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Les amours jaunes
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Title: Les amours jaunes
Author: Tristan Corbière
Release date: October 16, 2005 [eBook #16883]
Most recently updated: December 12, 2020
Language: French
Credits: Produced by Marc D'Hooghe.
From images generously made available by Gallica
(Bibliothèque Nationale de France) at http://gallica.bnf.fr.
*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LES AMOURS JAUNES ***
LES AMOURS JAUNES
par
TRISTAN CORBIÈRE
LES AMOURS JAUNES—RACCROCS
SÉRÉNADE DES SÉRÉNADES
ARMOR—LES GENS DE MER
RONDELS POUR APRÈS
PARIS
1873
A l'Auteur du NÉGRIER
T. C.
A MARCELLE
LE POÈTE ET LA CIGALE
Un poète ayant rimé,
IMPRIMÉ
Vit sa Muse dépourvue
De marraine, et presque nue:
Pas le plus petit morceau
De vers ... ou de vermisseau.
Il alla crier famine
Chez une blonde voisine,
La priant de lui prêter
Son petit nom pour rimer.
(C'était une rime en elle)
—Oh! je vous paîrai, Marcelle,
Avant l'août, foi d'animal!
Intérêt et principal.—
La voisine est très prêteuse,
C'est son plus joli défaut:
—Quoi: c'est tout ce qu'il vous faut?
Votre Muse est bien heureuse....
Nuit et jour, à tout venant,
Rimez mon nom.... Qu'il vous plaise!
Et moi j'en serai fort aise.
Voyons: chantez maintenant.
ÇA?
What?...
(SHAKESPEARE.)
Des essais?—Allons donc, je n'ai pas essayé!
Etude?—Fainéant je n'ai jamais pillé.
Volume?—Trop broché pour être relié ...
De la copie?—Hélas non, ce n'est pas payé!
Un poëme?—Merci, mais j'ai lavé ma lyre.
Un livre?—... Un livre, encor, est une chose à lire!...
Des papiers?—Non, non, Dieu merci, c'est cousu!
Album?—Ce n'est pas blanc, et c'est trop décousu.
Bouts-rimés?—Par quel bout?... Et ce n'est pas joli!
Un ouvrage?—Ce n'est poli ni repoli.
Chansons?—Je voudrais bien, ô ma petite Muse!...
Passe-temps?—Vous croyez, alors, que ça m'amuse?
—Vers?... vous avez flué des vers....—Non, c'est heurté.
—Ah, vous avez couru l'Originalité?...
—Non ... c'est une drôlesse assez drôle,—de rue—
Qui court encor, sitôt qu'elle se sent courue.
—Du chic pur?—Eh qui me donnera des ficelles!
—Du haut vol? Du haut-mal?—Pas de râle, ni d'ailes!
—Chose à mettre à la porter—... Ou dans une maison
De tolérance.—Ou bien de correction?—Mais non!
—Bon, ce n'est pas classique?—A peine est-ce français!
—Amateur?—Ai-je l'air d'un monsieur à succès?
Est-ce vieux?—Ça n'a pas quarante ans de service....
Est-ce jeune?—Avec l'âge, on guérit de ce vice.
... ÇA c'est naïvement une impudente pose;
C'est, ou ce n'est pas çà: rien ou quelque chose....
—Un chef-d'oeuvre?—Il se peut: je n'en ai jamais fait.
—Mais, est-ce du huron, du Gagne, ou du Musset?
—C'est du ... mais j'ai mis là mon humble nom d'auteur,
Et mon enfant n'a pas même un titre menteur.
C'est un coup de raccroc, juste ou faux, par hasard....
L'Art ne me connaît pas. Je ne connais pas l'Art.
Préfecture de police, 20 mai 1873
Mon blason,—pas bégueule,
Est, comme moi, faquin:
—Nous bandons à la gueule,
Fond troué d'arlequin.—
Quand, sans tambour ni flûte.
Un servile estafier
Au violon me culbute,
Je me sens libre et fier!...
—Un coup-de-soleil de la rampe!
Qui te retrempe;
Un coup de pouce à ton grand air
Sur fil-de-fer!...
Va, gommeuse et gommée, ô rose
De couperose,
Fleurir les faux-cols et les coeurs,
Gilets vainqueurs!
—Retapeur de casserolles,
Sale Gitan vagabond,
Je claque des castagnoles
Et chatouille le jambon....
Vrai portrait du portrait du Rafaël fort triste,[1] ....
Fort triste, pressentant qu'il serait décollé
De sa toile, pour vivre en la peau du Harpiste
Ainsi que de son fils, rafaël raffalé.
—Raphaël-Lamartine et fils!—O Fornarine-Graziella!
Vos noms font de petits profits;
L'écho dit pour deux sous: Le Fils de Lamartine!
Si Lamartine eût pu jamais avoir un fils!
—Et toi, Graziella.... Toi, Lesbienne Vierge!
Nom d'amour, que, sopran' il a tant déchanté!...
