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Le prince corsaire

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Que tu les connois mal, ces communs ennemis,
Quand tu leur sçais bon gré de ce qu'ils t'ont permis.
La faveur dont tu crois leur estre redevable,
De leurs méchancetez est la plus redoutable,
Et tu le vas bien voir par les rudes effets
Des maux qu'elle va joindre aux maux qu'on nous a faits.
Te le diray-je? on veut qu'Orosmane choisisse,
Où d'estre sans Elise, ou d'aller au supplice;
On me donne à choisir, ou d'aimer Amintas,
Que je ne puis aimer, ou de voir ton trépas.
Laisseray-je perir un Amant que j'adore?
Feray-je mon espoux d'un Prince que j'abhorre
Parle, ouvre-moy ton coeur, & sans dissimuler,
Fay voir à mon amour où le tien peut aller.
Choisis sans hesiter de la vie, ou d'Elise;
A ton choix, quel qu'il soit, elle sera soûmise.
Si ton ame s'estonne & redoute la mort,
Quand le Prince qui m'ayme, & que je hay si fort,
Des monstres plus affreux seroit le plus horrible,
J'en feray mon époux, pour toy tout m'est possible;
Mais si ton coeur fidelle & transporté d'amour,
Peut mépriser pour moy la lumiere du jour,
Il n'est humain pouvoir qui sur mon ame obtienne,
Que ma fidelité ne réponde à la tienne.
Non pas mesme les Dieux me pourroient empescher,
De joindre apres ta mort ce que j'eus de plus cher;
Et je ferois bien plus, ô malheureux Alcandre!
Si l'on pouvoit pour toy davantage entreprendre.
Fay, Fay donc nos Destins, ils dépendent de toy,
Fay nous mourir ensemble, ou vis heureux sans moy.

Orosmane.

C'est m'offencer, Madame, & s'est mal me connoistre,
Mal juger d'un amour que vous avez fait naistre,
Que me donner le choix de la vie ou de vous,
En pouvez-vous douter sans haine & sans courroux?
Et quand bien je serois, un ingrat, un parjure;
Auriez-vous deu me faire une plus grande injure?
Helas! s'il ne falloit pour augmenter vos jours,
Ou pour les rendre heureux en leur tranquille cours,
Que souffrir qu'un Rival obtinst vostre Himenée,
Vous m'en verriez haster la cruelle journée;
Et s'il manquoit ma vie à cét Himen fatal,
Je l'offrirois moy-mesme à cet heureux Rival.
Mais que pour la sauver, vous me soyez ravie?
Quel remede, grands Dieux! pour asseurer ma vie!
Et qu'il la raviroit bien plus cruellement,
A vostre inconsolable & malheureux Amant,
Que ne feroit jamais en sa plus grande rage,
Du cruel Nicanor le barbare courage.

Elise.

Mourons donc, cher Alcandre, & ne resistons plus
A l'injuste pouvoir des Destins absolus.

Orosmane.

Un malheureux, qu'opprime une indigne fortune,
Vous ayme, & souffrira qu'elle vous soit commune;
Un Prince trop heureux d'avoir porté vos fers,
Et trop recompensé des maux qu'il a soufferts,
Pour peu qu'en ses malheurs vous preniez part encore,
Verra mourir pour luy la beauté qu'il adore?
O Dieux! ce seul penser dans l'esprit d'un Amant,
Est son plus veritable, et plus cruel tourment.
Songez, songez, Princesse à mes maux trop sensible,
Que vostre mort rendroit la mienne plus horrible,
Et songez que mourant & pour vous, & sans vous,
Le plus cruel trépas me peut devenir doux.
Et qui sçait si le Ciel sur ma funeste vie,
N'a pas toute son ire, & sa rage assouvie,
Et qu'ayant sur ma teste épuisé ses rigueurs,
Il n'ait gardé pour vous ses plus rares faveurs:
Vos celestes beautez par les Dieux achevées,
A de meilleurs Destins sont par eux reservées,
Et s'ils ont le pouvoir d'exempter du Tombeau,
Qui seroit-ce, que vous, leur ouvrage plus beau;
Vivez, vivez heureuse, & qu'un Prince fidelle,
Avec plus de merite, & non pas tant de zele,
Succede en vostre coeur au malheureux Amant,
Qui ne vous fut jamais qu'un sujet de tourment,
Et qui ne peut avoir de fin plus glorieuse,
Que de perdre pour vous une vie ennuyeuse.

