Le Fils de Coralie: Comédie en quatre actes en prose
ACTE QUATRIÈME
Même décor.
La table est enlevée.
SCÈNE PREMIÈRE
CÉSARINE, GODEFROY, BONCHAMP.
CÉSARINE.
C'est effrayant ce que vous me racontez là! Comment Mme Dubois est une de ces femmes qui...
BONCHAMP.
Oui, mon amie, c'est une de ces femmes que...
CÉSARINE.
Mon désespoir n'a plus de bornes.
GODEFROY.
Comment annoncer à Édith que son mariage est rompu?
BONCHAMP.
Parbleu! c'est la grande difficulté. Crois-moi, il faut éviter avant tout que ta fille nous accuse de disposer de son bonheur à la légère. Il importe donc qu'elle croie que la rupture vient de Daniel.
CÉSARINE.
Ce conseil est excellent!
Excellent!... Excellent!... Je les ai suivis, vos conseils, jusqu'à présent, et vous ne m'avez fait commettre que des sottises! (A Césarine.) Tu as voulu du roman, eh bien! en voilà du roman! Est-ce qu'il te plaît, ce roman-là?
CÉSARINE.
Hum!... non. Je trouve qu'il se corse trop; aussi je donne raison à Bonchamp. Tu ne peux pas expliquer à ta fille pourquoi elle n'épouse plus Daniel, n'est-il pas vrai?
GODEFROY.
Je lui dirai...
BONCHAMP.
Tu ne lui diras rien du tout. Si tu veux le savoir, j'ai peur qu'Édith ne tombe malade.
GODEFROY.
Édith tomber malade parce qu'elle ne sera pas la femme de ce capitaine?
CÉSARINE.
Certainement!
GODEFROY.
A vous entendre, on croirait que j'ai donné le jour à un phénomène! Édith est ma fille, je suppose? Eh bien, elle doit tenir de moi. J'aimais beaucoup ma femme. Si je ne l'avais pas épousée, j'aurais eu un réel chagrin, mais je n'en serais pas mort... ni elle non plus.
BONCHAMP.
Mon bon ami, tu déraisonnes; gentiment, mais tu déraisonnes. Dieu garde ta fille d'une souffrance pareille à celle de ce malheureux garçon! Quand je l'ai vu ce matin, il m'a fait mal. Et sa mère assiste à ce martyre, qui est son ouvrage! Cependant, il n'a pas hésité quand je lui ai demandé un nouveau sacrifice. Je lui ai dit ce que je t'ai dit à toi, ce que ta sœur ne cesse de te répéter: Il faut que la rupture vienne de Daniel! Autrement, Édith nous en voudra, elle nous accusera. Si elle se croit oubliée, elle souffrira beaucoup tout d'abord; mais comme elle est fière, après un temps plus ou moins long, l'orgueil guérira l'amour.
GODEFROY.
Alors il va venir ici?
BONCHAMP.
Oui.
GODEFROY.
Cela m'ennuie de le voir, moi, ce garçon.
CÉSARINE.
Tu ne le verras pas. Le domestique nous préviendra de l'arrivée de Daniel.
GODEFROY.
Mon Dieu, va-t-on cancaner dans Montauban!
LE DOMESTIQUE, entrant.
Voici le capitaine Daniel, mademoiselle.
CÉSARINE.
Allons, viens! Il vaut mieux que Bonchamp reste seul avec lui.
GODEFROY, levant les bras au ciel.
Quelle aventure! mon Dieu, quelle aventure!
(Il sort avec Césarine.)
SCÈNE II
BONCHAMP, puis DANIEL.
BONCHAMP.
Pauvre garçon! Il est innocent de ces fautes, pourtant!
Daniel entre très pâle. Bonchamp va vers lui et lui tend la main.
DANIEL.
Vous voyez que je tiens ma promesse, monsieur.
BONCHAMP.
Avez-vous réfléchi à ce que je vous ai demandé ce matin?
DANIEL.
Oui.
BONCHAMP.
Et vous consentez?
DANIEL.
Je consens.
BONCHAMP.
Merci.
DANIEL.
Je ferai croire à Édith que la rupture vient de moi, puisque vous espérez qu'elle souffrira moins longtemps si elle peut m'accuser d'oubli.
BONCHAMP.
Je l'espère en effet. Elle vous aime. Quelle raison lui donnerait-on pour expliquer la vérité?
DANIEL.
