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Les casseurs de bois

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II

On annonçait de toutes parts que, le prochain dimanche, Lucien Chatel traverserait Paris, à grande hauteur, du bois de Vincennes au bois de Boulogne. Il se proposait de s'élancer droit et haut, de tracer un invisible arc-en-ciel au-dessus de la ville. Il ne se doutait guère, en décidant cette expérience, qu'il signait son arrêt de mort.

Car Villeret était résolu. Cette traversée de Paris lui apparaissait comme une indication du Destin. Ce jour-là, Lucien Chatel devait périr. Dans ce cerveau dégradé par le vice et rongé par la haine, l'idée du meurtre peu à peu avait germé, s'était affirmée, épanouie. Maintenant elle l'envahissait tout entier...

Ayant condamné son rival à mort, Villeret préparait l'exécution avec un soin féroce. Il lui fallait, la veille de la tentative, travailler secrètement pendant une heure sur l'appareil qui enlèverait le héros. Et toute son ingéniosité, toute sa ruse se concentraient vers ce but.

Qui veillait, le soir venu, sur l'annexe des ateliers où reposaient les grands oiseaux blancs? Villeret eut tôt fait de découvrir le gardien en qui Chatel avait placé sa confiance. Un homme amenait-il à lui seul—besogne d'hercule—un aéroplane sur le champ de manœuvre? C'était Lanoix. Qui donc apportait au trot le bidon d'essence, l'arrosoir d'eau, l'outil nécessaire? Encore Lanoix. Qui donc excellait à refouler sans phrases les curieux derrière la barrière? Toujours Lanoix. A tout instant, on entendait la voix ferme de Lucien Chatel, la voix plutôt émue des clients assis pour la première fois au volant: «Lanoix! Lanoix!»

C'était, tout ensemble, le chien de garde et le chien de berger. Mais quel molosse! Un géant, haut, large, massif, le buste moulé dans un maillot rayé blanc et bleu, les jambes perdues dans un immense pantalon de velours brun, les genoux, les poings, le menton toujours portés en avant, comme prêts à la lutte. Et avec cela, des yeux clairs, de bonnes grosses lèvres où fumottait, sous la moustache hirsute, une éternelle cigarette.

Le patron d'une guinguette voisine acheva de renseigner Villeret. Lanoix était un ancien ravageur de la Marne. Dans ce temps-là, quand il avait bu, il était terrible. A la suite d'une rixe—peut-être avait-il pris une absinthe de trop—il avait attrapé un an de prison. A sa sortie, M. Chatel avait eu la bizarre idée de se l'attacher. Il l'avait apprivoisé, rendu doux comme une demoiselle. Lanoix ne buvait plus. Ça durerait ce que ça durerait. Au fond, le cabaretier restait sceptique, quelque peu méprisant, à l'endroit de cet homme qui refusait un petit verre. Mais M. Chatel, lui, avait la foi. La preuve, c'est qu'il avait confié à Lanoix la garde des appareils. L'ancien ravageur s'était construit, dans un angle du garage, une sorte de cabine où il mangeait, où il couchait, un gros revolver à portée de sa main. Ah! il ne ferait pas bon s'y frotter. Car Lanoix avait le coup de feu facile.

Le vendredi qui précédait la traversée de Paris, Villeret attendit le moment où, les appareils rentrés et Chatel parti, la foule commença de se disperser. Accostant Lanoix qui fermait les portes de la cour:

—Rude journée, mon brave. Pas fâché de vous reposer, hein? Vous accepterez bien de prendre quelque chose auparavant, un petit apéritif, là, tout près?

Et il montrait le cabaret proche. Ému, Lanoix cracha sa cigarette, avala sa salive. Mais s'il fut agité d'un désir, il l'étouffa vite. Car secouant la tête, il refusa net.

Villeret craignit de se démasquer par trop d'insistance. Il rompit, chercha une autre ligne d'attaque:

—Il est trop tard pour visiter les ateliers aujourd'hui, n'est-ce pas?

Lanoix trancha l'air de sa main énorme, en couperet de guillotine:

—Fermé.

Pas prolixe, le ravageur. Villeret regretta:

—C'est dommage. Je suis un ami, un admirateur de M. Chatel.

Ah! certes, M. Chatel n'avait pas de plus fervent admirateur que Lanoix lui-même. C'était son dieu. Pourtant, le gardien resta inflexible. D'un seul coup de sa paume glissée sur sa cuisse, il roula une cigarette:

—Parlez-y.

Et il poussa la porte. Villeret haussa les épaules. Il ne pourrait pas avoir raison de cette brute en l'attaquant de front. Il fallait ruser et ruser vite, car le temps pressait.

Et le lendemain samedi, veille de l'expérience, tandis que tous les regards étaient tournés vers Lucien Chatel qui s'entraînait à grande hauteur, Villeret, payant d'audace, entra délibérément dans la cour, pénétra dans le garage désert.

Là, il stoppa une seconde. Le long du mur, s'alignaient d'immenses caisses à claires-voies, à demi couvertes de bâches, et qui servaient à expédier au loin les aéroplanes. Villeret se jeta dans cette cachette... Une heure après, les essais achevés, Lanoix bouclait la porte. Il enfermait l'ennemi dans la place.

Par les interstices des bâches, Villeret avait épié la rentrée des grands oiseaux blancs. Surtout il avait minutieusement repéré l'appareil de Chatel. Il ne le quittait pas des yeux. Diable! Il ne s'agissait pas de se tromper. Mais aucune erreur n'était possible. Le jeune inventeur l'avait encore inspecté en tous ses détails après l'avoir fait rentrer. C'était bien celui qu'il emploierait le lendemain.

Maintenant, Villeret restait seul dans l'immense halle. Sans doute, Lanoix allait chercher son repas à la guinguette voisine. Il fallait profiter de son absence. Villeret eut vite découvert, dans l'angle opposé à sa cachette, la cabine du gardien. Il y courut, l'inventoria d'un regard: un petit lit à couverture brune dans un cadre de sapin, une étroite table de chevet où traînaient un vieux magazine, une bougie dans un chandelier, un énorme revolver chargé.

Rapidement, il tira d'une de ses poches une bouteille colletée de papier d'argent, écussonnée de la croix de Genève, la plaça bien en vue sur la planche et regagna son abri au pas de course. Deux minutes après, Lanoix rentra.

Des heures, dans la nuit, Villeret attendit. Oh! il avait bien réfléchi, rejeté bien des solutions. Évidemment, il aurait pu limer l'arbre de l'hélice, ou quelque pièce du moteur. Mais chacun savait que l'appareil Chatel, privé de ses moyens de propulsion, glissait doucement sur les couches aériennes, atterrissait sans choc. Non. Il fallait que l'étoffe des ailes, la toile tendue qui seule soutenait l'engin dans l'air, disparût, s'anéantît soudain... Alors, il ne resterait plus qu'une lourde carcasse, cinq cents kilos de métal, qui s'effondreraient, s'abîmeraient sur le sol...

Parbleu! Ce n'était pas sorcier. Il suffisait d'y penser. Il allait enduire les toiles d'une dissolution phosphorique de sa façon. Au repos, elle resterait bien sage. Rien ne le trahirait. Mais quand l'air frapperait les ailes à cent kilomètres à l'heure, elle s'évaporerait et, sous ce furieux coup de briquet, le phosphore prendrait feu. Dans le souffle de la vitesse, l'étoffe caoutchoutée, vernie, flamberait d'une lampée, comme une pièce d'artifice.

Mais pour mener à bien sa besogne, Villeret avait besoin que Lanoix fût endormi, assommé par l'ivresse. Viderait-il ce flacon d'absinthe placé sous ses yeux, en tentation? Après sa longue abstinence, allait-il se jeter sur le poison délicieux?

Soudain, la porte s'ouvrit et le géant parut, la face éclairée en dessous par le flambeau qu'il tenait d'une main. De l'autre, il étreignait son revolver. Dès le seuil, il buta lourdement. Puis il sortit en titubant. Il était ivre.

Mais sans doute un instinct surnageait dans la débâcle: selon sa coutume, Lanoix faisait sa ronde. Terrifiant spectacle... Le pas mou, la tête et les épaules balancées d'un mouvement de roulis, son revolver dans une main, sa lumière dans l'autre, le colosse avançait parmi les grands oiseaux blancs. Tantôt son ombre mouvante se projetait nette sur une toile tendue, tantôt elle se répandait, énorme, sur les murailles ou le plafond. Il donnait du front dans les haubans, s'empêtrait dans des tendeurs. Une morne fureur creusait sa face. Par moments, il poursuivait d'indicibles injures un ennemi imaginaire. A d'autres, il hoquetait d'ignobles refrains. Puis le silence.

Un instant, il frôla Villeret, tapi, réduit à rien derrière ses bâches. Mais déjà il était passé, éructant de vagues paroles, butant de-ci, cognant de-là, toujours son arme et sa bougie aux poings. C'était miracle qu'il ne mît pas le feu. Mais l'instinct le guidait. Et, à mesure qu'il poursuivait sa marche, devant lui, les grandes ailes blanches se levaient dans la nuit, les fuselages se dressaient en squelettes antédiluviens, tout un troupeau fantastique s'éveillait, dont les ombres mobiles se mêlaient sur les murs à celle du gardien...

Puis, un dernier juron éclata, la lumière s'éteignit. La brute se terrait au gîte pour cuver son ivresse. Cinq minutes après, dans le calme absolu, Villeret perçut un souffle profond et régulier, la respiration du sommeil.

Alors, refoulant sa terreur, mais le cœur lui sautant jusqu'à la gorge, les mains en avant dans la nuit, le pas feutré, Villeret se dirigea avec d'infinies précautions vers l'aéroplane de Chatel. Et quand il l'eut enfin reconnu, palpé, il entreprit, à petits gestes soigneux et caressants, la besogne de mort.

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III

La foule a couvert l'ancien Polygone. Et, par toute la ville, des millions de regards vont suivre l'aéroplane, le soutenir dans sa course. Le temps resplendit. Le ciel, palpitant et soyeux, semble un grand velum accroché au clou d'or du soleil et tendu sur la fête.

Claire suit de loin tous les mouvements de son fiancé. Elle a peur. Les menaces de Villeret la hantent. Si elle osait, elle irait à Lucien, elle le supplierait: «Ne partez pas». Mais elle n'ose pas. Et puis, Paris attend.

Le feutre rabattu sur les yeux, Chatel serre des mains, se laisse accaparer par un journaliste, par un ami, surveille le ciel, revient à son appareil, examine encore les tendeurs, l'hélice. Il tire sa montre. L'heure approche.

Lucien se dirige vers Claire. Devant la foule, par respect humain, ils se contentent de se serrer la main. Mais qui dira tout le réconfort, tout l'espoir, tout l'amour qui peuvent passer entre deux mains qui s'étreignent...

Déjà, Chatel est au volant. Il lève le bras, afin qu'on s'écarte. Le moteur part, l'hélice tourne. Et tandis que, d'un geste coutumier, le pilote assure son feutre sur son front, déjà l'oiseau fuit, rase le sol, quitte terre et, brusquement, prend son essor.

D'instinct, la foule s'est ruée derrière lui. Mais Claire est incapable d'avancer. Et la voilà seule. Toute sa vie est là-haut. Elle sent en elle un grand vide douloureux. Elle respire mal. Comme il monte vite. Il lui faut un quart d'heure, pour décrire sa courbe au-dessus de Paris. Que c'est long, un quart d'heure!...

Soudain, un ricanement éclate derrière elle. Elle se retourne. Villeret... Encore lui! Et une telle joie mauvaise le transfigure, qu'aussitôt l'appréhension de Claire fait prise, se bloque. Elle est sûre d'un malheur. Quel piège a-t-il tendu? Tout son être interroge.

