Le portier des Chartreux, ou mémoires de Saturnin écrits par lui-même
J'en avais jusqu'alors donné les marques les plus vigoureuses à Mme Dinville; mais il semblait que son courage s'accrût avec ma résistance, et elle s'aperçut bientôt que je ne battais plus qu'en retraite, elle m'excitait, elle m'animait à lui porter de nouveaux coups; elle s'y présentait, et contribuait par ses caresses à me procurer une nouvelle victoire. Je recommençais à la regarder avec langueur; je retrouvais du plaisir à lui baiser la gorge: je lui grattais le con avec plus de vitesse, je soupirais. Elle s'aperçut de l'heureuse disposition où ses caresses m'avaient mis. Ah! fripon! me dit-elle en me baisant les yeux, tu bandes; qu'il est gros! qu'il est long! Coquin! tu feras fortune avec un tel vit. Eh bien, veux-tu recommencer, dis! Je ne lui répondis qu'en la renversant. Attends donc, reprit-elle, attends, mon ami, je veux te donner un plaisir nouveau, je veux te foutre à mon tour: couche-toi comme je l'étais tout à l'heure. Je me couchai aussitôt sur le dos; elle monta sur moi, me prit elle-même le vit, me le plaça, et se mit à pousser. Je ne remuais pas; elle faisait tout, et je recevais le plaisir. Je la contemplais, elle interrompit son ouvrage pour m'accabler de baisers; ses tétons cédaient au mouvement de son corps et venaient se reposer sur ma bouche. Une sensation voluptueuse m'avertit de l'approche du plaisir. Je joignis mes élancements à ceux de ma fouteuse, et nous nageâmes bientôt dans le foutre. Brisé par les assauts que j'avais reçus et livrés depuis près de deux heures, le sommeil me gagna. Mme Dinville me plaça elle-même la tête sur son sein, et voulut que je goûtasse les douceurs du sommeil dans un endroit où je venais de goûter celles de l'amour.—Dors, me dit-elle, mon cher amour; dors tranquillement; je me contenterai de te voir. Je dormis d'un profond sommeil, et le soleil s'approchait de l'horizon quand je me réveillai. Je n'ouvris les yeux que pour envisager Mme Dinville, qui me regardait d'un air riant. Elle s'était occupée à faire des nœuds pendant mon sommeil. Elle interrompit son ouvrage pour me glisser la langue dans la bouche, elle le laissa bientôt, dans l'espérance que j'allais l'occuper à faire des nœuds d'une autre espèce. Elle ne me cacha point ses désirs et me pressa de les satisfaire. J'étais d'une nonchalance qui irritait son impatience. Je n'avais pourtant ni dégoût, ni envie; je sentais que s'il eût dépendu de moi, j'aurais préféré le repos à l'action. Ce n'était pas là le dessein de la dame, qui m'accablait en vain de caresses brûlantes et voulait réveiller en moi des désirs que je n'avais plus. Elle s'y prit d'une autre façon pour animer ma chaleur éteinte. Elle se coucha sur le dos, et se troussa. Elle connaissait combien une semblable vue avait de pouvoir sur moi, et, me prenant le vit, elle me branlait avec plus ou moins de vitesse, proportionnément aux degrés de volupté qu'elle sentait naître. Elle en vint enfin à son honneur: je bandai, elle triomphait. Le retour de ma virilité la réjouit beaucoup. Charmé moi-même de l'effet de ses caresses, je lui donnai des marques de reconnaissance qu'elle reçut avec fureur. Elle me serrait, s'élançait avec des mouvements si passionnés que je déchargeai soudain, et avec tant de plaisir que je voulus du mal à mon vit de l'obstacle qu'il avait apporté par sa lenteur à la jouissance. Afin de tromper la vigilance des curieux, nous quittâmes le gazon où nous venions de nous livrer aux plaisirs de l'amour; nous fîmes quelques tours dans le jardin, et ces tours ne se firent pas sans causer.—Que je suis contente de toi, mon cher Saturnin, me disait Mme Dinville, et toi?—Moi, lui répondis-je, je suis enchanté des plaisirs que vous venez de me faire goûter!—Oui, reprit-elle, mais je ne suis guère sage de m'être ainsi livrée à tes désirs; sauras-tu être discret, Saturnin?—Ah! vous ne m'aimez guère, lui dis-je, puisque vous me croyez capable d'abuser de vos bontés. Contente de ma réponse un tendre baiser en aurait été le prix si nous n'avions pas été aperçus. Elle me serra la main contre son cœur, et me regarda d'un air de langueur qui me charma.
Nous allions vite; la conversation était tombée, et je m'aperçus que Mme Dinville jetait un œil inquiet de côté et d'autre. Je n'avais garde d'en pénétrer la cause, ne la soupçonnant pas; vous ne l'auriez pas soupçonnée vous-même, et vous ne vous seriez pas attendu qu'après avoir travaillé comme nous l'avions fait, la dame ne fût pas contente de sa journée. L'envie de la couronner avec honneur la rendait attentive à examiner si quelque indiscret ne viendrait pas y mettre obstacle. Mais, direz-vous, elle avait donc le diable au cul? D'accord; elle venait de sucer ce pauvre petit bougre; il n'en pouvait plus; il était rendu, cela est vrai; mais comment a-t-elle fait pour le faire bander? Oh! c'est ce que je vais vous démontrer.