Nom de joie!... et qu'il a pleuré—Jaune cierge—
Tu n'étais vierge que de sa virginité!
—Dis: moins éoliens étaient, ô Grazielle,
Tes Mâles d'Ischia?... que ce pieux Jocelyn
Qui tenait, à côté, la lyre et la chandelle....
Et, de loin, t'enterrait en chants de sacristain....
Ces souvenirs sont loin....—Dors, va! Dors sous les pierres
Que voit, n'importe où, l'étranger,
Où fait paître ton Fils des familles entières
—Citron prématuré de ta Fleur d'Oranger—
Dors—l'Oranger fleurit encor ... encor se fane;
Et la rosée et le soleil ont eu ses fleurs....
Le Poète-apothicaire en a fait sa tisane:
Remède à vers! remède à pleurs',
—Dors—L'Oranger fleurit encor ... et la mémoire
Des jeunes d'autrefois dont l'ombre est encor là.
Qui ne t'ont pas pêchée au fond d'une écritoire....
Et n'en péchaient que mieux!—dis, ô picciola!
—Mère de l'Antéchrist de Lamartine-Père,
Aurore qui mourus sous un coup d'éteignoir,
Ton Orphelin, posthume et de père et de mère,
Allait—quand tu naquis—déjà comme un vieux Soir.
Graziella!—Conception trois fois immaculée....
D'un platonique amour, Messie et Souvenir,
Ce Fils avait vingt ans quand, Mère inoculée,
Tu mourus à seize ans!... C'est bien tôt pour mourir!
—Pour toi: c'est ta seule oeuvre mâle, ô Lamartine,
Saint-Joseph de la Muse, avec elle couché,
Et l'aidant à vêler ... par la grâce divine:
Ton fils avant la lettre est conçu sans péché!...
—Lui se souvient très peu de ces scènes passées....
Mais il laisse le vent et le flot murmurer,
Et l'Étranger, plongeant dans ses tristes pensées....
En tirer un franc—pour pleurer!
Et, tout bas, il vous dit, de murmure en murmures:
Que sa fille ressemble à L'AUTRE ... et qu'elle est là,
Qu'on peut pleurer, à l'heure, avec des rimes pures,
Et ...—pour cent sous, Signor—nommer Graziella!
(Isola di Capri.—Gennaio.)
A là cellule IV BIS (prison royale de Gènes.)
—Lasciate ogné.—
DANTE
O belle hospitalière
Qui ne me connais pas,
Vierge publique et fière
Qui m'as ouvert les bras....
Rompant ma longue chaîne,
L'eunuque m'a jeté
Sur ton sein royal, Reine!
—Vanité, vanité!—
Comme la Vénus nue.
D'un bain de lait de chaux
Tu sors, blanche Inconnue,
Fille des noirs cachots
Où l'on pleure, d'usage....
—Moi: jamais n'ai chanté
Que pour toi, dans ta cage,
Cage de la gaîté!
La misère parée
Est dans le grand égout;
Dépouillons la livrée
Et la chemise et tout!
Que tout mon baiser couvre
Ta franche nudité....
Vraie ou fausse, se rouvre
Une virginité!
—Plus ce ciel louche et rose
Ni ce soleil d'enfer!...
—Ta paupière mi-close,
Tes cils, barreaux de fer!
Ta ceinture-dorée,
De fer!—Fidélité—
Et ta couche encastrée
Tombeau de volupté!
A nos coeurs plus d'alarmes:
Libres et bien à nous!...
Sens planer les gendarmes,
Pigeons du rendez-vous;
Et Cupidon-Cerbère
A qui la sûreté
De nos amours est chère....
Quatre murs!—Liberté!
Ho! l'Espérance folle
—Ce crampon—est au clou.
L'existence qui colle
Est collée à l'écrou.
Le souvenir qui hante
A l'huys est resté;
L'huys n'a pas de fente....
—Oh le carcan ôté!—
Laissons venir la Muse,
Elle osera chanter;
Et, si le jeu t'amuse,
Je veux te la prêter....
Ton petit lit de sangle,
Pour nous a rajouté
Les trois bouts du triangle;
Triple amour!—Trinité!
Plus d'huissiers aux mains sales!
Ni mains de chers amis!
Ni menottes banales!...
—Mon nom est Quatre-Bis.—
Hors la terrestre croûte,
Désert mal habité,
Loin des mortels je goûte
Un peu d'éternité.
—Prison, sûre conquête
Où le poète est roi!
Et boudoir plus qu'honnête
Où le sage est chez soi.
Cruche, au moins ingénue,
Puits de la vérité!
Vide, quand on l'a bue....
—Vase de pureté!—
—Seule est ta solitude,
Et béats tes ennuis
Sans pose et sans étude....
Plus de jours, plus de nuits!
C'est tout le temps dimanche,
Et le far-niente
Dort pour moi sur la planche
De l'idéalité....
... Jusqu'au jour de misère
Où, condamné, je sors
Seul, ramer ma galère....
