaté...
Elle sourit presque, non sans une pointe de fatuité, et dit:
—Ça, non!... Ça, c'est une chose que je ne peux pas lui reprocher. Ah! si seulement il avait fait ça!... Ah! si quelqu'un pouvait me prouver qu'il a fait ça, à celui-là, je lui sauterais au cou: il m'aurait rendu un fier service!...
Dès cette entrevue, nous étions autorisés à dire à Henriette: «Eh bien, ma pauvre amie, embrassez-nous, car nous en avons toutes les preuves, nous, que votre mari vous a trompée, et qu'il vous trompe, et il ne tiendra qu'à vous de le faire prendre en flagrant délit quand il vous plaira.» Nous ne lui avons pas dit cela. Ce n'est que bien plus tard, et quand le courroux de la jeune femme contre son mari se fut affermi, à nos yeux du moins, car on le sentait déjà vraiment établi chez elle, et tenace, ce ne fut qu'après des jours et des jours d'entretiens cœur à cœur avec elle, et pendant lesquels nous dûmes ressasser ensemble toutes les vilenies de Terrestre; elle, nous en apprenant de nouvelles chaque fois; nous, ma foi, lui contant par le menu tout ce qu'elle avait ignoré; enfin, ce ne fut qu'après avoir acquis la certitude qu'entre cette femme et son mari, tous liens étaient à jamais brisés et irréparables, que nous lâchâmes enfin la révélation qui lui apportait la délivrance tant souhaitée. Nous fîmes cela d'une façon presque joyeuse, en ayant l'air de chanter victoire.
—Henriette! ma chère Henriette, soyez tranquillisée, soyez contente, nous avons toutes les preuves en main...
—Les preuves de quoi? nous demande-t-elle, effarée.
—Mais qu'il vous a trompée, qu'il vous trompe et que vous serez libre demain!...
Elle s'assied, d'abord; elle semble n'avoir pas très bien compris; elle se passe la main sur les yeux; enfin, elle dit:
—Parlez... parlez!... racontez-moi ce que vous savez...
Nous racontons ce que nous savons et qui, d'ailleurs, est de notoriété publique. Nous nommons la personne, nous indiquons les théâtres, les restaurants où Terrestre s'affiche avec sa maîtresse, nous lui nommons celle qu'il avait avant la présente:
—Comment! comment! Henriette, il ne s'est pas trouvé quelqu'un pour vous dénoncer le coupable?...
—Si, si,—dit-elle, haletante, à demi suffoquée,—on m'a dit... on m'a dit... mais, vous allez me trouver trop bête, sans doute, je n'ai jamais pu croire... Si vous saviez!... Non, j'avais de bonnes raisons de ne pas croire... Je n'ai jamais cru cette chose...
Et la voilà en pleurs, comme le jour où elle avait appris tout le reste. Mais cette fois, ce fut pis, elle perdit bel et bien connaissance; nous dûmes envoyer chercher un médecin; nous eûmes une peur du diable! Je disais à Marthe:
—Tu comprends, elle a eu de si rudes secousses depuis quinze jours, la pauvre petite, elle est épuisée, parbleu!
Marthe me dit:
—Je crois, mon bonhomme, que nous avons tout simplement commis une de ces gaffes!...
Pour la première fois depuis le commencement de la période d'alarmes que traversait Henriette, elle ne vint pas nous voir le lendemain. Nous faisons prendre des nouvelles par téléphone, la femme de chambre nous répond: «Madame va bien, madame est sortie.» Le jour suivant, même jeu. Alors, nous nous tenons cois. Pendant ce temps, la déplorable affaire de son mari prend des proportions scandaleuses, tous les journaux s'en occupent, la pauvre femme, avertie maintenant, doit les lire; elle porte encore le nom de cet homme, peut-être n'ose-t-elle sortir, nous avons pitié d'elle. Marthe se décide à l'aller voir. Elle trouve une femme changée, méconnaissable, abîmée, vieillie de dix ans, une loque: «Ma pauvre amie! ma pauvre amie!...»
—Le misérable! s'écrie Henriette.
Marthe acquiesce, ayant présentes à l'esprit les nouvelles des journaux; elle fait allusion à un détail de l'affaire, mais Henriette l'interrompt:
—J'ai les preuves, moi aussi, vous savez, je les tiens... Ah! le misérable! ah! le chenapan!
Marthe croit naturellement qu'il s'agit de témoignages accablants à l'appui de la grave accusation dont on charge Terrestre; le quiproquo s'engage, ridicule et navrant, paraît-il, jusqu'à ce qu'enfin Marthe s'aperçoive qu'Henriette ne parle pas de l'affaire, ne se soucie pas de l'affaire, mais n'est indignée que de la trahison conjugale, et ne gît, là, démoralisée et prostrée, que parce qu'elle tient la preuve que son mari l'a trompée!
Huit jours durant, ç'a été une rage folle contre «le misérable». Henriette n'était pas irritée contre nous, contrairement à ce que nous avions pu craindre un moment; elle continuait à s'élever contre son mari, comme la semaine précédente, mais pour une raison nouvelle, voilà tout. Tout ce que nous avions pu dire de Terrestre jusqu'à présent, ah! bien, en vérité, c'était peu de chose. Ah! l'opinion publique pouvait s'agiter pour les malversations, chantages et pots-de-vin; il y avait un fait, un abus exorbitant, un outrage inqualifiable à la charge du nommé Terrestre: c'est qu'il avait trompé sa femme.
—Avez-vous eu à ce propos, lui demanda Marthe, une explication avec votre mari?
—Une explication!... Je vais avant tout faire constater le flagrant délit, nous causerons après.
Je me frottai les mains lorsque Marthe me rapporta son entrevue; il n'était pas mauvais qu'Henriette fût piquée à ce point, et uniquement par l'adultère de son mari, puisque c'était par là qu'elle pourrait être débarrassée de lui. Cependant, Marthe hochait la tête.
La constatation du flagrant délit—- car Terrestre était encore en liberté—devant avoir lieu le lendemain, nous téléphonons à la pauvre Henriette, qui doit être dans tous ses états: «Eh bien, comment ça s'est-il passé?» Une voix, un peu sèche, nous répond: «Non, non, rien de fait: j'ai eu une explication!...» et la communication est coupée. Huit jours se passent sans qu'Henriette nous donne signe de vie. Apparemment, nos soins lui sont désormais superflus. Marthe lui écrit un mot gentil, complaisant, et elle reçoit en réponse le billet suivant:
«Ma chère amie, je vous remercie vivement de votre insistance à me servir. Je croyais vous avoir répondu par téléphone que j'avais eu une explication avec Étienne. Elle m'a suffi. Elle m'a suffi à me convaincre que mon pauvre mari était partout odieusement calomnié, et elle m'a appris à me méfier désormais des amis bavards, empressés à vous apprendre ce qu'on ne leur demande pas, bref aussi zélés à détruire les ménages qu'à les empêcher de se former. Henriette.»
UNE MAISON COMME IL FAUT
A Gilbert de Voisins.
LES FEMMES DE CHAMBRE DE MADAME ABLETTE
—Comment! chère amie, vous n'avez plus cette excellente Caroline?... Et nous qui vous jalousions pour avoir trouvé la perle!... Précisément, l'autre matin, sur la plage, c'était à qui ferait le plus grand éloge de votre maison si bien tenue: «Madame Ablette a-t-elle de la chance! Elle a une femme de chambre qu'elle peut garder: complaisante, vive, de bonne humeur, et habile couturière...» Ah! ma chère, il n'y a pas à dire, elle vous avait arrangé une robe en tussor, l'année dernière, à pareille époque! Plusieurs personnes s'y sont trompées. Entre nous, elle avait travaillé dans une grande maison de couture?... Parbleu! Je l'aurais juré! Eh bien, ma belle, cette fille-là valait son poids d'or. Et d'ailleurs, vous l'avez gardée combien?... cinq ans? Cinq ans! Qu'est-ce que je vous disais? Cette Caroline était la perle. Elle a voulu se marier, j'en suis sûre?...
