Les lois sociologiques
CHAPITRE VIII
LOIS SOCIOLOGIQUES PROGRESSIVES ET RÉGRESSIVES
La structure et la dynamique sociales nous apparaissent comme essentiellement instables et variables, bien que dans des limites déterminées; la statique des sociétés est une statique vivante comme celle des corps organisés; dans la réalité, leur structure est inséparable de leur fonctionnement. L'une et l'autre relèvent, mais en y ajoutant des caractères spéciaux et plus complexes, des lois les plus générales de l'univers, la persistance de la force, l'intégration et la désintégration incessantes de la matière et du mouvement, en un mot de l'évolution et de la dissolution continues de toutes les formes existantes.
M.H. Spencer a parfaitement exposé les rapports étroits qui relient la vie des sociétés à l'ordre universel.[27] Au point de vue de l'évolution, il a démontré que le progrès social est accompagné généralement d'un accroissement de la masse, d'une différenciation progressive de ses parties et de ses fonctions, de la formation successive d'organes de plus en plus spéciaux et élevés, enfin d'une coordination de plus en plus parfaite de ces parties et de ces organes dans des centres régulateurs et modérateurs suivant des modes à peu près semblables à l'organisation du système nerveux chez les animaux supérieurs. L'évolution des formes du système nerveux aux divers degrés de la vie animale est peut-être la meilleure étude préparatoire à la sociologie; c'est la transition naturelle de la biologie à la psychologie et à la science sociale.
Cette étude préliminaire a un autre avantage: elle nous initie à une conception non plus simplement métaphysique, mais organique du progrès: ainsi l'ancienne philosophie de l'histoire devient une philosophie positive directement en rapport avec les lois de l'évolution universelle.
Les sociétés primitives n'ont pas l'idée de progrès; même, dans des civilisations très avancées, la croyance générale, par un phénomène psychique très naturel, commence par placer l'âge d'or à l'origine des sociétés. Déjà cependant, dans l'Inde, en Perse, à Rome, en Judée, parmi les esprits les plus cultivés d'abord, dans la masse ensuite, une révolution s'opère; l'âge d'or est placé à la fin des âges successifs prédits par les prophètes et les poètes.[28]
L'idée de progrès est non pas une conception innée à l'humanité, c'est une lente acquisition transmise et développée héréditairement; aujourd'hui, elle peut être considérée comme essentiellement humaine; beaucoup d'animaux sentent leur coopération simultanée; les hommes seuls, et encore convient-il de limiter ce privilège aux sociétés les plus avancées, ont conscience et concourent au développement d'une coopération successive qui relie par la tradition le passé à l'avenir, assurant ainsi notre évolution graduelle. Cette différenciation psychique et sociologique entre les animaux et l'espèce humaine fut une lente acquisition dont le développement n'entre pas dans le plan de cette étude; contentons-nous de signaler que, même de nos jours, cette différenciation est loin d'être universellement accomplie.
Parmi les intelligences philosophiques les plus élevées, l'ancien concept d'un âge d'or primitif, de formes sociales originaires supérieures, ne s'est pas entièrement effacé; il s'est simplement transformé. Ce n'est cependant qu'en apparence que le progrès semble se manifester par un retour aux formes anciennes. Déjà Hegel, et d'autres après lui, avaient érigé en loi générale du progrès la ressemblance des formes dernières et futures avec les formes primitives. Cette conception, bien que fausse, était historiquement naturelle; elle inaugurait l'idée évolutionniste, mais continuait à se rattacher aussi notamment à cette autre croyance ancienne, encore persistante actuellement, d'après laquelle les civilisations se mouvaient dans un cercle fatal.
