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Le musée du Louvre, tome 1 (of 2)

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Hauteur: 1.27.—Largeur: 1.92.—Figures: 0.30.

PATER
LA TOILETTE

SALLE LA CAZE
La Toilette

L’INTÉRIEUR d’une élégante au XVIIIe siècle. On est au petit matin, ou, pour mieux dire, au petit matin des jolies femmes pour qui le jour commence alors que le soleil est depuis longtemps levé. Rien n’est plus salutaire à la conservation du teint qu’un sommeil prolongé, dans la molle tiédeur du lit. Aussi l’agréable personne représentée ici, dans son déshabillé charmant, offre un visage reposé et des joues délicates dont l’épiderme, pour employer le style de l’époque «semble pétri de lis et de roses». Une demi-obscurité règne dans la pièce; la lumière trop vive du dehors pourrait incommoder la belle paresseuse. Elle est assise devant sa toilette, jolie table garnie de dentelles couverte de boîtes de poudre à la maréchale, de pâtes d’amande et de mouches. Dans le miroir dressé devant elle, elle surveille le détail compliqué de sa coiffure, à laquelle s’occupe activement une soubrette. Une matinée très élégante est jetée sur ses épaules, laissant apercevoir une gorge fort avenante et les bras les plus jolis du monde. En tous temps, l’ajustement d’une élégante a été une affaire d’importance: on s’en aperçoit au nombreux personnel qui s’y emploie ici. Pendant qu’une femme de chambre seconde la coiffeuse, d’autres s’occupent à diverses tâches; l’une, près de la cheminée, fait chauffer la chemise de fine toile, une autre approche du feu un récipient contenant l’eau pour les ablutions. Une fillette, placée là on ne sait pourquoi, suit d’un œil intéressé toutes les phases de la toilette. Il en est une, cependant, qui ne semble apporter qu’une attention médiocre à ce qui se passe autour d’elle: cachée derrière le miroir et courbée sur sa chaise, son regard mutin paraît faire des signes d’intelligence à un personnage qu’on ne voit pas. Comme il arrive invariablement dans les tableaux de cette époque, l’artiste n’a pas manqué d’y ajouter la note libertine destinée à pimenter l’anecdote. Caché derrière une tenture qu’il soulève à demi, un jeune abbé de cour passe une tête curieuse et s’absorbe dans la contemplation de la maîtresse du logis.

Tout est charmant dans cette composition, où l’aimable et spirituel talent de Pater a prodigué les détails. Comme Watteau et Lancret, il excelle dans cet art coquet, libertin et gracieux du XVIIIe siècle, dont l’idéal était le joli et la fonction d’orner les petites maisons des grands seigneurs et les boudoirs des marquises. Quelles jolies têtes de femmes, quelles sveltes tournures, quels élégants costumes galamment portés! Comme tout cela a bon air et vit aisément dans cette atmosphère de luxe et de plaisir! Comme on sent bien qu’en peignant ces élégances d’alcôve et de ruelles, l’artiste exprime exactement le goût, la fantaisie et le caprice de son siècle! De même que le siècle précédent, solennel et pompeux, avait engendré des peintres comme Poussin ou Lebrun, de même la Régence jouisseuse et le règne frivole qui suivit suscitèrent d’aimables talents, tels que Lancret, Watteau, Hilair, Pater, Boucher, qui surgirent spontanément de cette atmosphère galante, comme Vénus de l’écume des flots. Avec le même goût de la peinture gracieuse et libertine, ils eurent tous le don précieux de la mesure, ce goût inné qui les empêcha de convertir le marivaudage en grossièreté. Quelque osé que puisse être le sujet traité, il se rachète toujours par une élégance de bonne compagnie, par un tour spirituel et malicieux qui frôle sans insister, qui fait sourire et jamais rougir.

A ces qualités rares, ils ajoutèrent—et Pater plus que les autres—une science du coloris qui les fait reconnaître au premier regard. A aucune époque, la peinture n’a trouvé de teintes aussi délicates ni aussi précieuses. En considérant la Toilette, de Pater, on est aussitôt conquis et ravi par cette adorable symphonie de tons où le bleu et le rose forment les dominantes. Et qu’on ne dise pas que c’est là un art facile: la savante disposition des valeurs révèle au contraire une maîtrise supérieure. Quelle délicatesse, par exemple, dans le rose tendre de la robe que porte la soubrette assise devant le feu et comme elle se fond harmonieusement avec le rouge plus sombre de la femme inclinée devant elle. Rien de heurté, ni de banal, dans ces associations qui, sous le pinceau d’artistes moins habiles, deviendraient si facilement vulgaires.

Pater peut être considéré comme l’un des meilleurs de nos «petits maîtres» français. Tandis que Watteau plaçait de préférence ses personnages dans le plein air de la campagne, avec des lointains roses et des ciels merveilleux, Pater cherchait plus volontiers ses sujets dans les intérieurs luxueux et coquets. Il a été surtout le peintre des boudoirs et des chambres à coucher du XVIIIe siècle. Par son genre, il rappelle Terburg, le plus aristocratique des Hollandais: il possède autant de finesse et d’esprit que lui, mais il l’emporte par la délicatesse et l’élégance. Et s’il n’a pas acquis, malgré ses belles qualités, la gloire d’un Watteau ou d’un Fragonard, il en faut accuser son dessin qui n’est pas toujours irréprochable.

