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Les voix intimes: Premières Poésies

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L'été de mil huit cent soixante et dix achève;

L'oiseau commence à fuir vers des climats plus doux;

Le soleil, triste et pâle, à l'horizon se lève;

La ramure secoue au vent ses cheveux roux.


C'est le dimanche au soir. Une foule innombrable

Envahit le forum (place Jacques-Cartier);

On dirait, à la voir, qu'un malheur effroyable

Menace les mortels de l'univers entier.


Que s'est-il donc passé de si grand sous les astres

Pour que sur tous ces fronts éclate le chagrin?

Ah! la France se meurt! déjà quatre désastres:

Weissembourg, Reischofen, Forbach et Spickerin!


Eh! oui, voilà pourquoi l'on pleure et l'on murmure

Dans la ville où grandit l'héroïque valeur;

Quand la France reçoit au coeur une blessure,

Les habitants d'ici tressaillent de douleur!


«Je vole à son secours, s'écrie un patriote,

Et vais au consulat offrir mes faibles mains.

Et si je dois tomber sous le fer du despote,

Je mourrai, sans regret comme les vieux Romains!»


Il part, la tête haute et l'oeil plein de lumière,

Et va chez le consul, qui l'accueille fort bien.

«J'appartiens, Excellence, à la classe ouvrière,

Dit-il, et j'ai l'honneur d'être né Canadien.

Or, j'apprends que la France où naquirent nos pères,

--Belle France que j'aime autant que mon pays!--

Est soumise à cette heure aux troupes meurtrières

Que commandent Von Molke et ses cruels amis!


Eh bien, mille tambours! je vends maison, boutique,

Pour aller me ranger sous son noble drapeau;

Oui, si j'obtiens de vous une pièce authentique,

Je troquerai l'outil contre le chassepot!»


--«Quel est donc votre nom, homme plein de courage?


--Pierre Francoeur, obscur artisan, de Saint-Roch.


--Quoi! c'est à vous qu'un soir le fleuve, dans sa rage,

Ravissait et l'épouse et les enfants en bloc?...


--«Hélas! oui, c'est à moi que le fleuve en colère,--

Ce fleuve au bord duquel j'aimais à respirer--,

A ravi les trois coeur, les plus purs de la terre...

Et depuis cet instant je ne fais que pleurer...


--O le deuil éprouvé des époux et des pères!

Je comprends vos malheurs et sais y compatir;

Vous êtes un héros tel que l'on n'en voit guères,

Et la France de vous n'aura pas à rougir.


Prenez ce sauf-conduit cacheté de mes armes,

Puis rendez vous auprès du gouverneur Trochu;

Devant ce pli les Francs abaisseront leurs armes,

Et par eux vous serez, au besoin, secouru.»


«--Pour vos bontés, merci mille fois, Excellence!

Je serai, je l'espère, un valeureux soldat,

Car je sens dans mon coeur refleurir la vaillance

Que Montcalm a légué aux fils du Canada!»


Le lendemain au soir, à genoux sur la terre

Où dormaient pour toujours Rose et les deux jumeaux,

Pierre parlait tout bas dans ce lieu solitaire,

Mais l'indiscret zéphyr nous apporta ces mots:


Adieu, tombe chérie,

Sombre et muet séjour

Où tous, après la vie

Nous dormirons un jour!


Demeure des trois anges

Que follement j'aimais

Et que les viles fanges

Ne salirent jamais!


Adieu, charmante femme,

Adieu, fruits de son flanc:

A vous, j'offre mon âme,

A la France, mon sang!


Demain, avant l'aurore,

Je quitterai ces lieux;

--Vous reverrai-je encore?

Oui, plus tard, dans les cieux!


Mais, vive inquiétude,

Qui me remplacera?

En cette solitude

Qui vous visitera?


Hélas! sur votre tombe

Que j'arrose de pleurs,

Nul ne viendra quand tombe

Le jour, mettre des fleurs!


Ni faire la prière,

Cette aumône du coeur,

Que le céleste Père

Accueille avec bonheur.


Non, car l'homme se livre

Ici-bas aux plaisirs,

Et n'aspire qu'à vivre

Pour combler ses désirs!


Eh bien, puisque le monde

Ne songe qu'à jouir,

Moi, sur la terre et l'onde

Pour vous je veux souffrir!


Donc, adieu, tendre femme,

Adieu, fruits de son flanc!

A vous, j'offre mon âme,

A la France, mon sang!»


Laissons dormir en paix dans leur sombre retraite

Ces trois infortunés, et rejoignons Francoeur,

Qui, près de Châtillon, à la lutte s'apprête

Sous le commandement d'un général de coeur.

Il a pu parvenir jusque là sans entrave,

Grâce à l'aimable pli du consul québecquois;

Du reste, en le voyant, on devinait un brave

Dans les veines duquel coulait le sang gaulois!


La France tous les jours éprouve les défaites;

Nos vaillants soldats sont par le nombre écrasés;

Et déjà les Prussiens se préparent des fêtes

Dans les riches hameaux qu'ils ont germanisés.


Ils ne respectent rien, ces conquérants d'une heure!

Ils insultent l'enfant, la femme, le vieillard,

Détruisent la moisson et brûlent la demeure

Où vit paisiblement l'honnête montagnard.


Ivres d'or et de sang, ils attaquent les villes

Qu'ils pillent aussitôt et plongent dans le deuil;

Puis, l'esprit ébranlé par leurs succès faciles,

Ils lancent sur Paris un envieux coup d'oeil!