D'après M. de Roberty,[29] cette loi ne pourrait, si elle existe, s'appliquer qu'aux erreurs et aux mécomptes de l'esprit; l'humanité agirait dès lors comme l'individu, qui, conscient de s'être égaré, revient sur ses pas pour retrouver sa route. M. de Roberty attribue à ce phénomène le mouvement qui s'est produit parmi les criticistes et qui eut pour objet de nous présenter la métaphysique comme une sorte de poésie générale ou supérieure. J'ai décrit moi-même ailleurs les liens filiaux de descendance directe et organique qui existent entre l'art, la religion et la métaphysique. Toutefois, même avec l'explication de mon savant ami, la loi du retour aux formes primitives me paraît inacceptable. Bien qu'elle semble s'observer, notamment en économie sociale, dans une certaine tendance vers les formes collectives primitives particulièrement de la propriété et, de même dans quelques écoles artistiques et dans plusieurs desiderata politiques tels que la législation directe, le referendum, etc., ce retour n'est qu'apparent; il indique simplement la nécessité de renouer nos liens traditionnels avec l'égalité homogène mais rudimentaire primitive; les sociétés modernes ne pourront le faire, dans tous les cas, qu'avec d'énormes modifications et adaptations en rapport avec leur complexité croissante; si c'était un retour pur et simple, ce ne serait plus un progrès, mais une régression. De Laveleye entre autres a malheureusement, dans ses études sur les formes primitives de la propriété, laissé subsister trop d'équivoques à cet égard.
La théorie du progrès devient parfaitement claire et intelligible si nous mettons les caractères si bien décrits par M. Herbert Spencer et énumérés par nous ci-dessus, en rapport avec la classification hiérarchique naturelle des phénomènes sociaux, de leurs fonctions et de leurs organes, classification que nous croyons avoir démontré être le fondement indispensable de toute sociologie scientifique.
Les lois de l'évolution et de la régression sociales sont des lois organiques, à un degré plus élevé que les lois psychiques et de deux degrés plus élevées que les lois purement biologiques. Voilà ce dont il faut bien se pénétrer. En somme, en complétant l'exposé sociologique de Comte et de Spencer par une classification hiérarchique des faits sociaux et par l'extension des lois évolutionnistes de la biologie et de la psychologie à révolution progressive ou régressive des sociétés, nous continuons simplement leur oeuvre en la perfectionnant.[30]
Sans remonter aux lois les plus générales de l'évolution dans la nature inorganique, voyons, par quelques exemples, comment s'opèrent le progrès et la décadence dans le domaine biologique et psychique.
«Si nous éthérisons des animaux, comme des grenouilles, en continuant indéfiniment l'introduction des vapeurs d'éther, nous voyons successivement s'éteindre, après la sensibilité consciente, toutes les manifestations de la sensibilité inconsciente dans l'intestin et les glandes et nous finissons par arrêter l'irritabilité musculaire et les agitations si vivaces des cils vibratiles implantés en très grand nombre, comme les poils d'une brosse, dans certaines membranes muqueuses, par exemple celle qui tapisse les voies respiratoires.[31]
Voilà la description d'une loi régressive à la fois biologique et psychique, nous pouvons la compléter par un exemple vulgaire tiré de la biologie seule et montrant à la fois le double aspect progressif et régressif de la vie: le coeur, organe de la circulation, est, suivant l'heureuse expression de Haller, l'organum primum vivens, ultimum moriens.
En résumé, tous les faits biologico-psychiques, qu'il nous est impossible de cataloguer ici, paraissent se résumer en cette loi que les fonctions et les organes les premiers formés continuent à survivre aux plus récents; ceux-ci s'arrêtent les premiers; d'un autre côté, les plus anciens sont les plus simples et les plus essentiels à la vie générale, les plus récents sont les plus délicats et les plus spéciaux.
Voyons ce qui se passe dans le domaine principalement psychique.
Dans sa belle étude sur les Maladies de la mémoire,[32] M. Th. Ribot expose fort bien que l'affaiblissement de la mémoire porte d'abord sur les faits récents. Les faits nouveaux ne s'inscrivent plus dans les centres nerveux ou sont de suite effacés. La cause réside dans une lésion anatomique grave: un commencement de dégénérescence des cellules nerveuses; elles sont en voie d'atrophie; «le nouveau meurt avant l'ancien».
