← Retour

Les cotillons célèbres

16px
100%

«Pour vous avertir comment se porte le ressort de mon infortune, de toutes choses ne m'est demeuré que l'honneur et la vie qui est sauve; et pour ce que en nostre adversité, cette nouvelle vous fera quelque peu de resconfort, j'ai prié qu'on me laissât vous escripre, ce qu'on m'a agréablement accordé...».

La nouvelle de la captivité du roi fut un coup de foudre pour la comtesse de Chateaubriant: le roi était son unique appui, avec lui elle perdait toute force, toute influence. Ses amis se retiraient d'elle, les ennemis seuls restaient, et à leur tête était la mère du roi, qui allait devenir régente jusqu'au retour de son fils.

Autant par douleur que par prudence, la belle favorite se renferma donc en son logis, refusant absolument de voir personne, sauf peut-être Clément Marot, le poëte, et la reine de Navarre.

Les ennemis de Françoise de Foix prétendaient que tous ses amants s'étaient donné rendez-vous à Pavie, mais qu'ils n'y avaient point eu de chance.

Le roi y avait perdu la liberté, l'amiral Bonnivet la vie, et le connétable de Bourbon l'honneur.

Cependant, Louise de Savoie, la mère du roi, avait pris la direction des affaires, que compliquait fort son impopularité, et l'on avait commencé les négociations relatives à la liberté du roi de France.

François Ier, en rendant son épée au lieutenant du roi d'Espagne, avait compté sur une de ces captivités dont on trouve de si charmantes descriptions dans les romans de chevalerie. Il s'était imaginé que Charles-Quint, en prince magnanime, devenu son ami par le seul fait de sa victoire, viendrait au devant de lui, les bras ouverts, et lui offrirait de partager son palais.

Malheureusement Charles Quint était un homme fort positif; ayant eu le rare bonheur de faire prisonnier son frère de France, il était parfaitement résolu à abuser de cette bonne fortune, et était décidé à ne lui rendre la liberté que sous de terribles conditions. Tout captif, à cette époque, devait une rançon. Le roi d'Espagne en voulait une en rapport avec ses intentions politiques.

François Ier fut donc conduit tout d'abord à la citadelle de Pizzitone, non loin du funeste champ de bataille de Pavie. Bientôt on le transféra à la forteresse de Sciativa, au royaume de Valence, au milieu d'un pays aride et désert, et qui servait à renfermer les prisonniers d'État.

François, qui avait repris espérance en touchant le sol d'Espagne, s'aperçut bien vite qu'il n'avait rien à espérer de la générosité chevaleresque de son vainqueur. Il était étroitement enfermé, gardé à vue, et il ne put même obtenir une entrevue avec l'empereur.

Le chagrin le prit alors, le mal du pays, il soupirait après le grand air, la liberté; bientôt sa vie fut en danger et on dut le conduire en un autre château, aussi près de Valence, entouré de forêts, de canaux et de jardins.

Cependant, à la nouvelle de la maladie de son frère, Marguerite de Navarre écrivit à Charles-Quint pour obtenir, avec un sauf-conduit, la faveur de partager la prison du royal captif. L'empereur accorda avec plaisir les autorisations nécessaires; il en était arrivé à trembler pour la vie de son prisonnier, et la mort du roi anéantissait tous ses projets. Marguerite partit donc, suivie de ses dames d'honneur, au nombre desquelles avait pris place la comtesse de Chateaubriant, impatiente de trouver son amant.

Des officiers de Charles-Quint escortèrent la reine de Navarre et les dames de sa suite; partout, sur leur passage, elles trouvèrent un accueil royal, et lorsqu'elles arrivèrent à Madrid, où, sur ses pressantes instances, François Ier avait été transféré, on mit à leur disposition une somptueuse demeure.

Ce fut un grand bonheur, pour le pauvre prisonnier, que l'arrivée de cette soeur bien-aimée, de cette Marguerite, si spirituelle, si enjouée, qui, pour charmer les ennuis de sa captivité, accourait, avec un essaim de jeunes femmes, belles et rieuses comme elle. François accueillit avec transport la comtesse de Chateaubriant; en pressant sur son coeur sa belle maîtresse, il put croire que tous ses malheurs étaient finis.

Ce n'étaient pas cependant les fêtes folles de Fontainebleau ou d'Amboise, mais ce n'était déjà plus la triste solitude de la forteresse de Valence.

François se sentait renaître, au milieu de cette petite cour aimable et dévouée, lui qui avait failli mourir d'ennui, au milieu du lugubre cérémonial de tous ces Castillans si fiers qui l'entouraient. Lui toujours si joyeux, si aisé, si familier, il avait été pris de marasme à la vue de tous ces grands d'Espagne, esclaves de la tradition et de l'étiquette, toujours huchés sur les prérogatives de leur grandesse.

Ne s'avisèrent-ils pas un jour de vouloir, comme c'était l'usage à la cour de Charles-Quint, que François les saluât avant de retirer leurs sombrero?

De ce jour le prisonnier n'avait plus voulu voir personne, et l'ennui avait jeté sur lui son manteau glacé.

François Ier racontait toutes ses tristesses à sa bonne Marguerite, il lui parlait des heures mortelles de la forteresse de Sciativa, il lisait les poésies composées alors qu'il n'espérait plus, et dont quelques-unes étaient adressées à madame de Chateaubriant. C'est les larmes aux yeux que la belle comtesse écoutait ces vers plaintifs, doux souvenir d'un amour royal:

O triste départie
De mon tant regretté
Deuil ne sera osté
Qui faict mon coeur parlé.
Sur moi laisse le fait,
Je t'en supplie, amie,
Car mort j'aurai pour vie,
Si autrement ne fait.

A ces vers obscurs et incorrects, la comtesse de Chateaubriant répondait par de douces paroles de consolation, et la reine de Navarre, pour chasser les derniers nuages de tristesse, racontait alors quelqu'une de ces nouvelles d'amour et de galanterie qui devaient plus tard former l'Heptaméron.

Charles-Quint surveillait, avec une visible inquiétude, la petite cour qui entourait son prisonnier; toutes ces fêtes intimes lui paraissaient cacher quelque projet d'évasion. François Ier ne songeait nullement à tromper la surveillance de ses gardiens; mais, réconforté par la présence de sa soeur Marguerite et de sa bien-aimée Françoise, il avait conçu un autre plan, beaucoup moins hasardeux, et tout aussi propre à tromper les ambitieuses espérances de son vainqueur.

Entre sa soeur et sa mie, François Ier écrivit un acte solennel d'abdication. Cet acte donnait au Dauphin le titre de roi de France, la reine nommée régente prenait la direction des affaires, et lui-même, devenu simple gentilhomme, ne présentait plus aucune garantie sérieuse à celui qui le retenait.

La reine Marguerite emporta, caché dans un des plis de sa robe, cet acte qui ôtait la couronne du front de son frère. Le temps accordé par le sauf-conduit venait d'expirer, et la belle reine de Navarre, toujours suivie de son escorte de dames, avait dû regagner la France.

Lorsque Charles-Quint apprit l'existence de l'acte d'abdication, il était trop tard, la soeur du roi de France avait passé la frontière.

Cette résolution, véritablement chevaleresque, ne fut jamais exécutée, les rigueurs de la captivité devaient avoir raison des projets de François Ier.

Après le départ de la reine Marguerite et de madame de Chateaubriant, la captivité du roi de France devint plus rigoureuse que jamais: Charles-Quint était décidé à obtenir toutes les concessions qu'il avait demandées, et il ne voulait plus attendre davantage. Le prisonnier était retombé malade, la régente se vit forcée de s'exécuter. Un traité minutieusement rédigé fut signé à Madrid, et après un an et un mois de captivité, le roi de France put revoir son royaume.

L'heure de la délivrance de François Ier, si impatiemment attendue par la comtesse de Chateaubriant, fut le signal de sa disgrâce. Elle avait compté, l'infortunée, sans l'inconstance de son amant, sans la haine que lui portait Louise de Savoie.

En arrivant à Bayonne, François Ier trouva sa mère, qui, «jalouse d'être agréable à son fils, avait amené avec elle un brillant cortège de dames et de demoiselles.» Il s'éprit aussitôt d'un fol amour pour la plus belle d'entre elles, la jeune de Heilly, qu'on appelait aussi Anne de Pisseleu et qui devint la duchesse d'Étampes.

Louise de Savoie joua en cette circonstance un assez triste rôle: dans son désir de renverser son ancienne rivale en influence, la comtesse de Chateaubriant, elle avait longtemps à l'avance stylé la belle de Heilly; elle la poussa, pour ainsi dire, entre les bras de son fils.

Sunt regum matres nonnunquam filiorum suorum leonæ, dit assez brutalement Corneille Agrippa, un rhéteur, alors astrologue de la reine mère; ce qui signifie qu'une mère de roi, lorsqu'il s'agit d'assurer son pouvoir, ne regarde pas à donner une maîtresse à son fils.

En apprenant qu'elle avait une rivale véritablement aimée, la comtesse de Chateaubriant fut saisie d'une douleur mortelle. Cependant elle ne voulut point s'avouer vaincue sans combattre: elle reparut à la cour, elle croyait pouvoir disputer le coeur de François Ier, mais elle n'arriva que pour être témoin du triomphe de mademoiselle de Heilly. Elle était à tout jamais sacrifiée.

Telle était déjà l'influence de l'adroite Anne de Pisseleu sur son amant, qu'elle fit commettre au roi-chevalier un de ces actes inqualifiables dont rougirait aujourd'hui le plus grossier bourgeois.

Au temps heureux de sa faveur, alors que reine et maîtresse elle voyait la cour à ses pieds, la belle Françoise avait reçu de son royal amant de riches bijoux, ornés d'amoureux emblèmes ou de galantes devises composées par la reine de Navarre.

Vaniteuse, jalouse, désireuse d'essayer son pouvoir naissant, mademoiselle de Heilly exigea du roi qu'il redemandât à son ancienne maîtresse tous les présents dont il l'avait comblée.

François Ier, dans l'aveuglement de sa passion, eut la faiblesse d'y consentir.

Il envoya vers la comtesse un de ses gentilshommes, chargé d'exiger la restitution de tous ces gages d'amour, souvenirs des heures de bonheur, mille fois plus chers à la favorite depuis qu'elle était délaissée.

«Madame de Chateaubriant, dit Brantôme, fit la malade sur le coup, et remit le gentilhomme dans trois jours à venir et qu'il aurait ce qu'il demandait.

«Cependant de dépit, elle envoya quérir un orfèvre et luy fit fondre tous ses joyaux, sans respect ni exception des belles devises qui y étaient engravées. Et après, le gentilhomme étant revenu, elle lui donna tous les joyaux converti lis et contournez en lingots d'or.

«—Allez, dit-elle, portez cela au roy, et dites-luy que puisqu'il luy a pleu de me révoquer ce qu'il m'avait donné, je le luy rends et renvoye en lingots. Pour quant aux devises, je les ay si bien empreintes et colloquées en ma pensée et les y tiens si chères, que je n'ay peu permettre que personne, en disposast, en jouist, et en eust du plaisir que moy-mesme.

«Quant le roy eut receu le tout, et lingots et propos de cette dame, il ne fit autre chose sinon:

«—Retournez-luy le tout; ce que j'en faisais ce n'était point pour la valeur, car je lui eusse rendeu deux fois plus, mais pour l'amour des devises; mais puisqu'elle les a fait ainsi perdre, je ne veux point de l'or et le luy renvoye. Elle a monstré en cela plus de courage et générosité que n'eusse pensé pouvoir provenir d'une femme.»

Et Brantôme ajoute en manière de moralité:

«Un coeur de femme généreuse dépité et ainsi dédaigné fait de grandes choses.»

Délaissée par le roi, persécutée par la reine mère qui voyait en elle une ancienne rivale de puissance et protégeait mademoiselle de Heilly, la belle, la tant aimée comtesse de Chateaubriant dut se résigner à quitter cette cour qui déjà l'avait oubliée pour la nouvelle favorite.

Elle ne songea plus qu'à rentrer en grâce près de son mari, homme infortuné qu'elle avait outragé dans ses affections les plus saintes. Elle connaissait le sire de Laval, elle espérait qu'à l'ardent amour qu'il avait jadis pour elle avait succédé un peu de pitié.

Elle partit donc pour la Bretagne.

Que de fois, le long de ce douloureux voyage, incertaine du sort qui l'attendait, elle répéta les derniers vers de son horoscope:

Du fait du roi aura grand heur,
Las! puis grand malheur!

Ici le roman prend la place de l'histoire.

Peu satisfait, sans doute, du vulgaire dénouement des amours de la belle maîtresse de François Ier, l'historien Varillas a jugé convenable d'y substituer un drame lugubre qui fait plus d'honneur à son imagination qu'à son amour pour la vérité.

Mainte fois répétée, amplifiée, tantôt en vers, tantôt en prose, la légende de Varillas a fini par prendre assez de consistance pour qu'il soit nécessaire de la mentionner, ne fût-ce que pour en démontrer l'invraisemblance.

Voici donc la tragique histoire qu'avec le plus beau sang-froid du monde raconte cet historien de François Ier.

Par une triste soirée d'hiver, une femme suivie d'un petit nombre de serviteurs vint frapper à la porte du manoir de Combourg; les domestiques se hâtèrent d'ouvrir.

Alors cette femme, qui n'était autre que la belle Françoise, insista pour voir, sur l'heure, le sire de Laval.

Le comte de Chateaubriant, prévenu, parut presqu'aussitôt.

En reconnaissant sa femme, il ne témoigna aucune surprise, son pâle visage ne trahit pas la plus légère émotion.

—Je vous attendais, madame, dit-il, et j'ai fait préparer votre appartement, vous êtes ici chez vous.

Offrant alors la main à la comtesse toute frissonnante devant ce calme impitoyable, il la conduisit à la chambre qui avait autrefois été leur chambre nuptiale.

—Voici, madame, dit-il, quelle sera désormais votre demeure.

Et il sortit implacable et froid comme la vengeance.

La comtesse était tombée évanouie sur le carreau, à l'aspect de la demeure que lui réservait son mari, et certes il y avait de quoi.

Aux riches tapisseries de l'appartement, on avait substitué des draperies noires, le lit était tendu de noir; les fenêtres avaient été murées, et une petite lampe d'église suspendue à une des poutres du plafond jetait seule quelques lueurs blafardes dans ce morne intérieur.

La comtesse vécut dix mois dans ce sépulcre, et chaque jour son mari venait se repaître de sa douleur et de ses larmes.

Lorsque parfois elle se jetait à ses genoux et les mains jointes lui demandait grâce:

—Avez-vous eu pitié de moi, répondait-il, lorsque vous m'avez abandonné, épouse déloyale, pour suivre votre amant?

D'autres fois l'infortunée comtesse suppliait ce barbare de lui permettre de revoir une fois encore la lumière du jour, de respirer, ne fût-ce qu'un instant, l'air pur du dehors.

Alors avec un rire effrayant il disait:

—Pourquoi le roi François, qui vous aimait tant, ne vient-il pas vous arracher à ce sépulcre? Où donc sont les belles fêtes de la cour? Que sont devenus vos amants? Pensez-vous que Clément Marot fasse encore des vers à votre louange?

Enfin, au bout du dixième mois, le comte, trouvant que sa femme ne mourait pas assez vite, pénétra un jour dans la chambre tendue de noir, avec six hommes masqués et deux chirurgiens.

—Faites votre devoir, dit-il.

Aussitôt ces maîtres bourreaux saisirent la comtesse et lui tirèrent tout le sang des veines. La vie s'exhala avec la dernière goutte.

Pour comble d'horreur, Varillas donne à la comtesse qui n'eut jamais d'enfants une petite fille qui partagea le tombeau de sa mère, mais qui, ne pouvant supporter cette horrible captivité, mourut au bout de deux mois, sous les yeux du sire de Laval.

Tel est le roman de Varillas, roman qu'accepte Sauval de la meilleure foi du monde; il ajoute que le comte de Chateaubriant tua sa femme pour pouvoir se remarier.

Malheureusement pour ce lugubre drame, une foule de preuves en démontrent la fausseté.

Depuis longtemps le sire de Laval avait pris son parti de l'infidélité de sa femme. Il dut à sa toute-puissance sur l'esprit du roi un avancement considérable qu'il accepta de la meilleure grâce du monde.

Ceci seul suffirait pour exclure la supposition de l'horrible vengeance; mais ce n'est pas tout. Plusieurs chroniques affirment que la comtesse de Chateaubriant reparut plusieurs fois à la cour après le triomphe de mademoiselle de Heilly. Après avoir été la maîtresse du roi elle sut rester son amie, et dans un recueil des lettres de François Ier, on trouve une réponse de la comtesse qui remercie son ancien amant d'une riche broderie qu'il a eu la galanterie de lui envoyer.

Enfin, il se trouve que, bien des années après celle où Varillas place son horrible drame, François Ier a visité le manoir de Chateaubriant, à deux reprises il y a passé quelques jours et y a même signé des édits. Or jamais le roi n'eût fait cette faveur à l'assassin d'une femme qui avait été sa maîtresse bien-aimée.

La vérité est que la belle Françoise de Foix, réconciliée avec son mari, vécut dans la retraite, jusqu'à l'époque de sa mort, qui arriva le 15 octobre de l'année 1537.

A la mort de sa femme, le sire de Laval fit éclater une grande douleur, et lui fit élever un magnifique tombeau dans l'église des Mathurins de Chateaubriant.

Clément Marot, qui se souvenait de celle qui avait été sa protectrice, fit pour elle, à la demande du comte, l'épitaphe gravée sur le socle de marbre qui soutenait sa statue:


V

ANNE DE PISSELEU,

DUCHESSE D'ÉTAMPES.

Le 11 mars 1526, après un an et vingt-deux jours de captivité, François Ier put enfin regagner son royaume.

Plus seul, plus triste que jamais dans sa prison après le départ de sa soeur Marguerite, le roi-chevalier s'était dit que la France après tout vaut bien un trait de plume, et il avait signé le dur traité de Madrid, avec l'intention bien arrêtée de ne le point exécuter, compromettant ainsi ce qu'il se réjouissait si fort d'avoir sauvé à Pavie.

Les deux fils aînés du roi, le dauphin François et Henri, duc d'Orléans, le plus âgé n'avait pas dix ans encore, étaient donnés en otage et garantissaient le traité.

L'échange des prisonniers eut lieu dans des bateaux, au milieu de la Bidassoa. François Ier, dans sa joie d'être libre, ne songea même pas à embrasser ses enfants, il sauta dans une barque française et gagna le bord.

—Enfin, s'écria-t-il en touchant terre, enfin je suis roi derechef!

Et s'élançant sur un cheval turc que tenaient ses serviteurs, il courut à toute bride jusqu'à Saint-Jean-de Luz, puis jusqu'à Bayonne où sa mère l'attendait avec toute la cour.

«Mais, dit une vieille chronique, le monarque qui venait de recouvrer sa liberté devait trouver en France de nouvelles chaînes, plus douces peut-être, mais bien autrement étroites.»

A la duchesse de Chateaubriant allait succéder Anne de Pisseleu.

Depuis longtemps déjà, l'ambitieuse Louise de Savoie avait juré la perte de la comtesse de Chateaubriant. Elle haïssait cette favorite altière, qui plus d'une fois s'était jetée à la traverse de ses projets, et dont l'influence dans le conseil balançait la sienne. Mais pour renverser la belle comtesse, il fallait lui donner une rivale dans le coeur du roi, une rivale qui sût borner son ambition à satisfaire les caprices de sa vanité. Louise de Savoie se chargea de ce soin. Elle jeta les yeux sur une de ses demoiselles d'honneur, fille de Guillaume de Pisseleu et d'Anne Sanguin, son épouse en secondes noces. Ce choix prouve que la reine mère connaissait merveilleusement le caractère de son fils.

Anne de Pisseleu, ou plutôt mademoiselle de Heilly, comme on l'appelait alors, venait d'atteindre sa dix-huitième année. Vive, enjouée, spirituelle, elle se faisait remarquer entre toutes les nobles et belles filles dont aimait à s'entourer la mère de François Ier. Son éducation était bien supérieure à celle des femmes de son époque, et chacun la savait très-érudite et bien disante.

Deux oeuvres immortelles, un portrait de Primatice et un buste de Jean Goujon, nous ont conservé les traits d'Anne de Pisseleu. Sa beauté est certainement au-dessous des éloges de ses contemporains, mais sa physionomie est charmante, ses yeux d'un bleu opaque ont d'irrésistibles séductions, et sur sa bouche, «rose vermeille,» du dessin le plus délicat et le plus correct, erre un spirituel et tendre sourire.

Il est une chose enfin que n'ont pu rendre ni le sculpteur, ni le peintre, c'est la grâce de l'enchanteresse, son esprit, son savoir, et par-dessus tout sa voix «si tendre et si harmonieuse, qu'elle faisait vibrer toutes les cordes de l'âme.»

Telle était mademoiselle de Heilly, lorsque pour la première fois le roi de France l'aperçut auprès de Louise de Savoie. Il l'aima.

Ces nouvelles amours de François Ier n'ont point, pour ainsi dire, de préface.

Il n'y eut ni luttes, ni traverses, ni même aucun mystère. La protégée de la reine mère avait un rôle à jouer, elle le joua merveilleusement. Du premier jour elle fut favorite en titre, et chacun salua avec surprise ce pouvoir nouveau qui n'avait point eu d'aurore.

Déjà le roi aimait follement la belle fille d'honneur. A ses pieds, dans l'ivresse première de la passion, il semblait avoir tout oublié: son royaume, le désastreux traité de Madrid, la captivité des enfants de France.

Il ne se souvenait plus de la tant aimée comtesse de Chateaubriant, qui, n'ayant pas osé suivre la cour à Bayonne, attendait à Paris le retour de son inconstant amant.

