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Les stratagèmes

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3 Alcibiade tendit un piège aux Byzantins, qui se tenaient renfermés dans leurs murs: il feignit de se retirer, et, quand ils ne furent plus sur leurs gardes, revint fondre sur eux.

4 Viriathe, après s'être retiré à trois journées de Segobriga, revint en un seul jour, et surprit les habitants, qui, dans une entière sécurité, étaient en ce moment même occupés d'un sacrifice.

5 Épaminondas, au siège de Mantinée, voyant que les Lacédémoniens étaient venus secourir cette place, pensa que, s'il leur cachait son départ, il pourrait aller prendre Lacédémone. Il ordonna d'allumer pendant la nuit un grand nombre de feux dans son camp, afin que l'on ne se doutât pas de son absence; mais, trahi par un transfuge, et poursuivi par l'armée lacédémonienne, il quitta le chemin de Sparte, et usa du même artifice pour retourner devant Mantinée. Il alluma encore des feux dans son camp, et, taudis que les Lacédémoniens l'y croyaient présent, il fit une marche de quarante milles du côté de Mantinée, et se rendit maître de la ville, qui n'avait plus le secours de ses alliés.

XII. De la défense des places. Exciter la vigilance des soldats.

1 Pendant que les Lacédémoniens assiégeaient Athènes, Alcibiade, craignant de la négligence de la part des sentinelles, ordonna aux soldats de tous les postes d'observer attentivement le flambeau qu'il ferait paraître pendant la nuit, du haut de la citadelle, et de répondre à ce signal en élevant aussi des flambeaux de leur côté. Il menaça de châtiment quiconque n'exécuterait pas fidèlement cet ordre. Ainsi tenus dans l'attente des signaux de leur chef, tous firent une garde vigilante, et l'on fut à l'abri du danger qui était à craindre pour la nuit.

2 Iphicrate, général athénien, qui occupait Corinthe avec une garnison, visitant les postes au moment où l'ennemi approchait, trouva une sentinelle endormie, et la perça d'un javelot. Quelques-uns, blâmant cet acte comme trop cruel: «Tel j'ai trouvé cet homme, leur répondit-il, tel je l'ai laissé.[104]«

3 On dit qu'Épaminondas, général thébain, en fit autant.

XIII. Donner et recevoir des nouvelles.

1 Les Romains, assiégés dans le Capitole, envoyèrent Pontius Cominius implorer le secours de Camille, qui était alors en exil. Cominius, pour éviter les postes gaulois, descendit par la roche Tarpéienne, traversa le Tibre à la nage, arriva jusqu'à Véies[105], et, s'étant acquitté de sa mission, retourna par le même chemin près de ses compagnons.

2 Les habitants de Capoue, assiégés par les Romains, qui faisaient bonne garde autour de la place, envoyèrent dans le camp ennemi, comme déserteur, un soldat qui, moyennant une récompense, cacha une lettre dans son baudrier, et la porta aux Carthaginois aussitôt qu'il trouva l'occasion de s'échapper.

3 Quelques-uns écrivirent des lettres sur des parchemins, qui furent cousus dans des pièces de gibier et dans le corps de certains animaux.

4 D'autres ont introduit leurs dépêches dans le derrière de leurs bêtes de somme, pour traverser les postes ennemis.

5 D'autres ont écrit sur la partie intérieure des fourreaux, de leurs épées.

6 L. Lucullus voulait informer de son arrivée les habitants de Cyzique, assiégés par Mithridate, dont les troupes occupaient le seul chemin qui conduisît à la ville: c'était un pont étroit, qui l'unissait au continent. Il chargea de ce message un soldat, bon nageur et habile nautonier, qui, porté sur l'eau par deux outres remplies d'air, contenant des lettres de Lucullus, et adaptées en dessous à deux traverses séparées l'une de l'autre, fit un trajet de sept milles. Telle fut l'adresse de ce simple soldat, que, se servant de ses jambes comme de rames, il trompa les sentinelles ennemies, qui crurent, en l'apercevant, que c'était quelque monstre marin[106].

7 Le consul Hirtius envoya de temps en temps à Decimus Brutus, assiégé dans Mutine par Antoine, des lettres écrites sur des plaques de plomb, que l'on attachait aux bras de soldats qui traversaient à la nage la rivière de Scultenna.

8 Le même consul avait des pigeons qu'il tenait quelque temps dans l'obscurité, sans leur donner à manger; puis il leur attachait des lettres au cou, à l'aide d'un crin, et les lâchait le plus près possible des murailles. Ces oiseaux, avides de nourriture et de lumière, gagnaient les plus hauts édifices, et là étaient pris par Brutus, qui savait de cette manière tout ce qui se passait, surtout lorsqu'il les eut habitués à s'abattre en de certains lieux où il faisait déposer pour eux de la nourriture.

XIV. Faire entrer des renforts et des vivres dans la place.

1 Pendant la guerre civile, Ategua, ville d'Espagne du parti de Pompée, étant investie, Munatius, chef temporaire de ce pays, alla dans le camp de César, où il se fit passer pour le secrétaire d'un tribun, demanda d'autorité le mot d'ordre à quelques sentinelles, ce qui lui servit à en tromper d'autres, et, persévérant dans son artifice, introduisit du renfort dans la place, en passant ainsi au milieu des troupes de César.

2 Pendant qu'Hannibal tenait Casilinum assiégé, les Romains emplirent de farine des tonneaux qu'ils abandonnèrent au courant du Vulturne, pour les faire parvenir aux habitants. Hannibal ayant arrêté ces tonneaux au moyen d'une chaîne tendue sur le fleuve, les Romains répandirent des noix que les eaux apportèrent à la ville, et qui fournirent aux assiégés un soutien contre la famine.

3 Hirtius, sachant que ceux de Mutine, assiégés par Antoine, étaient dans une extrême disette de sel, en remplit des barils, qu'il fit entrer dans la ville par le fleuve Scultenna.

4 Le même général confia au courant d'une rivière des troupeaux que reçurent les assiégés, et qui remédièrent à la disette.

XV. Comment on paraît avoir en abondance les choses dont on manque.

1 Les Romains, assiégés dans le Capitole par les Gaulois, et déjà en proie à la famine, jetèrent du pain vers les postes ennemis. En faisant croire par là qu'ils avaient des vivres en abondance, ils purent traîner le siège en longueur jusqu'à l'arrivée de Camille.

2 On dit que les Athéniens en firent autant à l'égard des Lacédémoniens.

3 Ceux qu'Hannibal tenait enfermés à Casilinum, et que l'on croyait réduits à une extrême disette, voyant que le Carthaginois, pour leur ôter jusqu'à l'herbe comme aliment, avait fait passer plusieurs fois la charrue sur le terrain qui séparait son camp de leurs murailles, jetèrent des semences sur ces terres labourées, et par là persuadèrent à l'ennemi qu'ils avaient de quoi se nourrir jusqu'à la récolte.

4 Les troupes qui avaient échappé au désastre de Varus, étant investies par l'ennemi, qui les croyait dépourvues de blé, promenèrent pendant toute une nuit dans leurs magasins les prisonniers qu'ils avaient faits, et les renvoyèrent après leur avoir coupé les mains[107]. Ceux-ci conseillèrent à leurs compagnons de ne pas fonder sur la disette l'espoir de se rendre bientôt maîtres des Romains, attendu qu'ils avaient encore un grand approvisionnement de vivres.

5 Les Thraces, assiégés sur une montagne fort élevée, et inaccessible à l'ennemi, recueillirent entre eux, au moyen d'une contribution par tête, une petite quantité de blé et de laitage, et en firent manger à des moutons qu'ils chassèrent vers les postes ennemis. Ces animaux ayant été pris et tués, on remarqua dans leurs entrailles les vestiges du froment; l'ennemi alors, persuadé que les Thraces avaient de copieuses provisions de blé, puisqu'ils en nourrissaient même leur bétail, abandonna le siège.

6 Thrasybule, général des Milésiens, voyant ses troupes fatiguées du long siège qu'elles soutenaient contre Alyatte, qui espérait les réduire par famine, ordonna que tout le blé de la ville fût apporté sur la place publique avant l'arrivée des députés lydiens qu'il attendait, et fit préparer pour le même temps des festins chez tous les citoyens. En montrant ainsi la ville en fête, il fit croire à l'ennemi qu'il lui restait assez de vivres pour soutenir longtemps encore le siège.

XVI. Comment on prévient les trahisons et les désertions.

1 Cl. Marcellus fut informé que Bantius, de Nole, s'efforçait d'amener ses concitoyens à une défection au profit d'Hannibal, parce que celui-ci, l'ayant trouvé parmi les blessés après la bataille de Cannes, lui avait fait donner des soins, et l'avait renvoyé dans sa patrie. N'osant pas le mettre à mort, de peur que son supplice n'irritât les habitants de Nole, il le fit venir près de lui, et lui dit qu'il était un soldat excellent; que jusqu'alors il ne l'avait pas connu; et, après l'avoir engagé à rester dans son armée, il lui fit présent d'un cheval. Ce bienfait lui assura la fidélité non seulement de Bantius, mais encore de tous ceux de la ville sur lesquels celui-ci avait de l'influence.

2 Hamilcar, général des Carthaginois, voyant les nombreuses désertions de ses auxiliaires gaulois, qui passaient du côté des Romains, où, à cause de la fréquence même du fait, ils étaient reçus comme des alliés, engagea ceux qui lui étaient le plus fidèles à simuler une désertion. Ils le firent, et taillèrent en pièces les Romains qui s'étaient avancés pour les recevoir. Cet artifice, outre le succès qu'il valut alors aux Carthaginois, fut cause que, dans la suite, les véritables transfuges furent suspects aux Romains.

3 Hannon, commandant en Sicile l'armée carthaginoise, apprit que des Gaulois mercenaires, au nombre de quatre mille environ, s'étaient entendus pour passer du côté des Romains, parce qu'ils n'avaient pas reçu leur solde de quelques mois. N'osant sévir contre eux, dans la crainte d'une révolte, il promit de les indemniser généreusement du retard dont ils souffraient. Les Gaulois le remercièrent de cette assurance; et pendant le délai qu'il avait fixé pour l'exécution de ses promesses, il envoya dans le camp du consul Otacilius son trésorier, homme d'une fidélité éprouvée, qui, feignant d'avoir déserté pour quelque désordre dans ses comptes, annonça que quatre mille Gaulois devaient être envoyés au fourrage la nuit suivante, et qu'il serait facile de les surprendre. Otacilius, qui ne voulait ni se fier tout d'abord à un transfuge, ni laisser échapper une pareille occasion, mit en embuscade des troupes d'élite. Les Gaulois tombèrent dans le piège, et remplirent doublement le but d'Hannon: ils tuèrent des Romains, et furent eux-mêmes exterminés jusqu'au dernier.

4 Hannibal imagina une semblable vengeance à l'égard de ses transfuges. Informé que plusieurs soldats avaient déserté la nuit précédente, et sachant aussi qu'il y avait des espions de l'ennemi dans son camp, il dit ouvertement qu'il ne fallait pas donner le nom de transfuges à des hommes adroits qu'il avait envoyés pour pénétrer les desseins de l'ennemi. Ces mots, une fois connus des espions, furent transmis aux Romains, qui saisirent les déserteurs d'Hannibal, leur coupèrent les mains, et les renvoyèrent.

5 Diodore, étant à la tête des troupes qui défendaient Amphipolis, et parmi lesquelles se trouvaient deux mille Thraces qu'il soupçonnait de vouloir piller la ville, annonça faussement que des vaisseaux ennemis, en petit nombre, étaient abordés à la côte voisine, et qu'on pouvait aisément les piller. Excités par l'espoir du butin, les Thraces partirent, et Diodore, ayant fermé les portes, les empêcha de rentrer dans la place.

XVII. Des sorties.

1 Les Romains qui tenaient garnison à Palerme, lorsque Hasdrubal s'avançait pour assiéger cette ville, ne placèrent, à dessein, qu'un petit nombre de soldats sur les remparts. Hasdrubal, enhardi par cette apparente faiblesse, s'approcha, témérairement, et son armée fut taillée en pièces dans une sortie que firent les assiégés.

2 Emilius Paullus, attaqué dans son camp, à l'improviste, par toute l'armée des Liguriens, retint longtemps ses troupes, comme par crainte; ensuite, quand il vit les ennemis fatigués, il fondit sur eux par les quatre portes du camp, les défit, et en prit un grand nombre.

3 Velius[108], qui commandait la garnison romaine dans la citadelle de Tarente, ville assiégée par Hasdrubal, envoya vers celui-ci des députés pour lui demander la vie sauve et la retraite libre. Tandis que, trompés par cette feinte, les ennemis se tenaient peu sur leurs gardes, Velius fit tout à coup une sortie, et les tailla en pièces.

4 Cn. Pompée, investi dans son camp près de Dyrrachium, non seulement dégagea son armée, mais encore, dans une sortie pour laquelle il avait bien choisi le temps et le lieu, enveloppa César, au moment où celui-ci livrait une impétueuse attaque à un fort[109] que défendait un double retranchement; en sorte que, placé entre ceux qu'il attaquait et ceux qui étaient venus l'enfermer, César courut un grand danger, et perdit beaucoup de monde.

5 Flavius Fimbria, fortifiant son camp près du Rhyndacus[110], en Asie, contre le fils de Mithridate, fît tirer des tranchées le long des flancs et vers la tête de ses retranchements, au dedans desquels il tint ses troupes immobiles, jusqu'à ce que la cavalerie des ennemis se fût engagée dans les intervalles étroits de ses fortifications; alors il fit une sortie, et leur tua six mille hommes.

6 Pendant la guerre des Gaules[111], C. César, informé, de la part de Q. Cicéron, que les lieutenants Titurius Sabinus et; Cotta avaient été battus par Ambiorix, et que celui-ci le tenait lui- même assiégé, marcha à son secours avec deux légions. Après avoir d'abord attiré l'ennemi contre lui seul, il feignit de craindre, et retint ses soldats dans son camp, auquel il avait donné, à dessein, moins d'étendue qu'à l'ordinaire. Les Gaulois, qui comptaient déjà sur la victoire, et en voulaient au butin, se mirent à combler le fossé, et arrachèrent les palissades. Aussitôt le combat commença; et les troupes de César, tombant sur eux de tous côtés, en firent un grand carnage.

7 Titurius Sabinus, ayant en tête une nombreuse armée de Gaulois, retint la sienne dans ses retranchements, pour faire croire aux ennemis qu'il avait peur; et, afin de le leur persuader, il envoya au milieu d'eux un faux transfuge, qui leur affirma que les Romains, réduits au désespoir, se disposaient à fuir. Les barbares, excités par l'espérance de la victoire, se chargèrent de bois et de fascines pour combler les fossés, et se dirigèrent à pas de course vers notre camp, qui était situé sur une colline. Alors toutes les troupes de Titurius s'élancèrent à la fois sur eux, en tuèrent un grand nombre, et firent beaucoup de prisonniers.

8 Les habitants d'Asculum, que Pompée allait assiéger, ne firent paraître sur leurs murailles qu'un petit nombre de vieillards infirmes; et, après avoir par là inspiré de la sécurité aux Romains, ils sortirent tout à coup, et les mirent en fuite.

9 Les Numantins, au lieu de déployer leur armée sur les remparts, lorsqu'ils furent assiégés par Popillius Lénas se tinrent renfermés dans l'intérieur de la ville, afin d'amener l'ennemi à tenter l'escalade. Popillius, qui ne trouva pas même de résistance sur les murailles, soupçonna quelque piège; et, au moment où il donnait le signal de la retraite, les assiégés firent une sortie, et tombèrent sur ses troupes, qui descendaient des remparts et prenaient déjà la fuite.

XVIII. De la résolution des assiégés.

1 Les Romains, pour montrer de la confiance pendant qu'Hannibal était devant les murs de Rome, firent sortir, par une porte opposée à son camp, des recrues destinées aux armées qu'ils avaient en Espagne.

2 Le maître du champ où campait Hannibal étant mort, le terrain fut mis en vente et porté, par les enchères, au prix où il avait été acheté avant la guerre.

3 Pendant que Rome était assiégée par Hannibal, les Romains, de leur côté, faisaient le siège de Capoue, et décrétaient que, tant que cette ville ne tomberait pas en leur pouvoir, l'armée ne serait point rappelée.