L'affaiblissement porte ensuite sur les acquisitions intellectuelles (scientifiques, artistiques, professionnelles, les langues étrangères, etc.); les souvenirs personnels s'effacent en descendant vers le passé; ceux de l'enfance disparaissent les derniers. La cause anatomique est une atrophie qui envahit peu à peu l'écorce du cerveau, puis la substance blanche produisant une dégénérescence des cellules, des tubes et des capillaires de la substance nerveuse.
Les facultés affectives s'éteignent bien plus lentement que les intellectuelles; elles sont l'expression immédiate et permanente de notre organisation.
Les dernières acquisitions qui résistent sont celles qui sont presque entièrement organiques: la route journalière, les vieilles habitudes appartenant à l'activité automatique, avec un minimum de mémoire consciente, forme inférieure à laquelle les ganglions cérébraux, le bulbe et la moelle suffisent.
La mémoire descend donc de l'instable au stable, du spécial au général. La preuve ou vérification résulte de ce que la guérison ou reconstitution se fait en sens inverse, du stable à l'instable, du général au spécial.
Cette loi n'est elle-même qu'un cas particulier de la loi biologique plus simple d'après laquelle les structures formées les dernières sont, comme nous l'avons vu, les premières à dégénérer dans l'ordre inverse de leur évolution progressive.
Il en est de même pour les phénomènes psychiques volontaires.[33]
Prenons maintenant comme exemple une fonction dont l'organisation est en rapport à la fois avec la biologie, la psychologie et en partie déjà également avec la sociologie: le langage.[34] Nous y constatons les mêmes lois d'évolution, progressive et régressive. La mémoire du langage et des signes se perd suivant un ordre naturel et nécessaire. D'abord disparaît le langage rationnel, représenté par les mots; en première ligne les substantifs ou noms propres et noms de choses, concepts concrets, puis les verbes qui servent de lien ou de rapport entre les noms, et enfin les adjectifs qui avec les verbes sont les signes indicatifs d'actes et de qualités.
Après les mots, s'éteint le langage émotionnel représenté par les interjections, les phrases exclamatives. En dernier lieu s'annihile le simple langage musculaire, celui des gestes.[35]
De même, à titre de vérification, nous observons que la loi de formation du langage va des gestes aux paroles et de ces dernières aux signes idéaux, à l'écriture.
L'ordre sociologique étant une continuation plus complexe de l'ordre universel antécédent plus simple, nous voilà préparés à concevoir la nature des lois progressives et régressives en ce qui le concerne.
Dans le deuxième volume de mon Introduction à la sociologie, j'ai systématiquement exposé comment les fonctions et organes relatifs à chacune des sept classes de phénomènes sociaux se forment naturellement les uns des autres suivant leur ordre de complexité et de spécialité croissantes. Leur déformation régressive suit l'ordre inverse, c'est-à-dire que l'organisation politique décline avant l'organisation juridique, celle-ci avant la structure morale, laquelle se dégrade avant les institutions scientifiques; ces dernières à leur tour s'effondrent antérieurement aux formes artistiques dont le déclin précède celui de la vie familiale qui s'évanouit avant la débâcle économique après laquelle les sociétés retombent dans les modes incohérents et simplement automatiques des formes primitives.
Ceci encore une fois n'est qu'une application particulière d'une loi générale d'après laquelle la stabilité des formes est en raison inverse de leur complexité. Les structures sociales sont plus instables que les structures vivantes, celles-ci que les formes inorganiques, et, dans toute société, les formes les plus élevées sont aussi les plus délicates, les plus mobiles, les plus variables. Le pouvoir politique peut être bouleversé, sans que les lois soient changées; celles-ci peuvent être fréquemment remaniées sans que leur changement corresponde à une transformation des moeurs; enfin de grandes révolutions politiques, juridiques et morales peuvent agiter la société sans altérer en rien leur structure économique. En général, les formes les moins complexes et les plus stables sont naturellement les plus lentes à se modifier. Ainsi, von Ihering a fort bien observé, qu'en droit romain, la reconnaissance de l'indépendance privée du fils demanda un temps infiniment plus long que l'émancipation politique de la plèbe. Il en est aujourd'hui de même pour la situation civile de la femme même dans les pays à suffrage universel.
