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Les cavaliers de la nuit, 1er partie (t. 2/4)

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—Tu es donc bien ambitieux? firent-ils.

—Moi! répondit don Paëz, je voudrais pouvoir prendre le monde dans ma main et l’y enfermer tout entier.

—Pauvre fou! murmura Gaëtano.

—Appelle-moi sage, plutôt. Il vaut mieux viser loin que près; si l’on n’atteint pas le but, au moins on s’en approche. L’amour, le vin, le jeu, sont des passions d’enfant et de jeune homme! Le souffle de la vingtième année les fait éclore, la première ride du front les emporte.—L’ambition, au contraire, c’est la passion froide et calculée de l’avenir, le mobile de l’âge mûr, la raison suprême, la sagesse réelle de la vie. Broyer sous son pied les vanités puériles et les aspirations de la jeunesse, se faire des hommes et de leurs passions un marchepied, monter toujours, monter sans cesse, guidé par une volonté de fer, et arriver ainsi jusqu’au faîte; alors les hommes et les passions vous paraissent si petits qu’on en lève les épaules de pitié!... Frères, voilà la poésie vraie, le côté réellement prestigieux de la vie!

Les trois frères frissonnèrent d’inquiétude.

—Toi, Hector, dit don Paëz, tu as l’âme ulcérée, parce que tu aimais une reine et que cette reine ne t’aimait pas? Dans quinze ans, tu pleureras sur ton amour tout comme aujourd’hui.

—C’est vrai, interrompit Hector.

—Seulement, ce ne sera point la femme que tu regretteras...

—Et que sera-ce donc?...

—Le trône d’Écosse! dit froidement don Paëz.

Hector, étonné, ne parut point comprendre.

—Écoute, continua don Paëz; qu’était-ce que lord Bothwell?—un grand seigneur d’Écosse, rien de plus! Il n’aimait pas la reine, mais il l’a poursuivie, menacée, et il l’a épousée... il est devenu roi!—Qu’étais-tu, toi?—un gentilhomme n’ayant que la cape et l’épée; mais un gentilhomme issu des ducs de Bretagne, et qui, pour la naissance et le courage égalait au moins Bothwell... Pourquoi, le sort aidant, n’eusses-tu point été roi?

Hector baissa la tête:

—Je ne sais, murmura-t-il, si dans quinze ans je changerai de langage, mais ce que je sais aujourd’hui c’est que le jour où notre frère Gontran m’arracha à l’épée de Bothwell, fut un jour maudit.

—Frère, répondit don Paëz, expose ton front au vent de l’avenir: le temps cicatrise toutes les blessures, celles de l’amour avant les autres. Viens avec moi, je retourne auprès du roi mon maître; ma vie sera la tienne, et si je suis heureux tu le seras.

—Soit, dit Hector, je te suivrai!

—Frères, dit à son tour Gontran, je ne suis, moi, ni amoureux, ni ambitieux, mais ma vie a un but, un but unique;—je veux retrouver l’enfant!—Je vais continuer à marcher vers mon but.

Gontran salua ses frères, mit l’éperon aux flancs de son cheval et partit.

—Moi, fit enfin Gaëtano avec son railleur sourire, j’ai laissé à Naples une contessina que les gens du roi disent aussi belle que la madone; elle a de l’esprit comme le majordome de Satan; le contessino, son vénérable époux, vient de mourir en lui léguant tout son bien, qui se compose d’un palais au bord de la mer et d’un coteau aux flancs du Vésuve, où pousse le lacryma-christi. J’aimerais assez un palais, j’aime plus encore le jus divin du Vésuve; je n’ai nul besoin d’aimer la contessina pour l’épouser.—Frères, adieu!

Et Gaëtano, piquant sa monture, partit à son tour.

Alors don Paëz et Hector se trouvèrent cheminer seuls, et le castillan murmura ce court monologue:

 

—Cinq ans se sont écoulés depuis mon départ d’Espagne, et l’infante est aujourd’hui dans l’âge où l’on aime. Allons! don Paëz, mon ami, l’heure va sonner où il faudra redresser votre taille galante, avoir de frais rubans au justaucorps, le poing sur la hanche et l’œil fascinateur... Il y va d’une vice-royauté, et vous aurez à lutter contre une douzaine de grands seigneurs, contre un roi; et, de plus, contre un tribunal secret dont les arrêts sont sans appel et qu’on nomme la sainte Hermandad! N’importe;—j’arriverai au but!

Cinq jours après don Paëz était à Madrid.

 

FIN DES CAVALIERS DE LA NUIT.

TABLE
Des chapitres du deuxième volume.

  Pages
CHAP.V3
VI25
VII37
VIII67
IX91
X107
XI155
XII175
XIII195
XIV223
XV287
   
Fin de la table du premier volume.

Fontainebleau:—Imp. de E. Jacquin.


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