LIVRE QUATRIÈME.

PRÉFACE.

Après avoir recueilli des stratagèmes, fruits de mes nombreuses lectures, et les avoir classés avec un soin scrupuleux, pour remplir les promesses des trois premiers livres, si toutefois je les ai remplies, je vais présenter dans celui-ci des exemples qu'il ne me paraissait guère possible de faire entrer dans le même cadre que les autres, parce qu'ils appartiennent plutôt à la stratégie qu'aux stratagèmes[112]: aussi, malgré leur importance, ils ont dû être séparés des premiers, étant d'une nature différente au fond; et, si je les rapporte, c'est dans la crainte que le lecteur qui, par hasard, en rencontrerait ailleurs quelques-uns ne soit entraîné, par des ressemblances, à me reprocher des lacunes[113]. C'est donc un complément que je dois donner; et dans ce livre, comme dans les autres, je m'efforcerai d'observer les divisions par espèces.

Chapitres

I De la discipline.

II Effets de la discipline.

III De la tempérance et du désintéressement.

IV De la justice.

V De la fermeté de courage.

VI De la bonté et de la modération.

VII Instructions diverses sur la guerre.

I De la discipline.

1 P. Scipion, arrivé devant Numance, releva dans l'armée la discipline[114], qui était tombée par la négligence des chefs précédents. Il renvoya un grand nombre de valets, et ramena les soldats à l'habitude du devoir, en les soumettant chaque jour à de pénibles exercices. Il leur imposait des courses fréquentes, les obligeant à porter les provisions de plusieurs jours, en sorte qu'ils s'accoutumèrent à endurer le froid et la pluie, et à traverser à pied les gués des rivières. Souvent il leur reprochait, leur mollesse et leur manque de courage, et brisait les meubles qu'il trouvait trop recherchés, ou peu utiles dans les expéditions. Il agit de cette manière, notamment à l'égard du tribun C. Memmius, à qui, dit-on, il adressa ces paroles: «Tu ne seras que peu de temps inutile à la république et à moi, mais tu le seras toujours à toi-même.»

2 Q. Metellus, dans la guerre contre Jugurtha, rétablit, par une semblable sévérité, la discipline relâchée de ses troupes, et alla jusqu'à défendre aux soldats d'user d'autre viande que de celle qu'ils auraient eux-mêmes fait rôtir ou bouillir.

3 On rapporte que Pyrrhus dit à son recruteur: «Choisis-les grands; moi, je les rendrai forts.»

4 Sous le consulat de L. Flaccus et de C. Varron, les soldats furent, pour la première fois, obligés au serment. Auparavant les tribuns n'exigeaient d'eux qu'un simple engagement; du reste, ils juraient tous ensemble que la fuite et la crainte ne leur feraient jamais quitter leurs étendards, et qu'ils ne sortiraient des rangs que pour saisir un javelot, frapper un ennemi, ou sauver un citoyen.

5 Scipion l'Africain dit à un soldat dont le bouclier était trop élégamment paré, qu'il n'était pas surpris de voir qu'il eût orné avec tant de soin une arme sur laquelle il comptait plus que sur son épée.

6 Philippe, dès la première organisation de son armée, supprima l'usage des chariots, et n'accorda qu'un valet à chaque cavalier, et un à dix fantassins, pour porter les cordes des tentes et les meules à blé. Quand on entrait en campagne, il faisait porter à chaque soldat de la farine pour trente jours.

7 C. Marius, voulant retrancher les équipages, qui ne sont pour l'armée qu'un très grand embarras, fit mettre en paquets, et attacher sur des fourches, le bagage et les vivres des soldats, qui avaient ainsi un fardeau facile à porter, et dont ils pouvaient aisément se décharger: de là vient le proverbe des mulets de Marius.

8 Lorsque Théagène, général athénien, marchait contre Mégare, les soldats lui ayant demandé leurs rangs, il répondit qu'il les leur donnerait près de la ville; puis il envoya secrètement en avant ses cavaliers, avec ordre de retourner ensuite et de s'avancer, comme des ennemis, contre leurs compagnons. Pendant que cet ordre s'exécutait, il avertit les soldats de se préparer à soutenir l'attaque, et permit d'établir l'ordre de bataille de telle manière que chacun prît la place qu'il voudrait. Les plus lâches s'étant aussitôt portés en arrière, tandis que les plus braves étaient accourus aux premiers rangs, il voulut que chacun gardât dans les lignes la place où il se trouvait alors.

9 Lysandre, général lacédémonien, faisant châtier un soldat qui s'était écarté de la route, celui-ci lui affirma que ce n'était point pour piller qu'il s'était éloigné de l'armée: «Je ne veux pas même, répondit Lysandre, que l'on puisse le soupçonner.»

10 Antigone, informé que son fils s'était logé chez une femme qui avait trois filles d'une grande beauté, lui dit: «J'apprends, mon fils, que vous êtes à l'étroit dans une maison habitée par plusieurs maîtres; prenez un logement plus spacieux.» Et quand il l'eut fait sortir, il défendit à quiconque aurait moins de cinquante ans, de loger chez une mère de famille.

11 Le consul Q. Metellus, qu'aucune loi n'empêchait de conserver toujours son fils auprès de lui, aima mieux cependant qu'il s'acquittât de son service comme soldat.

12 Le consul P. Rutilius, à qui les lois permettaient d'avoir son fils attaché à sa personne, le fit soldat dans une légion.

13 M. Scaurus, apprenant que son fils avait lâché pied devant l'ennemi, dans la forêt de Trente, lui défendit de venir en sa présence. Le jeune homme, ne pouvant supporter cet affront, se donna la mort.

14 Autrefois les Romains, comme les autres nations, campaient par cohortes, et formaient çà et là des espèces de hameaux, les villes alors étant seules fortifiées. Pyrrhus, roi d'Épire, fut le premier qui enferma une armée entière dans une même enceinte retranchée[115]. Les Romains ayant défait ce prince dans les plaines Arusiennes, près de Bénévent, s'emparèrent de son camp, dont ils étudièrent la disposition, et en vinrent peu à peu à cet art de camper qu'ils pratiquent aujourd'hui.

15 P. Scipion Nasica, n'ayant pas besoin de vaisseaux, occupa cependant ses soldats à en construire pendant un quartier d'hiver, craignant que l'inaction ne les perdît, et que, dans la licence qui accompagne l'oisiveté, ils ne fissent quelque injure aux alliés.

16 M. Caton a écrit que l'on coupait la main droite aux soldats convaincus d'avoir volé leurs compagnons, et que, si on voulait les punir moins sévèrement, on leur tirait, du sang devant la tente du général.

17 Cléarque, général lacédémonien, disait à ses soldats qu'ils devaient redouter leur général plus que l'ennemi: il voulait leur faire entendre que pour ceux qui se seraient retirés du combat par crainte d'une mort douteuse, il y aurait un supplice certain.

18 D'après l'avis d'Appius Claudius, le sénat, pour punir des prisonniers renvoyés par Pyrrhus, roi d'Épire, mit les cavaliers dans l'infanterie, les fantassins dans les troupes légères, et tous eurent ordre de camper hors des retranchements, jusqu'à ce qu'ils eussent rapporté chacun les dépouilles de deux ennemis.

19 Le consul Otacilius Crassus ordonna que ceux qu'Hannibal avait fait passer sous le joug fussent, à leur retour, campés hors des fortifications, afin que, se trouvant ainsi exposés, ils s'accoutumassent au danger, et devinssent plus hardis devant l'ennemi.

20 Sous le consulat de P. Cornélius Nasica et de D. Junius, les soldats qui avaient déserté leurs étendards étaient, après condamnation, battus de verges, et vendus publiquement.

21 Lorsque Domitius Corbulon faisait la guerre en Arménie, deux corps de cavalerie et trois cohortes de son armée ayant tout d'abord lâché pied devant l'ennemi, près d'un château, il leur ordonna de camper hors du retranchement jusqu'à ce que, par des efforts constants et d'heureuses escarmouches, ils eussent fait oublier cette honteuse conduite.

22 Le consul Aurelius Cotta ayant, dans une pressante nécessité, donné l'ordre à des chevaliers d'aider à fortifier le camp, et une partie de ceux-ci s'y étant refusés, il en porta plainte aux censeurs, qui leur infligèrent des notes d'infamie. Il obtint ensuite du sénat qu'on ne leur payât point la solde pour leurs services passés. L'affaire fut même portée devant le peuple par les tribuns, et tous les citoyens concoururent, par leur avis unanime, à l'affermissement de la discipline.

23 Q. Metellus le Macédonique, faisant la guerre en Espagne, ordonna aux soldats de cinq cohortes qui avaient abandonné leur position à l'ennemi, de faire leur testament[116], et d'aller reprendre ce poste, les menaçant de ne pas les recevoir au camp, s'ils ne revenaient victorieux.

24 Le sénat ordonna que l'armée qui avait été battue près du Siris, serait conduite par le consul P. Valerius, près de Firmum, afin qu'elle y établît son camp, et qu'elle passât l'hiver sous les tentes; et, comme elle s'était honteusement laissé mettre en déroute, le sénat décida qu'on ne lui enverrait aucun renfort, jusqu'à ce qu'elle eût vaincu l'ennemi, et fait des prisonniers.

25 Des légions qui, pendant une des guerres Puniques, n'avaient pas fait leur devoir, furent, par un décret du sénat, reléguées en Sicile, où elles ne reçurent que de l'orge pendant sept années.

26 C. Titius, chef de cohorte, ayant abandonné sa position à l'ennemi, dans la guerre des esclaves fugitifs, L. Pison l'obligea de se tenir tous les jours devant le prétoire, vêtu d'une toge sans ceinture, la tunique déliée et les pieds nus, jusqu'au moment de la garde de nuit, et lui interdit les repas en commun, ainsi que les bains.

27 Sylla condamna une cohorte et ses centurions à se tenir debout devant le prétoire, le casque en tête, mais sans ceinture, pour s'être laissé enlever leur position par l'ennemi.

28 Domitius Corbulon, en Arménie, voulant punir Emilius Rufus, général de cavalerie, qui avait lâché pied devant l'ennemi, et dont les troupes étaient mal armées, lui fit déchirer les vêtements par un licteur, et le condamna à se tenir, dans cet état déshonorant, devant la tente prétorienne, jusqu'à ce que tout le monde se fût retiré.

29 Atilius Regulus, allant du Samnium vers Lucérie, s'aperçut que ses soldats prenaient la fuite à la vue de l'ennemi, qui était venu à sa rencontre. Aussitôt il rangea devant son camp une cohorte à laquelle il ordonna de tuer, comme déserteur, quiconque abandonnerait le champ de bataille.

30 En Sicile, le consul Cotta fit battre de verges Valerius, tribun militaire, de l'illustre famille Valeria.

31 Le même consul, ayant chargé P. Aurelius, son parent, de la conduite du siège de Lipara, pendant qu'il allait lui-même chercher de nouveaux auspices à Messine, le fit battre de verges, pour avoir laissé incendier ses retranchements, et prendre son camp, le mit au nombre des fantassins, et lui imposa le service de simple soldat.

32 Le censeur Fulvius Flaccus exclut du sénat[117] son frère Fulvius, qui, sans l'ordre du consul, avait congédié une légion dans laquelle il était lui-même tribun.

33 M. Caton, ayant donné trois fois le signal du départ, s'éloignait avec sa flotte d'un rivage ennemi où il avait campé quelques jours, lorsqu'un soldat, qui était resté à terre, demanda, par des cris et des gestes, qu'on vînt le prendre. Caton, après avoir ramené à la côte tous ses vaisseaux, ordonna qu'il fût saisi, et mis à mort, aimant mieux le faire servir d'exemple, que de le laisser ignominieusement immoler par les ennemis.

34 Appius Claudius décima des soldats qui avaient pris la fuite, et ceux que le sort désigna périrent sous le bâton[118].

35 Deux légions ayant abandonné le champ de bataille, le consul Fabius Rullus fit désigner par le sort, dans chacune, vingt soldats qui eurent la tête tranchée en présence de l'armée.

36 Aquillius fit périr de la même manière trois hommes par centurie, de troupes qui s'étaient laissé forcer dans leur poste par l'ennemi.

37 M. Antoine, dont le retranchement avait été brûlé par l'ennemi, décima les deux cohortes qui étaient alors chargées de la garde des ouvrages, fit mettre à mort un centurion de chacune, et congédia honteusement le chef de la légion, dont les soldats ne reçurent que de l'orge pour ration.

38 Une légion ayant, d'après l'ordre de son chef[119], mis à sac la ville de Rhegium, ses quatre mille soldats furent emprisonnés et envoyés au supplice. Le sénat défendit même, par un décret, de leur donner la sépulture, et de pleurer leur mort.

39 Le dictateur L. Papirius Cursor voulait que l'on battît de verges et que l'on fît mourir sous la hache Fabius Rullus, maître de la cavalerie, pour avoir, quoique avec succès, combattu malgré ses ordres. Sans rien accorder ni aux prières, ni aux instances des soldats, il le poursuivit à Rome, où il s'était réfugié; et là le dictateur ne fit grâce du supplice à Fabius, que lorsque celui- ci vint avec son père se jeter à ses genoux, et que le sénat et le peuple[120], d'un commun accord, intercédèrent pour lui.

40 Manlius, qui dès lors fut surnommé Imperiosus, fit battre de verges et frapper de la hache son fils, qui avait engagé, contrairement à ses ordres, un combat où cependant il avait été vainqueur[121].

41 Le jeune Manlius, voyant les soldats disposés à se révolter en sa faveur contre son père, leur dit qu'il n'y avait personne dont la vie fût assez précieuse pour faire renverser la discipline; et il obtint d'eux qu'ils lui laisseraient subir sa peine.

42 Q. Fabius Maximus fit couper la main droite à des transfuges.

43 Lorsque le consul C. Curion allait faire la guerre aux Dardaniens, une des cinq légions qu'il commandait se révolta près de Dyrrachium, en se refusant au service, et en déclarant qu'elle ne suivrait pas ce chef téméraire dans une expédition si pénible et si dangereuse, il ordonna aux quatre autres légions de sortir du camp, et de se mettre en ordre de bataille, les armes à la main, comme pour combattre; ensuite il fit avancer la légion rebelle, sans armes et sans ceinturons, en présence de toute l'armée, et l'obligea de faucher la litière pour les chevaux. Le lendemain il ôta encore les ceinturons aux soldats, leur fit creuser un fossé, et, insensible à toutes les prières de cette légion, il lui enleva ses enseignes, abolit même son nom, et incorpora dans les autres légions les soldats qui la composaient.

44. Sous le consulat de Q. Fulvius et d'Appius Claudius, les soldats qui, après la bataille de Cannes, avaient été relégués en Sicile par ordre du sénat, supplièrent[122] M. Marcellus de les envoyer contre l'ennemi. Marcellus consulta le sénat. Il lui fut répondu qu'on ne jugeait pas à propos de confier les intérêts de la république à des hommes qui les avaient abandonnés. Toutefois, on autorisa Marcellus à faire ce qui lui paraîtrait convenable, à condition qu'aucun de ces soldats ne serait exempté du service, ne recevrait ni solde, ni récompense, et ne repasserait en Italie, tant que les Carthaginois y resteraient.

45 M. Salinator, après son consulat, fut condamné par le peuple, pour avoir partagé inégalement le butin entre les soldats.

46 Le consul Q. Petillius ayant été tué dans un combat contre les Liguriens, il fut décrété par le sénat que la légion à la tête de laquelle ce consul était mort serait tout entière signalée comme ayant manqué à son devoir[123]; qu'on lui retrancherait la solde d'une année, et que ce temps de service ne lui serait pas compté.

II. Effets de la discipline.

1 On rapporte que pendant la guerre civile, lorsque les armées de Brutus et de Cassius traversaient ensemble la Macédoine, celle de Brutus arriva avant l'autre près d'une rivière sur laquelle il fallait jeter un pont, et que cependant celle de Cassius eut le sien plus tôt achevé, et passa la première. Une discipline ferme avait donné aux soldats de Cassius la supériorité sur ceux de Brutus, non seulement pour de semblables ouvrages, mais encore pour les actions les plus importantes de la guerre.