Les régressions sociales, de même que le progrès, peuvent être vives ou lentes, régulières ou quasi subites. En temps de guerre, le corps social se rétracte; ce n'est plus qu'une hiérarchie militaire avec une tête, le droit redevient l'antique commandement, jus, jussus. Ainsi, à Rome, les tribuns du peuple n'avaient plus de pouvoir à l'armée; la plèbe y redevenait sujette. Il y a aussi régression subite et complète quand un groupe social plus ou moins nombreux et avancé est subitement enlevé au milieu de la formation de son organisation supérieure. Au Mexique, dans l'Amérique du Sud, aux îles Fidji, on a vu des Européens retourner en peu de temps à la sauvagerie, même au cannibalisme.[36]
Sans une classification hiérarchique naturelle des phénomènes sociaux, la statique et surtout la dynamique sociales deviennent inintelligibles et inexplicables. Non seulement la formation et la déformation des fonctions et des organes, dans les sociétés, s'effectuent dans l'ordre de leur hiérarchie naturelle, mais dans chaque classe, la formation et la déformation des fonctions et des organes particuliers de cette classe s'opèrent suivant la même loi. Ainsi dans l'organisation politique les formes contractuelles supérieures et récentes de self-government s'effaceront avant les formes purement administratives, avant les conseils d'Etat, les ministères, avant surtout le despotisme du pouvoir exécutif. Dans la vie économique, les formes destinées à assurer la liberté du travail, les conseils de l'industrie, les chambres de conciliation et d'arbitrage, etc., de formation moderne, disparaîtront avant les anciennes structures capitalistes et propriétaires d'origine ancienne, féodale, ou quiritaire. Celles-ci, à leur tour, disparaîtraient avant qu'il fût possible aux civilisations avancées de retourner aux formes homogènes primitives.[37]
Quelques exemples empruntés à chacune des classes de phénomènes sociaux suffiront pour le moment à justifier l'exactitude de ces lois sociologiques relatives au progrès et à la décadence des sociétés.
Les formes politiques, particulièrement les structures supérieures, disparaissent les premières. Ainsi la féodalité n'existe plus comme organisation politique, mais elle persiste encore dans les rapports économiques et moraux et même familiaux de nos propriétaires avec leurs tenanciers et ouvriers. Ce qui s'établit à l'origine et fut la base de la féodalité est ce qui perdure en dernier lieu. Tant que ces rapports originaires, les plus simples et les plus généraux subsistent, le péril social subsistera également de voir renaître les formes politiques et juridiques correspondantes plus complexes qui en sont la suite naturelle.
Un droit, justifié à l'origine, peut devenir un privilège odieux; ainsi l'immunité des impôts au profit de la noblesse qui était chargée de l'office militaire cessa d'être juste après que cette caste ne remplit plus son office; le droit se transforma après la suppression de la fonction politique.
Dans toutes les grandes civilisations passées, nous pouvons observer que la décomposition morale commence par l'effondrement des grandes doctrines religieuses ou métaphysiques qui, tombées en discrédit, laissent à découvert les profondes lésions qui ont atteint les moeurs en général.
Dans son discours de réception à l'Académie française, l'illustre G. Bernard montrait fort bien la filiation des arts, des lettres et des sciences: «On a raison de dire que les lettres sont les soeurs aînées des sciences. C'est la loi de l'évolution intellectuelle des peuples qui ont toujours produit leurs poètes et leurs philosophes (métaphysiciens) avant de former leurs savants. Dans ce développement progressif de l'humanité, la poésie, la philosophie et les sciences expriment les trois phases de notre intelligence, passant successivement par le sentiment, la raison et l'expérience.» De son côté, M. Ch. Potvin indique comme suit que la régression s'opère en sens inverse lorsqu'il écrit que «le siècle des ducs de Bourgogne jusqu'à Charles-Quint est à la fois notre premier siècle artistique et notre dernier siècle littéraire». Cela signifie que le recul social inauguré par le despotisme politique avait déjà détruit le développement intellectuel pour ne laisser subsister et s'épanouir que les formes artistiques.
