Le Tour du Monde; Kachmir: Journal des voyages et des voyageurs; 2e Sem. 1905
The Project Gutenberg eBook of Le Tour du Monde; Kachmir
Title: Le Tour du Monde; Kachmir
Author: Various
Editor: Édouard Charton
Release date: July 29, 2009 [eBook #29536]
Language: French
Credits: Produced by Carlo Traverso, Christine P. Travers and the
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LE TOUR DU MONDE
PARIS
IMPRIMERIE FERNAND SCHMIDT
20, rue du Dragon, 20NOUVELLE SÉRIE—11e ANNÉE 2e SEMESTRE
LE TOUR DU MONDE
JOURNAL
DES VOYAGES ET DES VOYAGEURSLe Tour du Monde
a été fondé par Édouard Charton
en 1860PARIS
LIBRAIRIE HACHETTE ET Cie
79, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 79
LONDRES, 18, KING WILLIAM STREET, STRAND
1905Droits de traduction et de reproduction réservés.
TABLE DES MATIÈRES
L'ÉTÉ AU KACHMIR
Par Mme F. MICHELI. De Paris à Srinagar. — Un guide pratique. — De Bombay à Lahore. — Premiers préparatifs. — En tonga de Rawal-Pindi à Srinagar. — Les Kachmiris et les maîtres du Kachmir. — Retour à la vie nomade. 1
II. La «Vallée heureuse» en dounga. — Bateliers et batelières. — De Baramoula à Srinagar. — La capitale du Kachmir. — Un peu d'économie politique. — En amont de Srinagar. 13
III. Sous la tente. — Les petites vallées du Sud-Est. — Histoires de voleurs et contes de fées. — Les ruines de Martand. — De Brahmanes en Moullas. 25
IV. Le pèlerinage d'Amarnath. — La vallée du Lidar. — Les pèlerins de l'Inde. — Vers les cimes. — La grotte sacrée. — En dholi. — Les Goudjars, pasteurs de buffles. 37
V. Le pèlerinage de l'Haramouk. — Alpinisme funèbre et hydrothérapie religieuse. — Les temples de Vangâth. — Frissons d'automne. — Les adieux à Srinagar. 49
SOUVENIRS DE LA COTE D'IVOIRE
Par le docteur LAMY
Médecin-major des troupes coloniales.I. Voyage dans la brousse. — En file indienne. — Motéso. — La route dans un ruisseau. — Denguéra. — Kodioso. — Villes et villages abandonnés. — Où est donc Bettié? — Arrivée à Dioubasso. 61
II. Dans le territoire de Mopé. — Coutumes du pays. — La mort d'un prince héritier. — L'épreuve du poison. — De Mopé à Bettié. — Bénie, roi de Bettié, et sa capitale. — Retour à Petit-Alépé. 73
III. Rapports et résultats de la mission. — Valeur économique de la côte d'Ivoire. — Richesse de la flore. — Supériorité de la faune. 85
IV. La fièvre jaune à Grand-Bassam. — Deuils nombreux. — Retour en France. 90
L'ÎLE D'ELBE
Par M. PAUL GRUYERI. L'île d'Elbe et le «canal» de Piombino. — Deux mots d'histoire. — Débarquement à Porto-Ferraio. — Une ville d'opéra. — La «teste di Napoleone» et le Palais impérial. — La bannière de l'ancien roi de l'île d'Elbe. — Offre à Napoléon III, après Sedan. — La bibliothèque de l'Empereur. — Souvenir de Victor Hugo. Le premier mot du poète. — Un enterrement aux flambeaux. Cagoules noires et cagoules blanches. Dans la paix des limbes. — Les différentes routes de l'île. 97
II. Le golfe de Procchio et la montagne de Jupiter. — Soir tempétueux et morne tristesse. — L'ascension du Monte Giove. — Un village dans les nuées. — L'Ermitage de la Madone et la «Sedia di Napoleone». — Le vieux gardien de l'infini. «Bastia, Signor!». Vision sublime. — La côte orientale de l'île. Capoliveri et Porto-Longone. — La gorge de Monserrat. — Rio 1 Marina et le monde du fer. 109
III. Napoléon, roi de l'île d'Elbe. — Installation aux Mulini. — L'Empereur à la gorge de Monserrat. — San Martino Saint-Cloud. La salle des Pyramides et le plafond aux deux colombes. Le lit de Bertrand. La salle de bain et le miroir de la Vérité. — L'Empereur transporte ses pénates sur le Monte Giove. — Elbe perdue pour la France. — L'ancien Musée de San Martino. Essai de reconstitution par le propriétaire actuel. Le lit de Madame Mère. — Où il faut chercher à Elbe les vraies reliques impériales. «Apollon gardant ses troupeaux.» Éventail et bijoux de la princesse Pauline. Les clefs de Porto-Ferraio. Autographes. La robe de la signorina Squarci. — L'église de l'archiconfrérie du Très-Saint-Sacrement. La «Pieta» de l'Empereur. Les broderies de soie des Mulini. — Le vieil aveugle de Porto-Ferraio. 121
D'ALEXANDRETTE AU COUDE DE L'EUPHRATE
Par M. VICTOR CHAPOT
membre de l'École française d'Athènes.I. — Alexandrette et la montée de Beïlan. — Antioche et l'Oronte; excursions à Daphné et à Soueidieh. — La route d'Alep par le Kasr-el-Benat et Dana. — Premier aperçu d'Alep. 133
II. — Ma caravane. — Village d'Yazides. — Nisib. — Première rencontre avec l'Euphrate. — Biredjik. — Souvenirs des Hétéens. — Excursion à Resapha. — Comment atteindre Ras-el-Aïn? Comment le quitter? — Enfin à Orfa! 145
III. — Séjour à Orfa. — Samosate. — Vallée accidentée de l'Euphrate. — Roum-Kaleh et Aïntab. — Court repos à Alep. — Saint-Syméon et l'Alma-Dagh. — Huit jours trappiste! — Conclusion pessimiste. 157
LA FRANCE AUX NOUVELLES-HÉBRIDES
Par M. RAYMOND BELÀ qui les Nouvelles-Hébrides: France, Angleterre ou Australie? Le condominium anglo-français de 1887. — L'œuvre de M. Higginson. — Situation actuelle des îles. — L'influence anglo-australienne. — Les ressources des Nouvelles-Hébrides. — Leur avenir. 169
LA RUSSIE, RACE COLONISATRICE
Par M. ALBERT THOMASI. — Moscou. — Une déception. — Le Kreml, acropole sacrée. — Les églises, les palais: deux époques. 182
II. — Moscou, la ville et les faubourgs. — La bourgeoisie moscovite. — Changement de paysage; Nijni-Novgorod: le Kreml et la ville. 193
III. — La foire de Nijni: marchandises et marchands. — L'œuvre du commerce. — Sur la Volga. — À bord du Sviatoslav. — Une visite à Kazan. — La «sainte mère Volga». 205
IV. — De Samara à Tomsk. — La vie du train. — Les passagers et l'équipage: les soirées. — Dans le steppe: l'effort des hommes. — Les émigrants. 217
V. — Tomsk. — La mêlée des races. — Anciens et nouveaux fonctionnaires. — L'Université de Tomsk. — Le rôle de l'État dans l'œuvre de colonisation. 229
VI. — Heures de retour. — Dans l'Oural. — La Grande-Russie. — Conclusion. 241
LUGANO, LA VILLE DES FRESQUES
Par M. GERSPACHLa petite ville de Lugano; ses charmes; son lac. — Un peu d'histoire et de géographie. — La cathédrale de Saint-Laurent. — L'église Sainte-Marie-des-Anges. — Lugano, la ville des fresques. — L'œuvre du Luini. — Procédés employés pour le transfert des fresques. 253
SHANGHAÏ, LA MÉTROPOLE CHINOISE
Par M. ÉMILE DESCHAMPSI. — Woo-Sung. — Au débarcadère. — La Concession française. — La Cité chinoise. — Retour à notre concession. — La police municipale et la prison. — La cangue et le bambou. — Les exécutions. — Le corps de volontaires. — Émeutes. — Les conseils municipaux. 265
II. — L'établissement des jésuites de Zi-ka-oueï. — Pharmacie chinoise. — Le camp de Kou-ka-za. — La fumerie d'opium. — Le charnier des enfants trouvés. — Le fournisseur des ombres. — La concession internationale. — Jardin chinois. — Le Bund. — La pagode de Long-hoa. — Fou-tchéou-road. — Statistique. 277
L'ÉDUCATION DES NÈGRES AUX ÉTATS-UNIS
Par M. BARGYLe problème de la civilisation des nègres. — L'Institut Hampton, en Virginie. — La vie de Booker T. Washington. — L'école professionnelle de Tuskegee, en Alabama. — Conciliateurs et agitateurs. — Le vote des nègres et la casuistique de la Constitution. 289
À TRAVERS LA PERSE ORIENTALE
Par le Major PERCY MOLESWORTH SYKES
Consul général de S. M. Britannique au Khorassan.I. — Arrivée à Astrabad. — Ancienne importance de la ville. — Le pays des Turkomans: à travers le steppe et les Collines Noires. — Le Khorassan. — Mechhed: sa mosquée; son commerce. — Le désert de Lout. — Sur la route de Kirman. 301
II. — La province de Kirman. — Géographie: la flore, la faune; l'administration, l'armée. — Histoire: invasions et dévastations. — La ville de Kirman, capitale de la province. — Une saison sur le plateau de Sardou. 313
III. — En Baloutchistan. — Le Makran: la côte du golfe Arabique. — Histoire et géographie du Makran. — Le Sarhad. 325
IV. — Délimitation à la frontière perso-baloutche. — De Kirman à la ville-frontière de Kouak. — La Commission de délimitation. — Question de préséance. — L'œuvre de la Commission. — De Kouak à Kélat. 337
V. — Le Seistan: son histoire. — Le delta du Helmand. — Comparaison du Seistan et de l'Égypte. — Excursions dans le Helmand. — Retour par Yezd à Kirman. 349
AUX RUINES D'ANGKOR
Par M. le Vicomte DE MIRAMON-FARGUESDe Saïgon à Pnôm-penh et à Compong-Chuang. — À la rame sur le Grand-Lac. — Les charrettes cambodgiennes. — Siem-Réap. — Le temple d'Angkor. — Angkor-Tom — Décadence de la civilisation khmer. — Rencontre du second roi du Cambodge. — Oudong-la-Superbe, capitale du père de Norodom. — Le palais de Norodom à Pnôm-penh. — Pourquoi la France ne devrait pas abandonner au Siam le territoire d'Angkor. 361
EN ROUMANIE
Par M. Th. HEBBELYNCKI. — De Budapest à Petrozeny. — Un mot d'histoire. — La vallée du Jiul. — Les Boyards et les Tziganes. — Le marché de Targu Jiul. — Le monastère de Tismana. 373
II. — Le monastère d'Horezu. — Excursion à Bistritza. — Romnicu et le défilé de la Tour-Rouge. — De Curtea de Arges à Campolung. — Défilé de Dimboviciora. 385
III. — Bucarest, aspect de la ville. — Les mines de sel de Slanic. — Les sources de pétrole de Doftana. — Sinaïa, promenade dans la forêt. — Busteni et le domaine de la Couronne. 397
CROQUIS HOLLANDAIS
Par M. Lud. GEORGES HAMÖN
Photographies de l'auteur.I. — Une ville hollandaise. — Middelburg. — Les nuages. — Les boerin. — La maison. — L'éclusier. — Le marché. — Le village hollandais. — Zoutelande. — Les bons aubergistes. — Une soirée locale. — Les sabots des petits enfants. — La kermesse. — La piété du Hollandais. 410
II. — Rencontre sur la route. — Le beau cavalier. — Un déjeuner décevant. — Le père Kick. 421
III. — La terre hollandaise. — L'eau. — Les moulins. — La culture. — Les polders. — Les digues. — Origine de la Hollande. — Une nuit à Veere. — Wemeldingen. — Les cinq jeunes filles. — Flirt muet. — Le pochard. — La vie sur l'eau. 423
IV. — Le pêcheur hollandais. — Volendam. — La lessive. — Les marmots. — Les canards. — La pêche au hareng. — Le fils du pêcheur. — Une île singulière: Marken. — Au milieu des eaux. — Les maisons. — Les mœurs. — Les jeunes filles. — Perspective. — La tourbe et les tourbières. — Produit national. — Les tourbières hautes et basses. — Houille locale. 433
ABYDOS
dans les temps anciens et dans les temps modernes
Par M. E. AMELINEAULégende d'Osiris. — Histoire d'Abydos à travers les dynasties, à l'époque chrétienne. — Ses monuments et leur spoliation. — Ses habitants actuels et leurs mœurs. 445
VOYAGE DU PRINCE SCIPION BORGHÈSE AUX MONTS CÉLESTES
Par M. JULES BROCHERELI. — De Tachkent à Prjevalsk. — La ville de Tachkent. — En tarentass. — Tchimkent. — Aoulié-Ata. — Tokmak. — Les gorges de Bouam. — Le lac Issik-Koul. — Prjevalsk. — Un chef kirghize. 457
II. — La vallée de Tomghent. — Un aoul kirghize. — La traversée du col de Tomghent. — Chevaux alpinistes. — Une vallée déserte. — Le Kizil-tao. — Le Saridjass. — Troupeaux de chevaux. — La vallée de Kachkateur. — En vue du Khan-Tengri. 469
III. — Sur le col de Tuz. — Rencontre d'antilopes. — La vallée d'Inghiltchik. — Le «tchiou mouz». — Un chef kirghize. — Les gorges d'Attiaïlo. — L'aoul d'Oustchiar. — Arrêtés par les rochers. 481
IV. — Vers l'aiguille d'Oustchiar. — L'aoul de Kaënde. — En vue du Khan-Tengri. — Le glacier de Kaënde. — Bloqués par la neige. — Nous songeons au retour. — Dans la vallée de l'Irtach. — Chez le kaltchè. — Cuisine de Kirghize. — Fin des travaux topographiques. — Un enterrement kirghize. 493
V. — L'heure du retour. — La vallée d'Irtach. — Nous retrouvons la douane. — Arrivée à Prjevalsk. — La dispersion. 505
VI. — Les Khirghizes. — L'origine de la race. — Kazaks et Khirghizes. — Le classement des Bourouts. — Le costume khirghize. — La yourte. — Mœurs et coutumes khirghizes. — Mariages khirghizes. — Conclusion. 507
L'ARCHIPEL DES FEROÉ
Par Mlle ANNA SEEPremière escale: Trangisvaag. — Thorshavn, capitale de l'Archipel; le port, la ville. — Un peu d'histoire. — La vie végétative des Feroïens. — La pêche aux dauphins. — La pêche aux baleines. — Excursions diverses à travers l'Archipel. 517
PONDICHÉRY
chef-lieu de l'Inde française
Par M. G. VERSCHUURAccès difficile de Pondichéry par mer. — Ville blanche et ville indienne. — Le palais du Gouvernement. — Les hôtels de nos colonies. — Enclaves anglaises. — La population; les enfants. — Architecture et religion. — Commerce. — L'avenir de Pondichéry. — Le marché. — Les écoles. — La fièvre de la politique. 529
UNE PEUPLADE MALGACHE
LES TANALA DE L'IKONGO
Par M. le Lieutenant ARDANT DU PICQI. — Géographie et histoire de l'Ikongo. — Les Tanala. — Organisation sociale. Tribu, clan, famille. — Les lois. 541
II. — Religion et superstitions. — Culte des morts. — Devins et sorciers. — Le Sikidy. — La science. — Astrologie. — L'écriture. — L'art. — Le vêtement et la parure. — L'habitation. — La danse. — La musique. — La poésie. 553
LA RÉGION DU BOU HEDMA
(sud tunisien)
Par M. Ch. MAUMENÉLe chemin de fer Sfax-Gafsa. — Maharess. — Lella Mazouna. — La forêt de gommiers. — La source des Trois Palmiers. — Le Bou Hedma. — Un groupe mégalithique. — Renseignements indigènes. — L'oued Hadedj et ses sources chaudes. — La plaine des Ouled bou Saad et Sidi haoua el oued. — Bir Saad. — Manoubia. — Khrangat Touninn. — Sakket. — Sened. — Ogla Zagoufta. — La plaine et le village de Mech. — Sidi Abd el-Aziz. 565
DE TOLÈDE À GRENADE
Par Mme JANE DIEULAFOYI. — L'aspect de la Castille. — Les troupeaux en transhumance. — La Mesta. — Le Tage et ses poètes. — La Cuesta del Carmel. — Le Cristo de la Luz. — La machine hydraulique de Jualino Turriano. — Le Zocodover. — Vieux palais et anciennes synagogues. — Les Juifs de Tolède. — Un souvenir de l'inondation du Tage. 577
II. — Le Taller del Moro et le Salon de la Casa de Mesa. — Les pupilles de l'évêque Siliceo. — Santo Tomé et l'œuvre du Greco. — La mosquée de Tolède et la reine Constance. — Juan Guaz, premier architecte de la Cathédrale. — Ses transformations et adjonctions. — Souvenirs de las Navas. — Le tombeau du cardinal de Mendoza. Isabelle la Catholique est son exécutrice testamentaire. — Ximénès. — Le rite mozarabe. — Alvaro de Luda. — Le porte-bannière d'Isabelle à la bataille de Toro. 589
III. — Entrée d'Isabelle et de Ferdinand, d'après les chroniques. — San Juan de los Reyes. — L'hôpital de Santa Cruz. — Les Sœurs de Saint-Vincent de Paul. — Les portraits fameux de l'Université. — L'ange et la peste. — Sainte-Léocadie. — El Cristo de la Vega. — Le soleil couchant sur les pinacles de San Juan de los Reyes. 601
IV. — Les «cigarrales». — Le pont San Martino et son architecte. — Dévouement conjugal. — L'inscription de l'Hôtel de Ville. — Cordoue, l'Athènes de l'Occident. — Sa mosquée. — Ses fils les plus illustres. — Gonzalve de Cordoue. — Les comptes du Gran Capitan. — Juan de Mena. — Doña Maria de Parèdes. — L'industrie des cuirs repoussés et dorés. 613
TOME XI, NOUVELLE SÉRIE.—1re LIV. No 1.—7 Janvier 1905.
