Le Rideau levé; ou l'Education de Laure
— Je désire, cher papa, te faire une question sur laquelle je te prie de me satisfaire sans déguisement.
— Quoi donc? ma Laurette, pourrais-je en avoir pour toi, et te donner cet indigne exemple après avoir cherché moi-même à te rendre toujours sincère? Parle, la vérité dans ma bouche ne sera pas même fardée.
— Quand nous avons été la première fois à la campagne avec Rose et Vernol, après t'avoir entendu dire à quelle condition tu te prêtais à ma folie, je me suis persuadée que la vue des grâces de ce beau garçon avait fait naître tes désirs comme il avait excité les miens, et que, pour en jouir, tu avais consenti de céder aux siens en exigeant cette obligation de lui. Ma persuasion était-elle fondée?
— Que tu t'es trompée, ma chère enfant! j'avais des désirs, il est vrai, tu en voyais les signes certains. Eh! qui n'en aurait pas eu? Mais les attraits et les charmes répandus sur toute ta personne en étaient les principaux mobiles; la scène y ajoutait, mais Vernol n'y était pour rien. Je t'avoue même que le goût de beaucoup d'hommes pour leur sexe me paraît plus que bizarre, quoiqu'il soit répandu chez toutes les nations de la terre; outre qu'il viole les lois de la nature, il me paraît extravagant, à moins qu'on ne se trouve dans une disette absolue de femmes; alors la nécessité est la première de toutes les lois. C'est ce qu'on voit dans les pensions, dans les collèges, dans les vaisseaux, dans les pays où les femmes sont renfermées; et ce qu'il y a de malheureux, ce goût, une fois pris, est préféré. Je ne vois pas du même oeil celui des femmes pour le leur; il ne me paraît pas extraordinaire, il tient même plus à leur essence, tout les y porte, quoiqu'il ne remplisse pas les vues générales; mais au moins il ne les distrait pas ordinairement de leur penchant pour les hommes. En effet, la contrainte presque générale où elles se trouvent, la clôture sous laquelle on les tient, les prisons dans lesquelles elles sont renfermées chez presque toutes les nations, leur présentent l'idée illusoire du bonheur et du plaisir entre les bras d'une autre femme qui leur plaît; point de dangers à courir, point de jalousie à essuyer de la part des hommes, point de médisance à éprouver, une discrétion certaine, plus de beautés, de grâces, de fraîcheur et de mignardises.
Que de raisons, chère enfant, pour les entraîner dans une tendre passion vis-à-vis d'une femme! Il n'en est pas de même à l'égard des hommes, rien ne les y porte; en général, ils ne manquent point de femmes, le chemin qu'ils recherchent n'est pas moins semé de dangers que celui qu'ils fuient dans les femmes; enfin, il me paraît contraire à tout, et tu dois te souvenir, que c'est l'unique fois que j'aie agi de même avec Vernol. Si ce goût recherché me paraît plus que bizarre avec les hommes, ne pense pas que je le regarde de même avec les femmes: un homme mal fourni dans un vaste chemin est obligé de chercher la voie étroite pour répandre, après, la rosée bienfaisante dans le champ qu'il doit ensemencer. Mais il y a plus: il existe des femmes qui ne peuvent être aimées que par ce moyen, et, chez elles, l'entrée du sentier est presque toujours exempt d'épines.
"Voici donc les raisons de ma conduite avec Vernol: mon amour et ma complaisance, tous deux extrêmes pour toi, ma façon de penser exempte de préjugés, le vif désir de te plaire de toute façon et de posséder ton affection entière, enfin la différence que je souhaitais que tu connusses entre les divers sentiments des hommes (car tu as dû juger que la passion de Vernol n'avait pour but que la jouissance), tous ces motifs m'ont fait condescendre à des désirs que tu aurais pu satisfaire à mon insu si j'avais pris d'autres moyens; désirs enfin qui t'auraient engagée à me regarder, dans ton coeur, comme un tyran jaloux si je m'y étais opposé, et j'aurais perdu pour jamais ta tendresse et ce coeur dont seul je suis jaloux; mais je ne voulais pas, en te souffrant entre les bras de Vernol, qu'il s'autorisât de ma complaisance pour toi et qu'il s'en fit un titre pour penser intérieurement, ou pour parler, d'une manière désavantageuse. Je désirai qu'il ne pût même, ainsi que Rose, songer au bonheur qu'il avait trouvé dans tes bras sans se souvenir, en même temps, qu'il l'avait payé de sa personne, et que cette réflexion fût un frein pour ses idées et pour sa langue. Je le fis avec d'autant plus de raison qu'en général, dans la jouissance des femmes, les hommes ne sont guère prudents ni discrets. Pour ajouter encore une preuve de ma franchise et de mes vues réelles, c'est que Rose, de ce côté-là, n'a pas reçu de ma part une pareille offrande, quoique cela soit plus naturel avec une femme, comme je te l'ai déjà dit, et que même elle y gagne presque toujours: mais elle ne m'était pas nécessaire; et malgré que ce fût la première fois qu'elle en eût essayé, j'ai laissé ces prémices à Vernol. Juge de là si tu t'es trompée.
