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Le Grand Silence Blanc: Roman vécu d'Alaska

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PRÉFACE

Vous présenter mon ami Louis-F. Rouquette?

A quoi bon?

«… Né à Montpellier, en 1884, il y fit de complètes études classiques où, de bonne heure, le démon qui le hante introduit un grain de fantaisie. Il publie à quatorze ans ses premiers vers et prononce au même âge sa première conférence, qui lui vaut, outre des tonnerres d'applaudissements, une verte correction maternelle. A vingt ans, il est à Paris, pour le conquérir. Laborieuse histoire…»

Bah, je m'arrête. Tournez quelques pages. Au premier chapitre de ce livre, voyez Freddy.

Freddy n'est pas tout Rouquette. Rouquette n'est pas tout Freddy.

Mais Freddy est sans doute:

«Un étranger vêtu de noir
Qui lui ressemble comme un frère.»

L'écrivain a trouvé en notre vieux monde la vie dure et les hommes vils. Comme le poète de Musset, mais sous des cieux autrement lointains que ceux où se limitait notre romantisme, il a promené sa nostalgie.

Il ne s'est pas arrêté:

«A Gênes, sous les citronniers,
A Vevey sous les verts pommiers,
Au Havre devant l'Atlantique.»

Il a franchi l'Océan. Et c'est dans les solitudes de l'Alaska, proches du pôle, parmi les âpres contacts de la vie farouche et brutale, qu'il a ressenti davantage les liens qui unissent l'individu à l'humanité dont il est issu et dont il ne saurait s'abstraire. Freddy, misanthrope, a dédié son livre à son chien Tempest. Celui de Rouquette s'adresse à tous les hommes, et en particulier à ceux de France.

*
*  *

L'originalité des pages qui suivent est en effet double.

Nous sommes en ce moment, je ne dirai pas accablés (car je les adore), mais abondamment comblés d'histoires d'aventures.

Au lendemain de la guerre, tandis que ses suites continuent de nous opprimer, notre existence étant fort incommode, nous éprouvons le besoin de nous réfugier ailleurs. La crise des transports et des changes et l'encombrement des hôtels rendent malaisé de voyager. Nos grands bienfaiteurs sont donc les romanciers qui, sans nous forcer à quitter notre fauteuil, nous emmènent avec eux loin du boulevard et des autobus, hors de portée du nouveau riche et du prolétariat conscient.

Ces bienfaiteurs sont ou bien des écrivains français ou des étrangers.

A part quelques excellentes ou admirables exceptions, les écrivains français d'aventures ont souvent ceci de commun qu'ils n'en ont jamais eu, et n'ont jamais mis les pieds dans les pays où ils nous promènent. Nous avons donc leur seul génie pour guide. Cela nous ménage parfois de délicieuses surprises, et offre d'autres fois quelques inconvénients.

Les écrivains étrangers,—parmi lesquels nous faisons en ce moment à bon droit aux Anglo-Saxons un traitement privilégié,—écrivent sur les pays où s'est modelée leur âme. D'où la palpitation robuste, intense et ardente des récits d'un London, d'un Conrad et de plusieurs autres.

Ceux de Rouquette diffèrent de la plupart des romans français de l'heure actuelle en ce qu'ils portent la directe empreinte d'une des régions de mystère les plus évocatrices du globe.

Ils diffèrent des récits angle-saxons par le fait de la sensibilité et de la culture foncièrement gréco-latine qui s'y réfracte.

La suprême Sagesse, L'Homme qui portait un Chapeau haut de forme, La Bête sociable: je n'ai rien encore goûté d'analogue dans notre littérature, puisque des raisons assez fortes ont empêché que Daudet se soit amusé à récrire du Kipling.

En attendant que des œuvres prochaines achèvent d'imposer au grand public la vision complète de son tempérament curieux et sensible, ironique et généreux, je vous invite à savourer à leur valeur les récits poignants et humoristiques d'un écrivain français qui ne s'est formé ni dans les cénacles montmartrois, ni au sein des cloîtres académiques, mais au contact étroit, douloureux et fécond de l'immense vie, maîtresse inimitable.

André Lichtenberger.


Au moment de donner le «bon à tirer» de ce livre, on m'apprend que Jack London a donné, à une de ses nouvelles, le titre: «Le Grand Silence Blanc.»

Je suis heureux, moi, qui, comme lui, ai vécu de longues heures de solitude dans l'extrême Nord américain, d'avoir perçu, avec la même acuité, cette sensation de grandeur et de silence qui pèse sur la Terre Blanche.

Avec joie je saisis l'occasion qui m'est donnée de pouvoir rendre hommage à ce garçon du Far West, qui dans sa littérature a su conserver les rudes qualités de sa race.

A l'heure où certains ont tendance à monnayer sa gloire,—comme d'autres ont voulu se tailler des pourpoints dans le burnous d'Isabelle Eberardt—je veux apporter à la mémoire de Jack London le tribut de mon entière admiration.

L.-F. R.

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