La Toilette fut souvent appelée la Toilette de la mariée; on l’a également reproduite sous le titre: Le Désir de plaire. Ce minuscule tableau peut être considéré comme un des plus charmants bijoux que nous ait légués le XVIIIe siècle, pourtant si fertile en jolies œuvres.

La Toilette fut donnée au Louvre par M. La Caze et figure dans la salle qui porte le nom du célèbre collectionneur.


Hauteur: 0.37.—Largeur: 0.46.—Figures: 0.23.

RAPHAËL
PORTRAIT DE JEUNE HOMME

GRANDE GALERIE
Portrait de jeune homme

SUR un balustre de fenêtre, un jeune garçon est appuyé. Son corps porte tout entier son poids sur le coude droit et la jolie tête repose sur la main ouverte. De son toquet de velours s’échappent de longues boucles blondes qui donnent une sorte de mièvrerie féminine à cette figure d’adolescent. Le visage est d’une parfaite pureté de lignes; le nez, la bouche, le menton sont d’un dessin délicat et charmant. Quant aux yeux, largement ouverts, ils révèlent tout à la fois l’heureuse insouciance de l’âge et une réflexion très appliquée; bien que paraissant fixés sur un point déterminé, quelque chose de vague, de flou y flotte, comme s’ils suivaient attentivement un rêve passionnant.

Toute la grâce de Raphaël est transcrite sur cette image et tout son art se révèle dans la pose abandonnée et pensive du modèle. Quel est ce jeune homme; quel nom porta-t-il dans le monde de la Renaissance; joua-t-il plus tard un rôle quelconque dans l’histoire? On ne sait pas. Certains commentateurs, séduits par la beauté du modèle et se rappelant que celle du peintre lui avait valu le nom de divin Raphaël, ont cru pouvoir affirmer que c’était le portrait même du maître. La date du tableau détruit cette légende: à cette époque Raphaël avait dépassé l’âge de cette toile et n’aurait pu se peindre que de mémoire. Or, il y a trop de vie dans cette tête pour admettre que le grand artiste aurait peint «de chic» une œuvre si parfaite.

D’autres affirment avec moins d’énergie que ce portrait n’est pas l’œuvre de Raphaël, mais celle d’un certain Francesco Ubertini, surnommé Bacchiacca. Comme rien ne démontre ce dire et que d’ailleurs la toile en cause est un chef-d’œuvre, comme d’autre part, l’insinuation est toute récente, rien n’oblige à l’accepter; tout, au contraire, invite à l’attribuer à Raphaël plutôt qu’à un inconnu. Au surplus tout, dans cette toile, trahit la main de Raphaël; c’est la même technique que l’on retrouve dans son propre portrait du musée des Offices; c’est celle de tous ses autres portraits, avec la même grâce, la même onctueuse habileté, les mêmes clartés de palette.

Il n’est pas jusqu’au coloris où l’on ne retrouve le faire habituel du grand maître d’Urbino. C’est la même tonalité discrète, presque neutre qui a fait dire aux romantiques, acharnés à détruire sa gloire, que Raphaël était un médiocre coloriste. Certes, il fut moins coloriste que les Vénitiens, mais si parfois sa couleur était froide elle avait toujours cette distinction parfaite par où se révèlent les grands maîtres.

Raphaël a connu cette disgrâce de voir contester son génie; certaines écoles, dans les temps modernes, se sont laissé entraîner à cette aberration de honnir Raphaël comme l’inspirateur du culte de l’antique. Rien de plus injuste et de plus faux. Le grand artiste ne s’inspira jamais de l’antiquité qu’il connaissait à peine. Au surplus, toute polémique est aujourd’hui éteinte; Raphaël a reconquis sa splendide royauté.

Le Portrait de jeune homme figure au Louvre dans la Grande Galerie, à la travée réservée aux œuvres de Raphaël.


Hauteur: 0.59.—Largeur: 0.44.—Figure grandeur nature.