Elise.

Et moy pourroy-je avoir de plus honteuse fin,
Que de survivre ingrate, à ton triste Destin?
Mais comment oses-tu me proposer de vivre;
Me donner des conseils que tu ne veux pas suivre;
Cesse Prince cruel! cesse de m'attendrir;
Ne me rends point la mort difficile à souffrir;
Laisse-moy partager la gloire de la tienne;
Songe que mes malheurs finiront par la mienne,
Et songe que l'amour n'en a point de plus grand,
Que d'aymer, d'estre aymée, & de perdre un Amant.
Mais où court, & que veut Clarice épouvantée;

SCENE VI.

CLARICE, ELISE, OROSMANE.

Clarice.

Le Ciel nous abandonne, & la Ville emportée,
Est le triste butin de l'avare estranger,
Vous n'estes pas vous-même hors du commun danger,
Dans le Palais tout manque, & le Soldat barbare,
Dé-ja pour le forcer ses machines prépare.

Elise.

Helas! au bruit confus que j'entends augmenter,
De ce premier malheur il ne faut plus douter.

Orosmane.

Vous n'avez rien à craindre où je seray, Madame.

Elise.

Que tu me connois mal, si tu crois que mon ame,
Dans le peril s'estonne, & mesme aupres de toy;
Mais on peut pour autruy craindre plus que pour soy.
Si tu m'aymes cher Prince, Amintas, & son Pere,
Quoy qu'indignes objets de ta juste cholere,
Connoistront....

Orosmane.

Jugez mieux d'un coeur où vous regnez,
Et qui n'a d'ennemis que ceux que vous craignez,
Nicanor, & son fils vivront.

SCENE VII.

ARGANTE, OROSMANE, ELISE, CLARICE, CORSAIRES.

Argante.

Que la licence
Ne vous emporte pas à la moindre insolence.
Soldats, cherchons par tout nostre invincible Roy;
Mais nos voeux sont oüis, et c'est luy que je voy.
Cher Seigneur, que le Ciel à la fin nous renvoye.

Orosmane.

Suspendons mes amis nostre commune joye,

Argante.

Grand Prince!

Orosmane.

Cher Argante, il faut sans differer,
Empescher le desordre.

Argante.

Il faut donc vous montrer
Sebaste en vain l'essaye, & tel excez de rage,
Des plus sages Soldats maistrise le courage,
Qu'il est à redouter, que l'incendie enfin,
N'acheve de Paphos le malheureux Destin.

Elise.

O! quel malheur.

Orosmane.

Allons Argante, allons sans cesse,
Mourir, ou contenter ma divine Princesse.

SCENE VIII.

CLARICE, ELISE.

Clarice.

Le plus grand, le plus fier de tous vos ennemis,
Est donc ainsi Madame, à vos ordres soûmis?

Elise.

Prepare toy, Clarice, à voir d'autres merveilles,
Qui surprendront bien plus les yeux & les oreilles.
Cypre ne verra plus la fille de ses Roys,
Redouter des Tyrans, & gemir sous leurs loix,
Ma puissance en ces lieux ne sera plus bornée,
Et j'y disposeray de mon libre Himenée;
Mais que voy-je, grands Dieux?

SCENE IX.

NICANOR, ELISE.

Nicanor.