A Rome, en Grèce, on continue à avoir dans la maison un foyer domestique, à le saluer, à l'adorer, à lui offrir la libation, mais ce n'était plus qu'un culte d'habitude non vivifié par la foi; de même pour le foyer des villes ou prytanée, on n'en comprenait plus l'antique signification: le culte des ancêtres, des fondateurs, des héros de la cité; on continuait à entretenir le feu, à faire les repas publics, à chanter les vieux hymnes qu'on ne comprenait plus; les divinités de la nature redevenaient des sujets poétiques. Les rites et les pratiques survivaient aux croyances. Ce qui subsiste le plus longtemps des religions, c'est ce par quoi elles ont commencé, les rites, les sacrifices, le cérémonial; la foi païenne n'existait plus qu'on punissait encore sévèrement toute atteinte posée aux rites.
De même continuaient les repas publics en commun alors que la communauté économique et familiale primitive avait depuis si longtemps disparu que les repas publics, dégénérés en routine, n'avaient plus de sens ni pour la multitude ni même pour les sommités sociales.
Les sociétés progressent et régressent donc suivant des lois nécessaires dont nous venons de donner un faible aperçu. Insistons cependant sur ce point commun à la sociologie et à la psychologie, que toute décadence des formes et des fonctions supérieures voile généralement une lésion plus ou moins grave des formes inférieures. C'est ainsi que les dégénérescences psychiques sont déterminées par des lésions anatomiques. En sociologie, les troubles politiques, juridiques, moraux, philosophiques, artistiques, familiaux, révêlent le plus souvent de graves perturbations économiques, lesquelles à leur tour peuvent être en rapport avec des troubles psychiques et une décadence biologique graves; dans ces derniers cas, la vie même de la société, en général, est en péril.
Les sociétés peuvent donc se déformer et mourir suivant certaines lois de même qu'elles progressent et naissent suivant des lois, également naturelles. Dans les sociétés, comme chez les animaux, le degré de vie varie avec le degré de correspondance. Parmi les animaux d'organisation inférieure, la mortalité est énorme; ils subissent les influences les plus simples; les autres ont plus de ressources, plus de vie, ils s'adaptent à des circonstances plus nombreuses, plus spéciales; leur existence est moins simple, leur formation est plus longue; leur mort exige plus de complications. Les sociétés sont donc d'autant plus viables qu'elles savent s'élever à des formes plus complexes et plus spéciales, facilitant leur adaptation continuelle, rétablissant leur équilibre instable de manière à ne pas être à la merci d'une perturbation élémentaire.
Il n'y a pas de raison pour qu'une société pacifique, laborieuse, où la circulation des richesses est bien répartie, où la vie familiale, émotionnelle, intellectuelle et morale progresse et s'épure, où la justice devient de plus en plus la règle de l'activité sociale et où la politique enfin n'est que la régulatrice suprême des grands intérêts sociaux exactement représentés et se gouvernant librement eux-mêmes, périsse accidentellement ou naturellement. Au contraire, se développant régulièrement au point de vue de la masse, se différenciant de mieux en mieux dans ses parties, coordonnant ces dernières clans des organes locaux, régionaux et internationaux de plus en plus élevés, une telle société peut défier la mort; sa longévité indéfinie finit par se confondre avec celle de l'espèce humaine et de ses conditions terrestres.
En cela la vie sociale se distingue de la vie animale ordinaire et aussi en ce que les sociétés étant composées d'unités sensibles et conscientes, bien qu'à des degrés divers, elles ont le pouvoir, dans les limites naturelles, d'abréger ou d'augmenter spontanément le cours de leur existence; leur vie et leur mort sont, dans ces conditions, entre leurs mains.