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EN «RICKSHAW» SUR LA ROUTE DU MONT ABOU—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.
L'ÉTÉ AU KACHMIR
Par Mme F. MICHEL.I. — De Paris à Srînagar. — Un guide pratique. — De Bombay à Lahore. — Premiers préparatifs. — En tonga de Rawal-Pindi à Srînagar. — Les Kachmiris et les maîtres du Kachmir. — Retour à la vie nomade.
Passez-vous l'été au Kachmir? La question n'est pas aussi saugrenue qu'elle peut sembler aux sédentaires Français que nous sommes. Je sais des gens qui le font et ne s'en portent que mieux. La «season» y est admirable. On trouve de tout dans cette heureuse contrée, une vallée comme en Touraine, des sources et des ruisseaux comme en Bretagne, des arbres et des gazons comme en Angleterre, des montagnes comme en Suisse, des ruines comme en Italie, et, comme en nul de ces pays, la liberté!—je veux dire le droit d'aller et de venir au gré de votre humeur, roi en votre bateau et seigneur en votre tente, amarrant ou démarrant à votre guise, plantant ou levant le camp à votre fantaisie, sans que jamais aucune clôture, aucun écriteau, ni aucun garde champêtre vienne vous arrêter. Ajoutez enfin l'étonnant bon marché de la vie; et, au total, cela est infiniment plus intéressant, plus hygiénique et, après tout, pas beaucoup plus coûteux qu'une saison dans telle ville d'eaux à la mode.
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L'ÉLÉPHANT DU TOURISTE À DJAÏPOUR.
À quiconque voudrait tenter l'aventure, ces notes sont dédiées. Elles n'ont d'autres prétentions que de donner les quelques renseignements dont on pourrait avoir besoin. Si, ça et là, aux informations se mêlent quelques impressions, on pardonnera celles-ci en faveur de celles-là.
Pour commencer, Srînagar n'est qu'à vingt jours et à moins de 2 000 francs de Paris. Comptons: de Marseille, les paquebots des Messageries maritimes vous conduiront en quinze jours et pour 1 375 francs jusqu'à Bombay. De Bombay, le train express,—en dehors duquel il n'est point dans l'Inde de salut,—vous mènera en soixante-quatre heures vingt-cinq minutes jusqu'à Rawal-Pindi, et vous paierez en première classe 93 roupies 9 annas, soit, au taux actuel de la roupie, environ 160 francs. En courant ensuite la poste, vous atteindrez Srînagar en deux jours. Une place dans le courrier se paye 45 roupies, une voiture spéciale revient à 130.
Si le touriste n'a pas passé l'hiver précédent dans l'Inde, il fera bien d'arriver à Bombay dès les premiers jours de mars. Plus tard il risquerait de trouver la chaleur déjà accablante. En remontant vers le nord, il aura encore le temps de visiter Ahmedabad et ses mosquées; le mont Abou et ses sanctuaires djaïns, bijoux de marbre ciselé; la ville rose de Djaïpour d'où un éléphant le conduira à Amber, la vieille capitale désertée; Agra et sa fameuse merveille du Tadj-Mahal, assurément le plus beau monument qu'en aucun lieu du monde l'amour ait jamais élevé à la mort; Mathourâ, patrie du dieu Krichna, et ses quais bordés de temples où les singes disputent aux tortues du fleuve les offrandes des pèlerins; l'impériale Delhi, dont la campagne, jonchée à perte de vue de ruines imposantes, a le même air de grandeur et de désolation que celle de Rome; Amritsar, la ville sainte des Sikhs, qui mire dans un étang les coupoles d'or de son temple trop vanté.... Enfin le voici à Lahore.
Là, que de choses encore à voir: le beau musée, les rues pittoresques de la ville indigène, le fort d'Akbar, la mosquée d'Aureng-Zeb; celle de Vazir-Khân, toute revêtue de précieux carreaux de faïence; les jardins mogols de Shalimar, et, au delà du grand pont de bateaux de la Ravi, ceux de Shah-Dehra où Jehan-Guir, de son vivant grand libertin, opère après sa mort des miracles; puis les innombrables tombeaux qui font de Lahore et de sa banlieue comme une vaste nécropole et peuvent, pendant des mois, donner un but nouveau à chaque promenade du soir. On nous en voudrait de ne pas mentionner celui de la pauvre Anarkali, dont le nom signifie «Bouton de grenade» et qui fut, dit-on, enterrée vive, en la fleur non épanouie de sa jeunesse, pour avoir une fois rendu son sourire à ce même Jehan-Guir, du temps qu'il n'était encore que le prince héritier Sélim. Et pourtant, j'eus une surprise plus émue en visitant la maison où vécut le général Allard,—un de ces officiers de la grande armée qui firent, à charge de revanche, la fortune de Randjit Singh,—et où il donna l'hospitalité à Jacquemond; sous un kiosque du jardin, une simple dalle de marbre porte ces mots en français: Marie Allard, six mois.
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PETIT SANCTUAIRE LATÉRAL DANS L'UN DES TEMPLES DJAÏNS DU MONT ABOU.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.
Entre temps, le touriste fera ses préparatifs de nomade civilisé. Il commencera par se procurer une tente légère, mais pourtant double, du modèle dit: «Cottage suisse» ou «tente de Kaboul». Puis il réunira un mobilier de camp comprenant un lit démontable, des chaises et des tables pliantes; de la batterie de cuisine, plus volontiers un jeu de casseroles en aluminium rentrant les unes dans les autres; un four de campagne, de la vaisselle émaillée, des chandeliers ou des lampes de jardin; enfin le très petit nombre d'objets qui sont vraiment indispensables. Il peut d'ailleurs remettre jusqu'à son arrivée au Kachmir une partie de ces acquisitions et louer le reste à l'une des agences de Srînagar.
Surtout qu'il ne manque pas d'engager, dès Lahore, deux de ces précieux domestiques indiens, si habiles à assurer le confort de leur maître au milieu de toutes les tribulations des déplacements quotidiens. L'un lui servira de khitmatgar (valet de chambre); l'autre sera le khansama (cuisinier). Leur salaire mensuel est de 12 à 16 roupies, plus une indemnité de 8 roupies quand on les emmène loin de chez eux, à charge de se nourrir eux-mêmes. Ces musulmans du Pendjâb sont en général des gens de confiance et parfaitement sobres, ce que ne sont pas toujours les domestiques qui guettent dans les ports de mer l'arrivée des globe-trotters. Assurez-vous seulement qu'ils soient bien de même secte, pour éviter de fâcheux conflits. Les miens s'étaient fort bien entendus durant la campagne, mais tout finit par des grincements de dents! Pendant les derniers temps de mon séjour à Srînagar, j'avais dû accepter et rendre quelques invitations, et c'est assez la coutume des domestiques que de s'inviter en même temps que les maîtres; or, un beau soir que les miens se trouvaient à dîner chez des Lahoris comme eux, le khansama qui était sunnite et très dévot, apprit avec horreur que le khitmatgar appartenait à la secte des Chyites, et c'est ainsi qu'après avoir fraternisé six mois, ils découvrirent qu'ils étaient ennemis jurés, pour la raison qu'il y a plus de mille ans le calife Omar extermina la famille d'Ali, gendre du Prophète.
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PONT DE CORDES SUR LE DJHILAM, PRÈS DE GARHI.—DESSIN DE MASSIAS, D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.
Que le touriste s'en fie au khitmatgar pour trouver, chaque jour, à la même place, sous sa main, à table, près de son lit ou dans les poches de la tente, tous les objets dont il a coutume de se servir. À toute heure, le cri de «Koï hai!» qui équivaut au «Holà, quelqu'un!» de nos pères, trouvera celui-ci prêt à répondre, empressé et ingénieux, et portant sur l'épaule la serviette qui est comme l'insigne de sa charge. Veillez seulement à ce qu'il en change souvent! C'est avec elle qu'il essuie l'assiette qu'il vous apporte; avec elle qu'il époussette, à l'occasion, vos vêtements et vos chaussures; avec elle qu'au matin, en faisant votre lit, quand vous avez campé trop près d'un village, il chasse à petits coups bienveillants les puces, à demi asphyxiées par la poudre de pyrèthre dont il eut soin la veille de saupoudrer vos draps; c'est avec elle encore qu'il fouaille les coolies qui tardent à dresser les tentes et à disposer le camp; car il s'improvise chef de caravane, et les bons Kachmiris que houspillait le mien,—un freluquet qu'ils auraient écrasé d'une chiquenaude,—ne manquaient jamais de lui donner respectueusement du «Sirdar!»... ni plus ni moins que le titre que portait lord Kitchener de Khartoum quand il commandait l'armée anglo-égyptienne! Il se piquait d'ailleurs d'être de bonne famille, mais des malheurs domestiques avaient contrarié son éducation; aussi ne prétendait-il pas au titre de poète comme le khitmatgar d'un de mes amis, qui charmait ses loisirs à composer des vers persans. Du moins il était fidèle; à la différence d'autres qui ont, tous les quinze jours, à enterrer la même belle-mère, il ne m'a jamais demandé qu'une demi-journée de congé. C'était à Lahore, pour se marier! Et comme, généreusement, je lui offrais la journée tout entière, il protesta qu'il tenait à être de retour à temps pour me servir mon déjeuner.
Quant au khansama, sans doute, il volera un peu son maître; c'est le métier qui veut ça. En revanche, on peut être assuré de trouver partout, même en pleine djangle, et par quelque temps qu'il fasse, le repas prêt à l'heure et cuit à point. Par la pluie ou le vent, au coin d'un bois, sur un feu qui flambe entre deux pierres, dans des circonstances où le meilleur maître-queux européen ne songerait qu'à rendre son tablier, ces cuisiniers indiens réalisent couramment et d'impeccable façon le menu classique: potage, entrée, légumes, rôti, entremets. Lorsque le mien vint, le premier jour de son entrée en charge, me demander dans son jargon anglo-indien comment je désirais le rôti: Half-paka, three quarters paka ya bahout paka, «mi-cuit, aux trois quarts cuit ou très cuit», je connus que je possédais un virtuose doué du sentiment des nuances. Je dois dire qu'il les réalisait imperturbablement, et à la broche; car je lui avais, une fois pour toutes, inculqué l'idée que mes principes s'opposaient à ce que les rôtis se fissent à la casserole; et je le vois encore, à telle étape, sous l'ondée, abritant d'une main avec un parapluie, et tournant mélancoliquement de l'autre devant la braise le poulet du soir. En pareilles matières, n'invoquez jamais votre goût ni votre estomac; ils n'en ont cure. Parlez vaguement de rites ou simplement de coutume (dastour) que vous tenez à observer: vous serez sûr d'être obéi, et ils vous en estimeront davantage d'avoir ce qu'ils ne manqueront pas de prendre pour des pratiques religieuses, dans le genre des leurs. Quelques plats à la mode de France vinrent ainsi, au nom du french dastour, remplacer fort avantageusement les éternelles «côtelettes de poulet» (sic) et les fades légumes à l'anglaise. Grâce moitié à de laborieuses explications, moitié à des démonstrations pratiques, ces recettes furent assimilées par le cuisinier avec une telle maestria que, quand je le congédiai au bout de la saison, il ne parlait de rien moins, fort de sa science accrue, que de se faire engager chez un lieutenant-gouverneur.
Au Kachmir, le touriste renforcera encore sa maison de deux ou trois autres domestiques à 8 ou 10 roupies par mois. Il lui faudra d'abord un bhichti (porteur d'eau) qui cumulera sans doute les fonctions de masalchi (laveur de vaisselle). Les familles un peu nombreuses traînent même à leur suite un dhobi (blanchisseur) particulier attaché à leur service. Enfin il y aura encore le «balayeur»,—celui que Jacquemond appelait le grand-maître de la garde-robe,—homme de si basse caste, qu'il soigne les chiens et mange pêle-mêle les restes de votre table; inutile d'ajouter qu'il est au ban de la société. Et quand, arrivant fatigué à l'étape, vous aurez vu le cuisinier réclamer au bhichti de l'eau qu'il fera chauffer sur du bois ramassé par le balayeur pour vous préparer selon les rites une simple tasse de thé, que vous apportera le khitmatgar, vous admirerez,—si du moins vous n'êtes pas à bout de patience,—cette élégante division du travail.
Lahore, en avril, est encore plein de roses. Mais si le voyageur veut s'assurer que la chaleur de l'Inde n'est pas «un mythe solaire», comme le proclament souvent les touristes d'hiver, qu'il s'attarde seulement jusqu'en mai et attende le premier «orage de poussière», après 117° ou 120° Fahrenheit (48° centigrade) à l'ombre; tout comme jadis les compagnons d'Alexandre, il déclarera que l'expérience est suffisante et insistera pour se retirer sans demander son reste. Le départ pour les montagnes ne lui semblera que plus doux. Il sera déjà temps pour lui de s'approvisionner de glace pour faire sans encombre les neuf heures d'express qui le séparent de Rawal-Pindi. Il passera sans s'arrêter devant l'amorce des routes que suivirent Bernier et Jacquemond par le Pir-Pantsal ou Pantch. Le Kachmir a maintenant sa voie carrossable, passant par Mari (orth. anglaise: Murree). On parle même d'y pousser un chemin de fer électrique; mais alors ce sera l'invasion des hordes de l'agence Cook et la fin du «paradis des Indes». Hâtez-vous pendant qu'il en est temps encore!
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LES «KARÉVAS» OU PLATEAUX ALLUVIAUX FORMÉS PAR LES ÉROSIONS DU DJHILAM. D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.
L'express de Calcutta arrive à deux heures du matin à Rawal-Pindi, un des grands «cantonnements» ou stations militaires du Pendjâb. Il sera bon d'avoir d'avance écrit à l'indispensable Dhanjibhoy, l'entrepreneur de transports, dont les voitures roulent sur toutes les routes de l'Inde du Nord, pour retenir une tonga. C'est un petit chariot à deux roues, fort bas et médiocrement suspendu, recouvert d'une épaisse bâche blanche, qui est la chaise de poste du pays; il y a place pour trois personnes, plus le cocher, et les menus bagages. Les malles et caisses viennent d'ordinaire en ekkas, voitures indigènes fort ingénieusement construites, qu'on peut louer de Rawal-Pindi à Srînagar pour 35 ou 40 francs, et qui, attelées au même poney indigène, accomplissent le voyage en quatre ou cinq jours. On les fait d'ordinaire accompagner, pour plus de sûreté, par l'un des domestiques.