Je pris mon papa dans mes bras, je le serrai contre mon coeur, je le pressai contre mon sein, je l'étouffais:
— Cher et tendre papa, je sens plus que jamais jusqu'où s'étendent tes bontés et ton amour pour ta Laurette. Tous les moments de mes jours seront désormais consacrés à te prouver le mien. Mes soins, ma complaisance, mes plus secrètes pensées dont je te ferai part, enfin la constance et la fidélité de ma tendresse pour toi en seront des témoignages continuels et des preuves certaines. Des baisers et des caresses sans nombre en furent les gages.
Je jouissais avec lui, depuis près de quatre ans, d'une tranquillité douce et charmante; j'en faisais toute ma félicité: prévenante et prévenue, caressante et caressée, mes jours étaient filés par le plaisir et le bonheur quand, au bout de ce terme, il fut troublé par la mort de Lucette. Son souvenir m'était toujours bien cher, il était le fruit de la sincère amitié que nous avions l'une pour l'autre, en tout sa conduite avait été guidée par la tendre affection qu'elle avait pour mon père et pour moi. J'avais trop bien connu la différence qu'il y avait entre elle et Rose et je mettais à son attachement un tout autre prix. Mais la perte que je faisais était un préparatif aux tourments et aux noirs chagrins que je devais essuyer. Quel récit exiges-tu de moi, chère Eugénie? Pourquoi renouveler ma douleur? Mon coeur se déchire encore au souvenir de mon infortune; les mêmes angoisses se font sentir avec une force pareille au moment de ce détail. Non, je ne puis passer outre…"
Je reprends, trop chère amie, ce fatal et cruel récit que j'ai été forcée de suspendre. Je n'étais plus à moi, mon coeur était navré, ma main tremblante laissait tomber ma plume, les sanglots m'étouffaient, mes yeux offusqués ne pouvaient retenir l'abondance de larmes où tu m'as vue plongée, et que ton amitié consolante aurait encore essuyée si j'avais été près de toi. Enfin mon coeur, un peu dégagé, me rend la liberté de retracer mon malheur à tes yeux.
Tu sais que j'étais dans ma vingtième année quand mon papa, le plus tendre et le plus aimable des pères, et en même temps le plus chéri, duquel j'aurais voulu racheter la vie de tout mon sang et dont la perte est irréparable pour moi, fut emporté par une fluxion de poitrine dont tout l'art des médecins ne put le sauver. Je ne le quittais point, j'étais jour et nuit près de son lit que j'arrosais de mes pleurs; je m'efforçais de les cacher; ma bouche était collée sur ses mains. Ce spectacle le pénétrait; il aurait voulu m'épargner celui de son état, il tâchait de m'éloigner mais il ne fut pas possible de m'y faire consentir: je n'écoutais rien, à peine pouvais-je prêter un peu d'attention à quelques conseils qu'il me donnait; car il sentait sa situation et la soutenait avec fermeté. Enfin le coup me fut porté et je reçus sur mes lèvres son dernier soupir. Ah! quelle perte pour moi, Eugénie! chère Eugénie! mes yeux arrosent encore le papier sur lequel je trace ce douloureux récit. Je lui étais mille fois plus attachée que s'il eût été réellement mon père. Il m'avait fait connaître le comte de Norval, aux plaisirs duquel je devais le jour: je l'avais vu sans émotion et sans autre intérêt que celui de la curiosité; mon coeur ne disait rien. Le désir d'envisager celui qui avait contribué à mon existence était le seul guide qui me conduisait. Où est donc, disais-je en moi-même, cette voix intérieure qui nous porte vers ceux à qui nous devons la vie?… Vains propos, chimères: notre coeur parle, mais c'est pour ceux qui ont fait et préparé notre bonheur.