Halte-là! car Paris, le vrai coeur de la France,

Le royaume des arts, l'imprenable cité,

Secoue avec éclat sa folle insouciance

Et veut garder encor son immortalité!


Jules Favre aux Prussiens demande un armistice,

Afin d'examiner leurs nombreux armements:

Mais de Bismark répond:

«Je ne puis, en justice,

L'accorder... Agréez mes meilleurs sentiments!»


Cette froide réponse allume la colère

et l'indignation dans l'âme des Français.

«C'est bien, disent plusieurs, fertilisons la terre,

Les cadavres prussiens nous serviront d'engrais!


Tout Paris se prépare à combattre les reîtres,

Les jeunes et les vieux marchent sous les drapeaux;

On jure de tuer, sans pitié, tous les traîtres

Et de livrer leur chair en pâture aux corbeaux!


Les fusils, les canons, les boulets et la poudre

Sont vite fabriqués et remis aux soldats;

Et, quand sonnera l'heure, aussi prompts que la foudre,

Ces terribles engins feront mille dégâts...


C'est le vingt-deux septembre. Escorté de ses troupes

Le général Ducrot traverse Châtillon;

Les habitants du lieu, qui se tiennent par groupes

Agitent devant lui maint et maint pavillon.

Ducrot s'incline et dit:

«Priez pour nous, mes frères,

Afin que du combat nous sortions triomphants;

Demain nous camperons près des hautes Bruyères

Où les Prussiens encor se montrent turbulents.»

Et quittant à regret ce peuple qu'il estime,

Esclave du devoir, il poursuit son chemin;

Il n'a plus qu'un désir--désir vraiment sublime--

Lutter, et, s'il le faut, mourir le lendemain!

De bonne heure, Ducrot le lendemain arrive

A l'endroit redoutable avec ses bataillons.

«Tenez-vous, leur dit-il, tous sur la défensive,

Car l'ennemi déjà doit charger ses canons.


A peine a-t-il parlé, qu'une balle prussienne

Laboure jusqu'à l'os le flanc de son cheval!

La bête de douleur rugit comme l'hyène

Qui se trouve placée en face d'un rival.

Les ennemis alors sortent de leur cachette

En lançant des obus à travers les bosquets;

Mais Ducrot, sans frayeur, à ses soldats répète:

Laissez-les dépenser leur force et leurs boulets!

Cependant les Prussiens--que ce silence intrigue--

Osent se découvrir aux regards des Français.

Ducrot les voit venir, et, fier de son intrigue,

Jubile en présentant un glorieux succès!

«A l'oeuvre! ordonne-t-il; déplantez-moi ces rustres.

Que l'orgueil a rendu méchants, audacieux!

La France attend de vous les faits les plus illustres,

Allons donc, en avant! ô soldats valeureux!»

Aussitôt des milliers de boulets et de balles

Tombent comme un orage au milieu des Prussiens.

Et l'air redit alors des clameurs infernales

Qui ressemblent aux cris d'une meute de chiens!


Çà et là des blessés étendus en grand nombre

Exhalent leurs douleurs et maudissent le sort,

Puis d'autres effrayés par ce spectacle sombre,

Sous les bois vont se mettre à l'abri de la mort.


Les chevaux, l'oeil en feu, les naseau pleins d'écume,

Affolés de terreur, s'élancent au galop,

Mutilant de leurs fers le cadavre qui fume

Sur le sol détrempé par le sang et par l'eau!


C'est un sauve-qui-peut: le général lui-même,

Espèce de colosse au coeur ambitieux,

Est obligé de fuir; et, dans sa rage extrême,

Maudit, en se sauvant, les Français et les dieux...


Maintenant, grâce au ciel, sur les Hautes-Bruyères,

Le vieux drapeau français déroule au vent ses plis;

Il semble défier les hordes meurtrières

Qui nourrissent l'espoir de bombarder Paris.


Neuf jours ont fui. Ducrot à cheval se promène

En rêvant au plaisir de revoir l'ennemi,

Car il l'attend. Depuis bientôt une semaine

Ce général fameux n'a presque point dormi.


Au détour d'une route, à travers le feuillage,

Il croit voir onduler dans le lointain brumeux

Une mer de soldats: tel on voit un rivage

Mollement s'avancer les flots silencieux.

Tiens! ce sont les enfants de la blonde Allemagne,

Se dit le promeneur, en mettant son lorgnon;

Nous leur ferons danser, ici, dans la montagne,

Un joli moulinet aux accords du canon...

Ils aiment ce jeu-là, si j'en crois ma mémoire,

Eh bien, ces beaux danseurs ne seront pas déçus!

Mais! ils sont très nombreux: la plaine en est toute noire!

Bah! qu'importe leur nombre, ils seront bien reçus!

Sur ce, le général pique au flanc sa monture

Et s'élance au galop vers le champ des soldats.

«--Aux armes! leur dit-il, de sa voix mâle et pure,

Les Allemands sur nous s'avancent à grands pas!

Leur nombre est légion; mais vous êtes des braves

Que ne comptez jamais le nombre des rivaux;

Si vous ne voulez pas devenir leurs esclaves,

Ni même leur livrer vos glorieux drapeaux,

Alors, repoussez-les! N'ayez aucune crainte,

Soldats, d'être vaincus; non luttez vaillamment,

Sous le regard de Dieu, car votre cause est sainte

Et Dieu vous aidera jusqu'au dernier moment!»