Là, n'importe où,... dehors.
Laissant emprisonnée
A perpétuité
Cette fleur cloisonnée,
Qui fut ma liberté....
—Va: reprends, froide et dure,
Pour le captif oison,
Ton masque, ta figure
De porte de prison....
Que d'autres, basse race
Dont le dos est voûté,
Pour eux te trouve basse,
Altière déité!
(Cellule 4.—Genova-la-Superba.)
—Toi dont la mamelle tarie
S'est refait, pour avoir porté
La Virginité de Marie,
Une mâle virginité!
Point n'ai fait un tas d'océans
Comme les Messieurs d'Orléans,
Ulysses à vapeur en quête....
Ni l'Archipel en capitan;
Ni le Transatlantique ardant
Qu'une chanteuse d'opérette.
Par un grippe-Jésus accueillant leurs entrées....[3]
—Eh! faut-il pas du coeur au ventre quelque part,
Pour entrer en plein jour là—bagne-lupanar,[4]
Qu'ils nomment le Cap-Horn, dans leur langue hâlée:
—Le cap Horn, noir séjour de tempête grêlée—
Et se coller en vrac, sans crampe d'estomac,
De la chair à chiquer—comme un noeud de tabac!
Jetant leur solde avec leur trop-plein de tendresse,
A tout vent; ils vont là comme ils vont à la messe....
Ces anges mal léchés, ces durs enfants perdus!
—Leur tête a du requin et du petit-Jésus.
Ils aiment à tout crin: Ils aiment plaie et bosse,
La Bonne-Vierge, avec le gendarme qu'on rosse;
Ils font des voeux à tout ... mais leur voeu caressé
A toujours l'habit bleu d'un Jésus-christ rossé.[5]
—Allez: ce franc cynique a sa grâce native....
Comme il vous toise un chef, à sa façon naïve!
Comme il connaît son maître:—Un d'un seul bloc de bois!
—Un mauvais chien toujours qu'un bon enfant parfois!
.........................................................................................
—Allez: à bord, chez eux, ils ont leur poésie!
Ces brutes ont des chants ivres d'âme saisie
Improvisés aux quarts sur le gaillard-d'avant....
—Ils ne s'en doutent pas, eux, poème vivant.
—Ils ont toujours, pour leur bonne femme de mère,
Une larme d'enfant, ces héros de misère;
Pour leur Douce-Jolie, une larme d'amour!...
Au pays—loin—ils ont, espérant leur retour,
Ces gens de cuivre rouge, une pâle fiancée
Que, pour la mer jolie, un jour ils ont laissée.
Elle attend vaguement ... comme on attend là-bas.
Eux ils portent son nom tatoué sur leur bras.
Peut-être elle sera veuve avant d'être épouse....
—Car la mer est bien grande et la mer est jalouse.—
Mais elle sera fière, à travers un sanglot,
De pouvoir dire encore:—Il était matelot!...
—C'est plus qu'un homme aussi devant la mer géante,
Ce matelot entier!...
Piétinant sous la plante
De son pied marin le pont près de crouler;
Tiens bon! Ça le connaît, ça va le désoûler.
Il finit comme ça, simple en sa grande allure,
D'un bloc:—Un trou dans l'eau, quoi!... pas de fioriture.
.....................................................................................
On en voit revenir pourtant: bris de naufrage.
Ramassis de scorbut et hachis d'abordage....
Cassés, défigurés, dépaysés, perclus:
—Un oeil en moins.—Et vous, en avez-vous en plus:
—La fièvre-jaune.—-Eh bien, et vous, l'avez-vous rose?
—Une balafre.—Ah, c'est signé!...C'est quelque chose!
—Et le bras en pantenne.—Oui, c'est un biscaïen,
Le reste c'est le bel ouvrage au chirurgien.
—Et ce trou dans la joue?—Un ancien coup de pique.
—Cette bosse?—A tribord?... excusez: c'est ma chique.
—Ça?—Rien: une foutaise, un pruneau dans la main,
Ça sert de baromètre, et vous verrez demain:
Je ne vous dis que ça, sûr! quand je sens ma crampe....
Allez, on n'en fait plus des coques de ma trempe!
On m'a pendu deux fois....—
Et l'honnête forban
Creuse un bateau de bois pour un petit enfant.
Ils durent comme ça, reniflant la tempête
Riches de gloire et de trois cents francs de retraite,
Vieux culots de gargousse, épaves de héros!...
—Héros?—ils riraient bien!...—Non merci: matelots!
—Matelots!—Ce n'est pas vous, jeunes mateluches,
Pour qui les femmes ont toujours des coqueluches....
Ah, les vieux avaient de plus fiers appétits!
En haussant leur épaule ils vous trouvent petits.
A treize ans ils mangeaient de l'Anglais, les corsaires!
Vous, vous n'êtes que des pelletas militaires....
Allez, on n'en fait plus de ces purs, premier brin!
Tout s'en va ... tout! La mer ... elle n'est plus marin!