Sitôt les bagages chargés à la gare, on part, sous les étoiles du ciel immuablement pur, à travers les rues de Rawal-Pindi, au risque d'écraser les dormeurs rangés sur des tcharpaïs (lits indigènes) devant leur porte. Les premiers milles sont rapidement franchis le long de la route plate; mais bientôt la silhouette des montagnes sur lesquelles meurt l'étoile du matin, apparaît dans des blancheurs d'aurore. Avec délices on respire la fraîcheur retrouvée. On monte et les relais se font plus courts. La route longe le lit d'un torrent bordé de lauriers roses, puis devient de plus en plus montante et pittoresque. Les pentes se couvrent de sapins; des églantiers s'y accrochent, les revêtant jusqu'à la cime de leurs touffes blanches et parfumées. Les ravins sont pleins de fougères et de fraisiers en fleurs. La route monte de plus belle. Aux derniers relais le saïce (palefrenier), qui d'ordinaire se tient à l'arrière sur le marchepied, passe à l'avant de la tonga, et, assis sur le brancard de gauche, aide le cocher à fouetter ses deux chevaux. On fait ainsi plus de 60 kilomètres en six heures, en même temps qu'on monte à 2000 mètres de hauteur.
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«EKKAS» ET «TONGAS» SUR LA ROUTE DU KACHMIR: VUE PRISE AU RELAIS DE RAMPOUR.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE JADU KISSEN, À DELHI.
Mari, la station d'été à la mode du Pendjâb, éparpille sur plusieurs crêtes ses églises, ses hôtels, ses magasins européens, ses cottages entourés de verdure et ses jolies promenades remplies d'amazones et de cavaliers. Au sud, la vue s'étend sur l'immense plaine couleur de khaki, au nord sur les hautes cimes neigeuses qui semblent barrer la route de Kachmir. On se sent renaître dans cet air pur et frais, descendu de l'Himalaya, l'éternel «séjour des neiges», alors que, la veille encore, on étouffait sous le vent artificiel des pankas.
Cependant, après avoir tant monté, il faut redescendre,—bien entendu sans frein,—à mi-côte des pentes boisées, le long de précipices dont ne vous séparent que quelques quartiers de roc échelonnés au bord de la route. À chaque relais, pas un cheval qui ne plonge et se cabre au moment de démarrer; puis ils trottent de façon tout à fait paisible comme si, après avoir protesté pour la forme, ils se résignaient à leur sort. Un seul cheval suffit dans la descente. Tous d'ailleurs, au fort de la saison, sont maigres et écorchés à faire pitié. Pourtant au deuxième relais après Mari, on nous amena par hasard un cheval en bon état, gras, le poil luisant, la peau intacte. Il ne fallut pas moins de quatre saïces pour l'atteler, après quoi il ne répondit aux coups de fouet que par des ruades folles. Comme le cocher insistait, il usa de son grand moyen; reculant soudain, il alla violemment jeter la voiture contre les pierres qui bordaient la route du côté de la vallée. À vingt pas plus loin, rien n'aurait empêché la dégringolade, et on nous aurait ramassés avec armes et bagages à 500 mètres plus bas. Les gens du village et les conducteurs d'une caravane au repos regardaient, avec intérêt, se préparer l'accident. Nous avons immédiatement réclamé un autre cheval: c'est tout ce que demandait le premier; et tandis qu'on amenait un de ses compagnons, moins ingénieux ou plus bonasse, le vicieux animal, aussitôt dételé, remontait tout seul reprendre à l'écurie sa place accoutumée et son repas interrompu.
Cependant, à force de descendre, la route atteint enfin le creux de la vallée du Djhilam ou Vitastâ. Elle suit jusqu'au pont de Kohala le bord de la blanchâtre et puissante rivière, grossie d'eau de neige. Changée en furieux torrent, elle écume et gronde, affolée de remous et de rapides dans son lit de rochers, elle si calme au Kachmir! Des bois flottés, membres épars des beaux cèdres déodars des montagnes, y tournoient, entraînés aux plaines du Pendjâb. Les ruines de l'ancien pont suspendu, remplacé par un pont de pierre, racontent les fantasques sursauts des inondations. De l'autre côté de ce pont, nous sommes dans les États du mahârâdja de Djammou et Kachmir; à preuve que, de ce côté du Djhilam, on donne une roupie de péage aux fonctionnaires anglais et, de l'autre côté, une roupie ½ aux gens du mahârâdja pour le droit de route et le droit de pâturage des bêtes de somme. Quant aux droits de douane, ils ne sont pas faits pour les sahebs ou «seigneurs», entendez les Européens.
La route continue, désormais, le long de la rive gauche du Djhilam, pour ne plus la quitter: bonne route quand elle est en état, et dont un de nos chemins vicinaux de France peut donner une idée assez juste. Elle court en corniche, un peu au-dessus du fleuve écumant et furieux, dans l'étroite vallée où le soleil oublié se fait de nouveau sentir. À chaque pas, il lui faut traverser d'innombrables nallas ou vallées latérales. Ce sont, en général, de délicieux ravins où, du haut des montagnes, l'eau dévale en cascades, quelquefois même en puissants torrents, et qui, tous, vaudraient une visite. Chacun d'eux a son pont, d'ordinaire emporté à chaque brusque fonte des neiges et reconstruit avec une inlassable patience par les ingénieurs de l'État. De temps à autre, on rencontre un de ces glissements de terrain qui, au début de la saison, rendent fréquemment la route infranchissable. On déblaye juste la place de la voiture, le reste des éboulis est jeté au Djhilam. Presque au milieu de mai, nous avons trouvé de nombreux coolies encore occupés à réparer la route; mais il suffit qu'il en reste un soupçon pour que la tonga continue à passer à toute volée. Un cahot vous jette dans la crevasse béante, un autre vous en retire; le cocher vous prévient d'un mot bref: «Khabardar! Prenez garde»! Et tout est dit.
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LE VIEUX FORT SIKH ET LES GORGES DU DJHILAM À OURI.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.
Nous avons, le premier jour, fait ainsi 90 kilomètres avec bien des khabardars à la clef. Ce sont naturellement les passages les plus périlleux que choisit le cocher pour lâcher les rênes et souffler dans sa trompette. Les accidents sont, d'ailleurs, extrêmement rares, et on finit par goûter ces galopades éperdues sur des ponts sans parapets et ces brusques tournants pris à toute volée. Toutefois, les gens nerveux feront bien de s'absorber, aux tournants surtout, dans la contemplation de la paroi droite de la route, pour ne point voir le Djhilam, où le moindre écart les précipiterait, et où les grands sapins, emportés comme des fétus de paille, leur prédisent assez leur sort. Cette paroi a d'ailleurs son intérêt; faite, le plus souvent, de cailloux roulés de nuances diverses, grès et porphyres, veinés et polis comme nos galets de l'Océan, elle a été sûrement tranchée dans un ancien lit du fleuve. Parfois même des tunnels sont percés au travers, et l'on ne passe pas sans quelque appréhension sous ces blocs suspendus, à peine cimentés dans leur gangue de terre.
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SHÊR-GARHI OU LA «MAISON DU LION», PALAIS DU MAHÂRÂDJA À SRÎNAGAR.—PHOTOGRAPHIE BOURNE ET SHEPHERD, À CALCUTTA.
Tous les 20 kilomètres, ou à peu près, si le désir vous prend de vous arrêter, un bangalow (hind. bângla) est prêt à vous recevoir. Quelques-uns, notamment à Domel, Garhi et Ouri, sont suffisamment approvisionnés. Vous n'y risquez pas de voir se répéter l'anecdote classique du bangalow de l'Inde, dont le dernier poulet,—suprême ressource,—vient toujours de s'enfuir dans la djangle à votre arrivée «par respect pour Votre Honneur!» Ici, le khansama vous sert immanquablement le déjeuner ou le dîner à l'anglaise, et fournit en plus, aux amateurs, du «Kachmir Barsac» ou du «Kachmir Médoc» fabriqué à Srînagar. Quant aux chambres, elles sont assez propres, mais sommairement meublées.
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L'ENTRÉE DU TCHINAR-BÂGH, OU BOIS-DES-PLATANES, AU-DESSUS DE SRÎNAGAR; AU PREMIER PLAN UNE «DOUNGA», AU FOND LE SOMMET DU TAKHT-I-SOULEIMAN.—PHOTOGRAPHIE JADU KISSEN, À DELHI.
La vallée, un peu fermée d'abord après Kohala, s'élargit bientôt au confluent de la Kichen-ganga, près de Domel. En même temps, on cesse brusquement de courir du sud au nord pour tourner au sud-est. Une des curiosités de l'étape de Garhi est son pont de cordes. Imaginez des deux côtés de la rivière, large d'environ 80 mètres, deux solides montants renforcés par une poutre transversale et maintenus par d'énormes tas de gros galets. D'une rive à l'autre, deux cordes, faites de lanières de cuir légèrement tordues, les relient deux à deux; ce sont les rampes. Aux poutres transversales se suspend une autre corde de cuir; c'est le chemin. Les trois cordes sont maintenues en position par des fourches de bois en forme de V, placées à environ 3 mètres les unes des autres. Sur cet appareil instable, les Kachmiris se promènent portant d'énormes faix d'herbe ou un pot au lait placés en équilibre sur leur tête; il est vrai que ceux qui possèdent des chaussures les passent à leur ceinture avant d'y monter, ce qui leur permet de se servir de leurs pieds à la façon des singes. D'ailleurs, il y a un passeur qui, pour deux annas, charge sur son dos les gens sujets au vertige ou effrayés par les rapides qui roulent à grand fracas sous ce chemin de clown. Ce passeur est une manière d'Hercule qui porte un homme comme une plume; il a soin, préalablement, de s'attacher sur le dos son client au moyen d'une large écharpe dont il se noue solidement les bouts sur la poitrine, gardant ainsi toute sa liberté de mouvements. Un autre pont semblable, mais moins long, se voit encore près d'Ouri, au-dessous du vieux fort Sikh, dont les murailles de briques et de pisé semblent placées là comme un décor dans le paysage.
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RUINES DU TEMPLE DE BRANKOUTRI. D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.
Mais comment décrire tous les pittoresques tableaux qui, tour à tour, s'encadrent entre les montants de la capote de la voiture et auxquels on ne donne qu'un regard en passant? Et de même il nous faut renoncer à énumérer les mille et un incidents de la route: rencontres d'ekkas, de chars à bœufs ou de longues théories de chameaux qui vont, remuant les lèvres comme s'ils marmottaient des patenôtres. Puis ce sont les villages, avec leurs huttes basses à toit plat formant véranda; les bazars, où ont encore cours de vieilles monnaies à légendes grecques; les sanctuaires, que marquent des drapeaux triangulaires de couleurs diverses,—sans parler de l'émotion de rigueur à chacun des relais! Vus encore sous un buisson, près de leurs chevreaux et de leur jeune chien aboyant à la tonga qui passe, deux jolis petits pâtres kachmiris, Daphnis et Chloé à leur âge d'innocence; et Chloé appuyait tendrement sa toque de drap rouge contre le turban sale de Daphnis....
Et ainsi, de ce paradis, la route même est délicieuse. D'ailleurs, à partir de Rampour, tout annonce l'approche du Kachmir. Les pentes sont couvertes de sapins et de cèdres déodars, le chemin bordé de peupliers et de platanes. Déjà, à Brankoutri, on passe devant un premier temple en ruines. Celui de Baniyar, mieux conservé, debout au milieu de sa cour quadrangulaire, donne une idée très nette de ce qu'étaient les vieux édifices d'autrefois. Voici bientôt que paraissent les iris, cette fleur symbolique de la contrée. Soudain, la rivière assagie se fait unie comme un miroir, et le long couloir, où nous trottons depuis deux jours, débouche brusquement dans «l'heureuse vallée» par l'étroite porte de Baramoula, qui est en même temps la seule issue pour tout le drainage de ses eaux.
De Mari à Baramoula, on compte 200 kilomètres, soit, si l'on marche, neuf étapes, et, si l'on court la poste, une trentaine de relais. La route, commencée en 1880, était terminée en 1890 jusqu'à l'entrée de la vallée; mais la section de Baramoula à Srînagar n'a été livrée qu'en 1897. Dès 1896, les ponts étaient finis, et le rouleau à vapeur, image de notre civilisation niveleuse, achevait d'écraser dans le ballast plus d'une pierre empruntée aux vieilles ruines hindoues. La route traverse, en effet, la plaine alluviale où l'on ne trouverait pas un caillou; la montagne est loin; les entrepreneurs avaient trouvé plus court de prendre comme carrière les vieilles capitales du pays. Cette année-là, les premières voitures commencèrent à rouler à travers le Kachmir, regardées avec plus de curiosité par les paysans que chez nous les automobiles. Maintenant, tous les véhicules suivent couramment jusqu'à Srînagar, laissant à mi-chemin le vieux bourg et les temples ruinés de Patan. Si vous êtes impatients d'arriver, poussez de suite jusqu'à la capitale; mais du moins, en y entrant, arrêtez-vous sur le pont par lequel la route franchit la rivière, pour vous donner le temps de souffler un peu.
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TYPES DE PANDIS OU BRAHMANES KACHMIRIS.—PHOTOGRAPHIE JADU KISSEN, À DELHI.
Aussi bien l'Amira-Kadal, le premier en amont des sept ponts de Srînagar et le seul construit à l'européenne, est devenu le rendez-vous habituel des nouvellistes de la cité. C'est là qu'ils discutent des affaires publiques et font courir toutes les semaines le bruit que les Afghans sont entrés à Lahore et que les Russes ont franchi les Pâmirs. Nous y serons bien pour regarder et causer un instant. Un marché se tient des deux côtés, et les gens passent et repassent, pour la plupart de grands gaillards au teint à peine basané, vêtus d'une robe de laine qui se souvient plus ou moins d'avoir jadis été blanche, et enturbannés de calicot. Ce sont, d'ailleurs, de braves gens, à la façon dont l'entendait le globe-trotter qui, dans une gare du Pendjâb, outré de l'insolence d'un coolie, allait s'enquérant de sa race avant de se risquer à sévir. Les Kachmiris sont de la bonne espèce; on peut les battre impunément, ils ne font que tendre le dos. Ce n'est pas comme les Afghans de la frontière qui auraient tôt fait de riposter à la bourrade par un coup de coutelas mortel. Les voyant si forts et si débonnaires, les Anglais en ont tout de suite conclu qu'ils étaient couards. Les préféreraient-ils enclins au meurtre et au brigandage? Il est vrai que pour les Afghans, dont la bravoure ne fait pas question, les Anglais se tirent d'affaire en prétendant qu'ils sont «traîtres». Ce parti pris dans le choix des qualificatifs les plus malsonnants prouve seulement, ce que l'on sait déjà, que les Anglais ne sont guère contents que d'eux-mêmes. Quelques Kachmiris, piqués de ce reproche de lâcheté, soutiennent que la robe, qui est leur costume national, leur fut imposée par les conquérants musulmans, en vue d'efféminer leur caractère. L'histoire est spécieuse et paraîtrait même convaincante, si ceux qui l'ont imaginée pouvaient se passer de leur kangri. Le kangri est la chaufferette indigène, bol de terre garni d'osier et rempli de charbons et de cendres, qui, dès qu'il fait un peu frais, ne quitte pas le Kachmiri plus que son ombre; il passe ses jours accroupi sur elle, il couche avec elle la nuit, et c'est à elle qu'il doit les fréquents incendies de ses demeures et les cicatrices de brûlures dont il est le plus souvent couturé. Or le kangri ne va pas sans les plis de la large robe à longues manches sous lesquels, frileusement, on l'enfouit; et comme le Dr M. A. Stein assure qu'il en était déjà question dans les vieilles chroniques, il faut renoncer à la légende d'un Kachmir, jadis peuplé de héros, tous braves parce que portant culottes.