Tous les soldats en choeur à cet appel répondent:

--Nous vous suivrons partout, ô noble général!

--Ah! merci, fait Ducrot; vos cris puissants inondent

Mon âme d'allégresse... Attendez le signal!


L'heure succède à l'heure et l'ombre à la lumière;

La nuit sur la nature étend son voile noir.

La lune, au bord du ciel, montrant sa tête altière,

Scintille tout à coup comme un bel ostensoir.

Tout est silencieux. Ducrot et son armée

Attendent, l'arme aux bras, le terrible moment

Où la tourbe prussienne--ivre de renommée--

Viendra le attaquer dans leur retranchement.

Mais le temps passe, et rien ne trouble le silence,

Si ce n'est quelquefois les murmures du vent.

Enfin l'aube paraît et l'horizon immense

Reflète les clartés d'un beau soleil levant.


Les belliqueux Français sont ennuyés d'attendre;

Ils ne redoutent pas leurs ennemis, oh! non!

Car leur unique voeu, maintenant, est d'entendre

La voix de la trompette et de celle du canon.

Néanmoins, imitant du général l'exemple,

Ils offrent au Seigneur les prémices du jour,

Et ce champ de combat se convertit en temple

D'où montent vers le ciel des prières d'amour.

Puis, ce devoir rempli, les cuisiniers préparent,

Avec habileté, le modeste repas.

La marmite est au feu. Tous les soldats s'emparent

De leurs brillants couteaux pour trancher le lard gras.

Bref, le tout est servi. La cloche carillonne

Invitant la milice à manger sans façon.

Le vin ne manque pas. La bonne humeur rayonne

Sur les fronts, et le coeurs vibrent à l'unisson.


Mais, dominant les ris, les tirades joyeuses,

La voix du général fait entendre ces mots:

«Aux armes! j'aperçois les cohortes nombreuses;

Vainquons! car la défaite est le plus grand des maux!»


Les soldats, oubliant le vin et la gamelle

Obéissent de suite à l'ordre de Ducrot,

Qui suit leurs mouvements de sa vive prunelle

En allant et venant sur son coursier au trot.


Les Prussiens, l'air railleur, vers les Français s'avancent,

Mais ceux-ci sont déjà prêts à les recevoir,

Les soldats de Ducrot à leurs ennemis lancent

Un regard dont l'éclair paraît les émouvoir.

Ducrot ordonne alors de commencer la lutte.

Par un feu bien nourri. Le feu gronde aussitôt;

Et, spectacle effrayant, des deux côtés on lutte

Avec un héroïsme où la colère éclot.

Allemands et Français combattent face à face

Et semblent décidés à vaincre ou bien mourir,

Car lorsqu'un soldat tombe, un autre le remplace,

Convaincu qu'à son tour la mort va le saisir!


La mort, sans préférence, enlève aux deux armées

Des hommes de valeur, que dis-je? des héros!

Elle n'a pas d'égard pour leurs jeunes années,

Non! comme les blés mûrs ils tombent sous sa faux!


O mort, cruelle mort! pour assouvir ta haine,

Tu fais couler à flot le sang de tous ces preux;

Tu plonges à la fois dans le deuil et la peine

Des mères au coeur d'or et des enfants heureux!

Ils n'ont plus de soutien, ils n'ont plus d'espérance!

Ah! qui donc désormais leur donnera du pain?

Qui les consolera quand l'amère souffrance

Posera sur leur front sa redoutable main?...


Mais la mort ne dort pas, au contraire elle veille

Et moissonne à son gré les faibles et les forts:

On a beau la prier, elle n'a point d'oreille

Pour écouter nos voix, nos douloureux accords...

Elle épargne à présent les soldats de la Prusse

Et frappe les Français qui luttent vainement;

Ceux-ci vont succomber, quand Ducrot, plein d'astuce,

Sous le dôme d'un bois les place adroitement.

Le pauvre général a la douleur dans l'âme:

Six cents vingt-deux des siens sont au nombre des morts!

Que faire? va-t-il fuir? Non! ce serait infâme,

Et partout le suivrait la honte et le remords...

Mais il devra lutter, hélas! sans espoir même,

Car les Prussiens à peine ont perdu cent soldats.

«N'importe! je mourrai pour la France que j'aime,

Dit-il: un Français meurt, mais il ne se rend pas...»

Il crie à ses héros: «Quittons notre retraite

Et derechef allons au poste de l'honneur:

Impossible pour nous d'éviter la défaite;

Prouvons donc aux Prussiens que nous avons du coeur!»


La résignation brille sur la figure

De ces braves soldats luttant vingt contre cent;

Mais personne ne jette une plainte, un murmure,

Ils ont déjà juré de répandre leur sang!


Le général alors à leur tête se place

En leur disant: «Soldats, imitons nos aïeux;

Lorsque des ennemis s'emparaient d'une place,

Ils les en délogeaient, eh bien, faisons comme eux!»

Sur ce, l'oeil enflammé, le voilà qui s'élance,

Vers la vaste clarière où règnent les Teutons;

Il y parvient bientôt trompant leur vigilance,

Et fait pleuvoir sur eux le fer de ses canons.


Les Allemands, surpris d'une attaque aussi rude,

Ne peuvent tout d'abord riposter à ce feu;

Mais leur général parle, et sa ferme attitude

Leur donne du courage et les rassure un peu.