De leur temps, elle était plus salée et sauvage.
Mais, à présent, rien n'a plus de pucelage....
La mer.... La mer n'est plus qu'une fille à soldats!...
—Vous, matelots, rêvez, en faisant vos cent pas
Comme dans les grands quarts.... Paisible rêverie
De carcasse qui geint, de mât craqué qui crie....
—Aux pompes!...
—Non ... fini!—Les beaux jours sont passés
—Adieu mon beau navire aux trois mâts pavoisés!
...............................................................................
Tel qu'une vieille coque au sec dégréée,
Où vient encor parfois clapoter la marée;
Ame-de-mer en peine est le vieux matelot
Attendant, échoué ...—quoi: la mort?
—Non, le flot.
(Ile d'Ouessant.—Avril.)
Un pauvre petit diable aussi vaillant qu'un autre,
Quatrième et dernier à bord d'un petit côtre ...
Fier d'être matelot et de manger pour rien,
Il remplaçait le coq, le mousse et le chien;
Et comptait, comme ça, quarante ans de service,
Sur le rôle toujours inscrit comme—novice!—
... Un vrai bossu: cou tors et retors, très madré,
Dans sa coque il gardait sa petite influence;
Car chacun sait qu'en mer un bossu porte chance....
—Rien ne f...iche malheur comme femme ou curé!
Son nom: c'était Bitor—nom de mer et de guerre—
Il disait que c'était un tremblement de terre
Qui, jeune et fait au tour, l'avait tout démoli:
Lui, son navire et des cocotiers ... au Chili.
.......................................................................
Le soleil est noyé.—C'est le soir—dans le port
Le navire bercé sur ses câbles, s'endort
Seul; et le clapotis bas de l'eau morte et lourde,
Chuchote un gros baiser sous sa carène sourde.
Parmi les yeux du brai flottant qui luit en plaque,
Le ciel miroité semble une immense flaque.
Le long des quais déserts où grouillait un chaos
S'étend le calme plat....
Quelques vagues échos....
Quelque novice seul, resté mélancolique,
Se chante son pays avec une musique....
De loin en loin, répond le jappement hagard,
Intermittent, d'un chien de bord qui fait le quart,
Oublié sur le pont....
Tout le monde est à terre.
Les matelots farauds s'en sont allés—mystère!—
Faire, à grands coups de gueule et de botte ... l'amour.
—Doux repos tant sué dans les labeurs du jour.—
Entendez-vous là-bas, dans les culs-de-sac louches,
Roucouler leur chanson ces tourtereaux farouches!...
—Chantez! La vie est courte et drôlement cordée!...
Hâle à toi, si tu peux, une bonne bordée
A jouer de la fille, à jouer du couteau....
Roucoulez mes Amours! Qui sait: demain!... tantôt....
... Tantôt, tantôt ... la ronde en écrémant la ville,
Vous soulage en douceur quelque traînard tranquille
Pour le coller en vrac, léger échantillon,
Bleu saignant et vainqueur, au clou.—Tradition.—
...........................................................................
Mais les soirs étaient doux aussi pour le Bitor,
Il était libre aussi, maître et gardien à bord....
Lové tout de son long sur un rond de cordage,
Se sentant somnoler comme un chat ... comme un sage,
Se repassant l'oreille avec ses doigts poilus,
Voluptueux, pensif, et n'en pensant pas plus,
Laissant mollir son corps dénoué de paresse,
Son petit oeil vairon noyé de morbidesse!...
—Un loustic en passant lui caressait les os:
Il riait de son mieux et faisait le gros dos.
.....................................................................
Tout le monde a pourtant quelque bosse en la tête....
Bitor aussi—c'était de se payer la fête!
Et cela lui prenait, comme un commandement
De Dieu: vers la Noël, et juste une fois l'an.
Ce jour-là, sur la brune, il s'ensauvait à terre
Comme un rat dont on a cacheté le derrière....
—Tiens: Bitor disparu.—C'est son jour de sabbats
Il en a pour deux nuits: réglé comme un compas.
—C'est un sorcier pour sûr....—
Aucun n'aurait pu dire,
Même on n'en riait plus; c'était fini de rire.
Au deuxième matin, le bordailleur rentrait
Sur ses jambes en pieds-de-banc-de-cabaret,
Louvoyant bord-sur-bord....
Morne, vers la cuisine
Il piquait droit, chantant ses vêpres ou mâtine,
Et jetait en pleurant ses savates au feu....
—Pourquoi—nul ne savait, et lui s'en doutait peu.
... J'y sens je ne sais quoi d'assez mélancolique,
Comme un vague fumet d'holocauste à l'antique....
C'était la fin; plus morne et plus tordu, le hère
Se reprenait hâler son bitor de misère....
—C'est un soir, près Noël.—Le côtre est à bon port,
L'équipage au diable, et Bitor ... toujours Bitor.
C'est le grand jour qu'il s'est donné pour prendre terre:
Il fait noir, il est gris.—L'or n'est qu'une chimère!