2 C. Marius, pouvant choisir entre deux armées qui avaient été commandées, l'une par Rutilius, l'autre par Metellus, et toutes deux par lui-même, opta pour celle de Rutilius, quoiqu'elle fût la moins nombreuse, sachant qu'elle était la mieux disciplinée.

3 Domitius Corbulon, n'ayant que deux légions, et fort peu de troupes auxiliaires, fut en état, grâce à la discipline qu'il avait rétablie, de soutenir la guerre contre les Parthes.

4 Alexandre, à la tête de quarante mille hommes, que déjà Philippe[124], son père, avait habitués à la discipline, entreprit la conquête du monde, et vainquit des armées innombrables.

5 Cyrus, faisant la guerre aux Perses avec quatorze mille hommes, surmonta les plus grandes difficultés[125].

6 Épaminondas[126], général thébain, à la tête de quatre mille hommes, dont quatre cents cavaliers, battit l'armée lacédémonienne, qui comptait vingt-quatre mille fantassins et seize cents cavaliers.

7 Quatorze mille Grecs, qui étaient venus au secours de Cyrus contre Artaxerxès, défirent cent mille barbares.

8 Ces mêmes quatorze mille Grecs, ayant perdu leurs chefs dans un combat, confièrent le soin de leur retraite à l'Athénien Xénophon, l'un d'eux, qui les ramena sains et saufs, à travers des lieux dangereux qu'ils ne connaissaient pas.

9 Xerxès, arrêté aux Thermopyles par les trois cents Spartiates, dont il ne put triompher qu'avec beaucoup de peine, dit qu'on l'avait trompé: qu'il avait beaucoup d'hommes, mais de soldats aguerris et disciplinés, point.

III. De la tempérance et du désintéressement.

1 M. Caton se contentait, dit-on, du vin des rameurs.

2 Fabricius, à qui Cinéas, ambassadeur d'Épire, offrait une grande quantité d'or, la refusa, et dit qu'il aimait mieux commander à ceux qui avaient de l'or, que d'en avoir lui-même.

3 Atilius Regulus, après avoir occupé les premières charges de la république, était si pauvre, qu'il n'avait pour vivre, avec sa femme et ses enfants, qu'une petite terre cultivée par un seul fermier. Ayant appris la mort de celui-ci, il écrivit au sénat pour demander un successeur dans le commandement, attendu que son bien, laissé à l'abandon par la mort de ce serviteur, réclamait sa présence.

4 Cn. Scipion, après ses succès en Espagne, mourut tellement pauvre, qu'il ne laissa pas même une somme suffisante pour marier ses filles[127]. Le sénat, touché de leur indigence, les dota aux frais du trésor.

5 Les Athéniens firent de même à l'égard des filles d'Aristide, qui, après avoir rempli les charges les plus importantes, mourut dans une extrême pauvreté.

6 Telle était la tempérance d'Épaminondas, général thébain, que l'on ne trouva chez lui qu'un chaudron, et une seule broche de fer.

7 Hannibal se levait avant le jour, et ne se reposait pas avant la nuit. Il ne soupait que sur le soir, et sa table n'avait pas plus de deux lits[128].

8 Le même, lorsqu'il servait sous le commandement d'Hasdrubal, dormait le plus souvent sur la terre nue, sans autre couverture que son manteau.

9 On rapporte que Scipion Émilien ne prenait pour toute nourriture, pendant les marches, que du pain, qu'il mangeait en se promenant[129] avec ses amis.

10 On en dit autant d'Alexandre le Grand.

11 Nous lisons que Masinissa, à l'âge de quatre vingt-dix ans, prenait ses repas au milieu du jour, debout devant sa tente, ou en se promenant.

12 Lorsque M. Curius eut vaincu les Sabins, un décret du sénat lui ayant accordé une portion de terre plus grande qu'aux vétérans, il n'accepta que la mesure des simples soldats, et dit qu'il n'appartenait qu'à un mauvais citoyen de ne pas se contenter de ce qui suffisait aux autres.

13 Souvent même une armée entière se fit remarquer par sa tempérance, témoin celle qui était commandée par Scaurus. D'après le rapport de ce général, un arbre fruitier, qui se trouvait à l'extrémité de son camp, dans l'enceinte même, fut, le lendemain, laissé intact avec ses fruits, au départ de l'armée.

14 Pendant la guerre qui se fit sous les auspices de l'empereur César Domitien Auguste Germanicus, guerre allumée dans les Gaules par Julius Civilis, l'opulente cité de Langres, ayant embrassé le parti des factieux, craignait, à l'approche de César, d'être livrée au pillage; mais, respectée contre son attente, et n'ayant éprouvé aucune perte, elle rentra dans le devoir, et me fournit soixante-dix mille combattants.

15 L. Mummius, qui, après la prise de Corinthe, enrichit de tableaux et de statues l'Italie et les provinces conquises, fut si éloigné de prendre pour lui une partie de ce précieux butin, que sa fille, qu'il laissa dans la pauvreté, fut dotée par le sénat aux frais du trésor public.

IV. De la justice.

1 Pendant que Camille assiégeait Faléries, un maître d'école emmena hors des murs, sous prétexte d'une promenade, les enfants qui lui étaient confiés, et alla les livrer aux Romains, auxquels il dit que, pour retirer de pareils otages, la ville se soumettrait à toute condition. Non seulement Camille rejeta l'offre perfide de ce maître, mais encore il lui lia les mains derrière le dos, et le fit reconduire à coups de verges par ses élèves, vers leurs parents. Cette générosité lui valut la conquête qu'il ne voulait pas devoir à une trahison: car les Falisques, admirant sa justice, se rendirent à lui volontairement.

2. Le médecin de Pyrrhus, roi d'Épire, étant venu près de Fabricius, qui commandait l'armée romaine, lui promit d'empoisonner son maître, si on lui accordait une récompense proportionnée à ce service. Fabricius, qui répugnait à fonder ses succès sur un semblable forfait, découvrit au roi les intentions coupables de son médecin; et cette loyauté engagea Pyrrhus à rechercher l'amitié des Romains.

V. De la fermeté de courage.

1 Les soldats de Cn. Pompée ayant menacé de piller les trésors que l'on devait porter dans son triomphe, Servilius et Glaucia l'engagèrent à les leur distribuer, pour prévenir cette révolte. Pompée déclara qu'il renoncerait au triomphe, et qu'il mourrait même plutôt que de céder à l'indiscipline. Puis, après avoir vivement réprimandé les soldats, il leur fit présenter ses faisceaux ornés de lauriers, comme pour les engager à commencer le pillage par ces objets. Ils sentirent l'odieux de leur conduite, et rentrèrent dans l'obéissance.

2 Une sédition s'étant élevée dans l'armée de C. César, au milieu du tumulte de la guerre civile, ce général licencia la légion coupable, au moment même de la plus grande effervescence, et fit frapper de la hache les chefs de la révolte. Peu de temps après les soldats licenciés, ayant sollicité auprès de lui et obtenu leur réintégration, se montrèrent dès lors irréprochables.

3 Au moment où Postumius, personnage consulaire, exhortait ses soldats, ils lui demandèrent ce qu'il exigeait d'eux: «Suivez- moi,» leur dit-il; et, saisissant une enseigne, il s'élança le premier contre l'ennemi. Ses troupes le suivirent et remportèrent la victoire.

4 Cl. Marcellus étant tombé, sans s'y attendre, entre les mains des Gaulois, tourna avec son cheval, cherchant par où il pourrait s'échapper; mais, se voyant investi de toutes parts, il adressa une prière aux dieux, et s'élança au milieu des ennemis, les frappa d'étonnement par son audace, tua leur chef, et remporta des dépouilles opimes, lorsqu'il avait à peine l'espoir de se sauver.

5 L. Paullus, à la bataille de Cannes, voyant l'armée perdue, refusa le cheval que lui offrait Lentulus pour fuir, et ne voulut pas survivre à ce désastre, bien qu'on ne pût le lui imputer à lui-même. Épuisé par ses blessures, et appuyé contre une pierre, il resta en cet état jusqu'à ce qu'il expirât sous les coups des ennemis.

6 Varron, son collègue, montra encore plus de résolution, en conservant sa vie après ce malheur; et le peuple, ainsi que le sénat, lui rendit des actions de grâces pour n'avoir pas désespéré de la république. Au reste, toute sa conduite ultérieure prouva qu'il s'était conservé, non par désir de vivre, mais par amour pour la patrie: car il laissa croître sa barbe et ses cheveux, et ne se coucha plus pour prendre ses repas, il refusa même les dignités qui lui étaient conférées par le peuple, disant qu'il fallait à la république des magistrats plus heureux que lui.

7 Après le massacre de Cannes, Sempronius Tuditanus et C. Octavius, tribuns militaires, étant assiégés dans le plus petit des deux camps, conseillèrent à leurs compagnons de mettre l'épée à la main, et de s'échapper à travers les postes ennemis, déclarant que telle était leur résolution, lors même que personne n'oserait sortir avec eux. Au milieu de l'hésitation générale, douze cavaliers seulement et cinquante fantassins eurent le courage de les suivre, et parvinrent sains et saufs à Canusium.

8 En Espagne, T. Fonteius Crassus, étant allé faire du butin avec trois mille hommes, se trouva enfermé par Hasdrubal dans un poste dangereux. À l'entrée de la nuit, n'ayant fait part de son dessein qu'aux premiers rangs, il s'échappa en traversant les postes ennemis, au moment où l'on s'y attendait le moins.

9 Pendant la guerre contre les Samnites, le consul Cornélius Cossus étant surpris par l'ennemi dans un lieu où il courait du danger, le tribun P. Decius lui conseilla de faire occuper une hauteur qui était près de là, par un détachement qu'il s'offrit de commander. L'ennemi, attiré sur cet autre point, laissa échapper le consul, mais enveloppa Decius, et le tint assiégé. Celui-ci triompha encore de cette difficulté par une sortie nocturne, et revint auprès du consul sans avoir perdu un seul homme.

10 Une action semblable a été faite, sous le consulat d'Atilius Calatinus, par un chef dont le nom nous a été diversement transmis. Les uns l'appellent Laberius, quelques autres Q. Ceditius, la plupart Calpurnius Flamma. Voyant les troupes engagées au fond d'une vallée dont toutes les hauteurs étaient occupées par l'ennemi, il demande et obtient trois cents hommes, qu'il exhorte à sauver l'armée par leur courage, et s'élance avec eux au milieu de cette vallée. Les ennemis descendent de toutes parts pour les tailler en pièces; mais, arrêtés par un combat long et acharné, ils laissent au consul le temps de fuir avec son armée.

11 C. César, étant sur le point de combattre les Germains commandés par Arioviste, et voyant le courage de ses troupes abattu, les assembla et leur dit que, dans cette circonstance, la dixième légion seule marcherait à l'ennemi. Par là il stimula cette légion, en lui rendant le témoignage qu'elle était la plus brave, et fit craindre aux autres de lui laisser à elle seule cette glorieuse renommée.

12 Philippe ayant menacé les Lacédémoniens de les priver de tout, s'ils ne lui livraient leur ville, un des principaux citoyens s'écria: «Nous privera-t-il aussi de mourir pour notre patrie?»

13 Léonidas, roi de Lacédémone, à qui l'on disait que les Perses formeraient un nuage par la multitude de leurs flèches, répondit: «Nous combattrons mieux à l'ombre.»

14 Dans un moment où L. Elius, préteur de la ville, rendait la justice, un pivert vint se poser sur sa tête, et les aruspices dirent que si on laissait partir cet oiseau, la victoire serait aux ennemis; que si on le tuait, le peuple romain serait vainqueur, mais L. Elius périrait avec sa famille. Ce chef tua aussitôt l'oiseau, n'hésitant pas à se sacrifier lui-même. Notre armée triompha, et Elius mourut dans le combat, avec quatorze de ses parents. Quelques-uns pensent qu'il s'agit ici, non de L. Elius, mais de Lélius, et que ceux qui perdirent la vie appartenaient à la famille Lélia.

15. Les deux Decius, le père d'abord, et plus tard le fils, se dévouèrent pour la république pendant leur consulat. Ils s'élancèrent avec leurs chevaux au milieu des ennemis, et donnèrent, en mourant, la victoire à leur patrie.

16 P. Crassus, faisant la guerre en Asie contre Aristonicus, tomba au pouvoir de l'ennemi dans une embuscade, entre Élée et Myrina. Emmené vivant, et se voyant avec horreur prisonnier, lui consul romain, il prit le parti d'enfoncer dans l'oeil d'un Thrace commis à sa garde, la baguette dont il se servait pour conduire son cheval; le soldat, irrité par la douleur, perça de son épée Crassus, qui échappa ainsi, selon son désir, à l'opprobre des fers.

17 M. Caton, fils du Censeur, ayant été jeté à terre par une chute de son cheval, s'aperçut, quand il se fut remis en selle, que son épée avait glissé du fourreau. Craignant le déshonneur d'une telle perte, il retourne au milieu des ennemis, et, non sans recevoir quelques blessures, retrouve enfin son arme, et revient près de ses compagnons.

18 Les habitants de Pétilie, assiégés par Hannibal, et manquant de vivres, firent sortir de la ville les vieillards et les enfants; et, réduits à vivre de cuirs qu'ils faisaient tremper et qu'ils grillaient ensuite, de feuilles d'arbres et de la chair de toute espèce d'animaux, ils soutinrent le siège pendant onze mois.

19 Ceux d'Arabriga, en Espagne, supportèrent les mêmes maux, plutôt que de livrer leur ville à Hirtuleius.

20 Lorsque Hannibal assiégeait Casilinum, les habitants furent réduits à une telle extrémité, qu'un rat y fut vendu, dit-on, cent deniers. Le vendeur mourut de faim, et l'acheteur vécut. Malgré cette famine, la ville persévéra dans sa fidélité envers les Romains.

21 Mithridate, assiégeant Cyzique, fit amener ses prisonniers au pied des remparts, dans l'espoir que les habitants, craignant pour le sort de leurs concitoyens, se décideraient à rendre la place; mais les assiégés exhortèrent les captifs à mourir avec courage, et restèrent fidèles aux Romains.

22 Les habitants de Ségovie, dont les femmes et les enfants étaient mis à mort par Viriathe, aimèrent mieux voir égorger ce qu'ils avaient de plus cher, que de rompre leur alliance avec les Romains.

23 Les Numantins, pour ne pas se rendre, s'enfermèrent dans leurs maisons[130], et s'y laissèrent mourir de faim.

VI. De la bonté et de la douceur.

1 Q. Fabius dit à son fils, qui lui conseillait de sacrifier un petit nombre de soldats pour s'emparer d'une position avantageuse: «Veux-tu être de ce petit nombre [131]?»

2 Xénophon, étant à cheval, venait d'ordonner à son infanterie de s'emparer d'une hauteur, lorsqu'il entendit un soldat dire, en murmurant, qu'il était facile à un homme à cheval de commander des choses aussi pénibles. Il descendit aussitôt, fit monter le soldat à sa place, et se dirigea à pied vers le sommet de la montagne. Le soldat, pour échapper à la honte et aux railleries de ses camarades, se hâta de descendre. Quant à Xénophon, toute son armée eut peine à obtenir de lui qu'il reprît son cheval, et qu'il réservât ses forces pour les fonctions nécessaires de général.

3 Alexandre, pendant une marche en hiver, était assis devant un feu, et regardait défiler ses troupes, lorsqu'il aperçut un soldat presque mort de froid. Il lui fit prendre sa place, et lui dit: «Si tu étais né parmi les Perses, ce serait pour toi un crime capital de t'asseoir sur le siège de ton roi; un Macédonien peut se le permettre.»

4 L'empereur Auguste Vespasien, étant informé qu'un jeune homme d'illustre naissance, mais peu propre au métier des armes, était obligé, par le mauvais état de sa fortune, de servir dans les derniers grades de l'armée, lui assura de quoi vivre selon son rang, et lui donna un congé honorable.

VII. Instructions diverses sur la guerre.

1 César suivait contre l'ennemi, disait-il, le système adopté par la plupart des médecins contre les maladies, dont ils triomphent plutôt par la faim que par le fer.

2 Domitius Corbulon prétendait qu'il fallait vaincre l'ennemi avec la doloire, c'est-à-dire par les ouvrages de siège.

3 L. Paullus disait qu'un général devait avoir le caractère d'un vieillard, c'est-à-dire s'arrêter aux résolutions les plus prudentes[132].