Puis un combat nouveau, gigantesque, commence;

Ces puissants ennemis ne se ménagent pas.

On dirait, à les voir, qu'ils sont pris de démence,

Tant ils semblent contents s'affronter le trépas.

Balles, boulets, obus tombent comme la grêle;

Une épaisse fumée aveugle les soldats;

Aux plaintes des blessés, la trompette entremêle

Sa larmoyante voix, aussi triste qu'un glas.

Les Français luttent bien. Le bruit de la mitraille,

Loin de les effrayer, augmente leur ardeur;

Ils veulent à tout prix gagner cette bataille

Que renferme pour eux le salut et l'honneur!

Mais, qu'est-ce? entendez-vous les hourras frénétiques

Qu'ils poussent vers le ciel en combattant toujours?

Ils viennent de ravir aux sujets germaniques

Douze ou treize canons aux énormes contours!

Alors les Allemands, le front chargé de rage,

Font mine d'avancer sous le feu des Français,

Mais en vain! car ceux-ci redoublent de courage

Et leur font essuyer un nouvel insuccès!


Ducrot observe tout. Il voit parmi ses braves

Un homme culbuter à lui seul maints Prussiens,

Leur infligeant à tous de ces blessures graves

Que ne peuvent guérir les savants chirurgiens;

Car ceux qui sont tombés sous sa fatale étreinte

Sont là, sans mouvement, sur le terne gazon,

La poitrine brisée et la prunelle éteinte,

Mêlant leur dernier râle à la voix du canon!

Mais ce chanceux tireur que l'héroïsme guide,

Pourra-t-il résister aux coups des ennemis?

Regardez-le: de sang sa tunique est humide;

N'importe! il lutte encore, les membres tout meurtris!

Puis, ô bonheur! il voit que l'ennemi recule;

Il avance à la course avec ses compagnons,

Poursuivant les fuyards les tuant sans scrupule,

Comme on écraserait du pied des moucherons!...

Tout à coup il terrasse un soldat héroïque

Qui vient de dérober aux Français un drapeau;

Il arrache au voleur cette belle relique,

Plus pure à ses regards que le cristal de l'eau!


Quel est donc ce héros à la fière encolure

Que Bellone a chargé des lauriers du vainqueur?

Examinez les traits de sa noble figure,

Et vous reconnaîtrez le forgeron Francoeur!...

Les malheurs ont blanchi ses beaux cheveux d'ébène

Et creusé sur son front un glorieux sillon;

Blessé, mais non soumis, il est semblable au chêne

Qui résiste longtemps aux coups du bûcheron...

Il baise avec amour le drapeau de ses pères,

Après l'avoir pressé tendrement sur son coeur;

Et, sans respect humain, récite des prières

Que sa famille, au ciel doit répéter en choeur!


L'ardeur chez les Prussiens semble un instant renaître,

Car leur mitraille gronde encore avec éclat;

Mais, d'un coup d'oeil, il est aisé de reconnaître

Que c'est le désespoir qui les pousse au combat.


Ducrot veut balayer ces bandes étrangères

Qui croyaient par leur nombre effrayer les Français:

«Braves soldats! chassez ces infâmes vipères

Pour qu'elles n'osent plus nous troubler désormais...»


Pierre alors se redresse et prend sa carabine,

De l'échec de la veille il veut venger l'affront.

Ciel! soudain son bras tremble et sa tête s'incline:

Il vient de recevoir deux balles dans le front!


Il tombe sur le sol, théâtre de sa gloire,

Ce modeste artisan que rien n'intimida,

En murmurant ces mots que je livre à l'Histoire:

Adieu, France chérie! Adieu, beau Canada...


1er février 1887.



SONNETS



MONTRÉAL


A M. LOUIS FRÉCHETTE

Bâtie au pied d'un roc à l'aspect grandiose,

Et que Jacques Cartier appela Mont-Royal

Cette belle cité, que le Pactole arrose,

Attache le progrès à son char triomphal.


Le commerce fleurit où fleurissait la rose,

Car il a détrôné le règne végétal;

La voix de la vapeur--moderne virtuose--

Fait retentir les airs d'un hymne magistral.


Là vit dans l'harmonie un peuple hétérogène

Dont les fils, chaque jour, descendent dans l'arène

Au seul mot d'industrie ou de prospérité.


Ils rêvent d'établir sur ce sol historique

Une ville prospère, heureuse, magnifique,

Et ce beau rêve touche à la réalité!


1er mars 1889.



QUÉBEC


A M. NAPOLÉON LEGENDRE

Assise sur le haut d'un vaste promontoire

D'où le regard embrasse un féerique tableau,

La ville de Québec semble du territoire

Être la sentinelle ou le porte-drapeau!


Ses vieux murs délabrés, qui faisaient notre gloire,

Tombent de jour en jour sous les coups du marteau;

N'importe! elle progresse, et son nom dans l'histoire

N'en brillera pas moins d'un éclat pur et beau!


Elle a dormi longtemps; la voilà qui se lève!

Un pont traversera, de l'une à l'autre grève,

Le cours majestueux du large Saint-Laurent.


De superbes palais embelliront ses rues;

Des hôtels dresseront leurs dômes dans les nues;

Et l'immortel Champlain aura son monument!


1er mars 1889.



ROSE FANÉE


L'autre soir, en ouvrant quelques feuillets de prose

Cachés sous la poussière et jaunis par le temps,

J'en vis rouler à terre une petite rose

Qui me rappela l'heure où j'avais dix-sept ans.