Il tient, dans un vieux bas de laine, un sac de sous....
Son pantalon à mettre et:—La terre est à nous!-
... Un pantalon jadis cuisse-de-nymphe-émue,
Couleur tendre à mourir!... et trop tôt devenue
Merdoie ... excepté dans les plis rose-d'amour,
Gardiens de la couleur, gardiens du pur contour....
Enfin il s'est lavé, gratté—rude toilette!
—Ah! c'est que ce n'est pas, non plus, tous les jours fête!...
Un cache-nez lilas lui cache les genoux,
—Encore un coup-de-suif! et: La terre est à nous!
... La terre: un bouchon, quoi!...—Mais Bitor se sent riche:
D'argent, comme un bourgeois: d'amour, comme un caniche....
—Pourquoi pas le Cap-Horn!... Le sérail—Pourquoi pas!...
—Syrènes du Cap-Horn, vous lui tendez les bras!...
Au fond de la venelle est la lanterne rouge,
Phare du matelot, Stella maris du bouge....
—Qui va là?—Ce n'est plus Bitor! c'est un héros,
Un Lauzun qui se frotte aux plus gros numéros!...
C'est Triboulet tordu comme un ver par sa haine!...
Ou c'est Alain Chartier, sous un baiser de reine!...
Lagardère en manteau qui va se redresser!...
—Non: C'est un bienheureux honteux—Laissez passer.
C'est une chair enfin que ce bout de rognure!
Un partageux qui veut son morceau de nature.
C'est une passion qui regarde en dessous
L'amour ... pour le voler!...—L'amour à trente sous!
—Va donc Paillasse! Et le trousse-galant t'emporte!
Tiens: c'est là!... C'est un mur—Heurte encor!... C'est la porte:
As-tu peur!—
Il écoute.... Enfin: un bruit de clefs,
Le judas darde un rais:—Hô, quoi que vous voulez?
—J'ai de l'argent.—Combien es-tu? Voyons ta tête....
Bon. Gare à n'entrer qu'un; la maison est honnête;
Fais voir ton sac un peu?... Tu feras travailler?...—
Et la serrure grince, on vient d'entrebâiller;
Bitor pique une tête entre l'huys et l'hôtesse,
Comme un chien dépendu qui se rue à la messe.
—Eh, là-bas! l'enragé, quoi que tu veux ici?
Qu'on te f...iche droit, quoi? pas dégoûté! Merci!...
Quoi qui te faut, bosco?... des nymphes, des pucelles
Hop! à qui le Mayeux? Eh là-bas, les donzelles!...
Bitor lui prit le bras:—Tiens, voici pour toi, gouine:
Cache-moi quelque part ... tiens: là....—C'est la cuisine!
—Bon. Tu m'en conduiras une ... et propre! combien?...
—Tire ton sac.—Voilà.—Parole! il a du bien!...
Pour lors nous en avons du premier brin: cossuses;
Mais on ne t'en a pas fait exprès des bossuses....
Bah! la nuit tous les chats sont gris. Reste là voir,
Puisque c'est ton caprice; as pas peur, c'est tout noir.—
....................................................................................
Une porte s'ouvrit. C'est la salle allumée.
Silhouettes grouillant à travers la fumée:
Les amateurs beuglant, ronflant, trinquant, rendus;
—Des Anglais, jouissant comme de vrais pendus,
Se cuvent, pleins de tout et de béatitude;
—Des Yankees longs, et roide-soûls par habitude,
Assis en deux, et, tour-à-tour tirant au mur
Leur jet de jus de chique, au but, et toujours sûr;
—Des Hollandais salés, lardés de couperose;
—De blonds Norwégiens hercules de chlorose;
—Des Espagnols avec leurs figures en os;
—Des baleiniers huileux comme des cachalots;
—D'honnêtes caboteurs bien carrés d'envergures,
Calfatés de goudron sur toutes les coutures;
—Des Nègres blancs, avec des mulâtres lippus;
Des Chinois, le chignon roulé sous un gibus,
Vêtus d'un frac flambant-neuf et d'un parapluie;
—Des chauffeurs venus là pour essuyer leur suie;
—Des Allemands chantant l'amour en orphéon,
Leur patrie et leur chope ... avec accordéon;
—Un noble Italien, jouant avec un mousse
Qui roule deux gros yeux sous sa tignasse rousse;
—Des Grecs plats; des Bretons à tête biscornue;
—L'escouade d'un vaisseau russe, en grande tenue;
—Des Gascons adorés pour leur galant bagout....
Et quelques renégats—écume du ragoût.—
Là, plus loin dans le fond sur les banquettes grasses,
Des novices légers s'affalent sur les Grâces
De corvée.... Elles sont d'un gras encourageant;
Ça se paye au tonnage, on en veut pour l'argent....
Et, quand on largue tout, il faut que la viande
Tombe, comme un hunier qui se déferle en bande!