En garçon qui commençait à savoir son monde, puisque je venais d'y faire une entrée assez brillante, j'aurais manqué à mon devoir si je n'avais pas conduit Mme Dinville dans son appartement. Je me préparais à lui tirer ma révérence, à l'embrasser pour la dernière fois de la journée, quand elle me dit: Tu veux t'en aller, mon ami? il n'est pas huit heures: va, reste, je ferai la paix avec ton curé. (Je lui avais dit que j'étais un des pensionnaires de M. le curé.) L'idée du presbytère me chagrinait, et je n'étais pas fâché que Mme Dinville m'épargnât une heure de dégoût. Nous nous assîmes sur son canapé, et, après avoir fermé sa porte, elle me prit une main qu'elle pressa dans les siennes et me regarda fixement, sans mot dire. Ne sachant que penser de ce silence, elle le rompit en me disant: tu ne te sens donc plus d'envie? Mon impuissance me rendait muet; je rougissais de ma faiblesse. Nous sommes seuls, Saturnin, reprit-elle en redoublant ses caresses; personne ne nous voit: déshabillons-nous et couchons-nous sur mon lit. Viens, mon fouteur, que je te fasse bander! Elle me porta sur son lit, m'aida à me déshabiller, et me vit bientôt dans l'état qu'elle me désirait, nu comme la main. Je la laissais faire, plutôt par complaisance que par l'idée du plaisir. Elle me renverse, me couvre de baisers, me suce le vit, et aurait voulu le faire entrer jusqu'aux couilles dans sa bouche. Elle semblait extasiée dans cette posture, me couvrait d'une salive semblable à de l'écume; mais elle employait en vain toute la chaleur de ses caresses pour ranimer un corps glacé par l'épuisement. A peine mon vit se redressait-il, et c'était si faiblement, que, n'en pouvant tirer aucun service, elle courut d'abord chercher dans une cassette une petite fiole de liqueur blanchâtre qu'elle versa dans le creux de sa main, et m'en frotta les couilles et le vit à plusieurs reprises. Va, me dit-elle alors avec satisfaction, nos plaisirs ne sont pas encore passés: tu m'en diras tout à l'heure des nouvelles. Sa prédiction s'accomplit; je sentis bientôt des picotements dans les couilles qui commencèrent à me faire entrevoir la possibilité de la réussite de son secret. Pour lui donner le temps d'opérer, elle se déshabilla à son tour. A peine se fut-elle montrée nue à mes yeux qu'une chaleur prodigieuse m'enflamma le sang, mon vit banda, mais d'une force inexprimable. Je devins enragé et, m'élançant sur elle, à peine lui donnai-je le temps de se mettre en posture. Je la dévorais; je ne voyais plus, ne connaissais plus rien: toutes mes idées étaient concentrées dans son con. Arrête, mon amour! s'écria-t-elle en s'arrachant de mes bras; ne nous pressons pas si fort; ménageons nos plaisirs, et, puisqu'ils ne durent qu'un instant, rendons-les vifs et délicieux. Mets ta tête à mes pieds, et tes pieds à la mienne. Je le fis. Mets ta langue dans mon con, ajouta-t-elle, et moi je vais mettre ton vit dans ma bouche. Nous y voilà! Cher ami, que tu me fais de plaisir! Dieux! qu'elle m'en faisait aussi! Mon corps étendu sur son corps nageait dans une mer de délices; je lui dardais ma langue le plus avant que je pouvais; j'aurais voulu y mettre la tête, m'y mettre tout entier! Je suçais son clitoris; j'allais chercher un nectar rafraîchissant jusqu'au fond de son con, plus délicieux mille fois que l'imagination des poètes faisait servir sur la table des dieux par la déesse de la jeunesse, à moins que ce ne fût le même et que la charmante Hébé ne leur donnât son conin à sucer. Si cela est, tous les éloges qu'ils ont donnés à cette boisson divine sont bien au-dessous de la réalité. Quelque critique de mauvaise humeur m'arrêtera ici tout court et me dira: Que buvaient donc les déesses? Elles suçaient le vit de Ganimède! Mme Dinville me tenait le derrière serré et je pressais ses fesses: elle me branlait avec la langue et avec les lèvres, je lui en faisais autant; elle m'avertissait, par de petites secousses et en écartant les cuisses, du plaisir qu'elle ressentait, et les mêmes signes qui m'échappaient lui faisaient connaître celui que j'avais. Modérant ou augmentant la vivacité de nos caresses, nous plongions ou nous avancions celui qui devait y mettre le comble; il vint insensiblement; alors, nous roidissant, nous serrant avec plus de force, il semblait que nous eussions ramassé toutes les facultés de l'âme pour ne nous occuper que des délices que nous allions goûter.
Nous déchargeâmes en même temps; je pressai dans ce moment, je couvris avec mes lèvres tout le con de ma fouteuse; je reçus dans ma bouche tout le foutre qui en sortait: je l'avalai; elle en fit autant de celui qui sortait de mon vit. Le charme se dissipa; je ne gardai du plaisir que je venais d'avoir qu'une légère idée qui s'évanouit comme l'ombre. Tels sont les plaisirs.
Retombé dans le même état de dégoût et d'affaiblissement dont le secret de Mme Dinville m'avait retiré, je la pressai d'y recourir encore.—Non, mon cher Saturnin; je t'aime trop pour vouloir te donner la mort. Sois content de ce que nous avons fait. Je n'étais pas pressé de mourir, et un plaisir qu'il me fallait acheter aux dépens de ma vie n'était plus de mon goût. Nous nous rhabillâmes.
J'étais trop content de ma journée pour négliger de prendre des assurances d'en passer encore de semblables. Mme Dinville, qui n'était pas plus mal satisfaite que moi, me prévint: Quand reviendras-tu? me demanda-t-elle en m'embrassant.—Le plus tôt que je pourrai, lui répondis-je, mais jamais assez tôt pour mon impatience; demain, par exemple?—Non, me dit-elle en souriant, je te donne deux jours: reviens le troisième, et le jour que tu viendras, continua-t-elle en rouvrant la cassette d'où elle avait tiré l'eau admirable dont j'avais éprouvé la vertu, et en me donnant quelques pastilles qu'elle y prit, tu auras soin de manger cela. Surtout, Saturnin, sois discret; ne parle à personne de tout ce que nous avons fait. Je l'assurai du secret et l'embrassai pour la dernière fois, la laissant bien persuadée qu'elle venait de recevoir mon pucelage.