FIN
NOTES:
[1] BERTHELOT. La Synthèse chimique.
[2] Pour n'en citer qu'un exemple, le contrat de louage de service, tel que le règle le Code civil, présuppose le libre arbitre absolu de l'individu et une égalité idéale entre le maître et l'ouvrier; cette conception métaphysique viole à la fois et méconnaît les conditions physiologiques, psychiques et collectives, notamment économiques, de la classe laborieuse. C'est ce qu'ont dû finalement reconnaître tous les publicistes qui se sont occupés, par exemple, de la question des accidents du travail et de la réglementation de ce dernier au point de vue des sexes, de l'âge et aussi de la durée du travail même pour les adultes.
[3] L'application des théories darwiniennes, essentiellement biologiques,aux phénomènes sociaux est un exemple du danger auquel on s'expose en cherchant à ramener des phénomènes complexes qui ont des lois en partie propres à eux seuls et en partie communes avec les autres sciences uniquement à ce dernier caractère. Les simplificateurs à outrance de cette école en sont naturellement arrivés par ce procédé vicieux à perdre notamment de vue que la lutte sociale pour l'existence n'est pas seulement représentée par un irréductible antagonisme, mais aussi par une coopération naturelle dont l'influence bienfaisante ne fait que croître avec les progrès de la civilisation.
[4] J.-S. MILL, Système de logique, traduction PEISSE, 2e édition, t. I, p. 425-484; A. BAIN, Logique déductive et inductive, traduction COMPAYRÉ, 2° édition, t. II, p. 75-115.
[5] Logique, t. I, 421.
[6] Logique, t. I, 421 et suiv.
[7] Réforme, année 1891, nos 121, 122, 165 et 166.
[8] C'est ainsi qu'à la suite des autres sciences, la science sociale transforme insensiblement son enseignement dogmatique ex cathedra en un enseignement pratique et expérimental. Autrefois aussi la botanique et la physiologie, par exemple, s'enseignaient d'une façon exclusivement orale ou écrite. Aujourd'hui, en Italie par exemple, des professeurs de criminologie, tels que Lombroso, E. Ferri et d'autres, ont joint à leurs leçons orales des observations dans des Musées d'anthropologie et une véritable clinique criminelle dans les prisons où ils se rendent avec les étudiants des Facultés de droit.
[9] Condorcet, notamment, croyait à la possibilité de la prolongation indéfinie de la vie humaine.
[10] Pour les développements de ces considérations et de celles qui suivent, lire la première partie de notre Introduction à la Sociologie.
[11] Introduction à la Sociologie, deuxième partie: Fonctions et organes.
[12] Pour les développements relatifs à la classification hiérarchique des phénomènes sociaux, lire l' Introduction à la Sociologie.
[13] Le Régime représentatif, par G. De Greef. Bruxelles, 1893. Office de publicité.
[14] CH. LABOULAYE. Dictionnaire des Arts et Manufactures. V. Chemins de fer.—P.-J. PROUDHON. Des réformes à opérer dans l'exploitation des Chemins de fer.
D'après HUHLMANN, l'effort de tirage nécessaire pour mettre en mouvement une charge P sur essieu, est une fraction K de P, c'est-à-dire F = KP.
K, coefficient de tirage, diminue avec la résistance.
Pour un mauvais empierrement K = 0,070 Sur bonne voie empierrée K = 0,030 Sur pavé K = 0,018 Sur rail K = 0,005
Mathématiquement et pour tenir compte de toutes les conditions variables du roulement, la formule établie par RUHLMANN contient les notions suivantes:
P, poids reposant sur une roue;  K, coefficient de résistance au
                                    roulement;
Q, poids de la roue;             R, rayon de la roue;
F, coefficient du frottement de  JLF, rayon de la fusée.
   la fusée;
Sur un rail, c'est-à-dire sur une route de nature parfaite, K (P + 2) / r devient négligeable.