Mais vous commencez à discerner entre les passants des nuances de types et de costumes. Laissons de côté quelques Sikhs, Pendjâbis et autres immigrés de l'Inde; les Kachmiris eux-mêmes n'ont pas tous même religion ni même caste. En gros ils se partagent entre hindous et musulmans. Ces derniers sont de beaucoup les plus nombreux: des cent vingt mille habitants de la capitale, plus des trois quarts professent l'islamisme, et, dans les campagnes, la proportion est plus forte encore. Il semble que cette conversion de la masse de la population, qui date seulement du XIVe siècle, se soit produite sans violence et nullement à la suite d'une invasion de conquérants. Les cultivateurs et les gens de peu, qui n'avaient qu'à gagner au change, embrassèrent tous la religion étrangère; les brahmanes, qui avaient tout à y perdre, s'attachèrent désespérément au culte que leur avaient légué leurs aïeux, seule justification des privilèges attachés à leur caste. Les musulmans les stigmatisent naturellement de l'épithète de bout-parast (adorateurs d'idoles); mais eux-mêmes sont-ils bien sûrs d'être des «vrais croyants» orthodoxes? En fait, ils ont gardé toutes les superstitions hindoues sous un léger vernis d'islam, et les docteurs de la Mecque les flétrissent à leur tour du nom de pir-parast (adorateurs de saints). Si les brahmanes sont la minorité, ils restent de beaucoup la classe la plus intelligente et la plus cultivée, encore que tous ne justifient pas par de suffisantes études le titre de pandit (lettré), qu'ils se donnent uniformément. Déjà, vous les distinguez aisément de leurs compatriotes musulmans à la marque sectaire qu'ils portent au front, au tour particulier de leur turban et à l'écharpe jetée sur leurs épaules.
Maintenant que vous avez fait une première connaissance avec les Kachmiris, êtes-vous curieux de savoir qui les gouverne? Regardez en aval, puis en amont. Là, tout près, sur la rive gauche, cet entassement d'horribles bâtisses est le Shêr-Garhi, comme on appelle le palais du mahârâdja; là-bas en amont, sur la rive droite, vous distinguez entre les peupliers et les platanes la place de l'élégante villa du résident anglais. Du résident ou du mahârâdja, lequel est le vrai roi de Kachmir? Les petits enfants même le savent et les vieillards ne s'y trompent pas. Un brahmane centenaire, nous disant tous les sarkars (gouvernements) qu'il avait vu passer dans sa vie, énumérait les Afghans Douranis, les Sikhs de Randjit-Singh, les Râdjpoutes Dogras de Goulâb-Singh... et les Anglais de la reine. Il est presque dommage, pour la beauté du fait, qu'il n'ait pas aussi vu les Russes.
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LE QUAI DE LA RÉSIDENCE; AU FOND, LE SOMMET DU TAKHT-I-SOULEIMAN.—PHOTOGRAPHIE JADU KISSEN, À DEHLI.
C'est le Kachmir des Sikhs qu'a visité Jacquemond en 1831 et dont la vice-royauté lui fut, dit-on, offerte. Ne craignez pas que votre modestie soit mise à pareille épreuve: cet heureux temps n'est plus! Sur sa route, à l'aller et au retour, notre compatriote avait eu l'occasion de rencontrer un Râdjpoute du clan des Dogras que la faveur de Randjit-Singh avait fait râdja de Djammou. Déjà Goulâb-Singh—c'était le nom de ce condottiere—convoitait le Kachmir. Tant que vit le vieux «lion» ou, comme l'appelle encore Jacquemond, le vieux «renard» du Pendjâb, nous le voyons rôder alentour sans y pénétrer; l'un après l'autre, il conquiert les pays limitrophes, le Kichtwar, le Ladâkh, le Skardo. Randjit-Singh mort, il sait habilement ménager sa fortune entre les Sikhs et les Anglais. Enfin par un traité en date du 16 mars 1846, le Gouvernement britannique «transfère et cède, au mahârâdja Goulâb-Singh et aux héritiers mâles de son corps, toute la contrée accidentée ou montagneuse située à l'est de l'Indus et à l'ouest de la Ravi...» En échange, le nouveau mahârâdja payait la somme de 75 lakhs de roupies (un lakh vaut 100 000) et s'engageait à offrir un tribut annuel de chevaux, de chèvres et de châles. On dit que ceux-ci sont encore livrés et que la défunte reine-impératrice en faisait des cadeaux de noces qui n'avaient rien de ruineux. Ce traité était pour Goulâb-Singh un coup de maître. On assure qu'en quelques années, il retrouva, dans le revenu de la Vallée, la somme qu'il avait payée pour l'acquérir. Jamais on n'ôtera de la tête des Kachmiris l'idée que, pour obtenir tant d'avantages, il devait avoir fait croire aux Anglais que tout le pays à lui cédé n'était que montagnes et collines stériles, et la rédaction même du traité le donne assez à penser. En fait, leur but était de séparer Goulâb-Singh de la cause des Sikhs et de s'en faire un allié contre eux; trois ans plus tard, quand, en 1849, ils eurent définitivement annexé le Pendjâb, ils se trouvèrent avoir constitué sur leur flanc un royaume presque indépendant et, qui plus est, confinant aux territoires chinois et russes. C'est l'erreur de cette politique à courte vue qu'ils s'occupent aujourd'hui de réparer au nom des intérêts impériaux de la défense de l'Inde; et voilà sous quel prétexte ils reprennent pour rien ce qu'ils n'ont d'ailleurs pas vendu bien cher.
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LA PORTE DU KACHMIR ET LA SORTIE DU DJHILAM À BARAMOULA.—PHOTOGRAPHIE JADU KISSEN, À DELHI.
Mais assez causé politique. Occupons-nous de vous assurer le vivre et le couvert. Vous les trouverez pour quelques jours à l'hôtel que le progrès ou le malheur des temps vient de faire établir à Srînagar et dont l'inauguration de la route carrossable avait d'ailleurs rendu l'ouverture nécessaire. Mais on ne vient pas au Kachmir pour vivre à l'hôtel,—autant alors aller en Suisse,—et du reste vous ne connaîtrez rien du pays ni de son charme qu'à condition d'avoir une installation indépendante et ambulante et de mener (ou de vous imaginer mener) dans ce magnifique décor de «Haute-Asie» la vie errante de nos hypothétiques ancêtres aryens. C'est là encore une fois, conscient ou non, tout le secret de l'attrait subtil et prenant de la saison kachmirie. C'est l'évasion hors des ridicules et perpétuelles entraves de notre société, où tout est devenu matière à contravention, depuis l'acte de prendre du bois à la forêt jusqu'à celui de puiser de l'eau à l'océan; c'est la réalisation de ce qui reste, depuis l'Eden, la vocation et le rêve de l'homme, la royauté au sein d'une nature amie; c'est enfin la satisfaction de ce puissant et obscur instinct de vagabondage qui fait qu'au fond de tout civilisé un nomade sommeille. La marque, et peut-être aussi la rançon de ce retour (oh! combien mitigé, d'aucuns diraient perfectionné) aux mœurs de l'humanité primitive, c'est l'importance énorme et insoupçonnée dans le cadre artificiel de nos villes, que prend soudain le double problème de l'abri et du ravitaillement.
Quelques renseignements seront peut-être encore ici les bienvenus. Vous pourrez vous procurer à Srînagar, dans les boutiques des inévitables Parsis, toutes les conserves européennes; mais vous ferez mieux pendant votre séjour de vous approvisionner, comme fait d'ailleurs le reste de la flottante colonie étrangère, aux marchés voisins du pont de l'Amira-Kadal. Bien entendu vous n'y trouverez de bœuf «ni pour amour ni pour argent», au grand scandale des Anglais, qui se dédommagent en consommant force boîtes de corned beef. L'interdiction est maintenue en vigueur par la dynastie hindoue régnante et le meurtre d'une vache, jadis puni de mort, coûterait encore à un indigène une quinzaine d'années de prison, et, à un Européen, l'expulsion du royaume. En dehors de cette viande prohibée, parce que trop sacrée, et de celle de porc que votre cuisinier musulman se résignera malaisément à préparer, parce que trop impure, votre table pourra être abondamment servie: mouton excellent, succulentes volailles, légumes, œufs et beurre frais, rien ne manque au «bazar». Ne vous étonnez pas si votre cuisinier rapporte du marché les victuailles enveloppées dans de l'écorce de bouleau: c'est l'ancien papier du pays, comme en témoignent les vieux manuscrits, et l'on continue à s'en servir pour maint usage domestique. Voulez-vous enfin un aperçu des prix, qui, d'ailleurs, ont tendance à monter en raison de l'affluence des touristes? Un quartier de mouton, 30 sous de notre monnaie; un poulet, de 6 à 10; une livre de beurre ou une douzaine d'œufs, 4; et le reste à l'avenant. Encore rencontre-t-on des gens qui se plaignent de la cherté des vivres et vantent le bon temps où, pour la roupie, on avait le mouton tout entier.
Voilà pour la table. Quant à l'abri, si vous n'avez déjà pris vos précautions à Lahore, vous aurez tôt fait d'acheter ou de louer dans une des agences de Srînagar les tentes et le mobilier de camp nécessaires. Vous ferez dresser votre maison de toile,—bien plus confortable que vous ne pouvez croire, si vous n'en avez jamais essayé,—sur la rive et dans les environs de la Résidence, sous les ombrages de l'un des bâghs, que se sont appropriés les Européens. Il y a le Mounchi-Bâgh, qui est un verger au bord du Djhilam, réservé aux gens mariés et aux dames seules; il y a le Tchinar-Bâgh qui est un magnifique bois de platanes sur le déversoir du lac, à l'usage des célibataires hommes; et ainsi l'ivraie est séparée du bon grain. Surtout, vous vous assurerez la disposition d'une de ces barques indigènes que l'on appelle des doungas: elle vous servira de logis en même temps que de véhicule, au cours de vos premiers déplacements. Ni la roulotte du bohémien, ni même «la maison du berger», dont parle le poète, ne vous mènerait bien loin au Kachmir; pendant ces derniers jours du printemps, où les eaux sont encore hautes, le bateau vous conduira, au contraire, éveillé ou dormant, par la rivière et les lacs, à tous les coins les plus intéressants de la vallée. Pour vous qui descendez de voiture, moulu de cahots, ahuri de trompette et suffoqué de poussière, vous verrez que vous ne perdrez pas au change en troquant votre tonga contre une dounga.
(À suivre.) Mme F. Michel.
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NOS TENTES À LAHORE.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.
Droits de traduction et de reproduction réservés.
TOME XI, NOUVELLE SÉRIE.—2e LIV. No 2.—14 Janvier 1905.
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«DOUNGA» OU BATEAU DE PASSAGERS AU KACHMIR.—PHOTOGRAPHIE BOURNE ET SHEPHERD, À CALCUTTA.
L'ÉTÉ AU KACHMIR[1]
Par Mme F. MICHELII. — La «Vallée heureuse» en dounga. — Bateliers et Batelières. — De Baramoula à Srînagar. — La capitale du Kachmir. — Un peu d'économie politique. — En amont de Srînagar.
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VICHNOU PORTÉ PAR GAROUDA, IDOLE VÉNÉRÉE PRÈS DU TEMPLE DE VIDJABROER (HAUTEUR 1m40).
La dounga est un bateau plat, pointu aux deux extrémités, long d'une dizaine de mètres et recouvert d'un toit en nattes de roseaux. D'autres nattes, se roulant à volonté comme des stores, forment la fermeture des côtés, la porte et les séparations intérieures. À l'avant, se trouve une petite véranda; puis vient une chambre (la mienne avait exactement 4 mètres de long sur 1m80 de large), et enfin une pièce plus petite qui sert de cabinet de toilette; à l'arrière, la famille du batelier grouille, pagaye et dort dans un espace invraisemblablement restreint. Bateau et équipage se louent au mois pour une vingtaine de roupies le tout; et l'on y est très «confortable» (bien que le lit de camp, si bas qu'il soit, dépasse le plat-bord du bateau), à la condition de se réserver l'entière propriété de son vaisseau et de le meubler à sa fantaisie. Les domestiques suivent dans un autre, où l'on cuisine; qu'en cours de route l'heure du repas sonne, la cuisine flottante accoste, et vous êtes servi sans qu'il soit besoin de vous arrêter. Un petit bateau léger, qu'on appelle shikara et qui sert à la chasse aux oiseaux d'eau et aux courses rapides, complète la flottille; avec cela, vous pouvez circuler partout sur la rivière et sur les lacs du Kachmir. La mode de ces habitations flottantes, que les Anglais appellent house-boats, a bien passé de la Tamise au Djhilam; on en peut louer de fort bien agencées pour la saison. Mais, outre que cela revient beaucoup plus cher, ce sont de lourdes et encombrantes machines qui, dès que les eaux baissent, risquent à chaque instant de s'échouer; puis la dounga est plus couleur locale; et enfin dans aucun cas l'on n'échappe aux handjis!
Les handjis sont les bateliers du Kachmir; caste peut-être méprisable, à coup sûr méprisée, ils tiennent pourtant une grande place dans la vie du pays. Jusqu'à ces dernières années, tous les transports se faisaient par eau. Il y a beau temps que les Kachmiris ont découvert que leur rivière est un chemin qui marche; aussi, la Vihat, comme ils l'appellent, est-elle couverte de barques, depuis les gros chalands de charge, jusqu'aux légères doungas de passagers. Les handjis de cette dernière catégorie sont les plus mal famés de tous. On dit le plus grand mal de la vertu de leurs femmes; il est vrai que l'on vante aussi leur beauté.
Espérons que le reproche n'est pas plus mérité que la louange. Du moins, si les malheureuses créatures ont eu, dans leur prime jeunesse, un moment de fraîcheur, la dure vie qu'elles mènent les a vite flétries. Elles pagayent, pontent, ou tirent la cordelle sans relâche; puis il leur faut décortiquer le riz ou concasser le maïs dans de lourds mortiers de bois, à l'aide d'un grand pilon; enfin, elles ont, en plus, le souci d'élever toute une nichée d'enfants qui, d'ailleurs, sont charmants. Leur seul délassement est de se quereller d'un bateau à l'autre. Ces querelles de handjis sont passées en proverbe au Kachmir. Leur répertoire d'injures, au dire de ceux qui les comprennent, laisse bien loin derrière lui celui des cochers parisiens. Le plus souvent, les femmes seules s'en mêlent et s'invectivent avec fureur, tandis que les hommes écoutent en fumant et marquent les points sans cesser de rire. Parfois, le soir tombe, et l'inspiration n'est pas encore épuisée; alors, chacune des mégères renverse, à l'avant de sa barque, une marmite ou un panier. C'est un geste symbolique; la querelle est enfermée là-dessous pour la nuit; au matin, on retourne l'ustensile, et la voici qui repart de plus belle.
Dès Baramoula, j'ai fait connaissance avec la naïve astuce de ces handjis tant calomniés. Il s'agissait, au milieu de la flottille amarrée au bord, de nous choisir des barques. De tous côtés, c'était à mon adresse des appels et des supplications, mêlés de larmes et de prosternements, de gens se jetant sur mes pieds pour en essuyer du front la poussière, toute la comédie dont ils sont coutumiers en pareil cas. Et toujours un cri dominait: «Kiline, Hazour, kiline!» C'est leur façon de prononcer le mot anglais «clean», la propreté étant naturellement la qualité requise par les arrivants européens. Mon choix fait, les autres bateliers cessèrent aussitôt leurs pathétiques prières; leur tour viendrait une autre fois. Je n'ai, d'ailleurs, pas eu à me plaindre des miens, sauf qu'ils avaient, comme tous leurs congénères, la détestable habitude de jacasser jour et nuit, en dépit de tous mes «tchoup!», ce qui est la manière de leur crier «silence!» en langue hindoustanie. Il y eut bien quelques querelles entre les femmes des deux bateaux; mais elles n'osaient trop m'en rebattre les oreilles, et il était plaisant de voir par instants, quand elles ne se croyaient pas observées, l'air de rage concentrée avec lequel elles se crachaient silencieusement, à l'adresse l'une de l'autre, tout leur réciproque mépris.
