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Les cavaliers de la nuit, deuxième partie (t. 4/4)

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CHAPITRE QUINZIEME

XV

—Pourquoi ce front pâli et cette lèvre crispée, ô ma reine! pourquoi ce sombre regard que du haut de ces murs vous promenez à l’horizon de l’Océan? Quelle douleur sans nom peut navrer votre âme, puisque j’ai pris vos mains dans la mienne et que je vous répète que je vous aime!

Ainsi parlait don Paëz, assis auprès de la princesse maure, devenue sa femme devant Dieu,—un soir d’automne, par un ciel nuageux et une mer orageuse sur les remparts de cette forteresse fameuse qui a nom Gibraltar.

Ce n’était plus le don Paëz que nous avons connu, l’ambitieux sans cœur et sans pitié, foulant aux pieds l’amour et le niant parfois; mais don Paëz vaincu désormais, lié, garrotté par le sourire d’une femme; don Paëz qui perdait son royaume ville à ville et bourgade à bourgade, sans en prendre nul souci et presque en se jouant; don Paëz qui aimait enfin.

Il le lui avait dit à cette heure suprême où ils venaient d’échapper à la mort tous les deux; ils avaient combattu ensemble, et côte à côte, pour délivrer les débris de l’armée maure; à la tête de ces débris, ils avaient défendu le terrain pied à pied, se donnant la main comme il convient à des époux rois et guerriers, et ce n’était qu’après trois mois de lutte héroïque et de revers successifs qu’ils se trouvaient cernés enfin dans leur dernière place forte, sur un roc dont la mer rongeait la base méridionale, et qu’une armée de vingt mille hommes séparait, au nord, du reste de la terre.

Cinq cents hommes à peine demeuraient encore autour du roi don Paëz et soutenaitent le siége, converti en blocus par les Espagnols.

Les vivres commençaient à manquer; si Hector et Gaëtano n’arrivaient au plus vite pour ravitailler la place et y jeter une garnison imposante, c’en était fait de don Paëz. Le roi Philippe II avait demandé sa tête, et il la voulait avoir à tout prix.

Mais don Paëz n’y songeait guère; don Paëz tout entier à son amour, ne regrettait plus son trône qui s’écroulait lentement; et c’est pour cela qu’il disait à la princesse, avec un sourire:

—Pourquoi ce front pâli et ces lèvres crispées, puisque nous nous aimons?

Elle prit sa tête brunie dans ses mains diaphanes, y déposa un long baiser et répondit:

—Si mon front est pâle, ô Paëz, c’est qu’il est le remords et le reflet de mon âme navrée, c’est que le remords et la douleur me torturent. J’ai joué, dans ta vie, le rôle terrible de la fatalité, mon amour t’a perdu. Ce trône que je t’ai donné devient le marchepied de ton échafaud; cette tendresse dont je t’ai accablé, poursuivi, a jeté dans ton cœur d’airain une étincelle de faiblesse qui te conduit à ta perte. Je suis une femme ingrate et sans cœur, ô mon Paëz, car j’ai étouffé ton génie au souffle de mon amour, car je n’ai point compris que les hommes tels que toi doivent marcher vers leur but seuls et silencieux, sans prendre garde aux douleurs qu’ils foulent, aux âmes qu’ils brisent, ainsi que des prêtres saints qui s’isolent de la terre et de ses misères pour aller le front haut.

Je ne t’ai point compris, ô Paëz, car je me suis cramponnée à toi, car j’ai enchaîné tes bras noueux de mes bras débiles, j’ai enlacé ma vie à la tienne, et je t’ai perdu! C’est pour cela que mon œil hagard interroge en vain l’horizon désert de l’Océan, cherchant la trace d’un pavillon sauveur et ne la trouvant point.

La princesse tremblait en parlant, et elle pressait de ses mains tremblantes la main de don Paëz.

La nuit venait, enveloppée de ténèbres épaisses; la mer, déchaînée, galopait vers le roc en lames hurlantes et raccourcies; parfois un éclair brillait, sans fracas, dans le ciel lointain,—et le silence absolu de la forteresse, troublé seulement à de longs intervalles par le pas lourd et le qui vive! des sentinelles avait quelque chose de poignant qui allait à l’âme et serrait le cœur.