La cour, cependant, avait repris le chemin de la capitale. On voyageait à petites journées, toutes les villes se disputaient l'honneur de célébrer le retour du souverain. A Bordeaux les fêtes furent magnifiques et durèrent plus de quinze jours. Anne de Pisseleu, la plus belle, la mieux parée, était partout la reine, ses moindres désirs étaient des ordres.

Après un an de privations, François Ier s'enivrait de plaisir et de bruit. Il était si heureux de retrouver enfin cette vie splendide et voluptueuse dont le souvenir avait si souvent troublé les tristes nuits de sa captivité!

La fin de cette année (1526) se passa à Cognac, où le roi, d'après le conseil des médecins, s'était arrêté pour respirer l'air natal; il s'y livra avec fureur au plaisir de la chasse et faillit se tuer en courant le cerf.

Enfin, dans les premiers mois de 1527, François Ier fit son entrée à Paris, dont il était absent depuis près de trois ans, mais il ne s'y arrêta que peu de jours, le temps de tenir un lit de justice; il avait hâte de revoir Fontainebleau, sa résidence favorite. Les affaires étaient dans le plus fâcheux état, mais le roi avait bien loisir vraiment de songer aux affaires. Il aimait chaque jour davantage la belle Anne de Pisseleu et «avait à rattraper le temps perdu pendant un an pour l'amour et pour le plaisir.» Il faisait alors construire, non loin de Paris, une nouvelle résidence ornée à la mauresque, le château de Madrid, souvenir de ses jours de captivité.

Un instant madame de Chaleaubriant caressa l'espérance de ramener à elle son infidèle amant, elle voulut lutter avec Anne de Pisseleu dont le pouvoir grandissait chaque jour; mais elle n'était pas de force, elle fut brisée dans la lutte. La fille de Phébus de Foix dut se retirer, sans avoir rien obtenu qu'un sanglant outrage de ce prince à qui elle avait tout sacrifié.

Charles-Quint, cependant, réclamait plus impérieusement chaque jour l'exécution du traité de Madrid. L'ambassadeur de France, Calvimont, à bout de délais et de prétextes, ne répondait plus que des paroles évasives. Irrité de tant de mauvaise volonté, Charles-Quint s'écria en présence de Calvimont:

«Le roi de France a manqué déloyalement à sa foi de chevalier qu'il m'avait donnée, et s'il osait le nier, je le soutiendrais seul à seul avec lui les armes à la main.»

C'était un bel et bon défi d'armes.

François Ier, ce constant admirateur d'Amadis des Gaules, n'était point homme à laisser tomber ces paroles à terre. Il y répondit par un cartel que Guyenne, son héraut, alla porter à l'empereur:

«A toi, élu empereur d'Allemagne, tu en as menti par la gorge, quand tu soutiens que j'ai manqué à ma foi de gentilhomme; j'accepte ton défi. Assigne un lieu de combat, promets-moi la sûreté de camp, et terminons par l'épée ce qui s'est trop continué par l'écriture.»

A la grande surprise de tous, Charles-Quint ne refusa pas le défi:

—«Rapporte au roi ton maître, dit-il au héraut de France, que j'accepte son cartel. Le lieu fixé pour le combat sera l'île de Bidassoa, la place même où François Ier m'a donné sa parole de gentilhomme d'exécuter le traité.»

L'empereur, toujours si politique, si froid, prenait ce duel fort au sérieux. Il choisit un second, le brave Baltazar Castiglione, et envoya en France un héraut. Ce fut alors à François Ier à chercher des prétextes pour éviter le combat.

Lorsque se présenta Bourgogne, le héraut d'Espagne, porteur de la provocation de son maître, on refusa tout d'abord de le conduire au roi. On le promena de résidence en résidence, sans lasser sa ténacité. Il allait précédé de trompettes, et du gonfalon aux armes de Castille, de Fontainebleau à Paris, de Paris à Lonjumeau. De guerre lasse on le mena devant le roi. Alors il commença à lire le cartel de l'empereur. Interrompu dix fois, il s'obstina à recommencer, quand même. Mais on le contraignit à quitter la cour et il s'éloigna sans avoir pu achever la lecture du défi.

Le Miroir de la chevalerie à la main, il est assez difficile d'expliquer d'une façon satisfaisante la conduite de François Ier. Cependant on ne peut douter du courage du héros de Marignan, du chevalier qui à Pavie se précipitait presque seul au milieu de la mêlée. Toutes ces tergiversations tiennent probablement à quelque cause politique qui n'est pas venue jusqu'à nous.

Ainsi finit l'histoire passablement grotesque de ce défi dont on ne trouve guère d'exemple que dans les romans de chevalerie, au temps où les empereurs faisaient profession de rompre des lances au coin des bois avec de mystérieux chevaliers, au temps où Charlemagne, comme dans Roland furieux, ne dédaignait pas de se mesurer avec le terrible sacripant.

Les armées des deux adversaires furent, selon l'usage, chargées de vider la querelle. L'Italie, comme toujours, était le champ de bataille. Bourbon n'était plus, il avait été tué sous les murs de Rome par l'arquebuse de Benvenuto Cellini, le merveilleux artiste, mais ses soldats avaient trouvé d'autres chefs. Hordes indisciplinées qui l'avaient adoré lorsqu'il les conduisait à la victoire, qui avaient marché sur la ville sainte «pour faire danser la sarabande aux cardinaux et pendre le Pape,» et qui pour venger sa mort avaient promené le massacre, le viol et l'incendie sur les sept collines, aux cris de: Carne! Sangue! Cierra! Bourbon!

La lutte menaçait de s'éterniser et les forces des deux partis s'épuisaient. L'empereur n'espérait plus guère l'exécution du traité de Madrid, le roi de France battu sur tous les points comprenait qu'il devait céder quelque chose. Charles et François s'entendirent alors pour que la question se débattît à huis clos entre eux. Le premier envoya sa tante Marguerite d'Autriche, le second sa mère, à Cambrai, et les négociations commencèrent, mystérieuses, entre les deux princesses. Après trois semaines de conférences le traité de Cambrai fut signé. On l'appella la Paix des Dames.

François Ier, en dépit de ses allures chevaleresques abandonnait sans pudeur tous ses alliés, mais il obtenait la liberté de ses fils moyennant deux millions d'écus d'or; enfin, il s'engageait à épouser sans retard la princesse Eléonore d'Autriche, soeur de Charles-Quint, et veuve d'Emmanuel le Grand, roi de Portugal, celle-là même qui avait été promise au connétable de Bourbon.

Tout aussitôt commencèrent d'immenses préparatifs. François Ier voulait par le luxe de sa cour, par la splendeur des fêtes surprendre, étonner la soeur de Charles-Quint, cette princesse espagnole dont la vie jusqu'alors avait été close et voilée comme celle des femmes mauresques. C'était alors ainsi, au pays des Espagnes, le couvent remplaçait le sérail.

Avant tout cependant il fallait trouver deux millions d'écus d'or pour la rançon du Dauphin et de son frère. Somme énorme! mais pour une cause sacrée, chacun tenait à honneur de se dépouiller. La noblesse, le peuple et le clergé s'exécutèrent. La matière manquait-elle, le roi empruntait à ses sujets leur vaisselle d'argent dont le trésorier donnait des reconnaissances. Vases, coupes, aiguières, bijoux précieux, on portait tout à la monnaie, tant était grande l'impatience de revoir les fils de France. Le chancelier du Prat eut même l'idée d'altérer la monnaie, il fit mêler à l'or un fort alliage de cuivre. Mais les commissaires espagnols étaient à la hauteur de cette ruse, ils éventèrent la fraude et, bon gré mal gré, il fallut compléter la somme.

Enfin les derniers écus d'or furent remis aux mains des Espagnols, les fêtes commencèrent. Depuis trois mois déjà des hérauts d'armes parcouraient la province, ils allaient de château en château, convier toute la noblesse au mariage du roi de France, aux cérémonies et tournois qui devaient en être la suite.

Ce furent, dit Marot, «de gorgiales fêtes.» François Ier s'était porté suivi de toute sa cour, et de sa bien-aimée Anne de Pisseleu, jusqu'à Bayonne où tout avait été préparé pour recevoir dignement la soeur de Charles-Quint.

En revoyant ses deux fils, le roi pleura d'attendrissement, longtemps il les tint serrés sur sa poitrine. Le mariage fut célébré à Bordeaux, et c'est à cette occasion que fut représentée en France la première bergerie. Les acteurs étaient habillés de riches étoffes qui n'avaient pas coûté moins de cinquante livres tournois.

Partout sur le passage de la cour, «qui chevauchait vers Paris en grande pompe, par monts et par vaux,» éclataient les transports des populations. Le peuple voyait dans cette union avec une fille d'Espagne un gage de paix et de bonheur. Les cathédrales étaient trop étroites pour contenir la foule qui venait remercier Dieu; les cloches sonnaient à toute volée, les feux d'artifice éclataient partout, dans la nuit.

Mais de toutes les fêtes, la plus belle, la plus riche, la plus désirée eut lieu à Paris, à la porte Saint-Antoine. Tournoi magnifique dont les splendeurs dépassèrent de beaucoup tout ce qu'on avait vu jusqu'à ce jour. De toutes les contrées de l'Europe, des chevaliers étaient accourus; les plus nobles et les plus riches, couverts d'armures étincelantes, se pressaient dans la lice.

Huit jours durant on rompit des lances aux acclamations des nobles dames. Le roi lui-même voulut combattre sous les yeux de sa nouvelle épouse, et ses coups, disent les chroniques, ne furent ni les moins durs ni les moins forts.

On ne savait rien alors au-dessus de ces grandes fêtes de la chevalerie. Les dames se passionnaient pour ce dangereux passe-temps; et, pour encourager les chevaliers à bien faire, elles jetaient dans l'arène leurs joyaux d'abord, puis leurs vêtements, jusqu'à se trouver presque nues.

Non moins que les dames, le peuple était avide de ces terribles jeux d'armes. Ce bruit de fer lui montait à la tête; il saluait les vainqueurs de formidables acclamations et applaudissait avec frénésie, comme la Rome païenne aux combats des gladiateurs.

De toutes ces fêtes données en l'honneur de la nouvelle épouse de François Ier, la reine véritable était la séduisante favorite. N'était-elle pas la plus belle, sous sa riche parure? Elle portait une robe de drap d'or frisé et une cotte de toile d'or incarnat semée de pierreries.

C'est elle que le roi cherchait des yeux lorsque, descendu dans la lice, il frappait quelque bon coup. C'est elle qui remettait aux heureux chevaliers le prix de l'adresse et du courage.

La reine Eléonore ne tarda pas à s'apercevoir qu'elle ne serait jamais rien pour son époux. Abandonnée comme l'avait été la première femme du roi, la douce et malheureuse Claude, ses jours s'écoulèrent dans une tristesse morne, dans une humiliante solitude. Que de fois, en voyant les hommages dont on entourait la favorite, elle dut regretter une union accueillie avec tant de joie! Car elle, aussi, s'était laissé prendre aux brillants dehors de François Ier.

La devise d'Eléonore était un phénix avec cette légende: Unica semper avis, oiseau toujours unique. Les beaux esprits de la cour riaient tout bas de cet emblème bien ambitieux pour une épouse délaissée, pour une reine sans influence.

Cependant la belle Anne de Pisseleu était devenue l'une des plus riches et des plus grandes dames de France. L'amour si brusque et si impétueux du roi ne s'était point affaibli, malgré ses caprices passagers et les intrigues des ennemis de la favorite. Il l'avait comblée de présents et de richesses, et enfin, pour lui assurer à la cour un état digne de ses fonctions, il l'avait mariée à Jean de Brosse, mari de facile composition, qui, en échange de son nom, ne demanda rien que de l'argent et des honneurs.

Jean de Brosse était fils d'un complice du connétable de Bourbon, René de Brosse, mort à la bataille de Pavie en combattant sous les drapeaux étrangers. Les biens du coupable avaient été confisqués, et son fils réclamait vainement leur restitution, exigible en vertu d'une clause du traité de Cambrai.

Déchu de son ancienne splendeur, Jean de Brosse menait en France une vie misérable, lorsqu'on vint lui proposer le marché honteux qui ferait de lui l'époux de la maîtresse du roi. En échange, on lui offrait de le remettre en possession des domaines de sa famille.

Il accepta. La pauvreté était pour lui une trop lourde charge, et de l'infamie il ne considéra que le prix. Il était grand: François Ier fit Jean de Brosse comte de Penthièvre, chevalier de ses ordres et enfin duc d'Etampes.

Le mariage fut célébré en grande pompe. Les trois complices, le roi, la femme et le mari portaient fort allègrement leur honte. A l'issue de la cérémonie Jean de Brosse s'éloigna. Comme il ne devait point voir sa femme on l'envoyait gouverner en Bretagne.

De ce jour on n'appela plus Anne de Pisseleu que la duchesse d'Etampes.

Un des premiers soins de la duchesse, lorsqu'elle fut bien sûre de son pouvoir, fut d'enrichir sa famille. Dépositaire de toutes les grâces, elle en abusa avec une prodigalité inouïe. Le trésor de l'Etat, les dignités, les bénéfices de l'Eglise furent littéralement mis au pillage.

Antoine Sanguin, son oncle maternel, devint archevêque de Toulouse; Charles, François, et Guillaume de Pisseleu, ses frères, eurent les évêchés de Condom, d'Amiens et de Pamiers, et se partagèrent en outre un grand nombre de riches abbayes. Ses soeurs ne furent point oubliées: deux furent nommées abbesses; les autres alliées aux maisons de Barbançon-Cany, de Chabot-Jarnac et du comte des Vertus.

Les sept années qui suivirent le traité de Cambrai furent les plus brillantes du règne de madame d'Etampes. Elle était alors à l'apogée de sa puissance et de sa beauté. Nulle rivale encore ne songeait à contre-balancer son influence. Réalisant les prévisions de Louise de Savoie, elle s'abstenait complètement de politique et ne semblait occupée que de fêtes et de plaisirs. Le roi, qui n'était heureux que près d'elle, passait à ses pieds de longues journées; il aimait son esprit, son humeur enjouée, ses fantaisies les plus folles, ses caprices.

Instruite, savante même pour son temps, la duchesse d'Etampes avait une cour nombreuse de poëtes et d'artistes. Les uns faisaient des vers à sa louange, les autres sculptaient son buste ou reproduisaient sur la toile ses traits charmants. François Ier, que les arts enchantaient, se plaisait au milieu des protégés de sa maîtresse bien-aimée; en échange d'une hospitalité royale, ils lui donnaient des chefs-d'oeuvre ou chantaient les perfections infinies de celle qu'on appelait des belles très-érudite et des érudites très-belle.

Le roi faisait-il présent à la favorite du duché d'Etampes, Marot aussitôt prenait la plume et envoyait ces jolis vers:

Ce plaisant val que l'on nommait Tempé,
Dont mainte histoire est encore embellie,
Arrosé d'eaux, si doux, si attrempé,
Sachez que plus il n'est en Thessalie.
Jupiter roi, qui les coeurs gagne et lie,
L'a de Thessale en France remué,
Et quelque peu son nom propre mué:
Car pour Tempé veut qu'Etampes s'appelle.
Ainsi lui plaît, ainsi l'a situé,
Pour y loger de France la plus belle.

Une autre fois, la duchesse d'Etampes avait, à la suite des fatigues d'un long voyage, perdu quelque peu de sa fraîcheur; aussitôt Marot de s'écrier:

Vous reprendrez, je l'affirme
Par la vie,
Ce teint que vous a osté
La déesse de beauté
Par envie.

A chaque instant dans les oeuvres du poëte, on retrouve le nom de la duchesse d'Etampes, c'est pour elle qu'il aiguise en pointes ses plus délicates pensées, qu'il cisèle ses plus gracieux rondeaux, qu'il cherche ses rimes les plus riches. Ecoutez ces jolies étrennes:

Sans préjudice de personne,
Je vous donne
La pomme d'or de beauté,
Et de ferme loyauté
La couronne.

Dix et huict ans je vous donne,
Belle et bonne;
Mais à votre sens rassis
Trente-cinq ou trente-six
J'en ordonne.

En échange de cet encens prodigué à pleines mains, la duchesse d'Etampes accordait à Clément Marot sa haute protection. Et certes, le valet de chambre de Marguerite de Valois, car telles étaient les fonctions du poëte, en avait plus besoin que personne.

Remuant et batailleur, il avait souvent maille à partir avec les sergents: plus d'une fois il fut arrêté sur la voie publique. Original, amateur d'idées nouvelles, il eut plus d'un démélé avec la Sorbonne qui ne plaisantait pas, et avec le Châtelet. Aussi, il faut voir sa colère quand il parle des gens de justice. C'est du Châtelet qu'il disait:

Là, sans argent pauvreté n'a raison.

A chaque affaire nouvelle il se promettait d'être plus prudent, «mais bridez donc la langue d'un poëte!» si bien que lorsqu'il n'était pas en prison, il travaillait à s'y faire mettre.

Une grave accusation d'ailleurs pesait sur lui. On le disait huguenot. On avait raison, mais toute vérité n'est pas bonne à dire. Marot fut même arrêté à ce sujet, sa mie l'avait dénoncé dans un jour de brouille:

Un jour j'écrivis à ma mie
Son inconstance seulement.
Mais elle, ne fut endormie,
A me le rendre chaudement.
Dès lors, elle tint parlement
Avec ne sais quel papelard,
Elle lui dit tout bellement:
Prenez-le.... Il a mangé du lard.

Manger du lard! épouvantable accusation à une époque où ne point observer les abstinences de l'Eglise était un crime. Manger du lard!... A quoi pensait la mie du poëte! le résultat d'une plaisanterie de ce genre pouvait être de vous faire flamber tout vif. On prit, ma foi, la dénonciation au sérieux, car Marot continue le récit de ses infortunes:

Lors, six pendards ne faisant mie,
A me surprendre finement
Et de jour, pour plus d'infamie,
Firent mon emprisonnement.
Ils vinrent à mon logement
Lors, il va dire aux gros pendards
Par là, morbleu! voilà Clément,
Prenez-le... il a mangé du lard.

Cette fois encore Marot s'en tira, «sans y rien laisser accroché de sa peau.» Mais il alla mourir en exil, c'était le seul moyen de finir tranquille.

Mais Clément Marot n'était pas le seul à sacrifier sur l'autel de la divinité; madame d'Etampes avait bien d'autres poëtes, ou plutôt elle avait tous les poëtes. Pour elle, Charles de Sainte-Marthe bouleversait le vieil Olympe avec plus d'audace que de bonheur, et son admiration lui arrachait des vers dans le goût de ceux-ci:

Junon, Vénus et Pallas, trois ensemble,
Ont heu débat merveilleux à vous voir:
Çà, dit Junon, mienne est comme me semble,
Pour son grand los, sa jeunesse et avoir.
Mais, fit Vénus, pour moi la veux avoir,
Car en beauté au monde n'a seconde.
Quoi! dit Pallas, sa très-noble faconde,
Son bel esprit, ses grâces sont la mienne.
Lequel aura des trois la pomme ronde
Pour vous tenir justement comme sienne?

On pourrait citer bien d'autres vers de Sainte-Marthe, il avait le pathos facile. Mais la duchesse le protégeait, bien qu'excellent juge, assurent les chroniques. En fait d'encens, peut-être tenait-elle plus à la quantité qu'à la qualité.

Mais de tous les poëtes de la cour, Mellin de Saint-Gelais était le préféré de François Ier. Fils d'Octavien, l'évêque d'Angoulême, Saint-Gelais appartenait lui-même à l'Eglise; il était aumônier du prince Henri, le second fils du roi. A tous ces avantages il joignait celui d'être noble, et n'en était pas médiocrement fier. On l'avait surnommé l'Ovide français; et on le mettait bien au-dessus de Clément Marot, «ce dernier des enfants sans souci

Saint-Gelais, dans ses vers bien autrement obscènes que tous ceux de ces contemporains, confond étrangement le paganisme et la religion chrétienne, mais il faut l'excuser, il était abbé de Reclus. C'est lui qui moralisait en ces termes une nouvelle venue à la cour:

Si du parti de celle que voulez être
Par qui Vénus de la cour est bannie,
Moi, de son fils, ambassadeur et prêtre,
Vous fais savoir qu'il vous excommunie.

François Ier trouvait charmants le tour d'esprit et les saillies de Saint-Gelais; il s'amusait à faire avec lui assaut d'impromptus. Il est vrai qu'il y gagnait toujours quelque bonne et grosse flatterie. Un jour, en regardant son cheval, le roi disait:

—Joli, gentil petit cheval,
Bon à monter, bon à descendre.

Et Saint-Gelais continuait:

—Sans que tu sois un Bucéphal
Tu portes plus grand qu'Alexandre.

Mais il y avait bien d'autres poëtes encore à la cour de France: Jean Daurat, Lazare le Baïf, et Jean Salmon, surnommé le Maigre, et Joachim du Bellay, et Ronsard, qui devait les faire oublier tous, et qui n'était encore qu'un débutant obscur.

Les érudits prenaient place à côté des poëtes. François Ier, qui de tous côtés faisait chercher des livres et des manuscrits précieux pour la bibliothèque de Fontainebleau, aimait beaucoup les savants. Il les admettait à sa table et prenait plaisir à les faire discuter. Les favoris étaient Guillaume Budée, l'aigle des interprètes, et Pierre Duchâtel, l'évêque de Mâcon.

La duchesse d'Étampes protégeait encore d'une façon toute spéciale l'immortel créateur de Gargantua et de Pantagruel, un des pères de la langue française, Rabelais, dont les livres avaient dès lors un immense succès.