Oh! Villeret ne se contiendra pas. Il veut tout son plaisir. Et le meilleur de sa vengeance, ce n'est pas la mort brusque de Chatel. C'est la torture de Claire, qui va savoir, qui va attendre, qui va vivre là des secondes d'horreur sans pareille.

En dix mots, il lâche son secret. Et c'est en effet une torture sans nom. Quiconque n'a pas aimé ne peut pas la comprendre. Ainsi, peut-être dans un instant, peut-être dans cinq interminables minutes, cette petite chose blanche, là-haut, qui emporte sa vie, va flamber, s'effondrer, s'abîmer, comme une pierre qui tombe. Lucien! Lucien!

Et elle ne peut rien. C'est surtout son impuissance qui l'affole. Ne rien pouvoir... Elle voudrait crier, hurler, elle voudrait que sa voix portât jusqu'à ce petit point brillant au loin dans le soleil: «Redescends, redescends vite!» Et elle ne peut rien...

Ah! Villeret a bien choisi son moment pour parler. Assez tôt pour guetter l'inévitable. Trop tard pour l'empêcher.

Claire balbutie de pauvres mots sans suite. Il lui semble qu'elle se rétrécit, qu'elle redevient une toute petite fille. Elle voudrait pleurer, tomber à genoux, ne plus voir, mourir. Ses regards se troublent. Des étincelles dansent devant ses yeux. Est-ce le petit point blanc qui s'enflamme? Oui? Non. Pas encore. Et rester là, rester là...

Soudain, derrière elle, une grande clameur monte. Ah! cette fois, c'est la fin. Mais Villeret crache un juron de rage. Elle tourne la tête. Spectacle de rêve... Devant les ateliers, un homme, tout seul, un colosse tire derrière lui un aéroplane en feu, s'élance sur le champ de manœuvre. Le vent de sa course prodigieuse avive l'incendie et déploie dans son dos d'immenses ailes de flammes.

Il s'arrête. Claire n'ose pas espérer encore. Mais Villeret s'est déjà ressaisi. S'est-il trompé d'appareil, dans le trouble et dans la nuit? Chatel, méfiant, en a-t-il pris un autre au dernier moment? Qu'importe. C'est à recommencer.

Sauvé! Lucien est sauvé! Et tandis que, là-bas, le petit point blanc incline déjà vers le couchant sa courbe glorieuse, Claire pense défaillir dans la détente exquise, le brusque passage de l'agonie à la résurrection.

Cependant, le géant abandonne l'aéroplane qui achève de se consumer. Il a rompu le cercle des curieux. Il s'approche. Ses cheveux et sa moustache sont brûlés. Sa face noircie est gonflée de fureur. On dirait qu'il cherche quelqu'un.

Il a reconnu Villeret... Et des paquets de mots se heurtent dans sa bouche encore empâtée d'ivresse, s'échappent de ses lèvres brûlées... C'est lui, c'est cet homme-là qui a voulu l'acheter. C'est lui qui a mis cette bouteille d'absinthe dans sa cabine. Il s'en doutait. S'il n'avait pas, à peine éveillé, encore ivre, jeté sa cigarette allumée sur les toiles d'un appareil, il n'aurait jamais rien su. Mais, maintenant, il comprend tout. Ce bandit-là voulait tuer M. Chatel, le flamber en pleine course. Canaille!... Tuer M. Chatel, son dieu! Mais il est pris, le gredin... Il ne recommencera pas!...

Et, avant qu'on ait pu l'empêcher, Lanoix, furieux d'absinthe, fou d'indignation, sort son revolver de la poche de son vaste pantalon et par six fois tire sur Villeret, l'abat comme une bête nuisible.

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—Bouge pas, ou je tire!

A vingt pas, le garde tenait Charoux au bout de son fusil.

Le braconnier, ramassé, aplati contre le sol, hésita une seconde. Soudain, il se détendit, d'un élan formidable. Un coup de feu éclata. Manqué! Charoux bondit à travers bois. Gare au second coup. Il entendit la détonation. En même temps, un atroce coup de fouet lui gifla l'oreille. Il buta, crut tomber. Il porta la main à sa nuque, la retira rouge et chaude de sang. Des plombs, heureusement. Mais le garde accourait, criant:

—Rends-toi! Rends-toi! Ou je recommence.

Alors, Charoux trouva la force de fuir. Et la poursuite reprit, féroce. Le garde, tout en courant, armait à nouveau son fusil. Le braconnier laissait de son sang aux feuilles du taillis. Mais, plus agile, éperonné par la volonté d'échapper à la loi, il augmentait entre eux la distance.

Cependant, il s'épuisait. Il ne s'orientait plus. Bientôt, il tomberait. Et le garde n'aurait plus qu'à le ramasser. L'éclaircie d'une route apparut à travers les arbres. D'un saut, il franchit le fossé. Puis il s'arrêta, fauché par cet effort suprême, envahi d'un vertige où la forêt tournoyait autour de lui.

Mais, dans la perspective droite, une auto approchait. Charoux n'hésita pas. Elle lui apportait la dernière chance de salut. Titubant, il s'avança vers elle, au milieu de la chaussée, les bras étendus, comme pour lui barrer le chemin.

Le conducteur était seul dans sa voiture. Il ralentit, s'arrêta. A la fois suppliant et farouche, le braconnier lui cria, la voix rauque, sans abandonner un perpétuel tutoiement:

—Emmène-moi... Emmène-moi, mon fistaud. Je t'expliquerai...

Il n'attendit pas la réponse, sauta dans la place libre:

—Vite, vite. Démarre. Filons...

Subjugué ou consentant, le chauffeur obéit. L'auto prit rapidement une allure tendue. Puis, sans mot dire, les deux hommes se dévisagèrent, d'un regard en coin.

Le conducteur avait une trentaine d'années. La tête était fine et soignée, la casquette et le manteau confortables. C'était, à coup sûr, le propriétaire de la voiture.

En sens inverse, l'examen dut être moins favorable. Avec ses vêtements en loques et sa figure en sang, Charoux, subitement surgi de la forêt, évoquait quelque homme des bois ou des cavernes, l'ancêtre primitif dont il gardait la forte mâchoire, les lourdes épaules en voûte, les mains emmanchées, comme des outils formidables, au bout des bras trop longs, le regard animal, à la fois violent et doux de bête traquée.

Cependant, le braconnier posait sa patte énorme sur le genou du conducteur. Et, de sa voix éraillée de solitaire:

—T'es un frère. Sans toi, il m'avait, le gâfier...

—Le gâfier?...

—Ben oui, quoi, le garde... le garde à M. Chatel. Crois-tu, mon fistaud, qu'il m'a envoyé un coup de clarinette dans la tronche, et tout ça pour un loustracot?

Et, narquois, remis de sa chaude alerte maintenant que l'auto l'emportait loin du garde, Charoux sortit de la poche de son ample pantalon de velours le loustracot, un petit lapin de garenne pris au collet.

Imperceptiblement, le chauffeur sourit. Alors, encouragé, reconnaissant aussi, le braconnier dit la longue rivalité, la vieille haine recuite entre lui et le garde de M. Chatel, leurs tours, leurs ruses à tous deux, les alternatives de victoires et de défaites.

Parbleu, il avait été pincé plus d'une fois. Ce qu'il en avait entassé, des amendes. Ce qu'il en devait... Ça se comptait par milliers de francs, dont il n'avait pas le premier sou. Il l'avouait avec une pointe d'orgueil, comme un capitaliste parle de ses fonds.

Seulement, dame, cette fois-ci, ça lui aurait coûté plus cher. On l'aurait salé. Parce qu'ils s'étaient un peu cognés, le garde et lui; ils avaient «fait des armes» au moment où le gâfier l'avait surpris à visiter ses collets.

Tout de même, il retournerait dans les bois de M. Chatel. Il ne pouvait pas travailler ailleurs. Il était là comme chez lui. Le propriétaire n'y chassait pas trois fois par an. C'était un gros monsieur de Paris, qui avait acheté tout le patelin et qui ne connaissait même pas au juste son domaine. Vraiment, ça ne lui faisait pas de tort, à ce M. Chatel, qu'on lui emprunte quelque gibier par-ci, par-là.

Et soudain, Charoux s'arrêta, frappé comme d'un nouveau coup de feu. Il exhala sa stupeur dans le plus gros juron. Devant ses yeux, sur la petite plaque de cuivre où doit s'inscrire le nom du propriétaire de l'auto, il venait de lire: «Lucien Chatel...»

Il se tourna vers le conducteur, et, la voix plus enrouée que jamais:

—Comment? Comment?... C'est toi, M. Chatel?

Son compagnon acquiesça d'un signe de tête. Alors, l'air piteux comme un fauve pris au piège, Charoux se lamenta. Non, vraiment, ce n'était pas chic de le laisser jaspiner, raconter ses histoires, au lieu de l'arrêter tout de suite.

Pas un instant, la tentation ne l'effleura d'user de violence, de menacer le conducteur, de le jeter bas, ou de s'enfuir. Non. En dehors de l'action, de la lutte, il était très doux. Puisqu'il était pincé, tant pis, il se rendait. Il dit, presque à voix basse:

—Alors, où que tu me mènes? A la ville? A la gendarmerie? Chez le garde?

Mais le jeune homme secoua la tête:

—Je suis le fils de ce M. Chatel chez qui vous braconnez...

Charoux l'interrompit. Et, avec une nuance de regret:

—Alors, t'es aussi proprio?

Lucien Chatel sourit:

—Mon père est industriel à Paris. Je m'occupe d'aviation.

—Les caisses qui volent?

—Oui. Je pourrais, en effet, vous conduire à la ville. Mais vous vous êtes fié à moi et je ne veux pas en abuser. Vous êtes libre.

Il stoppa. Stupéfait, Charoux restait assis auprès de lui. Enfin, le braconnier reprit haleine:

—Vrai? Vrai?

Lucien Chatel lui dit doucement:

—Mais oui. Seulement, essayez de profiter de la leçon, de travailler au lieu de braconner.

Mais Charoux n'était pas revenu de sa surprise. Il dit, en sautant sur la route:

—Ah! ben... Ah! ben!... Tu peux dire que t'es un bon fieu, toi.

Et l'auto repartait que, planté dans l'herbe du bas-côté, il criait encore:

—Tu sais, mon fistaud, je te revaudrai ça. J'ai du cœur dans le ventre, moi, sans en avoir l'air. Si jamais t'as besoin d'un gars fortiche, je serai là.

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Lucien Chatel atterrit sans encombre. Il avait à peu près atteint le point qu'il s'était fixé pour sa première escale. Parti de ses ateliers de Vincennes, vers cinq heures du soir, il s'arrêtait, deux heures plus tard, en pleine Touraine. Il aurait voulu descendre exactement au Chesnaye, dans le domaine de famille. Mais son oreille exercée discernait, depuis peu, un bruit anormal dans la marche de l'appareil. Quelque organe devait chauffer. Ç'eût été folie que de compromettre le sort de la randonnée finale, de Paris à Bordeaux, pour la puérile satisfaction de descendre sur ses terres. Sagement, il avait donc stoppé à une vingtaine de kilomètres du Chesnaye.

Il était seul. Il avait atterri à la lisière d'un bois, dans une sorte d'enclave dérobée aux regards, d'où, cependant, il apercevait la route, entre ses deux rangs de peupliers. Bien que les jours fussent longs, les paysans avaient déjà dû regagner les villages. Son mécanicien devait bien essayer de le suivre en auto. Il avait même pris de l'avance. Mais quand parviendrait-il à le rejoindre? Il ne fallait pas oublier que son appareil avait presque atteint le cent à l'heure.