Don Paëz se tut une minute, une minute il parut en proie à une sombre et indicible douleur; puis, tout à coup, son front se rasséréna et il répondit en attirant à lui la princesse:

—L’ambition, ô ma reine, est la passion dévorante qui étreint les hommes forts et les entraîne à travers l’espace, sans leur accorder jamais une heure pour sommeiller à l’ombre de cet arbre touffu qu’on nomme le bonheur! L’ambition, c’est l’enfer des chrétiens, ce supplice sans fin et sans commencement, ce ver insatiable qui ronge, ce vautour qui dévore, à la cime d’un roc, le foie de Prométhée sans cesse renaissant. Le but vers lequel elle marche s’éloigne toujours, ainsi qu’un mirage; la jeunesse croit l’atteindre, l’âge mûr espère y toucher, et la vieillesse, à son dernier relais, à sa dernière heure, pose un pied lassé dans sa tombe ouverte et murmure découragée: «C’est encore bien loin!»

Le bonheur, au contraire, ô ma reine! c’est l’ombre des haies du chemin, un jour de soleil, quand on est deux, la main dans la main; le bonheur, c’est ton sourire un soir de tempête; c’est ton amour, de l’aube naissante aux dernières clartés du couchant. Déridez votre front assombri, ô ma reine! ramenez un sourire sur vos lèvres, un rayon d’espoir dans votre âme;—assez longtemps j’ai mordu aux âpres fruits de l’ambition, je veux boire à longs traits à la coupe d’or du bonheur!

Elle l’interrompit brusquement:

—Insensé! s’écria-t-elle, tu ne vois donc pas que la mort monte, lente et inexorable, vers nous; tu ne vois donc pas que cette coupe où tu t’abreuves va se briser dans tes mains...

Un éclair déchira la nue, fit resplendir la mer jusqu’aux limites extrêmes de l’horizon, et la princesse poussa un cri de suprême joie, un cri comme en dut jeter le vieil Abraham quand le glaive protecteur de l’ange se plaça entre son glaive meurtrier et la poitrine de son cher Isaac;—un cri qu’on n’entend en sa vie qu’une fois et qu’on ne redit point.

—La flotte! la flotte! murmura-t-elle.

En effet, à la lueur instantanée du feu céleste, elle venait d’apercevoir à l’horizon les voiles blanches de cinq navires courant des bordées vers la terre et luttant contre le vent.

—Oh! s’écria-t-elle, et cette fois avec une frénétique ivresse, déridons maintenant nos fronts assombris, épanouissons nos cœurs serrés, la coupe du bonheur, où nous puisons tous deux, ne se brisera point dans nos mains, car voici le salut!

Il se passa alors chez don Paëz un de ces étranges revirements d’esprit fréquents aux hommes à imagination ardente. Il venait de flétrir l’ambition, cette passion dévorante de toute sa vie; il l’avait hautement reniée, lui préférant l’amour; il avait paru vouloir rompre complétement avec son passé pour s’abandonner tout entier à une existence nouvelle... Eh bien! au cri de la princesse, à la vue subite de la flotte libératrice, tout un monde de pensées bouillonna dans sa tête et heurta violemment les parois de son cerveau.

Ce ne fut plus son amour sauvegardé qu’il aperçut dans cet avenir prochain que lui faisait l’arrivée de ses frères, son bonheur menacé qu’ils allaient protéger;—non, don Paëz ne vit plus qu’une chose, la restauration future de sa grandeur, le rétablissement du royaume de Grenade et le moyen assuré de contre-balancer une fois encore la puissance du roi Philippe II, désormais son mortel ennemi.

Ainsi sont les hommes; il faut un abîme profond, lentement creusé, pour les séparer violemment de leur passion dominante; un pont de roseaux jeté sur cet abîme en moins d’une heure, les en rapproche aussitôt et les réunit plus étroitement que jamais. Il avait fallu tout l’amour de la gitana, toutes ses larmes, toute son abnégation, la mort héroïque de don Fernand, trois mois de revers consécutifs et la perte de ses dernières illusions pour détacher don Paëz de son ambition;—une lueur d’espoir, un flot rapide de tumultueuses pensées suffirent à renverser ce long ouvrage; il redevint ambitieux, hautain, fier de lui-même comme autrefois, et il s’écria:

—J’ai cru mon étoile éclipsée, j’ai douté de moi, j’ai été insensé! Cette flotte, cette armée qui m’arrivent, c’est plus que le salut, plus que la délivrance, c’est mon royaume reconquis, c’est don Paëz plus grand et plus fort que jamais!

Cette flotte, poursuivit-il avec exaltation, elle profitera sans doute, inévitablement, de la nuit sombre qui nous environne, elle abordera silencieuse, sans qu’un fanal brille à ses vergues, sans qu’un jet de lumière trahisse ses sabords.