Enfin, ma douleur sombre, le désespoir, le désordre de mes facultés anéanties, le déchirement de mon coeur et mes regrets amers avaient totalement éloigné de moi le repos et le sommeil. L'embrasement se mit dans mes veines et je fus moi-même très mal: je voulais mourir, mais mon heure n'était pas venue, et ma jeunesse fut un des moyens dont le sort se servit pour me sauver. Aussitôt que j'eus repris mes forces, je n'eus d'autres pensées que de m'enterrer vive: j'avais tout perdu, la vie m'était odieuse. Un couvent fut le seul but de mes désirs: aurais-je jamais pu croire y trouver quelque adoucissement à mes peines? Mon chagrin serait encore dans toute sa force s'il n'avait été modéré dans tes bras. Souffre, belle et tendre amie, que, pour ma propre satisfaction, je peigne à tes yeux mêmes l'image des doux instants que j'ai passés près de toi et où tu as versé un baume salutaire sur les plaies de mon coeur. Ce penchant qu'on nomme sympathie, cet intérêt qu'on prend aux infortunés par la similitude où l'on peut se trouver avec eux, te fit concevoir de l'amitié pour moi presque aussitôt que je fus dans ton couvent, où je voulais me fixer et pleurer en liberté. Tu pénétras l'état de mon coeur sans en connaître les motifs, tu vins essuyer mes larmes, tu quittais ta cellule pour dissiper ma langueur. Ta jeunesse, tes grâces, tes attraits et ton esprit donnaient du poids à tes discours, mais tu t'apercevais aisément, le lendemain, que la solitude de la nuit détruisait tous les soins que tu avais pris pendant le jour. Tu parvins enfin à partager mes ennuis et mon lit.
Que je fus surprise des trésors que ta guimpe et tes habits recelaient! Cet instant ranima d'un sentiment vif le souvenir de mes peines: tu vis couler mes pleurs, tu en fus étonnée, tu voulais connaître la cause et découvrir un secret que tu as si bien su m'enlever depuis.
Je ne tenais à rien, j'étais dans une inertie totale, à peine aurais-je su que j'existais sans le sentiment de ma douleur.
Je concevais le besoin d'une amie, mais je n'espérais plus en trouver une telle que je la désirais. Ce fut dans cet instant que je sentis plus vivement combien Lucette me manquait, je ne comptais pas pouvoir la remplacer, bien moins me flattais-je d'en trouver une semblable sous le masque qui te couvre. Ton caractère, ton humeur, ton âme vinrent sans déguisement se montrer à moi et se joindre à ta figure charmante; j'en fis quelque temps mon étude, et mes observations furent toutes en ta faveur; enfin ton amitié et ta confiance établirent les miennes. Tes confidences furent payées par celles que je te fis alors, et je trouvai dans tes bras l'adoucissement que tu cherchais à me procurer. Avec quelles satisfactions je me rappelle encore cette nuit où tu me dis:
— Aimable Laure, chère amie, j'ai lieu d'être persuadée que tes chagrins sont cuisants; mais si je puis, en te faisant part des miens, émousser le sentiment de ceux qui t'accablent, j'aurai du moins le contentement que me donnera la diminution de ta douleur.
Tu jugeais avec raison qu'observant une réserve exacte sur le secret de mon coeur, je pouvais aussi garder le tien: tu ne te trompais pas; il me semble encore t'entendre me dire:
— Écoute, ma chère, j'aime, oui, j'aime aussi tendrement qu'on puisse aimer, et j'ai le malheur cruel d'être couverte des livrées religieuses. Des béguines emmiellées et trompeuses ont entouré de murs et de grilles ma jeunesse sans expérience et l'ont attirée dans leur cachot infernal. Mon ignorance, des voeux, des préjugés sont mes tourments; les désirs, mes bourreaux, et j'en suis la victime. La nuit, le sommeil est loin de mes yeux, et les larmes s'en emparent; le jour, tout me déplaît et m'ennuie; mon âme est absorbée: juge de mon état. Libre comme tu es, tu peux au moins sans crainte livrer à l'amant que tu chéris les appas que j'ai vus et que je touche.