Oui, mieux vaut qu'elle m'accuse, qu'elle me maudisse. Ainsi je vais travailler à détruire moi-même l'amour qu'elle a pour moi. Savez-vous pourquoi j'ai consenti à ce que vous vouliez? Je souffre tant de la perdre, que je la plains de souffrir autant que moi.
BONCHAMP.
Mon pauvre enfant, me pardonnerez-vous d'être la cause de ce désastre?
DANIEL.
Je n'ai rien à vous pardonner: vous avez rempli votre devoir. J'aurais agi de même à votre place. Bien que vous ayez porté le coup qui me tue, j'ai pour vous une estime singulière. Aussi, voudrais-je vous demander un avis.
BONCHAMP.
Lequel?
DANIEL.
Suis-je un honnête homme?
BONCHAMP.
L'un des plus honnêtes que je connaisse. Votre question m'étonne, je l'avoue.
DANIEL.
Ah! Monsieur, c'est que je n'y vois plus clair! Hier je me suis enfermé dans ma chambre, j'ai pris ma tête entre mes mains et je me suis dit: «Je suis le fils de Coralie, que dois-je faire?» J'ai la fièvre! Pensez donc que j'ai grandi portant au front la tache originelle de l'argent infâme. C'est cet argent qui a payé mes études, cette science dont j'étais si fier; qui a payé mes plaisirs d'enfant, mes plaisirs d'homme fait. Pensez que j'ai vécu dans le luxe relatif d'un officier presque millionnaire, que je m'accuse d'avoir été trop crédule. Comment! Je me savais bâtard, et je me suis étonné de me trouver si riche! Je ne me suis pas dit que les fortunes d'un million ne courent pas les rues! Lorsque je témoignais ma surprise de n'avoir ni parents, ni cousins, on me répondait, en alléguant la tache de ma naissance, que les miens ne me pardonnaient pas. Et je n'ai jamais douté! j'ai cru tout ce qu'on a voulu me faire croire. Alors je me demande si ma crédulité n'était pas intéressée... La fièvre me gagne, et je me dis: «Suis-je un honnête homme?»
BONCHAMP.
Ce n'est pas de la fièvre, c'est de la folie.
DANIEL.
De la folie!
BONCHAMP.
Eh oui! vous croyez à l'hérédité morale, à l'hérédité physique, un tas de billevesées qui rabaissent l'humanité, et vous vous dites: «De qui suis-je le fils? De Coralie. Donc je suis un malhonnête homme.» Vous êtes vous-même la condamnation vivante de vos idées philosophiques. Vous souffrez de ce que la fortune de votre mère ait payé vos études? La science n'est pas acquise par l'argent, mais par l'intelligence. Enfant, vous avez travaillé; homme, vous avez été un héros; aujourd'hui encore vous brisez votre vie pour ne pas briser le cœur de votre mère. Et vous demandez si vous êtes un honnête homme!
DANIEL.
Ah! vous me faites du bien!
BONCHAMP.
Je me reproche maintenant le conseil que j'ai donné à Godefroy. Revoir Édith... feindre une rupture... cela va vous faire encore souffrir.
DANIEL.
Je m'habitue.
BONCHAMP.
Brave cœur!
SCÈNE III
Les Mêmes, ÉDITH.
ÉDITH.
Ah! Enfin, vous voici donc, Daniel! Pourquoi ne vous a-t-on pas vu ce matin?
BONCHAMP.
Il va t'expliquer tout cela. Je vous laisse.
ÉDITH.
Mais...
BONCHAMP.
Je vous laisse.
(Il sort.)
SCÈNE IV
ÉDITH, DANIEL.
ÉDITH, le regardant.
Vous souffrez?
DANIEL.
Oui, je souffre, car j'ai un aveu pénible à vous faire.
ÉDITH.
Lequel?
DANIEL.
Notre mariage est impossible.
ÉDITH.
Impossible!
DANIEL, très simplement.
Je n'ai pas voulu annoncer cette rupture à M. Godefroy avant de vous en avoir fait part à vous-même. De graves difficultés ont surgi au dernier moment. Ma tante n'a pas été satisfaite de l'entretien qu'elle a eu avec votre père et M. Bonchamp. Elle m'a déclaré qu'elle s'opposait à une union qui ne lui convenait plus. Je tiens à ce que vous appreniez la première qu'un obstacle imprévu se dresse entre nous.
ÉDITH.
Ah!
DANIEL, avec émotion.