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ENFANTS DE BATELIERS JOUANT À CACHE-CACHE DANS LE CREUX D'UN VIEUX PLATANE.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.
Mais, une fois embarqué, quel délice de se réveiller dans sa dounga qui, insensiblement, glisse sur le beau fleuve transparent et calme. Si une bonne heure de paresse a son prix, c'est à voir de son lit, par la natte à peine soulevée, défiler les vertes rives dans la fraîcheur du matin. À la vérité, le paysage immédiat n'a rien que de déjà vu, et peut-être sa popularité, parmi les Anglo-Indiens, vient-elle de ce qu'il leur rappelle les prés de la Tamise. Nous avons, le premier jour, remonté de Baramoula jusqu'à Sopour par un de ces temps tièdes et voilés, comme en ont nos étés du nord; les fonds se perdaient dans une brume blanche, et, plus près, les ombrages, les grasses prairies peuplées de troupeaux, les beaux champs bien cultivés, les larges perspectives à peine ondulées et fermées de lignes d'arbres, tout était aussi bien une des belles vallées de chez nous. Vers midi, les rideaux de gaze qui voilaient l'horizon se déchirèrent, et, dans la nue diaphane, apparurent, uniques à voir, les cimes neigeuses qui encerclent la vallée, vaste émeraude sertie d'argent; et alors cela valut le voyage.
Sans plus de peine, vous pouvez visiter, au cours de cette indolente navigation, les curieuses et célèbres ruines du Kachmir. Toutes les vieilles capitales et presque toutes les fondations religieuses des rois, dont les Chroniques nous entretiennent, jalonnent la rivière, qui est la grande artère du pays. Les seuls noms des villages que l'on rencontre, Pampour, Lattapour, Avantipour, forcent d'ailleurs les plus profanes à connaître les noms de Padma, de Lalitâditya, d'Avantivarman. Le bourg de Sopour devrait lui-même son nom à Souyya, l'ingénieur de ce dernier prince qui, dit-on, rectifia et cura le cours de la Vitastâ. Si l'on en croit la Râdjataranginî, il se serait borné à vider les coffres du roi dans la rivière! Aussitôt, tous les citoyens s'empressèrent d'aller en fouiller le lit pour retrouver les dinnars d'or, tant et si bien qu'elle s'en trouva désobstruée.
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BATELIÈRES DU KACHMIR DÉCORTIQUANT DU RIZ, PRÈS D'UNE RANGÉE DE PEUPLIERS. PHOTOGRAPHIE BOURNE ET SHEPHERD, À CALCUTTA.
Le procédé est simple, sinon à la portée de tous les esprits et de toutes les bourses. Ce fut une autre affaire, au temps du farouche Mihirakoula, pour remuer un seul rocher; il faut dire qu'un génie s'y était embusqué, qui se riait de tous les efforts. Toutefois, un rêve avertit le roi qu'il n'y fallait que la main d'une honnête femme. Les dames de la cour et de la ville passèrent l'une après l'autre, par ordre de préséance, et le roc ne bougeait toujours pas; ce fut seulement quand vint le tour de l'épouse d'un pauvre potier qu'il consentit à se mettre en branle. De fureur, Mihirakoula fit mettre à mort, non seulement les femmes coupables, mais encore leurs maris et leurs frères, pour les punir de les avoir si mal gardées; et il en périt ainsi trois crores, c'est-à-dire trente millions! Ce n'est pas la seule histoire qu'il y aurait à conter; le peu que je viens d'en dire n'est que pour vous exciter à en lire davantage dans la traduction anglaise,—à moins, bien entendu, que vous ne préfériez l'édition sanscrite,—du Dr M. A. Stein.
Un pont à la mode kachmirie, qui en vaut bien une autre, de petits sanctuaires hindous, une mosquée, un bazar de village, quelque huit cents maisons à toit anguleux comme chez nous, et non plus en terrasse comme dans l'Inde, voilà Baramoula, et voilà encore, en plus petit, Sopour. Les ponts surtout amusent l'œil par la nouveauté de leur silhouette. Ils sont entièrement en bois. Leurs piles sont formées de rangs de solives superposées alternativement en long et en large. De loin, on dirait assez bien un tas de planches que l'on veut faire sécher. À la base, en amont, une sorte d'éperon, construit de solides madriers et rempli de grosses pierres, rompt l'effort du courant; par en haut, les piles vont s'élargissant et les pièces de bois parallèles au fil de l'eau se font de plus en plus longues, jusqu'à ce qu'enfin elles se trouvent assez rapprochées pour qu'on puisse aisément jeter, de l'une à l'autre, les traverses du tablier. Ces ponts à jour, outre la simplicité et le bon marché de leur construction, ont encore l'avantage de résister aux crues, qui passent à travers leurs interstices sans les entraîner. Jadis, ils étaient bordés de maisons et de boutiques à la façon du Pont-au-Change de nos ancêtres ou du Ponte Vecchio de Florence; mais partout ces superstructures ont brûlé et n'ont pas été rebâties.
Derrière Sopour, s'ouvre le Voular, le plus grand lac du Kachmir. N'étaient quelques belles nappes d'eau libre, on dirait plutôt une immense prairie d'herbes aquatiques, où se posent des oiseaux au plumage éclatant. Partout flottent en cette saison de vieilles noix, ou mieux des châtaignes d'eau (singhara), hérissées de quatre longues épines, qui sont un des produits du lac et la suprême ressource des Kachmiris en temps de famine. Dans des barques plates, chargées à couler bas, les riverains recueillent, pour leur bétail, les herbages de ce pré de nénuphars et de lotus. Ils chantent en arrachant avec leurs mains les larges feuilles humides à tiges visqueuses et le vent emporte très loin ces mélancoliques mélopées hindoues, qui recommencent sans fin.
Les bateliers ont très grand'peur du Voular; c'est qu'il est fréquemment visité par des orages brusquement descendus des montagnes, et auxquels leurs bateaux plats et trop chargés du haut ne sauraient résister. Ils n'ont d'autre ressource que de gagner au plus vite le bord avant que les vagues n'embarquent. Goulâb-Singh, dit-on, faillit y périr. Aussi, au lieu de traverser le lac pour gagner l'embouchure de la grande rivière, les handjis se hâtent-ils de rejoindre, le long de la rive méridionale, l'entrée du canal de Norou. C'est ce que firent les nôtres, et non sans raison: au soir, le vent tomba soudain sur nous, soulevant les nattes et menaçant de jeter à l'eau mobilier et habitants. Nous trouvons, par bonheur, l'abri d'une levée de terre, et toute l'équipe de handjis, hurlant d'effroi, s'empresse d'augmenter les amarres et d'assujettir le toit du bateau. Après quoi, il n'y eut qu'à s'endormir paisiblement, défendu de la pluie et des rafales par cet excellent abri de roseaux tressés.
Ces orages s'en vont aussi vite qu'ils sont venus. Au matin, nous repartons sur l'eau calme et miroitante. L'occasion est belle, au début de la saison, pour gagner, par les étangs intérieurs, le voisinage des ruines de Patan. Les doungas glissent sur les nénuphars en fleurs ou se coulent à travers les grands roseaux peuplés de sarcelles; la transparence de l'eau est telle qu'on peut compter les brins de mousse qui tapissent le fond. Un petit canal conduit jusqu'à de grands platanes isolés dans la plaine près du village, ignoré des cartes, de Palhallan. Aucune place de campement ne paye moins de mine; mais on y est comme sur la plate-forme d'un magique panorama, d'où la vue s'étend de l'Haramouk au Toutakouti et du Kadjnâg au Brahma-Sakoul, sur l'immense cirque de montagnes neigeuses.
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CAMPEMENT PRÈS DE PALHALLAN: TENTES ET DOUNGAS.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.
À quelques kilomètres plus loin, les vieux temples de Patan, fortement éprouvés en 1885 par le dernier tremblement de terre, achèvent de crouler. Palhallan, magnifiquement ombragé de mûriers, de noyers, de platanes séculaires et de peupliers où s'accroche la vigne, a aussi sa curiosité: c'est sa héronnière. Des centaines de hérons vont et viennent, faisant la navette entre les lacs voisins et les grands arbres où ils ont logé leur nichée. Il est comique de les voir se poser avec un geste maladroit de leurs longues pattes. D'autres se font les plumes ou méditent, le cou rentré dans les épaules, au bout d'un rameau desséché; car les cimes dépouillées semblent souffrir de cet excès d'habitants. On est en droit de s'étonner que l'art kachmiri n'ait pas tiré du héron le même parti que les Chinois et les Japonais de leurs cigognes, d'autant que c'est un oiseau royal, dont la chasse est interdite. Jadis, les gens de qualité portaient, fixée par un joyau à leur turban, une aigrette de plumes de héron, et le fermage de la cueillette comptait dans les revenus de l'État. Dans ces dernières années encore, le fermier avait à payer 268 roupies et à fournir 2 999 plumes, pas une de plus, pas une de moins. Mais la mode s'en va, et les aigrettes ne reparaissent qu'à l'occasion des mariages, dans le costume de mascarade dont on affuble le fiancé.
La maison flottante se remet en marche à travers les étangs transparents et fleuris pour regagner le canal de Norou, qui s'embranche à Shadipour sur le bras principal de la Vitastâ; juste en face, se jette le Sindh, formant ainsi un vrai carrefour de rivières. Ce confluent est aux yeux des brahmanes un lieu aussi sacré que le point de jonction du Gange et de la Djamna; sur un îlot circulaire, un petit platane, pareil à l'arbre éternel dont les pèlerins vénèrent encore le tronc dans les souterrains du fort d'Allahabâd, est censé ne connaître ni déclin ni croissance. Détail qui a son prix, on pèche à cette place vénérée d'excellents poissons appelés mahsirs. De là, en descendant la grande rivière, on aurait vite fait d'atteindre le pont de Soumbal, et, par un étroit déversoir, les eaux vertes et profondes du petit lac Manusbal, où une réduction de temple kachmiri achève de s'enliser dans la vase. Si, au contraire, on la remonte, bientôt se dessine, dans le lointain, le fort sikh de Hari-Parvat, qui est la citadelle de Srînagar. Par derrière, se profile, plus haut encore, servant d'écran au soleil levant, une colline couronnée d'un sanctuaire brahmanique, ce qui n'empêche pas les musulmans de l'appeler Takht-i-Souleiman, c'est-à-dire «Trône de Salomon».
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TROISIÈME PONT DE SRÎNAGAR ET MOSQUÉE DE SHAH HAMADAN; AU FOND, LE FORT DE HARI-PARVAT.—PHOTOGRAPHIE JADU KISSEN, À DELHI.
Srînagar est coupé en deux par la rivière qu'elle borde pendant plus de 5 kilomètres. Sept ponts relient les deux rives. J'ai, pour ma part, eu l'impression d'arriver dans une ville demi-ruinée. Il semblerait que les maisons, dont beaucoup sont étayées, ont été laissées en état d'équilibre instable par le dernier tremblement de terre, en attendant que le prochain achève de les jeter à bas. Elles n'en sont que plus pittoresques, avec leurs petites loggias à l'étage supérieur, leurs volets ajourés, sur lesquels, l'hiver, on colle du papier pour remplacer les vitres absentes, et surtout leurs toits de terre couverts de touffes d'iris et d'herbes folles, ondoyant au moindre souffle. Tour à tour défilent des mosquées, avec leur triple toit également fleuri, et les temples hindous, dont les dômes oblongs sont revêtus de plaques de fer blanc, hélas! empruntées à des bidons de pétrole. Des quais et de grands escaliers, bâtis de vieilles pierres sculptées, bordent la rivière. Des femmes y descendent emplir leurs cruches de terre rouge ou de bronze; leurs petites sandales de bois, retenues par un simple champignon passé entre l'orteil et le premier doigt, claquent sur les marches glissantes, et c'est miracle qu'elles ne se rompent pas le cou; leurs longues robes de laine ont parfois des teintes délicieusement passées: vieux vert, bleu pâli, grenat foncé. Les shikaras sillonnent en tous sens la rivière, aussi nombreux que les fiacres dans une rue de Paris.
Sur la gauche, on a laissé le Mahârâdj-gandj, qui est le bazar neuf,—d'autant plus neuf à présent qu'on vient encore de le rebâtir après un nouvel incendie. C'est le repaire de tous les gros marchands de ces bibelots d'argent, de cuivre ciselé et émaillé, de «papier mâché», de bois sculpté et de broderies, qui sont les grandes productions artistiques du pays. N'espérez pas leur échapper. Ils vous poursuivront sur eau comme sur terre; avec une inlassable patience, ils mettront le siège devant votre tente ou votre bateau, s'insinueront peu à peu, eux et leurs marchandises, dans la place, et ne vous tiendront quittes qu'ils ne remportent, inscrite sur leurs livres, votre commande, livrable fin saison. Entre temps, les courtiers des banquiers indigènes vous proposent fort poliment d'escompter vos chèques, tout comme la Banque anglaise, et même, ce que celle-ci ne saurait faire, de vous délivrer des lettres de change (en kachmiri, houndi) pour les plus lointaines villes de l'Asie centrale, où ils ont leurs correspondants attitrés. Et enfin, c'est toute la horde des fournisseurs venant faire leurs offres de services, tailleurs pour hommes et pour dames (à dix roupies le complet; spécialité de paletots pour fox-terriers), bottiers pour la ville et pour la montagne, marchands de fourrures, fabricants d'articles de voyage et de campement, prêts à vous équiper de pied en cap pour vos expéditions futures, vous, vos gens, et, si besoin est, vos chiens.
Pour tout ce petit monde grouillant d'artisans et de commerçants, la mort de l'industrie des châles fut, il y a quelque trente ans, un coup terrible. On sait que la mode commençait, dès 1870, à en passer; mais comme ce commerce était entre les mains de nos courtiers et que la guerre franco-allemande vint arrêter brusquement leurs achats, les bons Kachmiris établirent tout naturellement une relation entre nos désastres et leur ruine. La nouvelle de Sedan fut accueillie chez ce peuple démonstratif par des lamentations publiques, qui, pour être intéressées, n'en étaient pas moins sincères; et peut-être est-il le seul qui ait compati à nos malheurs. Une partie des tisseurs de châles ont retrouvé depuis un gagne-pain dans deux manufactures de tapis, dont l'une est dirigée par un Français, M. Dauvergne.
Cette crise économique n'est, d'ailleurs, qu'un incident dans l'histoire récente de la malheureuse capitale de l'heureuse Vallée. On s'explique assez son air de délabrement quand on songe à tous les maux qui l'ont éprouvée au cours de ces dernières années: famines, choléra, inondations et incendies périodiques, rien ne lui a été épargné; par-dessus tout, elle a eu à souffrir de l'hostilité déclarée de la nouvelle administration anglaise, qui, bienfait pour le reste du pays, fut pour elle un malheur. Cette agglomération de cent vingt mille habitants—pour les trois quarts, artisans ou commerçants musulmans, et, pour le reste, brahmanes,—pèse d'un poids anormal dans une vallée fermée de 35 lieues de long sur 10 de large, et qui compte, au plus, huit cent mille âmes. Jusqu'il y a quinze ans à peine, la tradition avait été d'exploiter la province au profit de la capitale; le mot d'ordre des fonctionnaires prêtés—ou imposés—au mahârâdja par le Gouvernement anglais fut, au contraire, de renverser les rôles et de sacrifier la ville à la campagne. On ne saurait donner un meilleur résumé des deux chapitres que M. W. Lawrence,—le fonctionnaire qui a fait le plus pour attacher son nom à cette transformation,—a consacrés, dans son intéressant ouvrage (The Valley of Kashmir, Oxford, 1895), à nous faire sentir la différence entre l'ancien régime et le nouveau. C'était, proprement, tout mettre sens dessus dessous et vouloir faire marcher le Kachmir sur la tête. Il fallait avoir affaire à une population aussi douce et malléable pour qu'un si radical et si brusque changement pût être opéré en si peu de temps; partout ailleurs, il eût provoqué des troubles, sinon une révolution; mais s'il se fit sans révolte, il ne se fit pas sans souffrances, au moins pour les citadins.