Elle nous prendra avec elle, et puis, quand nous serons en pleine mer, elle saluera le duc d’Albe et son armée d’une salve moqueuse, et paraîtra fuir vers les côtes d’Afrique. Le duc d’Albe maudira ciel et terre, et se contentera d’occuper Gibraltar.

Moi, pendant ce temps, je débarquerai avec Gaëtano et les débris de ma garnison sur un point quelconque des côtes du royaume de Valence, où nul ne m’attendra... Alors, et sans m’arrêter, je marche rapidement sur Valence que je prends d’assaut; je laisse dans ses murs deux mille hommes et je poursuis ma course vers Grenade; les Maures, abattus un moment, se lèvent de nouveau à ma voix et grossissent mon armée; les places fortes qui se trouvent sur mon passage m’ouvrent leurs portes sans coup férir, ma marche devient un triomphe, et dans un mois j’ai reconquis tout le royaume de Grenade...

Un coup de tonnerre interrompit don Paëz;—la foudre rugit de nouveau, le vent, apaisé jusque-là, s’éleva tout à coup, mugissant avec une violence inouïe—et la mer vint se heurter aux rocs de la grève avec une fureur telle, que la princesse s’écria, frissonnante:

—Mon Dieu! voici la tempête, et si la flotte amène à la côte elle y brisera son dernier vaisseau!

—Eh bien! répondit don Paëz, ce sera pour la nuit prochaine.

—Oh! j’ai peur... exclama-t-elle en montrant la flotte qu’on voyait s’avancer toujours à la lueur des éclairs multipliés.

—Peur? fit-il avec un sourire et l’attirant sur son sein; peur, auprès de don Paëz?

Elle tressaillit à cette voix si mâle et si fière:

—Non, dit-elle, je ne crains rien, puisque tu m’aimes!...

La flotte avançait toujours, et don Paëz, à chaque éclair, la voyait courant des bordées et luttant contre le courant avec cette habileté particulière aux marins génois de l’époque.

—Cordieu! s’écria-t-il à son tour, si ces gens-là font cent brasses encore, ils sont perdus!

De larges gouttes de pluie commençaient à tomber; le tonnerre et le vent disputaient les airs et les emplissaient de fracas; la mer écumante raccourcissait toujours ses lames, et le péril devenait pressant.

La sueur commençait à perler au front du roi, et il eût voulu voir à cent lieues de distance ces navires attendus si longtemps avec toute la fièvre de l’impatience.

—Ces hommes-là sont donc insensés? exclama-t-il hors de lui, ou bien ne sont-ils déjà plus les maîtres de leur manœuvre?

Il sembla que les cinq navires eussent entendu don Paëz, car, presque aussitôt, ils virèrent de bord et gouvernèrent de façon à s’éloigner de la terre et à reprendre le large.

Don Paëz respira.

—Les tempêtes, ici, murmura-t-il, durent rarement vingt-quatre heures; demain, la flotte pourra mouiller, et nous serons sauvés, ajouta-t-il en regardant la princesse avec amour.

—Il était temps! répondit-elle, car nous commençons à manquer de vivres, de poudre et de boulets, et si l’ennemi tentait un nouvel assaut, nous ne pourrions résister.

—Il ne le tentera pas, il espère nous affamer.

Don Paëz fixa de nouveau son regard sur la mer et attendit un éclair.

Quand la foudre jaillit, il aperçut la flotte déjà dispersée par la tempête, la toile soigneusement pliée et disparaissant à demi dans le brouillard.

—Enfin! murmura-t-il.

L’orage allait croissant, et les époux-rois étaient exposés l’un et l’autre à ses âpres caresses, sans y avoir pris nulle garde; la pluie fouettait leur front nu, le vent s’engouffrait dans leurs manteaux, mais ils étaient tout entiers, elle à son amour, lui à son rêve un moment effacé et reconstruit depuis une heure.

Tout à coup un cri d’alarme, jeté par une sentinelle et que toutes répétèrent, retentit à travers les remparts et réveilla en sursaut la garnison qui s’était endormie sur la foi d’un prochain orage et des ténèbres de la nuit.

—Aux armes! criaient les vedettes, aux armes! l’ennemi!

Don Paëz crut voir le roc de Gibraltar s’effondrer sous ses pieds à ce cri terrible: l’ennemi!

L’ennemi! et il n’avait plus de boulets; l’ennemi! et cinq cents hommes à peine étaient autour de lui!...

L’ennemi au nombre de trente mille hommes, l’ennemi lassé du blocus, qui voulait en finir à tout prix et avoir don Paëz mort ou vivant, profitant, pour tenter l’escalade, d’une nuit de tempête.