Ta main, que tu mis sur mon sein, me fit frissonner:
— Ah! chère Eugénie, te dis-je avec transport, voilà le jour de mon désespoir! je l'ai perdu cet amant que j'adorais, et la mort me l'a ravi. Dieux! que n'est-il ici! mais c'est lui, oui, c'est lui que je tiens.
Je te serrais dans mes bras, tu me faisais illusion. Hélas! le détail de tes charmes, que je parcourus, me rendit à moi-même; ce qui te manquait détruisit le prestige de mon imagination et le fantôme qu'elle se créait. Cependant, tes attraits répandirent sur ma langue tous les éloges que tu méritais si bien. Ton sein, ta taille, tes fesses, tes cuisses, ta motte et ta peau, tout en fut un sujet pour moi:
— Quel plaisir! m'écriai-je, pour ton amant et pour toi s'il te tenait dans ses bras comme je te serre dans les miens.
Tu désirais t'instruire, tu voulais savoir, tu balançais, tu cherchais à m'interroger, et tu n'osais. Je te voyais venir.
Tu pris enfin la résolution de me demander si j'avais connaissance de ces plaisirs et s'ils étaient si grands. Je te l'avouai; je t'en fis une peinture qui t'enchantait sans pouvoir les concevoir:
— Il faut les éprouver, te dis-je. Quoi donc! à dix-sept ans passés ne les pas connaître? Si tu veux, ma chère, je t'en ferai goûter au moins ce qu'ils ont de plus vif.
Ta curiosité, tes désirs que mes caresses faisaient naître et qui firent couler le feu de la volupté dans toutes les parties de ton corps, t'y firent consentir. L'envie de te consoler à mon tour, et de dissiper les ténèbres de ton ignorance, suspendit mes peines. Tu te prêtas à mes leçons: j'écartai tes cuisses, je caressai les lèvres de ton petit conin dont les roses étaient à peine épanouies; je n'osai t'y enfoncer le doigt, tu n'étais pas encore assez endoctrinée pour que tu eusses regardé la première douleur comme propre à produire une augmentation de plaisir. Bientôt je gagnai le trône de la volupté, et ton charmant clitoris, que je caressai, te jeta dans une extase dont tu pouvais à peine revenir:
— Ah! Dieux! me dis-tu, ma chère Laurette, quelles suprêmes délices!
Tu me pris à ton tour pour ton amant; j'étais couverte de tes baisers; tes mains s'égarèrent sur tout mon corps: tu voulus me rendre le service que tu venais de recevoir de moi, mais mon coeur, encore trop serré, ne s'y prêtait pas et je retins ta main. Je te repris bientôt dans mes bras et, renouvelant mes caresses, je t'en appris davantage sur le premier instant de jouissance. Tu étais animée, tu fus aisément persuadée.
— Eh bien! me dis-tu avec cette charmante vivacité qui te va si joliment, fais de moi ce que tu voudras.
Je repris ton petit conin, j'y enfonçai le doigt d'une main tandis que je te branlais de l'autre. La douleur, mêlée au plaisir, te le fit trouver encore plus délicieux: c'est moi, chère et tendre amie, oui, c'est moi l'heureuse mortelle qui ai cueilli ton pucelage, cette fleur si rare et si recherchée.
Plus libre avec toi, qui venais de connaître et sentir les attraits de la volupté, je ne craignis plus de t'ouvrir mon coeur en entier, de t'en faire parcourir toutes les routes et de te raconter, en raccourci, ce que je retrace ici dans toutes ces circonstances. Si le plaisir et ma main ont su te dégager des entraves de l'ignorance et des préjugés qu'elle enfante, combien n'ai-je pas eu de peine à te vaincre sur tous les autres! La crainte de la grossesse ne te faisait plus trembler, je t'en avais guérie par mon récit et ma propre expérience. Ton amant me devait déjà tes premiers pas à son bonheur et à ta jouissance:
— Hélas! me disais-tu, la plupart des dogmes dont on a bercé mon enfance jusqu'à présent, les voeux qu'on m'a dictés, cette guimpe, ces grilles qui nous entourent, tout s'y oppose.