Secouant la mélancolie de la solitude et du soir, Chatel se mit à la besogne. Il avait hâte de connaître le dommage. Hélas! ses prévisions étaient dépassées. Un grippage était à craindre. Continuer sa route dans ces conditions, c'était compromettre le succès de l'entreprise. Une substitution s'imposait. Mais la pièce de rechange était à l'usine. Il voulait la choisir lui-même. Et cette voiture qui n'arrivait pas...

Un moment, il s'abandonna au découragement. Il jouait une partie suprême. Véritable précurseur, il avait longtemps tenu le premier rang parmi les héros de l'aviation. Mais la chance avait tourné. D'autres aéroplanes s'affirmaient supérieurs aux siens. Alors, d'un sursaut d'énergie, il avait créé, d'après des conceptions toutes neuves, un appareil destiné, dans sa pensée, à rétablir sa souveraineté. Ses essais étaient demeurés ignorés de ses concurrents. Enfin, sûr de lui, il avait entrepris dans le mystère cette randonnée de Paris à Bordeaux avec une seule escale, dans un temps réduit à l'extrême. Devrait-il donc rester à mi-chemin? Ses rivaux auraient bientôt fait de connaître et de répandre son insuccès.

Dans le crépuscule, il sonda la route. Un nuage de poussière monta entre les deux lignes de peupliers. Chatel reconnut de loin sa voiture, où, dans l'un des deux baquets, s'incrustait son mécanicien. De son côté, le chauffeur l'avait découvert. Très vite, il le mit au courant de l'incident. Il s'agissait de rebrousser chemin ensemble, de rapporter au plus tôt la pièce indispensable. Une nuit blanche sur la route noire? Il en avait connu bien d'autres.

Mais qui garderait l'aéroplane? Il ne pouvait pas l'abandonner seul, dans la nuit, en pleins champs? Exaspéré par de récentes trahisons, il en était arrivé à un tel état de défiance qu'il redoutait tout de ses adversaires. La lutte lui apparaissait sans merci. Qui sait si on ne l'avait pas dépisté; s'il ne retrouverait pas son appareil sournoisement détérioré; si tout au moins on n'en aurait pas surpris le secret?

De nouveau, Chatel sentit le sort contraire. Mais, dans la pénombre, un homme jaillit du bois. Formidable, déguenillé, il bondit jusqu'au jeune inventeur et le dévisagea rapidement. Puis il prononça, essoufflé:

—Ah! c'est bien toi, mon fistaud. Je t'ai vu tomber, de loin. Une heure que je cours. Ce que j'en ai mis. Tu t'es pas fait mal? T'as pas besoin de moi?

Chatel se souvenait de l'avoir vu. Mais où? Quand? Il prononça:

—Qui êtes-vous?

L'homme leva vers le ciel des mains énormes. Puis il les laissa bruyamment retomber sur ses genoux repliés:

—Comment! tu ne me reconnais pas? Tu sais bien, il y a six mois... Ton gâfier, ton garde, me courait après, à cause que je bricolais dans tes bois. Alors, j'ai sauté juste dans ta bagnole, qui passait sur la route. Et toi, au lieu de me ficher dedans, tu m'as laissé partir, à quelques lieues de là. Ah! c'est moi qui n'oublierai jamais ça. Je te l'ai dit, que je te le revaudrais. T'as bien quelque chose à me commander. Tu sais, j'ai tâté un peu de tous les métiers. Je suis bon à tout.

Chatel se rappelait maintenant l'aventure. Oui, un braconnier redoutable, qui s'était pris au piège, en effet, dans sa fuite, et qu'il avait eu la faiblesse de rendre à la liberté. Il s'inquiétait de voir ce louche individu rôder autour de son appareil. Il lui dit:

—Non. Je vous remercie. Je n'ai pas besoin de vous.

Mais l'autre insistait, tenace, ses grands traits hâves allongés de réel chagrin:

—Ah! mon fistaud, c'est pas bien, ce que tu fais là. T'as pas confiance en moi, t'as tort. Tu comprends, moi, je veux ma revanche. Juste, je te vois tomber du ciel. Je me dis: «Chouette! c'est M. Chatel. Je vais pouvoir y donner un coup de main». Je galope, je galope à m'en crever. Et puis, v'là que tu me renvoies. Faut-y qu'on aille te chercher du monde? Je peux encore courir. Dans une heure, je t'aurais ramené des gens. Ou bien des fois qu'y faudrait te garder ton cerf-volant, on serait là, tu sais.

Chatel haussa les épaules. Talonné par l'heure, il avait bien pensé à confier son appareil au premier venu. Mais quoi? S'en remettre à ce braconnier qui ne saurait pas résister à la tentation, à l'appât d'une pièce d'or? Non, non, ce serait folie. Il répéta:

—Je vous remercie.

Le braconnier fit un pas en arrière, roula ses épaules formidables:

—Allons, tant pis. Je m'en vais. Mais c'est dommage. Parce que, vois-tu, mon fistaud, ça m'aurait fait plaisir de te servir. Et puis, ça m'aurait peut-être porté chance. Justement, je voulais acheter une conduite. Depuis que je t'ai vu, j'ai fait quatre mois de prison, sans que ça paraisse. Oui, oui, tu ne t'occupes pas de ces affaires-là. Mais, enfin, ton gâfier a fini par m'avoir. Et, comme on s'était un peu cogné, on m'a salé. Alors, j'ai réfléchi, entre mes quatre murs. J'ai soupé du truc. Je voudrais devenir comme les autres. Et des fois que tu m'aurais employé, ça m'aurait peut-être montré la route... Allons, bonsoir la compagnie.

Déjà, il s'enfonçait dans l'ombre. Alors, d'une brusque impulsion, Chatel le rappela:

—C'est sérieux, que vous voulez devenir un honnête homme?

—Ah! mon fistaud, vrai comme je te parle.

—Eh bien, soit. Vous allez garder l'appareil jusqu'à ce que je revienne. Je vous le confie. Vous n'en laisserez approcher personne, absolument personne...

Le braconnier, ardent et joyeux, étendit la main:

—Ah! pour ça, tu peux être tranquille. Le premier qui s'amène, je le casse.

Chatel ne put s'empêcher de sourire:

—Je n'en demande pas tant. Il vous suffira de l'éloigner. Alors, c'est entendu: je peux compter sur vous? Vous ne vous endormirez pas?

—Moi? Dormir la nuit! Tu ne me connais pas. C'est le jour que je rouffionne!

Le lendemain, dans la matinée, Chatel retrouva le braconnier à son poste. Quelques paysans regardaient l'appareil, mais à longue portée. Le gardien les éloignait, d'un poing formidable. Épanoui, il rendit compte de sa mission: tout s'était bien passé. Mais quand Chatel, la main au gousset, voulut lui régler son salaire, il s'assombrit soudain. Et, abandonnant son tutoiement, pour la première fois, tant il était indigné:

—Non, mais des fois. Monsieur Chatel, vous ne m'avez pas regardé. Est-ce que je passe pas toujours mes nuits dehors? Ça ne me change pas. Et même, c'est moi qui vous redois. Car c'est décidément moins amusant de prendre un lièvre au collet que de garder un aéroplane... 186

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Comment peindre le bonheur du braconnier Lanoix, dit le Fistaud, le jour où l'aviateur Lucien Chatel l'attacha décidément à son service? Depuis la nuit où, dans les plaines de Touraine, il avait monté la garde autour de l'appareil de Chatel, il brûlait de s'arracher à sa vie ancienne et de se dévouer au jeune inventeur. Et voilà que ce rêve de rédemption se réalisait. On le prenait comme homme de peine. Quelle joie!

Mais un fauve ne s'apprivoise pas en un jour. Le Fistaud gardait ses habitudes de sauvagerie. Il obtint de coucher dans un coin du vaste hangar où s'abritaient les aéroplanes, à la lisière du plateau de Gravelle. D'oreille subtile et de sommeil léger, il excellait à ce métier de veilleur de nuit. Puis, le jour levé, il devenait l'homme à tout faire.

En réalité, il n'avait jamais su que tendre des collets aux lapins et prendre des perdrix dans les fines mailles des «panneaux». Mais sa force, son ingéniosité, son bon vouloir ne connaissaient pas de bornes. Et il n'était heureux que quand Lucien Chatel les employait. Rôdant sans cesse autour de son maître, il épiait ses regards, devinait ses désirs. Il n'avait pas son pareil pour abattre en trois coups de hachette le taillis qui gênerait l'essor, pour arracher du sol le quartier de roc où s'accrocheraient les roues du châssis, pour repousser, avec des gestes véhéments et des harangues brèves, la foule envahissante.

Dans la cour de l'atelier, il multipliait ses exploits. Son formidable coup d'épaule valait le plus formidable levier. A lui seul, il roulait dehors un appareil, dégageait le camion embourbé, transportait les pièces massives des machines-outils, les lourdes billes de bois d'où on tirait l'armature des aéroplanes.

Mais où il se montrait le plus touchant, le plus surprenant, vraiment unique, c'était dans son zèle farouche, dans sa fervente gratitude envers le patron.

Après un beau vol de Chatel, l'enthousiasme du Fistaud éclatait en tonnerre, dépassait celui de la foule. Il se lançait dans des louanges toutes gonflées de lyrisme, déclarait à qui voulait l'entendre—et même à qui ne voulait pas l'entendre—que «M. Chatel avait bien mérité son succès, parce qu'il avait du cœur dans le ventre et de l'âme dans le cœur».

Le jour où il apprit la décoration de Chatel, il fut foudroyé de joie, comme si l'événement tombait sur lui-même. Et pour montrer à son maître combien l'émotion l'avait bouleversé, il lui dit:

—Ah! mon fistaud, j'en faisais des larmes...

Par exemple, il détestait les rivaux et les concurrents de Chatel.

L'ardeur de sa rancune lui inspirait même parfois une sorte d'éloquence et de poésie. Pour blâmer la tactique de Choper, qui rase toujours prudemment le sol, au point qu'il le toucherait sans qu'on s'en aperçût, le Fistaud ricanait:

—Il va pleuvoir demain, les hirondelles volent près de terre.

Parmi les dates mémorables de l'histoire du Fistaud, il convient de rappeler celle où on lui confia, pour la première fois, la direction d'un camion automobile, d'une de ces voitures rudes et rapides qui transportent jusqu'aux champs d'aviation l'aéroplane démonté.

Il avait très vite appris à conduire. Cela lui plaisait, ces marches forcées où l'on roulait des nuits entières, à travers la campagne et les bois, pour livrer à temps la cellule ou le fuselage attendus. Et puis, il montait en grade.

L'orgueil de sa fonction, le sens de sa responsabilité nouvelle hâtaient sa métamorphose. Il avait pris, dans sa dure et cahotante existence, le goût de la boisson. Or, peu à peu, il renonçait à l'alcool. Bon sang, il ne s'agissait pas de conduire de travers et d'entrer dans du monde!

Le jour ne vint-il pas où Lanoix eut un livret de Caisse d'Épargne à son nom? Le Fistaud capitaliste! Il en rigolait lui-même.

Parfois, cependant, sous ce vernis bourgeois, la sauvagerie reparaissait. Jamais le Fistaud, par exemple, ne parvint à abandonner son tutoiement universel. Cela n'allait pas sans quelque inconvénient. Un riche client anglais, auquel Lanoix, du haut de son camion, avait livré un appareil, dit à Chatel, quelques jours plus tard, d'un air choqué:

—Oh! Quel est cet homme que vous m'avez envoyé et qui m'a tutoyé tout le temps?