—On a des petits noms: Chiourme, Jany-Gratis,
Bout-dehors, Fond-de-Vase, Anspeck, Garcette à-ris.
—C'est gréé comme il faut: satin rose et dentelle;
Ils ne trouvent jamais la mariée assez belle....
—Du velours pour frotter à cru leur cuir tanné!
Et du fard, pour torcher leur baiser boucané!...
A leurs ceintures d'or, faut ceinture dorée!
Allons!—Ciel moutonné, comme femme fardée
N'a pas longue durée à ces Pachas d'un jour....
—N'en faut du vin! n'en faut du rouge!... et de l'amour!
...........................................................................
Bitor regardait ça—comment on fait la joie—
Chauve-souris fixant les albatros en proie....
Son rêve fut secoué par une grosse voix:
—Eh, dis donc, l'oiseau bleu, c'est-y fini ton choix?
—Oui: (Ses yeux verts vrillaient la nuit de la cuisine)
... La grosse dame en rose avec sa crinoline!...
—Ça: c'est Mary-Saloppe, elle a son plein et dort.—
Lui, dégainant le bas qui tenait son trésor:
—Je te dis que je veux la belle dame rose!...
—Ça t'y du vice!... Ah-ça: t'es porté sur la chose?...
Pour avec elle, alors, tu feras dix cocus,
Dix tout frais de ce soir!... Vas-y pour tes écus
Et paye en double: On va t'amateloter. Monte....
—Non ici..—Dans le noir?... allons faut pas de honte!
—Je veux ici!—Pas mèche, avec les règlements.
—Et moi je veux!—C'est bon ... mais t'endors pas dedans....
Ohé là-bas! debout au quart, Mary-Saloppe!
—Eh, c'est pas moi de quart!—C'est pour prendre une chope,
C'est rien la corvée ... accoste: il y a gras!
—De quoi donc?—Va, c'est un qu'a de l'or plein ses bas,
Un bossu dans un sac, qui veut pas qu'on l'évente....
—Bon: qu'y prenne son soûl, j'ai le mien! j'ai ma pente.
—Va, c'est dans la cuisine....
—Eh! voyons-toi, Bichon....
T'es tortu, mais j'ai pas peur d'un tire-bouchon!
Viens.... Si ça t'est égal: éclairons la chandelle?
—Non.—Je voudrais te voir, j'aime Polichinelle....
Ah je te tiens; on sait jouer Colin-Maillard!...—
La matrulle ferma la porte....
—Ah tortillard!...
..........................................................................
Charivari!—Pour qui?—Quelle ronde infernale,
Quel paquet crevé roule en hurlant dans la salle?...
—Ah, peau de cervelas! ah, tu veux du chahut!
A poil! à poil! on va te caréner tout cru!
Ah, tu grognes, cochon! Attends, tu veux la goutte:
Tiens son ballon!... Allons, avale-moi ça ... toute!
Gare au grappin, il croche! Ah! le cancre qui mord!
C'est le diable bouilli!...—
C'était l'heureux Bitor.
—Carognes, criait-il, mollissez!... je régale....
—Carognes?... Ah, roussin! mauvais comme la gale!
Tu régales, Limonadier de la Passion?
On te régalera, va! double ration!
Pou crochard qui montais nous piquer nos punaises!
Cancre qui viens manger nos peaux!... Pas de foutaises,
Vous autres: Toi, la mère, apporte de là haut,
Un grand tapis de lit, en double et comme-y-faut!...
Voilà!—
Dix bras tendus hâlent la couverture
—Le tortillou dessus!... On va la danser dure;
Saute, Paillasse! hop là!...—
C'est que le matelot,
Bon enfant, est très dur quand il est rigolot.
Sa colère: c'est bon.—Sa joie: ah, pas de grâce!...
Ces dames rigolaient....
—Attrape: pile ou face?
Ah, le malin! quel vice! il échoue en côté!—
...Sur sa bosse grêlaient, avec quelle gaîté!
Des bouts de corde en l'air sifflant comme couleuvres;
Les sifflets de gabier, rossignols de manoeuvres,
Commandaient et rossignolaient à l'unisson....
—Tiens bon!...—
Pelotonné, le pauvre hérisson
Volait, rebondissait, roulait. Enfin la plainte
Qu'il rendait comme un cri de poulie est éteinte....
—Tiens bon! il fait exprès.... Il est dur, l'entêté!...
C'est un lapin! ça veut le jus plus pimenté:
Attends!...—
Quelques couteaux pleuvent ... Mary-Saloppe
D'un beau mouvement, hèle:—A moi sa place!—Tope!
Amène tout en vrac! largue!...—
Le jouet mort
S'aplatit sur la planche et rebondit encor....
Comme après un doux rêve, il rouvrit son oeil louche
Et trouble.... Il essuya dans le coin de sa bouche,
Un peu d'écume avec sa chique en sang.... -C'est bien;
C'est fini, matelot.. Un coup de sacré-chien!