Le Ciel me venge enfin,
Et met entre mes mains ta vie & ton Destin.
Des-honneur de ton sang, Peste de ta Patrie,
De mon lâche Amintas la basse idolatrie,
Ne s'opposera plus à ma juste fureur,
Et je te confondray dans mon dernier malheur.

Elise.

Acheve! est-ce à moy, lâche, à t'en donner l'audace,
Qu'attends-tu! que mon coeur s'effraye à ta menace?
Il est trop dés long-temps aux maux accoustumé,
Pour avoir peur de toy, ny de ton bras armé,
Frappe-donc, vieux Tyran, immole ta victime;
Haste les chastimens que merite ton crime.
Sois ingrat à ton frere, & perfide à ton Roy,
Sois Nicanor enfin; mais méchant, haste-toy;
D'un vengeur offencé crains la juste cholere.

Nicanor.

Qu'il vienne à ton secours, qu'il vienne ton Corsaire,
Il ne manque plus rien à mon ressentiment,
Que de t'oster la vie aux yeux de cét Amant.
Il te verra perir au plus fort de ta joye.
Mon ame à ce penser dans le plaisir se noye,
Et si j'ay differé de te faire mourir,
C'est pour plaire à ma haine, & te faire souffrir.

Elise.

Et moy pour te parler dans la mesme franchise,
Je te hay beaucoup moins que je ne te méprise.

Nicanor.

Amante d'un Pirate, apres ta lâcheté,
Peus-tu parler encore avec tant de fierté;

Elise.

Hé! qu'estoit donc tantost la tienne devenuë,
Quand tu gardois Paphos, & que tu l'as perduë?
Que faisoit ta valeur dans les murs de Paphos,
Quand des Soldats sans Chef t'ont fait tourner le dos.

SCENE X.

OROSMANE, ELISE, NICANOR, SEBASTE, CORSAIRES.

Orosmane.

Il nous a prevenus, ô Dieux!

Elise.

Helas! Alcandre,
Ta valeur desormais ne peut plus me deffendre;
Mais punis un Tyran, quoy qu'il puisse arriver;
Prefere ma vengeance au soin de me sauver.

Orosmane.

Tigre affamé de sang, que pense-tu donc faire;

Nicanor.

Me venger d'une ingrate, en dépit d'un Corsaire,

Orosmane.

Verser le sang d'Elise?

Nicanor.

Arreste, ou tu feras,
De cette chere Elise, avancer le trépas.
Arreste, dis-je, & voy cette main toute preste,
A troubler par sa mort l'aise de ta conqueste.
Tremble, songeant au sang que ce fer va verser.
Si tu veux qu'elle vive, il y faut renoncer;
Il faut quitter la Cypre, & loin de cette terre,
Aller porter ailleurs tes crimes, & la guerre.

Orosmane.

Hé! n'es-tu point touché de cette objet charmant;
Barbare!

Nicanor.

Ha! je suis sourd aux plaintes d'un Amant.
Prens party si tu veux.

Orosmane.

En puis-je prendre un autre,
Que de sauver sa vie, & de perdre la nostre?

Elise.

Garde-t'en bien, Alcandre, & que par mon danger,
Ton coeur plustost s'irrite, & songe à me venger.

Orosmane.

Helas! il est trop tard, ma divine Princesse.
En vain, mon triste coeur me conseilloit sans cesse,
De ne la point quitter; mon respect m'a trahy,
Et je suis malheureux pour avoir obey;
Mais pouvant la sauver par un trépas funeste,
Hastons-nous de joüir du seul bien qui nous reste.
Prens ce fer, cruel Prince! & Maistre de mon sort,
Sauve ma chere Elise, & me donne la mort.

Sebaste à l'oreille d'Orosmane.

Seigneur?...

Nicanor.

Et d'où luy vient cette fatale épée?

Sebaste.

Tant plus à l'observer ma veuë est occupée,
Tant plus je m'y confirme, & je le reconnois.
Nicanor! connois-tu mon visage & ma voix?