Prenons en pitié ceux qui ne comprennent pas le large rire du philosophe gouailleur et qui préfèrent à son cynisme les petites obscénités des écrivains de son temps. Ceux-là n'ont pas compris la portée de ces bouffonneries; ils n'ont pas su pénétrer le livre qu'il eut l'audace et l'adresse d'écrire à une époque où, pour toute lumière, on avait la lugubre lueur des bûchers.

Savants et beaux esprits vivaient en bonne intelligence à la cour de la duchesse d'Étampes: mais il n'en était pas de même des artistes. Ces rivaux de gloire, dévorés de jalousie, emplissaient le palais de Fontainebleau du bruit de leurs querelles. François Ier, qui les aimait tous, ne savait auquel entendre, et épuisait sa diplomatie à essayer de les mettre d'accord.

Sébastien Serlio de Bologne avait commencé les travaux de Fontainebleau; lorsque les constructions touchèrent à leur terme, une armée d'artistes, peintres et sculpteurs, Nicolao Bellini, Pellegrino, Domenico Barbieri, Lorenzo Naldino, et bien d'autres accoururent de Florence, sous les ordres du Rosso, peintre, musicien, poëte, un de ces admirables architectes comme en avait alors l'Italie, et que se disputaient les souverains.

Tant que le Rosso régna en maître à Fontainebleau, tout alla bien. Mais voici qu'un jour arrivèrent le Bolonais Primatice, élève chéri de Jules Romain, et le Florentin Benvenuto Cellini, l'admirable artiste, dont la moindre coupe se paie aujourd'hui dix fois son poids d'or.

De ce moment, la paix fut troublée. Une haine terrible divisa bientôt ces trois hommes. Le Rosso fut vaincu le premier; il s'empoisonna de douleur, en apprenant que le Primatice était envoyé en Italie pour recueillir les plus belles statues antiques.

La lutte fut alors entre le Primatice et Benvenuto. Ce dernier fut obligé de s'éloigner; il avait perdu les bonnes grâces de la duchesse d'Étampes.

Il faut lire dans les mémoires de Benvenuto Cellini le récit des querelles de l'artiste et de la favorite. Cellini avait oublié de demander l'avis de madame d'Étampes sur un travail qui lui avait été commandé. De là, grande colère. Vainement François voulut s'interposer, la favorite fut inflexible. Et comme un jour, Benvenuto, qui voulait rentrer en grâce, était allé faire sa cour à la duchesse et lui offrir une coupe qu'il venait de terminer, elle le fit attendre une journée entière dans son antichambre, et cela inutilement. De ce jour, il n'y eut plus de réconciliation possible.

Benvenuto d'ailleurs avait commis un bien plus irrémissible crime. Détestant la duchesse, sans cesse il reproduisait les traits d'une rivale qui commençait à l'effrayer, de Diane de Poitiers, qui devait plus tard régner sous le nom de son amant, second fils de François Ier.

Blessé cruellement dans son amour-propre, Benvenuto Cellini quitta la cour de France malgré les prières du roi, et pour se venger de la favorite il écrivit ses mémoires.

Il ne faut pas oublier, au nombre des artistes que protégea le roi, Léonard de Vinci, le peintre immortel de la Joconde; mais il ne prit point part à ces luttes, il était mort plusieurs années auparavant, entre les bras de François Ier.

Le Primatice resta donc seul maître à Fontainebleau.

Mais le tableau de la cour de François Ier serait incomplet, si l'on ne disait un mot des astrologues et des fous, personnages importants.

François Ier eut quatre ou cinq fous; mais deux seulement sont bien connus: Triboulet et Brusquel. Les autres, tels que Caillette, Tony et Ortis, jouèrent sans doute un moins grand rôle. Le dernier, Ortis, était nègre et quelque peu moine. Clément Marot lui fit cependant l'honneur d'une épitaphe:

Sous cette tombe git et qui?
Un qui chantait Lacochiqui.
Cy git, que dure mort piqua,
Un qui chantait Lacochiqui.
C'est Ortis. O quelles douleurs!
Nous le vîmes de trois couleurs.
Tout mort, il m'en souvient encore.
Premièrement, il était mort,
Puis en habit de cordelier
Fut enterré sous ce pilier.
Avant qu'il eût l'esprit rendu
Tout son bien avait dépendu.
Par ainsi mourut le folâtre,
Aussi blanc comme un sac de plâtre,
Aussi gris qu'un foyer cendreux,
Et noir comme un beau diable ou deux.

Voici maintenant, d'après Jean Marot, dans le Siège de Pesquaire, le portrait de Triboulet:

. . . . . . . . . . De la tête écorné,
Aussi saige à trente ans que le jour qu'il fut né,
Petit front et gros yeux, nes grant et taille à voste,
Estomac plat et long, hault dos à porter hote,
Chacun contrefaisant, dansa, chanta, prescha,
Et de tout, si plaisant qu'onc homme se fascha.

Tout était permis à ces singuliers personnages, et leur impudence égalait leur cynisme. L'un d'eux, Triboulet, alla, dans un moment de gaîté, jusqu'à battre un prêtre à l'autel. Tous les tours des fous n'étaient pas bons, tant s'en faut, ils avaient en général plus de succès que de mérite; mais nous les retrouvons aujourd'hui riches de tout l'esprit que depuis quatre siècles leur ont prêté tous les écrivains qui les ont mis en scène.

La mission des astrologues était bien autrement sérieuse. Comme les fous, ils avaient la prétention de dire la vérité. On les consultait dans les graves circonstances de la vie, lors des naissances, des mariages, lorsqu'on entreprenait quelque difficile affaire. Ce métier avait bien ses périls, les astres sont si trompeurs! Henri Corneille Agrippa, astrologue de Louise de Savoie, était encore un des plus célèbres de l'époque. Malheureusement, il lui manquait la foi; lui-même appelle sa science l'art de moucher les écus. Chassé par Louise de Savoie, pour avoir osé lui prédire des choses déplaisantes, il s'en vengea en faisant des satires où il l'appelait vilaine Jézabel.

Au milieu de cette cour voluptueuse et brillante de Fontainebleau, dans ce palais peuplé d'artistes et de poètes, que chaque jour enrichissait de quelque nouveau chef-d'oeuvre, la duchesse d'Étampes régnait toujours en souveraine. Certaine de son empire absolu sur le coeur de son royal amant, elle usait les heures dans les plus doux passe-temps, préparant la veille les plaisirs du lendemain, reine toujours, au bal comme au festin, à la chasse comme au tournoi.

Elle regardait l'avenir sans inquiétude, et cependant, à côté d'elle, dans l'ombre, grandissait une puissance rivale. Lorsqu'elle s'en aperçut, il était trop tard pour la renverser: elle ne pouvait qu'accepter la lutte. Elle l'accepta, résolue à se faire arme de tout.

L'élévation de la duchesse d'Étampes, son pouvoir, ses tendances, lui avaient valu bien des ennemis. Plus que tous les autres, les Guise et les Montmorency, représentants du parti catholique et de la vieille féodalité, supportaient en frémissant ce qu'ils appelaient l'insolence de la favorite. Ils s'étaient rapprochés pour essayer, sinon de la renverser, du moins de balancer son crédit.

Ils avaient trouvé un redoutable auxiliaire dans Diane de Poitiers, veuve de Louis de Brézé, comte de Maulevrier, et qu'on appelait madame la sénéchale. A quarante ans passés, Diane était la maîtresse du second fils de François Ier, le prince Henri, qu'elle avait tenu enfant sur ses genoux, et qui avait alors dix-sept ans à peine.

Ce fut entre ces deux femmes une guerre à outrance, et la haine qui les animait l'une contre l'autre divisa bientôt la cour en deux partis.

Diane représentait les vieilles imaginations de la noblesse féodale; la duchesse, les idées nouvelles de la renaissance. L'une était le progrès, l'autre la réaction.

La duchesse d'Etampes avait beau jeu à railler sa rivale. Les amours d'une vieille coquette et d'un jeune homme qui n'avait point encore de duvet au menton prêtaient fort au ridicule. Madame d'Etampes demandait sans cesse des nouvelles des cheveux blancs de madame la sénéchale; et hautement, elle disait qu'elle était née le jour même où on avait signé le contrat de mariage de Diane de Poitiers.

Aux yeux des Montmorency et des Guise, le grand crime de madame d'Etampes était de protéger les calvinistes et d'user de son empire sur François Ier pour le pousser dans cette voie, tandis qu'eux ne rêvaient que bûchers et inquisition.

On comprend l'exaspération de ces grandes familles: les idées nouvelles commençaient à se faire jour en France. La réforme avait des partisans à la cour, et la soeur du roi, madame Marguerite, était fortement soupçonnée de s'être laissé gagner par l'hérésie.

Dans le peuple, on parlait de conciliabules secrets, de prédications passionnées. De hardis penseurs avaient osé émettre leur opinion. Enfin, pour tout dire, les idées de Calvin commençaient à faire d'autant plus de progrès que les scandales d'un clergé profondément gangrené étaient plus grands.

François Ier, dans sa haine contre Charles-Quint, poussé d'un autre côté par la duchesse d'Etampes, n'était pas éloigné d'accorder ouvertement son assentiment à la nouvelle doctrine. Déjà il avait tendu la main aux réformés de l'Allemagne et accepté la dédicace des oeuvres de Calvin. Enfin, il avait autorisé Clément Marot à traduire en vers français les psaumes de David.

Chaque soir, sur le Pré aux Clercs, alors ombragé de grands arbres, rendez-vous cher aux Parisiens, on chantait les psaumes de Clément Marot, auxquels on avait adapté les airs les plus nouveaux et les plus populaires. Bientôt la vogue de ces psaumes fut si grande, que le roi en encouragea la continuation, et le poëte put écrire ces vers en tête de son livre:

Puisque voulez que je poursuive, ô Sire,
L'oeuvre royal du psaultier commencé,
Et que tous ceux aimant Dieu le désire,
D'y besogner m'y tiens tout disposé.

Les catholiques fervents, Guise et Montmorency en tête, attaquaient avec fureur ces chants qui sentaient le fagot; ils traitaient la traduction de Marot de chansons bonnes tout au plus pour des mangeurs de vache à Colas, et un écrivain du parti faisait paraître le Contre-poison des chansons de Clément Marot.

Sur les instances pressantes de la duchesse et de madame Marguerite, le roi se décida à une démarche bien autrement grave, bien autrement significative. Par une lettre du 28 juin 1535, il invita Mélanchton à venir à Paris conférer avec les docteurs de la Sorbonne. Il lui envoyait un sauf-conduit pour traverser la France; mais le voyage du célèbre réformateur n'eut pas lieu. Quelles en eussent été les conséquences? A quoi a-t-il tenu que la France ne devint protestante?

Mais déjà la réaction commençait, le parti de Diane de Poitiers, reprenait le dessus.

François Ier, accusé par son éternel ennemi Charles-Quint de favoriser l'hérésie, de pactiser avec les infidèles, François Ier s'épouvanta. Au loin, il entrevoyait Rome menaçante; il tremblait en songeant au pouvoir terrible et mystérieux du clergé.

Il résolut de se disculper, et c'est dans le sang qu'il lava cette accusation. Il n'avait qu'à laisser faire. La Sorbonne et le Châtelet guettaient leur proie depuis longtemps. La persécution commença, les bûchers s'allumèrent. Brantôme, l'ennemi passionné des hérétiques, félicite François Ier d'en avoir fait faire de grands feux et d'avoir montré le chemin à ses brûlements. Ici le courtisan va trop loin, mais ses paroles resteront la honte éternelle d'un roi qui souffrit ces abominables persécutions contre des gens dont en secret il ne désapprouvait pas les doctrines.

Depuis l'année 1533, une jeune et charmante femme était venue prendre place à la cour, aux côtés de la duchesse d'Etampes et de Diane de Poitiers. C'était Catherine de Médicis, que l'on venait de donner pour femme au jeune prince Henri, l'amant toujours épris de madame la sénéchale.

Lorsqu'elle arriva en France, la jeune Italienne trouva son époux tout entier à son amour pour une vieille maîtresse. Une autre eût voulu lutter sans doute, se disant qu'une femme de dix-huit ans a facilement raison d'une femme de quarante; elle ne l'essaya même pas. Elle attendit.

Ses débuts à Fontainebleau furent des plus habiles. Peu parler, agir moins encore, telle fut sa devise. Placée entre deux ennemies dont l'une était la maîtresse de son mari, elle sut ne prendre parti ni pour l'une ni pour l'autre, elle resta neutre, également bien avec toutes deux. Elle dévora sa rage et sa jalousie, se composa un visage riant, et, tout en étudiant avec soin les partis et les hommes, elle ne sembla occupée que d'arts et de plaisirs. Belle, de riche taille, de grande majesté, elle semblait attacher une grande importance à ses ajustements, et prenait plaisir, dit Brantôme, un de ses admirateurs, à montrer ses belles jambes et ses mains d'une rare perfection. Quelques-uns la redoutaient, mais uniquement parce qu'elle était Italienne, car nul sous les dehors frivoles de cette jeune princesse ne songeait à deviner la sombre et habile politique qui devait être plus tard si terrible à ses ennemis.

Au milieu de cette cour où chacun ne songeait qu'à soi, où les amours et les intrigues se croisaient d'une inextricable façon, Catherine de Médicis ne semblait avoir d'autre dessein que de plaire à tous, au roi surtout. Bientôt François Ier, que la maladie et les chagrins rendaient de jour en jour plus sombre, ne put plus se passer de l'adroite Italienne. Il admirait son esprit, sa beauté, sa grâce dans les ballets, sa vaillantise à courre le cerf. Elle fut désormais de toutes les fêtes. Elle suivait le roi partout, même lorsqu'avec quelques intimes et des favorites de la petite bande il s'éloignait pour quelqu'une de ces parties qui se terminaient toujours en débauches. Mais elle était moins curieuse de galanterie que de politique, et son but, dit Brantôme, en prenant part à ces réjouissances, «était de voir toutes les actions du roi, d'en tirer les secrets et d'écouter et savoir toutes choses.»

Tout à coup, au mois d'août de l'année 1536, une terrible nouvelle se répandit à la cour, la mort du dauphin François, le fils aîné du roi.

Le jeune prince se trouvait alors à Lyon. Jouant à la paume avec quelques-uns de ses amis, fort échauffé par le jeu, il eut soif et vida d'un seul trait un grand verre d'eau glacée. Pris d'un mal subit, il fut emporté en quelques heures.

On ne douta pas qu'il n'eût été empoisonné, comme si l'eau glacée qu'il avait bue n'avait pas pu produire l'effet d'un poison. Mais quelle main avait commis le crime? Comme d'ordinaire, on accusait tout le monde, Charles-Quint, Catherine de Médicis.

Un gentilhomme de Ferrare, Sébastien de Montecuculli, coupable de s'être approché du vase qui contenait le breuvage du prince, fut arrêté. Soumis à la question, il avoua tout ce qu'on voulut, et finalement fut écartelé. De ses révélations, il résulta que l'empereur Charles-Quint avait ordonné le crime. Ce fut presque un fait avéré, et Clément Marot put dire:

Un Ferrerais lui donna le poison
Au veuil d'autrui qui en crainte régnait,
Voyant François qui César devenait.

Malherbe, dans ses stances à Duperrier, est bien autrement explicite, ce qui prouve que l'accusation s'était fort accréditée:

François, quand la Castille inégale à ses armes
Lui vola son dauphin,
Semblait d'un si grand coup devoir jeter des larmes
Qui n'eussent jamais fin;

Il les sécha pourtant, et comme un autre Alcide,
Contre fortune instruit,
Fit qu'à ses ennemis, d'un acte si perfide
La honte fut le fruit.

Plus justes, la postérité et l'histoire ont proclamé l'innocence de Charles-Quint. Quel intérêt pouvait avoir l'empereur à cette mort? Et il était trop habile pour commettre un crime inutile. Le dernier vers de Malherbe nous révèle les intentions des juges de Montecuculli. François Ier avait intérêt à jeter de l'odieux sur un ennemi qui envahissait ses provinces, il saisit avec empressement cette occasion.

Le coupable, si toutefois il y en eut d'autres que les juges qui torturèrent le gentilhomme piémontais pour lui faire avouer les accusations qu'ils lui dictaient, le coupable était à la cour de François Ier. Nul plus que Catherine de Médicis n'avait intérêt à la mort du Dauphin, rien ne la séparait plus de la couronne. On sait d'ailleurs qu'elle haïssait furieusement le fils aîné du roi, l'ambition de régner était sa seule passion, et depuis elle montra ce dont elle était capable lorsqu'il s'agissait de renverser un obstacle.

La mort du Dauphin rendit plus terrible et plus funeste à la France la rivalité de Diane de Poitiers et de la duchesse d'Etampes. L'orgueil de la première, qui voyait son amant héritier de la couronne de France, était devenu immense; la haine de la seconde était désormais doublée de crainte, elle sentait qu'à la mort de François Ier elle n'avait pas de merci à attendre de sa rivale.

De ce moment, madame d'Etampes s'appliqua à fomenter des discordes dans la famille royale. François Ier avait toujours préféré son dernier fils, le duc d'Orléans: bientôt la favorite lui rendit insupportable Henri son héritier qu'elle lui peignait toujours avec les couleurs les plus sombres. Elle le montrait à François, penché sur le lit de son agonie, attendant avec impatience l'heure de poser la couronne sur sa tête.

Une imprudence du nouveau Dauphin sembla justifier les tristes prévisions de la duchesse d'Etampes.

Soupant un jour avec ses courtisans, Henri, échauffé par le vin, se mit, en manière de plaisanterie, à leur distribuer toutes les charges de la couronne. A l'un il donnait une armée, à l'autre un gouvernement.

Averti de cette scène inconvenante par Triboulet, un de ses fous, le roi entra dans une épouvantable colère. Sautant sur son épée, il courut droit aux appartements de son fils à la tête des archers de la garde écossaise. Les jeunes fous, prévenus à temps, avaient heureusement pu s'enfuir.

François Ier s'en prit alors aux valets; mais ceux-ci ayant réussi à sauter par les fenêtres, il passa son courroux, dit une vieille chronique, sur l'ameublement qu'il mit en pièces.

Cette affaire accrut la haine de François pour son fils aîné. Son affection pour le duc d'Orléans redoubla. Il l'appelait son petit Guichardet, en souvenir des quatre fils Aymon. Madame d'Etampes, qui protégeait ce jeune prince, poussait le roi à lui trouver un gouvernement indépendant. La santé de François était fort chancelante, et la favorite songeait à se ménager une retraite pour le jour où, avec Henri, Diane de Poitiers monterait sur le trône. On destinait alors au jeune duc d'Orléans une fille de l'Espagne, avec l'investiture du duché de Milan, et, se croyant appelé à régner en Italie, il s'habituait aux moeurs et à la langue de la Lombardie.

Au mois d'avril 1539, François Ier, triste et malade, habitait le château de Compiègne, qu'il aimait presque autant que Fontainebleau, à cause du voisinage de la forêt, lorsqu'il reçut de Charles-Quint une lettre confidentielle qui surprit et embarrassa fort son conseil.

L'empereur demandait à son frère de France passage et sauf-conduit à travers ses provinces, pour aller punir les Gantois qui s'étaient révoltés à l'occasion d'un nouveau subside que réclamait d'eux la gouvernante des Pays-Bas.

Les circonstances étaient graves: toutes les villes de métiers, Liége, Ypres, Namur, n'attendaient qu'un signal pour arborer l'étendard de la rébellion et suivre l'exemple de Gand, et au même instant les cortès de Castille faisaient retentir aux oreilles de l'empereur un langage séditieux; les cortès réclamaient le rétablissement des franchises et des privilèges de la noblesse.

Charles-Quint était perdu si le roi de France prêtait le secours de ses armes et de son nom aux révoltés des Flandres.

C'est ce qu'objectèrent tout d'abord les conseillers du roi, lorsque la lettre de l'empereur leur fut communiquée. Madame d'Etampes, que le roi consultait toujours la première, avait déjà émis cette opinion.

Mais les premiers troubles du protestantisme dans son royaume avaient si fort épouvanté François Ier, que sans cesse il se croyait à la veille d'une révolte générale, et pour rien au monde, tant il redoutait la contagion, il n'eût voulu favoriser l'insurrection, même contre un ennemi.

A l'encontre de tous ses conseillers, le roi de France se décida donc à accorder à Charles-Quint le passage et le sauf-conduit qu'il demandait. Faut-il le dire, François Ier voyait dans cette perspective de devenir l'hôte de son plus cruel ennemi quelque chose de grand, de chevaleresque, qui flattait singulièrement ses idées. Les héros de romans n'agissaient point autrement. Ainsi eût fait Amadis des Gaules, ce miroir de la chevalerie, en pareille occurrence.

—Sur ma foi de gentilhomme! s'écria François Ier, j'accorderai passage à l'empereur, et dans mon royaume il sera traité comme si véritablement il était mon frère.

Et afin que nul ne put mettre en doute sa sincérité et sa loyauté, il envoya ses deux fils, le Dauphin et le duc d'Orléans, jusqu'au pied des Pyrénées pour se mettre à la disposition de l'empereur. Les jeunes princes devaient lui offrir de demeurer comme otages dans quelque ville d'Espagne tant que durerait son voyage à travers la France.

François Ier écrivait en outre à Charles-Quint une lettre qui se terminait ainsi:

...«Voulant bien vous asseurer, monsieur mon bon frère, par ceste lettre de ma main, sur mon honneur et en foy de prince et du meilleur frère que vous ayez, que passant par mon royaulme, il vous sera faict et porté tout l'honneur accueil et bon traictement que faire se pourra et tel qu'à ma propre personne.»

Mais Charles-Quint n'envoya pas les jeunes princes en Espagne, il voulut les garder près de lui «pour lui faire compagnie, comme fils de son meilleur compaing et confédéré.»

—La parole du roi de France, répondit-il à ceux qui lui conseillaient de prendre ses sûretés, m'est un garant assez sûr.