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LE TEMPLE INONDÉ DE PANDRETHAN.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.
Peut-être était-ce aussi leur tour, car il faut avouer que, jusqu'alors, la vie du paysan kachmiri avait été des plus dures. C'était déjà un principe des vieux rois hindous que l'on ne devait laisser aux cultivateurs, gens de basse caste, que tout juste la quantité de grains nécessaire pour faire les semailles et attendre la récolte suivante, sans mourir tout à fait de faim. Leur conversion en masse au mahométisme ne semble pas avoir amélioré leur sort. Rois ou gouverneurs musulmans continuèrent de les dépouiller à l'envi, et les Sikhs firent de même. Jacquemond définit le gouverneur de son temps «le Sikh stupide qui est, pour le présent, en possession de piller ce malheureux pays», à charge, sans doute, de rendre gorge dans le trésor de Randjit-Singh à l'expiration de sa charge. Quant à Goulâb-Singh, l'homme qui vendait couramment ses audiences pour une roupie, il n'entendait pas raillerie en matière de revenu. Du temps de Ranbîr-Singh, il y avait bien eu quelques tentatives de réformes, mais elles avaient échoué, grâce à l'opposition systématique des fonctionnaires qui, comme il était naturel sous une dynastie hindoue, étaient des brahmanes ou «pandits». Or tous les pandits, depuis le patwari de village jusqu'au vazir-vazarat ou gouverneur de province, en passant par les tahsildars ou chefs de district, s'entendaient entre eux pour exploiter le plus possible le cultivateur musulman. La plus grande partie du revenu se payait en nature, et l'État, après avoir pris, sans façons, aux campagnards, les trois quarts de leur récolte, la vendait à bas prix aux gens de la ville. En ce temps-là, nous assure-t-on, une roupie par mois suffisait à faire vivre son homme. On comprend, dans ces conditions, l'essor des industries citadines, grâce au bon marché de la main-d'œuvre; mais ce n'était pas gai tous les jours pour les villageois qui voyaient la meilleure part de leur riz mangée par les frelons de la ruche.
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FEMME MUSULMANE DU KACHMIR.—PHOTOGRAPHIE JADU KISSEN, À DELHI.
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PANDIT NARAYAN, ASSIS SUR LE SEUIL DU TEMPLE DE NARASTHÂN. D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.
Enfin, M. W. Lawrence vint (c'est lui qui parle), chargé du settlement, c'est-à-dire de la révision du cadastre et de la répartition de l'impôt foncier; il prit sous sa protection le paysan et déclara, du même coup, la guerre à ceux qu'il appelle ses trois ennemis, à savoir, dit-il: 1o les pandits des classes officielles; 2o les chefs de village; 3o la cité de Srînagar. Depuis, il est de fait que le cultivateur, le zémindar, prospère; les autres clans prétendent même qu'il prospère insolemment. Il a obtenu du Settlement officer les conditions les plus douces qu'il ait jamais connues; et ce n'est pas sa faute si, à force de ruses, il n'en a pas obtenu de plus douces encore. Si quelques erreurs inévitables ont été commises, et si des abus séculaires n'ont pas été réformés d'un coup de baguette,—et que, par exemple, les exactions des petits fonctionnaires indigènes soient loin d'avoir été supprimées,—il n'y a pas de doute que l'immense majorité des protégés de M. Lawrence ne soit justement enchantée d'un régime qui, pour la première fois, leur permet de garder leur riz et de payer tout ou partie de leurs contributions en espèces. Que dire de ses trois ennemis? Avec l'un d'eux au moins, la corporation des maires ou lambardârs, il a dû transiger et leur a alloué, pour les apaiser, une indemnité de 5 pour 100 sur le revenu de leur village. Mais pour les brahmanes, et, avec eux, le reste des habitants de Srînagar, il s'est montré inexorable, et il faut avouer qu'ils ont été en grand danger de mourir de faim. Ils subsistent cependant, quoique, à la vérité, d'une vie fort misérable. Les pandits finiront toujours par s'en tirer; ils ont bien su s'arranger pour survivre aux persécutions des gouverneurs afghans. Comme, au temps de la domination mongole, ils ont appris le persan, voici qu'à présent les jeunes gens se mettent à l'anglais, passent des examens, reprennent les places. Assurément, la transition actuelle se fait cruellement sentir dans les familles; ils n'en rentreront pas moins en maîtres dans cette administration dont M. Lawrence avait voulu les chasser à jamais, et cela par la force des choses, pour la bonne raison, qu'étant la partie éclairée et intelligente de la population, ils redeviendront, bon gré mal gré, la classe dirigeante. Les plus à plaindre sont assurément les pauvres artisans de Srînagar. Heureusement pour eux, on n'a pas poussé jusqu'au bout les théories du Settlement officer, qui voulait que la totalité du revenu fût perçue en argent et que l'État cessât d'être le grand fournisseur de riz des gens de la capitale. C'est ce qu'on fit en 1891, et il en résulta l'année suivante une telle famine qu'on n'osa pas recommencer. En 1893, on décida d'amener encore à Srînagar 300 000 kharvar ou «charges d'âne» (177 livres anglaises) de riz du Roi; au moment de notre passage, en 1896, on en apportait encore la moitié, et c'est ce qui empêchait la ville d'être affamée. Un nouvel essai, tenté il y a trois ans, n'a pas été plus heureux, et cette année même (1904), on a dû, pour combattre l'excessive cherté, percevoir en nature le tiers du revenu de deux districts sur quatre.
Que la médaille ait ainsi son revers, la faute en est moins à M. Lawrence, qu'au régime qu'il était chargé d'inaugurer. Ce qu'il est venu faire au Kachmir, c'est appliquer simplement à la Vallée le système qui prévaut dans toute l'Inde anglaise. On sait que l'impôt foncier y constitue le plus clair du revenu. Ce n'est pas la politique de l'Angleterre, et pour cause, d'encourager l'industrie dans ses colonies. On l'a vérifié dernièrement encore, quand Manchester s'est ému de la concurrence des filatures de coton anglo-indiennes. L'Inde est, en somme, régie comme une grande exploitation agricole, à charge pour elle d'acheter à la métropole la plus grande partie des produits manufacturés dont elle a besoin. Ce n'est peut-être pas très impérial, mais c'est très pratique. Reste à savoir si la situation particulière du Kachmir n'appelait pas quelque modification à ce système. Après tout, l'avenir agricole de ce pays est aussi restreint que sa partie cultivable. Peut-être eût-il été plus sage et plus habile de ne pas tout subordonner à l'unique préoccupation d'obtenir une rentrée facile de l'impôt foncier. L'adresse de mains des Kachmiris, leur habileté, depuis longtemps célèbre, dans les arts décoratifs, pouvait être une source bien plus précieuse de revenus. Ce n'était pas si maladroit, de la part des anciens rois ou gouverneurs, de sacrifier une partie du revenu de la terre à la subsistance des artisans de la capitale et à la prospérité de leurs métiers. Le seul droit sur l'exportation des châles rapportait à l'État plus de 600 000 roupies; il y avait là des compensations. Ce que les châles ne donnaient plus, d'autres industries pouvaient le rendre. Dirons-nous celles que les administrateurs anglais se vantent d'avoir préconisées? C'est la fabrication de la bière et des confitures, lesquelles ne peuvent même pas s'exporter, faute de moyens de transport; l'énoncé seul en est suffisamment ridicule, et il serait cruel d'insister. Quand le sultan Zaïn-oul-ab-Din introduisit dans la Vallée la fabrication du papier, du «papier mâché» et des châles, il se montrait plus avisé. Il est à craindre qu'en raison de l'enchérissement de la vie et de la production de camelote à l'usage des touristes, les arts, qui firent la gloire du Kachmir, n'aillent bientôt rejoindre les industries jadis si renommées de l'Hindoustan dans la remise aux vieilles lunes.
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PONT ET BOURG DE VIDJABROER.—PHOTOGRAPHIE JADU KISSEN, À DELHI.
De tout ceci, nous voudrions tirer deux petites conclusions pratiques. La première est qu'il est sage de se procurer à Srînagar, en même temps que la passe nécessaire à tout «Européen, Américain ou Australien», un parvana, sorte de lettre de réquisition, dont on pourrait user, à l'occasion, soit pour se procurer des coolies sur les routes trop fréquentées, soit surtout pour assurer le ravitaillement de ses gens dans les villages écartés, où vous avez toutes les peines du monde à obtenir des paysans qu'ils vous vendent un peu de leur riz. L'autre conseil, que nous donnerions volontiers, serait de ne pas prendre un shikari comme chef de caravane, à moins qu'on ne soit venu au Kachmir spécialement pour chasser. Si à ces lointaines et fatigantes expéditions vous préférez la visite de la Vallée, faites-vous plutôt suivre d'un pandit. Au prix réduit où sont en ce moment l'instruction et les bonnes manières, vous trouverez aisément, pour le salaire d'un domestique indien, un brahmane bien élevé, parlant l'anglais, et capable de vous servir non seulement d'interprète, mais encore de secrétaire en kachmiri, voire même en sanscrit et en persan. Il vous rendra les mêmes services comme intermédiaire auprès des tahsildars et lambardârs rencontrés en route; et l'on devine que sa familiarité avec le pays lui permettra de satisfaire à chaque pas votre curiosité, et rendra bien plus intéressant le voyage; car passer sans comprendre, c'est passer sans voir.
Les attractions de Srînagar et ses distractions mondaines épuisées,—nous y reviendrons à l'approche de l'automne,—il est, dès la mi-juin, temps de repartir; car voici la chaleur qui arrive, et avec elle les moustiques et parfois quelques cas de malaria. On a assez souvent comparé le climat de la Basse-Vallée, en été, à celui de la Lombardie.
Par les méandres qui, vus du haut du Takht-i-Souleiman, dessinent dans la Vallée comme une palme (le motif décoratif des anciens châles), on atteint d'abord Pandrethan, qui passe pour être l'ancienne capitale détrônée par Srînagar. Elle s'étendait sur les premières pentes des collines, à l'abri des inondations de la Vitastâ. Ses ruines ne sont plus qu'un chaos de pierres. Seul, un petit temple est encore debout au milieu de sa cour quadrangulaire qu'a envahie l'eau de son nâga: c'est le nom que les Kachmiris donnent aux fontaines et aux serpents mythiques à tête humaine, qui sont censés en être les divinités protectrices. Sur le petit étang, ainsi formé, flotte un bachot. En voulant m'y embarquer, je me rencontre nez à nez avec mon premier serpent. Mais celui-ci n'avait rien de mythique, ni non plus celui que l'on trouva, quelques jours plus tard, roulé sous la natte de ma tente; après quoi je n'en vis plus, ni ne souhaitai d'en voir davantage.
La bête tuée à coups de bâton par les handjis, je demande au pandit, lequel réprouve cet assassinat, s'il la croit venimeuse; au lieu de se baisser pour examiner sa forme et sa couleur, le voilà qui se dresse sur ses babouches, le nez en l'air, dans la direction du nord-ouest.... C'était pourtant bien la réponse à ma question que l'honnête homme cherchait ainsi dans les nuages. Étant donné que Çiva réside sur l'Haramouk, qu'il porte comme colliers et bracelets des serpents, et qu'en sa qualité de divinité tutélaire de la Vallée, il a promis que la morsure de ces derniers ne serait jamais mortelle en aucun lieu d'où l'on découvre la cime neigeuse de sa demeure, le problème se résumait donc à vérifier si, de cette place, on apercevait la pointe de l'Haramouk. «Tant que vous la verrez, ajouta le pandit, vous pourrez être tranquille, mais après il faudra se méfier....» Je préfère me méfier avant.
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ZIARAT DE CHEIK NASR-OUD-DIN, À VIDJABROER.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.
Plus en amont, Pampour montre une base de temple hindou, une mosquée, un pont et des champs où le safran fleurira à l'automne. La récolte de cette suprême délicatesse des gourmets kachmiris est un monopole d'État, et la poudre dorée des étamines se paye au poids de l'argent. On fabrique aussi à Pampour d'excellents biscuits, qui sont d'une grande ressource en campagne et valent, à mon avis, le meilleur pain.
Je dois, faute de place, brûler les étapes et me borner à énumérer les buts d'excursion les plus intéressants. De Pampour, sur la rive droite, on visite les sources sulfureuses de Vian et les ruines des temples de Ladou. De Kakapour, sur la rive gauche, deux heures de marche vous conduisent au petit temple, bien conservé, de Panyech, bijou de l'art kachmiri, sculpté dans l'assemblage de dix blocs de pierre. Quant aux temples de Narasthân, il faut une bonne journée de marche pour les découvrir au pied des hautes montagnes neigeuses de Brariangan. En revanche, les doubles ruines d'Avantipour bordent la rivière, à moitié enfouies dans les alluvions.
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LE TEMPLE DE PANYECH. À GAUCHE, UN BRAHMANE; À DROITE, UN MUSULMAN. PHOTOGRAPHIE JADU KISSEN, À DELHI.
Plus haut se présente le confluent de la Vitastâ et de la Veshau, non moins sacré, aux yeux des Hindous du pays, que celui de la Vitastâ et du Sindh. Au-dessus, surplombe un karéva, sorte de plateau alluvial bizarrement découpé en bastion par les eaux; c'est au sommet que Kaçyapa aurait médité mille ans, avant de dessécher la Vallée. On pourrait, d'ailleurs, lui reprocher de n'avoir fait sa besogne qu'à moitié. Quand, dès le début de la saison des pluies, quelque gros orage vient déverser jusqu'au Kachmir ses trombes d'eau, au moment de la fonte des neiges, la Vallée, brusquement submergée, se trouve, faute d'une issue suffisamment large, en passe de redevenir un lac. Les inondations de juillet 1893 furent désastreuses, celles de juillet 1903 ne le furent pas moins, et l'on estime qu'un sixième des récoltes a été détruit d'un coup: sans doute les nâgas avaient faim, et le temps était venu pour eux de prélever leur dîme périodique.
Au pied du karéva de Tsakadar, dans un étang aujourd'hui desséché, se localiserait, de toute antiquité, une des plus curieuses légendes du Kachmir. En ce temps-là, un nâga habitait encore l'étang, et des arbres se miraient dans son eau limpide; un jeune brahmane, en voyage, vint un jour y chercher l'ombre et la fraîcheur. Comme il s'apprêtait à entamer ses provisions de route, il aperçut tout à coup devant lui une jeune fille si belle, qu'à voir sa «figure de lune», il en oublia de manger. Son trouble et sa confusion augmentèrent, quand il vit que la belle enfant se contentait, pour tout potage, de racines de lotus. Ému d'un tendre sentiment, il l'invita à partager son riz, lui apporta à boire dans une coupe de feuilles, puis, tout en l'éventant, la pria de lui conter son histoire et de lui expliquer comment, avec de si beaux yeux, elle faisait si maigre chère. Sans plus de cérémonie, la nâgî,—car c'en était une,—lui répondit que la plus belle fille du monde ne peut manger que ce qu'elle a; quant à la raison de sa pauvreté, qu'il en référât à son père; il le trouverait à la mêla du village voisin,—en Bretagne on eût dit: au pardon,—et le reconnaîtrait aisément, dans la foule, à son chignon tout ruisselant d'eau. C'est ce qui arriva: le nâga confie au jeune brahmane que les temps sont durs, et qu'il est réduit à la plus grande disette; car ces souterraines divinités ont besoin de grain tout comme les hommes, et les orages sont leur façon de moissonner les récoltes à leur profit. Or les champs du voisinage étaient gardés par un ascète si consciencieux, qu'aucun épi nouveau n'approchait jamais de sa bouche; et tant qu'il n'en mangeait pas, il était impossible aux nâgas d'y toucher. C'était pour lui et les siens le supplice de Tantale. L'amoureux brahmane n'a de cesse qu'il n'ait obligé le père d'une si jolie fille. Il s'avise du stratagème fort simple de mêler quelques grains de riz nouveau à la bouillie de l'ascète, quand celui-ci avait le dos tourné. À peine le vieillard en a-t-il porté une boulette à sa bouche, que, dans un tourbillon de grêle, le nâga emporte toute la moisson; reconnaissant, il donne sa fille en mariage au brahmane. Les deux époux vivaient heureux, mais leur bonheur fut de courte durée. Un jour que la nâgî était sur sa terrasse, elle aperçut un cheval détaché de l'écurie, et qui mangeait à même un tas de riz que l'on avait mis à sécher dans la cour. Elle appelle pour qu'on le chasse, puis, comme aucun serviteur ne répond, elle y court elle-même, accompagnée du son argentin de ses bracelets, et le cheval emporte sur sa croupe l'empreinte dorée de la belle main qui l'avait frappé. Ce fut l'origine de tout le mal. Cette vue exaspéra les passions du roi du pays. Il essaya d'abord, vainement, de séduire la jeune femme. Puis il prétendit l'obtenir de son mari, mais le pandit n'était pas du tout «Régence» et n'apprécia pas l'honneur que le roi voulait faire à sa maison. Enfin quand, de guerre lasse, celui-ci envoie ses soldats pour enlever la nâgî par la force, le brahmane appelle son beau-père à son secours. Le nâga sort tout en furie de son étang, et en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, brûle, pêle-mêle, le roi, la ville et tous ses habitants. Après quoi, dégoûté du monde, et non sans quelque remords de son accès de vivacité, il se retira dans la solitude, sur la route d'Amarnâth, où il est encore.