Je vous connais assez, Édith, pour être sûr que vous éprouvez un chagrin égal au mien. Me pardonnez-vous la peine que je vous cause? Vous êtes jeune, vous êtes digne d'être aimée, vous m'oublierez, vous serez heureuse. J'espère que vous ne m'accuserez pas de cette rupture, et que plus tard vous voudrez bien me considérer comme un ami profondément dévoué.
ÉDITH.
Je vous sais gré de votre franchise. Quel est cet obstacle imprévu qui désormais nous sépare?
DANIEL.
Une difficulté d'argent.
ÉDITH.
Soulevée par votre tante?
DANIEL.
Oui.
ÉDITH.
Comme vous vous donnez de la peine pour mentir!
DANIEL.
Mais...
ÉDITH.
Je ne vous crois pas. Vous m'aimez aussi profondément que je vous aime.
Édith!
ÉDITH.
Pourquoi sommes-nous séparés? Je cherche sans trouver. Je me suis efforcée de rester calme quand vous avez commencé à parler; vous avez cru, sans doute, que j'acceptais votre explication? Je vous écoutais avec la foi absolue que j'ai en vous, et pas un instant le doute ne m'a effleurée. Vous oubliez ce que je vous ai dit. Quand je vous ai rencontré pour la première fois, je vous ai tendu la main comme à un vieil ami. Je ne suis ni folle, ni légère. Vous feriez donc mieux de me prendre pour associée et de me dire toute la vérité... tout entière.
DANIEL.
Vous vous trompez, il n'y a rien de plus entre nous que ce que j'ai dit.
ÉDITH.
Mais pleurez donc, Daniel, vous en mourez d'envie!
DANIEL.
Ah! que vous êtes cruelle! Oui, je t'aime, ma fiancée perdue, et jamais ma tendresse n'a été plus profonde qu'à l'heure où je te dis adieu. J'espérais avoir assez de force pour jouer mon rôle jusqu'au bout, je ne peux plus, non, je ne peux plus! Je pleure et je te quitte, et je mourrai de te perdre... Adieu!
ÉDITH, le retenant.
Non... non...
DANIEL.
Par pitié, laisse-moi, ne me retiens pas, ne me demande rien... Je ne peux rien t'avouer... Sache que je porterai le deuil éternel de mon amour. Sache que je serai toujours près de toi, quelque éloigné que je te paraisse. Je t'aime, et je renonce à toi. Je t'aime, et je te désespère... C'est toi qui pleures maintenant...
ÉDITH.
Je ne te demande plus rien. Je te rends ta liberté... Si tu ne me révèles pas ton secret, c'est que tu estimes que je dois l'ignorer. Ce que tu fais est bien fait. Mais je veux savoir tout ce que tu as le droit de m'apprendre.
DANIEL.
Je ne suis plus digne d'être ton mari.
ÉDITH.
Toi!...
DANIEL.
Ne m'interroge plus! Sache seulement que je subis une honte que je n'ai pas méritée, et je te quitte pour qu'elle ne t'éclabousse pas.
ÉDITH.
N'ajoute rien. Tu m'aimes, je n'ai pas besoin d'en savoir davantage. Je t'aimerai toujours quoi qu'il advienne. Tu pouvais troubler ma vie, je te l'avais donnée. En revanche, j'exige quelque chose de toi: promets-moi de ne point partir sans que nous nous soyons revus.
DANIEL.
Édith!
ÉDITH.
Je le veux, et tu n'as pas le droit de me refuser.
SCÈNE V
Les Mêmes, CÉSARINE.
CÉSARINE, les bras au ciel.
Mes pauvres enfants!.. Eh bien, mes pauvres enfants?
ÉDITH.
Tu sais que notre mariage est rompu?
CÉSARINE.
Comme tu me dis cela simplement.
ÉDITH.
Comment veux-tu donc que je te le dise? Daniel partait, ma tante.
CÉSARINE.
Il te faisait ses adieux?
ÉDITH.
Il n'a pas d'adieux à me faire.
DANIEL.
Édith!
ÉDITH.
Souvenez-vous de ce que vous m'avez promis!
DANIEL.
Vous le voulez?
ÉDITH.
Je l'exige... ô homme de peu de foi! Embrassez votre femme, Daniel.
Elle lui tend son front.
CÉSARINE.
Ma nièce!...
(Daniel sort.)
SCÈNE VI
CÉSARINE, ÉDITH.
CÉSARINE.
Mais tu ne peux pas l'épouser...
ÉDITH.
C'est ce que Daniel m'a appris.