A sa tige pendait un bout de satin rose

Où j'aperçus le nom d'un ange aux traits charmants

Qu'autrefois j'adorai mais, fleur à peine éclose,

La mort vint la cueillir à quatorze printemps...


Je priai ce soir-là--le coeur plein de tristesse--

Pour celle qui dora l'aube de ma jeunesse

Des rayons les plus purs des plaisirs et des ris...


Depuis, un autre amour a germé dans mon âme,

Et je vois tous les jours sa bienfaisante flamme

Illuminer le coeur de mes enfants chéris.


1er juin 1889.



A M. E. AUBÉ, JOURNALISTE

A l'occasion de son mariage.

Au banquet de l'hymen le seigneur te convie;

Accepte avec fierté, jeune homme, cet honneur.

Un ange d'ici-bas te consacre sa vie,

Son amour, ses secrets, ses espoirs de bonheur!


Il faut se marier! C'est bien là ce qu'envie

Tout être raisonnable et doué d'un bon coeur;

Mais, dans ce siècle où l'âme à l'or est asservie,

Trop de femmes, hélas! ne rêvent que grandeur!...


Sois heureux! sois heureux dans ton humble ménage!

Chasse loin les doucis, et que pas un nuage

N'assombrisse un instant le ciel de tes amours!


Dieu te donne aujourd'hui--récompense ineffable--

Une épouse au coeur d'or, intelligente, affable,

Qui fera de ta vie un tissu de beaux jours!


Juillet 1881.



A L'AMIRAL THOMASSET

DE LA «MAGICIENNE»


Va sur le Saint-Laurent, ô ma muse chérie,

Offrir un humble hommage aux marins valeureux

Qui viennent sur nos bords, l'âme toute attendrie,

Pour voir ce beau pays fondé par leurs aïeux!


O muse, ne crains pas d'être mal accueillie,

Les Français sont toujours courtois et généreux;

S'ils s'arment quelquefois du dard de l'ironie,

Ce n'est que pour punir les sots, les orgueilleux.


Dis-leur que, sur le sol de la libre Amérique,

Deux millions de coeurs, à la trempe énergique,

Ont promis aux Français un éternel amour;


Et dis-leur que, malgré l'épreuve et la souffrance,

La haine des tyrans et l'oubli de la France,

Ils n'ont voulu trahir leur promesse un seul jour!


1er août 1878.



A M. P.-C. BEAULIEU

RÉPONSE


Oh! qu'ils sont beaux ces jours où la sainte espérance

Entonnait dans mon âme un chant plein de douceur!

Mon rêve se brisa, je connus la souffrance

Et pleurai, mais en vain, ces moments de bonheur...


Berthe vivait pour moi; j'avais sa confiance.

D'un amour grandissant nous goûtions la saveur;

Le prêtre allait bientôt bénir notre alliance,

Mais Berthe un soir partit pour un monde meilleur!


Je souffre maintenant--oui, je souffre en silence--

Et pourtant je bénis l'austère Providence

Qui me versa l'absinthe et lui tendit le miel!


Je garderai toujours, mon ami, souvenance

De celle qui dora longtemps mon existence

Et brille désormais dans les splendeurs du ciel!


Avril 1880.



LE LAC BEAUPORT


A. M. M. PELLETIER

J'aime à te contempler, ô lac, que la nature

A placé dans un lieu poétique et charmant!

J'aime à voir tes flots noirs refléter la ramure

Des pins que le zéphyr agite mollement!


Et je songe que là, dans leur retraite obscure,

Les Hurons, autrefois, vivaient paisiblement;

Mais sur tes bords mon oeil ne voit plus la figure

D'un seul de ces héros: ils sont morts vaillamment...


Que de fois, ô beau lac, après une victoire,

Les Hurons revenaient, le front chargé de gloire,

Reposer près de toi leur membres tout meurtris;


Et, que de fois aussi, l'humble missionnaire,

Portant pour bouclier la croix, le scapulaire,

Allait y consoler ces malheureux conscrits!


1er août 1880.



A MONSIEUR C...


Depuis deux ans, poète à l'âme tendre,

Ta lyre d'or a suspendu ses chants.

Souffrirais-tu? Mais l'oiseau fait entendre

Dans la douleur des murmures touchants.


Ton noble coeur doit pouvoir se défendre

Du désespoir et des chagrins cuisants.

Tous nos pensers, tu le sais, doivent tendre

Vers le séjour du Maître des puissants.


Sois courageux! car c'est dans la souffrance

Que nos aïeux retrempaient leur vaillance

Quand ils luttaient pour la foi du chrétien!


Oui, chante encor: ta voix mélodieuse

Fera connaître à la France oublieuse

Les grands exploits du peuple canadien!


8 septembre 1885.



RÉPONSE


L'autre jour, en passant, je vis dans le vallon

Une harpe au rameau d'un arbre suspendue;

Le soleil lui versait comme des jets de plomb,

Et nul vent ne touchait sa corde détendue.


Un silence de mort pesait sur l'étendue,

Mais soudain un zéphyr, caché dans un buisson,

S'en vint tourbillonner sur la harpe éperdue,

Et l'instrument divin rendit encore un son.


Ami, mon luth gisait, frappé par la souffrance;

Dans son désert brûlant nul souffle d'espérance

Ne caressait mon coeur navré par les chagrins.


Mais hier votre muse, harmonieuse brise,

Effleura de son vol ma lyre qui se brise.