—Se marier! Ah! en voilà une qui se souciait du sacrement! Savez-vous, mesdames, ce que j'ai appris de Caroline, un beau matin?... Je vous le donne en cent...
—Elle vous volait?
—Ma foi, non.
—Elle s'enivrait?
—Pas que je sache.
—... Une espionne, peut-être, au service de...
—Vous n'y êtes pas: elle découchait.
—Elle découchait!...
—Depuis cinq ans, chaque nuit que Dieu fait!
—De sorte qu'elle a manqué, un jour, son service du matin?
—Point du tout. Ah! vous ne la connaissiez guère, la sournoise! Pas de danger qu'elle se laissât prendre en défaut. Elle n'a jamais négligé son service; et, sans le secours de Georges, mon homme de peine, j'ignorerais peut-être encore à l'heure qu'il est le désordre qu'était la vie de cette fille. Vous savez quel homme précieux était ce Georges: d'une fidélité, d'un dévouement!... Marié, père de cinq enfants, il venait faire le gros et les extras à la maison, et, pendant dix-sept ans, m'a épargné la dépense d'un valet de chambre.
—Vous dites: «Ce Georges était, ce Georges venait.» Vous l'avez donc aussi perdu?
—Attendez, je vous prie, attendez pour ce qui est de Georges. Je vous disais donc qu'un beau matin, Georges, en frottant le parquet, me murmure ceci: «Je n'en aurais rien dit à Madame, mais, rapport à la propreté, Madame ferait bien de faire passer l'aspiro par la chambre de Caroline: l'architèque y a fait trois pas, pas plus tard qu'à ce matin, pour l'examen du chéneau par la tabatière: Madame verra la trace de ses chaussures dans la poussière.» Je monte à la chambre de Caroline. Je dégringole quatre à quatre chez la concierge, je lui dis:
«—Ma femme de chambre découche!»
»Indignation de la concierge:
«—Oh! Madame, ça, c'est une chose bien impossible!
»—Elle découche, je le sais...
»—Ah! du moment que Madame le sait!...»
»Et la concierge me raconte qu'avec une ponctualité de fonctionnaire, votre Caroline, une fois Monsieur, Madame et les enfants couchés, se fait tirer le cordon et ne connaît plus de maîtres... Nous voyez-vous malades, ayant besoin d'elle au milieu de la nuit?
—En fait, durant cinq ans, cela ne vous est jamais arrivé?
—Je vous trouve bonnes! Mais, outre cet inconvénient, un tel dévergondage me dégoûte. Songez, je vous prie, que j'ai un garçon qui va atteindre ses quatorze ans; songez que mon mari, somme toute, n'est pas à l'abri de la tentation, tout sérieux qu'il soit... Et Georges, un travailleur si ordonné, est-ce qu'elle n'aurait pas pu aussi bien me le débaucher? Vous savez comme sont faits les hommes: une femme avec qui ils n'ont jamais songé à mal faire, qu'ils apprennent qu'elle se commet avec le premier venu, et les voilà à ses trousses!... Non, non. Assez de cette engeance! Avant Caroline, j'avais renvoyé d'autres de ces demoiselles; j'ai traité Caroline comme ses pareilles.
—Et depuis, avez-vous eu la main heureuse?
—Dites que cette traînée m'a tout simplement porté la guigne.
»D'abord, et comme j'avais juré de ne plus loger chez moi qu'une fille honnête, je me suis adressée à ma tante de Rebecque, qui habite Cambrai. Cambrai est une ville pieuse, qui a conservé de la décence; Dieu merci, il y a encore quelques oasis, en France, où se sont réfugiées les mœurs. Ma tante de Rebecque m'envoie en effet une fille d'une moralité parfaite: elle n'était jamais sortie de l'orphelinat que pour aller aux offices; une bonne travailleuse, point maladroite de ses mains,—je ne dis pas, cela va de soi, qu'elle fût capable de me tailler un trotteur comme le faisait Caroline,—enfin qui aurait été très passable, une fois dégourdie par l'air de Paris.
»Figurez-vous qu'elle s'appelait Gudule. Jamais les enfants ni mon mari lui-même n'ont pu l'appeler Gudule sans pouffer. Il est déconcertant de voir à quel point les meilleurs d'entre nous sont esclaves de certaines puérilités. Jusque pour nos domestiques, il nous faut des noms qui ne soient pas trop démodés, et un aspect extérieur qui n'offense pas les yeux. Gudule, je le veux bien, était légèrement contrefaite et se coiffait comme une innocente: ils voulaient absolument qu'elle fût bossue et idiote! Bref, ç'a été une ligue entre mon mari et ses enfants pour faire retourner cette pauvre fille à Cambrai.
—Et d'une!...
—Comme je n'étais pas mécontente du choix qu'avait fait pour moi ma tante de Rebecque, je m'adresse à elle une seconde fois, en essayant de lui faire comprendre les motifs un peu futiles qui m'ont obligée à me priver des services de Gudule. Je lui écris: «Ma bonne tante, procurez-moi une fille de même moralité—à ceci je tiens par-dessus tout—mais de mine un peu moins ingrate...» Ma tante de Rebecque est la complaisance même; sa vie se passe à accomplir de bonnes œuvres; elle m'écrit, courrier par courrier: «Ma chère enfant, c'est la Providence qui m'a fait mettre la main aujourd'hui sur une sainte femme qui me semble répondre exactement à tes désirs. Pour le courage et l'abnégation, elle est sans pareille, et elle est à l'épreuve de toutes les infortunes, attendu qu'elle vient de subir la pire de toutes, celle de voir rompre par la persécution la clôture de son couvent. C'était une bernardine des environs de Bayonne, dont la maison avait la curieuse spécialité de la confection du linge de femme. Monsieur l'archiprêtre de Saint-Méry, par qui elle m'est recommandée, m'avait vanté son talent de piqueuse à la machine avant que ta lettre m'apprît que ma coquette de nièce avait précisément besoin d'une femme de chambre couturière. (J'avais insisté, dans ma lettre, sur cette dernière qualité...) Quant à la mine, elle est modeste comme il convient à une religieuse si fraîchement sécularisée; mais je crois la personne apte à n'inspirer ni répugnance ni désirs malsains.»
»Ma sécularisée n'était en effet ni bien ni mal, pas ridicule, malgré le bonnet qu'elle portait sur ses cheveux courts. Oh! ces cheveux courts de sécularisée, croiriez-vous que c'était la préoccupation constante de cette malheureuse? Elle ne pensait qu'à ses cheveux courts, aux trucs pour les dissimuler, aux élixirs pour en hâter la pousse. Elle chipait de la brillantine à mon fils; elle appliquait, sur son crin noir et dru, le contenu de tous les flacons de nos tables de toilette, pâtes et parfums, jusqu'à, mesdames, de la vaseline boriquée!... «Vous êtes donc bien pressée de vous marier, ma fille?» lui disait mon mari, en plaisantant, car nous la tenions, malgré tout, encore un peu pour une religieuse. Il ne croyait pas si bien dire. La sécularisée n'était pas à Paris depuis six semaines qu'elle avait, hardiment, proposé le mariage à trois individus, au maître d'hôtel de madame Flochs, qui habite le rez-de-chaussée de l'immeuble; au boucher, qui est célibataire; au facteur des imprimés, un joli garçon, ma foi, s'il vous plaît! J'ai interrogé le brave Georges, mon homme de peine, parce qu'un doute me venait si les désirs de ma nouvelle femme de chambre n'étaient que de convoler en justes noces. L'honnête Georges m'a répondu textuellement: «Après que j'y ai eu dit que j'avais femme et enfants, pour être juste, elle a fini de m'asticoter, mais jusque-là, je ne l'aurais pas cru d'une ancienne bonne sœur: ma parole! elle était en feu...»