4 On reprochait à Scipion l'Africain de ne pas aimer à se battre: «Ma mère, répondit-il, a fait en moi un général, et non un soldat.»

5 C. Marius, provoqué par un Teuton à un combat singulier, lui dit que, s'il était désireux de mourir, une corde pouvait mettre fin à sa vie. Comme le barbare insistait, Marius lui montra un vieux gladiateur, dont la petite taille inspirait le mépris, et lui dit: «Quand tu auras vaincu cet homme, je combattrai contre toi.»

6 Q. Sertorius, sachant par expérience qu'il ne pouvait résister aux forces réunies des Romains, et voulant le prouver aux barbares ses alliés, qui demandaient témérairement le combat, fit amener en leur présence deux chevaux, l'un plein de vigueur, l'autre extrêmement faible, auprès desquels il plaça deux jeunes gens qui offraient le même contraste, l'un robuste, l'autre chétif; et il ordonna au premier d'arracher d'un seul coup la queue entière du cheval faible, au second de tirer un à un les crins du cheval vigoureux. Le jeune homme chétif s'étant acquitté de sa tâche, tandis que l'autre luttait inutilement avec la queue du cheval faible: «Soldats, s'écria Sertorius, je vous ai montré, par cet exemple, ce que sont les légions romaines: invincibles quand on les prend en masse, elles seront bientôt affaiblies et taillées en pièces, si elles sont attaquées séparément.»

7 Le consul Valerius Lévinus, qui avait une grande confiance en ses troupes, ordonna de promener dans son camp un espion que l'on y avait surpris; et, pour intimider les ennemis, il déclara qu'il leur permettait de faire observer son armée par leurs espions toutes les fois qu'ils le voudraient.

8 Le primipile Célius, qui, après la défaite de Varus, en Germanie, servit de général à notre armée investie par les barbares, craignait que ceux-ci n'approchassent de ses retranchements du bois qu'ils avaient amassé, et n'incendiassent son camp. Il feignit de manquer de bois lui-même, et, envoyant de tous côtés des soldats pour en enlever, il réussit à faire éloigner de là, par les Germains, tous les troncs d'arbres qu'ils y avaient réunis.

9 Dans un combat naval, Cn. Scipion lança sur les vaisseaux ennemis des vases remplis de poix et de résine, dont la chute devait faire un double mal, et par leur pesanteur, et par les matières inflammables qu'ils répandaient.

10 Hannibal enseigna au roi Antiochus[133] à jeter sur les vaisseaux ennemis de petits vases pleins de vipères, pour épouvanter les soldats, et leur faire abandonner le combat et la manoeuvre.

11 Prusias recourut à ce moyen au moment où sa flotte commençait à fuir.

12 M. Porcius, ayant pris de vive force un vaisseau carthaginois, fit main basse sur ceux qui le montaient, donna leurs armes à ses soldats, qu'il revêtit de leurs dépouilles; et, trompant l'ennemi par ce déguisement, il parvint à couler à fond plusieurs de leurs navires.

13 Les Athéniens, dont le territoire était de temps en temps ravagé par les Lacédémoniens, profitèrent des jours pendant lesquels on célébrait, hors de leur ville, les fêtes de Minerve, pour sortir avec toute l'apparence du culte ordinaire, mais avec des armes cachées sous leurs habits. Au lieu de rentrer à Athènes quand leurs cérémonies furent achevées, ils allèrent tout à coup se jeter sur le pays des Lacédémoniens au moment où ceux-ci craignaient le moins cette irruption, et ravagèrent à leur tour les terres de ces ennemis, qui avaient si souvent dévasté les leurs.

14 Cassius, ayant des vaisseaux de charge qui ne lui étaient plus d'une grande utilité, y mit le feu, et les dirigea, par un vent favorable, sur la flotte ennemie, qu'il incendia de cette manière.

15 Lorsque M. Livius eut défait Hasdrubal, on lui conseillait de poursuivre et de détruire entièrement les débris de l'armée ennemie: «Laissons — en échapper quelques-uns, répondit-il, pour annoncer notre victoire.»

16 Scipion l'Africain disait souvent qu'il fallait non seulement laisser la retraite libre à l'ennemi, mais encore la lui rendre sûre.

17 Pachès, général athénien, promit aux ennemis de leur laisser la vie sauve, s'ils déposaient le fer; et, quand ils se furent soumis à cette condition, il fit mettre à mort tous ceux qui avaient des agrafes de fer[134] à leurs manteaux.

18 Hasdrubal, étant entré sur le territoire des Numides dans l'intention de les soumettre, et les ayant trouvés prêts à se défendre, leur affirma qu'il était venu dans le seul but de prendre des éléphants, animaux communs dans cette contrée. Ils lui permirent cette chasse, à condition qu'il ne les inquiéterait point; et quand, sur la foi de sa promesse, leur armée se fut dissoute, il les attaqua et les réduisit sous sa domination.

19 Alcétas, général de Lacédémone, voulant enlever aux Thébains un convoi de vivres, tint sa flotte prête, mais cachée, et se mit à exercer ses rameurs tour à tour sur la même galère, comme s'il n'eût pas eu d'autres navires. Quelque temps après, lorsque les vaisseaux des Thébains passèrent, il s'élança sur eux avec, toute sa flotte, et s'empara du convoi.

20 Ptolémée, ayant en tête Perdiccas, dont l'armée était plus forte que la sienne, attacha du sarment à tous ses bestiaux, pour le leur faire traîner, les mit sous la conduite de quelques cavaliers, et les précéda lui-même avec ses troupes. La poussière soulevée par ces animaux ayant fait croire aux ennemis que Ptolémée était suivi d'une armée nombreuse, ils en prirent l'épouvante et se laissèrent vaincre.

21 Myronide, général athénien, sur le point d'en venir aux mains avec les Thébains, qui lui étaient supérieurs en cavalerie, apprit à ses soldats que dans les combats en plaine on peut sauver sa vie si l'on tient ferme, mais qu'il est très dangereux de lâcher pied. Il leur donna par là de la résolution, et remporta la victoire.

22 L. Pinarius commandait la garnison romaine à Henna, en Sicile, lorsque les clefs des portes, dont il s'était emparé, lui furent redemandées par les magistrats de la ville. Comme il les soupçonnait d'être disposés à embrasser le parti des Carthaginois, il demanda une nuit pour réfléchir; et, après avoir instruit ses soldats de la perfide intention des Siciliens, il leur ordonna de se tenir prêts pour le lendemain, et d'être attentifs au signal qu'il leur donnerait. Les magistrats s'étant présentés dès le point du jour, il leur promit de rendre les clefs, si tel était le désir unanime des habitants d'Henna. Aussitôt le peuple entier se réunit au théâtre, demanda à grands cris les clefs, et manifesta ainsi la résolution de quitter le parti des Romains. Alors Pinarius donna aux soldats le signal convenu, et tous les habitants furent massacrés.

23 Iphicrate, général athénien, ayant donné à sa flotte l'apparence de celle des ennemis, se dirigea vers une ville alliée dont la fidélité lui était suspecte. Les démonstrations de joie avec lesquelles il fut accueilli lui ayant dévoilé la perfidie des habitants, il livra la ville au pillage.

24 Tib. Gracchus ayant déclaré que ceux des esclaves volontaires[135] de son armée qui se montreraient braves recevraient leur liberté, et que les lâches seraient mis en croix, quatre mille d'entre eux, qui avaient combattu avec peu d'ardeur, s'étaient réunis sur une colline fortifiée, par crainte du châtiment. Il leur envoya dire que tout le corps des volontaires était victorieux à ses yeux, puisque l'ennemi avait été mis en déroute; et, après les avoir ainsi affranchis des effets de sa menace[136] et de toute crainte, il les reçut dans le camp.

25 Après la bataille de Thrasymène, qui fut si désastreuse pour les Romains, six mille hommes s'étant rendus à Hannibal par une capitulation, il renvoya généreusement dans leurs villes les alliés latins, en leur disant qu'il ne faisait la guerre que dans le but de rendre la liberté à l'Italie[137]: ce moyen lui valut, par leur intervention, la soumission de quelques peuples.

26 Pendant que Cincius, chef de la flotte romaine, assiégeait Locres, Magon répandit le bruit dans notre camp que Marcellus était tué; qu'Hannibal arrivait pour faire lever le siège; et bientôt après des cavaliers, qu'il avait fait sortir secrètement de la place, vinrent se montrer sur les hauteurs qui étaient en vue des remparts. Cet artifice réussit: Cincius, persuadé que c'était Hannibal qui venait, se rembarqua et prit la fuite.

27 Scipion Émilien, au siège de Numance, plaça des archers et des frondeurs, non seulement dans les intervalles des cohortes, mais encore entre les centuries[138].

28 Pélopidas, général thébain, mis en fuite par les Thessaliens, franchit une rivière à l'aide d'un pont volant, qu'il fit brûler ensuite par son arrière-garde, pour ne pas laisser le même moyen de passage à l'ennemi qui le poursuivait.

29 La cavalerie romaine ne pouvant nullement tenir tête à celle des Campaniens, Q. Névius, centurion de l'armée du proconsul Fulvius Flaccus, imagina de choisir dans toutes les troupes les soldats de petite taille qui paraissaient les plus agiles, de les armer de boucliers courts, de casques légers, d'épées, et de sept javelots longs de quatre pieds environ, de les mettre en croupe derrière les cavaliers, et de les faire avancer jusqu'aux murailles[139], où, mettant pied à terre, ils devaient combattre la cavalerie ennemie. Cette manoeuvre fit beaucoup de mal aux Campaniens, surtout à leurs chevaux, qui furent mis en désordre, et notre armée remporta facilement la victoire.

30 P. Scipion, en Lydie, voyant qu'une pluie qui était tombée jour et nuit avait incommodé l'armée d'Antiochus, au point que, non seulement les hommes et les chevaux n'avaient plus de forces, mais encore que les arcs, dont les cordes étaient mouillées, devenaient inutiles, engagea son frère à livrer le combat le lendemain, quoique ce fût un jour néfaste. La victoire fut le résultat de cet avis[140].

31 Pendant que Caton ravageait l'Espagne, une députation des Ilergètes, peuple allié des Romains, vint lui demander du secours. Ne voulant ni les mécontenter par un refus, ni affaiblir ses forces en les divisant, il ordonna au tiers de ses soldats de prendre des vivres et de s'embarquer, mais avec la recommandation expresse de revenir sur leurs pas, en prétextant que les vents étaient contraires. Pendant ce temps, la nouvelle que du secours arrivait rendit le courage aux Ilergètes, et renversa les projets de leurs ennemis.

32 C. César, voyant qu'il y avait dans l'armée de Pompée un grand nombre de chevaliers romains qui, par leur habileté à manier les armes, lui tuaient beaucoup de monde, ordonna à ses troupes de leur porter des coups d'épée au visage et dans les yeux. Il réussit par ce moyen à leur faire prendre la fuite.

33 Les Vaccéens, pressés dans un combat par Sempronius Gracchus, formèrent autour d'eux une enceinte de chariots, dans lesquels ils placèrent leurs meilleurs soldats habillés en femmes. Sempronius, croyant n'avoir affaire qu'à des femmes, s'avança témérairement pour les envelopper; mais ceux qui étaient sur les chariots reprirent l'offensive, et mirent ses troupes en fuite.

34 Eumène, de Cardie, un des successeurs d'Alexandre, étant assiégé dans un château où il ne pouvait exercer ses chevaux, avait soin, chaque jour, et aux mêmes heures, de les suspendre de telle manière, que, appuyés sur leurs pieds de derrière, et ayant en l'air ceux de devant, ils s'agitaient violemment en tout sens, et se mettaient en sueur pour reprendre leur position naturelle.

35 M. Caton, à qui des barbares s'engageaient à fournir des guides, et même des renforts, pourvu qu'on leur donnât une somme considérable, n'hésita point à la promettre, parce que, s'ils étaient vainqueurs, il pouvait les payer avec le butin fait sur l'ennemi, et que, s'ils périssaient dans le combat, il était dégagé de sa promesse.

36 Statilius, cavalier recommandable par ses services, se disposant à passer du côté de l'ennemi, Q. Fabius Maximus le fit appeler, et, après lui avoir dit, par forme d'excuse, que la jalousie de ses camarades lui avait laissé jusqu'alors ignorer son mérite, lui fit présent d'un cheval et d'une somme d'argent. Cet homme, que le sentiment de ses torts avait amené tremblant, sortit plein de joie; et, de chancelant, il devint dès lors aussi fidèle qu'il était brave.

37 Philippe, ayant appris qu'un certain Pythias, excellent guerrier, était devenu son ennemi, parce que, dans sa pauvreté, ayant peine à nourrir ses trois filles, il ne recevait de ce roi aucun subside, répondit à ceux qui lui conseillaient de se défaire de cet homme: «Quoi! si un de mes membres était malade, le couperais-je plutôt que de le guérir?» Ensuite il fit venir secrètement ce Pythias, le reçut avec bonté; et, après lui avoir fait exposer l'état malheureux de ses affaires, il lui donna de l'argent, et le rendit par là plus fidèle et plus dévoué qu'il n'était avant qu'il eût à se plaindre.

38 Après le malheureux combat contre les Carthaginois, où Marcellus perdit la vie, T. Quinctius Crispinus, ayant appris que l'anneau de son collègue était entre les mains d'Hannibal, informa toutes les villes d'Italie qu'elles avaient à se défier des lettres qu'elles recevraient sous le sceau de Marcellus. Cette précaution fit échouer les tentatives d'Hannibal à Salapie et dans d'autres villes.

39 Après le désastre de Cannes, le courage des Romains était tellement abattu, qu'une grande partie des débris de l'armée, entraînée par plusieurs citoyens des premières familles, formait la résolution de quitter l'Italie. F. Scipion, encore très jeune, accourut, et, dans l'assemblée même où l'on délibérait, déclara qu'il allait tuer de sa propre main quiconque ne jurerait pas de ne point abandonner la république. Après avoir lui-même prononcé le serment, il tira son épée, menaça d'immoler un de ceux qui étaient le plus près de lui, s'il n'en faisait autant, et força celui-ci par la crainte, les autres par l'exemple, à prendre le même engagement.

40 Les Volsques étant campés dans un lieu environné de broussailles et de bois, Camille incendia tout ce qui pouvait porter la flamme jusqu'à leurs retranchements, et les obligea ainsi d'abandonner le camp.

41 Pendant la guerre Sociale, P. Crassus fut surpris de la même manière avec toute son armée.

42 En Espagne, Q. Metellus étant sur le point de lever son camp, et ses soldats se tenant renfermés dans l'intérieur des retranchements, Hermocrate profita de leur inaction pour ne les faire attaquer que le lendemain par ses troupes, alors plus capables de combattre, et termina ainsi la guerre[141].

43. Miltiade, ayant défait à Marathon une multitude innombrable de Perses, et voyant que les soldats athéniens perdaient le temps à recevoir des félicitations, les fit marcher à la hâte au secours de leur ville, vers laquelle se dirigeait la flotte ennemie. Quand il y fut accouru, et qu'il eut garni les murs de défenseurs, les Perses, croyant que le nombre des Athéniens était considérable, et que l'armée qui avait combattu à Marathon était différente de celle qu'on voyait sur les remparts, revirèrent de bord sur-le- champ et regagnèrent l'Asie.

44 Pisistrate, général athénien, ayant pris la flotte des Mégariens, qui avait débarqué près d'Éleusis, pendant la nuit, pour enlever des femmes d'Athènes occupées à célébrer les fêtes de Cérès, vengea ses concitoyens par un grand massacre des ennemis, et remplit de soldats athéniens les vaisseaux capturés, sur lesquels il mit en vue quelques femmes qui semblaient être des captives. Les Mégariens, trompés par cette apparence, et persuadés que leurs compagnons revenaient avec le fruit de leur entreprise, s'avancèrent à leur rencontre en désordre et sans armes, et furent eux-mêmes taillés en pièces.

45 Cimon, général athénien, ayant battu la flotte des Perses près de l'île de Chypre, revêtit ses soldats des dépouilles des prisonniers; et, avec les vaisseaux mêmes des barbares, il fit voile pour la Pamphylie, et aborda près du fleuve Eurymédon. Les Perses, reconnaissant leurs navires et le costume de ceux qui les montaient, ne se méfièrent de rien; mais, soudainement attaqués par Cimon, ils furent ainsi défaits le même jour sur terre et sur mer.