Mme Dinville était restée dans son appartement. Elle m'avait averti de faire en sorte que l'on ne m'aperçût pas: l'obscurité me favorisait. Je traversais une antichambre, quand je me vis arrêté, par qui: par Suzon. Sa vue me rendit immobile: il semblait que sa présence me reprochât les plaisirs que je venais de goûter. Mon imagination, d'intelligence avec mon cœur pour m'accabler, la rendait témoin de tout ce que je venais de faire. Elle me prit la main, et demeura sans parler. La confusion me faisait baisser la vue. Inquiet cependant de son silence, je ne confiai qu'à mes yeux le soin de lui en demander la cause; je les levai sur elle, je m'aperçus qu'elle versait des larmes. Ce spectacle me perça le cœur. Suzon y reprit dans le moment l'empire que les caresses de Mme Dinville lui avaient enlevé. Je ne pouvais concevoir que sa maîtresse eût fasciné mes yeux et mon cœur au point de ne voir qu'elle, de n'être sensible qu'au plaisir d'être avec elle, et j'avais la simplicité de regarder comme l'effet de quelque sortilège ce qui n'était que l'effet de mon tempérament et de l'attrait des plaisirs.—Suzon, dis-je à ma sœur d'un ton pénétré, tu pleures, ma chère Suzon; tes yeux se couvrent de larmes quand tu me vois; est-ce moi qui les fais couler?—Oui, c'est toi, me répondit-elle; je rougis de te l'avouer, cruel Saturnin, oui, c'est toi qui me les arraches; c'est toi qui me désespères et qui vas me faire mourir de douleur.—Moi, m'écriai-je; juste ciel! Suzon, oses-tu me faire de pareils reproches? Les ai-je mérités, moi qui t'aime?—Tu m'aimes, reprit-elle: ah, je serais trop heureuse si tu disais vrai! Mais peut-être viens-tu de jurer la même chose à Mme Dinville. Si tu m'aimais, l'aurais-tu suivie? N'aurais-tu pas imaginé un prétexte pour venir me trouver quand je suis sortie? Vaut-elle mieux que moi? Qu'as-tu fait avec elle toute l'après-dînée? Qu'as-tu dit? Pensais-tu à Suzon qui t'aime plus que sa vie? Oui. Saturnin, je t'aime; tu m'as inspiré une si forte passion, que je mourrais de douleur si tu n'y répondais pas. Tu te tais? poursuivit-elle; ah! je le vois, ton cœur ne se faisait pas de violence pour suivre une rivale que je vais haïr à la mort. Elle t'aime, je n'en saurai douter; tu l'aimes aussi: tu n'étais occupé que du plaisir qu'elle te promettait, tu ne songeais guère à la douleur que tu m'allais causer. Attendri par ses reproches, je ne pus dissimuler à Suzon qu'ils déchiraient mon cœur.—Cesse tes plaintes, lui dis-je; n'accable plus ton malheureux frère; tes larmes le désespèrent; je t'aime plus que moi-même, plus que je ne peux te dire!—Ah! reprit-elle, tu me rends la vie, et je consens à oublier ton injure si tu me promets de ne plus voir Mme Dinville. As-tu assez d'amour pour ta Suzon pour la lui sacrifier:—Oui, lui répondis-je, je te la sacrifie; tous ses charmes ne valent pas un seul de tes baisers. En lui disant cela, je l'embrassais, et elle ne rebutait pas mes caresses.—Saturnin, reprit-elle en me serrant tendrement la main, sois sincère: Mme Dinville aura exigé de toi que tu reviennes la voir: quand t'a-t-elle dit de revenir?—Dans trois jours, lui répondis-je.—Et tu viendras, Saturnin? me dit-elle tristement.—Que dois-je faire? lui répliquai-je. Si je viens, ce sera pour la désespérer par mon indifférence; si je ne viens pas, qu'il en coûtera à mon cœur de ne pas voir Suzon!—Je veux que tu reviennes, reprit-elle, mais il ne faudra pas qu'elle te voie; je ferai semblant d'être malade; je resterai au lit, nous passerons la journée ensemble; mais, ajouta-t-elle, tu ne sais pas où est ma chambre? Suis-moi: je vais t'y conduire. Je me laissai mener; j'étais tremblant, je pressentais le malheur qui m'allait arriver.—Voici, me dit Suzon, mon appartement. Regretterais-tu d'y passer la journée avec moi? Ah! Suzon, lui répondis-je, quelles délices tu me promets! Nous serons seuls, nous nous abandonnerons à nos amours! Suzon, conçois-tu ce bonheur comme moi? Elle se taisait et paraissait rêver profondément; je la pressai de s'expliquer.—Je t'entends, me dit-elle d'un ton d'indignation; tandis que nous serons seuls, que nous nous livrerons à l'amour, ah! Saturnin, que tu parles de ce jour avec indifférence, et que les plaisirs qu'il te promet te touchent peu, si tu as la force de les attendre deux jours!