Enfin on se mit en route. Les volontés de François Ier avaient été scrupuleusement exécutées, et l'empereur était véritablement traité comme lui-même. Devant l'hôte du roi-chevalier marchait le connétable de France, portant devant lui l'épée nue et droite, les plus nobles gentilshommes lui faisaient escorte, et chacun lui rendait les honneurs dus au seul souverain.

Partout, sur son passage, les villes se pavoisaient aux couleurs impériales, les gouverneurs et les corporations venaient aux portes le recevoir et lui rendre hommage. Il avait toutes les prérogatives du droit régalien, faisait acte de justice et de souveraineté, et dans chaque ville délivrait les prisonniers.

La cité de Poitiers se distingua entre toutes: les bourgeois n'avaient point regardé à la dépense, et des fêtes magnifiques signalèrent le passage de l'allié de François Ier.

«Ainsi, dit une vieille chronique, l'empereur s'avançait à travers les provinces, chassant sur les rivières et dans les forêts, s'émerveillant de la richesse du pays, et disant que son frère de France était bien plus riche et bien plus puissant que lui, dont les États étaient si vastes que le soleil ne s'y couchait jamais.»

A la cour de France, on faisait d'immenses préparatifs et chacun attendait avec une fiévreuse impatience l'arrivée de Charles-Quint. Le sauf-conduit avait été donné malgré l'avis du conseil, «mais bien des gens pensaient que le roi saurait tirer avantage de la venue de l'empereur lorsqu'il le tiendrait en son pouvoir.» Le cardinal de Tournon engageait fort François Ier à ne point laisser échapper une occasion si belle d'obtenir l'investiture du duché de Milan; Anne de Montmorency, au contraire, était pour que l'on tînt loyalement une parole librement donnée.

Triboulet, le fou du roi, ne se gênait point pour exprimer hautement l'opinion publique. Il avait un livre, sorte de calendrier de la folie, où il inscrivait le nom de tous ceux qui à son avis semblaient avoir perdu la raison. Sa liste était longue. Un jour, devant le roi, il y inscrivit le nom de Charles-Quint.

—Que fais-tu là, bouffon? demanda le roi.

—Vous le voyez, je place dans mon livre des fous votre frère l'empereur qui vient se mettre au pouvoir d'un ennemi.

—Mais j'ai donné ma parole, bouffon, et l'empereur sortira librement ainsi que je l'ai promis.

—Si cela arrive, répondit Triboulet, j'effacerai son nom et je mettrai le vôtre à la place.

La première entrevue des deux souverains eut lieu vers la mi-décembre 1539 à Châtellerault où François Ier, bien que malade s'était porté avec toute la cour. «Les deux rois se jetèrent dans les bras l'un de l'autre, s'embrassant avec tendresse, se faisant mille protestations d'une amitié» sans doute bien loin de leurs coeurs.

Charles-Quint voulait continuer son voyage aussi promptement que possible, mais ce n'était pas le compte de François Ier. Le roi-chevalier voulait faire à son rival les honneurs de la France, et quels honneurs! Des préparatifs immenses avaient été faits dans toutes les résidences royales, le Rosso avait ordonné des fêtes magnifiques; Paris préparait une entrée digne des deux grands souverains; enfin, tous les gentilshommes, jaloux de plaire au maître, avaient emprunté de tous côtés afin de faire assaut de luxe et de richesse.

François Ier voulait éblouir Charles-Quint par son faste, par les richesses, par les splendeurs de sa cour; il réussit à l'étourdir.

Habitué au morne silence du sombre palais de l'Escurial, l'empereur se sentait mal à l'aise au milieu de cette cour bruyante. En voyant toute cette noblesse de France, si vive, si spirituelle, si tapageuse, si amoureuse de festins et de mascarades, il pensait involontairement aux mornes ricoshombres qui habitaient ses résidences impériales sans les peupler, et qui même aux jours de fêles, toujours silencieux et funèbres, semblaient n'avoir d'autre souci que leur dignité de grands d'Espagne.

En écoutant la longue énumération des fêtes de toutes sortes qui l'attendaient, Charles-Quint se sentit pris d'un terrible soupçon; il était payé pour savoir ce que valaient les serments de son frère de France; il trembla en pensant que toutes ces cérémonies n'étaient qu'un vain prétexte pour le retenir.

Il fit cependant «contre fortune bon coeur,» il se résigna, mais de ce jour il perdit toute confiance: son front assombri disait toutes ses inquiétudes, ses yeux toujours en mouvement semblaient chercher de quel côté allait venir le piége.

Les fêtes avaient commencé, cependant; mais comme pour justifier les craintes de Charles, à chaque instant arrivait un accident.

A Amboise, une torche maladroite mit le feu aux tentures, il y eut une mêlée terrible. François voulait faire pendre l'auteur de l'accident, mais Charles, à peine remis d'une frayeur facile à comprendre, demanda et obtint sa grâce.

Ailleurs, une poutre mal ajustée tomba si près de l'empereur que ses vêtements furent déchirés.

Enfin le 31 décembre les deux rois couchèrent à Vincennes, leur entrée à Paris devait avoir lieu le lendemain.

Il faut lire dans les chroniques du temps les détails de cette solennelle entrée. La longueur seule du récit donne une idée de la longueur des processions. Le corps de la ville offrit à Charles-Quint un Hercule tout d'argent, et revêtu de sa peau de lion en or; ledit Hercule de la hauteur d'un grand homme.

Puis les fêtes de toutes sortes recommencèrent, bals, festins, concerts, mascarades, comédies burlesques, tournois, chasses aux flambeaux, le Rosso savait varier sa mise en scène.

Mais l'ambitieux Charles-Quint avait peu de goût pour ces pompes frivoles, pour ce faste bruyant, passions de François Ier. Il avait hâte de quitter la France, ses craintes avaient grandi, il ne vivait plus.

Un jour, comme il était à cheval, un chevalier sauta en croupe; et le serrant vigoureusement lui dit d'une voix forte!

—Sire empereur, vous êtes mon prisonnier.

L'empereur épouvanté se retourna. Ce n'était qu'une plaisanterie du jeune duc d'Orléans, mais quelle plaisanterie!

François Ier, malgré la frayeur de son rival, n'en pouvait cependant rien obtenir. A plusieurs reprises il lui avait parlé de l'investiture du duché de Milan pour ce même duc d'Orléans qui faisait de si terribles espiégleries, mais il n'avait reçu que des réponses évasives.

Charles-Quint avait, il faut le dire, trouvé le moyen de se faire des amis à la cour; de ce nombre était le connétable Anne de Montmorency, dont il n'avait pas dédaigné de flatter la grossière vanité. Il l'appelait à tout propos le plus grand capitaine de l'Europe.

Il avait été moins heureux dans ses tentatives près de la duchesse d'Etampes, la véritable souveraine du royaume, et cependant il se portait fort admirateur de cette beauté célèbre, seul trésor «qu'il enviât à son frère de France.»

Un jour, à la chasse, François Ier, qui prenait un malin plaisir à augmenter les terreurs de son hôte, lui avait dit, en lui montrant la favorite:

—Voici une belle dame, mon frère, qui me presse fort de ne vous point laisser partir sans avoir détruit à Paris l'ouvrage de Madrid.

Charles-Quint avait pâli à ces mots; cependant, avec un sourire blême il avait répondu:

—Si le conseil est bon il faut le suivre.

Mais le soir même, tandis que la duchesse d'Etampes lui présentait l'aiguière pour se laver les mains, l'empereur laissa tomber dans le bassin de vermeil un diamant d'une merveilleuse beauté et d'un prix incomparable. Et comme la duchesse voulait le lui rendre:

—Dieu me garde, dit-il, de le reprendre, il est en trop belles mains pour cela. Gardez-le en souvenir de moi.

Madame d'Etampes conserva le diamant, mais ils se sont trompés ceux qui ont cru qu'un tel présent pouvait acheter la maîtresse de François Ier. Certes elle fut sensible à cette courtoisie, à cet hommage rendu à sa beauté, mais jusqu'à la fin elle persista dans son opinion première. Ce n'est que plus tard qu'elle devait avoir recours à l'empereur.

Après de touchants adieux, après mille protestations au sujet de la fameuse investiture, l'empereur Charles-Quint quitta François Ier et continua sa route. Il ne pouvait plus dissimuler son impatience.

A mesure qu'il approchait des frontières, il sentait son coeur plus léger et oubliait ses promesses, d'ailleurs toutes conditionnelles.

Enfin il toucha ses domaines. «Lors poussant un long soupir de satisfaction, il dit à ceux qui l'entouraient:

—«Ce soir, pour la première fois depuis que j'ai mis le pied en France, je m'endormirai tranquille.»

Fidèle à son idée, Triboulet inscrivit François Ier sur le livre des fous.

Quelques historiens qui nient toute bonne foi politique ont fait comme Triboulet. Ceux-là, après avoir rappelé le manque de foi de François Ier lors du traité de Madrid, se demandent pourquoi en cette circonstance il tint si scrupuleusement sa parole de gentilhomme. Qu'importe, disent-ils, un serment de plus ou de moins!

Après le départ de Charles-Quint, la cour de France, si bruyante et si gaie, tomba dans une morne tristesse. Le roi était malade, un ulcère honteux lui faisait des nuits sans repos. Les soins de la duchesse d'Etampes parvenaient à peine à le distraire. Les journées se passaient à examiner les précieux objets d'art venus d'Italie, à admirer l'oeuvre des peintres et des sculpteurs, à regarder l'un après l'autre les riches manuscrits de la bibliothèque. Mais ni la gaîté de madame d'Etampes, ni la conversation des savants, ni les louanges des poëtes ne pouvaient tirer le roi de son marasme.

Peut-être la conscience de ce faible souverain était-elle troublée par les persécutions horribles que souffraient en son nom ceux de la religion réformée. Les cris des victimes devaient monter jusqu'à lui. Et cependant il laissait faire. Le chancelier avait rendu contre les novateurs une série de terribles ordonnances où il n'était question que de hart et d'estrapade. Les frères prêcheurs avaient installé un petit tribunal dans le genre de l'inquisition.

Vainement la duchesse d'Etampes qui allait au prêche, et madame Marguerite qui professait la religion nouvelle, essayèrent d'interposer leur autorité; le roi répondait qu'il ne pouvait rien. A grand'peine elles préservèrent les savants et les beaux esprits, presque tous entachés d'hérésie, qu'elles protégeaient. Le roi les aimait sans doute, il les admettait à sa table, mais il les aurait laissé pendre. En deux ou trois circonstances seulement le roi se laissa arracher une grâce.

Le peuple cependant s'habituait à la vue des supplices, la populace dansait autour des bûchers. Aux jours de grande fête, comme divertissement suprême on accrochait quelque financier aux fourches de Montfaucon. La pendaison d'un financier a toujours été d'un bon effet. Sembleçay avait été «donné aux corbeaux,» uniquement parce qu'il était riche. Une épigramme de Marot l'a vengé:

Lorsque Maillard, juge d'enfer, menait
A Montfaucon Sembleçay l'âme rendre,
A votre avis, lequel des deux tenait
Meilleur maintien? Pour vous le faire entendre,
Maillard semblait homme que mort va prendre,
Et Sembleçay fut le ferme vieillard
Que l'on cuidait pour vrai qu'il menait pendre
A Montfaucon le lieutenant Maillard.

Le chancelier Poyet ne fut point pendu, lui, mais dégradé, ruiné, il mourut dans la misère. Quel crime avait-il donc commis? Hélas, il avait déplu à madame d'Etampes, grave faute! puis il avait fait condamner un innocent, Brion. Cet innocent, qui était un peu parent de la favorite, fut bien vengé.

On demanda des comptes à Poyet, et en attendant qu'il pût les rendre on le mit à la Bastille. Il y resta trois ans. Il espérait que la duchesse d'Etampes se lasserait de le persécuter, il réclama des juges. On lui en donna.

—Qu'on le juge, dit le roi, et s'il n'est coupable que de cent crimes, qu'on l'absolve.

Les misérables qui instruisaient le procès, malgré toute leur bonne volonté, furent bien loin de ce compte. Ils ne purent trouver qu'un crime, un seul, il est vrai qu'il n'était pas bien prouvé. Poyet fut condamné cependant, mais non à mort. On se contenta de confisquer ses biens et de l'enfermer dans la grosse tour de Bourges. Lorsqu'on lui ouvrit les portes de sa prison, il chercha à gagner sa vie, il ne le put, chacun le fuyait, alors il périt de faim.

Le grand, le vrai, le seul crime de Poyet, était d'avoir été un aveugle instrument de tyrannie. Qu'avait-il fait que n'eût approuvé le roi? Il n'avait pas compris, l'insensé, que l'instrument d'un pouvoir doit prendre ses précautions et garder toujours une arme, sous peine d'être brisé, sacrifié, le jour où ses services sont devenus inutiles.

Au milieu de toutes ces tristesses, un heureux événement avait rempli de bruit et de fêtes les salles splendides du palais de Fontainebleau (1543).

La femme du Dauphin, Catherine de Médicis, venait, après dix ans de mariage, de donner un fils à la France. François Ier fut au comble de la joie, et se servant d'une phrase dont les grands-pères ont abusé depuis, il déclara «qu'il se sentait revivre en son petit-fils.»

Après les fêtes, le deuil: deux ans plus tard François Ier perdit le duc d'Orléans, ce fils bien-aimé de sa vieillesse, ce protégé de la duchesse d'Etampes. Ce jeune prince, doué des plus remarquables qualités, périt victime d'une terrible épidémie qui décimait l'armée. Cette fois encore on parla de poison. On compta ses ennemis, il en avait beaucoup, sans compter son frère Henri, Diane de Poitiers et Catherine de Médicis, qui convoitait pour elle-même le duché de Milan.

Cette mort a inspiré à Ronsard une admirable élégie; Ronsard avait aimé ce jeune prince si généreux et si brave:

A peine un poil blondelet,
Nouvelet
Autour de sa bouche tendre,
A se friser commençait,
Qu'il pensait
De César être le gendre.

Jà, brave, se promettait
Qu'il était
Duc des lombardes campagnes
Et qu'il verrait quelquefois
Ses fils rois
De l'Itale et des Espagnes.
Mais la mort qui le tua
Lui mua
Son épouse en une pierre
Et pour tout l'heur qu'il conçut
Ne reçut
Qu'à peine six pieds de terre.

Nous touchons maintenant aux plus sombres années du long règne de la duchesse d'Etampes; nous allons voir l'indigne favorite, aveuglée par sa haine contre Diane de Poitiers, trahir, au bénéfice de Charles-Quint, et la France et ce roi qui l'avait tant aimée.

Depuis 1541 la guerre s'était rallumée entre la France et l'Espagne, mais l'empereur marchait à coup sûr, et il allait de succès en succès, déjouant tous les plans de François Ier et de son conseil. C'est que madame d'Etampes veillait. En échange de promesses illusoires, elle livrait les secrets du conseil, les chiffres des généraux, et d'avance dévoilait tous les projets d'attaque ou de défense. Ainsi l'empereur put défendre Perpignan, prendre Saint-Dizier, s'emparer des magasins formés dans Epernay par le Dauphin. Pareille trahison livra encore Château-Thierry qui renfermait d'immenses provisions de blé et de farine. Ainsi les impériaux vivaient dans l'abondance, tandis que dans l'armée du Dauphin les soldats mouraient de privations.

Un certain comte de Bossut, de la maison de Longueval, fut l'artisan et l'intermédiaire de toutes ces trahisons. Agent gagé de Charles-Quint a la cour de France, il dut à ses infamies une grande fortune. Sous le règne de Henri II, il est vrai, tout le secret de cette affaire ayant été dévoilé, le comte faillit porter sa tête sur l'échafaud; il n'échappa au juste châtiment dont il était menacé qu'en cédant, au tout-puissant et avide cardinal de Lorraine une magnifique propriété. Après quoi «il vécut longuement, riche, heureux et honoré,» dit un historien du temps.

François Ier voyait bien qu'il était trahi; il accusait tout le monde, le Dauphin, Catherine de Médicis, la reine Eléonore, les généraux, son conseil, mais jamais un seul instant il ne soupçonna la misérable favorite.

Cependant l'armée de l'empereur était aux portes de la capitale, déjà la population épouvantée cherchait à s'enfuir. L'énergie de François Ier sauva la France. Le danger lui rendit la vigueur et l'activité de sa jeunesse. Bientôt la paix fut signée à Crépy, paix honteuse pour la France, dont tous les avantages étaient pour Charles-Quint qui ne donnait qu'une vague promesse d'un mariage avantageux pour le duc d'Orléans, avec l'investiture définitive du duché de Milan. L'empereur devait bien cette dernière clause à la favorite qui l'avait si bien servi. L'investiture pour le duc d'Orléans, tel avait été le mobile de la duchesse d'Etampes. En agissant ainsi elle croyait s'assurer une retraite lorsque le Dauphin monterait sur le trône. La mort du duc d'Orléans rendit tous ces crimes, toutes ces trahisons inutiles.

Bien tristes furent les dernières années de François Ier. Alors la perfide favorite expia sa vie. Chaque jour ajoutait une épine à la couronne de honte qui ceignait son front, couronne de duchesse. Liée, comme les suppliciés antiques, vivante à un cadavre, dévorée de regrets et de haines, assaillie d'anxiétés, elle ne savait plus elle-même si elle devait craindre ou souhaiter la mort de son amant.

Le brillant, le chevaleresque François Ier n'était plus que l'ombre de lui-même. Son mal avait empiré d'une façon terrible, et la science des médecins était impuissante. Fermait-on l'horrible ulcère, il se rouvrait plus épouvantable. Ambroise Paré lui-même, le grand chirurgien, s'avouait vaincu et ne trouvait point de remède contre les indicibles douleurs du malade.

Parfois résolu à vaincre la souffrance, il se levait et demandait des fêtes, encore des fêtes, des festins, des mascarades; mais l'instant d'après il retombait brisé sur son lit.

Fou de douleur et de rage, il ne pouvait rester nulle part; il courait, espérant fuir ses tourments horribles, de Paris à Compiègne, de Fontainebleau à Saint-Germain, puis à Loches, à Amboise, partout. C'est où il n'était pas qu'il désirait être. Toujours à ses côtés il lui fallait la duchesse d'Etampes, non plus sa maîtresse, mais sa garde-malade.

La chasse, une chasse folle, enragée, infernale, était son unique, sa dernière passion. L'excès même du mal lui donnait quelque répit. En se brisant ainsi de fatigue, il espérait retrouver le sommeil qu'il appelait vainement et qui depuis si longtemps avait fui sa paupière.

Enfin au retour d'une chasse, à Rambouillet, il fut contraint de se mettre au lit. Les symptômes les plus graves se déclarèrent, il sentit qu'il était perdu.

—Je suis cruellement puni, dit-il, par où j'ai péché.

Puis il voulut faire une fin chrétienne; il déplora la longue saturnale de sa vie, adjura son fils de se méfier des Guises et du connétable de Montmorency, et mourut en recommandant son âme à Dieu et son peuple à son fils, deux choses qui ne l'avaient guère inquiété durant sa vie.

Au grotesque, maintenant: Pierre Castelan, qui prononça l'oraison funèbre de François Ier, dit en pleine chaire: «que sa pieuse mort avait dû le dispenser du purgatoire.»

«L'université jugea la proposition hérétique et envoya une commission de docteurs se plaindre à la cour.

—«Messieurs, leur dit l'Espagnol Jean Mendoze, maître d'hôtel du défunt, vous venez pour débattre avec M. le grand aumônier le lieu où peut bien être l'âme du défunt roi, notre bon maître? Rapportez-vous-en à moi qui l'ai bien connu, il n'était pas d'humeur à s'arrêter longtemps en quelque lieu que ce fût. Si donc il a été en purgatoire il n'y aura guère demeuré que le temps d'y goûter le vin en passant, selon sa coutume.»

Dans le peuple on répétait l'épigramme suivante:

L'an mil cinq cent quarante sept
François mourut à Rambouillet
Du mal de Naples qu'il avait.

Le corps de François Ier n'était pas refroidi encore, que déjà la duchesse d'Etampes avait reçu l'ordre de quitter la cour et de se retirer dans ses terres. Elle se résigna. Aussi bien ses préparatifs étaient faits depuis longtemps.

Les biens de madame d'Etampes étaient considérables: le roi pendant toute sa vie s'était fait un plaisir de la combler de richesses, il lui avait prodigué les terres, les châteaux, les seigneuries, elle avait à Paris plusieurs hôtels, et voici ce qu'on lit dans Saint-Foix au sujet du logis favori de la duchesse.

«Au bout de la rue Gît-le-Coeur, dans l'angle qu'elle forme aujourd'hui avec la rue de Hurepoix, François Ier fit bâtir un petit palais qui communique à un hôtel qu'avait la duchesse d'Etampes dans la rue de l'Hirondelle.

«Les peintures à fresque, les tableaux, les tapisseries, les salamandres, accompagnées d'emblèmes et de tendres et amoureuses devises, tout annonçait, dans ce petit palais et cet hôtel, le dieu et les plaisirs auxquels ils étaient consacrés.

«De toutes ces devises, Sauval ne put se ressouvenir que de celle-ci: c'était un coeur enflammé, placé entre un alpha et un oméga pour dire probablement: il brûlera toujours.

«Le cabinet de bains de la duchesse d'Etampes sert à présent d'écurie à une auberge qui a retenu le nom de la Salamandre; un chapelier fait la cuisine dans la chambre du lever de François Ier, et la femme d'un libraire était en couches dans son petit salon de délices, lorsque j'allai pour examiner les restes de ce palais.»

A dater de la mort de François Ier on perd à peu près de vue la duchesse d'Etampes, les chroniqueurs oublient son nom, et les poëtes qui l'avaient tant louée semblent ne plus se souvenir d'elle.