Malgré ces à-coups inévitables, le Fistaud semblait s'adapter à sa nouvelle vie. Elle lui révélait d'agréables sensations. C'est ainsi que, livrant un aéroplane à Calais, il découvrit la mer. Arrivé à dix heures du soir, il s'était levé avant le jour, tant l'impatience l'agitait. Dans l'obscurité, il avait marché sur la plage, jusqu'à rencontrer le flot. Et là, les pieds dans l'eau, il avait attendu l'aurore.

C'est vers la même époque que Lanoix fut initié aux joies du théâtre. Son patron lui avait donné un billet pour une féerie à grand spectacle. Dès quatre heures de l'après-midi, le Fistaud, luisant de pommade, partit à pied de Vincennes pour le Châtelet. Il avait peur d'arriver en retard. Ce fut une merveilleuse soirée. Sûr que ce n'était pas du riflot. Malheureusement, elle ne se passa pas sans heurt. Des spectateurs jacassant dans une loge voisine, le Fistaud prétendit leur imposer silence en brandissant un poing formidable. Un peu plus tard, il faillit se faire expulser. Le héros enlevait l'héroïne en aéroplane. Et comme l'appareil glissait au long d'un fil d'acier, le Fistaud, soudain dressé, protesta avec véhémence:

—Y triche! Y triche!... Y a une ficelle!

Qui sait ce qu'aurait duré cette vie de délices? Mais le Fistaud pécha par excès de zèle. Un jour, rôdant autour des ateliers, il tomba en arrêt devant un ouvrier endormi sur un tas de copeaux. Le malheureux avait travaillé la nuit précédente, et le sommeil l'avait terrassé. Mais Lanoix n'entrait pas dans ces détails-là. Qu'on pût dérober à M. Chatel des heures d'atelier, des heures payées, voilà ce qu'il ne pouvait admettre. Indigné, il réveilla le camarade d'un coup de botte. L'autre goûta mal la leçon. On en vint aux arguments frappants. La victoire resta au Fistaud qui, d'un coup de barre de fer, décolla presque l'oreille du dormeur.

L'atelier ne sut pas estimer cet exploit. On trouva que le chien de garde dépassait son rôle. Et l'on jugea sa présence intolérable. Lucien Chatel le comprit. Mais, n'osant pas rejeter Lanoix à sa louche existence d'autrefois, il se proposa de l'attacher à son service personnel.

Une circonstance dramatique devait d'ailleurs, bientôt après, hâter sa résolution. Décidément partisan d'une justice expéditive, le Fistaud exécuta froidement, d'un coup de revolver, l'auteur d'une tentative criminelle, heureusement avortée, dont le jeune aviateur devait être la victime. Lanoix fut acquitté devant la Cour d'assises. Mais Chatel, qui venait précisément de se marier, saisit cette occasion d'attacher au logis son redoutable chien de garde.

Le Fistaud accepta. Dans la petite maison de Saint-Mandé, où habitait Chatel, il déploya son ardeur et son industrie. Il jardina, frotta, astiqua, donna la main aux gros ouvrages, courut aux commissions pour la cuisinière.

Pénétré de respect pour l'asile de son dieu, il circulait à pas feutrés de cambrioleur.

Cela dura tout un hiver. Puis, le Fistaud devint languissant. Ses soupirs ébranlaient les cloisons. Enfin, un matin de printemps, il se confessa devant Chatel, oubliant, dans cette circonstance solennelle, de le tutoyer:

—Écoutez, Monsieur Chatel, je peux plus durer. Je manque d'air, ici. C'est pas ma faute. La maison est chaude. La table est bonne. Je roule sur l'or. Mais enfin, j'étouffe. Je pèse six cents kilos. Je peux plus être frottisseur. Ce goût d'encaustique, ça me donne mal au cœur. J'ai besoin de passer des nuits dehors, de rouler, d'être libre. C'est plus fort que moi. Alors, faut que je parte. Faut que je retourne là-bas, en Touraine, par chez vous. J'oublierai jamais comme vous avez été bon pour moi, Monsieur Chatel. Aussi je vous promets que j'irai jamais plus braconner sur vos terres. Non, ça, jamais. Je bricolerai chez les voisins... 196

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LE NID

LE NID

Cette fois, c'était bien décidé. On tentait le grand coup. Depuis trois semaines que l'on était prêt, le vent et la pluie n'avaient pas discontinué. Enfin, le beau temps semblait s'établir. On allait vite en profiter. Car on n'est jamais sûr de rien, dans ce changeant mois de mai.

Donc, la veille au soir, on était parti en auto pour Bourges, où l'aéroplane était garé en bordure du polygone. Toute une escouade à bord: l'inventeur Chatel et sa charmante femme; Belot, auquel on devait le moteur; le peintre Aussard, passionné d'aviation; le mécanicien Boulon et son fidèle acolyte Rocat.

Toute cette jeunesse—Aussard, l'aîné, touchait juste la trentaine—respirait l'espoir. Pas un qui ne fût convaincu du succès de la tentative. Aux derniers essais, trois semaines plus tôt, Chatel n'était-il pas resté trois heures en l'air, sans un raté, sans une alerte? Il était descendu volontairement. Il lui restait, dans son réservoir, juste autant d'essence qu'il en avait usé. Donc rien ne s'opposait à ce qu'il réussît sa randonnée de Bourges à Paris.

Aussi, il fallait les entendre, tandis qu'au point du jour l'auto les emportait vers le hangar. Ah! le frisson de l'aube n'arrivait pas à refroidir leur enthousiasme. Tous, depuis la fervente compagne de l'aviateur jusqu'à l'apprenti Rocat, avaient dans Chatel une foi absolue. Il triompherait. Et cette randonnée frapperait les esprits, attirerait définitivement l'attention sur l'appareil de Chatel et le moteur de Belot, achèverait de consacrer la gloire des deux inventeurs.

Le mécanicien Boulon ouvrit la petite porte du hangar. Tous y pénétrèrent à sa suite. Dans la pénombre, l'aéroplane tendait ses ailes claires. Et tout à coup:

—Oh! voyez donc, s'écria Mme Chatel.

Une hirondelle se heurtait aux cloisons, tournoyait, d'un vol affolé.

—Sûr qu'elle se sera glissée dans le hangar et qu'elle aura fait son nid dans un coin, grommela Boulon. C'est pas cérémonieux, ces bêtes-là. Ça s'installe partout.

Elle ne s'échappa que quand les panneaux mobiles eurent démasqué la grande baie. Mme Chatel, sur le seuil, la suivit des yeux.

Cependant, on activait les préparatifs. Boulon se multipliait, attentif et dévoué. Il stimulait Rocat: «L'eau, l'essence... allons, hop!» Belot, méticuleux, le lorgnon pinçant le bout du nez, la pointe de barbe en arrêt, inspectait en tous points son moteur. Chatel, très calme, vérifiait les tendeurs et les commandes. Dans un coin, Aussard crayonnait un croquis sur son bloc-notes.

Quand tout fut prêt, on sortit soigneusement l'appareil. Le ciel restait pur, l'air calme. Un temps à souhait. Et soudain Mme Chatel s'écria encore:

—Oh! regardez! L'hirondelle... l'hirondelle du hangar! Elle ne s'est pas éloignée. Je l'ai bien suivie. Et maintenant elle tourne autour de l'aéroplane. Que veut-elle donc?

L'apprenti Rocat, subtil et souple, se haussait, se baissait, fouillait du regard tous les coins et recoins de l'appareil. Et tout à coup, désignant l'angle de deux surfaces, aile et cloison, il eut un cri de triomphe:

—Tiens, pardi! Elle a fait son nid dans l'aéroplane...

Le peintre Aussard tendit l'oreille:

—Et le joli, c'est qu'il y a des petits!

Évidemment, c'était tout simple. Comme le mauvais temps avait suspendu les essais depuis près d'un mois, l'oiseau s'était glissé dans le hangar, avait appuyé son nid à deux parois de toile, avait pondu, couvé, et voyait maintenant avec stupeur traîner sa nichée au grand jour...

Ce n'était rien. Mais le curieux, c'est que ce «rien» prit subitement une importance capitale. Toujours l'histoire du grain de sable dans l'organisme et qui peut en suspendre la vie, l'éternel contraste des petites causes et des grands effets.

Tous les six, le menton levé, les mains oisives, contemplaient le nid, comptaient les becs ouverts, au moins une demi-douzaine. Un instant, ils en oubliaient l'audacieuse randonnée et tous les longs espoirs flottant dans son sillage.

Puis des avis s'affirmèrent, simultanément.

—Faut l'enlever, décida Boulon.

—N'y touchez pas! s'écria Mme Chatel.

—Pauvres petiots! murmura le peintre.

—C'est plutôt la mère, qu'est pas à la noce, dit Rocat.

—A moi le record! sourit Chatel. J'emmène au moins six passagers.

Puis il y eut un moment de stupeur, à voir combien les opinions différaient et se passionnaient, sur un si minuscule incident. Qu'allait-on décider? Seul, Belot, homme précis, n'avait pas soufflé mot. Chatel l'interrogea:

—Et vous, Belot, qu'est-ce que vous en pensez?

L'ingénieur le regarda par-dessus son lorgnon et détacha nettement:

—J'écoute, et je constate que le problème a trois solutions: 1o partir en détachant le nid; 2o partir en emportant le nid; 3o ne pas partir...

Et de nouveau, le silence tomba, un vrai silence d'angoisse, tant le choix apparaissait délicat, difficile.

Pathétique, Mme Chatel rompit la trêve:

—Il ne faut pas le détacher. Il fait corps avec la toile et les tendeurs. On le briserait. On ne l'aurait qu'en miettes. Et ça porterait malheur à l'aéroplane, au voyage, à mon mari. Non, non, je ne veux pas.

—Cependant, dit le peintre, si Chatel emporte ces petits à 80 à l'heure, ça leur coupera la respiration. Et que deviendra leur mère?

—Elle les suivra, affirma l'apprenti Rocat.

—Quand on pense, gémit Boulon, quand on pense que M. Chatel serait déjà à cinq lieues d'ici, sans ces sacrées bestioles-là!

—Voyons, voyons, déblaya Chatel, je ne peux tout de même pas renoncer à partir, à abandonner mon projet, pour un nid d'hirondelles. Nous sommes là à nous emballer. C'est ridicule...

—Eh bien, alors, résolut Mme Chatel, emmène-les. Le petit a raison: la mère suivra. Elle les retrouvera à l'arrivée. Et ça te portera chance, comme ça porte chance au toit qu'elles choisissent.

Son avis l'emporta.

Déjà, malgré l'heure matinale, les curieux commençaient d'accourir. Chatel fit de brefs adieux, mit en marche, s'assit au volant. L'aéroplane rasa le sol, prit son essor.

Et les cinq autres, dans l'automobile qui devait essayer de suivre l'audacieuse randonnée, assistaient au double drame. Le gros oiseau blanc encore hésitant, encore maladroit, qui tentait son premier grand vol en ligne droite. Le tout petit oiseau noir, se jouant de la course, et qui dominait son énorme rival, lui tenait tête, l'enveloppait de grands cris éperdus et maternels.

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Parmi les grands aviateurs de demain, il faut compter Paul Epernon. Il a étudié et construit un appareil dont les essais sont gros de promesses et qui marque un progrès sensible sur les types existants. Epernon a toutes les qualités du pilote: la science et la patience, le flegme et l'audace. Il est jeune, cultivé, séduisant, aussi bien renté qu'apparenté. Bref, tout lui prépare un magnifique essor.

Je lui demandais l'autre soir comment il avait été amené à entreprendre la conquête de l'azur, à se «vouer au bleu», selon sa propre expression. Il se confessa de très bonne grâce.