Je sentis son reproche: l'impossibilité de lui en prouver l'injustice me désespérait, je maudissais les plaisirs que je venais de goûter avec Mme Dinville. Ciel! m'écriai-je, je suis avec Suzon, j'aurais donné mon sang pour jouir de ce bonheur! J'y suis, et je n'ai pas la force de former un désir! Au milieu de cette confusion de pensées, je me ressouvins des pastilles que Mme Dinville m'avait données. Je jugeai que l'effet devait en être semblable à celui de son eau. Ne doutant pas qu'il ne fût aussi prompt, j'en avalai quelques-unes. L'espoir de désabuser bientôt Suzon me la fit embrasser avec une ardeur qui nous trompa tous deux. Suzon la prit pour un témoignage de mon amour, et moi, comme une marque de retour de ma vigueur. Suzon abusée par l'idée du plaisir, tomba sur son lit à demi pâmée. Quoique je me défiasse encore de moi-même, j'aurais cru l'accabler de douleur si je ne m'étais pas mis en état de justifier son espérance. Je me couchai sur elle, et collant ma bouche sur la sienne, je lui mis mon vit dans la main. Il était encore mou, mais je crus que son secours hâterait l'effet des pastilles. Elle le serrait, le remuait, le branlait; rien n'avançait: un froid mortel m'avait glacé le corps! C'est Suzon, disais-je, que j'embrasse, et je ne bande pas! Je baise ses tétons que j'idolâtrais hier; ne sont-ils plus les mêmes aujourd'hui? ils n'ont rien perdu de leur rondeur, de leur dureté, de leur blancheur. Sa peau est aussi douce, ses cuisses aussi brûlantes. Elle les écarte, j'ai le doigt dans son con, hélas! et je ne puis y mettre que le doigt! Suzon soupirait de ma faiblesse; je maudissais le présent de Mme Dinville. Je m'imaginais qu'elle avait prévu ce qui devait m'arriver en sortant de chez elle, et avait voulu achever avec ses pastilles l'épuisement où j'étais. L'opiniâtreté de ma froideur confirma si bien cette pensée, que j'allais avouer mon impuissance à Suzon, quand je sortis d'embarras d'une manière inattendue. On va penser que l'amour fit d'abord un miracle, que je bandai et que je foutis: point du tout; une main invisible ouvrant avec fracas les rideaux du lit, vint m'appliquer un soufflet. Effrayé de cet accident, je n'eus pas la force de crier; je m'enfuis, et laissai Suzon exposée à la fureur du spectre, ne doutant pas que ce n'en fût un. Je sortis du château en diligence, et tremblais encore dans mon lit, où je m'étais mis en arrivant chez le curé, à qui je fis le détail d'un spectacle que je n'avais pas vu et que mon trouble croyait véritable. Je n'en imposai au curé que sur le lieu de la scène, que je ne mis pas dans la chambre de Suzon. La frayeur et l'épuisement me procurèrent un sommeil profond. Je me réveillai avec le même accablement, et dans l'impossibilité de me lever. Surpris d'une lassitude que je n'attribuais qu'au plaisir, je connus combien il est nécessaire de se ménager, et ce que coûte trop de complaisance pour les désirs de ces sirènes voluptueuses qui vous sucent, qui vous rongent et qui ne vous lâcheraient qu'après avoir bu votre sang, si leur intérêt soutenu de l'espérance de vous attirer encore par leurs caresses, ne les retenait. Pourquoi ne fait-on ces réflexions qu'après coup? C'est qu'en amour la raison n'éclaire que le repentir.
Le repos avait effacé de mon esprit ces idées lugubres tracées par la frayeur. Devenu tranquille sur mon compte, mon cœur ne sentait que les inquiétudes que lui causait l'incertitude du sort de Suzon. Je me représentais avec horreur l'état où je l'avais laissée. Elle sera morte, disais-je tristement; timide comme je la connais, il n'en fallait pas tant pour la faire mourir. Elle n'est donc plus! continuais-je, accablé par cette réflexion cruelle. Suzon n'est plus! ah! ciel! Mon cœur, que ces tristes pensées avaient serré d'abord, s'ouvrit bientôt à un torrent de larmes; j'en versais encore quand Toinette entra. Sa vue m'épouvanta; je tremblais qu'elle ne vînt me confirmer un malheur que je craignais, et je mourais d'envie de l'entendre. Il n'en fut pas question. Son silence à ce sujet, joint à celui de tout le monde, me fit croire que ma douleur était sans fondement. Je pensai que Suzon en avait été quitte comme moi de la frayeur. Le chagrin que j'avais ressenti de sa mort fit place à la curiosité de savoir ce qui s'était passé dans la chambre après mon départ; mais c'était une curiosité que je ne pouvais satisfaire qu'après mon rétablissement.
Les deux jours de repos que Mme Dinville m'avait accordés étaient expirés; nous étions au troisième, et quoique je commençasse à me sentir mieux, je ne fus point tenté d'aller chercher de l'exercice au château. Je ne songeais cependant qu'avec chagrin à l'obstacle que cette funeste aventure avait mis au plaisir que je m'étais promis d'avoir avec Suzon. Cette réflexion me fit penser aux pastilles de Mme Dinville: je mangeai ce qu'il m'en restait. Je ne dirai pas si leur effet fut vif ou lent; mais, après avoir profondément dormi, je fus réveillé par la force de l'érection que je sentais. J'en étais effrayé, et j'aurais craint pour mes nerfs si la même chose ne me fût pas arrivée chez Mme Dinville. Qu'on rie de mon embarras; qu'on dise si l'on veut: Eh quoi! brave Saturnin, n'aviez-vous pas vos quatre doigts et le pouce pour vous soulager? Comment font ces cafards de prêtres, ces hypocrites dont le cœur est corrompu? On ne trouve pas toujours un bordel, une dévote sous la main; mais on a toujours un vit: on s'en sert, on se branle. Je le savais, mais il n'y avait pas longtemps que, pour m'en être trop donné, je me trouvais brisé, moulu. En garde contre la tentation, je me branlotais et faisais venir le plaisir jusqu'à ma portée. Quoiqu'il ne soit pas si grand que quand on fait le cas, on a toujours la faculté de le répéter autant de fois qu'on le juge à propos. L'imagination se joue, voltige sur les objets qui nous charment les yeux. Avec un coup de poignet, on fout la brune, la blonde, la petite, la grande; les désirs ne connaissent pas l'intervalle des conditions; ils vont jusque sur le trône, et les beautés les plus fières, forcées de céder, accordent ce qu'on leur demande. Du trône on descend à la grisette; on se représente une fille timide, neuve sur les plaisirs de l'amour et qui ne connaît la nature des désirs que par ceux qu'elle ressent. On lui donne un baiser; elle rougit; on lève un mouchoir qui cache une gorge naissante; on descend plus bas: on y trouve un petit conin chaud, brûlant; on lui fait faire une résistance que le plaisir augmente, diminue, fait évanouir à son gré. Le plaisir est vif et pétillant. Semblable à ces feux qui sortent de la terre, il se montre et s'échappe? l'avez-vous vu? Non; la sensation qu'il a excitée dans votre âme a été si vive, si rapide, qu'anéantie par la force de son impulsion elle n'a pu le connaître. Le vrai moyen de le fixer, c'est de badiner avec lui, de le laisser échapper, de le retrouver enfin, en vous livrant tout entier à ses transports.