Il est à peu près certain cependant qu'elle embrassa ouvertement la religion réformée.

Mais comment vécut-elle? essaya-t-elle par son repentir, par sa conduite régulière, de faire oublier ses scandaleux désordres? c'est ce qu'on ne saurait affirmer. Beaucoup prétendent que dans sa retraite et bien qu'elle ne fût plus jeune, elle eut plusieurs amants, Dampierre entre autres.

Au reste, du vivant du roi elle ne s'était jamais piquée d'une grande constance, et elle lui avait largement rendu ses infidélités. Le plus connu de tous ceux qui eurent part à ses faveurs est le comte de Bossut, celui-là même qui fut son agent lors de ses abominables trahisons.

Ses relations avec Jarnac son beau-frère ne sont rien moins que prouvées. Il y a même tout lieu de croire à une calomnie. La Châtaigneraie, en effet, auteur de ces bruits, était fort avant dans les bonnes grâces de Diane de Poitiers, qui regardait comme bons tous les moyens pour perdre une rivale ou ruiner son crédit. Ces bruits obligèrent Jarnac à provoquer la Châtaigneraie. Mais François Ier, qui avait une admirable foi en sa maîtresse, ne voulut pas autoriser le combat. Ce ne fut que partie remise, et sous le règne de Henri II nous assisterons à ce duel, le dernier des duels judiciaires.

Vers l'année 1556, la duchesse d'Etampes sortit un instant de son obscurité. Le duc d'Etampes, Jean de Brosse, son mari,—car il ne faut pas l'oublier, elle avait un mari,—lui intenta un procès.

Jean de Brosse ne cherchait aucunement à faire constater son déshonneur, il était en vérité assez prouvé. Comme c'était un homme d'ordre et qui ne voulait pas avoir donné son nom pour rien, il réclamait une grande part de la fortune de sa femme, fortune dont la duchesse et le comte de Bossut avaient disposé sans avoir aucun égard à ses droits. Le roi Henri II lui-même consentit à servir de témoin dans l'enquête qui précéda le procès. Jean de Brosse gagna. C'était justice.

La duchesse d'Etampes vécut par la suite dans une telle obscurité qu'on ignore jusqu'à la date précise de sa mort. «Où donc s'en vont, dit Beyle, les étoiles qui filent?»


VI

LA BELLE FERRONNIÈRE

Pour donner la vie au portrait de cette belle maîtresse de François Ier, il fallait toute la puissance d'un artiste de génie, de Léonard de Vinci, l'hôte bien-aimé du roi de France. Seul le pinceau d'un grand maître pouvait rendre la désolante perfection de cette tête charmante, ce col d'un dessin si ferme et si exquis, ce front blanc et pur, cette bouche divine qu'effleure un doux sourire, et ces grands yeux ombragés de longs cils, ces yeux adorables d'expression et de langueur.

Que nous reste-t-il aujourd'hui, cependant, de cette femme si radieusement belle? Un bijou, que les châtelaines portaient au front comme un diadème, et le portrait du Louvre, un chef-d'oeuvre.

N'est-il pas étrange que rien ne soit venu jusqu'à nous de l'histoire de cette femme si célèbre, rien absolument? A son égard, les histoires du temps se taisent, les chroniques sont muettes, ou prononcent à peine son nom, sans une anecdote, sans un détail. O poëtes, ô beaux esprits de la cour de François Ier, quelle école buissonnière faisait donc alors votre muse? à quelle étoile adressiez-vous vos hommages? Quoi! vous si prodigues d'ordinaire et d'encens et de rimes, vous n'avez pas trouvé une louange, pas un sonnet pour la plus radieuse de toutes celles qui devant leur beauté virent ployer le genou royal!

C'est que la belle Ferronnière ne fut point une femme politique, ses intrigues ne divisèrent pas les gentilshommes. On ne trouve pas un seul édit qui la concerne, pas une donation. Elle ne demanda la grâce d'aucun grand coupable, on ne lui accorda pas le brûlement d'un seul hérétique.

Nul donc ne peut dire ce qu'ont été les amours de François Ier et de la belle Ferronnière, on en est réduit à des conjectures, c'est-à-dire à rien. Il est impossible en effet d'ajouter la moindre foi aux cinq ou six versions mises en circulation depuis, et brodées sur un même thème, saugrenu, malpropre, invraisemblable.

Tel qu'il est cependant, ce thème a fait fortune, et des historiens extrêmement sérieux en ont tiré de surprenants aphorismes moraux et en ont fait le sujet de tirades aussi longues que fastidieuses.

Voici ce que dit Mézeray, un historiographe plus grave que si quatre têtes de docteurs en Sorbonne eussent logé sous son bonnet:

«En 1538, le roi fut grièvement malade d'un fâcheux ulcère. Ce mal, disait-on, était un effet d'une mauvaise aventure qu'il avait eue avec la belle Ferronnière, l'une de ses maîtresses. Le mari de cette femme, désespéré d'un outrage que les gens de cour n'appellent que galanterie, s'avisa d'aller en un mauvais lieu s'infecter lui-même, pour la gâter et faire passer sa vengeance jusqu'à son rival. La malheureuse en mourut; le mari s'en guérit par de prompts remèdes. Le roi eut tous les fâcheux symptômes, et comme les médecins le traitèrent selon sa qualité plutôt que selon son mal, il lui en resta toute sa vie quelques-uns.»

Saint-Foix adopte l'opinion de Mézeray, mais il dramatise considérablement le récit. Il met en scène un moine,—un affreux moine, retour de Naples, et il en fait tout à la fois le conseiller et l'instrument de la vengeance du mari outragé.

Enfin dans presque toutes les histoires de France, il est dit expressément que François Ier mourut des suites de cette abominable machination.

A tout ceci il n'y a qu'une objection véritablement inattaquable, mais elle est capitale:

Léonard de Vinci, l'inimitable auteur du portrait de la belle Ferronnière, est mort le 2 mai 1519. L'amour du roi pour le charmant modèle est par conséquent antérieur à cette date. Ce qui fait, nécessairement, remonter tout ce roman aux belles années du règne de François Ier, lorsqu'il était encore dans toute la force de la jeunesse, c'est à-dire avant sa captivité de Madrid, avant sa passion pour Anne de Pisseleu, avant son mariage avec la princesse Eléonore. François Ier est mort plus de vingt-cinq ans plus tard (1547). Il faut avouer que le poison, si poison il y eut, fut lent à agir.

Quelle était la condition de la belle Ferronnière? c'est ce qu'on ne saurait décider non plus. Etait-elle, comme on le prétend, la femme d'un avocat, ou d'un drapier, ou d'un certain Féron? avait-elle été baladine, avait-elle dansé et chanté dans les rues avant d'épouser un marchand de fers? Cette dernière hypothèse est la plus probable, son surnom lui viendrait alors de la profession de son mari. A Lyon, on appelait Louise Labé la belle cordière.

Au milieu de toutes ces contradictions, mieux vaut s'abstenir. Une seule chose est certaine, c'est qu'on ne sait rien: peut-être même douterait-on de l'existence de la belle Ferronnière, sans le beau portrait de Léonard de Vinci, chef-d'oeuvre que ne fait point pâlir l'admirable toile de la Joconde.


François Ier eut bien d'autres maîtresses encore, mais elles ne jouèrent aucun rôle, amours de hasard et de passage, caprices d'un jour, à quoi bon en parler? Ah! le roi-chevalier n'y allait pas de main morte. Ecoutons, pour finir, le seigneur de Bourdeilles, qui tient à donner une idée du caractère chevaleresque de ce roi dont il fut le courtisan:

«J'ai ouï parler que le roi François, une fois, voulut aller coucher avec une dame de la cour qu'il aimait. Il trouva son mari l'épée au poing, pour l'aller tuer; mais le roi lui porta son épée à la gorge, et lui commanda sur sa vie de ne lui faire aucun mal, et que s'il lui faisait la moindre chose du monde, qu'il le tuerait ou qu'il lui ferait trancher la tête, et pour cette nuit, l'envoya dehors et prit sa place.... J'ai ouï dire que plusieurs autres dames obtinrent pareille sauvegarde du roi.»

Et des panégyristes se sont trouvés pour faire l'éloge du caractère chevaleresque et de la galanterie raffinée de François Ier! Pourquoi pas de la protection qu'il accordait aux dames?

Si tels doivent être absolument les rois-chevaliers, à tout jamais le ciel nous en préserve!


VII

DIANE DE POITIERS

DUCHESSE DE VALENTINOIS

Tandis que François Ier agonisait dans une des salles du château de Rambouillet, cachés dans une pièce voisine, l'ambitieux cardinal de Lorraine et Diane de Poitiers, la maîtresse toujours aimée du Dauphin, attendaient haletants d'impatience le dernier soupir du roi-chevalier.

—Il s'en va, le galant, répétaient-ils, il s'en va.

Tout à coup une rumeur profonde et contenue s'éleva dans la chambre du malade.

Le cardinal de Lorraine alla, sur la pointe des pieds, soulever la lourde portière en tapisserie de Flandres, il prêta l'oreille un instant, et revenant vers Diane, il lui dit avec une explosion de joie qu'il ne prenait plus la peine de dissimuler:

—Le roi est mort!

—Enfin je suis reine! s'écria Diane.

Elle s'était levée, son visage rayonnait de l'orgueil du triomphe.

Ce n'était pas le dauphin Henri, en effet, qui montait sur le trône, c'était sa vieille et impérieuse maîtresse. Diane de Poitiers succédait à la duchesse d'Etampes.

Jamais empire d'une favorite ne fut plus absolu, plus tyrannique, et, il faut le dire, plus désastreux pour la France.

Diane de Poitiers était fille de Jean de Poitiers, seigneur de Saint-Vallier, et de Jeanne de Batarnay, deux des plus anciennes familles du Dauphiné.

Elevée par son père, vaillant homme de guerre et grand chasseur, elle passa ses premières années au manoir de sa famille, demeure féodale, bâtie comme une citadelle au milieu des rochers abrupts qui dominent le cours impétueux du Rhône.

Son éducation fut celle de toutes les jeunes châtelaines du moyen âge, jeunes filles au coeur viril que l'on destinait à quelque brave chevalier ou à quelque rude chasseur. La lecture des romans de chevalerie, le déduit de la chasse occupaient les longues heures. Comme la déesse dont elle portait le nom, Diane aimait à galoper sur les traces des meutes ardentes, dans les grands bois qui entouraient alors toutes les nobles demeures.

Elle était, dès son enfance, experte en l'art de fauconnerie et s'entendait à dresser les émerillons. Nulle plus qu'elle n'était gracieuse et hardie, lorsqu'elle s'avançait sur sa blanche haquenée, «le faucon au poing,» suivie de quelqu'un de ces merveilleux lévriers dont la race est aujourd'hui perdue.

A seize ans, et lorsque grand était déjà le renom de sa beauté, Diane épousa le seigneur Louis de Brézé, comte de Maulevrier, grand sénéchal de Normandie, dont la mère était fille d'Agnès Sorel et de Charles VII.

Ainsi, les descendants de cette grande race des Brézé purent s'enorgueillir de compter dans leur famille deux des plus célèbres maîtresses des rois de France.

La présentation à la cour de la jeune et belle comtesse de Maulevrier, présentation qui eut lieu l'année même de son mariage, fit une grande sensation. Son nom, sa fortune, sa beauté lui donnèrent aussitôt un grand état, et l'admiration des hommes, non plus que l'envie des femmes, ne lui firent défaut. On l'appelait dès lors la grande sénéchale.

François Ier, que toutes les femmes tentaient, «ne fut point insensible aux charmes de la fière comtesse.» Diane, pas plus que les autres, ne sut résister au roi; un instant donc, elle fut sa maîtresse; mais son règne ne dura qu'un jour. Favorite sans influence, elle n'essaya même pas de lutter contre la comtesse de Chateaubriant, alors toute-puissante.

Les relations du roi et de Diane de Poitiers furent toujours si secrètes, que le comte de Maulevrier ne se douta jamais de rien et mourut sans avoir un seul instant soupçonné la fidélité de sa femme.

Diane affichait d'ailleurs une grande passion pour son mari. Trop habile pour se laisser prendre aux apparences, elle devina qu'elle ne dominerait jamais François Ier; elle savait son inconstance, et, pour une faveur passagère, elle ne voulut point compromettre la grande position que lui donnait le comte de Maulevrier.

On ne peut dire au juste ni l'origine, ni même la date des amours de François Ier pour la fière Diane de Poitiers; il convient cependant de les reporter aux premières années de l'apparition à la cour de la belle comtesse.

Mais il est une autre version, pleine d'horreurs, que racontent les chroniques, et que nombre d'historiens ont adoptée, un peu légèrement peut-être.

Selon ces chroniques, c'est au pied même de l'échafaud du père de Diane, le sire de Saint-Vallier, condamné à mort comme complice de la trahison du connétable de Bourbon, que commença ce roman d'amour; un abominable et honteux marché livra Diane de Poitiers au roi. Mais laissons parler les chroniques.

Poursuivi par la haine de Louise de Savoie, dont il avait repoussé l'amour et refusé la main, le connétable de Bourbon ne tarda pas à être victime des plus injustes persécutions. La mère et la maîtresse du roi, ces deux irréconciliables ennemies, se rapprochèrent un instant pour perdre le connétable; elles avaient à satisfaire, l'une sa vengeance, l'autre l'insatiable ambition de sa famille.

Bientôt Bourbon fut privé de ses fiefs et de ses domaines; on lui retira ses commandements pour les confier aux mains inhabiles des frères de la favorite; enfin, on commença contre lui un odieux procès.

Justement irrité, le connétable entama des négociations avec Charles-Quint. L'empereur, heureux de s'attacher le meilleur général de l'Europe, n'hésita pas à lui promettre, pour prix de sa défection, une principauté indépendante et la main d'une de ses soeurs.

Toujours menacé par deux femmes qui sacrifiaient à leurs passions le véritable intérêt de la France, Bourbon n'hésita plus. Il promit son épée et l'appui immense de son nom à l'empereur. Il confia alors ses projets à quelques gentilshommes dont il se croyait sûr, au père et au mari de Diane, entre autres, le sire de Saint-Vallier, un de ses plus anciens compagnons d'armes, et le comte de Maulevrier. Tous avaient juré le secret sur des morceaux de la vraie croix.

Le comte de Maulevrier ne tint pas son serment; il révéla le complot, à la condition que grâce lui serait faite, ainsi qu'à son beau-père.

Prévenu à temps, Bourbon put s'enfuir; mais le sire de Saint-Vallier fut arrêté à Lyon et traduit devant un tribunal composé de membres du parlement.

Vainement, pour sa défense, l'accusé invoqua les lois féodales qui le faisaient, avant tout, sujet de son seigneur immédiat; vainement il allégua son serment sur des morceaux de la vraie croix, serment terrible, jurant qu'il avait fait tous ses efforts pour détourner le connétable d'une trahison; il fut déclaré coupable de félonie et condamné à avoir la tête tranchée.

Tout aussitôt, les parents et les amis du sire de Saint-Vallier vinrent implorer la clémence royale. François Ier fut inflexible. Il était profondément irrité et tenait à se venger sur quelqu'un de la perte de son meilleur capitaine, perte d'autant plus désastreuse que la guerre recommençait.

Les supplications du dénonciateur lui-même, du comte de Maulevrier, ne furent point écoutées.

Diane de Poitiers voulut alors tenter une démarche suprême. Elle alla se jeter aux pieds du roi, «lui embrassant les genoux, et, d'une voix entrecoupée par les sanglots, elle le conjura de lui accorder la vie de son père.»

François Ier se laissa fléchir; mais il mit à la grâce du sire de Saint-Vallier une condition infâme, c'est que sa fille se donnerait à lui, sur l'heure. Diane, dans cet abominable marché, ne vit qu'une chose, le salut de son père.

«Ainsi, Diane de Poitiers devint la maîtresse du roi de France.»

Heureusement, rien n'est moins prouvé que cette horrible histoire. Presque tous les chroniqueurs qui la rapportent se contredisent entre eux et commettent d'ailleurs un grossier anachronisme.

Ainsi, selon Mézeray et les auteurs qui ont adopté son opinion, «le roi n'accorda la vie au sire de Saint-Vallier qu'après avoir pris à Diane, sa fille, alors âgée de quatorze ans, ce qu'elle avait de plus précieux.»

Or, à l'époque du procès du connétable, Diane de Poitiers avait de vingt-trois à vingt-quatre ans, et depuis plus de six ans elle avait donné à son mari, le comte de Maulevrier, «ce qu'elle avait de plus précieux.» L'âge, il est vrai, ne fait rien à l'affaire; mais outre que le caractère même de François Ier doit éloigner l'idée d'une si affreuse action, la suite des événements ôte toute espèce de probabilité à ce marché infâme imposé à la fille d'un malheureux dont la tête allait tomber.

François Ier laissa jouer, jusqu'au dernier acte, la lugubre comédie de la mort. Un échafaud fut dressé, «haut de sept pieds, tout tendu de draperies noires.» Le condamné fut tiré de sa prison et traîné jusqu'au lieu du supplice; il était si affaibli par la maladie, qu'il ne pouvait marcher. Déjà le malheureux avait gravi l'échelle fatale; il avait posé sa tête sur le billot; le bourreau levait sa hache, lorsque la grâce arriva. Et quelle grâce! une prison perpétuelle. Plus horribles furent les souffrances du sire de Saint-Vallier: après une lente et douloureuse agonie, il mourut dans le cachot sombre où on l'avait jeté.

Ce dernier fait de la captivité du sire de Saint-Vallier suffit presque, à lui seul, pour démontrer l'impossibilité de l'histoire racontée par les chroniques. Si Diane se donna, ce jour-là, pour sauver son père, est-il possible qu'elle n'ait pas obtenu la grâce entière? Si elle devint ensuite la maîtresse de François Ier, comment croire que ce prince, toujours si faible avec les dames, ait refusé à une femme aimée la liberté de son père, tandis que bien d'autres complices du connétable n'étaient pas même inquiétés? Il est bien plus simple d'admettre que déjà, à cette époque, toutes relations entre Diane et le roi avaient cessé.

Les années qui suivirent la condamnation du sire de Saint-Vallier s'écoulèrent tranquilles, sinon heureuses, pour Diane de Poitiers. Elle n'avait pas quitté la cour, mais elle faisait peu parler d'elle. Louise de Savoie était alors toute-puissante et ne souffrait aucune influence rivale; elle régnait, tandis que son fils se donnait tout entier à ses plaisirs et à ses amours. De cette époque datent les premières liaisons de Diane et des Guise. La parole passionnée de Luther avait trouvé de l'écho en France; la religion nouvelle avait des prosélytes, et comme les princes lorrains, Diane croyait que, par tous les moyens possibles, échafauds et bûchers, il fallait arrêter les progrès de l'hérésie.

Diane de Poitiers n'aimait pas madame Marguerite, soeur du roi; plusieurs fois elle avait raillé son goût pour les savants et les beaux-esprits, presque tous entachés des principes de la doctrine nouvelle; elle avait même osé blâmer hautement sa tolérance en matière de religion et ses tendances huguenotes. Aussi, la comtesse de Maulevrier n'accompagna pas Marguerite en Espagne, lorsqu'elle alla consoler son frère prisonnier; elle ne suivit pas non plus la cour à Bayonne, lors de la délivrance du roi.

En 1531, une meilleure occasion s'offrit à Diane de faire paraître le grand amour qu'elle avait pour son mari. Le comte de Maulevrier mourut le 23 juillet. Les regrets de la veuve éclatèrent aussitôt, mais si bruyants, si fastueux, que chacun pensa qu'il devait y avoir au moins un peu d'exagération.

Ce fut, du reste, une des grandes préoccupations de la vie de Diane de Poitiers, de faire croire à cet amour pour son mari, et aux regrets que lui causait sa mort. Toute sa vie, elle porta le deuil de cet homme si cher, et même aux premiers jours de ses amours avec le jeune prince Henri, elle s'habillait de noir et de blanc, comme une veuve de l'année. Mais dans le choix de ces couleurs, qui devinrent celles de son amant, il y avait plus de coquetterie que d'austérité, et selon Brantôme, un de ses admirateurs, cependant, «il y avait, dans son ajustement noir et blanc, plus de mondanité que de réformation, et surtout toujours montrait sa belle gorge.»

Après la mort de son mari, Diane fit élever à cet homme si tendrement aimé, et trompé, un magnifique mausolée, dans l'église de Notre-Dame de Rouen. Une longue épitaphe disait à tous et les vertus du défunt et les regrets de sa veuve inconsolable.

Elle se retira alors dans sa maison d'Anet, qui n'était encore qu'une simple et modeste demeure; elle voulait, disait-elle, dans cette solitude, pleurer éternellement son époux.

L'éternité dura un peu moins de deux ans.

Lorsque plus belle et «plus jeune que jamais,» Diane de Poitiers reparut à la cour, son premier soin fut de s'assurer quelque influence, chose capitale à une époque où tout le monde régnait, excepté peut-être le roi.

Véritablement s'assurer une influence n'était pas chose facile, toutes les places étaient prises. François Ier appartenait tout entier à madame d'Etampes, et nul n'entrevoyait même la possibilité de renverser la favorite.

Il ne fallait pas songer au fils aîné du roi, le dauphin François, prince mélancolique, toujours «tout de noir habillé,» et qui ne buvait que de l'eau. Il ressemblait fort à son grand-père Louis XII et semblait la vivante satire de cette cour débauchée. Il avait une maîtresse, cependant, la belle de l'Estrange, à laquelle une chanson faisait dire:

Brunette suis, jamais ne serai blanche.

et que Marot célébrait ainsi dans ses Etrennes:

A la beauté de l'Estrange,
Face d'ange,
Je donne longue vigueur;
Pourvu que son gentil coeur
Ne change.