—Naturellement, me dit-il, l'aviation m'a attiré dès ses débuts. Mais j'admirais en spectateur. J'hésitais à me mêler à la lutte. Et c'est un incident précis qui m'a jeté dans l'arène.

«C'était l'hiver dernier. J'avais été passer quelques jours à Castagnari, sur le lac Majeur. Ce voyage n'aurait rien d'héroïque—surtout depuis que la percée du Simplon permet de l'effectuer en treize heures—s'il n'entraînait, aller et retour, quatre passages à la douane.

«J'ai la douane en horreur. Je suis stupéfait que notre dignité, notre respect de nous-même, puissent s'accommoder d'un procédé aussi barbare. Tenez. Je m'amuse à noter sur un carnet ce que j'appelle «les étonnements de nos petits-neveux». De même que nous admettons difficilement l'arrogance des seigneurs qui faisaient battre l'eau des douves pour imposer silence aux grenouilles, la misère des paysans réduits en plein XVIIe siècle à manger de la terre, la saleté physique de la Cour du Grand Roi, de même notre état social actuel provoquera des surprises chez nos descendants. Eh bien, je suis certain qu'ils seront spécialement ahuris par notre douane et notre octroi.

«Mais j'arrive au fait. J'ai donc, pendant ce court voyage au lac Majeur, goûté et comparé les façons de trois douanes: la suisse, l'italienne et la française. Il faut l'avouer: les procédés de nos voisins sont courtois, à côté des nôtres. Ah! cet arrêt au retour, à Pontarlier, vers une heure du matin, dans la neige et la tourmente! Le train en tremblait. Déjà, nous avions plus d'une heure de retard. Mais n'allez pas croire que les opérations de la douane en furent hâtées d'une seconde. La terre croulerait que ces gens-là ne vous feraient pas grâce d'une formalité.

«J'étais seul dans mon compartiment. Un premier fonctionnaire passa et, sans phrase, releva les stores qui voilaient la lumière. Puis il me demanda si j'avais une malle aux bagages. Je lui répondis négativement.

Un deuxième employé, dix minutes plus tard, m'ordonna de tenir ma valise ouverte pour la visite. Vingt autres minutes s'écoulèrent. Je voyais, à travers la vitre, de pauvres gens, tirés du sommeil, qui s'acheminaient sous la neige vers la salle des bagages.

«Enfin, un troisième individu parut dans le couloir. Il était vêtu d'un paletot et coiffé d'une casquette dorée. Il avait un binocle, de longues moustaches blondes, l'air narquois et souverain. Méthodique, il s'accota au montant de la porte, se caressa le menton de deux doigts et me demanda, subtil et satisfait:

«—Qu'est-ce que vous avez à déclarer?

«Admirez l'insidieuse question. Il ne doutait pas: j'avais quelque chose à déclarer. Je cachais certainement dans ma valise un objet soumis à la taxe. Il le voyait. Je n'avais plus qu'à le découvrir bon gré mal gré. C'était canaille, mais c'était habile. Quiconque ne se serait pas senti la conscience tranquille se fût troublé. Je lui répondis avec l'accent de la rage et de la vérité:

«—Je n'ai rien à déclarer.

«Alors il se tourna vers un acolyte qui portait le classique uniforme des douaniers et que je n'avais pas encore aperçu dans le couloir. Il fit un signe, dit un mot:

«—Fouillez.

«Je bondis:

«—Monsieur, je viens de vous dire que je n'avais rien à déclarer!

«Mais il feignit de ne pas m'entendre et s'éloigna. Ainsi, cet homme avait le droit de douter de ma parole! Quand je lui crie que je n'ai rien à déclarer, il peut passer outre et tenir mon affirmation pour nulle. Dans la vie normale, je souffletterais à tour de bras l'individu qui se permettrait de me soupçonner de mensonge. Une rixe ou un duel s'ensuivrait. Ici, je dois m'incliner devant l'injure de ce bas fonctionnaire. N'est-ce pas odieux et grotesque?

«Cependant l'acolyte se disposait à exécuter l'ordre de son chef. Ses grosses mains s'abattirent sur mon sac. Elles écartèrent les objets ingénieusement rangés, se frayèrent un chemin, parvinrent au fond, remontèrent, palpant tout, bouleversant tout, violant tout.

«Je ne sais pas de spectacle plus révoltant. Nous avons aboli le cabinet noir. Une lettre, une simple lettre nous est sacrée. Et un quidam quelconque, au nom de la loi, peut éventrer nos malles et nos paquets. Y a-t-il cependant rien de plus intime qu'une valise? Nous y avons entassé des choses qui ont servi à nous vêtir, à nous laver, des choses si proches de nous qu'elles sont un peu de nous. C'est notre vie condensée, avec ses souvenirs, ses secrets, ses pauvres servitudes. Et un inconnu vient tirer tout cela à la lumière!

«Le douanier, n'ayant rien trouvé, se relevait avec un soupir. Je croyais en avoir fini. Quelle erreur! Il céda la place à un second sbire qui stationnait dans le couloir. Celui-ci était armé d'une immense tringle de fer, terminée par un crochet. Et si longue, si longue, que malgré l'habitude, il la cognait partout, aux cloisons, aux vitres, s'entravait aux portes, n'avançait qu'à une allure titubante d'ivrogne. Enfin il parvint à l'introduire dans mon compartiment, la glissa sous les banquettes, racla les planchers, sonda les plus obscurs recoins, ramena de vieux chiffons, des pelures d'orange, toutes sortes de menues ordures oubliées dans l'ombre. Il tenait à la fois de l'inquisiteur et du ramasseur de mégots.

«Donc, j'étais soupçonné—et le soupçon pesait sur moi seul, puisque je n'avais pas de voisin—d'avoir caché un objet prohibé sous les banquettes. J'avais pu, me couchant dans la poussière du plancher, glisser une boîte de cigares dans cet infect réduit. Peu importait ma déclaration, ma bonne foi, ma probité... Je pouvais être un menteur, après tout!

«J'étais indigné. Je suffoquais. Et c'est de cette minute-là que date ma vocation. Les poings serrés, j'évoquai la folle joie de faire la nique à ces gardes-chiourme, de hâter la fin de cette barbarie. Je voulus me joindre à la petite escouade qui prépare les temps futurs, avancer l'ère où les États devront demander, par la force des choses, leurs ressources à des moyens moins avilissants.

«Je veux être le premier à franchir, en aéroplane, une frontière. Avant que—par une réaction dérisoire, mais inévitable—on n'essaie d'entraver l'irrésistible mouvement par des saisies à l'atterrissage, je veux donner l'exemple. J'irai m'installer dans la plaine de Neufchâtel. Je passerai le Jura, précisément au-dessus de Vallorbes et de Pontarlier. Et dans un instant voluptueux, qui me paiera de mon labeur et de mes risques, je tiendrai, ahuris et penauds, mon homme galonné et ses sbires à leur vraie place, sous mon séant...»

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Vers la cinquantaine, M. Gilet, petit boutiquier batignollais, veuf, sans enfant, hérita une maisonnette au milieu d'un clos, dans un village bourguignon. Il s'y fixa. Et dès lors, l'instinct propriétaire, qui couvait en lui, fermenta, se déchaîna avec une violence furieuse.

Le désir de s'affirmer, de durer, de se prolonger par la possession est au cœur de l'homme. Mais, dans cette âme étroite et mesquine, il prit sa forme la plus vile et la plus répugnante.

M. Gilet jouit de son bien avec un égoïsme épais, une jalousie féroce. Nul ne franchissait son seuil. Il n'avait de tendresse que pour sa terre, ses fruits et ses légumes. Car il avait proscrit les fleurs, qui tiennent une place inutile.

Pendant des manœuvres, un paysan voisin tua d'un coup de fusil un petit soldat harassé qui cueillait des cerises dans son champ, au bord de la route. M. Gilet l'admira. Et il glorifia dans son cœur un autre rural qui, pour ne pas perdre de terrain, cultivait, tour à tour, le blé, la betterave et la luzerne sur la tombe de ses parents.

Bref, séché, racorni, courbé vers la terre, agité pour elle d'une passion honteuse, il vivait, entre les quatre murs de son enclos, l'existence la plus bornée, la plus rance et la plus fétide.

Or, un jour, devant le morceau de journal qui enveloppait son hareng saur quotidien, il tomba en arrêt. Il s'agissait de propriété. A propos d'aviation, on exhumait l'article 552 du Code: «La propriété du sol entraîne la propriété du dessous et du dessus.» Suivaient quelques développements.

M. Gilet relut plusieurs fois le journal. Il possédait le dessous et le dessus! Cette pensée pénétrait dans son cerveau, gagnait du terrain, à la façon du sérum injecté qui peu à peu envahit tout l'organisme.

Il rappela ses souvenirs d'école, lut, se renseigna. Ainsi, il possédait le sous-sol, jusqu'au centre de la terre. Évidemment, c'était flatteur. Mais cet invisible, ce noir domaine, si profond qu'il fût, avait des bornes. Tandis qu'au-dessus de sa tête, son royaume s'étendait à l'infini. A l'infini! Cela surtout le grisait, l'étourdissait de vertiges.

Il exigea des précisions, voulut connaître le contour exact de son empire. C'était une sorte de pyramide renversée, gigantesque, qui partait du centre du globe, s'appuyait aux limites de son terrain et qui s'évasait, s'évasait toujours, à mesure qu'elle s'élevait dans le ciel...

Et, à l'intérieur de ce cornet prodigieux, tout était à lui!... Oh! le vol des aviateurs ne lui apparaissait que comme une menace lointaine. Le jour venu, on aviserait. Ce qui le foudroyait, c'était la révélation, le sens de la possession immédiate, infinie.

Lui qui, depuis des années, vivait penché sur la terre, peu à peu, relevait la tête. Il découvrait l'espace, son espace.

Ainsi, ils vivaient chez lui, tous ces papillons bariolés, pareils en s'ébattant à de petits drapeaux qui jalonneraient la marche du printemps, pareils en s'élevant à des fleurs qui s'envolent.

Ils passaient chez lui, ces oiseaux qui montaient, planaient, descendaient, qui lançaient des cris d'ivresse éperdue et signaient leurs grands paraphes sur la page bleue du ciel.

Ils étaient à lui, ces parfums qui voguaient dans l'air, au-dessus de son clos. Parfum sucré des lilas, parfum chaud des blés mûrs, fin parfum de la vigne, âmes de fleurs éprises, baisers odorants qui cherchent où se poser. Et il les respirait avec délices, la face élargie.

A lui, le beau nuage aux flancs dorés, dont la forme changeante semble tour à tour imiter en reflet tous les spectacles de la terre, le troupeau, la montagne, le visage humain, le corps de la femme, la mer...

A lui, tous les astres qui s'allumaient au zénith. Le cerveau craquant, il apprit leur vie, leurs mœurs, leur éloignement insensé. Ainsi, il possédait des mondes, des soleils, des univers, encore plus loin, toujours plus loin, sans fin... Et pareil au bouquet de fête dans sa robe de papier blanc, son domaine, s'évasant sans cesse, jetait à l'infini sa gerbe d'étoiles.

Et M. Gilet, perdu dans sa contemplation, décidément levait le front. La terre passait au second plan, cessait d'être pour lui l'unique attrait de la vie.

Les liens étroits qui l'attachaient au sol se détendaient. Il planait dans son domaine sans bornes. Et il devenait indulgent et magnanime, comme tous ceux qui regardent de haut la fourmilière humaine.

Son intelligence brisait sa coque dure, s'aérait, suivait le nuage, les parfums, les oiseaux, montait jusqu'aux étoiles. Les vastes pensées descendaient en lui, puis l'emportaient d'un coup d'aile.