CÉSARINE.
Et tu lui réponds: «Embrassez votre femme!» et il t'embrasse! Ce n'est plus du roman, ça... c'est du drame! Et ton père qui m'envoyait voir comment tu avais pris cette rupture? Que t'a dit Daniel?
ÉDITH.
Qu'il ne pouvait pas m'épouser...
CÉSARINE.
Et toi, qu'as-tu répliqué?
ÉDITH.
Que je lui avais donné mon cœur et que je ne le reprenais pas.
CÉSARINE.
Eh bien!... nous le reprendrons pour toi. Tu l'oublieras, ce garçon...
ÉDITH.
Jamais!
CÉSARINE.
Si tu ne l'oublies pas, tu seras très malheureuse.
ÉDITH.
Je le sais, ne me plains pas... Tu crois m'effrayer en me disant que je souffrirai?... Je le sais... Je m'y attends... Je l'espère!
CÉSARINE.
Mais il y a un abîme entre vous!...
ÉDITH.
Je le comblerai...
CÉSARINE.
C'est impossible.
ÉDITH.
Rien ne m'est impossible, puisque je l'aime!
SCÈNE VII
Les Mêmes, UN DOMESTIQUE.
LE DOMESTIQUE, annonçant.
Madame Dubois demande à parler à Mademoiselle Césarine...
CÉSARINE, avec effarement.
Elle! je ne veux pas la voir! Dites-lui...
ÉDITH, avec autorité.
Faites-la entrer, allez!
CÉSARINE.
Non, je ne veux pas... je.
ÉDITH, au domestique.
Faites entrer madame Dubois.
Le domestique sort.
CÉSARINE.
Je ne veux pas que tu parles à cette femme!
Pardonne-moi de te désobéir, mais je veux savoir la vérité, et elle ne me la cachera pas.
Coralie entre très pâle, se soutenant avec peine. Édith va droit à elle.
SCÈNE VIII
Les Mêmes, CORALIE.
ÉDITH.
Vous aimez Daniel, et je l'aime!... On me sépare de lui... Pourquoi?
CÉSARINE, à Coralie.
Madame, je vous défends de parler.
CORALIE, à Césarine.
Ah! laissez-moi plaider sa cause, je vous en supplie. Vous êtes bonne; ne me repoussez pas, ne me chassez pas, ne refusez pas de m'entendre. (Montrant Édith.) Voyez... Je n'ose pas m'approcher d'elle. Ayez pitié de Daniel... Si vous saviez!... Il est rentré tout à l'heure si défiguré!... Alors je me suis demandé s'il était juste que l'innocent payât pour la coupable!
ÉDITH.
Quelle coupable? J'ignore tout. Je sais seulement qu'un malheur nous frappe et que Daniel est atteint d'une honte qu'il n'a pas méritée.
CORALIE.
Hélas! la honte de Daniel, c'est moi! Vous me demandez de m'unir à vous pour sauver mon fils, et c'est moi qui le perds!... Il n'y a pas de créature plus méprisable que moi... (Édith se recule.) Vous avez raison de vous éloigner de moi: je suis sa mère!...
ÉDITH, d'une voix tremblante.
Madame...
CORALIE.
Vous me haïssez, n'est-ce pas?
ÉDITH.
Je vous plains...
CORALIE.
Vous ne m'accablez pas?
ÉDITH.
Non, puisque vous êtes sa mère...
CORALIE.
Mais vous ne savez pas qui je suis!
ÉDITH.
Je sais que vous êtes une créature humaine et que vous souffrez; je sais qu'il n'est pas de fautes que le repentir n'efface! Je dois croire à votre abaissement, puisque vous me l'avouez. Êtes-vous donc la seule qui ayez failli? Celle qui s'accuse est bien près de regretter ses fautes. Croyez-moi, le pardon suit de près le repentir!
Un silence.—Coralie cache sa tête dans ses mains.
CORALIE.
Me repentir? Merci, vous me montrez le chemin que je dois suivre. Aussi, voyez: je ne pleure plus... Oh! je suis tranquille maintenant... Je peux vous confier le soin de sauver le bonheur de mon enfant. Elle triomphera de tout, celle qui vient de me parler avec une autorité si douce. Vous m'avez enseigné mon devoir! Encore merci.
Coralie veut prendre la main d'Édith et la baiser, Édith l'attire dans ses bras.
Que le Ciel vous protège! Au revoir... ma mère!
CORALIE, avec un sourire.