Nicanor.

Et serois-tu Sebaste?

Sebaste.

O l'heureuse journée!
Que je revoy l'Espoux d'Aminte infortunée.
Voy ton fils Nicanor; mais qu'un bizarre sort,
Obligea plusieurs fois à souhaitter ta mort.
Il fut ce vaillant Roy qu'a refusé pour Gendre,
Et qu'a depuis destruit l'ambitieux Pisandre,
Il est fils de la jeune, & charmante beauté,
Que quitta sans sujet ton infidelité.

Nicanor.

Hélas! je la quittay: mais sans estre infidelle,
Et sans les longs malheurs d'une prison cruelle,
Le courroux de son Pere, ou la peur du trépas,
N'eussent peu m'empescher de revoir ses appas.
Mais seroit-il mon fils, ce Corsaire invincible?
Et croyray-je qu'Aminte à l'oubly trop sensible,
Ait pû si tost changer en dédains rigoureux,
Les terribles sentimens de son coeur amoureux?
Me derober un fils si grand par son merite,
Qu'il semble que la terre est pour luy trop petite;
Pourquoy me le ravir apres l'avoir donné?
Pourquoy laisser sans Pere un fils infortuné?
Le crime se doit-il punir sur l'innocence;
De combien d'actions pleines de violence,
Noircit-elle mon nom par cette longue erreur,
Et doit-on croire ainsi son aveugle fureur?

Sebaste.

Dequoy me serviroit une pareille feinte?
Dequoy me serviroit elle, au vaillant fils d'Aminte?
En l'avoüant pour fils qui gagne plus que toy.
Et n'as que trop douté, croy moy Prince, croy moy.

Amintas. à part.

Il est vray que je trouve en ce noble visage,
De la Reyne & de moy, la ressemblante image,
O son fils! ô le mien! car je n'en doute plus,
Pardonne genereux à ton Pere confus,
Qui t'a long-temps haï sous le nom d'un Corsaire,
Et fait gloire aujourd'huy d'estre connu ton Pere,
Approche toy de moy sans haine, & sans courroux.
Viens dans mes bras, mon fils.

Orosmane.

Ou plustost qu'à genoux,
J'obtienne le pardon d'une aveugle ignorance....

Nicanor.

Il ne faut plus songer qu'à la réjoüissance;
Et vous, ô belle Elise, oubliez le passé;
Excusez les transports d'un courroux insensé,
Agréez un époux qu'un ennemy vous donne,
Et que mon Amintas soit celuy d'Alcionne.
Mais, Helas! sa blesseure au fort de mes plaisirs.
Fait sortir de mon coeur d'inutiles soûpirs.

Orosmane.

Si je perdois ainsi ce frere incomparable,
Mon ame de sa mort seroit inconsolable.

Elise.

Les Dieux nous traiteront plus favorablement;
Mais il faut l'informer de l'heureux changement,
Qui donne à cét Estat une face nouvelle.

Nicanor.

Allons tous luy porter cette grande nouvelle.
Differons le recit de ma funeste amour,
Et que Cypre à jamais celebre l'heureux jour,
Qui donne un Pere au fils, rend le fils à son Pere,
Et finit les malheurs d'un grand Prince Corsaire.

Fin du Prince Corsaire.

Notes du transcripteur

L'orthographe et la ponctuation sont conformes à l'original. On a corrigé les coquilles les plus probables en signalant le texte original ainsi. Les variantes (Elise/Elize, tyran/tiran, ...) n'ont pas été uniformisées.

Les erreurs probables suivantes n'ont pas pu être corrigées:

Il manque un pied dans les vers suivants:

O! qu'avec tous soins qui me vont combattant,

Entre un ennemy que la Cypre aprehende,

Surprend, & nous trouble autant que la douleur.

"Dequoy me serviroit" est probablement une erreur dans le vers suivant:

Dequoy me serviroit elle, au vaillant fils d'Aminte?

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