[1] Tacite, Hist. Lib. IV, c.39. [2] Vie de Domitien [3] Tacite, Vie d'Agricola, ch. VIII & IX [4] Vie d'Agricola, ch. XVII [5] Plinius Jun., lib. IV, ep. 8. [6] Liv. IX, lett. 19. [7] Hist. abr. de la litt. rom., L. II, p. 454 [8] Daunou, Cours d'études d'hist., t.1er, p. 431 [9] Essai sur l'hist. de l'art militaire, t. 1er, p. 288. [10] Mémoires de l'Académie des sciences morales et politiques, t. iv, p. 839. [11] Le texte de M. Naudet porte Néron, sans doute par la faute du typographe. [12] Avant d'écrire ce recueil de stratagèmes, où tout est pratique, Frontin avait publié des ouvrages purement théoriques sur l'art militaire. [13] Opérations de stratégie et de tactique, en général [14] Stratagèmes, ruses de guerre proprement dites. [15] Plutarque (Vie de Caton le Censeur, ch. X) porte à quatre cents le nombre des villes que soumit Caton en Espagne. Tite-Live, après avoir rapporté ce fait, avec le détail de toutes les circonstances qui l'ont amené, ajoute (liv. XXXIV ch. 17) que le consul marcha contre les villes qui refusaient d'obéir, et qu'il fut même obligé d'assiéger Segestica, ville riche et importante, qu'il prit d'assaut. Polyen a compris ce même fait dans son recueil de stratagèmes (liv. VIII, ch. 17). Voyez aussi Polybe, Fragments, liv. XIX ; et Aurelius Victor, qui a reproduit presque littéralement le texte de Frontin (Hommes illustres, ch. XLVII). [16] Selon Diodore de Sicile (liv. XIV, ch. 55), le point de ralliement indiqué par Himilcon était Panorme, aujourd'hui Palerme. Cet usage des ordres cachetés, maintenant encore en vigueur dans la marine, était familier aux généraux de l'antiquité. [17] C. Lélius était envoyé par Scipion. Celui-ci, après avoir fait reconnaître le camp de Syphax, parvint à l'incendier pendant la nuit, ce qui mit un tel désordre dans l'armée ennemie, que le fer et le feu détruisirent quarante mille hommes. Voyez Tite-Live, liv. XXX, ch. 3-6 ; et Polybe, liv. XIV, fragment 2. [18] Gabies, ville du Latium et colonie d'Albe. Elle était déjà en ruines du temps d'Auguste.

Les détails de cet odieux artifice des deux Tarquins sont dans Tite-Live, liv. I, ch. 24. Voyez aussi Florus, liv. I. ch. 7 ; Valère-Maxime, liv. VII, ch. 4 ; Denys d'Halicarnasse, liv. IV, ch. 54 ; Ovide, Fastes, liv. II, v. 686 à 711.

Diogène Laërce rapporte que Thrasybule, tyran de Milet, donna un conseil du même genre à Périandre, tyran de Corinthe, dans les termes suivants :

THRASYBULE À PÉRIANDRE.

« Je n'ai fait aucune réponse aux questions de votre héraut ; mais, l'ayant mené dans un champ, j'abattis à coups de bâton, pendant qu'il me suivait, ceux des épis qui dépassaient les autres. Si vous l'interrogez, il vous dira ce qu'il a vu et entendu. Imitez-moi donc, si vous voulez conserver votre autorité ; faites périr les premiers de la ville, qu'ils soient, ou non, vos ennemis. L'ami même d'un tyran doit lui être suspect. » [19] Zeugma. Ville de Syrie, fondée par Seleucus 1er, ainsi appelée « joindre », parce que, bâtie sur l'Euphrate, elle était le point de communication entre la Syrie et la Babylonie. [20] Hasdrubal s'aperçut en effet, mais trop tard, de la réunion des consuls. On ne doit donc pas prendre à la lettre cette dernière phrase de Frontin. Voyez le § 9 du chapitre suivant, et surtout le beau récit de Tite-Live, liv. XXVII, ch. 43-50.

« Quand on marche à la conquête d'un pays avec deux ou trois armées qui ont chacune leur ligne d'opération jusqu'à un point fixe où elles doivent se réunir, il est de principe que la réunion de ces divers corps d'armée ne doit jamais se faire près de l'ennemi, parce que non seulement l'ennemi, en concentrant ses forces, peut empêcher leur jonction, mais encore il peut les battre séparément. » (Napoléon.) [21] Il y a ici une grave erreur. Lors de ce voyage de Thémistocle à Sparte, en 478 avant J.-C., les murailles d'Athènes avaient été détruites par les Perses ; et c'est soixante-quatorze ans plus tard, après la bataille d Ægos- Potamos, que les Spartiates exigèrent la nouvelle démolition de ces remparts. Cf. Cornélius Nepos, Vie de Thémistocle, ch. VI ; et Vie de Conon, ch. IV. [22] La plupart des historiens attribuent ce mot à Metellus Macedonicus, qui vivait longtemps avant Metellus Pius. [23] Plutarque (Vie de Demetrius, ch. XXVIII) rapporte un mot semblable d'Antigone. Son fils Demetrius lui demandait quand on décamperait : « Crains-tu, répondit-il avec l'accent de la colère, d'être le seul qui n'entende pas la trompette ? » [24] Le maréchal de Luxembourg avait un espion auprès du roi Guillaume, et était instruit de tout ce qui se passait dans l'armée ennemie. Le roi s'en aperçut, et obligea l'espion à donner un faux avis, qui faillit perdre l'armée française à Steinkerque ; mais le génie et le courage de Luxembourg triomphèrent de celle difficulté. [25] De constituendo statu belli. Les modernes disent de même constituer la guerre, ce qui équivaut à se faire un plan d'opérations.

Les principes résultant de l'expérience de tous les temps se résument en ces mots : « Un plan de campagne doit avoir prévu tout ce que l'ennemi peut faire, et contenir en lui-même les moyens de le déjouer. Les plans de campagne se modifient à l'infini, selon les circonstances, le génie du chef, la nature des troupes, et la topographie du théâtre de la guerre. » (Napoléon.) [26] Il y a ici une erreur historique que l'on peut rectifier, en transportant cet exemple après le § 9. Périclès u'a jamais conseille aux Athéniens d'abandonner leur ville, et d'envoyer ailleurs leurs femmes et leurs enfants. Mais, ainsi qu'on le voit dans Thucydide (liv. II), Périclès, au moment où les Spartiates ravageaient l'Attique, s'embarqua avec des troupes athéniennes, alla dévaster le territoire des Lacédémoniens, et les força ainsi à revenir défendre leurs possessions. [27] Nudaverat. Domitien fit probablement couper ou incendier les forêts qui servaient de retraite aux Germains : c'est, du moins, l'opinion des commentateurs. [28] Il s'agit sans doute de Philippe, fils de Demetrius, qui fit la guerre aux Étoliens. Voyez Tite-Live, liv. XXVIII, ch. 7. [29] Selon Quinte-Curce (liv. VIII, ch. 13) et Arrien (liv. V, ch. 2), ce fait s'accomplit, ainsi que le précédent, sur l'Hydaspe, et non sur l'Indus. Plutarque, dans la Vie d'Alexandre, parle d'une lettre de ce roi, qui lui-même rend compte du passage de l'Hydaspe, et ne fait nulle mention de l'Indus. Au reste, ces erreurs ne sont pas rares dans Frontin, surtout quand il sort de l'histoire romaine.

Des stratagèmes semblables ont été pratiqués par Gustave-Adolphe pour passer le Lech, que gardaient les Impériaux, et par Charles XII, qui franchit la Bérézina en marchant contre les Moscovites. [30] Les commentateurs pensent qu'il s'agit ici, non du détroit de Cyanée, mais de celui d'Abydos. Selon Polyen (liv. IV, ch. 2, § 8), Philippe aurait employé cette ruse lors d'une expédition qu'il fit dans le pays d'Amphisse. [31] Frontin fait encore ici erreur. Pendant le consulat de Duilius, Syracuse avait pour roi Hiéron, allié et ami des Romains. Il est plutôt question du port de Segeste, comme le conjecturent la plupart des critiques. Cf. Polybe, liv. I.

En 1560, Montgomery, fuyant sur la Seine, après la prise de Rouen, franchit de la même manière une estacade que l'on avait établie sur le fleuve, pour empêcher l'approche des bâtiments anglais. [32] Cet acte de dévouement de Calpurnius Flaima est rapporté par Florus, liv. II. 2. Tite-Live (liv. XXII, ch. 60), faisant le rapprochement de cette noble conduite et de celle de P. Decius, attribue à Flamma ces paroles ; « Moriamur, milites, et morte nostra eripiamus ex obsidione circumventas legiones. »

Kléber, avec quatre mille hommes, avait attaqué vingt-cinq mille Vendéens. Se voyant débordé par l'ennemi, il dit au colonel Shouadin : « Prends une compagnie de grenadiers, arrête l'ennemi devant ce ravin : tu te feras tuer, et tu sauveras l'armée. - Oui, général, » répond l'officier ; et il périt avec tous ses hommes.

Ces faits rappellent celui de Léonidas et des trois cents Spartiates. [33] Selon le récit de Plutarque, Crassus enferma Spartacus dans la presqu'île de Rhegium, en tirant à l'isthme, d'une mer à l'autre, un fossé de trois cents stades de longueur, sur une largeur et une profondeur de quinze pieds, et Spartacus s'échappa en comblant une partie du fossé avec de la terre, des branches d'arbres, etc. ; mais le biographe ne fait aucune mention des prisonniers que ce général, au dire de Frontin, aurait mis à mort pour faire passer son armée sur leurs cadavres. (Vie de Crassus, ch. XIII.) [34] Darius, sur le conseil de Gobrias, un des grands qui le suivaient, laissa non seulement les ânes dans son camp, mais encore les malades et toute la partie de son armée la moins capable de supporter les fatigues (Hérodote, liv. IV, ch. 134 et 135). Cf. Polyen, Liv. VII, ch. 11, § 4 ; et Justin, liv. II, ch. 5. [35] Ce fait est raconté par Tite-Live (liv. XXII, ch. 16 et 17), par Polybe (liv. III, ch. 93), par Plutarque (Vie de Fabius, ch. VI), par Cornélius Nepos (Vie d'Hannibal, ch. V). Il a été de nos jours taxé d'invraisemblance, et appelé le conte des boeufs ardents. [36] Tite-Live (liv. XXIII, ch. 24) fait le récit de ce stratagème. La forêt Litana était située aux confins de l'Etrurie et de la Ligurie. [37] Metellus avait pris ces éléphants aux Carthaginois dans le combat livré sous les murs de Panorme. [38] Il s'agit ici du passage du Rhône. Tite-Live, tout en rapportant le fait (liv. XXI, ch. 28), semble peu y croire, et pense que les éléphants passèrent plutôt sur des radeaux. [39] De distringendis hostibus. Il y a dans ce chapitre des exemples qui ne répondent pas bien au titre, quelque extension qu'on donne au mot distringendis. [40] « Le plus sûr moyen de diviser les forces de l'ennemi, dit Machiavel (Art de la guerre, liv. VI), est d'attaquer son pays ; il sera forcé d'aller le défendre, et d'abandonner ainsi le théâtre de la guerre. C'est le parti que prit Fabius, qui avait à soutenir les forces réunies des Gaulois, des Étrusques, des Ombriens et des Samnites. » [41] Tite-Live rend compte de ce fait (liv. XXXV, ch. 14), et rapporte un entretien qu'aurait eu Hannibal avec son vainqueur, P. Scipion l'Africain, qui faisait partie de l'ambassade. Cf. Cornélius Nepos, Vie d'Hannibal, ch. VII- VIII. [42] Machiavel fait allusion (Art de la guerre, liv. VI) aux deux derniers exemples de ce chapitre, en les généralisant comme des préceptes souvent applicables. [43] Qui est coupé de monts, de hauteurs (Littré) [44] Machiavel (Art de la guerre, liv. VI) s'est encore emparé de ce récit pour en faire un précepte : « Un point bien important pour un général, dit-il, c'est de savoir habilement étouffer un tumulte ou une sédition qui se serait élevée parmi ses troupes. Il faut, pour cet effet, châtier les chefs des coupables, mais avec une telle promptitude, que le châtiment soit tombé sur leur tête avant qu'ils aient eu le temps de s'en douter. S'ils sont éloignés de vous, vous manderez en votre présence non seulement les coupables, mais le corps entier, afin que, n'ayant pas lieu de croire que ce soit dans l'intention de les châtier, ils ne cherchent pas à s'échapper, et viennent, au contraire, d'eux-mêmes se présenter à la peine. » [45] Ce n'est pas Fabius qui envoya l'ambassade, mais il en fit partie, et montra au milieu des sénateurs carthaginois toute l'énergie d'un Romain. Voyez Tite-Live, liv. XXI, Ch. l8 ; Polybe, liv. III, Ch. 2. [46] Quelques éditions portent Xerxem. J'ai suivi la leçon d'Oudendorp et de Schwebel, qui ont reculé devant l'accord des manuscrits, en imputant à Frontin l'erreur historique qui frappe ici dans le texte. Leutychidas était sur mer, et ce fut lui qui remporta, à Mycale, la victoire attribuée par Frontin aux alliés. De leur côte, ceux-ci, sous le commandement de Pausanias, gagnèrent la bataille de Platée. Voyez Hérodote, liv. IX, ch. 58 et suiv. ; Justin, liv. II, ch. i4 ; Cornelius Nepos, Vie de Pausanias, ch. I, et Vie d'Aristide, ch. II. [47] Il s'agit du combat que se livrèrent Postumius et Mallius, ou Mamilius, près du lac Régille. Tite Live, qui donne le récit du combat (liv. II, ch. 19 et 20), ne parle point de cette apparition merveilleuse. [48] On trouve dans Plutarque (Vie de Marius, ch. XVII) des détails sur cette prophétesse, nommée Martha, et plusieurs faits qui donnent à conclure qu'il y avait chez Marius moins de crédulité que d'adresse à profiter des idées superstitieuses de ses troupes. [49] « Teneo te, terra mater. » Suétone raconte ainsi le fait (Vie de J. César, ch. LIX) : « Prolapsus etiam in egressu navis, verso in melius omine, Teneo te, inquit, Africa. » Des commentateurs ont pensé que Frontin avait confondu ces paroles de César avec celles qu'il attribue à Scipion dans le paragraphe précédent. Il est certain, dans tous les cas, que les mots teneo te ne sont pas dans un rapport bien direct avec l'intention attribuée ici par Frontin à César, de revenir dans le pays d'où il partait. J'ai dû, quant à moi, traduire conformément au texte. [50] Il y a ici une erreur de nom : ce n'est pas T. Sempronius Gracchus, mais P. Sempronius Sophus, qui battit les Picentins, après avoir rassuré ses troupes sur un tremblement de terre. Voyez FLORUS, liv. I, ch. 19. [51] D'après Tite-Live (liv. XLIV, ch. 37), Sulpicius annonça cette éclipse pendant le jour, pour la nuit suivante, en précisant l'heure à laquelle devait commencer le phénomène, et l'instant où il finirait. L'événement ayant été conforme à cette prédiction, les soldats regardèrent la science de Sulpicius comme une inspiration divine. Ce fait s'accomplissait l'an 68 avant notre ère, et, selon Pline (Hist. Nat, liv. 11, ch. 9), Sulpicius Gallus fut le premier Romain qui expliqua la raison des éclipses de soleil et de lune. À une époque beaucoup plus reculée (583 ans avant J.-C.), Thalès de Milet avait prédit l'éclipse de soleil qui eut lieu sous le règne d'Alyatte. [52] Selon Justin (liv. XXII, ch. 6), ce fut une éclipse de soleil ; et Diodore de Sicile, qui affirme la même chose (liv. XX, ch. 5), ajoute que l'obscurité fut assez complète pour que l'on pût, au milieu de la journée, apercevoir les étoiles. [53] Erreur historique. Timothée fut envoyé par les Athéniens, non contre les Corcyréens, mais bien à leur secours, contre les Lacédémoniens, comme le rapporte Diodore de Sicile, liv. XV, ch. 47. Cf. Polyen, liv. VI, ch. 10, § 2.