Et la flotte était loin!

Alors, de même que naguère il l’avait repoussée de ses vœux, don Paëz sembla maintenant l’appeler de toute la force de son désespoir, il interrogea la haute mer avec anxiété, ayant toujours pour flambeau les foudres du ciel qui se croisaient en tous sens;—mais, cette fois, l’horizon était désert, la flotte avait disparu, obéissant au caprice de la tempête...

—Oh! s’écria le roi, poussant un cri de rage, la fatalité me suit.

—C’est mon amour qui te tue, répondit sourdement la princesse; Paëz, tu avais raison, l’amour et le génie ne peuvent marcher côte à côte...

Un éclair de colère jaillit de ses yeux.

—C’est vrai, dit-il froidement.

—Eh bien! reprit-elle avec l’enthousiasme de l’abnégation, prends ta dague, Paëz, prends-la, et tue-moi.

Il frissonna et fit un pas en arrière.

—Frappe! continua-t-elle en lui présentant le sein; moi morte, peut-être triompheras-tu?

Elle saisit elle-même la dague qui pendait à son flanc et la lui présenta.

Don Paëz sentit le délire gagner sa tête et voiler son regard; il prit l’arme, son bras se leva et fut sur le point de retomber...

Mais soudain il poussa un éclat de rire strident et jeta l’arme loin de lui.

—Je suis fou! dit-il.

Et prenant la princesse dans ses bras, l’étreignant sur sa poitrine, il l’emporta en lui disant:

—Viens! allons mourir ensemble comme des rois et des amants... allons unir notre dernier souffle et notre dernière pensée—l’amour est le plus glorieux des linceuls!...

Et alors la voix de don Paëz redevint vibrante et terrible, et parcourant le château, les remparts, les bastions, cette voix cria partout: Aux armes! aux armes!

Puis calme maintenant, froid, impassible comme tous les grands cœurs aux heures suprêmes, il donna ses ordres de combat avec précision, se fit apporter ses vêtements les plus beaux, ses armes les plus fines et son manteau de roi, voulant descendre au cercueil avec la pompe des souverains.

La princesse toujours près de lui, toujours à sa droite, était redevenue, en quelques secondes, cette femme énergique et forte qui suivait son époux en tous lieux; comme lui elle se couvrit du manteau royal et ceignit une épée, comme lui elle courut aux remparts recevoir l’ennemi.

L’heure des serments d’amour, des rêveries charmantes et des baisers sans fin était passée, celle du combat arrivait, et la reine des Maures devait se souvenir de la belliqueuse gitana.

La nuit était bien sombre, mais la foudre du ciel l’éclairait de minute en minute et montrait aux assiégés les Espagnols montant à l’assaut.

Ils avaient dédaigné de traîner des canons après eux, et la promptitude et le sangfroid qu’ils mettaient à combler les fossés avec des fascines et à ajuster des échelles, témoignaient de l’inébranlable résolution du général en chef, qui n’était autre que le farouche duc d’Albe, d’en finir d’un seul coup et de sacrifier au besoin dix mille hommes.

Don Paëz les reçut avec de la mitraille et des feux de mousqueterie qui leur firent éprouver un grand dommage dès la première heure;—mais chaque soldat tué était remplacé, chaque échelle renversée était redressée à l’instant.

Les Espagnols se cramponnaient aux blocs de roche, grimpaient au talus des murailles, étreignaient une pierre en saillie et mouraient avant de tomber;—et toujours décimés, toujours infatigables, sanglants, hachés, ils montaient sans cesse, les morts devenant un marchepied pour les vivants.

Don Paëz, debout sur le rempart, ayant la princesse à ses côtés, pointait lui-même un canon avec le sangfroid d’un vieil artilleur: chaque coup qui partait de sa main labourait les rangs espagnols et y creusait une large trouée; mais la trouée se refermait soudain et l’ennemi montait toujours, montait sans cesse, recruté, raffermi par de nombreux renforts, tandis que les derniers lansquenets de don Paëz tombaient sans être remplacés.

Une partie de la nuit s’écoula ainsi au milieu de cette lutte homérique à qui les ténèbres de la nuit, les hurlements de la tempête et parfois les sinistres lueurs de la foudre imprimaient un cachet de poésie sombre et sauvage. Enfin l’ennemi atteignit le rempart et envahit la forteresse; alors on se battit pied à pied, les haleines se croisant et la dague au poing.

Puis, du rempart, le combat gagna les rues, la forteresse elle-même, et l’on se battit de carrefour en carrefour, de corridor en corridor, et de salle en salle.