»Que reprocher, après tout, à une fille qui n'aspire qu'à des ardeurs légitimes?
»Ardeurs légitimes ou non, voilà un brasier qu'il n'est guère prudent d'entretenir dans une maison comme il faut. J'ai voulu renvoyer ma sécularisée à Cambrai, dont le climat, plus froid, lui eût été favorable; bernique! Elle a prétexté, pour rester à Paris, qu'elle n'oserait jamais reparaître là-bas avec des cheveux demi-longs. Je l'ai adressée à mon curé, qui a bien voulu en prendre la responsabilité.
—Et votre curé, qu'en a-t-il fait?
—Il l'a mariée rapidement, avec un garçon qui allait s'établir en Indo-Chine. Ce n'était pas une mauvaise fille; elle a pour monsieur le curé, qui lui a rendu ce service, une reconnaissance touchante; elle lui écrit tous les mois; dernièrement elle lui annonçait qu'elle attendait un bébé. Elle ajoutait naïvement: «Ça commence à ne plus y paraître que j'ai été religieuse...»
—Je vous crois!... si elle est grosse!...
—Oh! ce n'est pas cela qu'elle veut dire; elle est dépourvue de malice; cela la démange de faire savoir, même à monsieur le curé, que ses cheveux s'allongent!
»Avec tout cela, moi, me voilà une fois de plus sans femme de chambre. Par bonheur, j'avais encore, dans ce temps-là, le fidèle Georges; vous n'imaginez pas ce que cet homme était serviable et industrieux; du service d'une femme de chambre, il n'y a que deux choses que je n'osais lui demander: coudre et m'habiller. Je ne ris pas: je crois qu'il l'eût fait.
—Ah ça! racontez-nous comment vous avez pu vous séparer de ce Georges.
—Une minute, s'il vous plaît! Je n'en ai pas fini avec mes mésaventures. Mon mari m'ayant signifié qu'il s'opposait à tout envoi des béguinages cambraisiens, je me mets en quête à Paris même. De quatre points différents on me fait un éloge assourdissant d'une certaine madame Pâtard, veuve, cinquante et un ans, munie des plus brillants certificats; un seul défaut: elle est un peu chère. Je n'hésite pas; j'aurais doublé les gages pour avoir la certitude de n'être plus servie par une créature. En voyant madame Pâtard, je fus bien tranquillisée sur ce chapitre; elle ressemblait beaucoup plus à un gendarme retraité qu'à une femme qui eût jamais, même en sa jeunesse, possédé le moindre trait d'une courtisane. Eh bien, écoutez-moi; vous m'en croirez si vous voulez, mesdames: durant le service de madame Pâtard, mon appartement fut un lieu public, un bouge, le déshonneur de la maison et du quartier. Oh! celle-ci n'avait pas le défaut de Caroline; elle ne découchait pas, non! mais tout le domestique mâle, à cent mètres à la ronde,—m'affirma Georges, outré du scandale,—coucha chez moi. J'en eus la confirmation et le récit détaillé par la concierge, à qui je dis:
«—Madame Pâtard reçoit quelqu'un la nuit?
»—Oh! Madame est certainement dans l'erreur; comment donc que, par le carreau de la loge, un étranger m'échapperait?
»—Je vous dis que madame Pâtard reçoit, et chaque nuit, et tous les hommes des environs. Est-ce que la maison, avec ces visites nocturnes, est en sécurité, je vous le demande? Et je le demanderai à la propriétaire!
»—Oh! du moment que Madame a découvert le pot aux roses, je n'en suis pas fâchée, je l'avoue à Madame. On a bien de l'ennui avec les domestiques qu'on ne veut pas trahir... Mais Madame n'a pas été plus surprise que moi quand j'ai vu la queue qu'on faisait à la porte pour une personne de plus de cinquante ans sonnés!...»
»Je demandai à l'incorruptible Georges:
«—Dites-moi, Georges, j'espère qu'au milieu de tout cela vous êtes resté calme, vous, au moins?»
» A la seule idée de madame Pâtard, Georges eut un besoin incoercible de cracher, et, effectivement, il alla jusqu'à l'office. En revenant, son balai à la main, il me dit:
»—Si je devais jamais tant faire que de manquer à ma bourgeoise, ça ne serait pas pour une plus laide qu'elle!»
»Qui j'ai pris comme femme de chambre, après cela? Mesdames, j'étais folle, enragée; je voulais n'importe qui, pourvu que ce fût un monstre, un épouvantail. J'ai mis le comble à l'imprudence, paraît-il, mais je ne savais pas, je ne pouvais pas croire; il y a des horreurs, n'est-ce pas, qui dépassent notre entendement... J'ai pris une négresse!... une négresse plus repoussante que nature! Je ne pensais pas la garder longtemps, car son visage était à peu près intolérable, mais je pensais: «Au moins, pendant cet intérim, nous serons à l'abri des amours!»
»La négresse, mesdames? En moins de huit-jours, elle a empaumé mon fidèle Georges; elle l'a enlevé, littéralement enlevé; il a fui avec elle, abandonnant femme, enfants, clientèle!...
—Quand nous vous disions, madame Ablette, que Caroline était une perle!
LES ANGLAISES DE MADAME ABLETTE
—Si vous avez eu des ennuis avec vos femmes de chambre, chère madame Ablette, je crois qu'en revanche vos Anglaises vous ont donné satisfaction. On vous en a connu une, il y a deux ans, qui était tout à fait exquise: on l'appelait miss Lanlair, si je ne me trompe... est-elle en congé?
—Miss Lawler!... pauvre miss Lanlair!...—les enfants l'appelaient comme cela, en effet...—Ah! vous me rappelez à la fois d'excellents et de tristes souvenirs!... Mais non, je n'ai plus miss Lanlair, et je regrette bien qu'elle soit sortie de chez moi. Elle était bonne pour les enfants, intelligente, assez instruite même, et d'une excellente prononciation. Charles et Marie ont beaucoup appris avec elle; joignez à cela qu'elle avait-elle avait... à cette époque-là, du moins—une tenue exemplaire, ce qui, dans une maison comme il faut, est bien la chose la plus appréciable...
—Allons bon! quelque affaire de séduction encore, je parie?... Oh! ma pauvre madame Ablette!
—Il faut avouer que je n'ai pas précisément de chance. Il y a des maisons où l'on tient moins à la correction que chez moi, et qui sont plus favorisées sous ce rapport.
—Miss Lanlair était délicieusement jolie!...
—Mais figurez-vous que je n'ai jamais eu quoi que ce soit à reprocher à miss Lanlair; mes soupirs viennent des tribulations qui ont été la suite et la conséquence du départ de cette malheureuse fille... C'est toute une histoire; il faut que je vous la raconte.
»C'est miss Lanlair elle-même qui a voulu quitter la maison; et nous nous sommes séparées dans les meilleurs termes du monde; à telles enseignes que c'est moi, c'est moi, hélas! qui lui ai procuré une autre place de gouvernante. Je dis hélas! vous saurez tout à l'heure pourquoi. Ce n'était pas qu'elle se déplût chez nous, mais elle trouvait la maison trop modeste; elle voulait gagner davantage, et surtout, disait-elle, voyager, connaître du pays. Ces jeunes étrangères viennent en France avec l'idée d'apprendre quelque chose: c'est bien légitime.