Mais, précisément parce qu'il avait une maîtresse qu'il aimait, le dauphin François ne pouvait, en aucune sorte, servir les projets de Diane de Poitiers.

C'est alors qu'elle songea à s'emparer du prince Henri, le second fils de François Ier. A dire vrai, ce n'était encore qu'un enfant, il avait vingt ans presque de moins qu'elle; mais elle ne s'arrêta pas à ces considérations, et ne s'épouvanta nullement du ridicule qui pouvait l'atteindre.

Après avoir été la maîtresse du père, elle entreprit l'éducation du fils, douce tâche! François Ier donna, dit-on, son assentiment aux projets de Diane; il pensait qu'en fait de maîtresse, le jeune prince pouvait tomber plus mal. Il se trompait, et devait plus tard l'apprendre à ses dépens.

Henri avait, il faut le dire, toutes les qualités qui peuvent et doivent séduire une femme ambitieuse.

Bien fait, de belle et fièremine, c'était un des plus brillants cavaliers de la cour. Il maniait un cheval avec une incomparable adresse et avait sous les armes une bonne grâce inimitable. Adroit à tous les exercices du corps, il pouvait défier, sans crainte d'être vaincu, les gentilshommes les plus renommés. Il passait pour le plus agile sauteur du royaume et franchissait jusqu'à vingt-cinq pieds; enfin, il n'avait pas de rival au jeu de paume. La chasse, la petite guerre l'hiver à coups de boules de neige, les armes, tels étaient ses passe-temps favoris.

Au moral, il semblait fait pour être dominé. Timide, indécis, il était long à se décider. Avait-il un projet en tête, il prenait conseil de tous ceux qui l'entouraient. Il est vrai qu'une fois son opinion arrêtée, bonne ou mauvaise, on ne l'en faisait pas revenir facilement.

Tel était l'adolescent dont Diane de Poitiers entreprit la conquête. Elle dut se résigner à faire les premières avances; mais ses peines ne furent point perdues, et bientôt toute la cour apprit, avec stupéfaction, que la veuve inconsolable du comte de Maulevrier était la maîtresse du second fils du roi.

Un aussi beau succès ne pouvait manquer d'éveiller la jalousie; on fit pleuvoir les quolibets sur la vieille maîtresse de l'enfant royal; on osa faire les allusions les plus injurieuses; le gros mot d'inceste fut prononcé, et, à deux ou trois reprises, François Ier trouva dans sa chambre royale, sur son lit, des vers où ni lui, ni la grande sénéchale n'étaient ménagés.

Diane baissait la tête et sans mot dire laissait passer l'orage; quelque pressentiment l'avertissait sans doute qu'un jour viendrait où elle prendrait une éclatante revanche.

L'ambitieuse coquette jouait alors une grande passion pour son jeune amant, ce qui ne l'empêchait pas de porter toujours le deuil de feu monsieur de Maulevrier. Voulait-elle tromper ceux qui l'entouraient, s'abusait-elle sur ses véritables sentiments, c'est ce qu'il est difficile de dire.

Nous avons, des premiers jours de ces amours, des vers charmants, composés par Diane elle-même pour Henri; ils semblent écrits au lendemain de la chute; il est difficile de rien trouver de plus frais et de plus coquet:

Voici vraiment qu'Amour, un beau matin,
S'en vint m'offrir fleurette très-gentille.
Là se prit-il à orner votre teint,
Et vitement. Marjoleine et jonquille
Me rejetait, à tant que ma mantille
En était pleine, et mon coeur se pâmait.
Car, voyez-vous, fleurette si gentille
Etait garçon, frais, dispos et jeunet.
Ains, tremblotant et détournant les yeux:
—«Nenni, disais-je.—Ah! ne serez déçue,»
Reprit Amour; et soudain à ma vue
Va présenter un laurier merveilleux.
—«Mieux vaut, lui dis-je, être sage que reine!»
Ains me sentis et frémir et trembler....
Et Diane faillit...; et comprendrez sans peine
Duquel matin je prétends reparler.

Quels vers charmants! quel trouble délicieux et naïf! Ne croirait-on pas entendre fillette de seize ans, tout inquiète de s'être laissé voler son coeur!

Ces vers donnent une idée de l'esprit de Diane de Poitiers; il était souple et brillant. Elle avait du goût, quoi qu'en aient dit les écrivains réformés, qui avaient d'ailleurs de bonnes raisons de la détester, et savait parfaitement distinguer le vrai mérite. Il ne faut donc pas s'étonner de l'effet de ses séductions sur le coeur de Henri. A dire vrai, le jeune prince l'idolâtrait, et chaque jour éclatait plus forte et moins contenue son ardente passion.

Les beaux seigneurs et les belles dames s'étonnaient déjà de la durée de ces amours. On ne se piquait pas de constance à la cour de François Ier, les lunes de miel y avaient des quartiers fort courts, et déjà plus d'une dame avait essayé de continuer l'éducation de l'adolescent. Mais lui, fidèle à sa maîtresse, «déclarait n'avoir point de pensées pour d'autre.» Le mécontentement succéda à la surprise.

Bientôt, pour expliquer la violence et la persévérance étranges de cette passion, on accusa Diane de Poitiers d'avoir ensorcelé Henri. On la disait fort curieuse de magie, et on prétendait qu'elle avait donné à son amant une bague enchantée qui devait éternellement l'enchaîner à elle. De Thou lui-même croit, ou feint de croire à l'histoire de cette bague merveilleuse.

Mais, pour retenir Henri dans ses filets, Diane de Poitiers avait bien d'autres enchantements; elle avait sa beauté d'abord, puis son esprit et ses grâces infinies; enfin, elle avait son expérience. Il est impossible ici de citer textuellement nos vieux écrivains; mais tous s'accordent à dire que «la dame, fort experte en l'art de galanterie, était encore plus impudique que belle, et plus dépravée que spirituelle.» Voilà le charme expliqué.

Cependant, l'influence de Diane de Poitiers grandissait de jour en jour, et bientôt elle put balancer le crédit de la duchesse d'Etampes, la bien aimée du roi. Nous ne rappellerons pas ici les effets désastreux de la rivalité des deux favorites. Tous les avantages de cette lutte furent pour Diane. Elle avait l'avenir pour elle, et son ennemie, maîtresse d'un roi dont la santé était depuis longtemps perdue, était à peine sûre du lendemain.

La mort même sembla se mettre du côté de la grande sénéchale.

Ainsi, le dauphin François mourut, et son amant se trouva l'héritier de la couronne. Le duc d'Orléans, sur lequel s'appuyait encore madame d'Etampes, ne tarda pas à suivre son frère, et Diane alors, dans l'avenir au moins, ne vit plus de rivale.

Diane de Poitiers ne pouvait compter comme une rivale Catherine de Médicis, la femme de son amant, cette jeune Italienne, qui avait accepté sans murmure cette singulière condition d'épouser un homme entièrement subjugué par une maîtresse moins belle et plus vieille qu'elle.

Le luxe de Diane de Poitiers était alors princier, et chaque jour elle imposait à Henri de nouveaux sacrifices pour subvenir à ses dépenses. «Après la galanterie, dit M. Hauréau, les arts étaient sa plus grande passion;» et, autant pour satisfaire ses goûts que pour lutter avec la duchesse d'Etampes, elle voulait se faire une cour d'artistes et de poètes. Tous les nouveaux venus à la cour devaient choisir entre les deux favorites. Benvenuto Cellini se décida pour Diane, mais il fut obligé de quitter Fontainebleau.

—Restez, disait François Ier à l'inimitable artiste, restez, je vous couvrirai d'or.

Mais le fier et indépendant ciseleur n'eût pas supporté une injure pour tout l'or du nouveau monde, et la duchesse d'Etampes l'avait abreuvé de dégoûts.

Au palais de Fontainebleau, toujours aux côtés de la favorite de François Ier, on retrouve la grande sénéchale. Cette Diane Chasseresse, aux traits si nobles et si beaux, à la démarche si pleine de majesté, c'est l'altière maîtresse du Dauphin.

Elle eut du moins le mérite de bien placer ses bonnes grâces; elle encouragea bien d'autres artistes, bien d'autres gloires. Toujours elle protégea le Primatice, elle combla Jean Goujon. Bernard Palissy, l'inimitable potier-émailleur, put la compter au nombre de ses admiratrices.

C'est une triste histoire que celle de Bernard Palissy, le glorieux artiste, l'inventeur d'un art aujourd'hui perdu. Quel courage! quelle patience! Victime de l'envie et de la bêtise, il luttait contre toutes les horreurs de la misère, tandis qu'il faisait ses premiers chefs-d'oeuvre; ses enfants n'avaient pas de pain, et il brûlait son pauvre mobilier pour chauffer son four; ce four enchanté d'où sortaient ces admirables faïences dont le prix est aujourd'hui illimité, et ces plats merveilleux qui font l'admiration et le désespoir de nos artistes.

Diane s'éprit des poteries de Bernard Palissy, et bientôt il eut une autre protectrice, Catherine de Médicis. Alors les angoisses du malheureux eurent un terme; alors il paya en chefs-d'oeuvre les jours de repos qu'on lui faisait. Pour Diane, pour Catherine, pour Henri II, il composa ces plats, ces assiettes marqués au chiffre royal et qui, sur la table aux jours de gala placés à côté des vases et des coupes de Benvenuto Cellini, devaient donner au festin un féerique appareil.

Puis elle eut ses poëtes; on lui jetait aussi l'encens à pleines mains:

Ne vante plus, ô Rome, ta Lucrèce,
Cessez, Thébains, pour Corinne combattre,
Taire te faut de Pénélope, ô Grèce!
Encore moins pour Hélène débattre:
Et toi, Egypte, ôte ta Cléopâtre;
La France seule a tout cela et mieux:
En quoi Diane a l'un des plus beaux lieux,
Soit en vertus, beauté, faveur et race;
Car si n'avait le tout reçu des cieux,
D'un si grand roi n'eût mérité la grâce.

Lorsque Le Pelletier lui envoyait ces vers, elle était reine de France par la mort de François Ier, et depuis longtemps son oreille s'était habituée au doux murmure de la louange.

En 1537, Marot lui envoyait ces étrennes:

Que voulez-vous que vous donne,
Diane bonne?
Vous n'eûtes, comme j'entends,
Jamais tant d'heur au printemps
Qu'en automne.

Du Bellay, Ronsard, et bien d'autres, la Pléiade, eurent des vers pour elle, et pourquoi non? «Le poëte ne chante-t-il pas toujours les yeux tournés vers l'Orient?»

Mais les arts et les jouissances de l'esprit, choses frivoles, son amour pour le Dauphin, chose grave, ne suffisaient pas à emplir sa vie. Il fallait d'autres aliments à son ambition. Il lui fallait d'ailleurs étayer sa puissance. Elle était bien sûre de son amant, mais le pouvoir d'une favorite est chose si fragile!

C'est alors que plus que jamais elle se rapprocha des Guise, et qu'elle donna toute sa confiance au connétable Anne de Montmorency.

Ce fut en son temps un terrible soudard, que monseigneur le connétable, premier baron chrétien. Dur, cruel, superstitieux, altier, il résumait en lui tous les vices de la noblesse féodale, qui en avait un assez bon nombre. De plus, il était incapable et avare; oh! mais d'une avarice sordide. Enfin, il se distingua par le cynisme de ses pilleries. Il recevait de toutes mains; peu lui importait la valeur du présent, il acceptait avec la même avidité d'immenses domaines ou une paire de brodequins neufs achetés à Madrid. Quand on ne lui donnait pas... il prenait. Avait-on un procès, il vous en assurait le gain moyennant finance; il vendait les ordres du roi, et, envoyé pour punir des déprédations, il partageait simplement avec les fripons. Tuteur infidèle, il ruina sa nièce, Charlotte de Laval.

Mais son «âpreté à la chasse aux écus» n'était rien comparée à sa cruauté. Il n'avait qu'un argument, la potence. Il fit en sa vie périr une foule de malheureux, coupables de lui avoir déplu. A Bordeaux, il donna aux corbeaux plus de cent bourgeois.

Avec cela fort dévot; il jeûnait et gardait les observances. Chaque jour, il disait soigneusement ses prières; mais on connaît les patenôtres de M. le connétable. Terribles patenôtres! Brantôme nous en donne une idée: Pater noster,—brûlez-moi ce village;—qui es in coelis,—pendez-moi ces coquins;—sanctificetur nomen tuum,—qu'on assomme, celui-ci;—adveniat regnum tuum,—qu'on écartèle celui-là, etc....

Aussi, il faut voir si on redoutait les patenôtres de ce terrible rabroueur de personnes qui regardait brûler des villages entiers sans passer un grain de son chapelet.

Un jour, à Fontainebleau, il trouva que les solliciteurs venaient frapper en trop grand nombre au palais du roi; il fit élever des potences «hautes comme un clocher d'église,» et personne n'osa plus approcher.

C'est dans les derniers jours de sa vie que le terrible soudard montra surtout de quelles cruautés il était capable. Les huguenots n'eurent jamais de persécuteur plus ardent; chaque jour, il dénonçait à François Ier quelque coupable à faire pendre. Il osa lui dire que, si on voulait extirper tous ces hérétiques damnés, il fallait frapper leurs protectrices, madame Marguerite, soeur du roi, et la duchesse d'Etampes. Le roi trouva que le connétable allait trop loin.

Tel est l'homme dont Diane de Poitiers devint la fidèle alliée. Tandis qu'elle commandait altière au Dauphin, elle se courbait sans murmure sous la terrible volonté du connétable. Anne de Montmorency fut, dit-on, plus qu'un ami pour la grande sénéchale, et cet on-dit s'appuie sur des preuves. Ecoutons ce que dit l'histoire: «Le tempérament de Diane la portait quelquefois à chercher ailleurs le comble du plaisir quand elle trouvait en lui (le Dauphin) le comble des biens et des honneurs.»

Trahir un prince jeune et beau, pour un vieux soldat brutal, c'est de la dépravation; car enfin le connétable n'avait rien de ce qui séduit une femme. Sa seule qualité était la bravoure, une bravoure enragée. Au fort de la mêlée, il lançait son cheval en criant: Gare! gare! et ainsi il ouvrait les bataillons ennemis; car ceux qui ne se garaient pas assez vite tombaient bientôt sous ses coups.

Tout le crédit de Diane de Poitiers ne put cependant maintenir Anne de Montmorency: pendant les dernières années du règne de François Ier, la duchesse d'Etampes parvint à le faire disgracier et éloigner de la cour.

La grande sénéchale donna bien d'autres rivaux à son royal amant; les plus connus sont le cardinal de Lorraine et le maréchal de Brissac. Les écrivains protestants prétendent aussi que Marot fut très-avant dans ses bonnes grâces; mais rien n'est moins prouvé.

Il est constant, cependant, que Marot lui adressa ses hommages et qu'il fut assez favorablement écouté pour concevoir des espérances. Ne dit-il pas:

Être Phébus bien souvent je désire
Pour être aimé de Diane la blonde.

Mais les choses tournèrent à mal, paraît-il, car ailleurs le poëte s'écrie d'un ton désespéré:

Je n'ai pas eu de vous grand avantage,
Un moins aimant aura peut-être mieux.

La mie qui accusa Marot d'avoir mangé du lard et le fit ainsi enfermer, n'est autre que Diane de Poitiers; il s'appuie sur ses vers:

Bien avez lu, sans qu'il s'en faille un a,
Comme je fus, par l'instinct de luna,
Mené en lieu plus mal sentant que soufre
Par cinq ou six ministres de ce gouffre.

Ceci se passait avant la toute-puissance de Diane. Depuis, les douceurs de Marot tournèrent à l'aigre, les épigrammes remplacèrent les éloges, et il se tourna du côté de la duchesse d'Etampes et de madame Marguerite.

Mais, dit un vieil auteur, «pourquoi la grande sénéchale l'aurait-elle fait renfermer? Etait-il trop pressant, ou craignait-elle qu'il ne devînt indiscret?»

Diane de Poitiers voulait bien, de temps à autre, choisir un amant; mais elle ne permettait pas à Henri de penser à une autre femme. Trois ou quatre fois, soit étant dauphin, soit étant roi, Henri eut quelques velléités d'amour; mais Diane sut y mettre bon ordre. Elle s'en prenait, non point au prince, mais à l'objet de son caprice. C'est ainsi qu'elle fit éloigner mademoiselle Flamyn, celle-là même qui, étant enceinte du roi, disait avec un naïf orgueil:

—«J'ai tant fait, que, Dieu merci! j'aurai un enfant du roi, dont je m'en sens très honorée et très heureuse.»

Mademoiselle Flamyn exprimait là ce qu'eussent pensé, à cette époque, toutes les femmes, à sa place.

Enfin, François Ier mourut, et Diane de Poitiers monta sur le trône. Elle avait alors bien près de cinquante ans, son amant en avait vingt-neuf.

Cet amour persévérant d'un jeune roi entouré de séduction, en butte aux amoureuses tentatives de toutes les dames de la cour, cette passion pour une femme si vieille, peut sembler invraisemblable; c'est que Diane de Poitiers est un de ces rares exemples de longévité florissante qu'on ne rencontre pas une fois par siècle. Elle était admirablement belle et ne paraissait pas vingt-cinq ans, à un âge où les femmes renoncent ordinairement à dissimuler leurs rides. Brantôme, qui la vit lorsqu'elle avait plus de soixante ans, resta confondu d'admiration. «Six mois avant sa mort, dit-il, je la vis si belle encore, que je ne sache coeur de roche qui n'en fût ému.»

Cette éternelle jeunesse, Diane la devait, dit-on, à un philtre que, par reconnaissance, lui avait autrefois donné une jeune bohémienne dont elle avait sauvé le père, condamné à la potence. Pour un tel présent, quelle femme ne sauverait tous les bohémiens de la terre? Outre ce breuvage magique, elle avait, assurent des auteurs fort sérieux du temps, une pommade enchantée, qui rendait à sa peau la fraîcheur et l'éclat de l'adolescence.

Mais les graves auteurs se trompent. Diane rejeta toujours, au contraire, avec le plus grand soin, les pommades et les cosmétiques; son eau de beauté était simplement de l'eau de puits: chaque jour, même par les plus grands froids, elle se lavait le visage et tout le corps avec de l'eau glacée. Eveillée le matin «dès six heures,» elle montait ordinairement à cheval, faisait une ou deux lieues dans les bois, et venait se remettre dans son lit, où elle lisait jusqu'à midi.

Le premier soin de Diane, en arrivant au pouvoir, fut de chasser honteusement sa rivale, la duchesse d'Etampes, que François Ier avait comblée de richesses et d'honneurs. Elle n'osa cependant la dépouiller de ses biens, c'eût été établir un précédent et donner pour elle-même un fâcheux exemple.

Elle ne s'en tint point là; «elle avait des vengeances à exercer, des partisans à récompenser.» Tous ceux qui avaient été attachés à la duchesse d'Etampes, ou qui lui devaient leur élévation, furent disgraciés et remplacés par des créatures à elle. D'Annebaut dut céder à Jacques de Saint-André sa charge de maréchal de France; le maréchal de Biez fut dégradé: encore un peu, il portait sa tête sur l'échafaud. Le connétable de Montmorency fut rappelé, et partagea toute la puissance avec les Guise. Le cardinal de Lorraine remplaça le cardinal de Tournon.

Finances, armée, clergé, conseil, Diane s'assura de tout. Partout elle mit des hommes à elle, incapables de la trahir, parce qu'ils lui devaient tout et savaient qu'ils tomberaient avec elle.

Tous ces changements s'opérèrent si vite, que le troisième jour après la mort de François Ier, Montmorency, que le roi Henri II appelait son compère, établi à Saint-Germain-en-Laye, recevait les députés envoyés de Paris pour complimenter le nouveau roi.

Alors les Guise jetèrent les fondements de cette puissance colossale qui, sous les successeurs de Henri II, devait menacer le trône.

Les factions réunies des princes lorrains, des Montmorency et de Diane entouraient le roi de toutes parts. «Rien ne leur échappait, dit un écrivain du temps, non plus que mouches aux hirondelles, que tout ne fût englouti; de sorte qu'il était impossible à ce prince débonnaire d'étendre à d'autres sa libéralité.»

Cruellement éclipsée par la favorite, la femme de Henri II, Catherine de Médicis, en prenait sans fausse honte son parti. «Elle s'exerçait, par avance, aux ruses de sa politique nationale, flattant, pour se les ménager, toutes les influences rivales de la sienne, quelque odieuses qu'elles pussent lui être.»

Henri II, cependant, tenait à faire montre de son pouvoir royal, et, dans ce but, il comblait sa maîtresse bien-aimée. Pour elle, il ne trouvait rien d'assez magnifique; il se plaisait à l'entourer d'un faste vraiment royal. Pour orner les logis et les palais de Diane de Poitiers, il faisait de tous côtés rechercher les chefs-d'oeuvre des arts de l'époque: meubles, tapisseries, tableaux, vêtements, ouvrages d'orfèvrerie, riches parures. Depuis le mois d'octobre 1548, Diane avait pris le titre de duchesse de Valentinois, du riche duché de ce nom, l'un des plus beaux domaines de la couronne, que son amant lui avait donné à vie.

Un remarquable événement marqua les premières années du règne de Henri II. Le combat du sire de La Châtaigneraie et du comte de Jarnac. Ce devait être le dernier duel judiciaire. François Ier avait cru devoir refuser le champ clos, son successeur l'accorda, sur les instances de Diane de Poitiers. Tous deux d'ailleurs, le souverain et la favorite, avaient pris parti dans cette querelle, qui avait troublé le règne du dernier roi.

La Châtaigneraie n'avait été, disait-on, que l'écho du Dauphin et de sa maîtresse, et, plus tard, il était devenu leur champion.

Voici ce qui s'était passé: Le bruit s'était tout à coup répandu à la cour de François Ier que la duchesse d'Etampes honorait son beau-frère, le comte de Jarnac, de ses faveurs. On voulut remonter à la source de cette accusation; on pensait arriver jusqu'à Henri, profondément hostile à la maîtresse de son père; mais La Châtaigneraie s'interposa. Il déclara que lui-même avait tenu le propos; que, d'ailleurs, il le tenait de Jarnac lui-même, qui lui avait fait cette confidence. Il offrait le combat pour soutenir son dire. François Ier étouffa cette affaire.

Mais sous Henri II, la haine se réveilla, un nouveau défi fut jeté, le roi accorda le champ-clos.

Au dire de toute la cour, la lutte n'était point égale entre les deux adversaires: La Châtaigneraie, «haut de la main et querelleur,» était doué d'une vigueur extraordinaire; il excellait dans tous les exercices du corps, et passait pour la meilleure lame du royaume. Fier de son adresse et de sa vaillance, il se vantait orgueilleusement de «courir à tous venants.»

Jarnac, au contraire «était, dit Brantôme, un petit dameret qui faisait plus grande profession de curieusement se vestir que des armes de guerre.»

Cependant, ou avait préparé le champ-clos dans le parc du château de Saint-Germain; on avait paré les estrades de draperies, comme pour un tournoi, et, au jour indiqué, le roi, Diane de Poitiers et toute la cour vinrent assister à ce grand combat judiciaire.

Les adversaires entrèrent en lice au coucher du soleil; leurs armes, suivant l'usage, avaient été bénies à Saint-Denis. Le combat commença. La Châtaigneraie, qui ne doutait pas de la victoire, se précipita furieusement sur son ennemi; mais Jarnac para prestement, et, avec une adresse sans pareille, riposta par un coup qui renversa son adversaire.

Ce coup fameux a pris depuis le nom de coup de Jarnac. Il est vrai qu'on ne sait pas au juste quel il était; seulement, il n'est pas permis de douter qu'il ne fût très-loyal.

Aussitôt Jarnac fut sur La Châtaigneraie; l'épée sur la gorge, il le somma de se rétracter. La Châtaigneraie refusa. Gracié par le roi, le vaincu fut transporté, pour y être pansé, au château de son parent, le duc de Guise; mais il était trop fier pour survivre à sa défaite, il arracha tous ses appareils, préférant la mort à l'humiliation. Sur le mausolée qu'on lui fit élever, on lisait cette inscription:

AUX MANES FIÈRES DU TRÈS-VALEUREUX
CHEVALIER FRANÇAIS
FRANÇOIS DE VIVONNE
SEIGNEUR DE LA CHATAIGNERAIE.

Dès l'avènement de Henri II au trône, les persécutions contre les huguenots avaient commencé avec une fureur jusqu'alors inconnue. Sous l'inspiration des Guise, du connétable de Montmorency et de la nouvelle duchesse de Valentinois, de toutes parts on élevait des potences et des bûchers, le sang coulait à flots.

«Ce n'est pas, dit un auteur calviniste, que la favorite fut animée d'un bien grand zèle pour la religion catholique, mais la duchesse d'Etampes avait protégé la religion réformée, et cela seul avait déterminé Diane de Poitiers à faire précisément le contraire. De plus, elle et ses infâmes complices se partageaient les dépouilles de tous les martyrs de leur croyance, innocentes victimes dont on confisquait les biens.»

L'acharnement de Diane de Poitiers contre les huguenots est véritablement incroyable. Non contente d'ordonner des supplices, il lui arriva quelquefois d'assister aux interrogatoires, et d'accabler des injures les plus véhémentes les malheureux que, devant elle, on soumettait à la torture. Ainsi, suivant J. Crespin, dans l'affaire du tailleur du roi, «elle voulut elle-même assister au jugement et en dire sa râtelée

Y avait-il «quelque brûlement,» elle s'en réjouissait longtemps à l'avance, et y assistait toujours avec le roi. Accoudée à quelque fenêtre, la tête appuyée sur l'épaule de son amant, heureuse, souriante, elle regardait brûler les hérétiques. Les jours de bûcher étaient jours de fête pour la cour.

Il s'est cependant trouvé des poëtes pour chanter ces fureurs de Diane de Poitiers:

Sur tout, vous avez soin
De Dieu, de son Église,
De vous repoulsant bien loin
Toute malice et feintise.

Par la toute-puissance de la favorite, le cardinal de Lorraine, Charles, était comme le véritable roi de France. A chaque amant de la maîtresse royale, il fallait une part du pouvoir: le peuple murmurait et son indignation s'exhalait en épigrammes. Un jour, Henri II, en se mettant à table, trouvait ce quatrain sous son couvert:

Sire, si vous laissez comme Charles désire,
Comme Diane veut, par trop vous gouverner,
Fondre, pétrir, mollir, refondre, retourner,
Sire vous n'êtes plus, vous n'êtes plus que cire.

Ces vers irritaient le roi, mais ne lui donnaient pas le courage d'être le maître; il ne pouvait se «déguiser

Le connétable de Montmorency avait peut-être plus de pouvoir que le cardinal de Lorraine. Ses maladresses et son incapacité ne diminuaient pas son influence. Diane le soutenait. Il s'était fait battre, puis il était tombé aux mains de l'ennemi. Mais, du fond de sa prison, il tenait encore une des ficelles qui faisaient mouvoir Henri II. Le roi écrivait au connétable captif pour l'informer de tout ce qui se passait à la cour, pour lui dire ses griefs contre les Guise, qui parfois lui faisaient peur, enfin pour le consulter. Diane était de moitié dans la correspondance. «Le monarque tantôt servait à cette dame de secrétaire, tantôt lui cédait, puis reprenait la plume, comme on peut s'assurer par quelques lettres, conservées à la Bibliothèque, qui sont de deux écritures, et se terminent ainsi:

Vos anciens et meilleurs amis,

DIANE, HENRI.»

Les persécutions contre les huguenots continuaient toujours, et leur nombre cependant allait en augmentant. Ils cherchaient et trouvaient des protecteurs pour remplacer ceux qu'ils avaient perdus, la duchesse d'Etampes et madame Marguerite.

Pauvre Marguerite! Ils étaient bien loin les jours de sa jeunesse, jours de folie et d'amour. Avec la vieillesse l'heure du repentir était venue. Après avoir écrit l'Heptaméron, elle avait composé le Miroir de l'âme pécheresse, et la Sorbonne avait voulu y voir des propositions hérétiques.

Ses protégés, savants et beaux esprits, lui furent au moins reconnaissants; ils firent des inscriptions et frappèrent des médailles où ils l'appelaient la dixième Muse et quatrième Grâce. Pour elle, Ronsard a eu des strophes charmantes:

Ici la reine sommeille,
Des reines la non pareille,
Qui si doucement chanta:
C'est la reine Marguerite,
La plus belle fleur d'élite
Qu'oncques l'Aurore enfanta.

Mais ni les horreurs de la persécution ni les malheurs de la guerre ne suspendaient les plaisirs à cette cour de Henri II, «si gentiment corrompue,» dit Brantôme. C'était chaque jour quelque fête nouvelle, et toujours la duchesse de Valentinois en était la reine. Catherine de Médicis, l'épouse délaissée, ordonnatrice des bals et des festins, s'effaçait devant la favorite. La rusée Italienne avait alors acquis une véritable influence, occulte, il est vrai, mais qui pour cela n'en était pas moins sûre. Elle ne semblait cependant songer qu'aux plaisirs, mais les plaisirs étaient un de ses moyens favoris de gouvernement. Elle organisait l'escadron nombreux et dangereux de ses filles d'honneur, escadron charmant où les rois de France prirent l'habitude de choisir des maîtresses. Libre était la conduite des filles d'honneur, et nul, assure Brantôme, «n'y trouvait à redire, pourvu que sussent se garder de l'enflure du ventre.»

A toutes ces fêtes, chasses, bals, mascarades, Henri II ne paraissait que vêtu des couleurs de la duchesse de Valentinois. Il avait adopté ses emblèmes, un croissant placé sur des montagnes avec cette devise: Donec totum implicit orbem. Il faisait plus, il faisait frapper des médailles en l'honneur de l'altière favorite: la plus connue porte d'un côté cette inscription: Diana, dux Valentinorum clarissima. Au revers, on voit Diane foulant aux pieds un Amour, avec cette légende: Victorem omnium vici.

Henri II se faisait gloire de son amour: il semblait vouloir l'apprendre à tout l'univers, et en transmettre le souvenir à la postérité. Partout, sur les palais qu'il aimait à faire construire, on voit le chiffre du roi uni à celui de Diane; on le retrouve, ce chiffre, à Fontainebleau, à Chambord et à Saint-Germain. On les aperçoit encore, ces deux lettres, amoureusement enlacées au milieu des feuilles d'acanthe qui courent le long du palais du Louvre.

De grands artistes bâtissaient de royales demeures pour le roi Henri II. Il fallait de somptueuses résidences pour loger toutes les merveilles des arts de ce temps, et jamais on ne vit tant de chefs-d'oeuvre. Ce fut alors vraiment le beau moment de la Renaissance.

Le château d'Anet, bâti pour Diane de Poitiers, résumait toutes les splendeurs, toutes les magnificences de cette admirable époque.

Anet, merveilleux château, s'élevait entre les deux forêts d'Yves et de Dreux. Philibert Delorme avait donné les dessins, Cousin et Jean Goujon y épuisèrent leur génie. C'était comme un palais de fée, demeure enchantée des contes arabes. Tout y était merveille, du perron aux combles. Chaque serrure était un poëme, le moindre clou était une oeuvre d'art. L'escalier avait une légèreté inimitable, les cheminées étaient des monuments. Jamais la perfection n'avait été portée si loin.

Hélas! que reste-t-il d'Anet, le joyau du seizième siècle? quelques débris incomplets, mais si admirables encore que, devant eux, on s'arrête ébloui.

Mais on ne peut se faire une idée de la richesse de l'ameublement d'Anet. Là, madame la duchesse de Valentinois avait accumulé tous les trésors de ce siècle si riche. Les meubles étaient d'ivoire et d'ébène rehaussés d'or; l'Espagne et la Flandre avaient fourni les tentures de cuir et les tapisséries de fine laine. Les tapis venaient d'Orient, les glaces de Venise. Puis sur les étagères, sur les bahuts sculptés à jour, s'entassaient les poteries de Palissy, les coupes et les aiguières de Benvenuto; enfin, ces mille objets d'un fini si admirable, qu'exécutaient, non pas des ouvriers, mais des artistes. Luxe inouï, féerique, que nous pouvons à peine comprendre aujourd'hui.

Dans ce palais d'Anet, on voyait, aux côtés de Diane, une autre Diane, une toute jeune fille, belle, charmante; on l'appelait madame de Castro. Encore enfant, elle avait été fiancée à un autre enfant, Hercule de Farnèse, duc de Castro; mais elle était restée veuve avant d'être nubile.

On la destinait à François de Montmorency, fils du connétable.

Diane de Castro était fille de Henri II, mais nul ne connaissait sa mère; on pensait que ce pouvait bien être Diane de Poitiers, et l'on expliquait qu'encore aux premiers temps de leurs relations, les deux amants avaient dû dissimuler la naissance de cet enfant.

On dit encore que Henri II voulait légitimer Diane de Castro; mais la duchesse de Valentinois ne le voulut pas. Aux premières paroles que lui en dit le roi:

—Par ma naissance, répondit-elle, j'étais en droit d'avoir de vous des enfants légitimes; j'ai été votre maîtresse, parce que je vous aimais, mais je ne souffrirai pas qu'un arrêt me déclare votre concubine.

Singulier scrupule, chez une femme qui emplissait le monde du bruit et du scandale de ses amours.

La duchesse de Valentinois touchait à sa soixantième année; mais toujours belle, toujours jeune, plus que jamais adorée de son amant, elle pouvait espérer encore un long règne, lorsqu'un terrible accident causa la mort de Henri II, encore dans toute la force de l'âge.

Depuis longtemps une prédiction menaçait le roi d'un danger inconnu; voici ce que disait la centurie:

Le lion jeune le vieux surmontera
Au champ bellique, par singulier duel
Dans cage d'or les yeux lui crèvera:
Deux plaies donnent la mort cruelle!

Chacun pensait bien qu'il s'agissait de quelque combat singulier à armes courtoises ou non; mais Henri II ne croyait pas aux horoscopes.

Aussi, lors du tournoi donné à l'occasion des mariages d'Elisabeth de France et de Philippe II, roi d'Espagne, et de Marguerite, soeur de Henri II, avec le duc de Savoie, l'amant de la duchesse de Valentinois descendit dans la lice.

Déjà cent lances avaient été rompues, lorsque le roi voulut en courir une dernière contre un de ses gentilshommes, le comte de Montgomery.

Mais cette fois l'horoscope eut raison.

Atteint au-dessous de l'oeil par le tronçon de la lance de Montgomery, Henri II, dangereusement blessé, dut être porté en son palais. On ne comprit pas d'abord toute la gravité de la blessure; mais bientôt elle empira, et le roi fut en danger de mort.

—Que l'on n'inquiète pas le comte de Montgomery, avait dit le roi en tombant.

On s'était conformé à la volonté royale; mais le meurtrier involontaire, le malheureux comte était au désespoir.

Grand aussi était le deuil autour du lit du royal malade; grandes étaient les ambitions si longtemps comprimées qui commençaient à s'agiter. Les créatures de la duchesse de Valentinois, les amis des Guise sentaient le pouvoir leur échapper; tous ceux qui s'étaient dévoués à Catherine de Médicis saluaient l'aurore de son règne.

Bientôt on en vint à compter les minutes que le roi avait encore à vivre. Alors Catherine jeta son masque. Sa haine contre la favorite, si longtemps contenue, éclata. Elle envoya l'ordre à la duchesse de Valentinois de rendre les bijoux de la couronne qui lui avaient été confiés par son amant, et de quitter la cour sur l'heure.

—«Le roi est-il donc mort? demanda-t-elle fièrement à celui qui avait été chargé de cette commission.

—«Non, Madame, répondit-il; mais il ne passera pas la journée.

—«Je n'ai donc pas encore de maître, dit-elle. Je veux que mes ennemis le sachent bien: lorsque le roi ne sera plus, je ne les craindrai pas; car si j'ai le malheur de lui survivre, ce que je n'espère pas, mon coeur sera trop occupé de sa douleur pour que je puisse être sensible aux chagrins et aux dégoûts qu'on voudra me donner.»

Henri mort, les courtisans s'éloignèrent de celle qu'ils avaient encensée aux jours de la prospérité. Retirée en son château d'Anet, elle ne dut le repos dont on la laissa jouir dans sa solitude, qu'à l'intervention du connétable de Montmorency, qui eut au moins ce rare courage de demeurer fidèle à une favorite tombée.

Elle put compter ses ennemis, le nombre en était immense. A leur tête était Gaspard de Saulx, depuis maréchal de Tavannes, qui, même du vivant du roi, haïssait si fort la favorite, qu'il avait proposé à Catherine de Médicis «d'aller couper le nez à la duchesse de Valentinois.» Et certes, il l'eût fait, sans la défense expresse de Catherine.

Un scandaleux procès la força un instant de sortir de sa retraite. Accusée d'avoir favorisé et partagé les rapines de ceux qui, sous son règne, avaient tenu les gabelles, elle fut condamnée à restituer des sommes considérables; elle dut s'exécuter.

Elle avait eu de son mari, le comte de Maulevrier, deux filles, mariées du vivant de Henri aux ducs d'Aumale et de Bourbon; mais ses gendres cessèrent de s'occuper d'elle du jour où elle devint inutile à leur ambition.

Fidèle au rôle de toute sa vie, la duchesse de Valentinois en consacra les dernières années à des oeuvres de piété. Elle fonda même un hôpital, non loin de son château d'Anet, et une chapelle sous l'invocation de la Vierge immaculée.

Sa haine contre les protestants avait redoublé avec ses malheurs; peut-être, en essayant de les persécuter encore, croyait-elle racheter un scandaleux passé. Par une clause de son testament, elle déshéritait ses filles, si jamais elles venaient à abandonner la religion chrétienne.

Diane de Poitiers, comtesse de Brézé, duchesse de Valentinois, mourut à Anet, le 22 avril 1566, âgée de soixante-six ans, trois mois et vingt-sept jours. Elle était si belle encore qu'elle ne paraissait pas la moitié de cet âge.


VIII

MARIE TOUCHET

Charles IX fut un prince malheureux.

Il hérita, en montant sur le trône, des fautes de ses prédécesseurs, et c'est lui seul cependant que l'histoire semble en rendre responsable.

Engagé malgré lui dans une voie sans issue, il vit éclater les funestes événements qu'avaient préparés les règnes de François Ier, de Henri II, la minorité de François II et sa minorité à lui, qui l'avait laissé sous la toute-puissance de l'ambitieuse et rusée Catherine de Médicis.

Catherine de Médicis, voilà la vraie coupable: c'est elle qui régna sous le nom de son fils.

Faible jouet aux mains de sa mère, Charles IX n'eut que le tort de ne point savoir résister à ses obsessions; souvent même, et pour les choses les plus importantes, il ne fut point consulté; c'est à son insu que se préparèrent les horribles massacres de la Saint-Barthelémy; prévenu, il les eût empêchés.

Il ne fut pas des moins surpris, lorsque sonna le tocsin, non pas à Saint Germain-l'Auxerrois, comme on l'a dit à tort, mais à la grosse tour du Palais de Justice; et s'il fallait des preuves de ce que nous avançons ici, nous dirions que la princesse Marguerite, la femme de Henri de Navarre, cette soeur aimée du roi de France, n'avait point été avertie, de telle sorte qu'elle faillit tomber sous le couteau des assassins: ils pénétrèrent jusque dans son alcôve, où ils osèrent poursuivre un malheureux huguenot qui dut la vie au courage de la princesse.

Il est inutile de réfuter cette tradition ridicule qui nous montre Charles IX tirant sur ses propres sujets du haut du balcon du Louvre. Ceux qui, d'après quelques chroniques mensongères, ont colporté ce conte, ne se sont point souvenus qu'à cette époque le fameux balcon n'était point construit encore.

Charles IX a été un prince calomnié; il avait plus de bonnes qualités que de mauvaises, et certes il lui fallait un naturel heureux pour n'avoir point été complètement corrompu par l'éducation que lui donna sa mère.

La cour de France était alors plus licencieuse que jamais: tous les crimes et toutes les débauches y avaient leurs grandes entrées; on y tramait l'assassinat et on y préparait le poison. Comme appât pour ceux qu'elle voulait attirer dans ses filets, Catherine de Médicis avait ses filles d'honneur, belles et dangereuses sirènes qui mettaient leurs faveurs et leur beauté au service de la politique de la reine-mère.

Nul plus que Charles IX ne porta impatiemment le poids de la couronne.

—«Que je regrette donc d'être roi!» disait-il souvent.

Poëte, peintre, musicien, il mettait les arts bien au-dessus du pouvoir; c'est lui qui adressait à Ronsard, son poëte, son ami, ces vers charmants:

L'art de faire des vers, dût-on s'en indigner,
Doit être à plus haut prix que celui de régner:
Tous deux également nous portons des couronnes,
Mais roi, je la reçois, poëte, tu les donnes;
Ta lyre qui ravit par de si doux accords
T'asservit les esprits dont je n'ai que les corps;
Elle t'en rend le maître et te sait introduire
Où le plus fier tyran ne peut avoir d'empire.

Charles IX se plaisait au milieu d'un cénacle de poëtes, d'érudits et de beaux esprits dont la savante Marguerite était l'âme et la reine. Aux heures de loisir, il recherchait avec empressement tous les chefs-d'oeuvre de l'art de cette époque, parvenu alors à son apogée; il faisait recueillir les manuscrits précieux, les tentures richement ouvragées, les meubles merveilleusement sculptés, puis les tableaux, les armures, les ouvrages d'orfèvrerie. Il nous est resté de cette époque des collections aujourd'hui sans prix. La grande passion du roi était la chasse; il ne redoutait ni dangers, ni fatigues; il tuait ses chevaux à appuyer les chiens, et les favoris s'épuisaient en vains efforts pour le suivre.

Au retour, il faisait des armes; il était fier d'être la meilleure lame de son royaume; il donnait du cor à pleins poumons jusqu'à cracher le sang. Il défiait à la balle tous ses gentilshommes. On avait encore d'autres passe-temps moins dangereux et moins violents: le bilboquet venait de faire son apparition à la cour; nul seigneur de bon air ne sortait sans le joujou à la mode, et c'était merveille, vraiment, que de voir déployer leur adresse à ce jeu, légèrement niais, des raffinés que le moindre prétexte mettait l'épée à la main.

Il y avait encore un nouveau jeu, venu tout récemment de Florence, le jeu des billes que l'on faisait rouler sur un vaste tapis; c'était l'enfance du billard; qui devait plus tard charmer la vieillesse de Louis XIV et faire la fortune politique de M. de Chamillard.

Tel est pourtant le roi aimable et spirituel que l'on nous montre couché sanglant sur un lit d'agonie, torturé par d'horribles remords et disant avec terreur à sa nourrice, vieille huguenote ménagée, ajoute-t-on, par ses ordres:

—«Ah nourrice! que de sang, que de sang!»

Les amours de Charles IX et de Marie Touchet forment un contraste remarquable avec les amours de tous les rois dont nous venons de parler.

Ici point de bruit, point de faste, point de scandale. Marie Touchet n'est pas une favorite ambitieuse, c'est une maîtresse dévouée; Charles IX eut ce rare bonheur d'être aimé pour lui-même.

Marie Touchet était fille d'un bourgeois d'Orléans, Jean Touchet, lieutenant particulier au présidial d'Orléans selon les uns, apothicaire ou parfumeur selon les autres, dans tous les cas un des beaux esprits du temps, car plusieurs poëtes lui firent des dédicaces. C'est à Blois, au retour d'une chasse, que le roi, qui n'avait encore que dix-huit ou dix-neuf ans, aperçut cette charmante fille; il ne put la voir sans l'aimer.

La beauté de Marie Touchet était éblouissante, et, chose rare à cette époque, son esprit «était aussi incomparable que sa beauté;» elle avait, dit un écrivain du temps, «le visage plus rond qu'ovale. Ses yeux, trop grands peut-être, avaient une expression de douceur infinie; son nez était du dessin le plus fin; ses cheveux noirs et merveilleusement abondants; et sa bouche rose et mignonnette s'ouvrait sur des dents plus blanches que neige.»

Enfin, elle méritait de tout point l'anagramme que son amant fit plus lard de son nom: Marie Touchet, je charme tout.

Longtemps la passion du jeune roi pour la belle Marie Touchet fut un secret à la cour: Charles IX redoutait pour sa douce maîtresse la colère de Catherine de Médicis. L'ambitieuse était jalouse de tous ceux qui approchaient son fils. Toujours elle craignait de voir s'élever quelque influence qui pût contre-balancer la sienne.

Il eût été dans son caractère de donner une amie à son fils, quelque belle fille d'honneur dont elle eût été sûre; elle devait craindre une femme étrangère qui pouvait apprendre au roi qu'après tout il était le maître.

Un profond mystère entoure donc les commencements de ces amours. Charles IX n'avait qu'un seul confident. Lorsque la nuit était venue, que chacun croyait le roi enfermé dans ses appartements, il s'enveloppait d'un grand manteau sombre, rabattait un large feutre sur son visage et s'échappait par quelque porte secrète du château; seul le plus souvent, sans penser que plus d'un chef huguenot ne se fût fait aucun scrupule de s'emparer de sa personne royale.

Les deux amants avaient choisi pour leurs rendez-vous un petit logis qui jadis avait servi de halte de chasse. Là, presque chaque soir, Charles IX passait de longues heures aux pieds de la belle Marie Touchet, tandis que son confident faisait le guet dans les environs.

Ces premières entrevues furent des plus innocentes: le roi de France soupirait comme un amoureux transi et n'osait rien demander. Ce prince, qu'on s'est plu à nous représenter si terrible et si farouche, était, au fond, d'une grande timidité.

Mais, à défaut d'audace, sa passion plaida bien mieux sa cause. Marie ne sut pas résister longtemps à ce bel adolescent, qui était son seigneur et son maître, et qui priait, quand il aurait pu commander.

Elle se donna à Charles librement, sans arrière-pensée et sans conditions, non pas au monarque très-chrétien, mais au jeune et élégant gentilhomme aux moustaches et aux cheveux dorés, dont le pinceau net et suave de François Clouet nous a laissé de si charmants portraits.

Le moment arriva bientôt où leurs discrètes amours se virent menacées de l'implacable ressentiment de la reine-mère.

Marie Touchet portait dans son sein un gage de l'amour du roi.

Que se passa-t-il alors entre les deux amants? Virent-ils seulement dans le rêve de leur imagination effrayée se dresser menaçante la figure de Catherine de Médicis? ou la panique dont ils furent saisis fut-elle déterminée par la révélation de leur secret trahi ou vendu?

La chronique hésite à se prononcer sur ce point; mais pour qui connaît les pratiques et les manoeuvres astucieuses dont s'armait, envers et contre tous, la politique italienne de la mère du roi, il est plus que probable qu'elle avait été informée de la grossesse de Marie par les espions dont elle formait toujours une escorte invisible à son «cher fils.»

Celui-ci, habitué à trembler devant elle, s'arrêta au parti que prennent, en pareille circonstance, les caractères faibles et dominés.

Pour sauver sa maîtresse, il l'éloigna en toute hâte; et la pauvre enfant alla faire ses couches hors de France, dans un âpre coin des terres du duc de Savoie. C'est là qu'elle donna le jour à un fils qui ne vécût que quelques mois.

Cet obstacle écarté, Catherine reprit avec ardeur l'oeuvre de corruption dont elle avait fait le pivot et la base de sa puissance.

Ce qu'il fallait au roi, pour servir ses desseins et la laisser suprême maîtresse du gouvernement, ce n'était point une obscure et chaste liaison avec une petite bourgeoise, inoffensive jusqu'à présent, mais qui pouvait cesser de l'être à un moment donné.

Elle redoutait l'empire que pouvait prendre sur le coeur de Charles l'habitude, ce petit fil invisible qui maîtrise à la longue le coeur des princes comme celui des vulgaires mortels.

Elle redoutait surtout la vertu de Marie. La vertu pouvait bien, aux yeux de son royal fils, élevé au milieu de ces très-belles et très-honnêtes dames dont Brantôme fut l'historien, sembler la séduction la plus irrésistible, parce qu'elle était l'attrait le plus rare.

Et puis elle sentait qu'elle n'aurait aucune prise sur cette âme désintéressée, dénuée d'ambition peut-être, et qui n'engagerait jamais la lutte avec son génie supérieur, mais qui ne serait pas à elle.

Or, ce que Catherine voulait avant tout, c'était qu'on lui appartînt, corps et âme.

Mettant à profit l'absence de Marie, elle essaya d'effacer entièrement son souvenir de l'esprit du roi. Dans ce but, elle lui donna de sa main plusieurs autres maîtresses, des nobles dames de la cour, façonnées par elle-même à ce métier de galanterie politique qu'elle avait importé en France d'au-delà des monts.

Trois ans se passèrent dans une vie de plaisirs, de fêtes, de dissipation et d'enivrement continuel, trois ans pendant lesquels Charles IX sembla avoir oublié la pauvre exilée et son premier amour.

A la fin pourtant, il se lassa de ces joies mensongères et factices; il prit en dégoût ces courtisanes titrées qui recueillaient soigneusement chacune de ses paroles pour les verser dans l'oreille de sa mère; il s'aperçut que ces belles créatures étaient de froids espions qui calculaient, soupesaient et notaient jusqu'aux mots sans suite qu'il bégayait dans l'ivresse des sens.

Alors il se souvint de la vierge sur le sein de laquelle il avait pleuré et souri sans contrainte, et l'avenir lui apparut encore riche du passé.

Marie Touchet, cependant, avait souffert sans se plaindre de son abandon. Elle était revenue en France, pour vivre au moins près de Charles, s'il ne lui était plus permis de vivre pour lui.

Un jour que le roi se trouvait dans cette disposition d'esprit que je viens de dire et dans cette amère et profonde lassitude de son existence actuelle, il l'aperçut, par hasard, d'une fenêtre de son palais.

Elle était vêtue simplement, d'habits de couleur sombre, presque de deuil; elle lui parut mille fois plus belle dans sa douleur et sa résignation.

L'amour qui s'était échappé de son âme furtivement et à son insu y rentra en maître.

Revoir Marie, la revoir à l'instant même, telle fut la pensée irrésistible qui s'empara du prince.

Et comme il ressemblait assez peu à sa mère pour ne pas suivre son premier mouvement, cette journée bénie ne s'était pas écoulée qu'il était aux pieds de la charmante femme, implorant encore son pardon, quand il était déjà tout pardonné.

Au sortir de cette longue et délicieuse extase de l'amour partagé, Charles se réveilla transformé. Ce n'était plus l'enfant timide, dérobant par la fuite l'objet de sa tendresse aux sinistres jalousies d'une mère; c'était un homme jaloux de faire respecter le choix de son coeur, si ce n'était pas encore un roi se souvenant qu'en France le sceptre ne doit jamais tomber en quenouille.

—Je vous aime, Marie, dit-il simplement, et je vais à l'instant informer la reine, ma mère, de mes intentions à votre égard. N'ayez nulle inquiétude de ce côté, je saurai bien la faire consentir à nous laisser libres, l'un et l'autre, de nous aimer. Qu'elle règne, j'y consens; la couronne est lourde à porter pour un front de vingt ans.

—Sire, répondit Marie Touchet, il adviendra ce qu'il plaira à Dieu; en lui j'ai confiance comme aussi en vous; que votre royale volonté soit accomplie.

Le roi entoura tendrement Marie de ses bras et la baisa au front, puis il sortit précipitamment.

Quelques instants après, il était de retour au Louvre et rejoignait sa mère dans une grande salle tendue de cuir brun gaufré d'or, la seule qui subsiste encore des appartements du roi Henri II. C'était dans cette salle que Catherine de Médicis avait l'habitude de se tenir après souper; c'est là qu'elle recevait les hommages des courtisans, toujours plongée dans un grand fauteuil au coin de l'immense cheminée, encadrant dans un bonnet de velours noir façonné en pointe son visage froid et impérieux comme le masque d'une supérieure de couvent, et vêtue de noir, portant le deuil de son époux qu'elle ne quitta jamais.

Précisément, au moment où le roi son fils l'aborda, Catherine venait de congédier ses conseillers ordinaires, Nostradamus et les Ruggieri.

On sait la foi sans bornes que la fille des Médicis avait aux sciences occultes. Ses astrologues ordinaires lui avaient tiré son horoscope au début de sa vie, et elle avait vu se réaliser, avec une singulière précision, les prédictions qu'ils lui avaient faites.

Sans doute il avait été question de Charles et de ses amours dans le conciliabule qui venait d'être tenu, car aux premiers mots du roi sur le retour de Marie Touchet et sur sa passion pour elle, Catherine l'interrompit en lui disant:

—Je sais tout.

—Alors, vous savez aussi, ma mère, reprit Charles avec impétuosité, que Marie est une jeune fille sans ambition, pleine de respect et d'amour pour vous, qui n'a jamais entrevu seulement la pensée de paraître à la cour, et qui préfère à tout un bonheur modeste et ignoré de tous.

—Je connais ses sentiments, répondit lentement la reine, et je les approuve.

—Oh! merci pour cette bonne parole, ma mère, s'écria le roi. Ainsi, vous permettez qu'elle vive près de moi; vous ne prendrez pas d'ombrage de mon amour pour elle?

—A une condition, mon fils, fit Catherine en se levant majestueuse et solennelle, c'est que vous ne sacrifierez pas à un caprice de votre coeur les intérêts de votre couronne. Ecoutez-moi.

—Je vous écoute, ma mère, répondit docilement Charles IX.

—Sire, continua la reine, il faut que vous vous mariiez.

—Qu'à cela ne tienne, dit le roi, dont le front soucieux s'était subitement éclairci.

—Je vous ai trouvé une femme; je ne vous dirai pas que c'est une douce et belle princesse, de tout point digne de votre amour; votre pensée étant ailleurs, vous ne me comprendriez point. Je vous dirai seulement que c'est la petite-fille de Charles-Quint, et que, dans trois mois, elle sera dans votre lit.

—Une princesse d'Autriche, ma mère!

—Oui, mon fils, dona Isabelle; et si je vous la fais épouser, c'est pour mieux préparer la ruine de sa maison, l'éternelle ennemie de la France et de l'Italie. L'Italie, je veux qu'elle soit réunie tout entière sous le sceptre des Médicis, dont les intérêts se confondent avec ceux de la maison de France, à qui doit naturellement revenir l'héritage de la couronne d'Espagne. Un jour viendra, mon fils, ajouta-t-elle d'un air inspiré, où il n'y aura plus d'Alpes ni de Pyrénées, où ces trois peuples, France, Italie, Espagne, unis par la religion et le sang, n'en feront qu'un. Voilà pourquoi je défends le catholicisme. Monsieur, la France doit rester catholique ou disparaître de la carte d'Europe.

Mais Charles IX n'écoutait point cette politique transcendante; sa pensée n'était plus au Louvre.

A dater de ce moment, aucun nuage ne troubla plus les amours du roi et de sa douce maîtresse. Bien qu'enveloppées toujours de ce transparent mystère qui dissimule mal les passions des rois, nous les voyons inspirer la verve des poëtes ordinaires de la cour.

Tour à tour Daurat, Ronsard, Desportes et bien d'autres ont chanté la beauté de Marie Touchet sous des noms allégoriques qui ne trompaient personne.

Déjà Desportes, dans des strophes touchantes, avait célébré le rapprochement des deux amants; dans ces beaux vers, où la parole est laissée au roi, nous trouvons le portrait psychologique de ce prince qui nous aide singulièrement à restituer cette physionomie défigurée par l'ignorance et la haine des historiens:

La royauté me nuit et me rend misérable.
Jamais à la grandeur amour n'est favorable.
Si je n'étais point roi, je serais plus content;
Je la verrais sans cesse et, par ma contenance,
Mes pleurs et mes soupirs, elle aurait connaissance,
Que je sens bien ma faute et qu'en suis repentant.

Digne objet de mes voeux qui m'avez pu contraindre
Par tant d'heureux efforts, votre honneur serait moindre
Si j'avais obéi dès le commencement:
Deux fois vous m'avez mis en l'amoureux cordage,
Deux fois je suis à vous; c'est l'être davantage
Que si vous m'aviez pris une fois seulement.

Il est bien mal-aisé qu'une amour véhémente
Soit toujours en bonace et jamais en tourmente.
Vénus, mère d'Amour, est fille de la mer.
Comme ou voit la marine et calme et courroucée,
L'amant est agité de diverse pensée.
«Qui dure en un état ne se peut dire aimer.»

Charles IX, d'ailleurs, aussi poëte que les plus illustres de la Pléiade, n'avait pas besoin d'interprète pour rendre ses sentiments, et voici les vers qu'il composa lui-même sur sa maîtresse:

Toucher, aimer, c'est ma devise,
Ce celle-là que plus je prise,
Bien qu'un regard d'elle à mon coeur
Darde plus de traits et de flamme
Que de tous l'Archerot vainqueur
N'en ferait onc appointer dans mon âme.

Le roi avait logé Marie Touchet au coin de la rue de l'Autruche et de la rue Saint-Honoré, à deux pas du Louvre, dans une jolie petite maison construite en 1520 pour la fameuse duchesse d'Alençon sur une partie du jardin du vieil hôtel de ce nom.

C'était un pavillon élevé d'un étage seulement au-dessus du rez-de-chaussée, bâti en briques; les fenêtres étaient encadrées de pierre blanche, fouillée en bosselage vermiculé suivant le goût du temps. Une cour étroite la séparait de la rue, et un petit jardin l'isolait sur le derrière de l'hôtel d'Alençon.

L'intérieur, pour la simplicité et le bon goût, répondait au dehors de cette modeste habitation.

C'est dans ce nid mystérieux que Charles IX abritait ses amours, quand il ne cachait pas sa maîtresse dans les sombres appartements du château de Madrid.

Marie Touchet ne tarda pas à devenir mère une seconde fois.

Elle accoucha d'un fils au château de Fayet en Dauphiné, le 28 avril 1572.

Catherine de Médicis, qui décidément lui avait accordé ses bonnes grâces, fit reconnaître cet enfant par le Parlement et permit que le petit Charles de Valois portât le titre de comte d'Auvergne.

Déjà elle avait fait don à la maîtresse de son fils de la seigneurie de Belleville, près Vincennes, où Marie Touchet se rendait parfois quand, après la chasse, le roi passait la nuit au château.

Moins favorisée du ciel que sa rivale, la reine Elisabeth ne donna qu'une fille au roi de France.

Décidément, l'étoile de la petite-fille de Charles-Quint pâlissait devant celle de Marie. La maîtresse royale, dans le naïf et égoïste orgueil de l'amour, ne faisait même pas à la pauvre reine l'honneur d'être jalouse d'elle.

C'est du moins ce que prétend cette mauvaise langue de Brantôme: «Cette belle dame, lorsqu'on traictoit le mariage du roy et de la royne, un jour ayant veu le portraict de la royne et bien contemplé, ne dist autre chose, sinon que: «L'Allemagne ne me fait point de peur,» inférant par là qu'elle présumait autant de soy et de sa beauté que le roy ne s'en scaurait passer.»

Elisabeth qui, selon le même Brantôme, «fut une des plus douces roynes qui aient jamais été et qui ne fit oncques mal ni déplaisir à personne,» négligée de son époux, offrait en silence ses larmes à Dieu et passait ses nuits solitaires à lire ses Heures.

Ce n'était point cette victime résignée qui pouvait faire échec à la passion du roi, surexcitée par les joies de la paternité.

Le fils de Marie Touchet, que Brantôme déclare encore être «un très-beau et très-agréable prince, et la vraie ressemblance du père en toute valeur, générosité et vertu,» ressemblait, en effet, beaucoup à Charles IX.

Tout enfant, il en avait déjà les traits, les gestes, le sourire.

Le roi passait de longues heures dans le petit logis de la rue de l'Autruche, à le faire jouer et sauter sur ses genoux.

Délicieuses soirées qui ne devaient pas avoir de lendemain!

Une nuit, Charles arriva chez sa maîtresse, pâle, l'oeil hagard, convulsif, tremblant, le front baigné d'une sueur froide. Pour la première fois, il repoussa les caresses de la jeune femme et ne se pencha point sur le berceau de son fils.

C'était au lendemain de la Saint-Barthelémy; des bandes d'assassins couraient encore les rues, et, pour franchir la courte distance qui séparait le Louvre de la rue de l'Autruche, Charles IX avait trébuché sur vingt cadavres.

A dater de cette nuit terrible, où l'on avait violenté sa volonté royale, l'infortuné prince n'eut plus un instant de repos.

En vain, pour chasser le fantôme sanglant, se jeta-t-il dans tous les excès d'une débauche furieuse et se livra-t-il avec emportement aux exercices les plus violents.

Il ne fit plus, jusqu'au jour de sa mort, que de rares apparitions chez Marie Touchet, et chaque fois il lui disait d'un air sombre:

—Ma mie, je suis condamné. Je périrai bientôt!

Et il serrait le petit Charles de Valois contre son coeur et s'écriait, en versant des torrents de larmes:

—Enfant, que tu es heureux! Tu ne seras jamais roi.

Après la mort de Charles IX, Marie Touchet, qui ne s'était en rien mêlée des affaires et n'avait pris aucune part aux intrigues, recueillit le fruit de sa sagesse.

La reine-mère laissa par testament au petit Charles de Valois ses propres, les comtés d'Auvergne et de Lauraguais.

Plus tard, la reine Marguerite, la première femme d'Henri IV, contesta la donation et la fit casser par le Parlement. Mais le roi Louis XIII indemnisa par la suite le comte d'Auvergne en lui donnant le duché d'Angoulême.

Marie Touchet épousa Charles de Balzac, marquis d'Entragues, gouverneur d'Orléans, qui l'avait connue et aimée toute jeune, avant sa liaison avec le roi.

Elle lui donna deux filles: l'aînée fut la célèbre marquise de Verneuil, maîtresse de Henri IV, qui voulut détrôner ce prince, lors de la conspiration du maréchal de Biron, pour donner la couronne à son frère utérin, le comte d'Auvergne.

Gravement compromis dans cette conspiration et même jeté en prison, celui-ci ne fut rendu à la liberté que par respect pour le sang des Valois, assure l'auteur de la Confession de Sancy.

C'est sans doute le même sentiment qui fit fermer les yeux à Louis XIV quand le comte d'Auvergne, devenu duc d'Angoulême avec droit de battre monnaie sur ses terres, s'amusa à altérer les titres et à se faire faux monnayeur.

Marie Touchet mourut presque nonagénaire et fut inhumée dans l'église des Minimes de la place Royale. Sur une lame de cuivre enfermée dans son tombeau, on avait gravé cette épitaphe:

cy gist
le corps de haute et puissante dame
madame MARIE TOUCHET,
de belleville, au jour de son décès,
veuve de feu haut et puissant seigneur
messire françois de balzac,
seigneur d'entragues,
chevalier des ordres du roi
et gouverneur d'orléans,
laquelle décéda le 28 mars 1638,
agée de 89 ans.

La seconde fille de Marie Touchet, Marie de Balzac, eut le malheur d'aimer un fat, Bassompierre, qui la paya de ses bontés en outrageant et en calomniant sa mère.

Voici en quels termes le galant maréchal raconte dans ses Mémoires le touchant épisode des amours de Charles IX et de Marie Touchet:

«Le lieutenant-général d'Orléans, nommé Touchet, fut accusé d'avoir aidé au prince de Condé de surprendre Orléans aux premiers troubles; car il était soupçonné d'être de la religion. Ce fut pourquoi on lui suscita une accusation pour le perdre. Mais Antragues, gouverneur d'Orléans, qui l'aimait, offrit une jeune fille qu'il avait, nommée Marie, d'excellente beauté, au roi Charles, moyennant quoi il eut la vie sauve. Et la fille fut produite au roi qui la dévirgina, et elle fut à lui. Puis ensuite, étant devenue grosse, l'extrême respect que ce roi portait à sa mère fit qu'il l'envoya sur la frontière de Savoye, hors de France, où elle accoucha d'un fils qui mourut. Cependant, le roi devint amoureux de madame de Clermont d'Antragues et de madame de Narmoustier, et ne se soucia plus de Marie Touchet, jusqu'à ce qu'au bout de trois ans, l'ayant vue en une fenêtre, comme il allait au palais, il lui prit envie de la revoir, et l'engrossa de nouveau d'un fils, dont elle accoucha encore en Savoye. Et le roi Charles étant à la mort, le recommanda à la reine sa mère, qui en eut soin et le fit étudier; puis le roi Henri III le prit en amitié, et l'eût fait grand s'il eût vécu, le recommandant fort au roi Henri IV, son successeur: c'est le duc d'Angoulême. Marie Touchet depuis se maria avec le même Antragues qui l'avait produite au roi Charles.»

M. le maréchal de Bassompierre, en écrivant ces lignes, ne songeait sans doute pas à la postérité qui flétrit les lâchetés, de quelque part qu'elles viennent.


Chargement de la publicité...