C'est ainsi qu'en une métamorphose singulière ce petit propriétaire racorni se redressa, s'éleva, s'élargit, s'accrut, s'épanouit, grâce au bienfait de l'article 552.

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Quand Cagnard reçut l'invitation à déjeuner du roi d'Illyrie, il plissa le front et se gratta les cheveux sous sa casquette. Il était très embêté. On peut être roi de l'air sans avoir l'habitude des cours. Sacrédié de sacrédié... Comment se tirer de là?

Pas moyen de refuser. On était au deuxième jour de la semaine d'aviation de Numarest, la capitale de l'Illyrie, semaine dont Cagnard faisait tous les frais. Lisez qu'il en palpait tous les prix. Non, il ne pouvait pas se défiler, faire une crasse au souverain de l'endroit.

Mais quelle barbe! On a beau avoir été contremaître dans une usine d'autos, ce n'est pas en grattant sur un moteur qu'on apprend les pirouettes et les ronds de jambe. Vrai, à l'école des pilotes, on devrait vous enseigner les belles manières. C'est très joli, de savoir décoller vite, virer sec, atterrir dans un mouchoir. Mais puisqu'on est appelé, par le temps qui court, à fréquenter des majestés, on devrait aussi s'entraîner à ce métier-là.

Bah! Le mieux était d'y aller gaiement. Il en avait vu bien d'autres. Bouffer chez un roi, ce n'est pas plus terrible que de couper l'allumage à mille mètres. Faut un commencement à tout. Et puis, ça lui servirait: il se ferait la main, sur un monarque de second ordre. Des fois que, plus tard, le tsar ou le kaiser l'inviterait.

Le moment venu, Cagnard aborda donc crânement l'obstacle. Comment s'habille-t-on, pour croûter au palais? Il n'avait pas d'habit, pas de smoking. La belle affaire! Il mettrait ce qu'il avait de mieux, son veston des dimanches. Par là-dessus, une cravate d'un rouge éclatant, des croquenots vernis à faire cligner des yeux. Si le roi n'était pas content!...

Désinvolte, il passa devant la sentinelle qui, le schako sur les sourcils et le fusil raide au long du corps, montait la garde au seuil du palais. Mais à peine s'engageait-il sous le porche qu'une sorte d'amiral tout chamarré bondit d'une loge, comme un chien de sa niche. Il prononça des paroles impérieuses. Cagnard n'y comprit rien. Mais il lui fourra son carton sous le nez. Aussitôt l'autre s'apaisa et requit un soldat du poste afin d'accompagner l'invité du roi.

—Hein? Ça lui en a rodé un clapet, déclara le pilote satisfait.

Au côté de son compagnon, il traversait une immense cour pavée, chauffée à blanc par le soleil de midi.

—Dis donc, mon vieux, demanda Cagnard, est-ce qu'il fait aussi chaud que ça tous les jours, dans ton patelin?

Mais le soldat ne pipait pas. Il ne comprenait même pas le français. Paysan, va!

Au faîte d'un perron, un deuxième pipelet, plus chamarré encore que le premier, accueillit l'aviateur. Il portait une chaîne d'or au cou et un sabre au flanc. Drôle d'idée de traîner un bancal pour tirer le cordon. L'homme à la chaîne lut encore le carton puis, d'un geste noble, indiqua un escalier, si large qu'on aurait pu le monter en biplan. Trois grands coups de timbre tombèrent dans le silence.

—Chouette, on annonce bibi, murmura Cagnard.

Il grimpa. Un tapis doux comme de la mousse couvrait les marches de marbre. Partout des plantes et des statues. Au palier, un troisième larbin, en gants blancs et culotte courte, salua d'un petit signe protecteur.

«Celui-là est à la coule», pensa-t-il.

Il le suivit. Ils traversèrent une antichambre blanche, toute en glaces, comme un café; puis un billard, d'un sérieux et d'un cossu de cathédrale. Enfin, ils s'arrêtèrent dans un salon. Mais quel salon! Même au musée, même au théâtre, on ne voyait pas si beau. Cagnard fit entendre un claquement de langue admiratif. Il voulut féliciter le larbin du goût de son patron. Mais la culotte courte avait disparu.

Tant qu'il avait fallu monter à l'assaut, le pilote avait crâné. Mais maintenant qu'il était dans la place, tout seul, sa belle assurance le lâchait. Il restait debout, immobile, car, dans cette pièce-là, les sièges n'étaient pas faits pour s'asseoir, ni les tapis pour marcher.

Une question surtout le préoccupait. Comment appeler le roi? Il n'avait pas pu se renseigner. Il ne connaissait personne dans la ville. Et il n'avait emmené avec lui que son mécano qui, évidemment, ne pouvait pas lui être d'un grand secours dans la circonstance. Disait-on Sire, Majesté, Altesse? Si on l'appelait monsieur, il se froisserait.

Et comment le saluait-on? Révérence, poignée comble de l'élégance consistait à balancer agréablement le haut du corps, en glissant en même temps la semelle sur le plancher, à la façon d'un frotteur. Mais il n'en était pas très sûr.

Le roi... Cagnard le reconnut, l'ayant entrevu la veille aux tribunes. Il était en veston. Bonne affaire. Et puis il parlait français. On pourrait s'entendre. Dame, tout en complimentant l'aviateur, il gardait bien des airs de grand chef, de monsieur qui a des moyens. Mais il ne pouvait pas s'en déshabituer d'un coup, cet homme. On l'avait élevé comme ça. Et malgré tout, il y aurait du bon, si l'on déjeunait dans le tête-à-tête.

Le tête-à-tête... Ah! bien oui! On était une douzaine à table. La reine, d'abord, et des chambellans, et des aides de camp, des tas de gens pincés, lisses, glacés à frapper les carafes. Le pauvre Cagnard avait beau se dire que la reine ressemblait à la patronne d'un petit bistro de Billancourt, il en perdait tout de même la direction.

Sûr, qu'il n'était pas dans son équilibre pendant le repas. Vous parlez, qu'il avait les grosses sueurs. Et pour tout. De quel couvert se servait-on, pour les hors-d'œuvre? De la petite fourchette à deux pointes, du couteau d'argent? Il en avait toute une trousse, devant lui. Et où replaçait-on son outillage? Sur la nappe, ou dans l'assiette? Et puis des déveines. Ainsi, les tranches de jambon étaient mal coupées dans le plat. Elles tenaient ensemble. Quand on en tirait une, il en venait quatre.

A tout moment il manquait de pain, dont on lui donnait des lichettes de rien. Et c'était aussi embarrassant d'en redemander que de rester le couvert en l'air. Autre supplice, de sculpter les os avec la fourchette et le couteau, au lieu d'y mettre franchement les doigts. A chaque instant, il tremblait de les faire sauter au milieu de la table. Puis la reine, sa voisine, s'avisant de lui poser une question tandis qu'il buvait, il faillit s'étrangler pour lui répondre. Ah! ce qu'il avait envie de se faire la paire!...

Enfin, on apporta des bols d'eau chaude, où trempaient des violettes. Chacun fit sa petite toilette. Les mains, la bouche. Pourquoi pas les pieds? C'était assez dégoûtant, de se laver à table. Mais Cagnard était vague. L'émotion, la gêne, les vins qu'il avait humés au petit bonheur dans l'escouade de verres alignés devant lui, tout cela lui composait une sorte d'ivresse morne et de vertige sans joie.

Quand il quitta la salle à manger, la reine à son bras—c'était roulant!—une seule idée fixe émergeait de son esprit troublé comme un pylône dans un brouillard: ouf! c'était fini.

Cependant, une heure plus tard, Cagnard s'élève en lentes spirales au-dessus de la ville à bord de son biplan. Sa mémoire s'éclaircit au vif de l'air. Il revoit ses épreuves, sa gaucherie, ses bévues, les sourires pincés des chambellans, les regards amusés qu'échangent à la dérobée les souverains. Ce qu'il a dû gaffer. Ce qu'on a dû se payer sa tête. Bon sang! Il en rougit, rien qu'à se souvenir. Tout de même, ce n'est pas juste, des différences pareilles, et que les uns soient élevés dans du coton, et les autres à la dure...

Mais il se penche. A cinq cents mètres au-dessous de lui, toute la ville est dehors. Au flanc des collines environnantes, des files humaines descendent, ruissellent, qui vont grossir la foule et l'acclamer à l'atterrissage.

Et une pensée l'éclaire et le dilate. Lui aussi, on l'ovationne, et mieux qu'un souverain! Quand on l'applaudit, ce n'est pas par habitude, c'est pour lui-même, pour son énergie, pour son sang-froid, pour son courage. Lui aussi, il a un trône, fait d'un bout de sapin, c'est vrai, mais un trône qui vole. Son sceptre est son volant. Et lui, il a vraiment les peuples à ses pieds. Il a le pouvoir. Il règne... Alors pourquoi se frapper, se croire inférieur, pour quelques singeries de salon qu'on ne sait pas?

Et, ragaillardi, vengé, Cagnard s'apostrophe gaiement:

—Mais, mon salaud, c'est toi, le vrai roi!

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Dans l'aube indécise, à la lisière de la forêt où il s'était posé la veille au soir, le monstre de toile apparut. L'aviateur et son mécanicien dormaient à l'abri de ses ailes.

Alors, dans le monde des oiseaux et des insectes, où l'on se lève avec le jour, ce fut bien vite un ramage, un bourdonnement inusités. Ce géant les intriguait et les inquiétait. Était-il mort, ou simplement endormi? La curiosité, la peur, hantaient les cervelles. On s'interpellait, on s'interrogeait. De tous les points de l'horizon, franchissant les monts et les bois, la gent ailée se concentrait autour du biplan. Un congrès s'institua dans l'aurore.

Un moineau couleur de poussière, qui avait roulé sa boule à travers le monde, et qui avait assisté aux premières envolées d'Issy-les-Moulineaux, donna la clef du mystère. On avait sous les yeux une sorte d'oiseau construit et monté par les hommes.

Une clameur énorme s'éleva. Par les hommes! Quoi, les hommes quittaient vraiment la terre, leur domaine? Ils osaient se lancer, d'un essor définitif, à la conquête des airs?

Les avis s'entre-croisaient, dans un tumulte assourdissant.

Une alouette, que grisait déjà la rosée du matin, s'écria d'une voix éperdue:

—Ce n'était pas assez de nous fusiller! Ils nous envahissent!

Et, aussitôt, on sortit tous les vieux griefs accumulés contre la race détestée. Une autruche, accourue du désert, érigea son col nu et congestionné:

—Ils nous arrachent nos plumes pour les mettre aux chapeaux de leurs femmes!

Une fauvette se lamenta:

—Leurs enfants détruisent nos nids.

Le paon, superbe de courroux:

—Ils ont fait des plumeaux de mes plumes.

La basse-cour, qui avait perdu dans la servitude l'usage de ses ailes, s'indignait d'autant plus aigrement contre l'homme volant. Une poule gloussa, en baissant une pudique paupière:

—A peine attendent-ils que nous ayons pondu pour nous prendre nos œufs.

Le coq jeta, le jarret tendu, l'œil sanglant:

—Ils mettent nos crêtes en vol-au-vent.

Le dindon secoua un jabot violacé de fureur:

—Ils ne nous gavent que pour nous manger.

Amer, le chapon précisa ses scabreuses rancunes.

Cependant quelques dissidents penchaient vers l'indulgence. Un pinson lança gaiement:

—Bah! Ils nous donnent leurs jardins.

—Nous leur donnons nos chants, répliqua fièrement le rossignol.

L'hirondelle risqua:

—Ils fêtent mon retour...

Mais un hibou coupa, très sec:

—Ce n'est pas toi qu'ils saluent, c'est le printemps.

Un papillon balbutia:

—Ils nous laissent les fleurs...