»Je me mets donc en quatre pour découvrir à celle-ci ce qu'elle désirait. Elle ne connaissait absolument personne à Paris. Quant à nous, la plupart de nos relations sont composées de gens qui font peu d'embarras; trouver quelqu'un qui consente à payer cher et qui emmène la gouvernante des enfants en voyage, ça n'était pas si aisé. Pour satisfaire miss Lanlair, il nous fallait un monde tout à fait chic... Je m'avise d'en parler à mademoiselle Toussaud, l'institutrice française de ma fille, qui donne des leçons dans plusieurs grandes familles. Tout ce qui est arrivé par la suite est imputable en somme à mademoiselle Toussaud, qui, cependant, n'a péché que par innocence. Mademoiselle Toussaud est une maîtresse de français très capable, distinguée, une personne irréprochable, mais honnête à ce point qu'elle n'a pas la notion du mal. Mademoiselle Toussaud me dit:
«—Mais il y a précisément la princesse de... mettons de X..., car je ne peux pas vous donner son nom qui est trop connu, il y a la princesse de X... qui cherche en ce moment une Anglaise pour remplacer la sienne qui la quitte à la fin du mois. Des voyages, on en peut faire dans cette famille-là tant et plus qu'on en désire, car miss Hewlett, la gouvernante actuelle, en est harassée et ne veut plus entrer que dans une famille paisible...»
»Ici, j'arrête mademoiselle Toussaud:
»—Mademoiselle Toussaud: si, par hasard, cette miss Hewlett voulait permuter avec miss Lawler?
»—C'est une chose à voir et qui ne me paraît pas impossible, car miss Hewlett demande avant tout une maison calme et comme il faut.
»—Comment! une maison comme il faut? Mais est-ce que par hasard la maison d'où elle veut sortir?...»
»A ce seul doute émis par moi, mademoiselle Toussaud me regarde avec toute la franchise de son honnête et heureuse figure; et fait avec indignation:
»—Oh! la princesse...»
»Et la voilà qui éclate d'un fou rire à l'idée que j'aie pu concevoir un soupçon sur la pureté de la princesse ou de sa maison. La bonne mademoiselle Toussaud!
»—Mais, lui dis-je, et la princesse, j'espère au moins qu'elle n'est pas mécontente de miss Hewlett? Vous comprenez, chez ces gens-là, je n'irai pas m'informer moi-même; je dois m'en rapporter à vous.
»—Mécontente de miss Hewlett, la princesse! Mais, madame, la princesse adore miss Hewlett, tout le monde d'ailleurs adore miss Hewlett; le vieux duc, qui ne peut pas supporter qu'on parle une langue étrangère devant lui, est entiché d'elle; quant au jeune comte, son élève, si vous le voyiez avec sa gouvernante, c'est touchant! Elle seule parvient à le faire travailler:
»—Ah! dis-je à mademoiselle Toussaud, puisse-t-elle avoir le même ascendant sur ce paresseux de Charles!»
»Me voilà tout à fait gagnée à la proposition de mademoiselle Toussaud, et je me persuade qu'elle fera admirablement l'affaire de notre pauvre miss Lawler, d'autant plus que cette miss Hewlett semble faire admirablement la mienne. Point besoin d'écrire en Angleterre, d'attendre, de mourir d'angoisse en se demandant: «Qu'est-ce que va contenir cet envoi de Londres?» de payer la traversée, voire une seconde traversée si l'objet ne convient pas; vous savez, mesdames, en pareil cas, de quoi il retourne!... Quant aux garanties, mademoiselle Toussaud voit miss Hewlett depuis trois ans; cela me dispense de toute enquête. Enfin, pour plus de sécurité encore, je demande à la maîtresse de français:
»—Et avant d'entrer chez la princesse?...
»—Savez-vous, me dit mademoiselle Toussaud, par qui miss Hewlett a été présentée à la princesse? Par monsignor Pacca, tout simplement!»
»Devant de pareilles références, n'est-il pas vrai, mesdames, on n'a qu'à s'incliner.
»Eh bien, mais, le troc s'est fait avec une facilité surprenante, mon Anglaise ne rêvant que grandeur et agitation, l'autre se déclarant lasse de tout cela au point de consentir à une importante diminution d'appointements. On fait faire connaissance aux deux jeunes filles; on les laisse en rapports une demi-journée entre elles, afin qu'elles s'instruisent réciproquement des avantages et des inconvénients de leur charge, et, à la fin de cette même journée, mon Anglaise est installée chez la princesse, celle de la princesse chez moi. Aucune interruption dans les leçons aux enfants.
»Tout va donc au mieux; miss Hewlett nous paraît très bien... Autant qu'on peut juger sur le dehors, bien entendu, car elle ne parle pas plus le français que mon mari ni moi ne parlons l'anglais, et, d'autre part, j'apprends par mademoiselle Toussaud que miss Lanlair, pour ses débuts, est emmenée par la princesse au Caire! La princesse s'est toquée d'elle, paraît-il, l'a couverte de cadeaux dès la première quinzaine, lui a fait accepter une fourrure, une fourrure, mesdames!... Inutile de s'informer si notre miss est satisfaite! Du Caire, d'ailleurs, miss Lawler écrit, une fois, aux enfants, et elle demeure en correspondance avec miss Hewlett. Jusqu'ici, je puis le dire, c'est un plaisir d'avoir une Anglaise, n'est-il pas vrai? et c'est un plaisir d'en changer.
»Miss Hewlett, à la maison, se remplumait à vue d'œil. En entrant chez nous, elle était vraiment, comme elle l'avouait elle-même, un peu «flapie»—car si elle ignorait le français, elle savait, comme tous les étrangers, les mots qu'il ne faut pas employer.—Elle reprenait des couleurs, de l'entrain, moins jolie que miss Lawler assurément, mais, de beauté, vous l'avouerez, nous n'avions que faire. Elle plaisait aux enfants, savait les prendre; sur Charles, notamment, elle eut vite l'influence qu'elle avait exercée sur le jeune comte; elle l'amusait énormément, disait-il; c'est un miracle qu'elle accomplissait: elle avait raison de la paresse de mon fils.
»Pour ce qui est de l'anglais, nos petites affaires se poursuivirent ainsi, sans anicroche, pendant plus d'une année. Un beau jour, on m'annonce la visite d'une dame dont le nom ne me rappelle absolument rien. J'hésite à recevoir, je fais indiquer mon jour; la personne insiste avec une si extraordinaire ténacité que je vais moi-même jusqu'à l'antichambre, pour voir un peu à qui j'ai affaire. C'était, ma foi, une femme des plus distinguées. Elle m'expose en deux mots le but de sa visite: ma fille scandalise les élèves du cours de piano par l'usage perpétuel de certains termes et par la connaissance prématurée de certaines... particularités qu'ignorent généralement les jeunes filles bien élevées! Oui, c'est à moi, mesdames, à ma face, qu'on a tenu ce langage! Mon premier mouvement est de m'indigner, de nier la possibilité de la chose, comme bien vous pensez. On me réplique par des arguments tels que je prie la personne de m'excuser; je m'habille et je cours chez la maîtresse de piano. Chez la maîtresse de piano, on achève de me confondre. J'interroge ma fille par tous les moyens; j'emploie la sévérité, j'emploie la douceur:
«—Enfin, mon enfant, aurais-tu rapporté des propos sans en comprendre le sens? Tiens-tu, des domestiques, quelques termes qui ne soient usités ni dans le langage de ton père, ni dans le mien? S'il est échappé à ton frère, devant toi, des expressions douteuses, dis-le-moi!... Je n'ai pas, je suppose, à incriminer miss Hewlett?...