[15] Semaine du 26 novembre au 2 décembre 1891: 149,583,000 livres sterling. Les Etats-Unis, l'Angleterre, la France, l'Autriche, l'Italie et l'Allemagne se sont successivement assimilé cette institution; la Belgique, ici encore, retarde.
[16] Cette prévision s'est réalisée après que ces pages étaient écrites ainsi que mes auditeurs à l'Ecole des sciences sociales ont pu le constater par les chiffres que je produisis devant eux pendant mes leçons de l'année suivante. En 1890, en effet, les naissances illégitimes par 100 naissances ont été: Royaume, 8.63 p. 100; Hainaut, 10.44 p. 100; Luxembourg, 2.95 p. 100. Dans cette dernière province, en 1890 comme en 1889, le chiffre total des naissances a diminué et celui des naissances illégitimes s'est accru; la population en général tend à y décroître.
En 1891, le salaire net moyen des houilleurs du Hainaut est tombé à 3 fr. 06 par jour; la dépression ayant persisté depuis, nous pouvons prévoir une augmentation des naissances illégitimes; les statistiques officielles nous font défaut jusqu'ici.
[17] Exposés de la situation du Royaume et Annuaires statistiques de la Belgique.
[18] Introduction à la Sociologie, t. II, p. 148 à 189.
[19] Compte général de l'Administration de la justice criminelle en France, de 1826 à 1880.—-QUETELET, Physique sociale, t. II, p. 232 et suiv.
[20] L'Ariôge, la Haute-Garonne, les Hautes-Pyrénées, le Gers, le Tarn, l'Aveyron, le Lot, le Cantal, la Lozère, la Haute-Loire, le Puy-de-Dôme et la Creuse.
[21] YVERNÈS. Compte de la Justice criminelle; Rapport. p. XXXIII.
[22] Bruxelles, imprimerie de la Banque nationale, 1884.
[23] A ceux qui voudront se former une conception exacte des rapports qui existent entre les faits économiques, je recommande tout spécialement, comme des modèles de méthode et d'exactitude, les diagrammes de M.H. DENIS, professeur d'économie politique à l'Université de Bruxelles et tout particulièrement son Atlas de diagrammes relatifs à l'histoire des prix en Belgique. Bruxelles, 1885.
[24] DE LAVELEYE, Economie politique; Id., Le Gouvernement dans la démocratie, notamment le chapitre ii: la Société n'est pris un organisme.
[25] G. DEGREEF. Le Régime représentatif. Bruxelles, 1892.
[26] Dix ans d'études historiques: Vue des révolutions d'Angleterre.
[27] Les premiers principes.—Essais sur le progrès, p. 1 à 79.—Principes de sociologie, passim.
[28] Virgile, Eglog. IV.—Servius sur le vers 4 de cette éclogue.—Nigidius cité par Servius sur le vers 10.-Livres du Daniel et d'Hénoch.—Liv. III, 97-817 des Livres sibyllins.
[29] La Recherche de l'unité, p. 6. Paris, Alcan.
[30] J'ai proposé pour la première fois, après de longues préparations, mes idées sur les lois sociologiques de l'évolution progressive et régressive des sociétés dans mon cours à l'École des sciences sociales de l'Université de Bruxelles en 1889-1890. Je m'y appuyais notamment sur des faits psychiques décrits par M. Ribot dans les Maladies de la Mémoire.
[31] Claude Bernard. La Science expérimentale. Paris, F. Alcan.
[32] Paris, Félix Alcan, p. 92 et suiv.
[33] Th. Ribot. Les Maladies de la volonté. Paris, F. Alcan, 8eédition, 1893.
[34] A. Comte fait figurer la théorie du langage dans sa Statique sociale.
[35] Th. Ribot. Les Maladies de la mémoire. Paris, F. Alcan, 8e édition, 1893.
[36] Waitz. Anthropology, 313. Traduction anglaise.
[37] Nous réservons à nos deux derniers volumes d'Introduction à la Sociologie consacrés à la Structure et à la Dynamique générales des sociétés l'exposé et la démonstration méthodiques de ces lois.