—Ils nous prennent le miel, bourdonna l'abeille.

Une grue rêva, en lissant ses plumes:

—C'est chic, les hommes...

La colombe roucoula:

—Ça doit être joli, de s'envoler à deux, sous la même paire d'ailes...

Mais ces voix favorables étaient aussitôt couvertes par des cris de colère.

Un pierrot, assidu des réunions publiques, s'écria:

—Citoyens, on veut nous affamer. Tous ces engins du diable suppriment le cheval, bon semeur de crottin, qui nous donnait, si l'on peut dire, la becquée...

Un pigeon voyageur, qui portait sur les ailes l'estampille officielle, secoua, d'un élan de révolte, le joug hiérarchique:

—Ces machines me dégoûtent à jamais de porter des dépêches. Vive la grève!

Le pélican, mélancolique, nargua le radiateur:

—Ça, des entrailles? Qu'ils les donnent donc en pitance à leurs enfants!

Un manchot, jaloux, agita ses moignons inutiles:

—Et ça voudrait voler!

Les becs acérés claquaient de haine. Un vieux corbeau, qui s'était régalé sur des champs de bataille, décréta:

—L'homme, ça n'est bon que quand c'est mort.

Docte, un gros perroquet ricana:

—Figurez-vous que les hommes passent leur temps à répéter mes paroles...

Une libellule poussa le coude aigu d'une sauterelle, en lui montrant l'aéroplane:

—En somme, de la contrefaçon, ma chère.

Les insectes, en essaims pressés, animaient les airs de leur fureur sonore. Les mouches clamaient qu'on les empoisonnait, qu'on les embouteillait, que les hommes leur faisaient expier par mille morts le crime de vivre. Les hannetons racontaient les tortures que leur faisaient subir les écoliers... Les moustiques, altérés de sang, criaient que l'heure de la revanche était venue.

Aveuglés de rage, tous chargeaient les hommes des travers et des vices dont ils étaient eux-mêmes le symbole. La pie les traitait de voleurs, la linotte d'écervelés, le coucou de paillards...

Soudain, tout se tut. L'aigle planait sur l'assemblée. Ses vastes ailes répandaient de l'ombre. On eût dit que la nuit revenait, qu'il avait, sous son fixe regard, contraint le soleil levant à rentrer sous l'horizon. Il parla:

—Oui, vous avez raison. L'homme est coupable de tous les forfaits que vous rappelez. Et celui dont il nous menace les dépasse tous. Il ne faut pas qu'il l'accomplisse. L'espace est à nous. Je ne veux pas que ces machines humaines viennent nous briser de leur masse ou dans leurs remous. Je ne veux pas qu'elles violent le ciel, notre ciel. Sauvons l'empire des ailes. Unissons-nous contre l'envahisseur. Mettons en œuvre contre lui tous les moyens de défense dont nous arma la nature. Que tous les becs, que toutes les griffes, lacèrent les étoffes et crèvent les yeux. Que tous les dards plongent, que tous les venins empoisonnent. En avant!

Il dit et, suivi de la horde innombrable, fond vers la terre. Mais tout à coup, de furieuses détonations éclatent et crépitent, ininterrompues. L'air tremble comme un drapeau dans le vent. Le moteur est en marche! Et c'est aussitôt, dans le ciel, une soudaine déroute, la panique des ailes, un gigantesque bouquet d'oiseaux qui fuse et s'éparpille, tandis que, majestueux, l'aéroplane s'enlève, auréolé par le soleil... 246

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Nous avions déjà le champ de bataille, le champ de manœuvre, le champ de courses. Grâce à l'aviation, nous avons le champ d'essor.

J'entends par là ces vastes espaces plans et nus qui sont actuellement nécessaires à la science nouvelle, qu'elle choisit ou va choisir un peu partout pour ses expériences et ses concours, et dont Issy et Bagatelle resteront les prototypes.

Quel contraste entre ces deux champs d'essor désormais historiques, d'où se sont élancés les premiers engins plus lourds que l'air, et qui virent l'un leur premier vol, l'autre leur premier circuit fermé!

Sinistre, ce terrain d'Issy, ce sol de sable brun martelé par les pieds des chevaux, dans un cadre d'horizons bas et brumeux, de remparts et de remblais, de masures et d'usines. Des trains sifflent et grondent. Une école de clairons lance sans reprendre haleine ses refrains mélancoliques. Un peloton d'infanterie manœuvre en bourgeron. Quelques cavaliers sautent des obstacles. Mais les bruits et les silhouettes s'évaporent dans ce désert noir.

Quelques curieux stationnent sans cesse à la porte de Sèvres, qui s'ouvre sur le champ d'essor. D'autres s'engagent sur la piste tracée par les pas à travers ce Sahara de banlieue. De près ou de loin, tous guettent, à la lisière du terrain, les fameux hangars, solides de lignes et rudimentaires de façon comme des factoreries de trappeurs.

L'étrange public!... Des «sans travail» qui jouent aux boules avec des pierres lancées contre une vieille boîte de conserves. Des gamins, moineaux du faubourg, qui piaillent, s'ébrouent, se bousculent sur des tas de sable. Et, parmi cette graine de fortifs, quelques vêtements bourgeois un peu dépaysés, le photographe en chasse, l'adolescent épris d'aviation. Oh! je t'ai bien reconnu, jeune néophyte, tout brûlant de ferveur et d'enthousiasme, tout enfiévré d'attente, d'impatience et d'espoir sous tes dehors timides, et qui ne pouvais pas t'éloigner de ce hangar clos d'où peut-être allait enfin sortir le grand oiseau magique...

Et je t'ai retrouvé à Bagatelle, toujours rêveur, toujours errant, toujours dévoré de belle curiosité. Mais quel changement de décor, n'est-ce pas? Plus de cheminées noires, de murs croulants, de remparts pelés. Les blanches architectures de la «Folie» du comte d'Artois se haussent au-dessus des frondaisons pour épier la pelouse fraîche. Des enfants soigneux jouent sagement. Limousines et doubles-phaétons passent dans le bruissement de soie des moteurs. N'est-ce pas, jeune néophyte, qu'ici l'attente est un plaisir? Et tiens, justement... Vois sur le pont de Puteaux cet étrange cortège, ce rigide oiseau blanc qui s'avance, entouré d'une escouade d'ouvriers et de curieux, d'une allure saccadée de char de carnaval. C'est un aéroplane... C'en est un!

Abandonnons-nous donc à la volupté de réaliser du désir, d'étreindre de la certitude. Ne perdons pas un détail du spectacle. Le montage et le réglage des grandes ailes en voûtes, de la cellule arrière, toutes sortes de lenteurs nécessaires. La comédie bien humaine qui se joue autour de l'appareil, les comparses qui se donnent des airs importants, essentiels, tandis que les vrais artisans de l'œuvre s'activent, obscurs et modestes.

Un tout petit enfant—trois ans aux roses prochaines—contemple l'oiseau blanc. Sa maman lui apprend:

—Sais-tu comment on appelle ça? Un a-é-ro-pla-ne.

Et le bambin de répéter: «A-é-ro-plane». Quel signe des temps, ce tout petit qui balbutie ce mot-là parmi ses premiers mots!

Le mécanicien, coiffé d'un casque de cuir, grimpe à son poste. A grand'peine la foule est écartée des zones dangereuses.

Quelques ordres brefs, dans le silence solennel. Puis le ronflement du moteur et de l'hélice éclate, puissant et dru. La veste des ouvriers qui retiennent l'engin claque comme un drapeau dans le vent. L'oiseau s'élance, roule, s'élève... Ah! le moment où il quitte le sol, d'une allure un peu gauche d'échassier qui prend son vol, cette vision que jamais des yeux humains n'avaient enregistrée avant ce siècle-ci, voilà, jeune néophyte, voilà qui vous paye et vous récompense de bien des heures d'attente...

Maintenant, c'est à l'autre bout du champ que l'oiseau va partir. Il approche, quitte terre, encore hésitant et timide, s'élève, se dresse, puis, comme effrayé de son essor, plonge trop vite, pique du nez, heurte brutalement le sol, et, dans un complet panache, s'immobilise avec un bruit sec, le ventre en l'air...

Une seconde d'angoisse. Mais le mécanicien, à quatre pattes, sort de sa prison de toile et d'acier. Allons! ce ne sera qu'un incident. Alors, de tous les points de l'horizon, la foule accourt vers le grand corps abattu. Elle constate les dégâts, l'hélice pliée comme un papier de plomb, les roues fauchées, les poutres brisées. On épilogue. Les railleurs ont beau jeu. Un individu à face mauvaise dit:

—A quoi que ça sert, ces engins-là? A attraper les corbeaux?

Une dame, pincée:

—Ça ne s'enlèvera jamais.

A quoi un ineffable mécano, la cigarette pendante à la lèvre:

—Sûr, c'est pas si facile à enlever qu'une dame!

Et les inventeurs de l'appareil? Vous pensez peut-être qu'ils sont un instant découragés? Ah! bien oui. Ce serait mal les connaître. Ces gens-là vous ont des tempéraments de fourmis qui, dès la fourmilière défoncée d'un coup de talon, réparent les dégâts et sauvent le reste. Déjà le mécanicien s'est glissé sous son moteur. Déjà des modifications sont décidées, des essais promis pour la prochaine semaine...

Un groupe est très entouré. Un groupe d'oracles. Sur chaque face, on met un nom notoire. Là sont réunis des constructeurs, des inventeurs, des apôtres. La fleur du plus lourd que l'air, le Tout-Aviation. Ce sont des concurrents, des rivaux d'hier ou de demain, pour l'aviateur malheureux. Ils pourraient ricaner, se féliciter sournoisement de la tape. Eh bien! non, ils sont atterrés.

Et je voudrais, jeune néophyte qui contemplez le désastre éphémère, je voudrais vous prendre par la main et vous faire méditer sur ces visages attristés. Voyez. Si ces hommes sont affranchis d'un bas égoïsme, s'ils se montrent élégamment généreux, c'est qu'ils servent tous la même noble cause. Ils déplorent au nom de l'Idée, avant de jubiler pour eux-mêmes. Par là, ils dépassent l'humanité moyenne. Il n'y a rien de plus fort au monde qu'un commun idéal. Et cette compassion vraie devant l'échec de l'adversaire possible, c'est le plus joli spectacle que vous puisse offrir le champ d'essor.

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Le caractère de cette semaine d'aviation, c'est d'être immense. Immenses, ces trente-huit hangars d'aéroplanes où logerait la population d'une cité moderne. Immense, la piste dont les pylônes extrêmes blanchissent à l'horizon et qui n'a d'autres bornes en hauteur que le ciel. Immense, cette plaine où tiendrait un canton, parcourue d'un réseau souterrain de fils électriques, jalonnée de postes, entourée de palissades et de tribunes, un coin de la France remanié.

Immense, l'effort des organisateurs, d'une telle envergure que les petites taches du tableau se perdent dans son étendue et qu'on n'en peut qu'admirer la grâce énorme et minutieuse.

Si bien que le zèle des managers, la dimension du décor, l'émotion du spectacle, tout s'harmonise, tout a même mesure, tout concourt à laisser cette impression d'une immensité nouvelle dont on aurait reculé les limites.