»—Oh! miss Hewlett!...» fait ma fille, exactement sur le même ton que mademoiselle Toussaud m'avait fait un jour: «Oh! la princesse!...»
»Le fait est que nous avions tous l'habitude de considérer miss Hewlett, grâce au prestige de son ancienne place et à son «flegme britannique», comme un exemplaire de correction tel que tout ce qui fût venu d'elle eût été tenu par les enfants pour le plus parfait modèle du bon ton. Bref, de mon enquête, je retire la conviction que, quels qu'aient pu être les propos, ma fille est totalement ignorante de leur signification. A onze ans, la pauvre chère petite!... Et j'en suis quitte pour changer de cours de piano, parti plus sage, à ce qu'il me semble, que celui qui eût consisté à provoquer enquête sur enquête pour obtenir justice. Quand il s'agit d'une enfant qui, dans quelques années, sera une jeune fille, le moins de bruit possible est ce qui convient le mieux. Je n'ai parlé de la chose à qui que ce soit.
»Mais ne voilà-t-il pas qu'au nouveau cours de piano la même observation m'est adressée? et, coup sur coup, que mon fils, à son institution Saint-Grégoire, subit une punition exemplaire pour un motif analogue!... Entre nous, les choses, du côté de mon fils, ont été poussées un peu loin; mais ceci est un autre épisode. Enfin, voici ce qui m'ouvre les yeux, hélas, trois fois, hélas, un an et demi trop tard!
»Depuis longtemps déjà, j'avais entendu mademoiselle Toussaud pousser des éclats de rire pendant la leçon de français; mais cette excellente fille est si gaie de nature, que l'idée ne m'était même pas venue de m'enquérir des causes de son hilarité. A l'issue d'une leçon, toutefois, mademoiselle Toussaud elle-même me prend à part et me dit:
«—Cette petite Marie est trop drôle; elle émaille ses devoirs français de termes forgés je ne sais comment; mais une inquiétude me vient; tirez-moi d'embarras, madame: ces termes ne sont-ils pas un peu shocking?»
» Je me précipite sur les cahiers et m'évertue à déchiffrer les termes déjà raturés par la main candide de mademoiselle Toussaud. Mesdames, je ne vous dirai pas ce que j'ai lu: c'était quelque chose d'inouï, d'inconcevable, d'ahurissant! C'était si fort que je comprends qu'à la rigueur la candeur de mademoiselle Toussaud ait pu ne provoquer au choc qu'un rire de surprise. Moi-même, je ne saisissais pas le fin du fin de ce vocabulaire. Je mets les cahiers raturés sous les yeux de mon mari: j'ai cru que le pauvre homme allait avoir une attaque!...
»La procédure pour atteindre la source d'une telle turpitude a été dès lors extrêmement simple. Elle n'avait pas été à notre disposition au cours de piano alors qu'on n'osait même pas nous répéter les expressions reprochées à ma fille. Mais devant un mot écrit par elle, raturé par sa maîtresse de français, rétabli au net, nous n'avons eu que la peine de l'indiquer du doigt et de demander à l'enfant: «Qui t'a appris ce mot-là?» La chère petite a répondu sans hésitation: «Miss Hewlett.»
»Ah! par exemple, ceci était un peu fort!
»Je fais appeler sur-le-champ l'Anglaise:
»—Miss Hewlett, vous connaissez ce mot-là?... Et celui-ci?...
»—Yes!...» Elle n'a pas rougi, mesdames; elle ne s'est pas émue une seconde. «Oui, certainement»; elle connaît ce mot-là, et celui-ci; on eût juré qu'elle s'attendait à ce que nous lui en fissions compliment! «Vous le savez! vous le savez!... Mais, malheureuse, il est impossible que vous en compreniez la portée; vous n'oseriez pas enseigner cela à des enfants! A quelle occasion, où, en quelle circonstance ont-ils appris ces mots par vous?... Répondez!» Elle ne se trouble point; elle ne fait point de difficulté pour répondre; elle tire de son corsage une lettre où je reconnais aussitôt l'écriture de miss Lawler, et elle me fait entendre, tant mal que bien, qu'elle donne à lire aux enfants des textes d'écritures cursives. On leur recommandait, en effet, de s'exercer à lire des spécimens divers de mains anglaises. Et elle nous tend la lettre de miss Lawler.
»Mon mari s'en saisit, comme d'une pièce à conviction précieuse; il la parcourt: des mots, malheureusement français, qui attirent son regard, lui confirment amplement que les lettres de notre ancienne Anglaise contiennent tout ce qui fait l'objet du débat. Il met la pièce dans son portefeuille et l'emporte à son bureau pour la donner à traduire; l'employé qui lui remet la version française dit à son patron: «On en entend de raides dans les caf'conc' et les petits théâtres, par le temps qui court; mais des comme ça, non, tout de même pas.»
»Dans cette lettre, mesdames, miss Lanlair ne faisait que raconter avec une franchise et une simplicité puériles sa vie chez la princesse. Je ne vous narrerai pas, aujourd'hui, quelle était sa vie chez la princesse... Qu'il vous suffise de vous rappeler les cadeaux du début, la fourrure!... Elle usait, dans le détail des péripéties, et non sans une pointe de pédantisme, des termes que le vieux duc, sans doute, et le jeune comte aussi, et des jeunes gens du meilleur monde lui apprenaient en jouant de son ingénuité... et du reste! Et la vie de mon ex-Anglaise chez la princesse, mon Anglaise actuelle l'y avait menée, identiquement, pendant trois ans!...
—Pauvre, pauvre madame Ablette!...
—Avant de prier miss Hewlett de quitter ma maison, j'ai essayé de lui faire honte pour avoir infligé à mes enfants, sous mon toit, une éducation monstrueuse. Elle bredouillait je ne sais quelles excuses en sa langue. Je demande à mon fils Charles qui se trouvait là: «Qu'est-ce qu'elle dit donc?» Charles me répond: «Elle dit qu'elle croyait que ça ne faisait pas matière... c'est-à-dire que ça ne faisait rien.»
L'INTRANSIGEANT
A Jacques des Gachons.
I
Madame Varennes accompagnait son fils à la gare du Nord, à la suite d'un séjour de trois mois à l'hôpital et d'un assez long congé de convalescence accordé au jeune capitaine. Il avait encore ses yeux, ses membres. Il repartait cependant moins alerte que les fois précédentes, non qu'on ne pût constater chez lui, comme on dit, un moral excellent; mais il semblait que l'homme eût été atteint, durant presque un semestre vécu à Paris, d'une autre blessure secrète qui échappait à tout le monde (mais qu'une mère soupçonnait).
Elle la soupçonnait sans savoir en aucune manière de quelle nature elle pouvait être, car François était sur toutes choses et particulièrement sur lui-même d'une discrétion de tombeau. Il se déclarait satisfait aujourd'hui d'aller retrouver les camarades—ceux qui restaient, hélas!—On savait que ni l'idée de la terrible guerre ni l'appréhension des vides qu'il allait constater à son arrivée au secteur n'étaient propres à troubler une âme comme la sienne. Et son âme paraissait altérée. La pauvre maman qui avait, elle, toutes les angoisses auxquelles le cœur de ces jeunes guerriers échappe ou qu'il étouffe, était doublement attristée du départ.