TABLE DES MATIÈRES


Pages.
Préface 5
Vulcain présentant à Vénus les armes d’Énée, par F. Boucher 13
Balthazar, comte de Castiglione, par Raphaël 19
Hélène Fourment et ses enfants, par Rubens 25
Madame Récamier, par Louis David 31
Le Concert champêtre, par Giorgione 37
Portrait d’Heindrickje Stoffels, par Rembrandt 43
Portrait de l’Infante Marguerite, par Vélasquez 49
Jésus-Christ marchant au Calvaire, par Simone Memmi 55
La Source, par Ingres 61
La Femme hydropique, par Gérard Dow 67
Madame de Pompadour, par Quentin La Tour 73
Une Jeune Princesse, par Constantin Netzcher 79
La Mauvaise Compagnie, par Jan Steen 85
Érasme, par Hans Holbein 91
Le Mariage de sainte Catherine, par Corrège 97
Conversation, par Lancret 103
La Dentellière, par Jan van der Meer (Vermeer) 109
Charles Ier d’Angleterre, par Van Dyck 115
Élisabeth d’Autriche, femme de Charles IX, par F. Clouet 121
La Barque du Dante, par Delacroix 127
Le Roi Ferdinand, par le Greco 133
Les Pèlerins d’Emmaüs, par Rembrandt 139
Sujet pastoral, par F. Boucher 145
Les Noces de Cana, par Gérard David 151
Mademoiselle de Lambesc et le comte de Brionne, par Nattier 157
Jeanne d’Aragon, par Raphaël 163
La Kermesse, par P.-P. Rubens 169
Monsieur et Madame Angerstein, par Sir Thomas Lawrence 175
Les Glaneuses, par J.-F. Millet 181
La Bohémienne, par Franz Hals 187
Les Sonneurs, par Decamps 193
Anne de Clèves, par Holbein 199
L’Enlèvement de Psyché, par P. Prud’hon 205
Le Cardinal de Richelieu, par Ph. de Champaigne 211
L’Automne, par Lancret 217
Madame Seriziat, par Louis David 223
Vieillard lisant, par Rembrandt 229
Paysage (souvenir de Mortefontaine), par Corot 235
La Belle Ferronnière, par Léonard de Vinci 241
Chasse au Faucon en Algérie, par Eugène Fromentin 247
Le Sommeil d’Antiope, par le Corrège 253
L’Embarquement pour Cythère, par Watteau 259
La Toilette, par Pater 265
Portrait de jeune homme, par Raphaël 271

INDEX ALPHABÉTIQUE


Pages.
PRÉFACE 5
BOUCHER Vulcain présentant à Vénus les armes d’Énée 13
—— Sujet pastoral 145
CHAMPAIGNE (de) Le Cardinal de Richelieu 211
CLOUET (François) Élisabeth d’Autriche, femme de Charles IX 121
CORRÈGE (LE) Le Mariage de sainte Catherine 97
—— Le Sommeil d’Antiope 253
COROT Paysage (souvenir de Mortefontaine) 235
DAVID (Louis) Madame Récamier 31
—— Madame Seriziat 223
DECAMPS Les Sonneurs 193
DELACROIX La Barque du Dante 127
DOW La Femme hydropique 67
FROMENTIN Chasse au faucon en Algérie 247
GÉRARD DAVID Les Noces de Cana 151
GIORGIONE Le Concert champêtre 37
GRECO (LE) Le Roi Ferdinand 133
HALS La Bohémienne 187
HOLBEIN Érasme 91
—— Anne de Clèves 199
INGRES La Source 61
LANCRET Conversation 103
—— L’Automne 217
LAWRENCE Monsieur et Madame Angerstein 175
L. DE VINCI La Belle Ferronnière 241
MEMMI Jésus-Christ marchant au Calvaire 55
MILLET Les Glaneuses 181
NATTIER Mademoiselle de Lambesc et le comte de Brionne 157
NETZCHER Une Jeune Princesse 79
PATER La Toilette 265
PRUD’HON L’Enlèvement de Psyché 205
QUENTIN LA TOUR Madame de Pompadour 73
RAPHAËL Balthazar, comte de Castiglione 19
—— Jeanne d’Aragon 163
—— Portrait de jeune homme 271
REMBRANDT Portrait d’Heindrickje Stoffels 43
—— Les Pèlerins d’Emmaüs 139
—— Vieillard lisant 229
RUBENS Hélène Fourment et ses enfants 25
—— La Kermesse 169
STEEN (Jan) La Mauvaise Compagnie 85
VAN DER MEER La Dentellière 109
VAN DYCK Charles Ier d’Angleterre 115
VÉLASQUEZ Portrait de l’Infante Marguerite 49
WATTEAU L’Embarquement pour Cythère 259

Au lecteur.

Ce livre électronique reproduit intégralement le texte original, et l’orthographe d’origine a été conservée, y compris dans les noms propres. Seules quelques erreurs typographiques évidentes ont été corrigées. La liste de ces corrections se trouve ci-après.

La ponctuation a également fait l’objet de quelques corrections mineures.

Corrections.

  • Page 73: «habituellemente» remplacé par «habituellement» (Il était habituellement quinteux).
  • Page 110: «Duk» remplacé par «Dirk» (Dirk van Bleyswijck).
  • Page 127: «deux» remplacé par «d’eux» (l’un d’eux s’accroche à la poupe).
  • Page 184 et suivantes: au lieu de «Franz Hals» il convient de lire «Frans Hals».
  • Page 247: «frénétiqne» remplacé par «frénétique» (La course frénétique des chasseurs).
  • Page 266: «anecdocte» remplacé par «anecdote» (destinée à pimenter l’anecdote).
  • Page 266: «cet» remplacé par «cette» (vit aisément dans cette atmosphère).
  • Page 267: «lontains» remplacé par «lointains» (avec des lointains roses).

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