Ça vous remet le coeur; bois!...—
Il prit avec peine
Tout l'argent qui restait dans son bon bas de laine
Et regardant Mary-Saloppe:—C'est pour toi,
Pourboire ... en souvenir.-Vrai: baise-moi donc, quoi!...
Vous autres, laissez-le, grands lâches! mateluches!
C'est mon amant de coeur ... on a ses coqueluches!
... Toi: file à l'embellie, en double, l'asticot:
L'échouage est mauvais, mon pauvre saligot!...—
Son oeil marécageux, larme de crocodile,
La regardait encore....—Allons, mon garçon, file!—
......................................................................
C'est tout. Le lendemain, et jours suivants, à bord
Il manquait.—Le navire est parti sans Bitor.—
Plus tard, l'eau soulevait une masse vaseuse
Dans le dock. On trouva des plaques de vareuse....
Un cadavre bossu, ballonné, démasqué
Par les crabes. Et ça fut jeté sur le quai,
Tout comme l'autre soir, sur une couverture.
Restant de crabe, encore il servit de pâture
Au rire du public; et les gamins d'enfants
Jouant au bord de l'eau noire sous le beau temps,
Sur sa bosse tapaient comme sur un tambour
Crevé....
—Le pauvre corps avait connu l'amour!
(Marseille.—La Joliette.—Mai.)
Elle donnait la main à manger mon décompte
Et mes avances à manger.
Car, pour un mathurin faraud, c'est une honte:[7]
De ne pas rembarquer léger.
J'emportais ses cheveux, pour en cas de naufrage,
Et ses adieux au long-cours.
Et je lui rapportais des objets de sauvage,
Que le douanier saisit toujours.
Je me l'imaginais pendant les traversées,
Moi-même et naturellement.
Je m'en imaginais d'autres aussi—sensées
Elle—dans mon tempérament.
Mon nom mâle à son nom femelle se jumelle,
Bout-à-bout et par à peu-près:
Moi je suis Jean-Marie et c'est Mary-Jane elle....
Elle ni moi n'ons fait exprès.
... Notre chien de métier est chose assez jolis
Pour un leste et gueusard amant;
Toujours pour démarrer on trouve l'embellie:
—Un pleur.... Et saille de l'avant!
Et hisse le grand foc!—la loi me le commande.—
Largue les garcettes, sans gant![8]
Etarque à bloc!—L'homme est libre et la mer est grande
La femme: un sillage!... Et bon vent!—
On a toujours, puisque c'est dans notre nature,
—Coulant en douceur, comme tout—
Filé son câble par le bout, sans fignolure....
Filé son câble par le bout!
—File!... la passion n'est jamais défrisée.
—Evente tout et pique au nord!
Borde la brigantine et porte à la risée!...
—On prend sa capote et s'endort....
—Et file le parfait amour! à ma manière,
—Ce n'est pas la bonne: tant mieux!
C'est encor la meilleure et dernière et première....
As pas peur d'échouer, mon vieux!
Ah! la mer et l'amour!—On sait—c'est variable....
Aujourd'hui: zéphyrs et houris!
Et demain ... c'est un grain: Vente la peau du diable!
Debout au quart! croche des ris!...
—Nous fesons le bonheur d'un tas de malheureuses,
Gabiers-volants de Cupidon!...
Et la lame de l'ouest nous rince les pleureuses....
—Encore une! et lave le pont!
............................................................................
Comme ça mol je suis. Elle, c'était la rose
D'amour, et du débit d'ici....
Nous cherchions tous deux à nous dire quelque chose
De triste.—C'est plus propre aussi.—
... Elle ne disait rien—Moi: pas plus.—Et sans doute,
La chose aurait duré longtemps....
Quand elle dit, d'un coup, au milieu de la route:
—Ah Jésus! comme il fait beau temps.—
J'y pensais justement, et peut-être avant elle....
Comme avec un même coeur, quoi!
Donc, je dis à mon tour:—Oh! oui, mademoiselle,
Oui...; Les vents hâlent le noroî....
—Ah! pour où partez-vous?—Ah! pour notre voyage....
—Des pays mauvais?—Pas meilleurs....
—Pourquoi?—Pour faire un tour, démoisir l'équipage....
Pour quelque part, et pas ailleurs:
New-York ... Saint-Malo....—Que partout Dieu vous garde!
—Oh!... Le saint homme y peut s'asseoir;
Ça n'est notre métier à nous, ça nous regarde:
Eveillatifs, l'oeil au bossoir!
—Oh! ne blasphémez pas! Que la Vierge vous veille!
—Oui: que je vous rapporte encor
Une bonne Vierge à la façon de Marseille:
Pieds, mains, et tête et tout, en or?...
—Votre navire est-il bon pour la mer lointaine?
—Ah! pour ça, je ne sais pas trop,
Mademoiselle; c'est l'affaire au capitaine,
Pas à vous, ni moi matelot.
—Mais le navire a-t-il un beau nom de baptême?