Aux guichets, les hommes, à la queue leu leu, se présentaient sans empressement mais avec cette stoïque résignation qui fait frémir celui qui la comprend. Des officiers, de simples poilus, médaillés, chevronnés, gonflés de vêtements de dessous, et leurs femmes, leurs enfants, leurs mères, leurs maîtresses aussi, formaient une foule dense, non bruyante ni fiévreuse, ni enthousiaste, ni accablée, larmoyante pourtant ici et là, gouailleuse aussi par endroits, une foule qui ne semblait pas être de la même race que celle des premiers départs, déjà anciens, une foule vieillie d'un siècle ou de dix siècles en trois ans et demi, une foule pénétrée par la sagesse virile, une foule grave où chaque cœur battait à se rompre sans qu'aucun signe en trahît l'émoi, une foule qui a épuisé tous les modes de courage, qui est au-dessus des adversités, une foule qui emboîte le pas à l'ambulante et invisible statue du Destin, une foule auguste, presque en permanence depuis des années dans ces deux gares de l'Est et du Nord dont elle rend chaque pierre à jamais sacrée.
Madame Varennes était arrivée là avec son fils, beaucoup trop tôt. Tous deux allaient, venaient, puis demeuraient immobiles et silencieux. Le capitaine cherchait à reconnaître des visages parmi ceux des permissionnaires, mais sa mère ne regardait que le visage du capitaine.
Elle ne put manquer d'en voir un autre, cependant, qui se distinguait de tous par son immobilité, sa solitude, son expression douloureuse et aussi par son originale beauté. C'était celui d'une très jeune femme aux cheveux blonds, simplement mise, mais non sans goût. Depuis dix minutes madame Varennes la voyait au même endroit, debout, là-bas, contre le bureau d'enregistrement des bagages. Et à quelque moment que la vieille mère regardât la jeune femme, elle rencontrait ce regard auquel la douleur communiquait une singulière puissance. Dès le premier contact, elle avait failli faire part de sa remarque à son fils, mais une idée de mère l'en avait aussitôt empêchée. Immédiatement elle avait pensé que cette jeune femme si belle et si triste était là pour son fils. La persistance du regard dirigé non pas sur elle, en vérité, mais sur son fils, la confirmait dans son intuition première, et une seule chose la déroutait, c'était que son fils, même à la dérobée, ne regardait pas la jeune femme.
Il ne la regardait pas, la mère en était sûre, car elle le surveillait habilement. Et s'il l'eût regardée, ne fût-ce que le quart d'une seconde, est-ce que l'autre, là-bas, n'eût pas eu un instant de détente en son attitude désespérée? Dès lors la mère commença de s'inquiéter. «Si je n'étais pas là, se disait-elle, ils seraient dans les bras l'un de l'autre...» Elle savait son François d'une correction sévère; qu'il fût capable de quitter sa mère pour approcher seulement de sa maîtresse, non, elle ne le croyait pas, bien que ce ne fût certes pas elle qui lui eût inculqué des principes aussi rigoureux: elle était bien trop indulgente et bonne! Mais qu'il ne fît à la malheureuse même pas un signe gentil,—un sourire que la vieille maman à côté n'est pas obligée d'apercevoir, que diable!—non, c'était d'un garçon trop bien élevé. Son père, jadis, avait autrement de libertés en ses manières; mais elle se souvenait aussi du grand-père qui, pour tout ce qui concernait la soumission aux usages, était déconcertant. Elle prétexta, tout à coup, le désir d'aller acheter un magazine au kiosque de journaux. Ce fut elle, la mère, qui s'échappa! Mais le capitaine, sans la quitter d'une semelle, fut à son côté lorsqu'elle chercha de la monnaie pour payer la publication dont elle n'avait aucun besoin, et il lui en offrit galamment.
Alors elle lui dit:
—François, il y a là-bas une petite dame, jolie, ma foi, à qui tu ne parais pas déplaire...
Elle vit sa joue, dont les mois de repos avaient ramené la peau à une blancheur de fille, se couvrir d'une rougeur qui lui rappela le temps de l'adolescence et des timidités de ce garçon. Elle avait dit: «là-bas» sans faire aucun signe, et l'œil du capitaine s'était porté instantanément «là-bas», exactement «là-bas»—oh! le temps inappréciable d'un éclair.—Le capitaine savait donc où se trouvait la jeune femme; et puis, se ressaisissant aussitôt, il avait répondu simplement:
—Des bêtises, maman.
Et il avait recommencé de faire les cent pas avec sa mère.
L'heure du départ approchait. Madame Varennes mêlait au drame de son propre cœur le drame qu'elle imaginait et suivait «là-bas» derrière ces deux yeux bleus humides, aux sourcils contractés et dont l'expression tragique était inoubliable. Le capitaine se plaça brusquement devant sa mère et l'embrassa avec tendresse, après s'être découvert:
—Allons, maman, du courage, adieu!
—Mon enfant! mon cher enfant!...
Puis il s'éloigna vite. Elle l'accompagna du regard au milieu de la cohue, et elle vit la jeune femme, contre le bureau d'enregistrement des bagages, qui portait tout son corps gracieux en avant, un bras au-devant de son corps, un mouchoir à la main. Et elle vit que tout ce don dernier de soi et ce grand geste désolé étaient perdus. Le capitaine ne se retourna pas. Alors ses larmes, qu'elle avait contenues jusque-là, jaillirent tout à coup; elle aussi tira son mouchoir, et, dans son épanchement, elle ne savait plus si sa douleur était uniquement personnelle ou si elle pleurait aussi la douleur de cette enfant charmante, là-bas, qui aimait son fils.
Quand elle eut fini de s'éponger les yeux, la jeune femme avait disparu.
II
Quelques mois plus tard, madame Varennes, essayant une paire de gants dans un magasin, rue Daunou, fut servie par une personne qu'elle n'avait pas coutume de voir, et lui demanda:
—Vous êtes nouvelle, mademoiselle?
—Oui, madame, je vendais auparavant dans le voisinage, mais j'ai été malade et j'ai perdu ma place.
—Vous êtes encore pâlotte, mon enfant. Il faut se surveiller à votre âge: prenez donc des gouttes...
Et elle indiqua à sa vendeuse un remède qu'elle croyait excellent contre l'anémie, les suites de grippe, etc. Pourquoi s'attendrissait-elle sur le sort de cette jeune fille de magasin qui lui chaussait les doigts, un à un, avec une adresse et une douceur d'ailleurs remarquables? Etait-ce à cause de ses qualités simplement? Elle n'eût pu le dire. Elle lui trouvait une ressemblance avec quelqu'un qu'elle devait connaître et ne reconnaissait pas. Et elle s'étonna elle-même de l'obstination qu'elle mit, même une fois dehors, à se demander où elle avait vu auparavant cette vendeuse un peu pâle et de figure peu commune.
Cette idée alla jusqu'à la taquiner si bien, qu'elle retourna rue Daunou sous le prétexte qu'un de ses gants était décousu. Elle était agitée ce jour-là, il est vrai, la tête même à l'envers, car son fils était sur la Somme; elle avait manqué, deux courriers de suite, des nouvelles ordinaires; et elle confiait un peu à tout venant son inquiétude. Une jeune fille se présenta à elle pour la servir: elle fit signe qu'elle attendait celle à qui elle avait eu affaire précédemment.
—Comment vous appelez-vous? lui demanda-t-elle aussitôt qu'elle l'eut à sa disposition?
—Mademoiselle Jeanne, madame.
--- Eh bien, mademoiselle Jeanne, comment va votre petite santé?... Vous avez l'air joliment requinquée!... Vous savez que ce n'est pas pour des gants que je suis venue, quelque-chose en vous, m'intéresse...