J'étais dans cette occupation, la nuit était déjà fort avancée, j'allais finir mon badinage pour m'abandonner au sommeil, quand j'entrevis quelqu'un paraître au pied de mon lit et disparaître à l'instant. Je fus moins effrayé que réveillé par une pareille vision. Je crus que c'était l'abbé dont je vous ai parlé dans le portrait de mademoiselle Nicole. C'est lui, disais-je, oui; où va ce bougre-là? Foutre Nicole? Ira-t-il seul? Non, parbleu! car je vais le suivre. Je me lève; j'étais en habit de combat, c'est-à-dire en chemise: je savais les êtres. Je gagnai le corridor où était la chambre de la belle. J'entrai dans une chambre dont la porte n'était pas fermée; je la repoussai et m'approchai avec circonspection du lit où je croyais nos amants occupés à prendre leurs ébats. J'écoutais, j'attendais que des soupirs m'apprissent si mon tour viendrait bientôt. Quelqu'un respirait; mais ce quelqu'un paraissait être seul. Ne serait-il pas venu? dis-je alors bien étonné. Non, assurément il n'y est pas. Oh! parbleu, monsieur l'abbé, vous n'en tâterez, ma foi! que d'une dent. Dans l'instant, je coulai ma main entre les jambes de la belle dormeuse, et je lui donnai un baiser sur la bouche.—Ah! me dit-on d'une voix basse, que vous vous êtes fait attendre! Je dormais; montez donc. Ma foi! Je montai dans le lit, et bientôt sur ma Vénus, qui me reçut assez froidement dans ses bras. Je fus sensible à cette marque d'indifférence qu'elle croyait donner à son amant, et je m'applaudis du succès que la fortune me donnait, en me procurant une vengeance aussi douce des mépris de ma tigresse. Je la baisais à la bouche, lui pressais les yeux avec les lèvres, me livrais à des transports d'autant plus vifs qu'on leur avait toujours refusé la liberté d'éclater. Je lui maniais les tétons, qui étaient bien séparés, bien formés, bien durs. Je nageais dans un fleuve de délices; je fis enfin ce que j'avais souhaité tant de fois de faire avec divinité. Assurément, elle ne s'attendait pas à être si bien régalée. A peine eus-je fini ma carrière, que, me sentant encore plus animé que jamais, je repris du champ, et je donnai une nouvelle matière à ses éloges. Je l'avais mise en goût et jugeai par ses caresses qu'elle n'attendait plus que cette troisième preuve de valeur pour mettre cette nuit au-dessus de toutes celles qu'elle disait que nous avions passées ensemble. Quoique je fusse capable de lui donner encore cette nouvelle satisfaction, la crainte d'être surpris par l'abbé amortit un peu mon courage. Je ne savais à quoi attribuer sa lenteur. Je ne pouvais en accuser qu'un changement de résolution. Sur cette pensée, je crus que je pouvais reprendre haleine et ne pas précipiter mes coups ainsi que je l'avais fait.
Deux décharges abattent un peu les fumées de l'amour; l'illusion se dissipe, l'esprit rentre dans ses fonctions; les nuages s'évanouissent, les objets cessent d'être ce qu'ils étaient. Les belles y gagnent, les laides y perdent: tant pis pour elles. Je voudrais en passant donner un conseil à celles-ci: Laides, quand vous accordez des faveurs à quelqu'un, ménagez-le, ne l'en accablez pas: quand on n'a plus rien à désirer, on ne désire plus; la passion s'éteint par une jouissance trop complète. Prenez-y garde: vous n'avez pas les ressources d'une belle à qui les charmes promettent le retour de ces désirs qu'elle vient d'assouvir et que le moindre désir rallume.
La réflexion que je viens de faire cadre le mieux du monde avec ce que j'éprouvai. Je m'amusais à parcourir avec la main les beautés de ma nymphe; j'étais surpris de trouver une différence dans les choses que j'avais maniées un instant auparavant. Ses cuisses, qui m'avaient paru douces, fermes, remplies, unies, étaient devenues ridées, molles, sèches; son con n'était plus qu'une conasse, ses tétons que des tétasses; ainsi du reste. Je ne pouvais concevoir un pareil prodige; j'accusais mon imagination de s'être refroidie, je voulais du mal à ma main du rapport trop fidèle qu'elle lui faisait. Ce n'est pas que ces témoignages incertains m'eussent empêché de livrer un troisième assaut; j'allais m'y présenter, et on se préparait à le recevoir, quand nous entendîmes un charivari dans la chambre voisine, que je prenais pour celle de la dame Françoise, notre vénérable gouvernante. Ah! le chien! criait une voix enrouée; Ah! la misérable! ah! la… A ces mots ma mignonne, que j'allais enconner, me dit: ah! mon Dieu, que fait-on à notre fille; est-ce qu'on la tue? Allez donc voir. Je ne répondis rien. Frappé de ce discours, je ne savais où j'en étais: Notre fille, disais-je; Nicole aurait-elle une fille? Le bruit continuait, et l'on me pressait d'aller au secours. Je ne m'en remuais pas davantage. On s'impatiente, on court au fusil, on allume de la chandelle, et à sa faveur je reconnais la dame Françoise, cette vieille… Je demeurai pétrifié à la vue de ce fantôme; je vis bien que je m'étais trompé de porte, et j'étais enragé de me voir la dupe de ce misérable abbé, ou plutôt de mon impatience qui ne m'avait pas permis de faire attention à la disposition des lieux. Je jugeai que M. le curé, s'étant trouvé en humeur de s'ébaudir cette nuit-là avec sa chambrière, l'avait avertie de se tenir prête pour la danse, et que, me prenant pour le pasteur, elle m'avait reproché ma lenteur à me rendre à mon poste; que le saint prêtre pour éviter le scandale, avait attendu que la nuit fût avancée pour tenir parole à sa beauté; qu'ayant trouvé la porte de la chambre de sa nièce ouverte, la tendresse l'avait fait courir à son lit, où il l'avait trouvée en flagrant délit; que, frappé de l'idée d'infamie dont elle couvrait son front, il avait donné aux combattants des témoignages de sa colère plus forts que jeu. Mais le bruit redouble, on s'étrangle: eh! vite, dame Françoise, volez sur le champ de bataille: l'honneur, l'amour, la tendresse, tout vous en fait une loi; allez séparer des ennemis dont la mort vous affligerait; mais, au nom de Dieu, laissez la porte ouverte pour que je me sauve. Oh! la chienne! elle la ferme à double tour. Malheureux Saturnin, comment vas-tu t'échapper? La dame Françoise va s'apercevoir que ce n'est pas avec le curé qu'elle a eu affaire, il va venir, il va te trouver, tu es perdu, tu payeras pour les autres. Telles étaient les pensées qui m'agitaient tandis qu'on se chamaillait dans la chambre voisine. Inutilement j'avais essayé de sortir; réduit à pleurer mon triste malheur, je m'y abandonnais. Insensé que j'étais, comme si je n'eusse pas déjà éprouvé qu'au sein du malheur même on ne doit pas désespérer de sa félicité; qu'au moment où l'on se croit accablé par les coups redoublés du sort nous devons au hasard les jours les plus fortunés. Divine Providence, c'est par tes décrets que ces merveilles s'opèrent.