« Les anciens généraux, dit Machiavel (Art de la guerre, liv. VI) avaient à vaincre une difficulté qui n'existe pas pour les généraux modernes, c'était d'interpréter à leur avantage des présages sinistres. » [54] Il y a dans ce récit une inexactitude. Scipion avait fait sortir des troupes dès la pointe du jour ; mais ce ne fut que vers la septième heure qu'il engagea l'action sur toute sa ligne de bataille. Voyez Tite-Live, liv. XXVIII, ch. 14 et 15.

Tous les livres de tactique ancienne recommandent de faire prendre le repas aux soldats avant la bataille [55] Les Gaulois étaient venus au secours des Samnites. Ce fut dans cette affaire, racontée par Tite-Live (liv. X, ch. 28 et 29), que Decius, collègue de Fabius, se dévoua d'une manière héroïque. [56] « La bataille contre Arioviste a été donnée dans le mois de septembre, et du côté de Belfort. » (Napoléon.) [57] Il semble que cet artifice doive être plutôt attribué à Titus, qui prit Jérusalem. On peut consulter, pour la pratique du sabbat, Dion Cassius, ch. LXVI ; Tacite. Hist., liv. V, ch. 4 ; Justin, liv. XXXVI, ch. 2.

Si l'on en croit Josèphe, les Juifs avaient depuis longtemps obtenu de leurs chefs la permission de combattre le jour du sabbat, parce que leurs ennemis pouvaient profiter de leur observance scrupuleuse pour les attaquer. [58] Polybe (liv. XVIII, ch. 11) indique l'usage que Pyrrhus faisait de cette phalange, dont on trouve déjà une image du temps d'Homère :

« Les plus braves (des Grecs), rangés en bataille, s'apprêtent à recevoir les Troyens et le divin Hector ; ils se serrent lance contre lance, pavois contre pavois ; le bouclier est uni au bouclier, le casque au casque, le guerrier au guerrier. » [59] Vultarnum. Au lieu de ce mot, il faudrait Aufidum, d'après Tite-Live (liv. XXII, ch. 43-46).

Les inconvénients du soleil, du vent, de la pluie, etc., qui sont l'objet d'une recommandation absolue de la part de Végèce (liv. III, ch. 13), ont paru trop peu importants à plusieurs écrivains modernes. Il y a cependant un grand nombre de faits accomplis dans nos dernières guerre, qui viennent à l'appui de l'ancien précepte : nous n'en citerons qu'un. Pendant la campagne de France, le 27 mars 1814, à Connantray, la cavalerie de la garde russe, profitant d'une giboulée qui fouettait violemment le front de l'armée du duc de Raguse et du duc de Trévise, fit une charge générale, et mit les Français en déroute, en leur prenant vingt-quatre pièces de canon. [60] Les tacticiens ont de tout temps recommandé les stratagèmes de ce genre : Miltiade en donna un exemple à Marathon. Voyez Cornelius Nepos, Vie de Miltiade, ch. V. [61] Ces Ibères étaient sans doute des Espagnols mercenaires au service de Carthage. [62] Cette manière d'attaquer de biais l'ennemi n'est autre chose que ce qu'on nomme aujourd'hui l'ordre oblique. Il consiste à réunir des forces considérables contre un point quelconque de la ligne ennemie, de manière à l'anéantir sur ce point, ou à la couper pour la prendre ensuite en flanc et à revers, s'il est possible. Épaminondas passe pour le premier général qui ait adopté ce système d'attaque, auquel il fut redevable des victoires de Leuctres et de Mantinée. On l'appelle oblique, par opposition à l'ordre parallèle, habituellement suivi dans l'antiquité, mais abandonné aujourd'hui. Il y a plusieurs manières d'employer l'ordre oblique : on peut donner sur un point du front de bataille de l'armée ennemie, ou sur deux points à la fois, comme fit Napoléon à Austerlitz, : ou bien on tentera d'enfoncer le centre et de tourner une aile. C'était la manoeuvre de prédilection de l'empereur, à qui elle réussit pleinement à Wagram. Quelquefois, enfin, on attaque simultanément les deux ailes, en les débordant et en les tournant. C'est ce que firent les armées alliées à Leipzig, dans la désastreuse journée du 18 octobre, contre les Français, dont le nombre, il est vrai, égalait à peine le tiers de celui des ennemis.

Plusieurs écrivains ont attribué à Frédéric l'honneur d'avoir, le premier parmi les modernes, remis en vigueur l'ordre oblique ; mais il est prouvé que plusieurs généraux de Louis XIV, entre autres Turenne et Luxembourg, en avaient déjà fait usage. [63] Il est utile de voir à côté de cette description, celle de Tite-Live, qui est plus complète, liv. XXX, ch. 33.

On sait que telle était l'ordonnance habituelle des légions romaines. « Rien n'est plus ingénieux que cette disposition, dit M. Rocquancourt (Cours complet d'art militaire, t. I, p. 98) ; tout y est calculé, tout y est prévu. D'abord les vélites préludent à l'action, en se portant en avant pour retarder la marche de l'adversaire, découvrir ses intentions, épier ses mouvements, masquer ceux de l'armée, et lui donner le temps de prendre ses mesures. Les soldats de nouvelle levée, les hastaires, combattent en première ligue, sous les yeux de toute l'armée, prête à les applaudir ou à les blâmer. Là il faut faire son devoir ou périr : la fuite est impossible à ceux qui seraient accessibles à la peur. Viennent ensuite les principes, plus avancés en âge et plus aguerris que les précédents : dans un clin d'oeil ils ont pu remplacer ceux-ci ou combattre avec eux, en les recevant dans les intervalles de leurs rangs, ou plutôt en se portant à leur hauteur. Enfin paraît un troisième et dernier moyen pour enchaîner la victoire, ce sont les triaires, vieux guerriers que d'honorables cicatrices font distinguer des deux premières classes. Combien ne doit-on pas admirer la répartition et l'arrangement de ces différents combattants ! » [64] Voici le précepte d'Homère :

« Nestor dispose au premier rang les cavaliers et les chars, et derrière, de nombreux et vaillants fantassins, rempart de l'armée ; entre ces deux lignes il place les plus faibles, afin que, même malgré eux, la nécessité les oblige à combattre. » [65] On trouve le récit bien circonstancié de cette grande bataille dans César, Guerre d'Alexandrie, liv. III, ch. 88 et suiv.

« À Pharsale, César ne perd que deux cents hommes, et Pompée quinze mille. Les mêmes résultats, nous les voyons dans toutes les batailles des anciens, ce qui est sans exemple dans les armées modernes, où la perte en tués et blessés est sans doute plus ou moins forte, mais dans une proportion d'un à trois ; la grande différence entre les pertes du vainqueur et celles du vaincu n'existe surtout que par les prisonniers. Ceci est encore le résultat de la nature des armes. Les armes de jet des anciens faisaient, en général, peu de mal ; les armées s'abordaient tout d'abord à l'arme blanche ; il était donc naturel que le vaincu perdît beaucoup de monde, et le vainqueur très peu. Les armées modernes, quand elles s'abordent, ne le font qu'à la fin de l'action, et lorsque déjà il y a bien du sang de répandu. Il n'y a point de battant ni de battu pendant les trois quarts de la journée ; la perte occasionnée par les armes à feu est à peu près égale des deux côtés. La cavalerie, dans ses charges, offre quelque chose d'analogue à ce qui arrivait aux armées anciennes. Le vaincu perd dans une bien plus grande proportion que le vainqueur, parce que l'escadron qui lâche pied est poursuivi et sabré, et éprouve alors beaucoup de mal sans en faire.

Les armées anciennes, se battant à l'arme blanche, avaient besoin d'être composées d'hommes plus exercés : c'étaient autant de combats singuliers. Une armée composée d'hommes d'une meilleure espèce et de plus anciens soldats, avait nécessairement tout l'avantage ; c'est ainsi qu'un centurion de la dixième légion disait à Scipion, en Afrique : « Donne-moi dix de mes camarades qui sont prisonniers comme moi, fais-nous battre contre une de tes cohortes, et tu verras qui nous sommes. » Ce que ce centurion avançait était vrai. Un soldat moderne qui tiendrait le même langage ne serait qu'un fanfaron. Les armées anciennes approchaient de la chevalerie. Un chevalier armé de pied en cap affrontait un bataillon.

« Les deux armées, à Pharsale, étaient composées de Romains et d'auxiliaires, mais avec cette différence que les Romains de César étaient accoutumés aux guerres du Nord, et ceux de Pompée aux guerres de l'Asie. » (Napoléon.) [66] Pour que le détachement envoyé ainsi à l'avance ne fût pas compromis, il fallait que Marius eût la certitude que les Teutons accepteraient la bataille le lendemain, et qu'ils ne feraient aucun changement à leurs dispositions.

« Il ne faut faire aucun détachement la veille du jour d'une bataille, parce que, dans la nuit, l'état des choses peut changer, soit par des mouvements de retraite de l'ennemi, soit par l'arrivée de grands renforts qui le mettent à même de prendre l'offensive et de rendre funestes les dispositions prématurées que vous avez faites. » (Napoléon.) [67] Cela n'est pas exact. La victoire, qui penchait d'abord du côté des Romains, se déclara enfin pour Pyrrhus. Voyez Plutarque, Vie de Pyrrhus, ch. XIV et suiv. ; Florus, liv. I, ch. 18. [68] Polybe, qui raconte ce fait (liv. I, ch. 39 et 40), dit seulement que les éléphants s'avancèrent sur le bord du fossé. Il est difficile de croire qu'il n'y ait pas erreur de la part de Frontin, à moins que ce fossé n'ait été creusé de manière à donner accès aux éléphants, ce qui est peu probable. Voyez Tite-Live, Suppléments de Freinshemius, liv. XVIII, ch. 52 et suiv. [69] Selon Tite-Live (liv. XL, ch. 31), Fulvius resta dans son camp pour le défendre, et chargea Acilius, un de ses officiers, de surprendre celui des Celtibériens. [70] C'était sur le bord de la Seine. Voyez César, Guerre des Gaules, liv. VII, ch. 58 et suiv. [71] Tite-Live (liv. XXII, ch. 27 et suiv.) donne plus de détails sur ce stratagème, et fait apprécier le beau caractère du dictateur Fabius, ainsi que l'inexpérience présomptueuse de Minutius, et son noble repentir. [72] La ruse la plus familière à Hannibal consistait à cacher des troupes qui devaient tomber sur les derrières de l'ennemi quand l'action serait engagée. À. la bataille de Hohenlinden, le 3 décembre 1800, le général Richepanse recourut à un stratagème semblable, en allant s'embusquer avec une division, et contribua ainsi puissamment à la victoire. Cependant il ne faut pas se dissimuler que cet expédient, en général, présente les plus grands dangers au corps détaché, qui, s'il était aperçu, pourrait être écrasé sans aucun moyen de fuir, attendu qu'il se trouve coupé par sa propre manoeuvre. [73] Il faudrait peut-être lire Pharnapatis, comme on le voit dans Plutarque (Vie d'Antoine, ch. XXXIII). Ce général eut dans ce combat le même sort que Labienus, jeune Romain qui avait pris du service chez les Parthes. Celui-ci était neveu du tribun Labienus, qui abandonna le parti de César pour embrasser celui de Pompée. [74] Aujourd'hui Castel Franco, près de Modène. [75] Ces fuites simulées ont souvent réussi dans l'antiquité, parce qu'alors on ne prenait presque jamais la peine de s'éclairer. Il y en a encore quelques exemples notables dans les temps modernes : ainsi, à la bataille de Lens, le grand Condé sut faire quitter à l'archiduc une position excellente, en l'attirant, par une retraite simulée, dans une plaine où la cavalerie eut bon marché de l'infanterie des Impériaux. [76] Cette odieuse trahison est rapportée, avec quelques détails de plus, par Polyen, liv. I, ch. 19. [77] Il s'agit ici du combat de Leucade. [78] Il s'agit ici de la bataille de Coronée. [79] Ce pont avait été construit, par ordre de Xerxès, sur l'Hellespont, près d'Abydos. Voyez Hérodote, liv. VII, ch. 33-36, et surtout liv. VIII, ch. 109 et 110.

L'historien grec pense que Thémistocle ne laissa la retraite libre aux Perses que pour se ménager l'amitié de Xerxès, et s'assurer un asile chez ce roi, en cas qu'il éprouvât dans la suite quelque disgrâce de la part de ses concitoyens, ce qui arriva en effet. [80] Non usque adperniciem fugientibus instaturns victores. À ce précepte de Pyrrhus on peut ajouter celui-ci : « Clausis ex desperatione crescit audacia : et quum spei nihil est, sumit arma formido. Ideoque Scipionis laudata sententia est, viam hostibus qua fugiant, muniendam. » (Vegetius liv. III ch. 21.)

De là vient sans doute la maxime : « Qu'il faut faire un pont d'or à l'ennemi qui fuit. »

Mais c'est une opinion qui a rencontré depuis longtemps des contradicteurs parmi les plus célèbres tacticiens : « Si Dieu vous donnait la victoire, dit l'empereur Léon (Instit. 14), ne vous arrêtez point à cette mauvaise maxime : Vince, sed ne nimis vincas ; ce serait vous préparer de nouvelles affaires, peut-être des retours fâcheux. Profitez de votre avantage, et poussez l'ennemi jusqu'à sa ruine totale. À la guerre, comme à la chasse, c'est n'avoir rien fait que de ne pas achever ce qui était commencé. »

Montecuculli et le maréchal de Saxe pensaient de même. Ce dernier, blâmant le proverbe du pont d'or, qu'il appelle une grave erreur, dit, par une sorte de corollaire, qu'il n'y a de belles retraites que celles qui se font devant un ennemi qui poursuit mollement.

« La force d'une armée consistant dans son organisation, dit M. Rocquancourt (Cours complet d'art militaire, t. IV, p. 352), et celle-ci résultant de l'harmonie et de l'union de tous les éléments entre eux et avec la volonté unique qui les fait mouvoir, on ne saurait pousser trop vivement une armée battue, puisque, après une défaite, cette harmonie entre la tête qui combine, et les corps qui doivent exécuter, est détruite ; leurs rapports, s'ils ne sont entièrement brisés, se trouvent au moins suspendus. L'armée entière n'est plus qu'une partie faible ; l'attaquer, c'est marcher à un triomphe certain. » [81] Il y a ici une double erreur historique. Ce n'est pas le consul M. Fabius qui fut blessé, mais son frère Q. Fabius, qui servait sous ses ordres ; et le combat ne fut pas rétabli par Manlius, mais bien par M. Fabius, le consul. Voyez Tite-Live, liv. II, ch. 46 et suiv. [82] Pour exciter le courage des soldats, les anciens lançaient au milieu des ennemis non-seulement des enseignes ou des étendards, mais encore des armes. [83] Suivant Tite-Live (liv. III, ch. 70), c'étaient les Volsques, et non les Herniques, qui combattaient avec les Èques contre les Romains. [84] Il s'agit plutôt ici de T. Q. Cincinnatus. Voyez Tite- Live, liv. IV, ch. 26-29. [85] Le même fait est rapporté par Tite-Live, liv. VI, ch. 8.

Des moyens de ce genre ont été souvent mis en usage pour relever le moral du soldat. Ainsi, à la bataille d'Austerlitz, le 15e régiment léger, qui venait de se battre avec courage, se voyant forcé d'opérer un mouvement rétrograde, le faisait avec trop de précipitation pour pouvoir se reformer, et arrêter la marche de l'infanterie russe, qu'il avait en tête. Le colonel Dulong saisit l'aigle du 2e bataillon, et s'écria : « Soldats ! je m'arrête ici ; abandonnerez-vous votre étendard et votre colonel ? » Le 2e bataillon se reforme, et reprend l'offensive ; le 1er bataillon en fait autant, et bientôt les Russes sont repoussés.

Le général Souvaroff, voyant ses troupes en déroute, courut à la tête des fuyards, se coucha par terre, et s'écria : « Qui osera passer sur le corps de son général ? » On assure qu'il réussit plusieurs fois, par cet expédient, à rétablir le combat. [86] Voyez le récit de la bataille de Munda, dans César (Guerre d'Espagne, ch. XXVIII - XXXI), qui ne dit pas avoir quitté son cheval pour combattre à pied.