—Vous êtes bien bonne, madame: oh! pour ce qui est de moi, quand le moral va, tout va!
—A qui le dites-vous! C'est moi, à mon tour, tenez, qui ne vaux pas cher aujourd'hui... Quand on a son fils unique sur la Somme et qu'on est depuis dix jours sans un mot...
Mademoiselle Jeanne, discrète, lui chaussait doucement les doigts à petites caresses répétées sur la peau de chamois. Elle prenait la figure de circonstance: on entend de ces plaintes-là, de la part des clientes, tous les jours. Mais elle regarda la vieille dame plus attentivement:
—Sur la Somme?... dit-elle.
—Oui, oui. Il est capitaine... Près de dix jours, mademoiselle... Ah! c'est à mourir, vous savez...
Et sa main maternelle tremblait entre les doigts délicats de mademoiselle Jeanne.
Et les doigts de mademoiselle Jeanne se mirent tout à coup à s'émouvoir également. Elle venait de reconnaître la mère de son amant adoré, la vieille dame à cause de qui, lui si aimant, si tendre, il avait été impitoyable pour elle à la gare; à cause de qui, après des adieux éperdus dans leur chambre, il lui avait interdit de venir lui faire un suprême adieu; à cause de qui, lui qui depuis dix mois ne semblait vivre que pour elle, en partant pour le front, il ne l'avait même pas regardée!... Un sentiment de rancune et un sentiment de commisération se heurtaient en elle, puis venait s'y joindre celui de sa situation étrange vis-à-vis de cette femme à cheveux blancs, enfin celui de sa situation de vendeuse. Or, elle avait, elle, des lettres du capitaine, des lettres où, l'incident de la gare oublié, l'amant revenait à la plus folle tendresse. Laisser souffrir une pauvre maman quand on tient là, sur sa poitrine, de quoi la rasséréner!... Tout cela produisait un chaos dans son beau regard de blonde. Madame Varennes leva tout à coup les yeux sur elle et fit:
—Ah!
Ce fut tout. Elle n'ajouta pas un mot. Elle venait, à son tour, de reconnaître le visage angoissé qu'elle avait vu à la gare du Nord.
Mademoiselle Jeanne rougit, mais ne cessa pas d'accomplir sa fonction. Elle enveloppa la paire de gants, la remit à sa cliente et accompagna celle-ci à la porte. Là, quelque chose de plus puissant, qu'elle-même lui fit dire:
—Vous aurez des nouvelles en rentrant, madame!
Madame Varennes tremblait de tous ses membres:
—Les vôtres datent de quand?... les vôtres?
—Les dernières? d'aujourd'hui à midi, madame. Bonnes, très bonnes.
La vendeuse reçut un «bonjour, mademoiselle» comme il ne lui en avait jamais été adressé de sa vie. Dans le taxi qui l'emportait chez elle, madame Varennes réfléchit au caractère insolite du cas, et se demanda si dans son «bonjour, mademoiselle» et dans son sourire à la blonde jeune femme, toutes les convenances n'avaient pas été transgressées. Elle se demanda cela surtout plus tard, lorsqu'elle tint elle-même sa lettre du capitaine et les nouvelles «bonnes, très bonnes». Elle se le demanda quelques semaines après, lorsqu'elle eut besoin d'une paire de gants. Ne voilà-t-il pas qu'elle hésitait à aller au magasin de la rue Daunou?
Elle hésita quelques jours et s'aperçut que son hésitation venait non pas tant de la crainte de se trouver en contact avec la maîtresse de son fils, que d'un désir immodéré qu'elle éprouvait au contraire d'approcher d'elle. Cependant elle se refusa à décider qu'elle irait rue Daunou; elle alla d'abord faire une visite dans le quartier; elle alla à la Pharmacie anglaise, rue de la Paix. Si elle prit la rue Daunou? mais c'est que la rue Daunou la ramenait tout naturellement à son métro. Et puis, paf! elle ouvrit, comme par habitude, la porte du magasin.
On savait qu'elle désirait être servie par mademoiselle Jeanne; on la laissa s'asseoir en attendant que mademoiselle Jeanne fût libre. Mademoiselle Jeanne vint à elle, aussitôt libre, et atteignit le carton contenant les gants «comme d'habitude, madame?»
Comme d'habitude, madame Varennes se laissa ganter. Elle ne s'informa point de la santé de mademoiselle Jeanne qui, cependant, cette fois, semblait laisser à désirer.
Les deux femmes ne disaient rien. Peut-être écoutaient-elles leurs cœurs battre...
Au moment où mademoiselle Jeanne, triste et pâle, allait envelopper les gants, madame Varennes, la regardant, eut une inquiétude soudaine:
—Vous n'avez pas de mauvaises nouvelles, au moins?
—Hélas! madame, dit mademoiselle Jeanne, je n'en ai pas!
—Mais si! Mais si! J'en ai, moi, fit la mère; j'en ai régulièrement. Elles sont bonnes, très bonnes...
Les joues de la jolie vendeuse se colorèrent un peu:
—De vous voir, dit-elle, ça m'avait déjà remise et surtout de vous voir prendre comme à l'ordinaire des gants chamois... Oui, oh! dès l'instant que les choses ne vont pas bien pour nous, nous voyons tout en noir, n'est-ce pas?
—Pauvre petite! Tranquillisez-vous...
—Oh! pour moi, madame, c'est fini. Je sais ce que c'est: j'ai fait la gaffe... Oui, oui... Pensez... Je ne cachais rien, moi; je n'ai pas de secrets. Je racontais tout... Alors voilà, j'ai tout raconté...
—Tout?... Mais quoi donc, ma pauvre enfant?
—Tout: mais ça; vous, moi, à cette porte de magasin: les nouvelles que je vous ai dites pour vous tranquilliser... Songez qu'il y avait eu déjà le fait de la gare qui n'avait pas passé facilement... Alors ça, ç'a été le comble: je ne reçois plus rien, rien...
Elles étaient sur le pas de la porte. Mademoiselle Jeanne avait les larmes aux yeux. On la rappelait dans le magasin. Madame Varennes ne put que lui jeter un banal «bonjour, mademoiselle» et, une fois sur le trottoir, eut conscience qu'elle entretenait des relations tout à fait incorrectes et dont, en effet, elle ne pourrait pas du tout parler à son fils.
III
Elle contint, durant un assez long temps, l'élan naturel de son cœur. Elle commit même une petite infidélité au magasin de la rue Daunou.
Mais les événements de la guerre la foudroyèrent. Un triste jour vint où elle commanda son deuil, tout entier, y compris les gants, dans une maison spéciale.
Cependant, comme elle traînait dans Paris sa détresse, une après-midi, elle ne put se retenir d'entrer dans son magasin habituel.
Mademoiselle Jeanne ne fut pas surprise de la voir sous le crêpe. D'elle-même elle atteignit le carton des affreux gants noirs et elle fit essayer à sa cliente le Suède funèbre. Ni l'une ni l'autre des deux femmes ne prononçaient un mot. Pensaient-elles à l'inconvenance d'une parole dont l'ombre du héros chéri se fût offensée?... Les doigts tremblants de l'amoureuse caressaient doucement les doigts tremblants de la mère. Mais tout à coup ceux-ci firent sentir à ceux-là une pression si tendre et si prolongée que l'essayage en fut suspendu...
LES JEUNES FILLES AU JARDIN
A Colette Yver.