Et je fredonne encor mes modestes refrains!

C...


15 septembre 1885.



LE PRINTEMPS


A M. PIERRE-GEO. ROY, DU «GLANEUR».

Le givre a disparu. L'oiseau dans la ramée

Exhale vers le ciel ses chants mélodieux;

L'aurore verse à flots sur la rose embaumée

Comme des perles d'or, les charmes de ses yeux.


C'est le printemps vermeil; la brise parfumée

Mêle au bruit du ruisseau son murmure joyeux;

Dans les bosquets en fleurs, l'abeille, ranimée

Bourdonne en butinant le miel délicieux.


O résurrection de la grande nature!

Doux printemps, j'aime à voir ta riante verdure

Dérouler sur le sol son tapis de velours!


Quand tu brilles, le front du malheureux se dresse;

Les coeurs, jeunes ou vieux, tressaillent d'allégresse,

Et d'une même voix célèbrent les beaux jours!


Mai 1891.



A L'AUTEUR


Oui, puisqu'il plût à Dieu de te faire poète,

Courage donc, jeune homme, au front plein de fierté!

Et, malgré les clameurs de la foule inquiète,

Redis-nous plus souvent tes chants de piété.


Chante aussi nos forêts, notre rive coquette,

La jeunesse, l'amour et les beaux soirs d'été;

Exalte les grands noms que l'Histoire répète,

Célèbre les aïeux, chante la liberté!


Chante avec les ruisseaux, les oiseaux et la brise.

Rappelle-toi toujours que l'art nous civilise

Et fait naître l'espoir dans tout coeur ulcéré.


Souviens-toi que chacun se doit à sa patrie,

Et que l'homme oubliant son talent, son génie,

Est indigne d'avoir au front ce feu sacré.

W...


Août 1877



RÉPONSE


Penser avant d'écrire est un principe exprès:

Il est trop d'écrivains qui ne pensent qu'après...


Ayant ces deux beaux vers gravés dans la mémoire,

Je devrais, n'est-ce pas? en faire mon profit;

Mais le désir d'écrire, hélas! parfois me fit

Oublier ce conseil d'un écrivain notoire!


Dis ton mea culpa, car tes vers m'ont fait croire

Que j'étais un poète et même un érudit...

Alors, ai-je besoin de me creuser l'esprit

Avant d'écrire? oh! non--pour d'autres cette histoire...


Soudain je m'aperçois que ma vilaine lyre

Ne rend que des sons creux... Allons, avant d'écrire,

J'aurais dû, mon ami, penser et repenser!


Désormais je mettrai ce précepte en pratique,

Ainsi je serai moins mordu par la critique

Dont la terrible dent ne cherche qu'à blesser!


Août 1877.



A L'AMIRAL CAVELIER DE CUVERVILLE

Lu à l'amiral par une orpheline des Soeurs de la Charité.


Notre âme a tressailli de joie et d'allégresse,

O pieux amiral, quand notre bon pasteur

Nous a transmis ces mots, doux comme une caresse:

«La France vous envoie un noble visiteur!»


Nous connaissions déjà les vertus, la tendresse

De l'ange dont Veuillot parle en admirateur;[6]

Vous avez hérité de sa grande sagesse,

Puisque votre France est celle du Sacré-Coeur!


Ah! nous l'aimons aussi votre admirable France!

Son nom est buriné dans le coeur de l'enfance

Et brille en lettres d'or sur tous nos monuments.


Par elle nos aïeux se sont couverts de gloire;

Or comment voulez-vous qu'en lisant leur histoire,

Nous n'aimions pas la mère autant que les enfants...


19 août 1891.

[Note 6: Madame de Cuverville, mère de l'amiral.]


UN NOM GLORIEUX


A MES PETITS ENFANTS

Rosa mystica.


Il est un nom que tout chrétien vénère

Et qu'il apprend à chérir au berceau,

Un nom qui brille au ciel et sur la terre,

Dans la cité, comme dans le hameau.


Un nom puissant qui calme l'onde amère

Et mène au port le fragile vaisseau,

Nom glorieux que des hommes de guerre,

En lettres d'or, mettent sur leur drapeau!


Et ce grand nom, c'est le vôtre, ô Marie!

Nom que redoute et respecte l'impie

Et que, parfois, il invoque à genoux...


Que votre nom, ô mère virginale!

Soit le dernier que notre bouche exhale

Quand s'ouvrira l'éternité pour nous!


1er mars 1892.



HYMNES, ROMANCES
ET
CHANSONNETTES



LA CRÈCHE DE NOËL [7]


Musique de M. N. Crépault

I

L'âpre saison déroule sur la terre

Son lourd manteau de neige et de frimas;

Le vent du soir soupire avec mystère

Dans la ramure où brille le verglas.

Il est minuit. Le carillon du temple

Jette aux échos un hymne triomphant,

Et le chrétien, à deux genoux, contemple (bis)

Avec amour un adorable enfant (bis).

[Note 7: Dédié au révérend M.F.-H. Bélanger, curé de St-Roch, Québec.]

II

Il est plus grand que tous les rois du monde,

Plus radieux que l'astre universel,

Plus éloquent que la foudre qui gronde,

Plus pur et saint que les anges du ciel!

Et cependant, il est né sur la paille;

Son divin corps éprouve des douleurs...