Non loin de là, sur la rive gauche, le gros bourg de Vidjabroer (le Bij-Bihara des cartes anglaises), possède un temple hindou moderne, bâti par Goulâb-Singh, et où se conservent de curieuses idoles, et une jolie ziarat musulmane à triple toit. À chaque pas, d'ailleurs, on y rencontre des vestiges d'antiquités, et son pittoresque bazar fourmille d'anciennes monnaies de cuivre. On campe de l'autre côté du pont, sous des platanes séculaires, non loin de la maison où le mahârâdja se repose un jour ou deux, quand il vient à Srînagar. Nous y avons eu la visite d'un vieux fakir musulman, qu'on ne manquerait pas, en pays civilisé, de coffrer comme vagabond. Les domestiques s'en sont emparés et lui ont servi un repas copieux: une effroyable quantité de riz, des tchapatis (sortes d'épaisses galettes qui tiennent lieu de pain) et du fromage frais, largement saupoudré de sucre, de quoi rassasier trois hommes; puis ils lui ont présenté un houka. Pendant que notre cuisinier, très dévot musulman, le couvait avec des yeux attendris de jeune mère pour son nouveau-né, l'affreux bonhomme fumait béatement, ne lâchant le tube que pour vociférer quelque anathème à l'adresse de l'humanité qui l'engraisse et le couvre, pendant qu'il lézarde au soleil, en grattant sa vermine à deux mains. Au physique, il n'a rien du fakir tel qu'on l'imagine et qu'il est ordinairement. Énorme, chauve, sous ses sourcils en broussailles ses petits yeux clignotants toisent insolemment ceux qui l'examinent; son nez camus et sa longue barbe frisée lui font une tête de vieux faune. Quand le mahârâdja passe à Vidjabroer, il ne manque jamais de le faire demander; mais le vieux fakir, dédaigneux des honneurs, se dérobe et reste introuvable. Aussi ne vous dirai-je pas son nom: j'ai oublié de le demander, l'ayant aussitôt baptisé Diogène.
Mais déjà la rivière s'étrécit entre ses rives bordées de chanvre; bientôt elle se fait moins profonde et le courant plus dur. C'est le moment pour les bateliers d'invoquer leur saint patron Dast Guir, tout en poussant la perche ou en tirant la cordelle. À un certain moment, ils sont obligés de marcher dans l'eau, les uns tirant, les autres poussant le bateau, qu'enfin ils amènent devant le terrain de campement, à Islamabâd; efforts d'autant plus méritoires, qu'arrivés là, il ne reste plus qu'à les congédier.
Tandis qu'on dresse les tentes, les chefs de famille apportent le cahier de certificats de l'équipage. Il en est de curieux; nous relevons notamment, au passage, celui d'un gentleman qui déclare quitter le bateau avec indignation «parce qu'il ne peut supporter plus longtemps la vue de la jolie sœur du batelier, faisant un travail de cheval.» Mais il ne suffit pas de les lire, nous dûmes aussi collaborer à cette bizarre collection d'autographes. Après quoi il fallait voir les salâms, les protestations et l'air de dévotion comique avec lequel ils portaient à leurs fronts les roupies données comme bakchich, et bien méritées, d'ailleurs, par deux mois de bons et loyaux services.
(À suivre.) Mme F. Michel.
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TEMPLE HINDOU MODERNE À VIDJABROER.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.
Droits de traduction et de reproduction réservés.
TOME XI, NOUVELLE SÉRIE.—3e LIV. No 3.—21 Janvier 1905.
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BRAHMANES EN VISITE AU NÂGA OU SOURCE SACRÉE DE VALTONGOU.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.
L'ÉTÉ AU KACHMIR[2]
Par Mme F. MICHEL.III. — Sous la tente. — Les petites vallées du Sud-Est. — Histoires de voleurs et contes de fées. — Les Ruines de Martand. — De Brahmanes en Moullas.
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GARGOUILLE ANCIENNE, DE STYLE HINDOU, DANS LE MUR D'UNE MOSQUÉE, À HOUTAMOUROU, PRÈS DE BHAVAN.
Islamabâd, ou, comme l'appellent les Hindous, Anantnâg, est à peu près situé au confluent des quatre rivières non navigables, Sandran, Bringh, Arpat et Lidar, branches de l'éventail dont le manche est la Vitastâ. La vallée de chacun de ces ruisseaux ou plutôt de ces torrents rivalise de pittoresque avec sa voisine. Que leur charme agreste ne date pas d'hier, c'est ce que prouvent les villas d'été qu'y avaient bâties les empereurs mogols, et dont les restes subsistent toujours. Jehan-Guir, surtout, s'y complaisait en compagnie de la belle Nour-Mahal, dont le souvenir, à la fois idyllique et tragique, flotte encore sous l'ombre des platanes plantés par elle. Et vraiment, quiconque a visité tous les recoins du pays comprend ce que Bernier nous dit de cet empereur: «qu'il en était devenu tellement amoureux qu'il ne le pouvait quitter et qu'il disait quelquefois qu'il aimerait mieux perdre tout son royaume que de perdre Cachemire.»
Islamabâd est le point de départ obligé pour toutes ces excursions qu'il faut bien faire sous la tente, puisque presque nulle part il n'y a de bungalows. C'est en même temps le point de chargement pour tous les produits des villages, qui descendent vers Srînagar. Le grand verger, qui sert de campement, est très animé, ainsi que la berge bordée d'une nombreuse flottille. Mais, la nuit, les aboiements des chiens, les hurlements des chacals et les braiements des petits ânes de charge empêchent tout sommeil. Aussi, je me contente d'une rapide visite aux sources sacrées et au bazar de la ville. Ou y trouve des étoffes brodées nommées gabas, de toutes teintes et de toutes tailles, depuis les plus petits tapis de table jusqu'aux rideaux et portières de plusieurs mètres. Très bon marché et très décoratives, ces broderies rappellent le dessin des anciens châles. On y fabrique aussi de jolis rouets de parade, peints et argentés, qui sont donnés en cadeau de noces aux fiancées kachmiries.
Nous plions bagage dès le surlendemain. Au matin, les tentes sont abattues et tout le fourniment gît pêle-mêle sur l'herbe. Le tub fraternise avec le garde-manger, la broche du khansama fait commerce d'amitié avec le sac à ombrelles, la literie voisine avec les casseroles: c'est un vrai déballage de bohémiens au bord d'un grand chemin. Aussi bien allons-nous vivre de la même vie nomade que, sages, ils ont su garder du temps de nos préhistoriques ancêtres. La grosse affaire est de répartir tout cela en paquets d'un poids sensiblement égal, d'environ 80 livres. Le bandobast se fait,—entendez que tout se débrouille,—comme par enchantement. La toile des tentes se roule autour des bâtons, le lit démontable s'emballe dans sa sangle, la literie se met à l'abri de la poussière ou de l'humidité dans des draps caoutchoutés. Vaisselle, batterie de cuisine, provisions de toutes sortes s'arriment dans le ventre rebondi ou allongé des kiltas, paniers d'osier recouverts de cuir, légers, solides, imperméables, qu'on fabrique tout exprès dans le pays. Les chaises de camp s'entassent sur les tables également pliantes. Au total, vingt charges: il nous faudra donc vingt hommes ou dix poneys pour transporter après nous dans la djangle tout l'essentiel de la civilisation. Le chiffre est modeste si l'on songe qu'au grand Mogol, en déplacement, il fallait trente mille porteurs!
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TEMPLE RUINÉ, À KHOTAIR.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.
Le curieux n'est pas qu'il en faille, mais qu'on en trouve. Non seulement le Kachmir est comme un grand parc mis à la disposition du visiteur et où il peut dresser sa tente à volonté, mais lui plaît-il d'aller plus loin, il n'a qu'à dire. Au matin, il trouve, assis près des tentes, des braves gens du plus proche village qui ont laissé pour son service leurs maisons et leurs champs. Avec leurs 80 livres sur le dos, ils iront où il lui plaira de les conduire. Les prix sont fixés: pour l'étape d'environ 20 kilomètres, 4 annas; pour la mi-étape, 2 annas, c'est-à-dire 40 ou 20 centimes de notre monnaie. Sur un bon conseil qui me fut donné, j'avais emporté à leur intention quantité de petites pièces d'argent de 2 et 4 annas. Je faisais ranger les coolies et veillais à ce que chacun reçût bien son compte. Grâce à ce système, je n'eus jamais de difficulté pour trouver des porteurs. C'était plaisir de voir le sourire que chacun d'eux, tour à tour, faisait à sa piécette, tandis que les derniers de la file touchaient du coin de l'œil et se grattaient la tête dans leur inquiétude qu'il n'en restât pas jusqu'à eux.
C'est à Atchibal, notre première étape, que je me donne pour la première fois cette comédie. Du pied de la colline, font éruption trois sources, qui sont aussitôt trois ruisseaux; pour en mieux jouir, les empereurs mogols avaient creusé des bassins et bâti des terrasses surmontées de pavillons de plaisance. Tout cela est à présent bien délabré. Pourtant, les trois cascades jouent encore, et c'est près d'elles qu'est installé notre campement, à l'ombre des platanes séculaires, entre quatre ruisseaux qui entretiennent une délicieuse fraîcheur.
C'est encore à Atchibal que j'apprends la première et dernière histoire de vol dont j'aie entendu parler au Kachmir. En ce bienheureux pays, la sécurité est parfaite, dans tous les cas plus grande qu'en France, où je ne me vois pas bien dormant en pleine campagne sous un simple abri de toile. Pourtant, fait inouï, on a tenté la nuit dernière de dérober une malle dans un camp établi de l'autre côte du village. Un pareil attentat contre la propriété des Sahebs réclamait une éclatante vengeance; deux inspecteurs de police sont aussitôt accourus d'Islamabâd. Nous apprenons ce matin qu'ils ont passé la nuit à bâtonner successivement tous les gens du hameau afin de leur faire avouer plus vite le crime qu'ils ne peuvent pourtant pas tous avoir commis. Ce sont là, paraît-il, les procédés ordinaires de la police; on ne saurait trop s'élever contre eux. Le lambardâr (maire du village) vient en pleurant me prier d'intervenir. J'y consens: allons demander un peu à ces policiers ce qu'ils croient que le résident penserait de ces moyens d'enquête.... Mais j'ai mal compris le discours du bonhomme; ce n'est pas du tout de cela qu'il s'agit. Les villageois ne se plaignent pas le moins du monde d'avoir été battus. Qui serait assez bête pour avouer un vol autrement que sous le bâton? Mais voilà qu'on veut à présent leur extorquer un cautionnement de 100 roupies qu'ils sont sûrs de ne jamais revoir. C'est contre cela qu'ils protestent. Ils veulent bien être battus, mais ils ne veulent pas payer pour l'avoir été! Tant de philosophie de la part des intéressés a jeté une douche sur mon bel accès d'indignation et je laisse villageois et policiers s'arranger en famille.
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NÂGA OU SOURCE SACRÉE DE KHOTAIR.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.
Après les sources d'Atchibal, ce qu'il faut voir dans le fond sud-est du Kachmir, ce sont celles de Koukar-Nâg et de Ver-Nâg. Des routes directes y conduisent d'Islamabâd. Mais il vaut mieux, à notre avis, prendre le chemin des écoliers et aller faire le grand tour par la vallée de Nauboug. Pour commencer, nous contournons, à l'est, les collines d'Atchibal et faisons un premier crochet pour rendre visite au nâga et aux ruines de Kothair. Les pierres des vieux temples sont toutes rongées par le temps, mais le bassin circulaire de la source est toujours merveilleux de limpidité; on dirait d'un morceau de ciel tombé dans un creux de colline.
Nous reprenons le sentier qui escalade à présent un petit rameau montagneux, fort exposé au soleil, entre deux vallées. Du haut du col, on voit, en avant, s'ouvrir les vallons tributaires de la Bringh. Les gens pressés pourraient, en poussant tout droit, gagner Koukar-Nâg par Sôp et ses mines de fer. Nous tournons au contraire, à gauche, pour installer le camp à l'ombre des peupliers de Karpour. Plus hauts encore que ceux de Srînagar, ils forment, au centre d'un petit cirque de montagnes, un bouquet d'arbres magnifiques. Quelques-uns tombent de vieillesse. L'un d'eux s'est abattu en travers du sentier: impossible de remuer une semblable masse. On a trouvé plus court de creuser un passage au milieu de l'énorme tronc.
Le lendemain, une autre passe nous mène dans la vallée de Nauboug. À celle-ci, on ne peut reprocher que d'être trop jolie. On dirait d'un parc bien entretenu. Une claire rivière serpente sur des galets polis entre des rizières d'un vert incomparable. Au-dessus, les champs de maïs s'étendent jusqu'aux vergers, qui ne finissent eux-mêmes qu'à la lisière des sapins. Mais, dans les creux exposés au nord, de grandes coulées de neige subsistent, et de ci, de là, s'ouvrent des échappées sur les hautes cimes, qui mêlent dans le bleu du ciel la blancheur de leurs glaces éternelles à celle des nuages d'été.
Le meilleur campement est à Laram, au-dessus du village, sous des noyers. Il y faisait si délicieusement frais qu'en plein mois de juillet je trouvais plaisir, chaque soir, à me chauffer. C'est un des meilleurs souvenirs de mon voyage que ces soirées passées devant le feu du campement, où parfois flambait tout un sapin; car le bois ne manque pas. Rien d'ailleurs ne nous fait défaut de ce qui est nécessaire au ravitaillement: lait, beurre, œufs, poulets, prennent spontanément le chemin du camp. Le miel est délectable. Enfin, ces bons Kachmiris ont eu l'ingénieuse prévenance de semer de véritables champs de petits pois et de faire grimper un peu partout des haricots autour des tiges de maïs. Seulement, on a quelque peine à leur faire comprendre qu'on désire les manger verts; leur idée est qu'on attende qu'ils soient paka (cuits), c'est-à-dire mûrs. Plus lard, dans la vallée du Lidar, à mesure que nous gagnions une altitude plus haute, nous devions en trouver, très tard dans la saison, qui n'étaient pas encore secs. Cette découverte fut une joie si pure que je décidai immédiatement d'en faire part à mes contemporains et de composer dès mon retour un Traité sur l'existence des légumes verts dans la djangle kachmirie; ainsi me vint la première idée d'écrire les notes que vous lisez.
En quittant Laram, comme je chemine au petit matin par le sentier humide, brusquement s'impose à moi, absurde et délicieuse, une impression de sol natal. Est-ce le pittoresque rétrécissement de la fraîche vallée et la vue de cette ferme paisible au milieu de ses vergers de pommiers remplis de gui? Est-ce le joyeux tic-tac que ce petit moulin mêle à l'allègre rumeur du ruisseau qu'il enjambe, ou le grisant parfum de miel qui monte de ce champ de blé noir en fleurs? Sans doute, c'est un peu tout cela qui fait que je me crois, comme par enchantement, transportée en Basse-Bretagne; et j'éprouve cette joie qui est peut-être la meilleure récompense du voyageur,—qui est aussi assurément la meilleure condamnation du voyage,—de goûter après tant d'inutiles courses la secrète douceur des paysages familiers.