Marthe, Lucile et Marie escaladèrent les premières le petit sentier en pente raide qui se détachait de la route pour pénétrer de biais dans la fameuse allée des cyprès de la villa Mazzarin. Heureuse et gaie, faisant la folle, Marie lâcha soudain ses deux amies et revint sur ses pas, voir comment sa mère et son fiancé se tiraient d'affaire dans le sentier: mais, au bras de Robert, qui donc n'eût franchi des abîmes! Madame de Salanque se laissait presque porter par son futur gendre, grommelant un peu contre les fantaisies incorrigibles de sa fille, mais heureuse, au fond, de penser que sa chère enfant serait bientôt la femme d'un garçon si robuste et si beau, si bon aussi, car il semblait, en vérité, qu'il eût tout pour lui, ce Robert. Marie, du haut du sentier, le regardait avec admiration, et quand elle le remercia d'avoir si gentiment hissé la pauvre maman essoufflée, il y avait dans son sourire et dans le ton qu'elle employa, un bonheur sain, un épanouissement naturel et sans réticence. On la trouvait généralement plus jolie quand elle était près de son bel athlète parce qu'il semblait lui communiquer de son parfait équilibre, de sa force tranquille,—de sa «sérénité», ajoutaient avec malice, et en jouant sur le mot, ses deux amies, Marthe et Lucile, qui étaient peut-être un peu jalouses... Car ce beau Robert n'était point un serin, c'était tout simplement un homme de sport, et qui n'allait pas, bien entendu, comme ces jeunes filles, s'extasier, s'affoler dans l'allée de cyprès de la villa Mazzarin, y voir le dôme de Cologne, les Boboli, la villa d'Este; non, Robert, d'un seul coup d'œil, avait, de cette allée, mesuré la longueur et le degré d'inclinaison, et il déplorait que, si bien plantée, elle ne pût, à cause de sa pente excessive et de son étroitesse, permettre le passage des autos.
—Je fais le pari de monter cela avec ma cinquante-chevaux, si l'on veut me raser une rangée d'arbres, à droite ou à gauche!...
A là seule idée de voir abattre de tels arbres, les trois jeunes filles et madame de Salanque elle-même poussèrent un cri d'horreur.
Robert les heurtait ainsi, parfois, sans le vouloir.
Ils se trouvèrent tout au bas des jardins qui s'échelonnaient en terrasses, à l'italienne. Un plan incliné, pavé de petits œufs, s'offrait à leur vue, coupé, à plusieurs reprises, par des marches, et semblant aboutir à une grotte rustique, sous un cèdre majestueux, fier, un peu théâtral, tendant le bras comme l'Apollon du Belvédère. Ce joli chemin était bordé d'iris en fleurs; le parfum des giroflées l'embaumait; des bois d'orangers profonds, odorants et muets, attiraient à droite et à gauche; une forêt de bambous chuchotaient mystérieusement à la brise. Marie, toujours la plus sensible, s'extasiait.
Le miracle de ces jardins, c'est de nous soulever peu à peu, par une habile gradation d'attraits, au-dessus du plan ordinaire de la vie, et de nous offrir, en surprise, de ces paysages soudainement élargis où nous puisons l'illusion d'un agrandissement de nous-mêmes, d'une enivrante dilatation de notre cœur, de notre esprit, de tous nos sens.
Les trois jeunes filles émerveillées couraient en avant, s'accoudaient au vieux mur bas, garni d'une housse de lierre; leurs têtes gracieuses se découpaient sur le pur horizon; puis on les voyait revenir, un doigt sur la bouche, faisant signe à madame de Salanque et à Robert de parler bas pour demeurer plus longtemps seuls dans un endroit si beau. Elles s'éparpillaient dans les parterres de giroflées, sous les bois de citronniers, derrière les arceaux de bancias fleuris; elles se penchaient à la margelle de citernes hors d'usage, et paisibles à vous donner le frisson... Elles revenaient tout émues retrouver madame de Salanque et le fiancé de Marie qui s'obstinait à ne pas mettre de sourdine à sa voix pour exposer à sa future belle-mère les péripéties de la dernière course de cruisers de Monaco à laquelle il avait pris part.
—De grâce! mon cher Robert, dit Marie, un peu fâchée, vous nous raconterez vos exploits plus tard, et ailleurs; mais ici, voyons, taisez-vous au moins cinq minutes!...
En effet, l'heure était particulièrement délicieuse en cet endroit privilégié; le jour baissait; la cime dentelée de la grande muraille des cyprès s'aiguisait finement sur le ciel du couchant; contre le fond assombri des verdures, quelques débris de marbres, une Flore, une Pomone, un Persée, prenaient une vie recueillie, secrète et saisissante; les buis exhalaient leur odeur âpre et forte, et de tous les toits visibles de la ville, qu'on dominait, les fumées des repas du soir montaient en spirales légères dans l'air parfaitement immobile; une clochette tinta à un couvent du voisinage, et tout le long faubourg aux toits roses sembla secouer ses campaniles; puis, un moment, tout se tut. Sur la crête du petit mur à la housse de lierre, un chat avançait, une à une, et sans aucun bruit, ses pattes de velours.
A ce moment, parut, tout au bout de l'allée centrale, un grand jeune homme qui venait en pressant le pas; il tenait son chapeau à la main, il n'était ni beau ni laid; ces dames ne l'avaient jamais vu; il était envoyé vers elles parce qu'on les avait aperçues de la villa et qu'on les croyait égarées. Il expliqua cela rapidement, puis, comme il y avait un moment d'embarras, il dit une parole quelconque, mais par hasard heureuse, et qui tomba dans l'esprit tout préparé des jeunes filles, comme une cuillerée d'encens sur la braise:
—L'heure est si belle!... dit-il.
—Oh! monsieur! s'écria Marie, la première, en joignant les mains.
Et toutes trois se groupèrent autour de ce jeune homme comme si elles le connaissaient de longtemps; pour lui, elles dirent adieu sans regret à la vue, aux parfums, à «l'heure si belle». Avec celui qui avait eu la chance d'apparaître au moment favorable et de flatter d'un mot leurs âmes déjà charmées, elles montèrent vers la villa Mazzarin, sans un regard en arrière.
Le beau Robert marchait flegmatiquement à leur suite, poursuivant sans doute en pensée sa course de cruisers, aveugle au petit drame presque inapparent qui venait de se jouer sous ses yeux. Madame de Salanque, qui avait surpris le mouvement spontané et inquiétant de sa fille, en reprenant le bras de son futur gendre lui dit:
—Vos bateaux, vos bateaux, Robert, c'est très gentil, et vous les conduisez à merveille... Mais, au fait, dites-moi: savez-vous conduire l'imagination d'une femme?...
DU MÊME AUTEUR
CONTES
| LES BAINS DE BADE | 1 | vol. |
| LE BONHEUR A CINQ SOUS | 1 | — |
| LA LEÇON D'AMOUR DANS UN PARC | 1 | — |
| LA MARCHANDE DE PETITS PAINS POUR LES CANARDS | 1 | — |
| NYMPHES DANSANT AVEC DES SATYRES | 1 | — |
ROMANS
| LE MÉDECIN DES DAMES DE NÉANS | 1 | vol. |
| SAINTE-MARIE-DES-FLEURS | 1 | — |
| LE PARFUM DES ÎLES BORROMÉES | 1 | — |
| MADEMOISELLE CLOQUE | 1 | — |
| LA BECQUÉE | 1 | — |
| L'ENFANT A LA BALUSTRADE | 1 | — |
| LE BEL AVENIR | 1 | — |
| MON AMOUR | 1 | — |
| LE MEILLEUR AMI | 1 | — |
| LA JEUNE FILLE BIEN ÉLEVÉE | 1 | — |
| MADELEINE JEUNE FEMME | 1 | — |