Au moment où je me livrais au désespoir, la fortune tournait sa roue. Le bruit avait augmenté à la vue de Françoise, à qui le chandelier tomba des mains à l'aspect du curé qu'elle prit pour un spectre. Qu'on se peigne cette scène. Si j'en avais été témoin, j'en épargnerais la peine, mais la connaissance des parties me met en état de fournir des idées pour la perfection du tableau. Qu'on se figure M. le curé, nu, en caleçon, un bonnet gras sur la tête, ses petits yeux étincelants, sa grande bouche écumante, frappant comme un sourd sur l'abbé et sur la nièce. Qu'on se représente ces deux amants, la belle tremblante et s'enfonçant dans son lit, l'abbé se cachant sous la couverture et n'en sortant que pour allonger de temps en temps des coups de poing sur le visage du pasteur. Qu'on se trace la figure d'une mégère en chemise, qui, la chandelle à la main, s'approche, veut crier, demeure interdite, et tombe de frayeur sur une chaise.
L'abbé, autant que j'en fus juge par le silence qui régna tout à coup, craignant d'être découvert, gagna le large. Le curé l'avait suivi. On ouvrit dans le moment ma porte, et on la referma sur-le-champ. Je tremblais, on se coucha; nouvelle frayeur. Je crus que c'était Françoise, et que le curé allait venir. Tout était pourtant calme, et cette Françoise qui était dans le lit, pleurait et soupirait. J'étais confus. Que penser de ces pleurs? Pourquoi soupire-t-elle? pourquoi est-elle revenue? Le curé reviendra-t-il ou non? Ah! que l'incertitude est une peine cruelle! Je voulais sortir, mais je n'osais: enfin, j'allais m'évader quand le diable m'arrêta. Mon cœur me disait: Tu vas te coucher, nigaud, et tu bandes encore! Tu abandonnes Françoise à son chagrin: crains-tu de la consoler? c'est bien la moindre chose que tu lui doives; elle t'a comblé de caresses, refuseras-tu d'essuyer ses larmes? Elle est vieille, d'accord; laide, soit; mais n'a-t-elle pas un con, nigaud? Ma foi? seigneur Diable, vous avez raison.
Va, va, continua la voix intérieure, l'orage est passé; il n'y a plus rien à craindre, remets-toi dans le lit. Je succombai à la tentation, je m'y remis. Je commençai à me coucher, avec beaucoup de discrétion, sur le bord; mais toute ma politesse ne put arrêter un cri de frayeur qui partit et fut dans l'instant étouffé par la crainte d'être entendu. Je sentis qu'on se retirait dans le coin du lit. Une pareille façon d'agir augmentait ma surprise. Je crus que je la ferais bientôt cesser, en expliquant mes intentions, et cette explication fut de porter la main entre les cuisses de ma vieille: elles étaient redevenues tout ce qu'on pouvait les souhaiter et pour exciter les plus vives émotions, plus douces et plus fermes qu'elles ne m'avaient encore paru. Ma main ne s'y arrêta pas longtemps, quelque plaisir qu'elle y sentît: elle passa au conin. La motte, le ventre, les tétons, tout était aussi doux, aussi uni qu'à une jeune fille. Je maniais, je baisais, je suçais, on me laissait faire, et mon feu ranimant celui de ma belle, elle cessa de soupirer, se rapprocha de moi et moi d'elle. De la tristesse je la fis passer à l'amour; je l'enconnai.—Ah! me dit-elle alors, cher abbé, qui t'a conduit ici? Que ton amour me va coûter de larmes! Quoique attendri par ce discours, mes transports redoublèrent: je serrai tendrement ma nymphe, confondis mes soupirs avec les siens, et scellai, par des élancements de volupté, les délices qui les avaient précédés. L'extase finie, je me rappelai les paroles qu'on venait de m'adresser. Où suis-je? me dis-je alors. Est-ce avec Françoise? Quelle différence de plaisirs! Mais elle me prend pour l'abbé; elle dit que mon amour va lui faire verser des larmes: partagerait-elle avec Nicole les hommages de ce faquin-là? Elle est apparemment jalouse, la bonne dame; elle croyait posséder toute seule le cœur de son mignon. Pourquoi est-elle vieille? Pourquoi est-elle laide? Malgré sa laideur, j'eus encore assez de hardiesse pour m'exposer au désagrément de l'examen dont je m'étais si mal trouvé après les premiers coups. Ma main impatiente brûlait de retourner sur son corps sec et décharné; et quoique je sentisse que le dégoût serait le prix de mon imprudence, et que si je voulais courir encore une poste, le meilleur parti était d'attendre le retour de ma vigueur, sans la précipiter par un badinage qui pourrait bien au contraire l'éloigner, je hasardai de porter la main; mais, ô surprise! partout la même fermeté, le même embonpoint, la même chaleur, la même douceur! Que veut dire ceci? repris-je alors. Est-ce Françoise? ne l'est-ce pas? Non assurément, ce ne peut être que Nicole. O ciel! c'est Nicole! J'en ai pour garants le plaisir qu'elle m'a donné et la continuation de ce plaisir que je ressens encore à la toucher. Elle se sera échappée de son lit, aura profité de la faiblesse de Françoise pour venir se réfugier ici: elle s'imagine que son amant est venu aussi s'y cacher! Je retrouvais dans cette explication toute naturelle des paroles qu'elle m'avait adressées. Rempli de cette pensée, je sentis les désirs qu'elle m'avait autrefois inspirés renaître avec plus de force. Le croirait-on? J'eus regret aux plaisirs que je croyais n'avoir eus qu'avec Françoise, parce que c'était autant de diminué sur ceux que j'allais goûter avec Nicole. Je me mis en état de récompenser le temps perdu.—Ma chère Nicole, lui dis-je en la baisant tendrement et en tâchant de contrefaire la voix de l'abbé, de quoi t'occupes-tu? Peux-tu te laisser aller à la tristesse, quand l'heureux hasard qui nous rassemble veut que nous nous livrions à notre amour? Foutons, ma chère enfant; noyons notre malheur dans le foutre!