Non. Adieu, ma fille!
Coralie sort lentement.
SCÈNE IX
ÉDITH, CÉSARINE.
Un moment de silence.—Césarine fond en larmes.
ÉDITH, gaîment.
Tu pleures encore?
CÉSARINE.
Je n'ai jamais rien lu de pareil! Je n'ai pas le courage de te blâmer! Comment feras-tu pour arracher le consentement de ton père?
ÉDITH, souriant.
Cela me regarde.
CÉSARINE.
Tu vas donc lui demander?...
ÉDITH.
A l'instant même.
Édith s'approche de la cheminée et sonne. Un domestique paraît.
ÉDITH, au domestique.
Est-ce que mon père est dans son cabinet de travail?
LE DOMESTIQUE.
Oui, mademoiselle.
Veuillez lui dire que je désirerais lui parler. (Le domestique s'incline et sort.) Quand mon père sera là, tu me laisseras seule avec lui.
CÉSARINE.
J'ai peur que tu te fasses des illusions...
ÉDITH.
Qui sait?
CÉSARINE.
Godefroy consentir à ce mariage? Jamais!
ÉDITH, toujours souriante.
Qui sait?
SCÈNE X
Les Mêmes, GODEFROY.
GODEFROY.
Tu me demandes, ma petite?
ÉDITH.
Est-ce que je te dérange?
GODEFROY.
Pas du tout. Et tu souris? Bravo! J'avais si peur de te trouver en larmes!
CÉSARINE.
Je vous laisse.
GODEFROY, un peu inquiet.
Pourquoi t'en vas-tu?
CÉSARINE.
Tu es trop curieux. (Elle sort.)
SCÈNE XI
ÉDITH, GODEFROY.
ÉDITH.
Alors tu me croyais dans les larmes?
GODEFROY, un peu embarrassé.
Ma foi...
ÉDITH.
On ne pleure que quand on souffre. Et je ne souffre pas, puisque Daniel m'aime et que tu m'as permis de l'aimer.
GODEFROY.
Tu es séparée de lui!
ÉDITH.
Par toi...
GODEFROY.
Comment, par moi? (Avec emphase.) C'est la fatalité supérieure qui...
ÉDITH, riant.
Oh! je ne crois pas qu'une fatalité supérieure intervienne dans mes petites affaires; c'est toi seul, je le répète, qui me sépares de mon fiancé. (Elle s'approche de son père et lui passe le bras autour du cou.) Tu as confiance en moi, n'est-il pas vrai?
GODEFROY.
Confiance!... confiance!...
ÉDITH.
Je suis ta bonne petite fille...
GODEFROY.
Ça, oui...
Bien obéissante?...
GODEFROY.
Heu!... heu!...
ÉDITH.
Qui ne fera jamais autre chose que ce que voudra son père?
GODEFROY.
Tu es trop câline, je me méfie.
ÉDITH.
Moi, je veux bien épouser Daniel: c'est toi qui refuses. J'ai donc raison de dire que toi seul me sépares de lui.
GODEFROY.
Elle va me faire un mauvais coup!
SCÈNE XII
Les Mêmes, puis BONCHAMP, bientôt suivi par LYDIE, MONTJOIE et Claude MORISSEAU.
BONCHAMP.
Voilà tous nos amis qui arrivent.
GODEFROY.
Il ne manquait plus que cela.
ÉDITH.
J'y comptais bien.
LE DOMESTIQUE, annonçant.
Madame Patalin, M. de Montjoie, M. Morisseau. (Il sort.)
En voilà une nouvelle, mes pauvres amis! Dès que je l'ai sue, j'ai pris le bras de M. de Montjoie, et je suis accourue ici.
CÉSARINE.
Vous savez déjà?
GODEFROY.
Déjà? Oh! mon Dieu!
LYDIE.
On a raconté l'histoire aux quatre coins de la ville.
GODEFROY, tombant assis, avec effarement.
Les potins qui commencent!
LYDIE, embrassant Édith.
Cette pauvre enfant!
ÉDITH, souriant.
Vous me plaignez beaucoup, n'est-ce pas? Je voudrais vous dire deux mots... monsieur de Montjoie.
MONTJOIE, s'inclinant.
A vos ordres, mademoiselle.
Édith et Montjoie remontent sur le devant de la scène.—Lydie les regarde de loin.
LYDIE.
Tiens!... Tiens!...
ÉDITH, à Montjoie, sur le devant de la scène.