Que l'univers d'allégresse tressaille, (bis)

Car cet enfant rachète nos malheurs! (bis)

III

Au front du ciel une étoile rayonne,

Guidant les pas des rois les plus puissants

Qui vont offrir--en guise de couronne--

Au nouveau-né l'or, la myrrhe et l'encens!

Allons chrétiens, à l'exemple des Mages,

Nous prosterner devant le Rédempteur!

Adressons-lui nos vertueux hommages (bis)

Et redisons: Gloire au Libérateur! (bis)


Décembre 1887



LA CANADIENNE


Sur l'air de: «La Huronne»

I

Ravissante est la Canadienne

Avec ses yeux pleins de douceur,

Son teint rosé, son port de reine,

Qu'admire le fin connaisseur.

En robe de soie ou d'indienne,

Elle plaît toujours au galant!

Chantons l'aimable Canadienne, (bis)

Amis, dans un joyeux élan! (bis)

II

Jadis, sur le champ de bataille,

Elle cueillit plus d'un laurier,

Et de nos jours elle travaille

A maintenir l'ordre au foyer;

De notre foi c'est la gardienne,

Le champion ferme et vaillant.

Chantons l'aimable Canadienne, (bis)

Amis, dans un joyeux élan! (bis)

III

Regardez-là dans une fête

Rire et parler avec chaleur,

Puis souvent faire la conquête

De celui qu'elle a pour causeur!

On la proclame magicienne,

Certes, c'est bien l'équivalent...

Chantons l'aimable Canadienne, (bis)

Amis, dans un joyeux élan! (bis)

IV

Charitable autant que gentille,

Elle visite le réduit

Où le feu rarement pétille,

Où le bonheur jamais ne luit!

Et l'or de cette humble chrétienne

Sèche les pleurs de l'artisan...

Ah! oui, Chantons la Canadienne, (bis)

Amis, dans un joyeux élan! (bis)


Janvier 1881.



AUX RAQUETTEURS DE SHERBROOKE


Air: «Hiouppe! Hiouppe! sur la rivière, etc.»


I

Sherbrooke, c'est la ville

Où la franche gaîté

Sur tous les fronts scintille,

L'hiver comme l'été.

REFRAIN:

Hiouppe! Hiouppe! sur la raquette

Chantant la chansonnette,

Hiouppe! Hiouppe! sur la raquette

Nous ne fatiguons pas!

II

L'on vante sa largesse,

Son hospitalité,

Sa grande politesse

Et son urbanité.

REFRAIN:

Hiouppe! Hiouppe! sur la raquette

Chantant la chansonnette,

Hiouppe! Hiouppe! sur la raquette

Nous ne fatiguons pas!

III

Ses habitants s'amusent

Avec moralité,

Mais jamais ne refusent

De boire une santé!

REFRAIN:

Hiouppe! Hiouppe! sur la raquette

Chantant la chansonnette,

Hiouppe! Hiouppe! sur la raquette

Nous ne fatiguons pas!

IV

Ils aiment la raquette

Puis savent la porter;

Leur gentille toilette

Fait plus d'un coeur sauter.

REFRAIN:

Hiouppe! Hiouppe! sur la raquette

Chantant la chansonnette,

Hiouppe! Hiouppe! sur la raquette

Nous ne fatiguons pas!

V

Ils sont déjà quarante,

A part le comité,

Et compteront soixante

Avant la Trinité!

REFRAIN:

Hiouppe! Hiouppe! sur la raquette

Chantant la chansonnette,

Hiouppe! Hiouppe! sur la raquette

Nous ne fatiguons pas!

VI

Car toute la jeunesse

Désire raquetter;

Elle comprend l'ivresse

Qu'on éprouve à trotter.

REFRAIN:

Hiouppe! Hiouppe! sur la raquette

Chantant la chansonnette,

Hiouppe! Hiouppe! sur la raquette

Nous ne fatiguons pas!

VII

Et, bravant la tempête,

Le froid, l'humidité,

Elle dit et répète:

Courir, c'est la santé!

REFRAIN:

Hiouppe! Hiouppe! sur la raquette

Chantant la chansonnette,

Hiouppe! Hiouppe! sur la raquette

Nous ne fatiguons pas!

VIII

Honneur à la raquette

A son ancienneté,

A sa forme coquette,

A son utilité.

REFRAIN:

Hiouppe! Hiouppe! sur la raquette

Chantant la chansonnette,

Hiouppe! Hiouppe! sur la raquette

Nous ne fatiguons pas!

IX

Ce soulier poétique

Fut jadis inventé,

Sur le sol d'Amérique

Par un homme futé!

REFRAIN:

Hiouppe! Hiouppe! sur la raquette

Chantant la chansonnette,

Hiouppe! Hiouppe! sur la raquette

Nous ne fatiguons pas!

X

Il légua son ouvrage

A la postérité,

Qui, depuis d'âge en âge,

L'a toujours imité.

REFRAIN:

Hiouppe! Hiouppe! sur la raquette

Chantant la chansonnette,

Hiouppe! Hiouppe! sur la raquette

Nous ne fatiguons pas!

XI

O raquette, nos pères

Aiment à te porter;

Ils ne te laissent guères

Qu'un instant pour lutter!

REFRAIN:

Hiouppe! Hiouppe! sur la raquette

Chantant la chansonnette,

Hiouppe! Hiouppe! sur la raquette

Nous ne fatiguons pas!

XII

Et nos bons missionnaires,

Prêchant la vérité,

Sur raquettes légères

Ont mainte fois monté.