—Que tu me fais de plaisir, me répliqua-t-elle en répondant à mes caresses! Ta douleur augmentait la mienne. Oui, profitons du seul moyen que nous ayons de nous consoler. Arrive tout ce qui pourra, tant que j'aurai cela dans la main, continua-t-elle en me prenant le vit, je ne craindrai pas la mort même. N'appréhende pas qu'on vienne nous interrompre, j'ai retiré la clef; ils ne peuvent entrer qu'en jetant la porte en dedans. Charmé de cette heureuse précaution inspirée par l'amour, je la caressais avec un nouveau plaisir; mon vit, qu'elle tenait toujours dans sa main, était toujours d'une raideur qui l'enchantait. Vite, lui dis-je, mets-le dans ton cher conin; Nicole, que tu me fais languir! Elle ne se pressait pas, continuait de serrer mon vit, et paraissait surprise de sa grosseur, qu'elle prenait pour l'effet de ses caresses. Je voulus le mettre moi-même.—Attends, mon cher ami, me répondit-elle en me pressant dans ses bras; laisse-le venir encore plus gros et plus long. Ah! je ne l'ai jamais vu plus beau: est-il augmenté cette nuit! l'abbé n'était pas apparemment si bien partagé que moi des dons de la nature. J'aurais ri de cette pensée de Nicole, si je n'avais pas été en humeur de faire autre chose.—Ah! que je vais avoir de plaisir! reprit-elle en se le mettant. Pousse, cher ami, pousse! Il n'était pas besoin de me le dire: j'enfonçai, et, m'appesantissant sur sa gorge, sur son sein, je les couvrais de baisers de feu, je restais immobile, j'y mourais.—Fais donc! me dit Nicole, en se remuant avec des transports qui me tirèrent de mon assoupissement extatique; fais donc! Je me mis aussitôt à lui allonger des coups de cul, des coups de vit, qui lui allaient, disait-elle, jusqu'au cœur. Ah! ceux qu'elle me rendait allaient bien plus loin! Ils portaient le feu, ils me lançaient des torrents de délices jusqu'aux parties les plus reculées de mon corps. O décharge! tu es un rayon de la Divinité, ou plutôt n'es-tu pas la Divinité même? Pourquoi ne meurt-on pas dans les transports? La mère du dieu des buveurs ne mourut-elle pas quand Jupiter, cédant à ses instances, la foutit en dieu? car ne vous y méprenez pas, messieurs les mythologistes, ce n'est pas l'appareil, l'éclat, ni la majesté du souverain des cieux, qui ravirent le jour à Sémélé: c'est le foutre embrasé qui sortait de son vit. Mahomet, j'observe ta loi, je suis ton plus fidèle croyant; mais tiens-moi parole; fais-moi jouir pendant mille ans des embrassements continuels du plaisir toujours renaissant de la décharge délicieuse que tu promets à tes fidèles avec tes houris rouges, blanches, vertes, jaunes: la couleur n'y fait rien, que je décharge, c'est tout ce qu'il me faut.
Nicole était enchantée de moi, j'étais enchanté de Nicole. Quelle différence entre une vieille et une jeune! Une jeune le fait par amour, une vieille par habitude. Vieillards, laissez la fouterie à la jeunesse; c'est un travail pour vous, c'est un plaisir pour elle.
Mon vit, plus dur qu'il ne l'était avant l'action, restait dans son étui sans s'amollir. Nicole me serrait avec plus de feu, et le même feu qui m'animait me la faisait serrer avec plus de roideur encore, elle ne m'aurait pas lâché pour un trône; je ne l'aurais pas quittée pour l'empire de l'univers. Bientôt un mouvement nous fit recourir après ce que nous venions de perdre. L'imprudence est le partage de l'amour; le bonheur éblouit, on est trop occupé pour penser qu'il puisse s'évanouir. Nous nous trahîmes par nos transports; le lit était appuyé contre la cloison de la chambre voisine; nous ne songions pas que Françoise était dans cette chambre, qu'elle pouvait se réveiller au bruit que nous faisions par les secousses indiscrètes que nous donnions au lit, qui, frappant contre cette cloison, l'eût bientôt mise au fait de ce qui se passait dans la chambre. Plus vite que l'éclair, elle accourt à la porte; point de clef: comment faire? Appeler Nicole; elle le fit. A cette voix terrible nous fûmes glacés d'effroi; nous nous arrêtâmes tout court, et la vieille cessa de crier; mais nous cessâmes bientôt d'être sages. Trop animés pour rester longtemps dans notre inaction gênante, nous reprîmes notre ouvrage; mais quoique nous le fissions avec toute la discrétion possible, la vieille, qui avait l'oreille au guet, ne prit pas le change. Elle démêla, dans le bruit sourd de nos soupirs et des mots interrompus qui nous échappaient, le motif de notre silence. Nouveau tapage. Nicole, criait-elle en frappant contre la cloison, misérable Nicole, finiras-tu? Nouvelles alarmes de notre part; mais me mettant bientôt au-dessus de la crainte, je dis à Nicole que, puisque nous étions découvert, il était inutile de nous gêner. Elle approuva par son silence cette résolution courageuse, et, me donnant elle-même le premier coup de cul, en me remettant sa langue dans la bouche, elle me piqua d'honneur; et tels que des généreux guerriers qui, bravant dans les lignes le feu d'une artillerie meurtrière braquée contre eux sur un rempart, continuent tranquillement leur ouvrage et rient du bruit impuissant du canon qui gronde sur leur tête, nous travaillâmes intrépidement au bruit des coups que Françoise donnait contre la cloison. Nous achevâmes; et, soit que l'interruption, soit que le bruit que la vieille faisait encore eût donné une pointe de vivacité à nos plaisirs, nous nous avouâmes réciproquement que nous n'en avions pas encore goûté d'aussi vifs.