Monsieur, j'attends de vous un grand service. Je sais que vous comptiez demander ma main: mais mon cœur ne m'appartenait plus. J'aime le capitaine Daniel: et tout en apparence me sépare de lui. Il dépend de vous de m'aider à vaincre la résistance de mon père. Vous voyez combien je vous estime, puisque je n'hésite pas à vous demander d'être mon allié contre vous-même.
Vous avez raison, mademoiselle, et je mériterai l'honneur que vous me faites.
ÉDITH.
M. Daniel demeure en face d'ici; allez chez lui, dites-lui que je l'attends. J'ai sa parole, il viendra. Je n'ignore pas que je vous impose un sacrifice: mais vous êtes de ceux à qui l'on peut tout demander.
MONTJOIE, lui baisant la main.
Merci! (Il la salue et marche vers la porte.)
BONCHAMP.
Vous nous quittez déjà, monsieur de Montjoie?
MONTJOIE.
Veuillez m'excuser.
Il sort.
SCÈNE XIII
Les Mêmes, moins MONTJOIE.
LYDIE, se rapprochant d'Édith.
J'ai suivi votre manège, petite rusée: un mari de perdu, un de retrouvé.
ÉDITH.
Juste! Vous avez deviné.
LYDIE.
N'est-ce pas?
ÉDITH.
Vous avez tant d'esprit!
LYDIE.
Si vous saviez tout ce qu'on colporte sur ce militaire!
Mon Dieu! c'est une rupture qui nous a été imposée à notre grand regret... Nous avons appris certaines choses...
LYDIE.
Oui, oui, je comprends. A dire le vrai, chacun pense comme vous. M. Daniel est un mari impossible. Il faut dire tout ce que vous savez. On doit la vérité à ses amis; ce garçon peut faire de nouvelles dupes...
ÉDITH.
Oh!
LYDIE, continuant.
Et comme désormais c'est un homme déshonoré...
ÉDITH.
Lui?
SCÈNE XIV
Les Mêmes, MONTJOIE et DANIEL.
ÉDITH va droit à Daniel et lui prend la main.
Vous vous trompez, madame. Un homme tel que celui-là peut être malheureux, mais déshonoré, jamais. Je vous aime, Daniel, je serai à vous ou à personne. (Elle se jette dans ses bras.)
GODEFROY, brusquement.
Mais, petite malheureuse...
ÉDITH.
Décide de mon sort. Si tu me refuses l'homme que j'ai choisi, je t'obéirai, mais je résisterai.
BONCHAMP, brusquement.
Mon cher Godefroy, je te demande la main d'Édith, ma filleule, pour le fils de Coralie, capitaine d'artillerie, sans fortune, sans famille.
Un joli mariage!
DANIEL.
Merci, monsieur Bonchamp. Mais vous vous trompez. Si je n'ai plus de fortune, j'ai une famille: j'ai ma mère qui ne me quittera jamais.
MONTJOIE.
Mme Dubois est partie, monsieur.
DANIEL.
Partie?
MONTJOIE.
Il est inutile que vous retourniez chez vous. Mme Dubois sera ce soir à Toulouse et demain au couvent.
LYDIE.
Au couvent!...
MORISSEAU.
Au couvent!...
MONTJOIE.
Mais oui, madame; mais oui, monsieur... Les femmes du monde auraient fermé leur porte à Coralie, le bon Dieu est moins difficile, il lui ouvrira la sienne.
La toile tombe.
Paris.—Typ. Chamerot et Renouard, 19, rue des Saints-Pères.—28777.
NOTES:
[1] Le rôle de Daniel doit se jouer en uniforme, petite tenue d'ordonnance de capitaine d'artillerie, avec la croix.
[2] Le rôle de Coralie doit se jouer avec le costume décrit par Lydie au premier acte (page 36).
[3] Le rôle de Césarine doit être joué, non par une duègne, mais par une soubrette marquée (Dorine). Perruque grise ou cheveux poudrés.
[A] A la représentation, on peut couper la scène à partir de ces mots: Remarquez que vous avez, etc., jusqu'à la fin de la tirade de Daniel (page 62), finissant par ces mots: d'avoir fait le pédant pendant cinq minutes.
LIBRAIRIE PAUL OLLENDORFF
28 bis, rue de Richelieu, Paris.
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Note sur la transcription: Les erreurs clairement introduites par le typographe ont été corrigées. L'orthographe d'origine a été conservée et n'a pas été harmonisée. Les numéros des pages blanches n'ont pas été repris.
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