« On dit que César fut sur le point de se donner la mort pendant la bataille de Munda. Ce projet eût été bien funeste à son parti : il eût été battu comme Brutus et Cassius !… Un magistrat, un chef de parti peut-il abandonner les siens volontairement ? » (Napoléon.) [87] « Au commencement d'une campagne, il faut bien méditer si l'on doit, ou non, s'avancer ; mais, quand on a effectué l'offensive, il faut la soutenir jusqu'à la dernière extrémité. Quelle que soit l'habileté des manoeuvres dans une retraite, elle affaiblira toujours le moral de l'armée, puisque, en perdant les chances de succès, on les remet entre les mains de l'ennemi. Les retraites, d'ailleurs, coûtent beaucoup plus d'hommes et de matériel que les affaires les plus sanglantes ; avec cette différence que, dans une bataille, l'ennemi perd à peu près autant que vous, tandis que, dans une retraite, vous perdez sans qu'il perde. » (Napoléon.) [88] Ce système de retraite, par dispersion suivie du ralliement, est à peu près celui que pratiquent encore aujourd'hui les Arabes en Afrique, devant les troupes françaises. [89] Florus (liv. II, ch. 2) dit un mot de cette défaite, qu'il attribue à un acte irréligieux de Claudius. Au moment où il se préparait à livrer bataille, on vint le prévenir que les poulets sacrés refusaient de sortir de leur cage, et ne voulaient pas manger, ce qui était un fort mauvais présage : « Eh bien, dit-il, s'ils ne veulent pas manger, qu'ils boivent. » Il les fît jeter à la mer, et donna le signal de l'attaque : Inde mali labes. [90] On ne saurait croire à quelle antiquité remontent l'invention et l'usage presque général des machines et des ouvrages de siège, et pendant combien de siècles les moyens d'attaque et de défense des villes et des camps retranchés sont restés les mêmes, avant la découverte de la poudre. M. Dureau de La Malle a établi, dans son ouvrage sur la poliorcétique des anciens, que, plus de vingt siècles avant l'ère chrétienne, les Égyptiens avaient porté à un point très-élevé l'art de fortifier les villes, et que leurs temples étaient de véritables citadelles ; que les monuments de Karnak, de Louqsor, etc., offrent des gabions, des machines pour l'escalade, et les tortues ; que chez les Hébreux, la mine ou la sape étaient employées du temps de Jacob ; que sous Ozias (870 av. J.-C.) on faisait usage de balistes et de catapultes ; enfin, que deux cents ans après, les villes étaient attaquées au moyen des tours mobiles, des terrasses, du bélier, etc., toutes choses que les peuples de l'Orient ont connues avant les Grecs. [91] Ceci rappelle le mot du maréchal de Saxe : « Tout le secret de la guerre est dans les jambes. » Mais peut-être le maréchal avait-il en vue, à côté des avantages de la vitesse, ceux du pas emboîté, dont il est l'inventeur. [92] Ce stratagème rappelle l'artifice à l'aide duquel les Espagnols s'emparèrent d'Amiens en 1597. Des soldats, déguisés en paysans, entrèrent dans la ville en conduisant une voiture chargée de noix, dont ils laissèrent tomber une certaine quantité. Pendant que les gardiens des portes en ramassaient, les soldats déguisés les sabrèrent, et ouvrirent la ville à l'armée qui les suivait. [93] Les déguisements ont été de tout temps en usage pour surprendre ou pour reconnaître les places. Ainsi Catinat prit les habits d'un charbonnier pour entrer dans Luxembourg, et constater l'état des fortifications de cette ville.

Après la paix de Tilsitt, la ville de Pilau, port de mer sur la Baltique, ayant refusé d'ouvrir ses portes aux Français, le général Saint-Hilaire en fit le siège. Dans le cours des hostilités, ce général convint d'une entrevue avec le gouverneur, et se fit accompagner dans l'intérieur de la ville par le colonel du génie Séruzier, qui se déguisa en hussard, pour n'inspirer aucune défiance, et reconnut les points attaquables des fortifications.

Cette ruse contribua à mettre les Français en possession de la place. [94] Il y a ici erreur de l'auteur ou des copistes : il faut lire Darius et non Cyrus. - Voyez Hérodote, liv. III, ch. 153 ; et Justin, liv. I, ch. 10. [95] Suivant Tite-Live, qui rapporte ce fait (liv. XXIII, ch. 18), Fabius n'aurait pu réduire Capoue par famine, puisque cette ville ne fut prise que deux ans après, ainsi que nous l'apprend le même historien, liv. XXVI, ch. 8 - 14. [96] Les sept exemples contenus dans ce chapitre ne parlent pas des lignes de circonvallation et de contrevallation que les assiégeants établissent pour couvrir les travaux de siège, et pour tenir en échec les troupes qui peuvent venir au secours de la place. Il est cependant prouvé que César et d'autres capitaines de l'antiquité en ont fait usage.

« Il n'y a que deux moyens d'assurer le siège d'une place : l'un, de commencer par battre l'armée ennemie chargée de couvrir cette place, l'éloigner du champ d'opérations, et en jeter les débris au delà de quelque obstacle naturel, tel que des montagnes ou une grande rivière ; ce premier obstacle vaincu, il faut placer une armée d'observation derrière cet obstacle naturel, jusqu'à ce que les travaux du siège soient achevés, et la place prise. Mais, si l'on veut prendre la place devant une armée de secours, sans risquer une bataille, il faut être pourvu d'un équipage de siège, avoir ses munitions et ses vivres pour le temps présumé de la durée du siège, et former ses lignes de contrevallation et de circonvallation en s'aidant des localités, telles que hauteurs, bois, marais, inondations. N'ayant plus alors besoin d'entretenir aucunes communications avec les places de dépôt, il n'est plus besoin que de contenir l'armée de secours ; dans ce cas, on forme une armée d'observation qui ne la perd pas de vue, et qui, lui barrant le chemin de la place, a toujours le temps d'arriver sur ses flancs ou sur ses derrières, si elle lui dérobait une marche. En profitant des lignes de contrevallation, on peut employer une partie du corps assiégeant pour livrer bataille à l'armée de secours. Ainsi, pour assiéger une place devant une armée ennemie, il faut en couvrir le siège par des lignes de circonvallation. Si l'armée est assez forte pour qu'après avoir laissé devant la place un corps quadruple de la garnison, elle soit encore aussi nombreuse que l'armée de secours, elle peut s'éloigner de plus d'une marche ; si elle reste inférieure après ce détachement, elle doit se placer à une petite journée de marche du siège, afin de pouvoir se replier sur les lignes, ou bien recevoir du secours en cas d'attaque. Si les deux armées de siège et d'observation ensemble ne sont qu'égales à l'armée de secours, l'armée assiégeante doit tout entière rester dans les lignes ou près des lignes, et s'occuper des travaux de siège, pour le pousser avec toute l'activité possible.

« Feuquières a dit qu'on ne doit jamais attendre son ennemi dans les lignes de circonvallation, et qu'on doit en sortir pour l'attaque. Il est dans l'erreur ; rien ne peut être absolu à la guerre, et on ne doit pas proscrire le parti d'attendre son ennemi dans les lignes de circonvallation.

« Ceux qui proscrivent les lignes de circonvallation et tous les secours que l'art de l'ingénieur peut donner, se privent gratuitement d'une force et d'un moyen auxiliaire qui ne sont jamais nuisibles, presque toujours utiles, et souvent indispensables. Cependant les principes de la fortification de campagne ont besoin d'être améliorés ; cette partie importante de l'art de la guerre n'a fait aucuns progrès depuis les anciens : elle est même aujourd'hui au- dessous de ce qu'elle était il y a deux mille ans. Il faut donc encourager les officiers du génie à perfectionner cette partie de leur art, et à la porter au niveau des autres. » (Napoléon.) [97] Les Crotoniates, qui sans doute avaient une citadelle, ainsi que les Épirotes et les habitants de Delminium, dont il est question dans les deux exemples précédents, ont péché contre la maxime suivante :

« Les circonstances ne permettant pas de laisser une garnison suffisante pour défendre une ville de guerre où l'on aurait un hôpital et des magasins, on doit au moins employer tous les moyens possibles pour mettre la citadelle à l'abri d'un coup de main. » (Napoléon.) [98] Polyen (liv. I, ch. 40. § 5) attribue, comme Frontin, cette ruse à Alcibiade ; mais Thucydide, qui entre dans les plus grands détails sur cette expédition en Sicile, dit positivement (liv. VI, ch. 64) qu'elle fut imaginée par Nicias et Lamachus. Alcibiade avait déjà été rappelé à Athènes pour y être jugé (Ibid., ch. 61). [99] Voyez la description de ce siège dans César, Guerre des Gaules, liv. VIII, ch. 40-43 - La ville de Cadurcum, aujourd'hui Cahors, était aussi appelée Uxellodunum. [100] Il y a ici une grave erreur de Frontin ou des copistes ; car tout le monde sait que ce fait n'appartient qu'à Cyrus. Voyez Xénophon, Cyropédie, liv. VII, ch. 5 ; Hérodote, liv. I, ch. 191 ; Polyen, liv. VII, ch. 6, §5. [101] Il s'agit ici de Philippe, fils de Demetrius. Cf. Polyen, liv. IV, ch. 18, § 1 ; et Polybe, liv. XVI, ch. 10.

Le duc d'Anjou recourut à un moyen semblable pour s'emparer du château de Motrou. Après avoir fait amonceler de la terre au pied des murailles, et ouvrir une galerie de mine, de laquelle trois ouvriers jetaient non seulement de la terre, mais encore quelques débris de pierres, pour faire croire que les murs étaient déjà entamés, il envoya dire aux assiégés que les fortifications étaient minées, qu'on allait les faire sauter s'ils ne se rendaient pas sur-le-champ, et que, une fois l'assaut donné, les soldats ne feraient de quartier à personne.

Le général Légal usa aussi du même artifice devant la ville de Mouzon, en Lorraine. [102] La garnison numide s'était postée en avant des remparts, et avait eu déjà plusieurs engagements avec Marius, à qui elle prodiguait l'insulte. Voyez Salluste, Jugurtha, ch. XCIII et XCIV. [103] Au lieu de ce mot, il faudrait peut-être lire Segestanos ; car Tite-Live, qui fait (liv. XXI, ch. 7 et suiv.) une relation détaillée du siège de Sagonte, ne parle pas de ce stratagème. [104] Cornélius Nepos (Vie d'Iphicrate) rend compte des améliorations qui furent introduites par ce général dans l'art militaire et dans la discipline. Cependant il faut une absolue nécessité d'exemple pour punir avec autant de sévérité les infractions de ce genre. Iphicrate et Épaminondas tuent des sentinelles endormies ; le grand Frédéric fait mourir sur un échafaud le capitaine Zitern, qui, pour écrire à sa mère, a enfreint l'ordre donné d'éteindre dans le camp toutes les lumières passé une certaine heure ; Bonaparte trouve aussi un factionnaire endormi après les trois journées d'Arcole ; mais il lui enlève avec précaution son fusil, et se met en faction à sa place. Le soldat, se réveillant un instant après, et voyant son général près de lui, s'écrie : « Je suis perdu ! - Non, reprend celui-ci : après tant de fatigues il est permis à un brave comme toi de s'endormir ; mais, une autre fois, choisis mieux ton temps. » [105] On croirait, d'après le récit de Frontin, que Camille était à Véies ; mais Tite-Live et Plutarque s'accordent à dire qu'il était en exil à Ardée. Notre auteur se méprend aussi sur deux faits qui se sont accomplis presque en même temps. Fab. Doson descendit du Capitole pour aller sur le mont Quirinal s'acquitter d'un sacrifice, et revint après avoir traversé deux fois les postes ennemis. D'un autre côté, Pontius Cominius, jeune soldat de l'armée romaine réfugiée à Véies, s'offrit d'aller au Capitole pour obtenir du sénat que Camille fût rappelé, et nommé dictateur. Il s'acquitta de sa périlleuse mission. Voyez Tite- Live, liv. V, ch. 46. [106] Il n'est pas sans intérêt de rapprocher de cette histoire les deux faits suivants :

En 1626, l'île de Ré était assiégée par les Anglais, pendant que l'armée de Louis XIII accourait pour la délivrer ; et la garnison des forts, dénuée de vivres, était aux abois. C'est alors que trois soldats du régiment de Champagne offrent de passer à la nage le trajet de mer, qui est de deux lieues, et d'aller demander du secours dans le continent. Il fallait une force plus qu'ordinaire pour nager pendant un si long espace, et un courage héroïque pour oser, dans cet état, traverser la flotte anglaise ; mais rien n'étonnait de la part des soldats de Champagne. Nos trois guerriers, chargés de leurs dépêches renfermées dans des boîtes de fer-blanc, se jettent ensemble dans les flots. Le premier se noie ; mais il fut assez heureux pour servir l'État, même après sa mort : la mer, en effet, jeta son corps sur le rivage ; et des habitants de la côte l'ayant trouvé, prirent la lettre attachée à son cou et la remirent au cardinal de Richelieu. Le second fut pris par les Anglais. Le troisième, nommé Pierre Lanier, longtemps poursuivi par une barque ennemie, nageant presque toujours entre deux eaux, n'élevant la tête de temps en temps que pour respirer, souvent obligé de se défendre contre des poissons voraces, arrive enfin au rivage, couvert de sang, dans un état affreux. Il se traîna quelque temps, le long de la côte, sur ses pieds et sur ses mains, faible, abattu et presque mourant. Un paysan l'ayant enfin aperçu, lui donna le bras, le conduisit au fort Louis, et de là au camp du roi, qui lui fit l'accueil le plus flatteur, et lui assura une pension considérable sur la gabelle.

Pendant le blocus de Gènes, en 1800, le chef d'escadron Franceschi se chargea de porter des dépêches du premier consul à Massena, enferme dans cette ville. « Monté sur une embarcation que conduisaient trois rameurs seulement, il avait traversé, à la faveur de la nuit, la croisière anglaise, et était arrivé jusqu'à la chaîne des chaloupes les plus rapprochées de la place, lorsque le jour le surprit. Il se trouvait au milieu de la rade, à plus d'une lieue du rivage, et exposé au feu croisé des bâtiments. L'un des rameurs est tué, un autre est blessé : Franceschi ne peut plus éviter d'être pris sur son frêle esquif. Dans cette extrémité, il attache ses dépêches autour de son cou, au moyen d'un mouchoir, se dépouille de ses vêtements, et se jette à la mer pour gagner le rivage en nageant ; mais il pense bientôt qu'il a laissé ses armes, qui vont devenir un trophée pour l'ennemi : il retourne à l'embarcation, prend son sabre, qu'il serre entre ses dents, nage longtemps encore, lutte opiniâtrement contre les vagues, et aborde enfin, presque épuisé par la fatigue du trajet qu'il vient de faire. » [107] Les Romains ont rarement infligé ce traitement barbare à leurs prisonniers. Cependant il faut avouer que, s'ils n'ont jamais pratiqué l'immolation solennelle, comme les Égyptiens et les Gaulois ; s'il y a même dans leur histoire peu d'exemples de cette amputation des mains, leur coutume de vendre les captifs comme esclaves, au profit du trésor public, faisait peu d'honneur à la civilisation dont ils se glorifiaient.

« Les prisonniers de guerre n'appartiennent pas à la puissance pour laquelle ils ont combattu ; ils sont tous sous la sauvegarde de l'honneur et de la générosité de la nation qui les a désarmés. » (Napoléon.) [108] Tite-Live, qui fait un récit long et bien circonstancié du siège de Tarente, ne parle ni de ce Velius, ni de l'événement que rapporte ici Frontin. Au lieu de Velius, il faut sans doute lire Livius, nom qui est bien celui du défenseur de la citadelle de Tarente. Cette erreur est de la nature de celles qu'on ne peut raisonnablement attribuer qu'aux copistes. Cf. Tite-Live, liv. XXIV, ch. 10 ; liv. XXV, ch. 10 et 11 ; liv. XXVI, ch. 39. [109] Ce fort n'était autre chose qu'un petit camp fortifié, et enfermé dans un plus grand, dont César était déjà maître quand Pompée survint. Voyez César, Guerre civile, liv. III, ch. 66-70.