Et à mesure que don Paëz reculait d’un pas, les Maures et les lansquenets tombaient un à un, et puis encore il fut contraint de prendre sa femme dans ses bras et de l’emporter jusqu’à la salle basse d’une tour où il se barricada.

Cette tour était celle où la princesse avait placé le coffre de rubis et de perles entamé par Hector pour lever une armée. Le coffre servit, avec le lourd ameublement de la salle, à fortifier la porte.

Celle-ci fut bientôt criblée de balles qui continuèrent autour de don Paëz leur moisson sanglante; enfin la porte commença à être ébranlée à coups de hache et don Paëz se trouva tout seul avec sa femme, foulant les cadavres pantelants de ses derniers défenseurs.

Alors cet homme si brave fut pris du vertige, il eut peur! Peur, vraiment! car il lui sembla voir déjà l’échafaud qu’on lui dressait sur la plate-forme de l’Escurial et le bûcher où l’on traînerait la princesse comme une gitana infâme... peur! car une pensée terrible éblouit son cerveau et lui fit prendre dans ses bras la princesse avec la frénésie de l’amour et du désespoir:

—Ecoute, lui dit-il, d’une voix entrecoupée... c’est la mort... il faut mourir... mieux vaut tout de suite... dans quelques minutes, il serait trop tard... la porte est ébranlée... elle cède... et les monstres ne respecteraient pas en toi la fille de dix générations de rois... Veux-tu mourir? dis... le veux-tu?

—Tue-moi! dit-elle, en découvrant sa poitrine d’un geste plein de majesté.

—Meurs, répondit don Paëz avec délire; mais avant écoute, et meurs heureuse. Je ne regrette rien en mourant, car mon âme et la tienne vont à Dieu enlacées; je t’aime, ô ma reine! et ton dernier baiser sera le talisman qui m’ouvrira le ciel.

Il la pressa sur son sein, leurs haleines se mêlèrent; ils vécurent de la même vie et leurs cœurs battirent l’un sur l’autre...

Puis don Paëz se dégagea brusquement de cette dernière étreinte, il leva sa dague et frappa.

La princesse tomba souriante et mourut sur-le-champ en murmurant: Adieu... je t’aime!...

—Je te suis, répondit don Paëz, qui jeta sa dague et prit son épée pour s’en frapper...

Mais soudain un bruit sourd, étrange se fit sous ses pieds. Le sol parut ébranlé, et tout à coup, comme il chancelait, une partie du parquet en boiserie vola en éclats, une hache apparut mettant à nu l’orifice d’un passage secret, un homme suivit cette hache...

C’était Hector!

—Il est temps, exclama-t-il, à moi! à moi, Gaëtano!

Gaëtano s’élança à son tour et arracha l’épée aux mains de don Paëz.

—Frère! frère! s’écria Hector hors de lui, un navire est au large; un canot est amarré au roc, et cet escalier, connu d’un marin génois, et qu’il nous a montré y aboutit. Viens, frère, viens!

Don Paëz lui montra le cadavre de la princesse.

—Elle est morte! dit-il, et je l’aimais!...

—Nous l’inhumerons en reine, frère, nous pleurerons avec toi... viens!...

Un éclair passa dans les yeux de don Paëz.

—Et la flotte, demanda-t-il, où est-elle? Peut-être pourrions nous vaincre?

—La flotte a été dispersée par la tempête et quatre vaisseaux se sont brisés.

—Alors, répondit don Paëz, quand on perd en un jour une couronne et la femme qu’on aime, il ne reste plus qu’à mourir.

—Frère, la porte va céder, il sera trop tard dans deux minutes... fuyons!

—Tiens, fit don Paëz avec calme, prends ce coffre, il est à toi; et laisse-moi. Je suis roi, je veux mourir comme tel... Les rois ne fuient point.

—C’est vrai, s’écria Gaëtano, les rois ne fuyent point; mais avant d’être roi tu te nommais Jean de Penn-Oll, et tu avais fait le serment de dévouer ta vie à la restauration de notre race. Ta vie ne t’appartient pas, l’enfant n’est pas retrouvé!

Et les deux frères saisissant don Paëz dans leurs bras, l’emportèrent dans cet escalier souterrain, qui devenait pour eux la voie suprême du salut!

FIN DES MARCHES D’UN TRONE.

TABLE
Des chapitres du deuxième volume.

  Pages
Chap. IX 3
X39
XI71
XII143
XIII221
XIV283
XV305
   
Fin de la table du deuxième volume.

Fontainebleau,—Imp. de E. Jacquin.


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