À quelques milles plus loin, on atteint les bords de la Bringh: la rivière coule très encaissée dans un lit étroit et creusé dans le roc vif, ce qui donne à ses eaux une teinte particulière d'opale bleutée. Au-delà du pont qui la franchit, on rejoint la route qui mène du Kitchwar en Kachmir. Il est rare qu'on n'y rencontre pas quelques Kichtwaris en voyage avec leur passe-montagne, leur court justaucorps et leurs inexpressibles pyndjamas, dont le fond, sillonné de mille plis, est tout un poème. Sur le chemin tout droit et ensoleillé, les arbres des villages font des haltes d'ombre où le repos semble d'autant plus doux. Comme nous approchons de l'un d'eux, j'entends un chant bizarre. C'était une sorte de mélopée qui montait, montait toujours, de plus en plus déchirante, pour finir par des sanglots. Information prise, c'était le chant de deuil d'une mère dont le fils était mort trois jours avant. Assise devant sa maison, près de son rouet délaissé, elle exaltait, dans une improvisation dolente, la beauté et les qualités du disparu. Chaque matin, jusqu'à la prochaine quinzaine obscure, elle devait, dès l'aube, manifester à nouveau sa douleur, jusqu'au moment où une autre femme, parente ou voisine, venait en silence poser sa main sur la bouche de la vocératrice, et lui faisait ainsi comprendre qu'elle s'était assez lamentée pour ce jour-là.
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VER-NÂG: LE BUNGALOW AU-DESSUS DE LA SOURCE.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.
Nous plantons les tentes près de Vangam, dans un verger d'abricotiers, pour visiter, à une petite heure de là, sur la gauche, dans un de ces charmants vallons dont le pays abonde, la source intermittente de Soundbrâr. En juillet, ce n'est plus qu'une sorte d'entonnoir bordé de pierres brutes; mais en avril et mai, la source bouillonne et coule, dit-on, trois fois par jour. À cette époque, les pèlerins viennent en foule se baigner dans cette eau supposée sacrée. Rangés en silence tout autour, ils attendent sa venue, mais si, à son apparition, quelque sot crie: «La voilà!», l'onde, offensée, immédiatement se retire; du moins on me l'affirme avec un grand sérieux. Au temps de Bernier, «cette merveille du Cachemire» était déjà célèbre. Il la visita et en tenta une explication fondée, vu l'activité de la source au printemps, sur la fonte des neiges environnantes. Au lieu d'une cause physique, les Kachmiris assignent à cette intermittence une raison psychologique bien plus profonde. La déesse (car, naturellement, la source est fée) s'est dit: «En cet âge de fer, si je suis ici toute l'année, personne ne fera attention à moi. Je ne manifesterai donc ma présence que deux mois par an; on ne m'en rendra que plus d'hommages....» Et le calcul s'est trouvé juste.
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TEMPLE RUSTIQUE DE VOUTANAR.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.
De Vangam, il n'y a qu'une courte étape jusqu'à Koukar-Nâg. Mais ici les mots me manquent pour décrire le charme de ce féerique séjour. Que vous dirai-je? Du pied d'une colline, couverte de pivoines arborescentes, jaillissent une dizaine de sources qui forment, limpide et fraîche, une petite rivière; aux bords, les mousses, les fougères, les myosotis, les reines des prés, se mêlent aux massifs de boules-de-neige et de rhododendrons. Au-dessus, des jasmins, des clématites, des rosiers grimpent aux arbres et retombent en berceaux.... Je sais bien qu'ailleurs il y a de toutes ces choses; mais nulle part, comme là, tout cela ne murmure, ne fleurit, ne parfume et n'enchante. Par instants sous la feuillée, ondule un éclair blanc à tête bleue, qui est un oiseau de paradis, au nom digne des lieux qu'il habite.... Du moins, ai-je cru y retrouver comme un vestige de l'antique Éden!
Par intervalles seulement nous arrivent les bruits du monde. Un vieillard déguenillé, traînant son cheval par le licou, s'est arrêté près des tentes des domestiques et a conté la nouvelle du jour. Le mahârâdja est arrivé ce matin dans la Vallée; pour ses débuts, il a fait bâtonner le tahsildar (le sous-préfet) de Ver-Nâg. La raison: il n'y avait pas une provision d'herbe suffisante pour ses chevaux. Justement, je rencontre en me promenant deux jeunes garçons paisiblement assis à l'ombre, à côté d'un grand faix d'herbe: ils me font penser aux porteurs de marée de Vatel.
Environ trois lieues nous séparent de la résidence du pauvre sous-préfet, qui, dit-on, aurait même laissé dans l'algarade une partie de sa barbe; et depuis il ne se montrait plus. Il suffit de traverser le petit massif qui sépare la vallée de la Bringh de celle de la Sandran. Par ce matin de juillet, nous passons près du petit temple rustique de Voutanâr. Du sentier, des chants nasillards s'entendaient entre les arbres; c'était le brahmane du lieu qui faisait sa poudjâ. Il était accroupi devant une noire statue de Vichnou à trois têtes, dont une de sanglier. Il l'avait déjà baignée, drapée dans un châle et couronnée de fleurs. Autour de lui gisait l'ordinaire attirail du culte: la conque, pour chasser les mauvais esprits, la clochette, pour réveiller l'attention du dieu, la lampe pour l'éclairer, le chasse-mouches pour l'éventer et les cymbales pour lui faire de la musique. Infatigablement, le vieux prêtre psalmodiait ses hymnes.... Qui donc disait que tous les dieux étaient morts?
Du haut du raidillon qui monte derrière Voutanâr, la vue est un vrai coup de théâtre. À nos pieds, au fond de la vallée étroite et semée de bouquets d'arbres qui marquent les villages, le lit rocailleux de la Sandran court encadré de rizières et bordé de tamaris en fleurs. Dans un groupe de peupliers hauts comme des mâts de navire, on aperçoit le large bassin octogonal de Ver-Nâg. Par derrière, se dresse la formidable muraille du Banihal et les croupes boisées des contreforts qui en descendent. Le mince ruban qui les coupe est la route de Djammou, réservée au mahârâdja. Nous nous heurtons à la barrière méridionale du Kachmir.
Au-dessus des arcades mogoles en alcôve, dont Jehan-Guir entoura la merveilleuse source de Ver-nâg, se dressent, sur trois côtés, des pavillons, ouverts à tous les vents, qui servent de bungalows. La belle Nour-Mahal y résida peut-être; en tous cas, c'est délice de s'y installer entre le bassin bleu et la colline verte. Un fouillis de clématites et de lianes, s'accrochant aux sapins, escalade la pente presque à pic. L'azur profond de l'eau est sillonné de poissons par myriades. Le gouffre, de plus de 100 mètres de tour, passe pour insondable; du moins, le pandit l'assure, ce qui ne l'empêche pas d'affirmer, non moins catégoriquement, qu'au fond demeure un vieil anachorète. Voici comment cela s'est su. En ce temps-là, les hommes n'habitaient le Kachmir que pendant les six mois de belle saison; dès l'automne, ils s'empressaient de déguerpir pour céder la place à des démons et des lutins qui, pendant tout l'hiver, régnaient en maîtres dans la vallée. Une fois, les hommes laissèrent derrière eux un vieillard qui n'avait plus la force de suivre leurs migrations périodiques et ne valait pas la peine de son transport. Lutins et démons se firent un souffre-douleurs de l'intrus; mais, en jouant à la balle avec lui, ils le laissèrent choir dans le bassin de Ver-Nâg. Cette maladresse devait leur coûter cher. Au fond de la source, le pauvre vieux trouva un compatissant ascète qui lui fit présent de deux choses: un grimoire pour exorciser les démons et un kangri (la chaufferette kachmirie) pour se défendre du froid. Armé de ces deux dons précieux, le vieillard passa un hiver des plus confortables, et, au printemps de l'année suivante, les hommes eurent la surprise de le retrouver encore vivant. Il leur apprit son secret, et c'est depuis qu'ils résident à demeure dans la vallée.
Par de petits vallons de plus en plus sauvages, nous pénétrons enfin dans le bassin fermé de Rozlou, que dominent les rocs et pics romantiques du sombre Soundrinâr. C'est un fief ou djâgir, jadis concédé par Randjit-Singh. Nous nous installons au village central de Kantchlou (le Kosroe des cartes!), résidence des hobereaux du canton, qui ont droit de basse justice. On nous indique une place de campement sous des noyers, dans ce qui m'a tout l'air d'un cimetière; mais en campagne, on n'y regarde pas de si près. Les tentes sont à peine dressées qu'arrivent les présents diplomatiques: des fruits, des légumes, du miel. Que peut-on bien désirer en échange? Pas grand'chose; un peu de ce produit de la civilisation qui a nom en français poudre de pyrèthre et, dans le jargon anglo-indien des domestiques, piçou-powder. On a beau être un seigneur féodal, on n'en est pas moins réveillé par ses puces.
Le village était plein d'allées et de venues. Informations prises, il s'agissait d'un mariage, et les maîtres de céans font obligeamment les honneurs du défilé. La mariée passa la première, portée dans une litière hermétiquement close; puis vinrent les musiciens, tambourinant avec rage ou soufflant, avec force contorsions, dans des espèces de hautbois. Leur cacophonie me fait excuser l'air ahuri du fiancé, un garçon de douze ans, vêtu d'oripeaux rouge et or et coiffé d'un turban argenté, surmonté de l'habituelle aigrette de plumes de héron. Juché sur un cheval, il reconduit ainsi en pompe la jeune épousée chez ses parents, en attendant qu'ils soient d'âge tous deux à se mettre vraiment en ménage.
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AUTEL DU TEMPLE DE VOUTANAR ET ACCESSOIRES DU CULTE.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.
Ici encore, que de légendes locales! Je m'amuse à les recueillir par l'intermédiaire du pandit. C'est d'abord les hautes cimes voisines, encore zébrées de neige, que l'on dit hantées de Yoginis, moitié fées et moitié sorcières; malheur à qui s'égare dans leur retraite enchantée: il y laisse au moins sa raison. On nous conte, entre autres, un tour de leur métier, dont on dirait que Rudyard Kipling s'est inspiré dans son «Livre de la djangle». Un beau jour,—il y avait deux ans en 1896,—un Goudjar, en faisant paître son troupeau dans une prairie alpestre, trouva, assis sur un rocher, un garçon de quinze ans, muet et nu. Il l'emmena à la ziarat de Valtongou où, depuis trois mois, on le nourrissait aux dépens de la charité des fidèles, quand un homme de Shahabâd, venu en pèlerinage, reconnut son fils qui était perdu depuis douze ans. Nul doute qu'il n'eût été dérobé et nourri depuis ce temps à l'état sauvage par les Yoginis de la montagne. C'est encore à Valtongou que réside, pendant les six mois d'été, un nâga qui est censé passer l'hiver dans l'Inde. Enfin, avant de quitter la vallée, nous visitons le célèbre et fatidique nâga de Rozlou où, parfois, l'on entend, la nuit, se battre à grand fracas des troncs d'arbres morts! Quelque calamité menace-t-elle le pays, il trace sur la boue desséchée de son lit des signes prophétiques: une épée annonce la guerre, un van prévoit la famine, mais pour la mahâmarî, la grande tueuse (le choléra), c'est en traits de sang qu'est prédite sa venue.
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NOCE MUSULMANE, À ROZLOU: LES MUSICIENS ET LE FIANCÉ.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.
De Kantchlou à l'entrée de la vallée du Lidar, il faut, pour retraverser le Kachmir dans sa largeur, compter trois bonnes étapes et franchir quatre rivières. Je passe la première, le Vithavatour, sur de grosses pierres; arrivée au bord de la seconde, la Sandran, je ne suis pas peu surprise de trouver son lit complètement à sec; comme je demande où est l'eau, un Kachmiri fait un geste vague: elle est en train de vaquer à l'irrigation des champs. Quant à la Bringh, elle est si bien chez elle, qu'il me faut me résigner à emprunter le dos d'un coolie pour la traverser. Je rencontre au gué une femme battue et pas contente, qui s'en allait se plaindre à la police d'Islamabâd, tenant précieusement dans sa main, comme pièces à conviction, les trois dents qu'une de ses voisines lui avait cassées. Tout ceci nous ramène de Lokabhavan, notre première halte, à la seconde, près des frais ombrages d'Atchibal, où nous retrouvons le gros de nos bagages.
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SACRIFICE BRAHMANIQUE, À BHAVAN.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.
D'Atchibal à Martand, la route court entre des rizières arrosées par l'Arpat. On traverse la rivière sur un pont rustique, fait de deux arbres jetés d'une rive à l'autre, puis recouverts de branchages et de terre; et bientôt on atteint le karéva. En juillet, la moisson de blé est déjà faite. De grosses meules de gerbes s'entassent près des villages; sur les aires, des bœufs foulent les épis pour en faire sortir le grain. Dans les champs sont encore sur pied le lin déjà mûr et la plante annuelle qui fournit le coton (gossypium herbaceum). Dans les maïs et le millet picorent de nombreux couples de tourterelles grises, si peu farouches qu'elles ne se dérangent pas quand nous passons.
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INTÉRIEUR DU TEMPLE DE MARTAND: LE REPOS DES COOLIES EMPLOYÉS AU DÉBLAIEMENT.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.
Non loin du village de Martand se dresse ce qui fut, il y a bientôt mille ans, le plus beau temple—ce qui reste encore aujourd'hui les plus belles ruines du Kachmir. Le site en est magnifique. Le monument s'élève au pied de la colline, à la naissance d'un de ces grands plateaux, de formation alluviale, qui bordent comme d'une frange de falaises toute la ceinture des montagnes et semblent bien être les restes du lit d'un ancien lac. Ici le karéva, de forme triangulaire et relevé à son extrémité, s'avance au-dessus de la plaine comme une énorme proue. À gauche, se prolonge obliquement la chaîne dentelée et encore neigeuse du Pantsal; à droite, trois ou quatre arêtes de montagne se profilent, les unes derrière les autres, de plus en plus estompées dans l'éloignement; et, devant vous, c'est toute l'heureuse vallée, avec les teintes claires de ses rizières, les taches sombres de ses feuillages, les lacis d'argent de ses fleuves; et ainsi à perte de vue, depuis les premiers plans qui sont verts, jusqu'aux plus lointains qui sont bleus. Imaginez enfin tout cela baigné dans cette belle lumière du Kachmir, à la fois si limpide et si vaporeuse, dans l'air léger des hauteurs. Que ce soit le matin, quand le soleil, se levant derrière vous, soulève les brouillards de la vallée, ou bien le soir, quand il noie les fonds dans la brume d'or du couchant, il est peu de plus beaux spectacles; et il ne serait pas moins difficile de trouver un meilleur cadre à ce merveilleux tableau que les hautes arches trifoliées, bâties par Lalitâditya à la gloire de sa divinité favorite, le Soleil.
Plus de mille ans ont passé, et les imposantes murailles sont toujours debout, au milieu d'une cour rectangulaire, bordée d'une colonnade et flanquée de quatre portes, dont la plus monumentale est celle de l'ouest. Si, le jour, les débris du temple ont encore grand air, la nuit, au clair de lune, ils reprennent, comme font souvent les ruines, un reflet de leur ancienne splendeur.... Ce soir-là, très haut dans le ciel d'un bleu de saphir, le croissant était suspendu, les cornes en l'air; l'azur foncé du zénith se dégradait peu à peu en un gris qui lui-même se teintait doucement, pour finir à l'horizon par une large bande rose. Sous l'ombre croissante, par l'ampleur des écroulements et par la massive élégance de ses lignes, le vieux temple hindou revêtait une majesté comparable à celle des ruines romaines. Deux colonnes, isolées et reliées encore par leur architrave, ajoutaient à l'illusion. Ce n'est pas un des moindres attraits du Kachmir que d'y retrouver jusqu'à des sensations d'Italie.