« Les manoeuvres de César à Dyrrachium sont extrêmement téméraires : aussi en fut-il puni. Comment pouvait-il espérer de se maintenir avec avantage le long d'une ligne de contrevallation de six lieues, entourant une armée qui avait l'avantage d'être maîtresse de la mer, et d'occuper une position centrale ? Après des travaux immenses, il échoua, fut battu, perdit l'élite de ses troupes, et fut contraint de quitter ce champ de bataille. Il avait deux lignes de contrevallation, une de six lieues contre le camp de Pompée, et une autre contre Dyrrachium. Pompée se contenta d'opposer une ligne de circonvallation à la contrevallation de César : effectivement, pouvait-il faire autre chose, ne voulant pas livrer bataille ? Mais il eût dû tirer un plus grand avantage du combat de Dyrrachium ; ce jour-là il eût pu faire triompher la république. » (Napoléon.) [110] Petite rivière de l'Asie Mineure, appelée aussi Lycus. Le traducteur de 1772 a pris ce nom pour celui d'une ville. [111] Cf. César, Guerre des Gaules, liv. V, ch. 49-51.

« Cicéron a défendu pendant plus d'un mois avec cinq mille hommes, contre une armée dix fois plus forte, un camp retranché qu'il occupait depuis quinze jours : serait-il possible aujourd'hui d'obtenir un pareil résultat ? Les bras de nos soldats ont autant de force et de vigueur que ceux des anciens Romains ; nos outils de pionniers sont les mêmes ; nous avons un agent de plus, la poudre. Nous pouvons donc élever des remparts, creuser des fossés, couper des bois, bâtir des tours en aussi peu de temps et aussi bien qu'eux ; mais les armes offensives des modernes ont une tout autre puissance, et agissent d'une manière toute différente que les armes offensives des anciens.

« Si on disait aujourd'hui à un général : Vous aurez comme Cicéron, sous vos ordres, 5,000 hommes ; de plus, 16 pièces de canon, 5,000 outils de pionniers, 5,000 sacs à terre ; vous serez à portée d'une forêt, dans un terrain ordinaire ; dans quinze jours vous serez attaqué par une armée de 60,000 hommes, ayant 120 pièces de canon ; vous ne serez secouru que quatre-vingts ou quatre-vingt- seize heures après avoir été attaqué : quels sont les ouvrages, quels sont les tracés, quels sont les profils que l'art lui prescrit ? l'art de l'ingénieur a-t-il des secrets qui puissent satisfaire à ce problème ? » (Napoléon.) [112] Cette distinction est justifiée par la plupart des exemples qui composent ce quatrième livre : car tout ce qui a trait à la discipline des armées, à l'exactitude du service, à la force morale du soldat ; toutes les qualités et tous les moyens par lesquels un chef inspire de la confiance à ses troupes, et exerce un ascendant réel, même sur des nations ennemies ou étrangères, sont des choses qui ressortissent à la stratégie, ou qui, du moins, ont des rapports de dépendance ou de cause plus ou moins directs, mais évidents, avec cet art de tracer des plans de campagne et d'en diriger l'exécution ; avec ce pouvoir de faire concourir au même but toutes les parties d'une armée, et de maintenir, au milieu de la diversité des mouvements, une parfaite unité d'action, en un mot, de diriger les masses. Mais à côté de ces exemples bien placés ici, on en trouvera, dans plusieurs chapitres, quelques-uns qui n'appartiennent ni à la stratégie, ni à la tactique, et qui, par conséquent, ne répondent pas aux titres sous lesquels ils sont compris dans ce nouveau recueil. Y ont-ils été introduits par des copistes ? ou l'auteur a-t-il, par instants, perdu de vue ses propres divisions ? Il y a même, notamment dans les chapitres VI et VII, des faits déjà mentionnés dans le premier livre, comme exemples de stratagèmes, et reproduits textuellement dans celui-ci. [113] Malgré les caractères distinctifs qui ont fait séparer des stratagèmes proprement dits les exemples contenus dans ce livre, il faut reconnaître qu'un certain nombre de ceux-ci ont avec les premiers des points de contact et des analogies de temps ou de circonstances : un fait stratégique au fond, peut tenir en même temps du stratagème. Or le lecteur qui aurait trouvé dans l'histoire un fait de ce genre, et qui, ne l'envisageant que sous ce dernier point de vue, c'est-à-dire comme stratagème, ne l'aurait pas vu cité dans les trois premiers livres, eût pu accuser Frontin de l'avoir ignoré ou omis, et d'avoir laissé une lacune. C'est pour prévenir ce reproche que l'auteur complète ainsi son ouvrage. [114] Tout ce que fit Scipion pour rétablir la discipline militaire, notamment ce que rapporte Frontin, a été signalé par plusieurs auteurs. Voyez Valère Maxime, liv. II, ch. 7, § 2 ; Polyen, liv. VIII, ch. 16, § 2 ; Florus, liv. II, ch. 18 ; Appien, de Rébus Hisp., c. LXXXV ; Végèce, Instit. mil., liv. III, ch. 10 ; et Plutarque (Apophtegmes), qui attribue encore au même Scipion l'exemple suivant, ou, du moins, un fait semblable. [115] Plutarque (Vie de Pyrrhus, ch. VIII) signale les talents militaires de Pyrrhus. Si ce roi ne fut pas le premier qui connut l'art de camper, du moins il le perfectionna beaucoup ; et l'on peut opposer à l'opinion contraire de Juste-Lipse (de Militia Romana, lib. V), ce passage de Tite- Live (liv. XXXV, ch. 14) : « Pyrrhum, inquit (Hannibal), castra metari primum docuisse ; ad hoc neminem elegantius loca cepisse, præsidia deposuisse. » [116] On ignore la formule de ces testaments que faisaient les soldats au moment où, tout équipés (testamenta in procinctu), ils allaient marcher au combat. Ceux qui survivaient étaient chargés de faire connaître les dispositions dernières de leurs compagnons. [117] Tite-Live rapporte (liv. XLI, ch. 27) qu'au début de la censure de Q. Fulvius Flaccus, neuf sénateurs furent exclus, entre autres Cn. Fulvius, proche parent du censeur, et même son héritier ; mais il ne fait pas connaître le motif de cette disgrâce. [118] Tite-Live dit (liv. II, ch. 59) que ces soldats furent décimés et mis à mort. [119] Le chef de cette rébellion était Decius Jubellius. C'est donc à tort que plusieurs éditions ont admis injussu ducis. - Voyez Tite-Live, liv. XXVIII, ch. 28 ; Valère Maxime, liv. II, ch. 7, § 15 ; Polybe, liv. I, ch. 7 ; Appien, de Rebus Samn., lib. IX, c. I et sqq. [120] On lira avec un vif intérêt la narration de Tite- Live (liv. VIII, ch. 29 et suiv.) ; c'est un véritable drame. [121] La sévérité atroce de Manlius passa en proverbe à Rome : Manliana imperia. [122] Marcellus n'était pas alors consul, mais il l'avait été peu de temps auparavant. On lit dans Tite-Live (liv. XXV, ch. 6 et 7) un discours touchant que, selon cet historien, les soldats relégués en Sicile auraient tenu à Marcellus. C'est une respectueuse protestation contre le décret rigoureux du sénat. [123] Infrequens (miles) signifie un soldat qui est inexact à remplir son devoir, un mauvais soldat, ainsi que l'a traduit M. Naudet dans le Truculentus de Plaute (v. 202). Voyez le récit bien circonstancié de ce fait dans Tite- Live, liv. XLI, ch. 18. [124] Alexandre dut, en effet, une grande partie de ses succès à ses vieux soldats. C'est une vérité reconnue par les tacticiens de tous les temps, que les anciens soldats sont supérieurs aux jeunes, non seulement pour supporter les fatigues en campagne, mais encore pour attaquer de sang- froid et avec courage, et pour profiter de toutes les circonstances qui peuvent mettre à l'abri du danger.

« Il faut encourager par tous les moyens, dit Napoléon, les soldats à rester sous les drapeaux, ce qu'on obtiendra facilement en témoignant une grande estime aux vieux soldats. Il faudrait aussi augmenter la solde en raison des années de service : car il y a une grande injustice à ne pas mieux payer un vétéran qu'une recrue. » [125] Ce fait paraît ne faire qu'un, pour le sens, avec le § 7, dont il a peut-être été séparé par les copistes.

[126] Il s'agit ici de la bataille de Leuctres, qu'Épaminondas gagna, non seulement parce que ses troupes étaient bien disciplinées, mais aussi parce qu'il exécuta une savante manoeuvre d'ordre oblique, voir la note 62. [127] Si l'on s'en rapporte au récit de Valère Maxime (liv. IV, ch. 4, § 10), Cn. Scipion n'avait qu'une fille, qui fut dotée par le sénat, pendant la guerre même que son père faisait en Espagne. [128] Deux lits ne supposent que six couverts, ou huit au plus. [129] Scipion Émilien voulait, dit Plutarque (Apophtegmes), que ses soldats prissent leurs repas debout, et qu'ils ne se missent à table que pour le souper. Quant à lui, il se promenait dans le camp, etc. [130] Florus rapporte la chose autrement. « Les Numantins, dit-il (liv. II, ch. 18), pressés par la famine, demandèrent la bataille à Scipion, afin de mourir en guerriers. Ne l'obtenant pas, ils firent une sortie, dans laquelle un grand nombre périt ; et les autres, en proie à la faim, se nourrirent quelque temps de leurs cadavres. Ils prirent enfin la résolution de s'échapper ; mais cette dernière ressource leur fut encore enlevée par leurs femmes, qui coupèrent les sangles de leurs chevaux, faute énorme, inspirée par l'amour. Ayant donc perdu tout espoir, ils s'abandonnèrent aux derniers transports de la fureur et de la rage, et se déterminèrent à mourir, chefs et soldats, par le fer et par le poison, au milieu de l'embrasement de leur ville, qu'ils livrèrent aux flammes. » [131] Plutarque (Apophtegmes) attribue à Metellus Cécilius une réponse semblable.

Le mot de Fabius rappelle celui du maréchal de Saxe. Un de ses officiers généraux, lui montrant un jour une position qui pouvait être utile, lui dit : « Il ne vous en coûtera pas plus de douze grenadiers pour la prendre. - Douze grenadiers ! répondit le maréchal ; passe encore si c'étaient douze lieutenants généraux. » [132] Oudendorp fait observer que cet exemple, par lequel Frontin recommande la modération ou la bonté, devrait appartenir au chapitre précédent. Mais il est probable que l'auteur n'a eu en vue que la prudence et le sang-froid du chef d'armée.

« La première qualité d'un général en chef est d'avoir une tête froide, qui reçoive une impression juste des objets ; il ne doit pas se laisser éblouir par les bonnes ou mauvaises nouvelles. Les sensations qu'il reçoit successivement ou simultanément, dans le cours d'une journée, doivent se classer dans sa mémoire, de manière à n'occuper que la place qu'elles méritent d'occuper : car la raison et le jugement sont le résultat de la comparaison de plusieurs sensations prises en égale considération. Il est des hommes qui, par leur constitution physique et morale, se font de chaque chose un tableau : quelque savoir, quelque esprit, quelque courage et quelques bonnes qualités qu'ils aient d'ailleurs, la nature ne les a point appelés au commandement des armées, et à la direction des grandes opérations de la guerre. » (Napoléon.)

Mais cette prudence et ce sang-froid ne doivent point dégénérer en irrésolution. « Un général irrésolu, qui agit sans principes et sans plan, quoiqu'à la tête d'une armée supérieure en nombre à celle de l'ennemi, se trouve presque toujours inférieur à ce dernier sur le champ de bataille. Les tâtonnements, les mezzo termine perdent tout à la guerre. »

« À force de disserter, de faire de l'esprit, de tenir des conseils, il arrivera ce qui est arrivé dans tous les siècles en suivant une pareille marche : c'est qu'on finit par prendre le plus mauvais parti, qui presque toujours, à la guerre, est le plus pusillanime, ou, si l'on veut, le plus prudent. La vraie sagesse, pour un général, est dans une détermination énergique. » (Napoléon.) [133] Ce n'est point à Antiochus, mais bien à Prusias, que ce stratagème fut enseigné par Hannibal. Voyez Cornelius Nepos, Vie d'Hannibal, ch. XI ; et Justin, liv. XXXII, ch. 4.

Ce fait, malgré le témoignage de plusieurs historiens de l'antiquité, est dépourvu de vraisemblance, aux yeux des tacticiens modernes. « Quoi de plus ridicule, dit M. Carion- Nisas (Essai sur l'hist. de l'art militaire, t. 1er, p. 242) » que de supposer, dans un pays civilisé, ou du moins habité par dos hommes, un assez grand nombre de vipères pour en remplir cinq ou six cents vases ! Combien ne faudrait-il pas de temps pour les ramasser, et combien d'hommes ne faudrait-il pas occuper à une pareille chasse ! » [134] Remarquez le misérable jeu de mots que Pachès a mis à profit pour commettre cette atrocité. Polyen rapporte une autre perfidie de ce général (liv. III, ch. 2). [135] Volons, esclaves enrôlés comme volontaires. Voyez leur histoire dans Tite-Live (liv. XXII, ch. 67 ; liv. XXIII , ch. 35 ; liv. XXIV, ch. 14 et suiv. ; liv. XXVII, ch. 38 ; et liv. XXVIII, ch. 46). [136] T. Gracchus avait juré au nom de la république, et se trouvait lié par son serment. Voyez le récit de Tite- Live, liv. XXIV, ch. 14 et suiv., surtout le ch. 16. [137] Alexandre s'est souvent annoncé comme libérateur aux nations dont il franchissait les frontières. C'est une ruse de tous les temps. Le général Bonaparte, débarquant en Égypte, adressa aux habitants une proclamation qui commençait par ces paroles :

« Depuis longtemps les beys qui gouvernent l'Égypte insultent à la nation française et couvrent les négociants d'avanies ; l'heure de leur châtiment est arrivée.

« Depuis longtemps ce ramassis d'esclaves, acheté dans le Caucase ou dans la Géorgie, tyrannise la plus belle partie du monde ; mais Dieu, de qui tout dépend, a ordonné que leur empire finît.

« Peuples d'Égypte, on vous dira que je viens pour détruire votre religion ; ne le croyez pas : répondez que je viens restituer vos droits, punir les usurpateurs, et que je respecte, plus que les mameluks, Dieu, son prophète et le Coran. » [138] Le rôle des vélites, des archers et frondeurs, en un mot, des fantassins armés à la légère, était principalement d'engager le combat. Ils escarmouchaient en avant et sur les flancs de la légion ; et, quand ils étaient forcés de plier, ils se retiraient dans les intervalles que présentaient les cohortes, les manipules, et même les centuries, comme le dit ici Frontin. [139] Sous les murs mêmes de Capoue. Voyez le récit plus étendu de Tite-Live, liv. XXVI, ch. 4 ; et Valère Maxime, liv. II , ch. 3, § 3.

On a essayé plusieurs fois dans les temps modernes, notamment en 1802, au camp de Boulogne, de renouveler cet usage, en exerçant des voltigeurs à sauter en croupe derrière les cavaliers : mais on a dû y renoncer, parce que les essais réitérés n'ont fait espérer aucun succès. [140] Ce combat eut lieu près de Thyatire, en Lydie : Tite-Live en fait une longue description ; mais, d'après cet historien, P. Scipion était alors malade à Élée, et ne pouvait, par conséquent, donner à son frère le conseil dont parle Frontin. Voyez liv. XXXVII, ch. 37 et suiv., surtout le ch. 41, qui contient une description des chars à faux de l'armée d'Antiochus. Appien (de Rébus Syr., c. XXIX et sqq.) fait une narration très circonstanciée de cette bataille. [141] Il y a évidemment une lacune en cet endroit : d'abord, la phrase ainsi construite n'est pas latine, les mots Metellus et Hermocrates s'excluant comme sujets de l'unique verbe confecit. Ensuite, comment expliquer historiquement cette rencontre de Metellus et d'Hermocrate ? Selon toute apparence, il y a ici deux fragments de deux récits différents : c'est par respect pour les meilleures éditions que je ne les ai pas séparés.

End of Project Gutenberg's Les stratagèmes, by Sextus Julius Frontin

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