—C'est un brick ... pour son petit nom:
Un espèce de nom de dieu ... toujours le même,
Ou de sa moitié: Junon....
—Je tremblerai pour vous, quand la mer se tourmente....
—Tiens bon, va! la coque a deux bords....
On sait patiner ça! comme on fait d'une amante....
—Mais les mauvais maux?...—Oh! des sorts!
—Je tremble aussi que vous n'oubliiez mes tendresses
Parmi vos reines de là-bas....
—Beaux cadavres de femme: oui! mais noirs et singesses.
Et puis: voyez, là, sur mon bras:
C'est l'Hôtel de l'Hymen, dont deux coeurs en gargousse
Tatoués à perpétuité!
Et la petite bonne-femme en frac de mousse:
C'est vous, en portrait ... pas flatté.
—Pour lors, c'est donc demain que vous quittez?...—Peut-être.
—Déjà!...—Peut-être après-demain.
—Regardez en appareillant, vers ma fenêtre:
On fera bonjour de la main.
—C'est bon. Jusqu'au retour de n'importe où, m'amie....
Du Tropique ou Noukahiva.
Tâchez d'être fidèle, et moi: sans avarie....
Une autre fois mieux!—Adieu-vat!
(Brest-Recouvrance.)
Deux petits.—Alors, sur la plage,
Rien n'est revenu du naufrage?...
—Son garde-pipe et son sabot....
Mon père était un vieux saltin,[9]
Ma mère une vieille morgate...[10]
Une nuit, sonna le tocsin:
—Vite à la côte: une frégate!—
... Et dans la nuit, jusqu'au matin,
Ils ont tout rincé la frégate....
—Mais il dort mort le vieux saltin,
Et morte la vieille morgate....
Là-haut, dans le paradis saint
Ils n'ont plus besoin de frégate.
(Ranc de Kerlouan.—Novembre.)
—La mer jolie est belle
Et les brisans sont blancs....
Penché, trempe ton aile
Avec les goélands!...
Que la risée enfle encor ta Fortune[11]
En bandant tes agrès!
—Moi: plus d'agrès, de lest, ni de fortune....
Ni de risée après!
... Va-t'en, humant la brume
Sans moi, prendre le frais,
Sur la vague de plume....
Va!—Moi j'ai trop de frais.—
Légère encor est pour toi la rafale
Qui frisotte la mer!
Va....—Pour moi seul, rafale, la rafale
Soulève un flot amer!...
—Dans ton âme de côtre,
Pense à ton matelot
Quand, d'un bord ou de l'autre,
Remontera le flot....
—Tu peux encor échouer ta carène
Sur l'humide varech;
Mais moi j'échoue aux côtes de la gêne,
Faute de fond—à sec—
(Roscoff.—Août.)
... Là, gît debout une vestale
—C'est l'allumoir—
Vierge et martyre (sexe mâle)
—C'est l'éteignoir.—
Allons! c'est leur métier; ils sont morts dans leurs bottes!
Leur boujaron au coeur, tout vifs dans leurs capotes....[12]
—Morts.... Merci: la Camarde a pas le pied marin;
Qu'elle couche avec vous: c'est votre bonne-femme....
—Eux, allons donc: Entiers! enlevés par la lame!
Ou perdus dans un grain....
Un grain ... est-ce la mort ça? la basse voilure
Battant à travers l'eau!—Ça se dit encombrer....
Un coup de mer plombé, puis la haute mâture
Fouettant les flots ras—et ça se dit sombrer.
—Sombrer—Sondez ce mot. Votre mort est bien pâle
Et pas grand'chose à bord, sous la lourde rafale....
Pas grand'chose devant le grand sourire amer
Du matelot qui lutte.—Allons donc, de la place!—
Vieux fantôme éventé, la Mort change de face:
La Mer!...
Noyés?—Eh allons donc! Les noyés sont d'eau douce.
—Coulés! corps et biens! Et, jusqu'au petit mousse,
Le défi dans les yeux, dans les dents le juron!
A l'écume crachant une chique râlée,
Buvant sans hauts-de-coeur la grand' tasse salée....
—Comme ils ont bu leur boujaron.—
.........................................................................
—Pas de fond de six pieds, ni rats de cimetière:
Eux ils vont aux requins! L'âme d'un matelot
Au lieu de suinter dans vos pommes de terre,
Respire à chaque flot.
—Voyez à l'horizon se soulever la houle;
On dirait le ventre amoureux
D'une fille de joie en rut, à moitié soûle....
Ils sont là!—La houle a du creux.—
—Ecoutez, écoutez la tourmente qui beugle!...
C'est leur anniversaire—Il revient bien souvent—
O poète, gardez pour vous vos chants d'aveugle;
—Eux: le De profundis que leur corne le vent.
... Qu'ils roulent infinis dans les espaces vierges!...
Qu'ils roulent verts et nus,
Sans clous et sans sapin, sans couvercle, sans cierges....
—Laissez-les donc rouler, terriers parvenus!
(A bord.—11 février.)
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