Le faire cinq fois en fort peu de temps, ce n'était pas mal s'en tirer pour un convalescent, convalescent encore de quelle maladie! Je sentais cependant que je n'étais pas tout-à-fait hors de combat; il fallait avoir de la sagesse pour ne pas se laisser aller; je l'eus, cette sagesse; je triomphai de mon envie. Il faut pourtant convenir que la réflexion eut bonne part dans ma modération. La dame Françoise pourrait à la fin s'impatienter de ce petit manège, des honnêtes remontrances passer aux cris, des cris, que sais-je? sonner le tocsin sur nous, ou peut-être venir faire sentinelle à notre porte. S'exposer aux risques d'être arrêtés au passage; mauvaise affaire; rester dans la chambre, assiégés jusqu'au jour, au bout du compte il en aurait fallu sortir; Comment? Nus; cela n'aurait pas été honnête, un jeune homme, une jeune fille dans cet équipage. Le parti le plus sûr était de faire une prompte retraite; je la fis; mais avant que de gagner mon lit je jugeai prudemment que je ne serais qu'un sot si je laissais subsister dans l'esprit de Nicole l'opinion trop avantageuse que j'y avais fait naître sur le compte de l'abbé. Il en aurait trop coûté à mon amour-propre de faire à ce maroufle le sacrifice de la gloire que je venais d'acquérir sous son nom. De la vanité, à moi, cela vous fait rire, lecteur, n'est-il pas vrai? J'aurais voulu vous voir à ma place. Je vous suppose rival comme je l'étais et sensible au plaisir de vous venger, je gage que vous auriez été aussi fat que moi, et que vous auriez dit, ainsi que je le fis: ma belle Nicole, vous ne devez pas être mécontente de moi? Là-dessus elle vous aurait assuré que son cœur était charmé. N'est-il pas vrai, auriez-vous repris, que vous n'en attendiez pas tant du petit drôle que vous avez toujours méprisé? Vous aviez tort, et il ne méritait pas le traitement que vous lui avez fait; car vous voyez que les petits valent bien les grands. Adieu, ma chère Nicole; je me nomme Saturnin, pour vous servir. Vous l'auriez embrassée, et puis vous l'auriez laissée là, bien étourdie de votre compliment; vous auriez gagné la porte, vous l'auriez ouverte (on avait laissé la clef dans la serrure), et vous auriez été vous recoucher tranquillement dans votre lit. Dieu veuille que vous eussiez été capable de le faire aussi bien et aussi heureusement que moi.
Frappé de la bizarrerie des aventures qui venaient de m'arriver, j'attendis avec impatience que le jour vînt m'apprendre qu'elles seraient les suites d'une nuit aussi singulière. J'étais charmé du désastre de l'abbé et de ma bonne fortune. Comme personne (excepté Mlle Nicole, sur la discrétion de laquelle je pouvais compter) ne me soupçonnait de rien, je me faisais d'avance une comédie de la figure que je verrais faire à nos acteurs nocturnes, et je me promettais d'autant plus de plaisir, que je serais le seul à qui elle devait être indifférente. M. le curé, disais-je, aura un air sombre, taciturne, sera de mauvaise humeur, fessera; qu'il fesse, ce ne sera pas moi, ou je jouerai de malheur. Françoise examinera tous les écoliers, l'un après l'autre, avec des yeux dont la fureur rendra l'écarlate plus vive et plus brillante. Elle cherchera, parmi les grands, celui sur qui elle doit se venger, non des plaisirs qu'elle a eus, mais de ceux qu'il a donnés à sa fille. Si elle me reconnaît, elle sera bien fine. Nicole n'osera se montrer; si elle se montre, elle rougira, sera honteuse, me fera la mine, peut-être les yeux doux; que sait-on? Elle est friande, ferai-je le cruel? Peut-être l'abbé sera-t-il cassé aux gages; oh! pour lui, il n'en sera que plus impudent.
J'étais si fort occupé de toutes ces pensées, que je ne songeais pas à dormir; et l'Aurore aux doigts de rose avait déjà ouvert les portes de l'Orient, que je n'avais pas encore fermé l'œil. J'avais pourtant besoin de repos. Le sommeil, qui semblait avoir respecté mes réflexions, vint aussitôt qu'elles furent cessées, et ce ne fut pas sans peine qu'on vint à bout de le faire rompre au milieu du jour. Que devins-je à la vue de Toinette, qui, placée aux pieds de mon lit, paraissait attendre mon réveil? Je pâlis, je rougis, je tremblai. Je crus que mon procès était fait et parfait; qu'on avait découvert que j'avais eu part aux désordres de la nuit et que j'allais le payer. Cette pensée accablante me fit retomber sans force sur mon lit.—Eh bien, Saturnin, me dit Toinette, es-tu encore malade? Pas de réponse. Le révérend père Polycarpe va donc partir sans toi, continua-t-elle; il comptait pourtant t'emmener avec lui. A ce mot de départ, ma tristesse se dissipa.—Il part! dis-je à Toinette avec vivacité. Eh! vraiment, je me porte à merveille. Dans le moment je m'élançai hors du lit, et je fus habillé avant que Toinette songeât à faire attention au passage subit de la tristesse à la joie que je venais d'éprouver en si peu de temps; je la suivis.
J'étais trop agréablement occupé de la nouvelle que Toinette venait de m'apprendre pour quitter avec regret la maison du pasteur. Je ne pensai pas même que je ne reverrais plus Suzon. Je trouvai le père Polycarpe qui m'attendait: il fut charmé de me revoir. Je passe sous silence les caresses d'Ambroise, les baisers, les larmes de Toinette: elle en répandit, j'en jetai moi-même. Me voilà en croupe sur le cheval du valet de sa révérence. Adieu, père Ambroise. Adieu, Mme Toinette, serviteur. Je pars, nous marchons, nous arrivons, nous voilà au couvent.
FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE