Les joyeuses Bourgeoises de Windsor
The Project Gutenberg eBook of Les joyeuses Bourgeoises de Windsor
Title: Les joyeuses Bourgeoises de Windsor
Author: William Shakespeare
Translator: François Guizot
Release date: March 1, 2007 [eBook #20720]
Language: French
Credits: Produced by Paul Murray, Rénald Lévesque and the Online
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Note du transcripteur. =========================================================== Ce document est tiré de: OEUVRES COMPLÈTES DE SHAKSPEARE TRADUCTION DE M. GUIZOT NOUVELLE ÉDITION ENTIÈREMENT REVUE AVEC UNE ÉTUDE SUR SHAKSPEARE DES NOTICES SUR CHAQUE PIÈCE ET DES NOTES Volume 6 Le marchand de Venise--Les joyeuses Bourgeoises de Windsor--Le roi Jean--La vie et la mort du roi Richard II, Henri IV (1re partie). PARIS A LA LIBRAIRIE ACADÉMIQUE DIDIER ET Cie, LIBRAIRES-ÉDITEURS 35, QUAI DES AUGUSTINS 1863 ==========================================================
LES
JOYEUSES BOURGEOISES
DE WINDSORCOMÉDIE
NOTICE
SUR
LES JOYEUSES BOURGEOISES
DE WINDSORSelon une tradition généralement reçue, la comédie des Joyeuses Bourgeoises de Windsor fut composée par l'ordre d'Élisabeth, qui, charmée du personnage de Falstaff, voulut le revoir encore une fois. Shakspeare avait promis de faire mourir Falstaff dans Henri V1 mais sans doute, après l'y avoir fait reparaître encore, embarrassé par la difficulté d'établir les nouveaux rapports de Falstaff avec Henri devenu roi, il se contenta d'annoncer au commencement de la pièce la maladie et la mort de Falstaff, sans la présenter de nouveau aux yeux du public. Élisabeth trouva que ce n'était pas là tenir parole, et exigea un nouvel acte de la vie du gros chevalier. Aussi paraît-il que les Joyeuses Bourgeoises ont été composées après Henri V, quoique dans l'ordre historique il faille nécessairement les placer avant. Quelques commentateurs ont même cru, contre l'opinion de Johnson, que cette pièce devait se placer entre les deux parties de Henri IV; mais il y a, ce semble, en faveur de l'opinion de Johnson qui la range entre Henri IV et Henri V, une raison déterminante, c'est que dans l'autre supposition l'unité, sinon de caractère, du moins d'impression et d'effet, serait entièrement rompue.
Les deux parties de Henri IV ont été faites d'un seul jet, ou du moins sans s'écarter d'un même cours d'idées; non-seulement le Falstaff de la seconde partie est bien le même homme que le Falstaff de la première, mais il est présenté sous le même aspect; si dans cette seconde partie, Falstaff n'est pas tout à fait aussi amusant parce qu'il a fait fortune, parce que son esprit n'est plus employé à le tirer sans cesse des embarras ridicules où le jettent ses prétentions si peu d'accord avec ses goûts et ses habitudes, c'est cependant avec le même genre de goûts et de prétentions qu'il est ramené sur la scène; c'est son crédit sur l'esprit de Henri qu'il fait valoir auprès du juge Shallow, comme il se targuait, au milieu de de ses affidés, de la liberté dont il usait avec le prince; et l'affront public qui lui sert de punition à la fin de la seconde partie de Henri IV n'est que la suite et le complément des affronts particuliers que Henri V, encore prince de Galles, s'est amusé à lui faire subir durant le cours des deux pièces. En un mot, l'action commencée entre Falstaff et le prince dans la première partie, est suivie sans interruption jusqu'à la fin de la seconde, et terminée alors comme elle devait nécessairement finir, comme il avait été annoncé qu'elle finirait.
Les Joyeuses Bourgeoises de Windsor offrent une action toute différente, présentent Falstaff dans une autre situation, sous un autre point de vue. C'est bien le même homme, il serait impossible de le méconnaître; mais encore vieilli, encore plus enfoncé dans ses goûts matériels, uniquement occupé de satisfaire aux besoins de sa gloutonnerie. Doll Tear-Sheet abusait encore au moins son imagination; avec elle il se croyait libertin; ici il n'y songe même plus; c'est à se procurer de l'argent qu'il veut faire servir l'insolence de sa galanterie; c'est sur les moyens d'obtenir cette argent que le trompe encore sa vanité. Élisabeth avait demandé à Shakspeare, dit-on, un Falstaff amoureux; mais Shakspeare, qui connaissait mieux qu'Élisabeth les personnages dont il avait conçu l'idée, sentit qu'un pareil genre de ridicule ne convenait pas à un pareil caractère, et qu'il fallait punir Falstaff par des endroits plus sensibles. La vanité même n'y suffirait pas; Falstaff sait prendre son parti de toutes les hontes; au point où il en est arrivé, il ne cherche même plus à les dissimuler. La vivacité avec laquelle il décrit à M. Brook ses souffrances dans le panier au linge sale n'est plus celle de Falstaff racontant ses exploits contre les voleurs de Gadshill, et se tirant ensuite si plaisamment d'affaire lorsqu'il est pris en mensonge. Le besoin de se vanter n'est plus un de ses premiers besoins; il lui faut de l'argent, avant tout de l'argent, et il ne sera convenablement châtié que par des inconvénients aussi réels que les avantages qu'il se promet. Ainsi le panier de linge sale, les coups de bâton de M. Ford, sont parfaitement adaptés au genre de prétentions qui attirent à Falstaff une correction pareille; mais bien qu'une telle aventure puisse, sans aucune difficulté, s'adapter au Falstaff des deux Henri IV, elle l'a pris dans une autre portion de sa vie et de son caractère; et si on l'introduisait entre les deux parties de l'action qui se continue dans les deux Henri IV, elle refroidirait l'imagination du spectateur, au point de détruire entièrement l'effet de la seconde.
Bien que cette raison paraisse suffisante, on en pourrait trouver plusieurs autres pour justifier l'opinion de Johnson. Ce n'est cependant pas dans la chronologie qu'il faudrait les chercher. Ce serait une oeuvre impraticable que de prétendre accorder ensemble les diverses données chronologiques que, souvent dans la même pièce, il plaît à Shakspeare d'établir; et il est aussi impossible de trouver chronologiquement la place des Joyeuses Bourgeoises de Windsor entre Henri IV et Henri V, qu'entre les deux parties de Henri IV. Mais, dans cette dernière supposition, l'entrevue entre Shallow et Falstaff dans la seconde partie de Henri IV, le plaisir qu'éprouve Shallow à revoir Falstaff après une si longue séparation, la considération qu'il professe pour lui, et qui va jusqu'à lui prêter mille livres sterling, deviennent des invraisemblances choquantes: ce n'est pas après la comédie des Joyeuses Bourgeoises de Windsor, que Shallow peut être attrapé par Falstaff. Nym, qu'on retrouve dans Henri V, n'est point compté dans la seconde partie de Henri IV, au nombre des gens de Falstaff. Il serait assez difficile, dans les deux suppositions, de se rendre compte du personnage de Quickly, si l'on ne supposait que c'est une autre Quickly un nom que Shakspeare a trouvé bon de rendre commun à toutes les entremetteuses. Celle de Henri IV est mariée; son nom n'est donc point un nom de fille; la Quickly des Joyeuses Bourgeoises ne l'est pas.
Au reste, il serait superflu de chercher à établir d'une manière bien solide l'ordre historique de ces trois pièces; Shakspeare lui-même n'y a pas songé. On peut croire cependant que, dans l'incertitude qu'il a laissée à cet égard, il a voulu du moins qu'il ne fût pas tout à fait impossible de faire de ses Joyeuses Bourgeoises de Windsor la suite des Henri IV. Pressé à ce qu'il paraît par les ordres d'Élisabeth, il n'avait d'abord donné de cette comédie qu'une espèce d'ébauche qui fut cependant représentée pendant assez longtemps, telle qu'on la trouve dans les premières éditions de ses oeuvres, et qu'il n'a remise que plusieurs années après sous la forme où nous la voyons maintenant. Dans cette première pièce, Falstaff, au moment où il est dans la forêt, effrayé des bruits qui se font entendre de tous côtés, se demande si ce n'est pas ce libertin de prince de Galles qui vole les daims de son père. Cette supposition a été supprimée dans la comédie mise sous la seconde forme, lorsque le poëte voulut tâcher apparemment d'indiquer un ordre de faits un peu plus vraisemblable. Dans cette même pièce comme nous l'avons à présent, Page reproche à Fenton d'avoir été de la société du prince de Galles et de Poins. Du moins n'en est-il plus, et l'on peut supposer que le nom de Wild-Prince demeure encore pour désigner ce qu'a été le prince de Galles et ce que n'est plus Henri V. Quoi qu'il en soit, si la comédie des Joyeuses Bourgeoises offre un genre de comique moins relevé que la première partie de Henri IV, elle n'en est pas moins une des productions les plus divertissantes de cette gaieté d'esprit dont Shakspeare a fait preuve dans plusieurs de ses comédies.
Plusieurs nouvelles peuvent se disputer l'honneur d'avoir fourni à Shakspeare le fond de l'aventure sur laquelle repose l'intrigue des Joyeuses Bourgeoises de Windsor. C'est probablement aux mêmes sources que Molière aura emprunté celle de son École des Femmes; ce qui appartient à Shakspeare, c'est d'avoir fait servir la même intrigue à punir à la fois le mari jaloux et l'amoureux insolent. Il a ainsi donné à sa pièce, sauf la liberté de quelques expressions, une couleur beaucoup plus morale que celle des récits où il a pu puiser, et où le mari finit toujours par être dupe, et l'amant heureux.
Cette comédie paraît avoir été composée en 1604.
LES
JOYEUSES BOURGEOISES
DE WINDSORCOMÉDIE
PERSONNAGES
SIR JOHN FALSTAFF.
FENTON.
SHALLOW, juge de paix de campagne.
SLENDER, cousin de Shallow.
M. FORD. }deux propriétaires, habitants
M. PAGE. } de Windsor.
WILLIAM PAGE, jeune garçon, fils de M. Page.
SIR HUGH EVANS, curé gallois2.
LE DOCTEUR CAIUS, médecin français.
L'HÔTE DE LA JARRETIÈRE.
BARDOLPH, }
PISTOL, } suivants de Falstaff.
NYM. }
ROBIN, page de Falstaff.
SIMPLE, domestique de Slender.
RUGBY, domestique du docteur Caius.
MISTRISS FORD.
MISTRISS PAGE.
MISTRISS ANNE PAGE, sa fille, amoureuse de Fenton.
MISTRISS QUICKLY, servante du docteur Caius.
Domestiques de Page, de Ford, etc.
La scène est à Windsor et dans les environs.
ACTE PREMIER
SCÈNE I
A Windsor, devant la maison de Page.
Entrent LE JUGE SHALLOW, SLENDER et sir HUGH EVANS.
SHALLOW.--Tenez, sir Hugh, ne cherchez pas à m'en dissuader. Je veux porter cela à la chambre étoilée. Fût-il vingt fois sir John Falstaff, il ne se jouera pas de Robert Shallow, écuyer.
SLENDER.--Écuyer du comté de Glocester, juge de paix et coram.
SHALLOW.--Oui, cousin Slender, et aussi Cust-alorum3.
SLENDER.--Oui, des ratolorum! gentilhomme de naissance, monsieur le curé, qui signe armigero dans tous les actes, billets, quittances, citations, obligations: armigero partout.
SHALLOW.--Oui, c'est ainsi que nous signons et avons toujours signé sans interruption ces trois cents dernières années.
SLENDER.--Tous ses successeurs l'ont fait avant lui et tous ses ancêtres le peuvent faire après lui, ils peuvent vous montrer, sur leur casaque, la douzaine de loups de mer4 blancs.
SHALLOW.--C'est une vieille casaque.
EVANS.--Il peut très-bien se trouver sur une vieille casaque une douzaine de lous-lous blancs5. Cela va parfaitement ensemble, c'est un animal familier à l'homme, un emblème d'affection.
SHALLOW.--Le loup de mer est un poisson frais6; ce qui fait le sel de la chose, c'est que la casaque est vieille.
Note 6: (retour) The luce is fresh fish; the salt fish is an old coat. Les commentateurs n'ont pu rendre raison du sens de cette phrase, en effet difficile à expliquer. Il paraît probable que poisson frais (fresh fish) était une expression vulgaire pour désigner une noblesse nouvelle, et que Shallow veut dire que ce qui indique l'ancienneté de sa maison, et ce qui en fait un poisson salé (salt fish), c'est l'ancienneté de la casaque.SLENDER.--Je puis écarteler, cousin?
SHALLOW.--Vous le pouvez sans doute en vous mariant.
EVANS.--Il gâtera tout7, s'il écartèle.
Note 7: (retour)It is marring indeed, if he quarter it. Shallow lui a dit qu'il pouvait écarteler en se mariant (marrying). Evans lui répond qu'en effet écarteler (quarter) est le moyen de tout gâter (marring). Ce jeu de mots était impossible à rendre; il a même été nécessaire de changer la réplique d'Evans. If he has a quarter of your coat, there is but three skirts for yourself. «S'il a un quart de votre casaque, vous n'en aurez que trois quarts.»
Quarter signifie également quart, quartier et écarteler.
SHALLOW.--Pas du tout.
EVANS.--Par Notre-Dame, s'il écartèle votre casaque il la mettra en pièces; vous n'en aurez plus que les morceaux. Mais cela ne fait rien; passons; ce n'est pas là le point dont il s'agit.--Si le chevalier Falstaff a commis quelque malhonnêteté envers vous, je suis un membre de l'Eglise: et je m'emploierai de grand coeur à faire entre vous quelques raccommodements et arrangements.
SHALLOW.--Non, le conseil en entendra parler: il y a rébellion.
EVANS.--Il n'est pas nécessaire que le conseil entende parler d'une rébellion: il n'y a pas de crainte de Dieu dans une rébellion. Le conseil, voyez-vous, aimera mieux entendre parler de la crainte de Dieu, que d'une rébellion. Comprenez-vous? Prenez avis de cela.
SHALLOW.--Ah! sur ma vie, si j'étais encore jeune, ceci se terminerait à la pointe de l'épée.
EVANS.--Il vaut mieux que vos amis soient l'épée et terminent l'affaire, et puis j'ai aussi dans ma cervelle un projet qui pourrait être d'une bonne prudence.--Il y a une certaine Anne Page qui est la fille de M. George Page, et qui est une assez jolie fleur de virginité.
SLENDER.--Mistriss Anne Page? Elle a les cheveux bruns et parle doucement comme une femme.
EVANS.--C'est cela précisément; c'est tout ce que vous pouvez désirer de mieux; et son grand-père (Dieu veuille l'appeler à la résurrection bienheureuse!) lui a donné, à son lit de mort, sept cents bonnes livres en or et argent, pour en jouir sitôt qu'elle aura pris ses dix-sept ans. Ce serait un bon mouvement si vous laissiez là vos bisbilles pour demander un mariage entre M. Abraham et mistriss Anne Page.
SLENDER.--Son grand-père lui a laissé sept cents livres?
EVANS.--Oui, et son père est bon pour lui donner une meilleure somme.
SHALLOW.--Je connais la jeune demoiselle; elle a d'heureux dons de la nature.
EVANS.--Sept cents livres avec les espérances, ce sont d'heureux dons que cela.
SHALLOW.--Eh bien! voyons de ce pas l'honnête M. Page.--Falstaff est-il dans la maison?
EVANS.--Vous dirai-je un mensonge? Je méprise un menteur comme je méprise un homme faux, ou comme je méprise un homme qui n'est pas vrai. Le chevalier, sir John, est dans la maison, et, je vous prie, laissez-vous conduire par ceux qui vous veulent du bien. Je vais frapper à la porte pour demander M. Page. (Il frappe.) Holà! holà! que Dieu bénisse votre logis!
(Entre Page.)
PAGE.--Qui est là?
EVANS.--Une bénédiction de Dieu, et votre ami, et le juge Shallow, et voici le jeune monsieur Slender qui pourra, par hasard, vous conter une autre histoire, si la chose était de votre goût.
PAGE.--Je suis fort aise de voir Vos Seigneuries en bonne santé. Monsieur Shallow, je vous remercie de votre gibier.
SHALLOW.--Monsieur Page, je suis bien aise de vous voir. Grand bien vous fasse. J'aurais voulu que le gibier fût meilleur. Il avait été tué contre le droit.--Comment se porte la bonne mistriss Page? et je vous aime toujours de tout mon coeur, là, de tout mon coeur.
PAGE.--Monsieur, je vous remercie.
SHALLOW.--Monsieur, je vous remercie: que vous le veuillez où non, je vous remercie.
PAGE.--Je suis bien aise de vous voir, mon bon monsieur Slender.
SLENDER.--Comment se porte votre lévrier fauve, monsieur? J'entends dire qu'il a été dépassé à Cotsale.
PAGE.--On n'a pas pu décider la chose, monsieur.
SLENDER.--Vous n'en conviendrez pas, vous n'en conviendrez pas.
SHALLOW.--Non, il n'en conviendra pas.--C'est votre faute, c'est votre faute.--C'est un beau chien.
PAGE.--Non, monsieur, c'est un roquet.
SHALLOW.--Monsieur, c'est un bon chien et un beau chien; on ne peut pas dire plus, il est bon et beau. Sir John Falstaff est-il ici?
PAGE.--Oui, monsieur; il est à la maison, et je souhaiterais pouvoir interposer mes bons offices entre vous.
EVANS.--C'est parler comme un chrétien doit parler.
SHALLOW.--Il m'a offensé, monsieur Page.
PAGE.--Monsieur, il en convient en quelque sorte.
SHALLOW.--Pour être avouée, la chose n'est pas réparée; cela n'est-il pas vrai, monsieur Page? il m'a offensé; oui offensé, sur ma foi: en un mot, il m'a fait une offense.--Croyez-moi: Robert Shallow, écuyer, dit qu'il est offensé.
(Entrent sir John Falstaff, Bardolph, Nym, Pistol.)
PAGE.--Voilà sir John.
FALSTAFF.--Eh bien! monsieur Shallow, vous voulez donc porter plainte au roi contre moi?
SHALLOW.--Chevalier, vous avez battu mes gens, tué mon daim et enfoncé la porte de ma réserve.
FALSTAFF.--Mais je n'ai pas baisé la fille de votre garde.
SHALLOW.--Ce n'est pas de cela qu'il s'agit.--Vous aurez à en répondre.
FALSTAFF.--Je vais répondre sur-le-champ: j'ai fait tout cela. Voilà ma réponse.
SHALLOW.--Le conseil connaîtra de l'affaire.
FALSTAFF.--Il vaudrait mieux pour vous que personne8 n'en connût rien; on se moquera de vous.
EVANS.--Pauca verba, sir John, et de bonnes choses.
FALSTAFF.--De bonnes chausses? de bons-bas9?--Slender, je vous ai fracassé la tête: quelle affaire avez-vous avec moi?
SLENDER.--Vraiment je l'ai dans ma tête, mon affaire contre vous, et contre vos coquins de filous, Bardolph, Nym et Pistol. Ils m'ont conduit à la taverne, m'ont enivré, et puis m'ont pris tout ce que j'avais dans mes poches.
BARDOLPH.--Comment! fromage de Banbury?
SLENDER.--Bien, bien il ne s'agit pas de cela.
PISTOL.--Comment, Méphistophélès10?
SLENDER.--A la bonne heure, mais il ne s'agit pas de cela.
NYM.--Une balafre. Je dis: pauca, pauca. Une balafre, voilà la chose11.
Note 11: (retour) That is my humour. Il paraît que le mot humour était une expression à la mode dont on faisait un grand abus du temps de Shakspeare. Il le met à tout propos, et hors de propos, dans la bouche de Nym. On n'a vu que le mot chose qui pût le remplacer convenablement dans toutes les occasions.SLENDER.--Oh! où est Simple, mon valet? Le savez-vous, mon cousin?
EVANS.--Paix, je vous prie.--A présent, entendons-nous: il y a, comme je l'entends, les trois arbitres dans cette affaire, il y a M. Page, videlicet M. Page; et il y a moi, videlicet moi; finalement et dernièrement enfin, le troisième est l'hôte de la Jarretière.
PAGE.--Nous trois, pour connaître de l'affaire, et rédiger l'accommodement entre eux.
EVANS.--Parfaitement, j'écrirai un précis de l'affaire sur mes tablettes. Et nous travaillerons ensuite sur la chose avec une aussi grande prudence que nous le pourrons.
FALSTAFF.--Pistol?
PISTOL.--Il écoute de ses oreilles.
EVANS.--Par le diable et sa grand'mère, quelle phrase est-ce là? Il écoute de son oreille! C'est là de l'affectation.
FALSTAFF.--Pistol, avez-vous pris la bourse de monsieur Slender?
SLENDER.--Oui, par ces gants, il l'a prise, ou bien que je ne rentre jamais dans ma grande chambre! Et il m'a pris sept groats en pièces de six pence, et six carolus de laiton, et deux petits palets du roi Edouard, que j'avais achetés deux schellings et deux pence chaque, de Jacob le meunier. Oui, par ces gants.
FALSTAFF.--Pistol, cela est-il vrai?
EVANS.--Non, c'est faux, si c'est une bourse filoutée.
PISTOL, à Evans.--Sauvage de montagnard que tu es! (A Falstaff.)--Sir John, mon maître, je demande le combat contre cette lame de fer-blanc. Je dis que tu en as menti ici par la bouche; je dis que tu en as menti, figure de neige et d'écume, tu en as menti.
SLENDER.--Par ces gants, alors, c'est donc cet autre.
(Montrant Nym.)
NYM.--Prenez garde, monsieur, finissez vos plaisanteries. Je ne tomberai pas tout seul dans le fossé, si vous vous accrochez à moi! Voilà tout ce que j'ai à vous dire.
SLENDER.--Par ce chapeau, c'est donc celui-là, avec sa figure rouge. Quoique je ne puisse pas me souvenir de ce que j'ai fait, quand une fois, vous m'avez eu enivré, je ne suis pourtant pas tout à fait un âne, voyez-vous.
FALSTAFF, à Bardolph.--Que répondez vous, Jean et l'Ecarlate12?
BARDOLPH.--Qui, moi, monsieur? Je dis que ce galant homme s'est enivré jusqu'à perdre ses cinq sentiments de nature.
EVANS.--Il faut dire les cinq sens. Ah! par Dieu, ce que c'est que l'ignorance!
BARDOLPH.--Et qu'étant ivre, monsieur, il aura été, comme on dit, mis dedans; et qu'ainsi, fin finale, il aura passé le pas.
SLENDER.--Oui, vous parliez aussi latin ce soir-là. Mais c'est égal, après ce qui m'est arrivé, je ne veux plus m'enivrer jamais de ma vie, si ce n'est en honnête, civile, et sainte compagnie. Si je m'enivre, ce sera avec ceux qui ont la crainte de Dieu, et non pas avec des coquins d'ivrognes.
EVANS.--Comme Dieu me jugera, c'est là une intention vertueuse!
FALSTAFF.--Vous avez entendu, messieurs, qu'on a tout nié. Vous l'avez entendu.
(Mistriss Anne Page entre dans la salle, apportant du vin. Mistriss Page et mistriss Ford la suivent.)
PAGE.--Non, ma fille: remportez ce vin, nous boirons là dedans.
(Anne Page sort.)
SLENDER.--O ciel! c'est mistriss Anne Page!
PAGE.--Ha! vous voilà, mistriss Ford.
FALSTAFF.--Par ma foi, mistriss Ford, vous êtes la très-bien arrivée. Permettez, chère madame...
(Il l'embrasse.)
PAGE.--Ma femme, souhaitez la bienvenue à ces messieurs. Venez, messieurs, vous mangerez votre part d'un pâté chaud de gibier. Allons, j'espère que nous noierons toutes vos querelles dans le verre.
(Tous sortent excepté Shallow, Evans et Slender.)
SLENDER.--Je donnerais quarante schellings pour avoir ici mon livre de sonnets et de chansons. (Entre Simple.) Comment, Simple? D'où venez-vous? Il faut donc que je me serve moi-même, n'est-ce pas?--Vous n'aurez pas non plus le livre d'énigmes sur vous? L'avez-vous?
SIMPLE.--Le livre d'énigmes! Comment, ne l'avez-vous pas prêté à Alix Short cake, à la fête de la Toussaint dernière, quinze jours avant la Saint-Michel?
SHALLOW.--Venez, mon cousin; avancez, mon cousin. Nous vous attendons. J'ai à vous dire ceci, mon cousin. Il y a comme qui dirait une proposition, une sorte de proposition faite d'une manière éloignée par sir Hugh, que voilà. Me comprenez-vous?
SLENDER.--Oui, oui; vous me trouverez raisonnable: si la chose l'est, je ferai ce que demande la raison.
SHALLOW.--Oui, mais songez à me comprendre.
SLENDER.--C'est ce que je fais, monsieur.
EVANS.--Prêtez l'oreille à ses avertissements, monsieur Slender. Je vous expliquerai la chose, si vous êtes capable de cela.
SLENDER.--Non, je veux agir comme mon cousin Shallow me le dira. Je vous prie, excusez-moi: il est juge de paix du canton, quoique je ne sois qu'un simple particulier.
EVANS.--Mais ce n'est pas là la question: la question est concernant votre mariage.
SHALLOW.--Oui, c'est là le point, mon cher.
EVANS.--Vous marier13, c'est là le point, et avec mistriss Anne Page.
SLENDER.--Eh bien! s'il en est ainsi, je veux bien l'épouser, sous toutes conditions raisonnables.
EVANS.--Mais pouvez-vous aimer cette femme? Apprenez-nous cela de votre bouche ou de vos lèvres; car divers philosophes soutiennent que les lèvres sont une portion de la bouche: en conséquence, parlez clair et net. Êtes-vous porté de bonne volonté pour cette fille?
SHALLOW.--Cousin Abraham Slender, pourrez-vous l'aimer?
SLENDER.--Je l'espère, monsieur; j'agirai comme il convient à un homme qui veut agir par raison.
EVANS.--Eh! non. Par les bienheureuses âmes d'en haut, vous devez répondre de ce qui est possible. Pouvez-vous tourner vos désirs vers elle.
SHALLOW.--C'est ce qu'il faut nous dire: si elle a une bonne dot, voulez-vous l'épouser?
SLENDER.--Je ferais bien plus encore à votre recommandation, mon cousin, toute raison gardée.
SHALLOW.--Eh! non. Concevez-moi donc, comprenez-moi, cher cousin; ce que je fais, c'est pour vous faire plaisir: vous sentez-vous capable d'aimer cette jeune fille?
SLENDER.--Je l'épouserai, monsieur, à votre recommandation. Si l'amour n'est pas grand au commencement, le ciel pourra bien le faire décroître sur une plus longue connaissance, quand nous serons mariés et que nous aurons plus d'occasions de nous connaître l'un l'autre. J'espère que la familiarité engendrera le mépris. Mais, si vous me dites, épousez-la, je l'épouserai; c'est à quoi je suis très-dissolu, et très-dissolument.
EVANS.--C'est répondre très-sagement, excepté la faute qui est dans le mot dissolu; dans notre sens, c'est résolu qu'il veut dire. Son intention est bonne.
SHALLOW.--Oui, je crois que mon neveu avait bonne intention.
SLENDER.--Oui, ou je veux bien être pendu, là!
(Rentre Anne Page.)
SHALLOW.--Voici la belle mistriss Anne. Je voudrais rajeunir pour l'amour de vous, mistriss Anne.
ANNE.--Le dîner est sur la table; mon père désire l'honneur de votre compagnie.
SHALLOW.--Je suis à lui, belle mistriss Anne.
EVANS.--La volonté de Dieu soit bénie! Je ne veux pas être absent au bénédicité.
(Sortent Shallow et Evans.)
ANNE.--Vous plaît-il d'entrer, monsieur?
SLENDER.--Non, je vous remercie, en vérité, de bon coeur: je suis fort bien.
ANNE.--Le dîner vous attend, monsieur.
SLENDER.--Je ne suis point un affamé: en vérité je vous remercie. (A Simple.) Allez, mon ami; car, après tout, vous êtes mon domestique; allez servir mon cousin Shallow. (Simple sort.) Un juge de paix peut avoir quelquefois besoin du valet de son ami, voyez-vous. Je n'ai encore que trois valets et un petit garçon, jusqu'à ce que ma mère soit morte: mais qu'est-ce que ça fait? en attendant je vis encore comme un pauvre gentilhomme.
ANNE.--Je ne rentrerai point sans vous, monsieur; on ne s'assiéra point à table que vous ne soyez venu.
SLENDER.--Sur mon honneur, je ne mangerai pas. Je vous remercie tout autant que si je mangeais.
ANNE.--Je vous prie, monsieur, entrez.
SLENDER.--J'aimerais mieux me promener par ici. Je vous remercie.--J'ai eu le menton meurtri l'autre jour en tirant des armes avec un maître d'escrime. Nous avons fait trois passades pour un plat de pruneaux cuits: depuis ce temps je ne puis supporter l'odeur de la viande chaude.--Pourquoi vos chiens aboient-ils ainsi? Avez-vous des ours dans la ville?
ANNE.--Je pense qu'il y en a, monsieur, je l'ai entendu dire.
SLENDER.--J'aime fort ce divertissement, voyez-vous; mais je suis aussi prompt à me fâcher que qui que ce soit en Angleterre.--Vous avez peur quand vous voyez un ours en liberté, n'est-ce pas?
ANNE.--Oui, en vérité, monsieur.
SLENDER.--Oh! actuellement c'est pour moi boire et manger. J'ai vu Sackerson en liberté vingt fois, et je l'ai pris, par sa chaîne. Mais, je vous réponds, les femmes criaient et glapissaient que cela ne peut pas s'imaginer: mais les femmes, à la vérité, ne peuvent pas les souffrir; ce sont de grosses vilaines bêtes.
(Rentre Page.)
PAGE.--Venez, cher monsieur Slender, venez; nous vous attendons.
SLENDER.--Je ne veux rien manger: je vous rends grâces, monsieur.
PAGE.--De par tous les saints, vous ne ferez pas votre volonté: allons, venez, venez.
(Le poussant pour le faire avancer.)
SLENDER.--Non, je vous prie; montrez-moi le chemin.
PAGE.--Passez donc, monsieur.
SLENDER.--C'est vous, mistriss Anne, qui passerez la première.
ANNE.--Non pas, monsieur; je vous prie, passez.
SLENDER.--Vraiment, je ne passerai pas le premier; non, vraiment, là, je ne vous ferai pas cette impolitesse.
ANNE.--Je vous en prie, monsieur.
SLENDER.--J'aime mieux être incivil qu'importun. C'est vous-même qui vous faites impolitesse, là, vraiment.
(Ils sortent.)
SCÈNE II
Au même endroit.
Entrent sir HUGH EVANS et SIMPLE.
EVANS.--Allez droit devant vous, et enquérez-vous du chemin qui mène au logis du docteur Caius. Il y a là une dame Quickly qui est chez lui comme une manière de nourrice, ou de bonne, ou de cuisinière, ou de blanchisseuse, ou de laveuse et de repasseuse.
SIMPLE.--C'est bon, monsieur.
EVANS.--Non pas; il y a encore quelque chose de mieux. Donnez-lui cette lettre; c'est une femme qui est fort de la connaissance de mistriss Anne Page. Cette lettre est pour lui demander et la prier de solliciter la demande de votre maître auprès de mistriss Anne. Allez tout de suite, je vous prie. Je vais achever de dîner; on va apporter du fromage et des pommes.
(Ils sortent)
SCÈNE III
Une chambre dans l'hôtellerie de la Jarretière.
Entrent FALSTAFF, L'HÔTE, BARDOLPH, NYM, PISTOL et ROBIN.
FALSTAFF.--Mon hôte de la Jarretière?
L'HÔTE.--Que dit mon gros gaillard? Parle savamment et sagement.
FALSTAFF.--Franchement, mon hôte, il faut que je réforme quelques-uns de mes gens.
L'HÔTE.--Congédie, mon gros Hercule: chasse-les allons, qu'ils détalent. Tirez, tirez.
FALSTAFF.--Je vis céans, à raison de dix livres par semaine.
L'HÔTE.--Tu es un empereur, un César, un Kaiser, un casseur14, comme tu voudras. Je prendrai Bardolph à mes gages: il percera mes tonneaux, il tirera le vin. Dis-je bien, mon gros Hector?
FALSTAFF.--Faites cela, mon cher hôte.
L'HÔTE.--J'ai dit: il peut me suivre. (A Bardolph.) Je veux te voir travailler la bière, et frelater le vin. Je n'ai qu'une parole: suis-moi.
(L'hôte sort.)
FALSTAFF.--Bardolph, suis-le. C'est un excellent métier que celui de garçon de cave. Un vieux manteau fait un justaucorps neuf; un domestique usé fait un garçon de cave tout frais. Va; adieu.
BARDOLPH.--C'est la vie que j'ai toujours désirée. Je ferai fortune.
PISTOL.--O vil individu de Bohémien, tu vas donc tourner le robinet?
NYM.--Son père était ivre quand il l'a fait. La chose n'est-elle pas bien imaginée?--Il n'a point l'humeur héroïque. Voilà la chose.
FALSTAFF.--Je me réjouis d'être ainsi défait de ce briquet: ses larcins étaient trop clairs: il volait comme on chante quand on ne sait pas la musique, sans garder aucune mesure.
NYM.--La chose est de savoir profiter, pour voler, du plus petit repos.
PISTOL.--Les gens sensés disent, subtiliser. Fi donc, voler! la peste soit du mot.
FALSTAFF.--C'est bien, mes enfants; mais je suis tout à fait percé par les talons.
PISTOL.--En ce cas, gare les engelures.
FALSTAFF.--Il n'y a pas de remède. Il faut que j'accroche de côté ou d'autre, que je ruse.
PISTOL.--Les petits des corbeaux doivent avoir leur pâture.
FALSTAFF.--Qui de vous connaît Ford, de cette ville?
PISTOL.--Je connais l'individu; il est bien calé.
FALSTAFF.--Mes bons garçons, il faut que je vous apprenne où j'en suis.
PISTOL.--A deux aunes de tour et plus.
FALSTAFF.--Trêve de plaisanterie pour le moment, Pistol. Je suis gros, si vous voulez, de deux aunes de tour; mais je n'ai pas gros15 à dépenser: je m'occupe de faire ressource. En deux mots, j'ai le projet de faire l'amour à la femme de Ford. J'entrevois des dispositions de sa part: elle discourt, elle découpe à table, elle décoche des oeillades engageantes. Je puis traduire le sens de son style familier: et toute l'expression de sa conduite, rendue en bon anglais, est, je suis à sir John Falstaff.
PISTOL.--Il l'a bien étudiée; il traduit le langage de sa pudeur en bon anglais.
NYM.--L'ancre est jetée bien avant. Me passerez-vous la chose?
FALSTAFF.--Le bruit du pays, c'est qu'elle tient les cordons de la bourse de son mari: elle a une légion de séraphins.
PISTOL.--Et autant de diables à ses trousses. Allons, je dis: garçon, cours sus.
NYM.--La chose devient engageante. Cela est très-bon: faites-moi la chose des séraphins.
FALSTAFF.--Voici une lettre que je lui ai bel et bien écrite; et puis, une autre pour la femme de Page, qui vient aussi tout à l'heure de me faire les yeux doux, et de me parcourir de l'air d'une femme qui s'y entend. Les rayons de ses yeux venaient reluire, tantôt sur ma jambe, et tantôt sur mon ventre majestueux.
PISTOL.--Comme le soleil brille sur le fumier.
NYM.--La chose est bonne.
FALSTAFF.--Oh! elle a fait la revue de mes dons extérieurs avec une telle expression d'avidité, que l'ardeur de ses regards me grillait comme un miroir brûlant. Voici de même une lettre pour elle. Elle tient aussi la bourse: c'est une vraie Guyane, toute or et libéralité. Je veux être à toutes deux leur receveur; et elles seront toutes deux mes payeuses16: elles seront mes Indes orientales et occidentales, et j'entretiendrai commerce dans les deux pays. Toi, va, remets cette lettre à madame Page; et toi, celle-ci à madame Ford. Nous prospérerons, enfants, nous prospérerons.
PISTOL.--Deviendrai-je un Mercure, un Pandarus de Troie, moi qui porte une épée à mon côté? Quand cela sera, que Lucifer emporte tout!
NYM.--Je ne veux point de la bassesse de la chose, reprenez votre chose de lettre. Je veux tenir une conduite de réputation.
FALSTAFF, à Robin.--Tenez, mon garçon, portez promptement ces lettres; cinglez, comme ma chaloupe, vers ces rivage dorés. (Aux deux autres.) Vous, coquins, hors d'ici; courez, disparaissez comme des flocons de neige. Allez, travaillez hors d'ici, tournez-moi vos talons. Cherchez un gîte, et faites-moi vos paquets. Falstaff veut prendre l'humeur du siècle, faire fortune comme un Français: coquins que vous êtes! moi; moi seul avec mon page galonné.
(Sortent Falstaff et Robin.)
PISTOL.--Puissent les vautours te serrer les boyaux! Avec une bouteille et des dés pipés, j'attraperai de tous côtés le riche et le pauvre. Je veux avoir des testons en poche, tandis que toi, tu manqueras de tout, vil Turc phrygien.
NYM.--J'ai dans ma tête des opérations qui feront la chose d'une vengeance.
PISTOL.--Veux-tu te venger?
NYM.--Oui, par le firmament et son étoile!
PISTOL.--Avec la langue ou le fer?
NYM.--Moi! avec les deux choses.--Je veux découvrir à Page la chose de cet amour-là.
PISTOL.--Et moi pareillement, je prétends aussi raconter à Ford comment Falstaff, ce vil garnement, veut tâter de sa colombe, saisir son or, et souiller sa couche chérie.
NYM.--Je ne laisserai point refroidir ma chose: J'exciterai la colère de Page à employer le poison. Je lui donnerai la jaunisse; ce changement de couleur a des effets dangereux. Voilà la vraie chose.
PISTOL.--Tu es le Mars des mécontents: je te seconde; marche en avant.
(Ils sortent.)
SCÈNE IV
Une pièce de la maison du docteur Caius.
Entrent mistriss QUICKLY, SIMPLE et RUGBY.
QUICKLY.--M'entends-tu, Jean Rugby? Jean Rugby! Je te prie, monte au grenier, et regarde si tu ne vois pas revenir mon maître, M. le docteur Caius. S'il rentre et qu'il rencontre quelqu'un au logis, nous allons entendre, comme à l'ordinaire, insulter à la patience de Dieu et à l'anglais du roi.
RUGBY.--Je vais guetter.
(Rugby sort.)
QUICKLY.--Va, et je te promets que, pour la peine, nous mangerons ce soir une bonne petite collation à la dernière lueur du charbon de terre. C'est un brave garçon, serviable, complaisant autant que le puisse être un domestique dans une maison; et qui, je vous en réponds, ne fait point de rapports, n'engendre point de querelle. Son plus grand défaut est d'être adonné à la prière: de ce côté-là il est un peu entêté; mais chacun a son défaut. Laissons cela.--Pierre Simple est votre nom, dites-vous?
SIMPLE.--Oui, faute d'un meilleur.
QUICKLY.--Et monsieur Slender est le nom de votre maître?
SIMPLE.--Oui vraiment.
QUICKLY.--Ne porte-t-il pas une grande barbe, ronde comme le couteau d'un gantier?
SIMPLE.--Non vraiment: il a un tout petit visage, avec une petite barbe jaune; une barbe de la couleur de Caïn.
QUICKLY.--Un homme qui va tout doux, n'est-ce pas?
SIMPLE.--Oui vraiment; mais qui sait se démener de ses mains aussi bien que qui que ce soit que vous puissiez rencontrer d'ici où il est. Il s'est battu avec un garde-chasse.
QUICKLY.--Que dites-vous? Oh! je le connais bien: ne porte-t-il pas la tête en l'air comme cela, et ne se tient-il pas tout roide en marchant?
SIMPLE.--Oui vraiment, il est tout comme cela.
QUICKLY.--Allons, allons, que Dieu n'envoie pas de plus mauvais lot à Anne Page. Dites à M. le curé Evans que je ferai de mon mieux pour votre maître. Anne est une bonne fille, et je souhaite....
(Rentre Rugby.)
RUGBY.--Sauvez-vous: hélas! voilà mon maître, qui vient!
QUICKLY.--Nous serons tous exterminés. Courez à cette porte, bon jeune homme; entrez dans le cabinet. (Elle enferme Simple dans le cabinet.) Il ne s'arrêtera pas longtemps.--Hé! Jean Rugby! holà! Jean! où es-tu donc, Jean? Viens; viens. Va, Jean; informe-toi de notre maître: je crains qu'il ne soit malade puisqu'il ne rentre point. (Elle chante.) La, re, la, la rela, etc.
(Le docteur Caius rentre.)
CAIUS.--Qu'est-ce que vous chantez là17? Je n'aime point les bagatelles. Allez, je vous prie, chercher dans mon cabinet une boîte verte, un coffre vert, vert.
Note 17: (retour) De même que dans le rôle d'Evans, on a supprimé dans celui du docteur Caius, le jargon que lui avait attribué Shakspeare, et qui était celui d'un Français estropiant l'anglais. Du reste, cela ne se trouve guère ainsi que dans la première scène. Shakspeare se préoccupait peu de l'uniformité des détails.QUICKLY.--J'entends bien; vous allez l'avoir.--Heureusement qu'il n'est pas entré pour la chercher lui-même. S'il avait trouvé le jeune homme! Les cornes lui seraient venues à la tête.
CAIUS.--Ouf! ouf! ma foi il fait fort chaud. Je m'en vais à la cour.--La grande affaire.
QUICKLY.--Est-ce ceci, monsieur?
CAIUS.--Oui, mettez-le dans ma poche, dépêchez vitement. Où est le coquin Rugby?
QUICKLY.--Eh! Jean Rugby, Jean?
RUGBY.--Me voilà, monsieur.
CAIUS.--Vous êtes Jean Rugby; c'est pour vous dire que vous êtes un Jean, Rugby. Allons, prenez votre rapière, et venez derrière mes talons à la cour.
RUGBY.--C'est tout prêt, monsieur; là contre la porte.
CAIUS.--Sur ma foi, je tarde trop longtemps. Qu'ai-je oublié? Ah! ce sont quelques simples dans mon cabinet, je ne voudrais pas les avoir laissés pour un royaume.
QUICKLY.--Ah! merci de moi! il va trouver le jeune homme, et devenir furieux.
CAIUS.--O diable! diable! qu'est-ce qu'il y a dans mon cabinet. Trahison! larron!--Rugby, ma grande épée.
(Poussant dehors Simple.)
QUICKLY.--Mon bon maître, soyez tranquille?
CAIUS.--Et pourquoi serai-je tranquille!
QUICKLY.--Le jeune garçon est un honnête homme.
CAIUS.--Que fait-il, cet honnête homme, dans mon cabinet? Je ne veux point d'honnête homme dans mon cabinet.
QUICKLY.--Je vous conjure, ne soyez pas si flegmatique, écoutez l'affaire telle qu'elle est. Il m'est venu en commission de la part du pasteur Evans.
CAIUS.--Bon.
SIMPLE.--Oui, en conscience, pour la prier de...
QUICKLY, à Simple.--Paix, je vous en prie.
CAIUS, à Quickly.--Tenez votre langue, vous. (A Simple.) Vous, dites-moi la chose.
SIMPLE.--Pour prier cette honnête dame, votre servante, de dire quelques bonnes paroles à mistriss Anne Page en faveur de mon maître, qui la recherche en vue de mariage.
QUICKLY.--Voilà tout cependant: en vérité voilà tout; mais je n'ai pas besoin moi d'aller mettre mes doigts au feu.
CAIUS.--Sir Hugh Evans vous a envoyé? Baillez-moi une feuille de papier, Rugby. (A Simple.) Vous, attendez un moment.
(Il écrit.)
QUICKLY, bas à Simple.--C'est un grand bonheur qu'il soit si calme. Si ceci l'avait jeté dans ses grandes furies, vous auriez vu un train et une mélancolie!--Mais malgré tout cela, mon garçon, je ferai tout ce que je pourrai pour votre maître, car le fin mot de tout cela, c'est que le docteur français, mon maître.... je peux bien l'appeler mon maître, voyez-vous, car je garde sa maison, je lave tout le linge, je brasse la bière, je fais le pain, je récure, je prépare le manger et le boire, enfin je fais tout moi-même.
SIMPLE.--C'est une forte charge que d'avoir comme cela quelqu'un sur les bras.
QUICKLY.--Qu'en pensez-vous? Ah! je crois bien, vraiment, que c'est une charge! Et se lever matin, et se coucher tard!--Néanmoins je vous le dirai à l'oreille; mais ne soufflez pas un mot de ceci, mon maître est lui-même amoureux de mistriss Anne; mais, nonobstant cela, je connais le coeur d'Anne. Il n'est ni chez vous ni chez nous.
CAIUS, à Simple.--Vous, faquin, remettez ce billet à sir Hugh: palsambleu! c'est un cartel; je lui couperai la gorge dans le parc, et j'apprendrai à ce faquin de prêtre de se mêler des choses. Vous ferez bien de vous en aller: il n'est pas bon que vous restiez. Palsambleu! je lui couperai toutes ses deux oreilles18. Palsambleu! je ne lui laisserai pas un os qu'il puisse jeter à son chien.
(Simple sort.)
QUICKLY.--Hélas! il ne parle que pour son ami.
CAIUS.--Peu m'importe pour qui.--Ne m'avez-vous pas promis que j'aurais Anne Page pour moi? Palsambleu! je tuerai ce Jean de prêtre, et j'ai choisi notre hôte de la Jarretière pour mesurer nos épées. Palsambleu! je veux avoir Anne Page pour moi.
QUICKLY.--Monsieur, la jeune fille vous aime, et tout ira bien. Il faut laisser jaser le monde. Eh! vraiment...
CAIUS.--Rugby, venez à la cour avec moi. Palsambleu, si je n'ai pas Anne Page, je vous mettrai à la porte.--Marchez sur mes talons, Rugby.
(Caius sort avec Rugby.)
QUICKLY.--Ce que vous aurez, c'est la tête d'un fou. Non; je connais la pensée d'Anne sur ceci. Il n'y a pas une femme à Windsor gui connaisse mieux la pensée d'Anne que moi, et qui ait plus d'empire sur son esprit que moi. Dieu merci.
FENTON, derrière le théâtre.--Y a-t-il quelqu'un ici? Holà?
QUICKLY.--Qui peut venir ici, je me demande? Approchez de la maison, je vous prie.
(Entre Fenton.)
FENTON.--Eh bien! ma bonne femme, qu'y a-t-il? Comment te portes-tu?
QUICKLY.--Très-bien quand Votre Seigneurie a la bonté de me le demander.
FENTON.--Quelles nouvelles? Comment se porte la jolie mistriss Anne?
QUICKLY.--Oui, par ma foi, monsieur, elle est jolie, et honnête, et douce, et de vos amies; je puis bien vous le dire, Dieu merci!
FENTON.--Penses-tu que je puisse réussir? Ne perdrai-je pas mes peines?
QUICKLY.--Véritablement, monsieur, tout est dans les mains d'en-haut: mais pourtant, monsieur Fenton, je jurerais sur l'Évangile qu'elle vous aime. Votre Seigneurie n'a-t-elle pas une petite verrue au-dessus de l'oeil?
FENTON.--Oui, vraiment, j'en ai une; mais que s'ensuit-il?
QUICKLY.--Ah! c'est un bon conte, monsieur Fenton... Anne est une si drôle de fille!--Mais, je le proteste, la plus honnête fille qui jamais ait mangé pain. Nous avons jasé hier une heure entière sur cette verrue.--Je ne rirai jamais que dans la société de cette jeune fille. Mais, à vous dire vrai, elle est trop portée à la mélancolie, à la rêverie; rien que pour vous au moins, suffit, poursuivez.
FENTON.--Fort bien.--Je la verrai aujourd'hui. Tiens, voilà de l'argent pour toi. Parle pour moi; et si tu la vois avant moi, fais-lui mes compliments.
QUICKLY.--Si je le ferai? Oui, par ma foi, nous lui parlerons; et au premier moment où nous reprendrons notre confidence, j'en dirai davantage à Votre Seigneurie sur la verrue, et aussi sur les autres amoureux.
FENTON.--Bon, adieu; je suis pressé en ce moment.
QUICKLY.--Ma révérence à Votre Seigneurie. (Fenton sort.) C'est sans mentir, un honnête gentilhomme; mais Anne ne l'aime point. Je sais les sentiments d'Anne mieux que personne.--Allons, rentrons.--Qu'est-ce que j'ai oublié?
(Elle sort.)
FIN DU PREMIER ACTE.
ACTE DEUXIÈME
SCÈNE I
Devant la maison de Page.
Entre mistriss PAGE tenant une lettre.
MISTRISS PAGE.--Quoi! dans les jours brillants de ma beauté, j'aurais échappé aux lettres d'amour, et aujourd'hui je m'y trouverais exposée. Voyons. (Elle lit.) «Ne me demandez point raison de l'amour que je sens pour vous; car, quoique l'amour puisse appeler la raison pour son directeur, il ne la prend jamais pour son conseil. Vous n'êtes pas jeune, je ne le suis pas non plus. Voilà que la sympathie commence. Vous êtes gaie, je le suis aussi. Ha! ha! nouveau degré de sympathie entre nous. Vous aimez le vin d'Espagne, j'en fais autant. Pourriez-vous souhaiter plus de sympathie? Qu'il te suffise, mistriss Page, du moins si l'amour d'un soldat peut te suffire, que je t'aime. Je ne dirai point: Aie pitié de moi, ce n'est pas le style d'un soldat; mais je dis: Aime-moi.--Signé,
«Ton dévoué chevalier
Tout prêt pour toi à guerroyer
De tout son pouvoir;
Le jour, la nuit,
Ou à quelque lumière que ce soit,
«John Falstaff.»
Quel vilain juif, Hérode! O monde, monde pervers! Un homme presque tout brisé de vieillesse, vouloir se donner encore pour un jeune galant! Quel diantre d'imprudence cet ivrogne de Flamand a-t-il donc pu saisir dans ma conduite, pour oser ainsi s'attaquer à moi? Quoi! il ne s'est pas trouvé trois fois en ma compagnie. Qu'ai-je donc pu lui dire?--J'eus soin de contenir ma gaieté, Dieu me pardonne.--En vérité, je veux présenter un bill au prochain parlement, pour la répression des hommes.--Comment me vengerai-je de lui? car je prétends me venger, aussi vrai que son ventre est fait tout entier de puddings.
(Entre mistriss Ford.)
MISTRISS FORD.--Mistriss Page, vous pouvez m'en croire, j'allais chez vous.
MISTRISS PAGE.--Et, ma parole, je venais aussi chez vous.--Vous avez bien mauvais visage.
MISTRISS FORD.--Oh! c'est ce que je ne croirai jamais. Je puis montrer la preuve du contraire.
MISTRISS PAGE.--A la bonne heure; mais moi du moins je vous vois ainsi.
MISTRISS FORD.--Soit, je le veux bien. Je vous dis pourtant qu'on pourrait vous montrer la preuve du contraire. O mistriss Page, conseillez-moi.
MISTRISS PAGE.--De quoi s'agit-il, voisine?
MISTRISS FORD.--O voisine, sans une petite bagatelle de scrupule, je pourrais parvenir à un poste d'honneur.
MISTRISS PAGE.--Envoyez pendre la bagatelle, voisine, et prenez l'honneur. Qu'est-ce que c'est?--Moquez-vous des bagatelles. Que voulez-vous dire?
MISTRISS FORD.--Si je voulais aller en enfer seulement pour une toute petite éternité, ou quelque chose de pareil, je pourrais tout à l'heure avoir l'ordre de la chevalerie.
MISTRISS PAGE.--Toi! tu badines.--Sir Alice Ford! tu serais un chevalier bâtard, ma chère, tu ne tiendrais pas de place, je t'en réponds, sur le livre de la chevalerie.
MISTRISS FORD.--Nous brûlons le jour!--Lisez ceci, lisez. Voyez comment je pourrais être titrée.--Me voilà décidée à mal parler des gros hommes, tant que j'aurai des yeux capables de distinguer les hommes sur l'apparence: et cependant celui-ci ne jurait point; il louait la modestie dans les femmes; il s'élevait si sagement et de si bon goût contre ce qui n'était pas convenable, que j'aurais juré que ses sentiments s'accordaient avec ses discours; mais ils n'ont aucun rapport et ne vont pas du tout ensemble; c'est comme le centième psaume sur l'air des jupons verts. Quelle tempête, je vous en prie, a jeté sur notre terre de Windsor cette baleine, le ventre plein de tant de tonnes d'huile? Comment en tirerai-je vengeance? Je pense que le meilleur parti serait de l'amuser d'espérances, jusqu'à ce que le feu maudit de la luxure l'ait fondu dans sa graisse.--Avez-vous jamais rien entendu de semblable?
MISTRISS PAGE.--Lettre pour lettre, si ce n'est que le nom de Page diffère du nom de Ford. Pour te consoler pleinement de cet injurieux mystère, voici la soeur jumelle de ta lettre; mais la tienne peut prendre l'héritage, car je proteste que la mienne n'y prétend rien.--Je répondrais qu'il a un millier de ces lettres tout écrites, avec un blanc pour les noms. Et quant aux noms, cela va assurément à plus de mille, et nous n'avons que la seconde édition. Il les fera imprimer sans doute, car il est fort indifférent sur le choix, puisqu'il veut nous mettre toutes les deux sous presse. J'aimerais mieux être une Titane, et avoir sur le corps le mont Pélion.... Allez, je vous trouverai vingt tourterelles libertines avant de trouver un homme chaste.
MISTRISS FORD.--En effet, c'est en tout la même lettre, la même main, les mêmes mots. Que pense-t-il donc de nous?
MISTRISS PAGE.--Je n'en sais rien. Ceci me donne presque envie de chercher querelle à ma vertu. Voilà que je vais en agir avec moi comme avec une nouvelle connaissance. Sûrement, s'il n'avait reconnu en moi quelque faible que je n'y connais pas, il ne serait jamais venu à l'abordage avec cette insolence.
MISTRISS FORD.--A l'abordage, dites-vous? oh! je réponds bien qu'il ne passera pas le pont.
MISTRISS PAGE.--Et moi de même. S'il arrive jusqu'aux écoutilles, je renonce à tenir la mer. Vengeons-nous de lui, assignons-lui chacune un rendez-vous; feignons d'encourager sa poursuite; promenons-le finement d'amorces en amorces, jusqu'à ce que ses chevaux restent en gage chez notre hôte de la Jarretière.
MISTRISS FORD.--Oh! je suis de moitié avec vous dans toutes les méchancetés qui ne compromettront pas la délicatesse de notre honneur. Oh! si mon mari voyait cette lettre, elle fournirait un aliment éternel à sa jalousie.
MISTRISS PAGE.--Regardez, le voilà qui vient, et mon bon mari avec lui. Celui-ci est aussi loin de la jalousie, que je suis loin de lui en donner sujet: et, je l'espère, la distance est immense.
MISTRISS FORD.--Vous êtes la plus heureuse des deux.
MISTRISS PAGE.--Allons comploter ensemble contre notre gras chevalier.--Retirons-nous de côté.
(Elles se retirent de côté.)
(Entrent Ford, Pistol, Page, Nym.)
FORD.--Non, j'espère qu'il n'en est rien.
PISTOL.--L'espoir, dans certaines affaires, n'est autre chose qu'un chien écourté19. Sir John convoite ta femme.
FORD.--Eh! mon cher monsieur, ma femme n'est plus jeune.
PISTOL.--Il attaque de côté et d'autre, riche et pauvre, et la jeune et la vieille, l'une en même temps que l'autre, il veut manger à ton écuelle. Ford, sois sur tes gardes.
FORD.--Il aimerait ma femme?
PISTOL.--Du foie le plus chaud.--Préviens-le, ou tu vas te trouver fait comme sir Actéon aux pieds de corne. Oh! l'odieux nom!
FORD.--Quel nom, monsieur?
PISTOL.--Le nom de corne. Adieu, prends garde, tiens l'oeil ouvert; car les voleurs cheminent de nuit: prends tes précautions avant que l'été arrive; car alors les coucous commenceront à chanter.--Venez, sir caporal Nym.--Croyez-le, Page, il vous parle raison.
(Pistol sort.)
FORD.--J'aurai de la patience. J'approfondirai ceci.
NYM.--Et c'est la vérité. Je n'ai pas la chose de mentir. Il m'a offensé dans des choses. Il voulait que je portasse sa chose de lettre, mais j'ai une épée, et elle me coupera des vivres dans ma nécessité.--Il aime votre femme: c'est le court et le long de la chose. Je me nomme le caporal Nym; je parle et je soutiens ce que j'avance: ceci est la vérité; je me nomme Nym, et Falstaff aime votre femme. Adieu; je n'ai pas la chose de vivre de pain et de fromage, voilà la chose. Adieu.
(Nym sort.)
PAGE.--Voilà la chose, dit-il. Ce gaillard-là a un grand talent pour mettre les choses à rebours du bon sens.
FORD.--Je prétends trouver Falstaff.
PAGE.--Je n'ai jamais vu un drôle si compassé et si affecté.
FORD.--Si je découvre quelque chose, nous verrons.
PAGE.--Je ne croirais pas un tel hâbleur20, quand le curé de la ville me serait caution de sa sincérité.
FORD.--Celui-ci m'a tout l'air d'un honnête homme et d'un homme de sens. Nous verrons.
PAGE, à sa femme.--Ah! te voilà, Meg21?
MISTRISS PAGE.--Où allez-vous, George?--Écoutez.
MISTRISS FORD, à son mari.--Qu'est-ce, mon cher Frank? Pourquoi êtes-vous mélancolique?
FORD.--Moi mélancolique! Je ne suis point mélancolique.--Retournez au logis; allez.
MISTRISS FORD.--Oh! sûrement, vous avez en ce moment quelques lubies en tête.--Venez-vous, mistriss Page?
MISTRISS PAGE.--Je vous suis.--Vous reviendrez dîner, George? (Bas à mistriss Ford.) Tenez, voyez-vous cette femme qui vient là? ce sera notre messagère auprès de ce misérable chevalier.
(Entre mistriss Quickly.)
MISTRISS FORD, à mistriss Page.--Sur ma parole, j'y songeais; elle est toute propre à cela.
MISTRISS PAGE.--Vous allez voir ma fille Anne?
QUICKLY.--Oui ma foi; et comment se porte, je vous prie, la chère mistriss Anne?
MISTRISS PAGE.--Entrez avec nous, vous la verrez. Nous avons à causer avec vous.
(Mistriss Page, mistriss Ford et Quickly sortent.)
PAGE.--Qu'est-ce qu'il y a, monsieur Ford?
FORD.--Vous avez entendu ce que m'a dit cet homme? Ne l'avez-vous pas entendu?
PAGE.--Et vous, vous avez entendu ce que m'a dit son compagnon?
FORD.--Les croyez-vous sincères?
PAGE.--Qu'ils aillent se faire pendre, ces gredins-là. Je ne pense pas que le chevalier ait aucune idée de ce genre: c'est une paire de valets qu'il a chassés et qui viennent l'accuser d'un dessein sur nos femmes. Ce n'est pas autre chose que des coureurs de grands chemins, maintenant qu'ils manquent de service.
FORD.--Ils étaient à ses gages?
PAGE.--Eh! sans doute.
FORD.--Je n'en aime pas mieux l'avis qu'ils nous donnent. Sir John loge à la Jarretière?
PAGE.--Oui, il y loge. S'il est vrai qu'il en veuille à ma femme, je la lâche sur lui de tout mon coeur, et s'il en obtient autre chose que de mauvais compliments, je le prends sur mon front.
FORD.--Je ne doute point de la vertu de ma femme; cependant, je ne les laisserais pas volontiers tous les deux ensemble. On peut être trop confiant: je ne veux rien prendre sur mon front; je ne me tranquillise pas si aisément.
PAGE.--Tenez, voilà notre hôte de la Jarretière qui vient en parlant bien haut: il faut qu'il ait du vin dans la tête, ou de l'argent dans la bourse, pour porter une face si joyeuse.--Bonjours notre hôte.
(Entrent l'hôte et Shallow.)
L'HÔTE.--Eh! qu'est-ce que c'est donc, mon gros? Un gentilhomme comme toi? un justicier?
SHALLOW.--Je vous suis, mon hôte, je vous suis.--Vingt fois bonsoir, cher monsieur Page. Monsieur Page, voulez-vous venir avec nous? Nous allons bien nous divertir.
L'HÔTE.--Dis-lui ce que c'est, cavalier de justice, dis-le-lui, mon gros.
SHALLOW.--Un combat à mort, monsieur, un duel entre sir Hugh, le prêtre gallois, et Caius, le médecin français.
FORD.--Notre cher hôte de la Jarretière, j'ai un mot à vous dire.
L'HÔTE.--Que me veux-tu, mon gros?
(Ils se mettent à l'écart.)
SHALLOW, à Page.--Voulez-vous venir avec nous voir cela? Mon joyeux hôte a été chargé de mesurer leurs épées; et il a, je crois, assigné pour rendez-vous, des lieux tout opposés: car on dit, je vous en réponds, que le prêtre ne plaisante pas. Écoutez-moi, je vais vous conter toute l'attrape.
L'HÔTE, à Ford.--N'as-tu pas quelque prise de corps contre mon chevalier, mon hôte du bel air.
FORD.--Non, en vérité: mais je vous donnerai un pot de vin d'Espagne brûlé, si vous m'introduisez auprès de lui, en lui disant que je m'appelle Brook. Il s'agit d'une plaisanterie.
L'HÔTE.--La main, mon gros. Tu auras tes entrées et tes sorties: dis-je bien? et ton nom sera Brook.--C'est un joyeux chevalier.--Venez-vous? Allons, chers coeurs.
SHALLOW.--Je viens avec vous, mon hôte.
PAGE.--J'ai ouï dire que le Français maniait bien l'épée.
SHALLOW.--Bon, bon, nous savons quelque chose de mieux que cela, monsieur. Aujourd'hui vous faites grand bruit de vos intervalles, de vos passes, de vos estocades, et je ne sais quoi. Le coeur, monsieur Page, le coeur, tout est là. J'ai vu le temps où, avec ma longue épée; vous quatre, grands gaillards que vous êtes, je vous aurais tous fait filer comme des rats.
L'HÔTE.--Venez, enfants, venez. Partons-nous?
PAGE.--Nous sommes à vous.--J'aimerais mieux les entendre se chamailler que les voir se battre.
(Page, Shallow et l'hôte sortent.)
FORD.--Si Page veut se confier comme un imbécile, et se repose si tranquillement sur sa fragile moitié, je ne sais pas, moi, me mettre si facilement l'esprit en repos. Elle l'a vu hier chez Page; et ce qu'ils y ont fait, je n'en sais rien. Allons, je veux pénétrer au fond de tout ceci; mon déguisement me servira à sonder Falstaff. Si je la trouve fidèle, je n'aurai pas perdu ma peine; si elle ne l'est pas, ce sera encore de la peine bien employée.
(Il sort.)
SCÈNE II
L'hôtellerie de la Jarretière.
Entrent FALSTAFF et PISTOL.
FALSTAFF.--Je ne te prêterai pas un penny.
PISTOL.--Eh bien! je ferai donc de la terre une huître que j'ouvrirai avec mon épée.--Je vous rembourserais par mon service.
FALSTAFF.--Pas un penny. J'ai trouvé bon, monsieur, de vous prêter mon crédit pour emprunter sur gages. J'ai tourmenté mes bons amis, afin d'obtenir trois répits pour vous et votre camarade Nym, sans quoi vous eussiez tous deux regardé à travers une grille, comme une paire de singes. Je suis damné en enfer pour avoir juré à des gentilshommes de mes amis que vous étiez de bons soldats et des gens de coeur; et lorsque mistriss Bridget perdit le manche de son éventail22, je protestai sur mon honneur que tu ne l'avais pas.
PISTOL.--N'as-tu pas partagé avec moi? N'as-tu pas eu quinze pence?
FALSTAFF.--Es-tu fou, coquin, es-tu fou de penser que je veuille exposer mon âme gratis? En un mot, cesse de te pendre après moi; je ne suis pas fait pour être ta potence.--Va, il ne te faut rien autre chose qu'un couteau court, et un peu de foule: va vivre dans ton domaine de Pickt-hatch23: va.--Vous ne voulez pas porter une lettre pour moi, faquin?--Vous, vous tenez à votre honneur! vous, abîme de bassesse! Quoi! c'est tout ce que je puis faire que de conserver l'exacte délicatesse de mon honneur, moi, moi, moi-même: quelquefois laissant de côté la crainte du ciel, et mettant mon honneur à couvert sous la nécessité, je suis tenté de ruser, de friponner, de filouter; et vous, coquin, vous prétendrez retrancher vos haillons, votre oeil de chat de montagne, vos propos de taverne et vos impudents jurements, sous l'abri de votre honneur! Vous ne voulez pas faire ce que je vous dis, vous?
PISTOL.--Je me radoucis. Que peut-on demander de plus à un homme?
(Entre Robin.)
ROBIN.--Monsieur, il y a là une femme qui voudrait vous parler.
FALSTAFF.--Qu'elle approche.
(Entre Quickly.)
QUICKLY.--Je donne le bonjour à Votre Seigneurie.
FALSTAFF.--Bonjour, ma bonne femme.
QUICKLY.--Plaise à Votre Seigneurie, ce nom ne m'appartient pas.
FALSTAFF.--Ma bonne fille, donc.
QUICKLY.--J'en puis jurer, comme l'était ma mère quand je suis venue au monde.
FALSTAFF.--J'en crois ton serment. Que me veux-tu?
QUICKLY.--Pourrai-je accorder à Votre Seigneurie un mot ou deux?
FALSTAFF.--Deux mille, ma belle, et je t'accorderai audience.
QUICKLY.--Il y a, monsieur, une mistriss Ford.--Je vous prie, venez un peu plus de ce côté.--Moi, je demeure avec le docteur Caius.
FALSTAFF.--Bon, poursuis; mistriss Ford, dites-vous?
QUICKLY.--Votre Seigneurie dit la vérité. Je prie Votre Seigneurie, un peu plus de ce côté.
FALSTAFF.--Je te réponds que personne n'entend.--Ce sont là mes gens, ce sont là mes gens.
QUICKLY.--Sont-ce vos gens? Que Dieu les bénisse et en fasse ses serviteurs!
FALSTAFF.--Bon: mistriss Ford!--Quelles nouvelles de sa part?
QUICKLY.--Vraiment, monsieur, c'est une bonne créature! Jésus! Jésus! Votre Seigneurie est un peu folâtre: c'est bien; je prie Dieu qu'il vous pardonne, et à nous tous!
FALSTAFF.--Mistriss Ford...--Eh bien! Mistriss Ford...
QUICKLY.--Tenez, voici le court et le long de l'affaire. Vous l'avez mise en train de telle sorte, que c'est une chose surprenante. Le plus huppé de tous les courtisans qu'il y a quand la cour est à Windsor n'aurait jamais pu la mettre en train comme cela; et cependant nous avons eu céans des chevaliers et des lords, et des gentilshommes avec leurs carrosses. Oui, je vous le garantis, carrosses après carrosses, lettres sur lettres, présents sur présents, et qui sentaient si bon! c'était tout musc, et je vous en réponds, tout frétillants d'or et de soie, et avec des termes si élégants et des vins sucrés des meilleurs et des plus fins: il y avait, je vous assure, de quoi gagner le coeur de quelque femme que ce fût. Eh bien, je vous réponds qu'ils n'obtinrent pas d'elle un seul coup d'oeil. Moi-même on m'a donné, ce matin, vingt angelots; mais je défie tous les angelots, et de toutes les couleurs, comme on dit, de réussir autrement que par les voies honnêtes.--Et je vous assure que le plus fier d'eux tous n'en a pas pu obtenir seulement de goûter au même verre. Pourtant il y avait des comtes; bien plus, des gardes du roi24. Eh bien, je vous réponds que pour elle c'est tout un.
FALSTAFF.--Mais que me dit-elle, à moi? Abrégez. Au fait, mon cher Mercure femelle.
QUICKLY.--Vraiment elle a reçu votre lettre, dont elle vous remercie mille fois, et elle vous donne notification que son mari sera absent entre dix et onze.
FALSTAFF.--Dix et onze?
QUICKLY.--Oui, d'honneur: alors vous pourrez venir, et voir, dit-elle, le portrait que vous savez.--Monsieur Ford, son mari, sera dehors. Hélas! cette douce femme passe bien mal son temps avec lui: cet homme est une vraie jalousie. La pauvre créature, elle mène une triste vie avec lui!
FALSTAFF.--Dix et onze! Femme, dites-lui bien des choses de ma part; Je n'y manquerai pas.
QUICKLY.--Bon, c'est bien dit. Mais j'ai encore une autre commission pour Votre Seigneurie. Madame Page vous fait bien ses compliments de tout son coeur; et je vous le dirai à l'oreille, c'est une femme modeste et très-vertueuse; une dame, voyez-vous, qui ne vous manquera pas plus à sa prière du soir et du matin qu'aucune autre de Windsor, sans dire de mal des autres. Elle m'a chargé de dire à Votre Seigneurie que son mari s'absente rarement du logis; mais elle espère qu'elle pourra trouver un moment. Jamais je n'ai vu femme raffoler d'un homme à ce point. Sûrement vous avez un charme. Avouez, là, de bonne foi.
FALSTAFF.--Non, je t'assure. Sauf l'attraction de mes avantages personnels, je n'ai point d'autres charmes.
QUICKLY.--Votre coeur en soit béni!
FALSTAFF.--Mais dis-moi une chose, je t'en prie. La femme de Ford et la femme de Page se sont-elles fait confidence de leur amour pour moi?
QUICKLY.--Ce serait vraiment une belle plaisanterie! Elles n'ont pas si peu de bon sens, j'espère: le beau tour, ma foi! Mais madame Page souhaiterait que vous lui cédassiez à quelque prix que ce soit votre petit page. Son mari est singulièrement entiché du petit page; et, pour dire vrai, monsieur Page est un honnête mari: il n'y a pas une femme à Windsor qui mène une vie plus heureuse que madame Page! Elle fait ce qu'elle veut, dit ce qu'elle veut, reçoit tout, paye tout, se couche quand il lui plaît; tout se fait comme elle veut: mais elle le mérite vraiment; car, s'il y a une aimable femme à Windsor, c'est bien elle. Il faut que vous lui envoyiez votre page; je n'y sais point de remède.
FALSTAFF.--Eh bien, je le lui enverrai.
QUICKLY.--Faites donc. Vous voyez bien qu'il pourra aller et venir entre vous deux; et, à tout événement, donnez-vous un mot d'ordre, afin de pouvoir connaître les sentiments l'un de l'autre, sans que le jeune garçon ait besoin d'y rien comprendre; car il n'est pas bon que des enfants aient le mal devant les yeux. Les vieilles gens, comme on dit, ont de la discrétion; ils connaissent le monde.
FALSTAFF.--Adieu; fais mes compliments à toutes deux. Voici ma bourse, et je reste encore ton débiteur.--Petit, va avec cette femme.--Ces nouvelles me tournent la tête.
(Sortent Quickly et Robin.)
PISTOL.--Cette coquine-là est une messagère de Cupidon: forçons de voiles, donnons-lui la chasse; préparez-vous au combat; feu! J'en fais ma prise, ou que l'Océan les engloutisse tous.
(Pistol sort.)
FALSTAFF.--Tu fais donc de ces tours, vieux Falstaff? Suis ton chemin.--Je tirerai parti de ton vieux corps, plus que je n'ai encore fait. Ainsi elles courent après toi; et après avoir dépensé tant d'argent, tu vas en gagner. Je te remercie, bon vieux corps. Laissons dire à l'envie qu'il est construit grossièrement; s'il l'est agréablement, qu'importe?
(Entre Bardolph.)
BARDOLPH.--Sir John, il y a là en bas un monsieur Brook qui désire vous parler et faire connaissance avec vous, et il a envoyé à Votre Seigneurie du vin d'Espagne pour le coup du matin.
FALSTAFF.--Brook est son nom?
BARDOLPH.--Oui, chevalier.
FALSTAFF.--Qu'il monte. De pareils brocs sont bien venus chez moi, lorsqu'il en coule une pareille liqueur. --Ah! ah! mistriss Ford et mistriss Page, je vous tiens toutes deux. Allons. Via!
(Bardolph sort.)
(Rentrent Bardolph avec Ford déguisé.)
FORD.--Dieu vous garde, monsieur.
FALSTAFF.--Et vous aussi, monsieur. Souhaitez-vous me parler?
FORD.--Excusez, si j'ose m'introduire ainsi chez vous sans cérémonie.
FALSTAFF.--Vous êtes le bienvenu. Que désirez-vous? Laisse-nous, garçon.
(Bardolph sort.)
FORD.--Monsieur, vous voyez un homme qui a dépensé beaucoup d'argent. Je m'appelle Brook.
FALSTAFF.--Cher monsieur Brook, je désire faire avec vous plus ample connaissance.
FORD.--Mon bon sir John, je recherche la vôtre: non que mon dessein soit de vous être à charge; car vous saurez que je me crois plus que vous en situation de prêter de l'argent: c'est ce qui m'a en quelque sorte encouragé à m'introduire d'une manière si peu convenable; car on dit que, quand l'argent va devant, toutes les portes s'ouvrent.
FALSTAFF.--L'argent est un bon soldat, il pousse en avant.
FORD.--Vraiment oui, j'ai ici un sac d'argent qui me gêne. Si vous voulez m'aider à le porter, sir John, prenez le tout ou la moitié pour me soulager du fardeau.
FALSTAFF.--Je ne sais pas, monsieur, à quel titre je puis mériter d'être votre porteur.
FORD.--Je vous le dirai, monsieur, si vous avez la bonté de m'écouter.
FALSTAFF.--Parlez, cher monsieur Brook; je serai enchanté de vous rendre service.
FORD.--J'entends dire que vous êtes un homme lettré, monsieur.--Je serai court, et vous m'êtes connu depuis longtemps, quoique malgré mon désir je n'aie jamais trouvé l'occasion de me faire connaître de vous. Ce que je vais vous découvrir m'oblige d'exposer au jour mes propres imperfections: mais, mon bon sir John, en jetant un oeil sur mes faiblesses quand vous m'entendrez les découvrir, tournez l'autre sur le registre des vôtres; alors j'échapperai peut-être plus facilement au reproche, car personne ne sait mieux que vous combien il est naturel de pécher comme je le fais.
FALSTAFF.--Très bien. Poursuivez.
FORD.--Il y a dans cette ville une dame dont le mari se nomme Ford.
FALSTAFF.--Bien, monsieur.
FORD.--Je l'aime depuis longtemps, et j'ai, je vous le jure, beaucoup dépensé pour elle. Je la suivais avec toute l'assiduité de l'amour, saisissant tous les moyens de la rencontrer, ménageant avec soin la plus petite occasion seulement de l'apercevoir. Non content des présents que j'achetais sans cesse pour elle, j'ai donné beaucoup autour d'elle pour savoir quels seraient les dons qui lui plairaient. Bref, je l'ai poursuivie comme l'amour me poursuivait, c'est-à-dire d'une aile vigilante. Mais quelque récompense que j'aie pu mériter, soit par mes intentions, soit par mes efforts, je n'en ai reçu assurément aucune, à moins que l'expérience ne soit un trésor; celui-là je l'ai acquis à grands frais, ce qui m'a instruit à dire que:
L'amour, comme notre ombre, fuit
L'amour réel qui le poursuit;
Poursuivant toujours qui le fuit,
Et fuyant qui le poursuit.
FALSTAFF.--N'avez-vous jamais tiré d'elle de promesse de vous satisfaire?
FORD.--Jamais.
FALSTAFF.--L'avez-vous sollicitée à cet effet?
FORD.--Jamais.
FALSTAFF.--De quelle nature était donc votre amour?
FORD.--Il ressemblait à une belle maison bâtie sur le terrain d'un autre. Ainsi, pour m'être trompé de place, j'ai perdu mon édifice.
FALSTAFF.--Mais à quel propos me faites-vous cette confidence?
FORD.--Quand je vous l'aurai appris, vous saurez tout, sir John. On dit que, bien qu'elle paraisse si sévère envers moi, en quelques autres occasions elle pousse si loin la gaieté, qu'on en tire des conséquences fâcheuses pour elle. Voici donc, sir John, le fond de mon projet. Vous êtes un homme de qualité, parlant admirablement bien, admis dans les grandes sociétés, recommandable par votre place et par votre personne, généralement cité pour vos exploits guerriers, vos manières de cour et vos profondes connaissances.
FALSTAFF.--Ah! monsieur....
FORD.--Vous pouvez m'en croire, et d'ailleurs vous le savez bien. Voilà de l'argent; dépensez, dépensez-le; dépensez plus, dépensez tout ce que je possède; et prêtez-moi seulement, en échange, autant de votre temps qu'il en faut pour faire jouer les batteries de l'amour contre la vertu de la femme de ce Ford: employez toutes vos ruses de galanterie; forcez-la de se rendre à vous. Si quelqu'un peut la vaincre, c'est vous plus que tout autre.
FALSTAFF.--Conviendrait-il à l'ardeur de votre passion que je gagnasse ce que vous voudriez posséder? Il me semble que vous choisissez des remèdes bien étranges.
FORD.--Oh! concevez mon but. Elle s'appuie avec tant d'assurance sur la solidité de sa vertu, que la folie de mon coeur n'ose se découvrir à elle. Elle me paraît trop brillante pour que je puisse lever les yeux sur elle. Mais si j'arrivais devant elle avec quelques preuves de fait en main, mes désirs auraient un exemple alors, et un titre pour se faire valoir: je pourrais alors la forcer dans ses retranchements d'honneur, de réputation, de foi conjugale, et mille autres défenses, qui me présentent maintenant une résistance beaucoup trop imposante. Que dites-vous de ceci, sir John?
FALSTAFF.--Monsieur Brook, je commence d'abord par user sans façon de votre argent; ensuite mettez votre main dans la mienne: enfin, comme je suis gentilhomme, vous aurez, si cela vous plaît, la femme de Ford.
FORD.--Oh, mon cher monsieur!
FALSTAFF.--Monsieur Brook, vous l'aurez, vous dis-je.
FORD.--Ne vous faites pas faute d'argent, sir John, vous n'en manquerez pas.
FALSTAFF.--Ne vous faites pas faute de mistriss Ford, monsieur Brook, vous ne la manquerez pas. Je puis vous le confier: j'ai un rendez-vous avec elle, qu'elle-même a provoqué. Son assistante ou son entremetteuse sortait justement quand vous êtes entré; je vous dis que je serai chez elle entre dix et onze. C'est à cette heure-là que son maudit jaloux, son mari, doit être absent. Revenez me trouver ce soir, vous verrez comme j'avance les affaires.
FORD.--Je suis bien heureux d'avoir fait votre connaissance! Avez-vous jamais vu Ford, monsieur?
FALSTAFF.--Qu'il aille se faire pendre, ce pauvre faquin de cocu! Je ne le connais pas: pourtant je lui fais tort en l'appelant pauvre. On dit que ce jaloux de bec cornu a des monceaux d'or; c'est ce qui fait pour moi la beauté de sa femme. Je veux l'avoir comme une clef du coffre de ce coquin de cornard. Ce sera ma ferme.
FORD.--Je voudrais, monsieur, que le mari vous fût connu, pour que vous puissiez au besoin éviter sa rencontre.
FALSTAFF.--Qu'il aille se faire pendre, ce manant de mangeur de croûtes25. Je veux lui faire une peur à ne savoir où donner de la tête. Je vous le tiendrai en respect avec ma canne suspendue comme un météore sur les cornes du cocu. Tu verras, maître Brook, comme je gouvernerai le paysan; et pour toi, tu auras soin de sa femme.--Reviens me trouver de bonne heure ce soir. Ford est un gredin, et j'y ajouterai quelque chose de plus; je te le donne, maître Brook, pour un gredin et un cocu. Reviens me trouver ce soir.
(Falstaff sort.)
FORD.--Damné pendard de débauché! le coeur me crève de colère. Qu'on vienne me dire encore que cette jalousie est absurde!--Ma femme lui a envoyé un message; l'heure est fixée; l'accord est fait. Qui l'aurait pu penser? Voyez si ce n'est pas l'enfer que d'avoir une femme perfide! Mon lit sera déshonoré, mes coffres mis au pillage, mon honneur en pièces; et ce n'est pas le tout que de subir ces infâmes outrages, il me faut accepter d'abominables noms, et cela de la part de celui qui me fait l'affront! Quels titres! quels noms! Appelez-moi Amaimon; cela peut se soutenir; Lucifer, c'est bien; Barbason, à la bonne heure; et pourtant ce sont les qualifications du diable, des noms de démons: mais cocu! cocu complaisant! Le diable même n'a pas un nom semblable.--Page est un âne, un âne fieffé; il veut se fier à sa femme, il ne veut pas être jaloux! J'aimerais mieux confier mon beurre à un Flamand, mon fromage au prêtre gallois Hugh, mon flacon d'eau-de-vie à un Irlandais, ma haquenée à un filou pour s'aller promener, que ma femme à sa propre garde. Tantôt elle complote, tantôt elle projette, tantôt elle manigance; et ce qu'elles ont mis dans leur tête, il faut qu'elles l'exécutent; elles crèveront plutôt que de ne pas l'exécuter. Le ciel soit loué de m'avoir fait jaloux!--C'est à onze heures.--Je le préviendrai; je surprendrai ma femme; je me vengerai de Falstaff, et me rirai de Page.--Allons, allons, plutôt trois heures trop tôt qu'une minute trop tard.--Cocu! cocu! oh! fi, fi, fi!
(Il sort.)
SCÈNE III
Dans le parc de Windsor
Entrent CAIUS et RUGBY.
CAIUS.--Jack Rugby!
RUGBY.--Monsieur?
CAIUS.--Quelle heure est-il, Jack?
RUGBY.--Il est plus que l'heure, monsieur, à laquelle sir Hugh avait promis de venir.
CAIUS.--Palsambleu! il a sauvé son âme en ne venant pas. Il a bien prié dans sa Bible puisqu'il ne vient pas. Palsambleu! Jack Rugby, il est mort s'il vient.
RUGBY.--Il est prudent, monsieur; il savait que Votre Seigneurie le tuerait, s'il venait.
CAIUS.--Palsambleu! un hareng n'est pas si bien mort qu'il le sera, quand je l'aurai tué. Rugby, prenez votre rapière: je veux vous dire comment je le tuerai.
RUGBY.--Hélas! je ne sais pas tirer des armes, monsieur.
CAIUS.--Faquin! prenez votre rapière.
RUGBY.--Restez coi; voici du monde.
(Entrent l'hôte, Shallow, Slender et Page.)
L'HÔTE.--Dieu te soit en aide, gros docteur!
SHALLOW.--Dieu vous garde, monsieur le docteur Caius!
PAGE.--Vous voilà, mon bon monsieur le docteur!
SLENDER.--Je vous donne le bonjour, monsieur.
CAIUS.--Pour quelle raison êtes-vous venus ici un, deux, trois, quatre?
L'HÔTE.--Pour te voir te battre, te voir parer, riposter, te voir ici, te voir là, te voir pousser tes bottes d'estoc, de taille, puis ta seconde, ta flanconnade. Est-il mort, mon Éthiopien? est-il mort, mon Francisco? Que dit mon Esculape, mon Galien, mon coeur de sureau? Est-il mort, gros flairant? Est-il mort?
CAIUS.--Palsambleu! c'est un poltron que ce prêtre, s'il en est un dans le monde; il n'ose pas montrer son nez.
L'HÔTE.--Tu es un roi castillan, mon urinal, un Hector de Grèce, mon garçon!
CAIUS.--Je vous prie, soyez tous témoins que je l'ai attendu seul, cinq ou six, deux, trois heures, et qu'il ne vient pas.
SHALLOW.--C'est qu'il se montre le plus sage, messire docteur. Il est le médecin des âmes, et vous le médecin des corps: si vous alliez combattre tous deux, vous agiriez contre l'esprit de vos professions. N'est-il pas vrai, monsieur Page?
PAGE.--Monsieur Shallow, vous avez été vous-même un fameux bretteur, quoique vous soyez maintenant un homme de paix.
SHALLOW.--Mille-z-yeux, monsieur Page, tout vieux que je suis aujourd'hui, et officier de paix, je ne puis voir une épée nue que les doigts ne me démangent. Nous avons beau devenir juges et docteurs, et ecclésiastiques, monsieur Page, il nous reste toujours quelque arrière-goût de notre jeunesse. Nous sommes les enfants des femmes, monsieur Page.
PAGE.--C'est une vérité, monsieur Shallow.
SHALLOW.--Cela se retrouve toujours, monsieur Page. Monsieur le docteur Caius, je viens pour vous ramener chez vous: je suis juge de paix. Vous vous êtes montré un sage médecin; et monsieur Evans s'est montré un sage et paisible ecclésiastique. Il faut que je vous ramène, et que vous m'accompagniez, monsieur le docteur.
L'HÔTE, s'avançant gravement.--Sous le bon plaisir de la justice.... Un mot d'avis, monsieur de Papier-mâché26.
CAIUS.--Papier mâché! Que veut dire ce mot?
L'HÔTE.--Papier mâché, dans notre langue, veut dire bravoure, mon gros.
CAIUS.--Palsambleu! j'ai plus de papier mâché dans ma personne que l'Anglais. Ce diable de mâtin de prêtre, je lui couperai ses oreilles!
L'HÔTE.--Il te chantera pouille solidement, mon gros.
CAIUS.--Chante pouille! Qu'est-ce que cela veut dire?
L'HÔTE.--Cela veut dire qu'il te demandera pardon.
CAIUS.--Palsambleu! voyez-vous; il me chantera pouille. Je veux, moi, qu'il en soit ainsi.
L'HÔTE.--Je l'y obligerai, ou qu'il s'aille promener.
CAIUS.--Je vous remercie bien de cela.
L'HÔTE.--Et de plus, mon gros.... mais, un moment. (A part aux autres.) Vous, monsieur mon convive, et monsieur Page, et vous aussi, cavalier Slender, allez tous à Frogmore, en passant par la ville.
PAGE.--Sir Hugh y est, n'est-ce pas?
L'HÔTE.--Il est là. Voyez de quelle humeur il sera; et moi je viens à travers champs, et vous amène ce docteur. Est-ce bien comme cela?
SHALLOW.--Nous y allons. (Tous à Caius.) Adieu, mon bon monsieur le docteur.
(Page, Shallow et Slender sortent.)
CAIUS.--Palsambleu! je veux tuer le prêtre; car il veut parler à Anne Page, le faquin.
L'HÔTE.--Qu'il meure: mais d'abord rengaine ton impatience. Jette de l'eau froide sur ta colère, et viens à Frogmore par le chemin des champs. Je te mènerai à une ferme où mistriss Anne est invitée à un repas, et là, tu lui feras la cour. Dis-je-bien, mon galant?
CAIUS.--Palsambleu! je vous remercie de cela. Palsambleu! je vous aime. Je vous procurerai les bonnes pratiques, tous les comtes, les chevaliers, les lords, les gentilshommes mes patients.
L'HÔTE.--Comme de ma part je serai ton antagoniste auprès de miss Anne. Dis-je bien?
CAIUS.--Palsambleu! c'est bien dit: fort bien.
L'HÔTE.--Venez donc.
CAIUS.--Marchez sur mes talons, Jack Rugby.
(Ils sortent.)
FIN DU DEUXIÈME ACTE.
ACTE TROISIÈME
SCÈNE I
Dans la campagne, près de Frogmore.
Entrent SIR HUGH EVANS et SIMPLE.
EVANS.--Bon serviteur de monsieur Slender, de votre nom, ami Simple, dites-moi, je vous prie, dans quels endroits avez-vous cherché le sieur Caius, qui se qualifie docteur en médecine?
SIMPLE.--Vraiment, monsieur, du côté de Londres, du côté du parc, de tous côtés; du côté du vieux Windsor, partout, en vérité, excepté du côté de la ville.
EVANS.--Je vous prie ardemment de regarder aussi de ce côté-là.
SIMPLE.--J'y vais, monsieur.
(Simple sort.)
EVANS.--Bénédiction sur mon âme! Je suis plein de colère et tout mon esprit est tremblant. Je serai bien content s'il m'a attrapé. Comme j'ai de la mélancolie! Je lui briserais la tête avec sa fiole d'urines, si je trouvais une bonne occasion pour la chose.--Bénédiction sur mon âme.
(Il chante.)
Au bord des profondes rivières dont la chute
Est accompagnée des mélodieux madrigaux
Que chantent les oiseaux,
Nous ferons des lits de roses
Et mille siéges odoriférants,
Au bord des...
Miséricorde! J'ai bien plus envie de pleurer.
(Il chante.)
Les oiseaux chantaient leurs mélodieux madrigaux,
Tandis que j'étais assis près de Babylone,
Et qu'un millier de siéges odoriférants,
Au bord des...
SIMPLE.--Le voici, sir Hugh; il vient par ici.
EVANS.--Il est le bienvenu.
(Il chante.)
Au bord des rivières dont la chute...
Dieu fasse prospérer le bon droit! Quelles armes porte-t-il?
SIMPLE.--Il n'a pas d'armes, monsieur; voilà aussi mon maître et monsieur Shallow qui viennent du côté de Frogmore avec un autre monsieur. Ils sont sur la descente par ici.
EVANS.--Je vous prie donnez-moi ma robe, ou plutôt gardez-la entre vos bras.
(Page, Shallow et Slender entrant, et feignant d'être surpris de trouver Evans dans ce costume,
dont ils prétendent ignorer les raisons).SHALLOW.--Eh! qui vous savait ici, monsieur le curé? Bien le bonjour, sir Hugh. Surprenez un joueur sans ses dés, et un docteur sans ses livres, vous crierez miracle.
SLENDER.--Ah! douce Anne Page!
PAGE.--Le ciel vous tienne en santé, cher sir Hugh!
EVANS.--Que Dieu dans sa miséricorde vous donne à tous sa bénédiction.
SHALLOW.--Quoi! la science et l'épée? Les étudiez-vous toutes deux, monsieur le curé?
PAGE.--Et toujours jeune, sir Hugh? Comment, en simple pourpoint, dans ce jour humide et nébuleux?
EVANS.--Il y a des causes et des raisons pour cela.
PAGE.--Nous sommes venus vous chercher, monsieur le curé, pour faire une bonne oeuvre.
EVANS.--Fort bien: quelle bonne oeuvre?
PAGE.--Nous avons laissé là-bas un très-respectable personnage qui, ayant reçu sans doute une insulte de quelqu'un, oublie toute patience et toute gravité à un point que vous ne sauriez imaginer.
SHALLOW.--J'ai vécu quatre-vingts ans27 et plus, mais je n'ai jamais vu un homme de son état, de sa gravité et de sa science, oublier ainsi tout ce qu'il se doit à lui-même.
Note 27: (retour) Four score. L'action de la pièce est, selon toute apparence, placée dans le printemps de 1414. Shallow, étant à Saint-Clément, a été maltraité par Jean de Gaunt, comme nous l'apprend Falstaff dans la seconde partie de Henri IV. Jean de Gaunt était né en 1339. On peut supposer à Shallow cinq ans de plus que lui, ce qui le fait naître en 1334, et lui donne quatre-vingts ans en 1414.EVANS.--Quel est-il?
PAGE.--Je crois que vous le connaissez: c'est monsieur le docteur Caius, notre célèbre médecin français.
EVANS.--Par la volonté de Dieu et la colère de mon âme, j'aimerais mieux vous entendre parler d'un plat de potage.
PAGE.--Pourquoi?
EVANS.--Il n'en sait pas plus sur Hippocrate ou Galien... et de plus c'est un crétin. Je vous le donne pour le crétin le plus poltron que vous puissiez désirer de connaître.
PAGE.--Je parie que c'est lui qui devait se battre avec le docteur.
SLENDER.--Ah! douce Anne Page!
(Entrent Caius, l'hôte et Rugby.)
SHALLOW.--En effet, ses armes l'indiquent. Retenez-les tous deux.--Voilà le docteur Caius.
PAGE.--Allons, mon bon monsieur le curé, rengainez votre épée.
SHALLOW.--Et vous la vôtre, mon bon monsieur le docteur.
L'HÔTE.--Désarmons-les, puis laissons-les disputer ensemble. Qu'ils conservent leurs membres, et estropient notre anglais!
CAIUS, bas à son ennemi.--Je vous prie, laissez-moi vous dire un mot à l'oreille. Pourquoi n'êtes-vous pas venu me trouver?
EVANS, bas.--Je vous prie, ayez patience. (Haut.) Nous prendrons notre temps.
CAIUS.--Palsambleu! vous êtes un poltron de Jean le chien, un Jean le singe.
EVANS, bas.--Je vous prie, ne donnons pas ici de quoi rire à ces messieurs. (Haut.) Je vous fendrai votre tête de poltron avec votre urinal, pour vous apprendre à manquer au rendez-vous que vous donnez.
CAIUS.--Comment, diable, Jack Rugby, mon hôte de la Jarretière, ne l'ai-je pas attendu pour le tuer, ne l'ai-je pas attendu sur la place que j'ai indiquée?
EVANS.--Comme j'ai une âme chrétienne, voici incontestablement la place indiquée. J'en prends pour jugement mon hôte de la Jarretière.
L'HÔTE.--Paix, tous deux, Gallois et Gaulois, docteur des Gaules, et prêtre de Galles, médecin de l'âme et médecin du corps.
CAIUS.--Ah! voilà qui est très-vraiment bon! excellent!
L'HÔTE.--Paix, vous dis-je; écoutez votre hôte de la Jarretière. Suis-je politique? Suis-je subtil? Suis-je un Machiavel? Perdrai-je mon docteur? Non, il me donne des potions et des consultations. Perdrai-je mon curé, mon prêtre, mon sir Hugh? non, il me donne la parole et les paraboles. Donne-moi ta main, docteur terrestre; bon.--Donne-moi, ta main docteur céleste; bon.--Enfants de l'art, je vous ai trompés tous deux: je vous ai adressés à deux places différentes. Vos coeurs sont fiers, votre peau est sauve: qu'une bouteille de vin des Canaries soit la fin de tout ceci; venez, mettez leurs épées en gage: suivez-moi, enfant de paix; venez, venez, venez.
SLENDER.--O douce Anne Page!
(Shallow, Slender, Page et l'hôte sortent.)
CAIUS.--Ah! je vois ce que c'est. Vous faites des sots de nous deux. Ah! ah!
EVANS.--C'est bon, il a fait de nous deux ses joujoux. Je désire que nous soyons bons amis, et que nous mettions un peu ensemble nos deux cervelles pour une vengeance de ce teigneux, de ce calleux de craqueur, l'hôte de la Jarretière.
CAIUS.--Palsambleu! de tout mon coeur. Il m'a promis de me mener là où est Anne Page. Palsambleu, il s'est trop moqué de moi.
EVANS.--Je lui fendrai sa caboche. Venez, je vous prie.
(Ils sortent.)
SCÈNE II
La grande rue de Windsor.
Entrent MISTRISS PAGE et ROBIN.
MISTRISS PAGE.--Allons, marchez devant, mon petit gaillard: vous aviez le poste de suivant, mais vous voilà devenu guide. Qu'aimez-vous mieux de me montrer le chemin, ou de regarder les talons de votre maître?
ROBIN.--J'aime mieux, ma foi, vous servir comme un homme, que de le suivre comme un nain.
MISTRISS PAGE.--Oh! vous êtes un petit flatteur: je le vois, vous ferez un courtisan.
(Entre Ford.)
FORD.--Heureuse rencontre, mistriss Page! Où allez-vous?
MISTRISS PAGE.--Eh! vraiment, monsieur, chez votre femme. Est-elle au logis?
FORD.--Oui, et si désoeuvrée qu'elle pourrait vous servir de pendant pour le besoin de société.--Je pense que si vos maris étaient morts, vous vous marieriez toutes les deux.
MISTRISS PAGE.--Soyez-en sûr, à deux autres maris.
FORD.--Où avez-vous fait l'emplette de ce joli poulet?
MISTRISS PAGE.--Je ne peux pas me rappeler le maudit nom de celui qui l'a donné à mon mari. Comment s'appelle votre chevalier, petit?
ROBIN.--Sir John Falstaff.
FORD.--Sir John Falstaff!
MISTRISS PAGE.--Lui-même, lui-même; je ne puis jamais retrouver son nom. Mon bon mari et lui se sont épris d'une telle amitié... Ainsi, votre femme est chez elle?
FORD.--Oui, je vous le dis, elle y est.
MISTRISS PAGE.--Excusez, monsieur, je suis malade quand je ne la vois pas.
(Mistriss Page et Robin sortent.)
(Ford s'avance sous la halle.)
FORD.--Page a-t-il bien sa tête? A-t-il ses yeux? A-t-il ombre de bon sens? Sûrement tout cela dort, rien de tout cela ne lui sert plus. Quoi! ce petit garçon porterait une lettre à vingt milles, aussi facilement qu'un canon donne dans le but à deux cents pas. Il vous fait les arrangements de sa femme, fournit à sa folie des tentations et des occasions.--La voilà qui va chez la mienne, et le valet de Falstaff avec elle. Il n'est pas difficile de deviner l'approche d'un pareil orage.--Le valet de Falstaff avec elle!--O les bons complots!--Tout est arrangé: et voilà nos femmes révoltées qui se damnent de compagnie.--C'est bien, je te surprendrai! Je donne ensuite la torture à ma femme; je déchire le voile modeste de l'hypocrite mistriss Page; j'affiche Page lui-même pour un Actéon tranquille et volontaire; et, témoins des effets de ma colère, tous mes voisins crieront: C'est bien fait! (L'horloge sonne.) L'horloge me donne le signal, et l'assurance du fait justifie mes perquisitions. Quand j'aurai trouvé Falstaff, on m'en louera plus qu'on ne m'en raillera; et aussi sûr que la terre est solide, Falstaff est chez moi.--Allons.
(Entrent Page, Shallow, Slender, l'hôte, sir Hugh Evans, Caius et Rugby.)
SHALLOW.--Bien charmés de vous rencontrer, mon sieur Ford.
FORD.--Fort bien; bonne compagnie, sur ma foi. J'ai bonne chère au logis, et, je vous prie, venez tous dîner avec moi.
SHALLOW.--Quant à moi, il faut que vous m'en dispensiez, monsieur Ford.
SLENDER.--Il faut bien que vous m'excusiez aussi. Nous sommes convenus de dîner avec mistriss Anne, et je n'y manquerais pas pour plus d'argent que je ne le puis dire.
SHALLOW.--Nous sollicitons un mariage entre mistriss Anne Page et mon cousin Slender, et nous devons avoir réponse aujourd'hui.
SLENDER.--J'espère que vous êtes pour moi, père Page.
PAGE.--Tout à fait, monsieur Slender; je me déclare en votre faveur.--Mais ma femme, monsieur le docteur Caius, est entièrement pour vous.
CAIUS.--Oui, palsambleu! et la jeune fille m'aime: ma gouvernante Quickly m'a dit tout cela.
L'HÔTE.--Hé! que dites-vous du jeune M. Fenton; il danse, il pirouette, il est tout brillant de jeunesse, fait des vers, parle en beaux termes, est parfumé de toutes les odeurs d'avril et de mai. Allez, c'est lui qui l'aura; ses boutons ont fleuri28. C'est lui qui l'aura.
Note 28: (retour) C'était la coutume parmi les jeunes paysans, lorsqu'ils étaient amoureux, de porter dans leur poche des boutons d'une certaine plante appelée, en raison de cet usage, boutons des jeunes gens (batchelor's buttons). Selon que les boutons s'ouvraient ou se flétrissaient, ils jugeaient du succès de leur amour.PAGE.--Jamais de mon aveu, je vous le promets. Ce jeune homme n'a rien: il a été de la société de notre libertin prince et de Poins: il est d'une sphère trop élevée, il en sait trop. Non, il ne se servira pas de mes doigts pour remettre ensemble les débris de sa fortune. S'il prend ma fille, qu'il la prenne sans dot. Mon argent attend mon consentement, et mon consentement n'est pas pour lui.
FORD.--Que du moins quelques-uns de vous viennent dîner avec moi. Sans compter la bonne chère, vous vous amuserez. Je veux vous faire voir un monstre: vous serez des nôtres, monsieur Page; vous en serez, cher docteur; et vous aussi, sir Hugh.
SHALLOW.--Adieu donc; bien du plaisir.--Nous en ferons notre cour plus à notre aise chez monsieur Page.
(Shallow et Slender sortent.)
CAIUS.--Jean Rugby, retournez au logis; je reviendrai bientôt.
(Rugby sort.)
L'HÔTE.--Adieu, chers coeurs; je vais trouver mon honnête chevalier Falstaff, et boire avec lui du vin de Canarie.
(L'hôte sort.)
FORD, à part.--Je crois que je vais d'abord là-dedans lui servir d'une bouteille qui le fera danser.--Venez-vous, mes chers messieurs?
EVANS.--Nous venons avec vous voir le monstre.
(Ils sortent.)
SCÈNE III
Une pièce dans la maison de Ford.
Entrent MISTRISS FORD et MISTRISS PAGE.
MISTRISS FORD.--Ici, Jean; ici, Robert.
MISTRISS PAGE.--Vite, vite, et le panier de lessive?
MISTRISS FORD.--Je vous en réponds. Robin! allons donc.
(Entrent des domestiques avec un panier.)
MISTRISS PAGE.--Venez, venez, venez donc.
MISTRISS FORD.--Posez-le là.
MISTRISS PAGE.--Donnez vos ordres à vos gens: le temps nous presse.
MISTRISS FORD.--Rappelez-vous bien ce que je vous ai prescrit, Jean, et vous, Robert. Tenez-vous prêts là, à la porte dans la brasserie; et, quand vous m'entendrez vous appeler précipitamment, venez sur-le-champ: vous chargerez sans hésiter, sans délai, ce panier sur vos épaules: cela fait, portez-le en toute hâte au lavoir, là, dans le pré de Datchet, portez-le et videz-le dans le fossé boueux près du bord de la Tamise.
MISTRISS PAGE.--Vous exécuterez ceci de point en point?
MISTRISS FORD.--Je le leur ai dit et redit; ils savent leur leçon par coeur.--Sortez, pour revenir dès que vous m'entendrez vous appeler.
(Les domestiques sortent.)
MISTRISS PAGE.--Ah! voilà le petit Robin.
(Robin entre.)
MISTRISS PAGE.--Eh bien! mon petit espion, quelles nouvelles en poche?
ROBIN.--Sir John, mon maître, est à la porte de derrière. Mistriss Ford, il désire votre compagnie.
MISTRISS PAGE.--Regardez-moi, petit patelin: nous avez-vous été fidèle?
ROBIN.--Oui, je le jure: mon maître ignore que vous soyez ici. Il m'a menacé même d'une éternelle liberté, si je vous contais les nouvelles; car, m'a-t-il dit, il me chasserait pour toujours.
MISTRISS PAGE.--Tu es un bon enfant. Ta discrétion t'habillera: cela te vaudra des chausses et un pourpoint; mais je vais me cacher.
MISTRISS FORD.--Allez.--Toi, va dire à ton maître que je suis seule. Mistriss Page, souvenez-vous de votre rôle.
(Robin sort.)
MISTRISS PAGE.--Je te le promets. Si j'y manque, sifflez-moi.
(Mistriss Page sort.)
MISTRISS FORD.--Allez, allez.--Nous corrigerons ces humeurs malsaines, cette grosse citrouille mouillée.--Il faut lui apprendre à distinguer les tourterelles des geais.
(Falstaff entre.)
FALSTAFF.--T'ai-je obtenu, mon céleste bijou29? Je mourrais maintenant sans regret. N'ai-je pas assez vécu? C'est ici le terme de mon ambition. O bienheureux moment!
MISTRISS FORD.--O mon cher sir John!
FALSTAFF.--Mistriss Ford, je ne sais point mentir, je ne sais point flatter. O mistriss Ford! je vais pêcher par un souhait qui m'échappe: je voudrais que votre mari fût mort! Je te le dis devant le seigneur des seigneurs, je te ferais milady.
MISTRISS FORD.--Moi votre lady, sir John! Hélas! je serais une pauvre lady.
FALSTAFF.--Que la cour de France m'en présente une égale à toi! Je vois d'ici ton oeil égaler l'éclat du diamant: tu as deux sourcils arqués précisément de la forme qu'il faut pour soutenir la coiffure en portrait, la coiffure à voiles, toute espèce de coiffure en point de Venise.
MISTRISS FORD.--Un simple mouchoir, sir John: c'est la seule coiffure qui aille à mon visage et pas trop bien encore.
FALSTAFF.--Tu es une traîtresse de parler ainsi. Tu ferais une femme de cour accomplie, et tu poses le pied avec une fermeté qui te donnerait une démarche parfaite dans un panier à demi-cercles! Je vois bien ce que tu serais, sans la fortune ennemie. La nature est ton amie; allons, il faut bien que tu en conviennes.
MISTRISS FORD.--Croyez-moi, il n'y a en moi rien de ce que vous dites.
FALSTAFF.--Et qu'est-ce donc qui m'a forcé à t'aimer? laisse-moi te persuader qu'il y a en toi quelque chose d'extraordinaire. Tiens, je ne sais pas mentir ni dire que tu es ceci, comme ces chrysalides sucrées qui vous viennent semblables à des femmes, sous un habit d'homme, sentant comme la boutique d'un droguiste dans le temps des herbes fraîches. Non, je ne le puis pas: mais je t'aime, je n'aime que toi, et tu le mérites.
MISTRISS FORD.--Ah! ne me trahissez pas, sir John! Je crains que vous n'aimiez mistriss Page.
FALSTAFF.--Vous pourriez tout aussi bien dire, que j'aime à me promener devant la porte d'un créancier, qui m'est plus odieuse que la gueule d'un four à chaux.
MISTRISS FORD.--En ce cas, le ciel sait combien je vous aime; et vous l'éprouverez un jour.
FALSTAFF.--Persévère dans ces bons sentiments, je les mériterai.
MISTRISS FORD.--Et moi, je vous dis, vous les méritez, sans quoi je ne les aurais pas.
ROBIN, derrière le théâtre.--Mistriss Ford! mistriss Ford!--voilà mistriss Page, toute rouge, toute essoufflée, les yeux tout troublés, qui voudrait vous parler à l'instant.
FALSTAFF.--Il ne faut pas qu'elle me voie: je vais me cacher derrière la tapisserie.
MISTRISS FORD.--Oui, de grâce: cette femme est la médisance même. (Falstaff se cache. Entrent mistriss Page et Robin.) De quoi s'agit-il? qu'est-ce que c'est?
MISTRISS PAGE.--O mistriss Ford, qu'avez-vous fait? Vous êtes déshonorée, vous êtes perdue, perdue pour jamais!
MISTRISS FORD.--De quoi s'agit-il, chère mistriss Page?
MISTRISS PAGE.--O ciel, est-il possible, mistriss Ford!... ayant un si honnête homme de mari, lui donner un pareil sujet de soupçon!
MISTRISS FORD.--Quel sujet de soupçon?
MISTRISS PAGE.--Quel sujet de soupçon!--Rentrez en vous-même.--Que vous m'avez trompée!
MISTRISS FORD.--Comment? Hélas! de quoi s'agit-il?
MISTRISS PAGE.--Votre mari va paraître, femme, avec toute la justice de Windsor, pour chercher un gentilhomme, qui est, dit-il, en ce moment chez lui, de votre consentement, pour profiter criminellement de son absence. Vous êtes perdue!
MISTRISS FORD, à part.--Parlez plus haut.--(Haut.) J'espère que cela n'est pas.
MISTRISS PAGE.--Plaise au ciel qu'il ne soit pas vrai que vous ayez un homme ici! Du moins est-il certain que votre mari arrive suivi de la moitié de la ville pour le chercher. Je suis venue devant pour vous avertir: si vous vous sentez innocente, oh! j'en suis charmée. Mais si vous avez en effet un ami chez vous, qu'il sorte, qu'il sorte au plus tôt.--Ne restez point interdite; rappelez vos sens, défendez votre réputation, ou dites adieu pour la vie à toute espèce de bonheur.
MISTRISS FORD.--Que ferai-je? ma chère amie; il y a un gentilhomme dans la maison, et je crains bien moins ma honte que le danger qui le menace. Je donnerais mille livres pour qu'il fût hors de la maison.
MISTRISS PAGE.--Eh! par mon honneur, laissez là vos je donnerais, je donnerais; voilà votre mari qui arrive.--Savez-vous quelque moyen de le faire évader?--Vous ne pouvez le cacher dans la maison.--Comme vous m'avez trompée!--Mais j'aperçois un panier.--S'il est d'une taille raisonnable, il peut s'y fourrer. Nous pouvons le couvrir de linge sale, comme si c'était pour l'envoyer blanchir. C'est précisément le moment de la lessive, envoyez-le par vos gens au pré Datchet.
MISTRISS FORD.--Il est trop gros pour y entrer. Que deviendrai-je?
(Falstaff rentre.)
FALSTAFF.--Laissez-moi voir; laissez-moi voir: oh! laissez-moi voir.--J'y tiendrai, j'y tiendrai.--Suivez le conseil de votre amie.--J'y tiendrai.
MISTRISS PAGE.--Et quoi? sir John Falstaff! chevalier, est-ce là votre lettre?
FALSTAFF.--Je t'aime, je n'aime que toi, aide-moi à sortir d'ici, laisse-moi me fourrer là dedans.... Jamais...
(Il entre, s'entasse dans le panier qu'on achève de couvrir de linge sale.)
MISTRISS PAGE.--Robin, aidez-nous à couvrir votre maître. Appelez vos gens, mistriss Ford.--Ah! perfide chevalier!
MISTRISS FORD.--Eh! Jean! Robert, Jean! (Robin sort. Les deux domestiques entrent.) Tenez, emportez ces hardes: passez une perche dans les deux anses; mon Dieu, que vous êtes lents! Portez-les à la blanchisseuse dans le pré Datchet: vite, allez.
(Entrent Ford, Page, Caius, sir Hugh Evans.)
FORD.--Approchez, je vous prie. Si j'ai soupçonné sans cause, vous aurez droit de vous moquer de moi: ne m'épargnez pas dans ce cas les plaisanteries; je les mérite. Arrêtez; où portez-vous ceci?
ROBERT.--Vraiment, à la rivière.
MISTRISS FORD.--Eh! qu'avez-vous besoin de savoir où ils le portent? Sont-ce là vos affaires? Il vaudrait mieux que vous vinssiez vous mêler de la lessive!
FORD.--C'est pour laver. Si je pouvais me laver aussi de cette corne de cerf30. Cerf, cerf, cerf, je vous le dis, véritable cerf, je vous en réponds, et cerf de la saison encore. (Les valets sortent emportant le panier.) Messieurs, j'ai rêvé cette nuit; je vous dirai mon rêve. Commençons par chercher mes clefs; les voilà. Montez, parcourez, visitez mes chambres, furetez partout; notre renard est pris, j'en suis garant: laissez-moi fermer d'abord cette issue, et maintenant fouillez le terrier.
PAGE.--Cher monsieur Ford, calmez-vous; c'est trop vous faire injure à vous-même.
FORD.--Soit, monsieur Page, soit. Montons, messieurs; vous allez avoir du plaisir. Suivez-moi, messieurs.
EVANS.--Ce sont là des visions, et des jalousies bien fantastiques.
CAIUS.--Palsambleu! ce n'est pas la mode en France: on ne voit point de jaloux en France.
PAGE.--Suivons-le, messieurs, puisqu'il le veut: voyons le résultat de ses recherches.
(Evans, Page et Caius sortent.)
MISTRISS PAGE.--L'aventure n'est-elle pas doublement réjouissante?
MISTRISS FORD.--Je ne sais pas de mon mari ou de sir John, lequel des deux je suis le plus contente d'avoir attrapé.
MISTRISS PAGE.--Dans quelles transes il devait être, quand monsieur Ford a demandé ce qu'il y avait dans le panier?
MISTRISS FORD.--J'ai peur qu'il n'ait besoin d'être lavé aussi. Nous lui aurons rendu service en l'envoyant au bain.
MISTRISS PAGE.--Qu'il s'aille faire pendre ce débauché coquin; je voudrais voir tous ceux de son espèce dans des angoisses pareilles.
MISTRISS FORD.--Il faut que mon mari ait eu quelque raison particulière de soupçonner que sir John était ici. Je ne l'ai jamais vu si brutal dans sa jalousie.
MISTRISS PAGE.--Je trouverai moyen de le savoir; mais il faut nous divertir encore aux dépens de Falstaff. Sa fièvre de libertinage ne cédera pas à cette seule médecine.
MISTRISS FORD.--Nous lui enverrons cette sotte carogne de mistriss Quickly, pour nous excuser de ce qu'on l'aura jeté à l'eau, et lui donner une nouvelle espérance qui lui attirera une nouvelle correction.
MISTRISS PAGE.--C'est bien pensé. Donnons-lui rendez-vous demain à huit heures pour venir recevoir un dédommagement.
(Rentrent Ford, Page, Caius et sir Hugh Evans.)
FORD.--Il est introuvable.--Peut-être le fat s'est-il vanté de choses qui passaient son pouvoir.
MISTRISS PAGE.--Entendez-vous?
MISTRISS FORD.--Oui, oui, paix. Vous en usez bien avec moi, monsieur Ford, n'est-il pas vrai?
FORD.--Oui, oui, madame.
MISTRISS FORD.--Que le ciel rende vos actions meilleures que vos pensées!
FORD.--Amen.
MISTRISS PAGE.--Monsieur Ford, vous vous faites un grand tort.
FORD.--Bien, bien, c'est à moi à supporter cela.
EVANS.--S'il y a quelqu'un dans la maison, dans les chambres, dans les coffres et dans les armoires, que le ciel me pardonne mes péchés au jour du grand jugement.
CAIUS.--Palsambleu! je dis de même, il n'y a pas une âme ici.
PAGE.--Eh! fi! monsieur Ford, n'avez-vous pas de honte! Quel esprit, quel démon vous a suggéré ces idées? Je ne voudrais pas avoir une pareille maladie pour tous les trésors du château de Windsor.
FORD.--C'est ma faute, monsieur Page; j'en subis la peine.
EVANS.--Vous souffrez d'une mauvaise conscience. Votre femme est une aussi honnête femme qu'on la puisse choisir entre cinq mille, et je dis encore entre cinq cents.
CAIUS.--Palsambleu! je vois bien que c'est une honnête femme.
FORD.--A la bonne heure. Messieurs, je vous ai promis à dîner. Venez, en attendant, vous promener dans le parc; je vous en prie, pardonnez-moi. Je vous conterai pourquoi j'ai fait tout cela.--Allons, ma femme, allons, mistriss Page, pardonnez-moi, je vous en prie. Je vous en prie du fond du coeur, pardonnez-moi.
PAGE.--Allons, messieurs, entrons. Mais, par ma foi, nous le ferons enrager; et moi, je vous invite à venir déjeuner demain matin chez moi, et après cela à la chasse à l'oiseau. J'ai un faucon admirable pour le bois. Est-ce chose dite?
FORD.--Tout à fait.
EVANS.--S'il y en a un, je serai le second de la compagnie.
CAIUS.--S'il y en a un ou deux, je serai le troisième31.
FORD.--Monsieur Page, venez, je vous en prie.
(Ils sortent. Evans et Caius demeurent seuls.)
EVANS.--Et vous, je vous prie, souvenez-vous demain de ce pouilleux de coquin d'hôte.
CAIUS.--C'est bon, oui de tout mon coeur.
EVANS.--Ce pouilleux de coquin avec ses tours et ses moqueries.
(Ils sortent.)