Mais ton amour, mes avis et mon assistance ont affaibli ces préjugés et vaincu tous les obstacles. Tu me dois donc, chère Eugénie, la tranquillité d'esprit et de société dont tu jouis. De toute façon ton amant me doit sa victoire, de toute manière mon amitié vous a servis tous deux. Mais avant, j'ai voulu connaître ce Valfay si cher à ton coeur, étudier sa façon de penser, et juger s'il méritait ton amour, ta confiance et tes faveurs. Ces soins, tu le sais, n'ont pas été l'affaire d'un jour. Les femmes dont le jugement a été cultivé ont le tact fin, délicat et sûr pour pénétrer dans le coeur des hommes malgré leurs détours, leur duplicité et les voiles dont ils cherchent à se couvrir. Mais je fus contente de Valfay, je trouvai suffisamment en lui pour me faire présumer que je ne risquais plus rien à prendre tout sur moi pour satisfaire tes désirs, aider ton peu d'expérience et bannir tes frayeurs. Heureusement je servais, dans ton couvent, de prétexte à son amour tandis que je travaillais pour vous deux, car ta faiblesse et ta timidité n'auraient jamais été vaincues sans mon secours. Retrace-toi ce jour où, après un temps assez long, ton amant te pressait avec les instances les plus vives de le rendre heureux: je le secondais de tout mon pouvoir, tu t'en défendais et tu le désirais. Tu lui opposais des raisons qui te paraissaient bien fortes, tu lui présentais des obstacles insurmontables à tes yeux, tu me faisais compassion. J'avais pitié de lui; je ne vous le cachai pas, je voyais l'ardeur de vos désirs portée à son comble. L'instant me parut favorable, je m'enivrai de l'idée de contribuer à ta félicité:
— Eh bien! te dis-je, je vais tout surmonter. Valfay, tu serais un ingrat, un homme indigne de son bonheur si ma conduite pour te le procurer influait, dans ton esprit, à mon désavantage.
Je fermai les portes du parloir de notre côté, malgré tes oppositions apparentes; ton amant en fit autant du sien.
Je te pris dans mes bras, je t'approchai de la grille, je soulevai ta guimpe; il prit tes tétons, il baisait tes lèvres, il suçait ta langue que tu lui donnas à la fin. Mais la soif dévorante du désir lui fit porter sa main sous tes jupes pour saisir ta motte et s'en emparer. Je te pressais contre lui, je te baisais aussi, tu ne pouvais m'échapper ni retirer tes bras des miens: il eut enfin l'adresse et la satisfaction de les lever et de saisir cet aimable petit conin où tous les attraits de la jeunesse et de la fraîcheur sont répandus. Ses caresses t'embrasèrent du feu de la volupté; il en était dévoré, il maudissait cette impitoyable grille qui nous séparait et s'opposait à sa jouissance. J'étais émue, hors de moi-même:
— Quoi! dis-je à ton amant, vous avez en vous si peu de ressources? Ah! Valfay, quand on aime bien tout devient facile. J'aime donc ma chère Eugénie plus tendrement que vous; je veux lui prouver que ce sentiment me rend tout possible, et que rien ne peut m'arrêter pour le satisfaire, en vous obligeant tous deux; car si elle est abandonnée à elle-même vous êtes perdu.
Tu te rendis enfin. Je te fis monter sur l'appui de la grille, tes mains posées sur mes épaules; je .te soutenais. Valfay releva ces habits noirs qui faisaient briller l'éclat et la blancheur de tes fesses charmantes; il les maniait, les baisait, leur rendait l'hommage qui leur était dû. Ton petit conin, encadré dans un des carreaux de la grille, était un tableau vivant qui l'enchantait. Il lui donna cent baisers. Mais, pressé de couronner son bonheur, il te le mit, tandis que, passant moi-même ma main entre tes cuisses, je te branlais.