Mais un effort caché, non moins immense, répond à cet effort visible. C'est celui des aviateurs, celui qu'il faut saisir dans cette ville de hangars dont les cloisons trépident dans le ronflement des essais au point fixe. Quelle patiente lutte, dès l'aube, contre le moteur récalcitrant, quelle constance de fourmi prompte à réparer le petit désastre! Ils ont un mot qui peint admirablement leur obstination. Ils grattent. Toute la journée, jusqu'à ce que l'appareil soit au point, ils retouchent, ils grattent. Rien ne les lasse dans cette lutte contre la matière inerte et sourdement hostile. Et qui dira les nuits blanches, les attentes, les voyages entre Reims et Paris, à la recherche d'une pièce essentielle? Rien ne les décourage. Un pilote brise-t-il une aile dans un essai? Il s'écrie gaiement, au seuil du hangar où il ramène l'oiseau manchot:

—Tiens! C'est plus commode à rentrer.

Avec quelle fièvre, au camp des pilotes, on épie la force du vent! Tout dépend de lui. Il est encore le maître de l'heure. On voudrait l'apaiser, le maudit «soufflant», être plus fort que la nature. Chacun s'efforce de prévoir le temps du soir ou du lendemain.

Un mécano s'écrie, tout chaud de conviction:

—Je te dis qu'il fera beau. Moi, quand il va faire beau, j'ai les poils du bras qui se mettent à friser.

Du plus humble au plus célèbre, chacun vit dans cette rébellion obstinée contre les caprices du ciel et de la matière. La ténacité, le courage, voilà les deux ailes grâce auxquelles ces hommes s'élèvent au-dessus d'eux-mêmes.

Il y a encore ici quelque chose d'immense, c'est l'ignorance de la foule qui s'aligne dans les tribunes ou déambule au pesage. Une ignorance qu'il faut bien se garder de railler, car, en somme, cette foule, pour quelque cause qu'elle soit là, est venue prendre une leçon de choses. Mais une ignorance qui, si elle désarme, néanmoins stupéfie. Car, étant inconsciente d'elle-même, elle s'affirme avec une naïveté écrasante et sereine. C'est la plus redoutable: l'ignorance qui s'ignore. Le père enseigne à son fils des erreurs et des balourdises avec la même certitude que s'il révélait un dogme. On a beau l'excuser, l'expliquer, cette ignorance, tout de même, à la fin, on s'en irrite et s'en révolte. Et comme la foule est en mi-partie composée d'étrangers, on en vient à se féliciter de ne pas être polyglotte. Autant d'énormités qu'on ne comprendra pas.

Pourtant, elle a bien des qualités, cette foule. Des qualités immenses, naturellement. Avec quelle application d'écolier qui déchiffre l'alphabet, elle tente d'interpréter les signaux du sémaphore, ballonnets rouges, blancs, noirs, cubiques, coniques, sphériques, toute une géométrie multicolore qui doit lui signifier les records, la vitesse du vent.

Un peu plus, elle lui demanderait l'âge de l'aviateur.

Et son enthousiasme! Il faut avoir vu le chef de l'État agiter frénétiquement un ample chapeau melon au passage aérien d'un recordman pour comprendre l'emballement contagieux qui gagne alors les plus pondérés. Il faut avoir vu le même héros atterrir, être pétri d'accolades et de poignées de mains, soulevé dans un mascaret de bras tendus, jeté aux tribunes par-dessus la barrière du pesage, emporté dans un cyclone jusqu'au buffet, où éclate La Marseillaise. Et comme si ce n'était pas assez des hymnes et des hourras, voilà qu'un étrange concert renforce la clameur: toutes les trompes, toutes les sirènes, tous les rossignols du garage voisin que déchaînent, dans leur ingénieux enthousiasme, des chauffeurs en délire.

Le soir, quand la nuit se clôt, quand le ciel et la plaine s'épousent et se confondent, alors l'immensité se prolonge encore, devient infinie. Il y a là une heure mélancolique. Deux points de lumière s'allument seuls dans l'ombre indécise. Au loin, les usines de Witry-les-Reims, dont les feux scintillent en constellation serrée. Et, proche, le buffet, véritable joyau lumineux où le rang de grosses perles électriques du fronton domine le semis bariolé des petits abat-jour posés sur les tables. Partout ailleurs, l'obscurité croissante.

Alors, des silhouettes plus sombres que la nuit errent au ras du sol. Rassemblés, les soldats de faction filent en colonne, les pas allongés et le corps tiré en avant par l'attrait de la soupe et du repos, d'une allure de retraite ou de déroute. Puis, derrière un auto, derrière un cheval, ou poussés à bras d'homme, les aéroplanes tombés en panne aux lisières extrêmes de la plaine. Ce sont les glorieux blessés de la journée qui passent, dans la mélancolie du soir de bataille. Pacifique bataille où les plaies se guérissent, où les éclopés du jour peuvent le lendemain voler vers la victoire... 266

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Un violent courant de curiosité, d'intérêt, de sympathie, d'enthousiasme même, entraîne la foule vers la navigation aérienne. Des ligues éclosent, des concours s'ouvrent, des meetings s'organisent partout. On suit passionnément dans les journaux, ou sur leurs champs d'essor même, les vols des aviateurs. L'heure est propice à chercher et à rassembler les raisons, toutes les raisons, de cette irrésistible faveur.

Mais d'abord il faut remarquer que, si des résultats sensibles et décisifs ont déterminé l'enthousiaste explosion de cette curiosité, elle vivait chez l'homme à travers les âges. La légende d'Icare prouve qu'elle remonte à la préhistoire, qu'elle se perd dans la nuit des temps. Notre ferveur actuelle n'est donc pas un engouement passager. C'est le réveil actif d'une sorte d'instinct aussi vieux que l'humanité.

La première idée que nous suggère le spectacle ou le récit des exploits de nos hommes-volants, c'est qu'ils ont triomphé d'une difficulté longtemps invaincue, qu'ils ont résolu un problème longtemps cherché. Nous assistons à un spectacle que d'innombrables générations avaient rêvé, mais qu'aucun regard n'avait jamais contemplé.

Puis, à cette vue, nous prenons le sentiment qu'une révolution commence, qu'il y a désormais quelque chose de changé dans l'ordre de choses établi. Notre imagination se donne carrière, suit l'aéroplane dans son essor. La guerre nous apparaît si redoutable qu'elle en semble menacée dans son existence même. Nous voilà débarrassés de l'octroi, de l'odieux octroi et de ses barbares procédés d'inquisition. La suppression de la douane entraîne une métamorphose profonde du régime économique et—qui sait?—même du principe des nationalités. Toute barrière devient illusoire et la propriété elle-même va peut-être évoluer. De nouveau nous abandonnons la route aux moutons, vaches, charretiers et autres bestiaux. Le plus court chemin d'un point à l'autre devient enfin la ligne droite. Le toit de nos maisons se transforme en accueillante terrasse. Nous vivons les yeux et le front tournés vers le ciel. Nous avons des ailes...

Ce sont là jeux faciles, propos de table. Car il n'est point de dîner qui se respecte où l'on ne parle aviation. L'aéroplane fait une redoutable concurrence au théâtre, qui, jusqu'à la saison dernière, alimentait seul l'entretien, du potage au dessert.

Mais des anticipations de ce genre suffisent-elles à expliquer la séduction qu'exerce sur nous ce problème? Ce vivace attrait n'a-t-il pas des racines plus profondes, des raisons plus secrètes?

Cette question s'imposait irrésistiblement à l'esprit de quiconque assistait aux premiers essais qu'il nous fut permis de suivre. Je veux parler de ces épreuves historiques d'Issy-les-Moulineaux, comme celle du kilomètre en circuit fermé. Ah! ce n'est pas bien vieux. Et il faut un réel effort, pour se rendre compte, tant les événements ont marché vite, qu'elles datent de quelques années à peine.

Alors, on épiait avec angoisse l'appareil roulant dans le sable ou la boue. On se demandait, la gorge bloquée: «S'enlèvera-t-il?» Et quand enfin il quittait le sol, ailes tendues, c'était une détente, une félicité intérieure, en même temps qu'une jouissance physique, un délicieux décrochement du cœur.

Quoi? Tant d'émotion pour un aéroplane qui perd pied? Certes. Mais je conviens que le sentiment d'une difficulté vaincue, d'un sport supérieur, d'un avenir renouvelé, ne suffisait pas à la justifier.

Non. Il y avait encore autre chose. Il y avait la représentation matérielle d'un idéal, une aspiration de l'esprit qui prenait corps, un symbole.

Un symbole. Car nous aussi nous aspirons à nous arracher au sol, à nous élever au-dessus de nous-mêmes. Il y a en nous deux êtres: l'un tout plein d'appétits et de concupiscences, vraiment pétri du limon de la terre; et l'autre, plus délicat, meilleur, qui tend sans cesse à s'évader, à s'envoler, d'un coup d'aile.

Et ce coup d'aile qui nous ravira à la terre, nous le demandons à mille sensations, à mille spectacles. Nous le cherchons souvent à notre insu. Qu'attendons-nous de la musique, du plus banal orchestre de tziganes, du plus imposant ensemble d'opéra? Que le premier coup d'archet nous emporte et nous arrache au présent. Il n'est pas jusqu'au plus grossier chœur de paysans qui n'obéisse à ce besoin d'idéal: un peu d'eux-mêmes s'élève en même temps que 274 leur voix... Coup d'aile, la scène pathétique qui fait vibrer toute la salle de théâtre du même frisson. Coup d'aile, la lutte et le sport qui tiennent toute l'arène haletante et suspendue aux gestes de ses héros. Coup d'aile, l'éloquence du tribun qui enchaîne nos pensées à la sienne. Coups d'aile, le voyage où l'on admire et l'amour où l'on oublie...

Et si nous cherchons ainsi tout ce que la nature et les hommes peuvent nous offrir de plus rare, de plus noble, de plus tendre, de plus beau, c'est parce que de pareils spectacles nous exaltent, nous transportent, nous haussent vers l'être supérieur que par moment nous souhaitons de réaliser, et nous font oublier l'être imparfait que nous sommes.

Voilà, en dehors de tous les espoirs qu'il autorise, de toutes les imaginations qu'il fait briller, le symbole que représente à nos yeux l'essor de l'aéroplane. Ce n'est pas seulement un cerf-volant à moteur et à hélice qui prend son vol. C'est, concrète, réalisée, vivante, l'image de l'aspiration éternelle des hommes à s'élever au-dessus d'eux-mêmes, de leur incessant effort de s'arracher à la terre, d'un coup d'aile. 276

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TABLE DES MATIÈRES

      Pages.
Les casseurs de bois 1
  I. Le choix d'un mari 3
  II. Hangarville 11
  III. Premier contact 19
  IV. Rémy Parnell 27
  V. Un accident 35
  VI. Déjeuner au hangar 43
  VII. Le brassard 51
  VIII. Rivalité 59
  IX. Lerenard 67
  X. «Parnell s'est tué...» 75
  XI. Auguste 83
  XII. Clients 91
  XIII. La petite ville 99
  XIV. Un apôtre 107
  XV. Le vent 115
  XVI. Le dernier repas 123
  XVII. L'essor 131
Les ailes de flamme 139
Le fistaud 167
  I. Le braconnier 169
  II. Service de nuit 177
  III. Le chien de garde 187
Le nid 197
Vocation 207
L'article 552 217
Le roi 225
La révolte des ailes 237
Le champ d'essor 247
L'immense semaine 257
Le coup d'aile 267

Paris.—L. MARETHEUX, imprimeur, 1, rue Cassette—5243.

279 280

Extrait du Catalogue de la BIBLIOTHÈQUE-CHARPENTIER
à 3 fr. 50/ le volume
EUGÈNE FASQUELLE, ÉDITEUR, 11, RUE DE GRENELLE

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ENVOI FRANCO PAR POSTE CONTRE MANDAT

17955—L.-Imprimeries réunies, rue Saint-Benoît, 7, Paris.

Note sur la transcription

Les erreurs clairement introduites par le typographe ont été corrigées. L'orthographe d'origine a été conservée et n'a pas été harmonisée.

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