Le plaisir que nous appelions, que nous caressions, vint s'emparer de toi; tu prenais mes tétons, tu me baisais, tu me mangeais, tu déchargeais. Valfay, prêt à en faire autant, eut la prudence de se retirer; sa volupté vint expirer entre mes doigts et se répandre sur ma main comme la lave d'un volcan. Je vous abandonnai pour lors tous deux à vous mêmes; tu vis, tu pris en main, tu caressas ce bijou dont tant de fois je t'avais fait la peinture; mais, manquant des facilités que je te procurais, tu ne pus recommencer d'en faire usage. Tu m'en fis, à ton retour, des plaintes amères; tu n'osais me demander de servir encore ta maladresse; j'apercevais à quel point tu le désirais, tu me pressais, tu me conjurais de ne plus te quitter. Tu voulus, cruelle amie, que je fusse témoin de tes plaisirs et de ta félicité pendant que la mienne était perdue pour toujours. Il fallut que ma complaisance et mon amitié pour toi me sollicitassent encore de t'offrir de nouveaux secours. Mes offres t'enchantèrent, tu m'accablas de caresses et de baisers; je te fis penser, en cet instant, à te munir de l'éponge salutaire, et tu m'entraînas pour être présente à vos transports et au bonheur dont vous jouissiez. Toi-même me fis voir le dieu que portait Valfay, ce dieu que tu chérissais, avec lequel tu badinais et dont il m'avait, dès la première fois, fait sentir la présence. Tu ajoutais de jour en jour à tes folies, tu lui découvrais mes tétons et tout ce que j'avais de plus caché, je me prêtais à ton badinage, tu les lui faisais toucher. Dans quel état et dans quelle émotion me mettiez-vous tous les deux! Je te le disais à l'oreille, et la pitié perfide te faisait révéler mon secret. Tu voulais me faire jouir de ton amant, tu lui souhaitais mes faveurs, tu me pressais de les lui accorder, tu voulais enfin me porter à la place que tu avais occupée. Ton aveu, tes empressements et ses désirs, dont tu mettais entre mes mains les témoignages sensibles, l'engageaient à m'en solliciter. Je résistai toujours: tes prières, ses sollicitations, le feu même qui roulait dans mes veines, ne purent m'y déterminer. Non, ma chère Eugénie, non, en vain espères-tu de lui faire remporter la victoire, je n'y consentirai jamais. A tort me fais-tu des reproches, ce n'est ni par haine, ni même indifférence: Valfay détruit l'une et n'est point fait pour inspirer l'autre; mais ton amitié seule me suffit. Après la perte que j'ai faite, je renonce pour toujours à toute liaison intime avec les hommes, et je serai ferme dans cette résolution. Tu dois en être persuadée puisque, malgré vos plaisirs, les caresses que vous vous faisiez, celles que j'ai reçues, la vue et le toucher de ce que vous avez de plus intéressant, et vos transports qui animaient mes sens et les mettaient en désordre, je ne me suis pas laissé vaincre. J'étais contente et satisfaite lorsque, la nuit, dans tes bras, tu apaisais les feux que tu avais allumés le jour.
Un destin, jaloux de la tranquillité que j'avais retrouvée, est venu l'interrompre: le mariage de ma cousine, la nécessité de mes affaires ont précipité mon départ et nous ont séparées pour quelque temps. Tu as exigé de mon amitié, tu lui as commandé que, pendant mon éloignement, je t'entretinsse encore et te fisse un détail exact de ce que je t'avais dit en plus grande partie et que tu écoutais avec tant de plaisir et d'avidité. J'ai rempli ma promesse: quel sacrifice je fais à la prudence! Tu connais ton pouvoir sur moi, tu sais combien je te chéris; tu réunis aujourd'hui tous les sentiments de mon coeur: partagés autrefois dans le monde et la société, tu les rassembles tous. Reçois-en pour assurance mille baisers que je t'envoie, ils te diront combien je soupire après le doux instant de te les donner moi-même enveloppée de tes bras et serrée dans les miens. Ah! ma chère, pourquoi cet instant n'est-il pas encore arrivé? Je me flatte au moins qu'il sera très prochain. Je t'apporterai ce bijou, semblable à celui de Valfay mais moins dangereux: s'il n'est pas aussi naturel, ses avantages n'en sont pas moins grands puisqu'il remplira, sans les risques des alentours, le vide qui se fait sentir dans nos plaisirs. Si tu te trouves bien de son usage, notre tendre amitié nous tiendra lieu de tout. Et puisque Valfay se trouve dans l'obligation de s'éloigner de toi pour un temps, crois-moi, chère amie, laissons affaiblir les liaisons étrangères qui pourraient, à la fin, devenir fatales, étant hors de nous. J'irai bientôt à mon tour essuyer tes pleurs. Oui, tendre amie, oublions l'univers pour ne nous en tenir qu'à nous-mêmes.
Attends-moi donc au plus tôt.