REFRAIN:

Hiouppe! Hiouppe! sur la raquette

Chantant la chansonnette,

Hiouppe! Hiouppe! sur la raquette

Nous ne fatiguons pas!

XIII

Nous sommes de leur race:

C'est là notre fierté!

Comme eux, fendons l'espace

Avec agilité!

REFRAIN:

Hiouppe! Hiouppe! sur la raquette

Chantant la chansonnette,

Hiouppe! Hiouppe! sur la raquette

Nous ne fatiguons pas!

XIV

Que le vieux et le jeune

Exempts d'infirmité,

Se présentent sans gêne

Devant le comité.

REFRAIN:

Hiouppe! Hiouppe! sur la raquette

Chantant la chansonnette,

Hiouppe! Hiouppe! sur la raquette

Nous ne fatiguons pas!

XV

Nous leur disons d'avance:

Vous serez acceptés.

Car les fils de la France

Par nous sont bien traités!

REFRAIN:

Hiouppe! Hiouppe! sur la raquette

Chantant la chansonnette,

Hiouppe! Hiouppe! sur la raquette

Nous ne fatiguons pas!



CHANT D'ADIEU


Musique de M. N. Crépault.

Entendez vous ce glas, sombre harmonie

Qui cause à l'âme un douloureux transport?

C'est le sanglot d'un frère à l'agonie

Qui lutte en vain contre l'avide mort!

Naguère au banquet de la vie

Il renaît place avec honneur,

Et sa figure épanouie

Semblait refléter le bonheur.

Ivre d'amour et d'allégresse,

Il savourait mille désirs,

Quand soudain la mort vengeresse

Vint mettre un terme à ses plaisirs!

En lui dérobant la lumière

La mort lui dit en triomphant:

«Ton corps deviendra la poussière

Que foule le pied du passant!

«Avant que tes lèvres soient closes

Fais entendre ce dernier cri:

Adieu, plaisirs et rêves roses!

Adieu, monde que j'ai chéri!»

Mais une voix enchanteresse

Lui glisse à l'oreille ces mots:

«Je suis la grâce et la tendresse,

Je soulage et guéris les maux.

«Regrette et confesse tes crimes;

Combats Satan avec fierté;

Je donne aux âmes magnanimes

La bienheureuse éternité!»

Ah! chrétiens, prions pour ce frère

Qui nous a dit un triste adieu,

Et croyons que notre prière

Attendrira le coeur de Dieu!

Entendez-vous les sons mélancoliques

Que l'orgue mêle au glas mystérieux

Joignant nos voix à ces voix angéliques,

Pour notre frère intercédons les cieux!


Novembre 1882.



BLANCHE, TE SOUVIENT-IL


Musique de M. Édouard Vincelette.

I

Te souvient-il de ces jours éphémères

Où le bonheur dorait notre chemin,

Où nous causions sous les yeux de nos mères,

Coeur près du coeur, et la main dans la main?

En souriant, tu m'appelais ton frères;

Je te nommais avec plaisir ma soeur.

Puis un matin--réminiscence amère--

Tu me laissas en proie à la douleur...

Blanche te souvient-il?

Blanche te souvient-il?

II

Tu t'envolas vers la rive de France,

En me disant: «Je ne t'oublierai pas;

J'adoucirai ta brûlante souffrance

En t'écrivant quand je serai là-bas!»

Et je suivis des yeux la blanche voile

Qui t'emportait dans le lointain brumeux;

Je priai Dieu d'allumer cette étoile

Qui mène au port le voyageur heureux.

Blanche te souvient-il?

Blanche te souvient-il?

III

Tu m'avais dit qu'avec les hirondelles

Tu reviendrais pour ne plus me quitter...

Le printemps brille, et les oiseaux fidèles

Sont revenus sous mon toit s'abriter.

Toi seule, hélas! ô ma tendre colombe,

Ne voles pas à mon parterre en fleur;

Le ciel a-t-il ouvert pour toi la tombe,

Ou bien le temps a-t-il fermé ton coeur?...

Blanche te souvient-il?

Blanche te souvient-il?


Juin 1883.



CHANT DU CLUB DE RAQUETTE
«LE FRONTENAC» de Québec


Musique de M. Joseph Vézina.

I

Nous subissons comme nos pères,

Sans murmurer, le poids du jour;

Mais nous aimons, joyeux compères,

Sur la raquette à faire un tour!

Alors nos coeurs pleins d'allégresse

Vibrent toujours à l'unisson;

Et, sous le froid qui nous caresse,

Nous redisons notre chanson!

REFRAIN:

O Frontenac, illustre gouverneur,

Notre patron du club de la raquette!

Pour exalter la gloire de ton honneur,

Nous te fêtons à la bonne franquette!

II

Lorsque le ciel couvre la terre

D'un manteau blanc aux plis moelleux,

Et que la lune, avec mystère,

Dore les champs de mille feux,

Il faut nous voir, quatre par quatre,

Raquette aux pieds, fendre le vent!

Comme les preux qui vont combattre

Nous répétons: En avant!

REFRAIN:

O Frontenac, illustre gouverneur,

Notre patron du club de la raquette!

Pour exalter la gloire de ton honneur,

Nous te fêtons à la bonne franquette!

III

Loin de la ville, assis à table

Et près d'un poêle aux flancs rougis.

Nous buvons un vin délectable

Qui nous met gais, mais jamais gris...

Puis, suivant la vieille coutume,

Un amateur sort le violon;

Et nous dansons, en grand costume,

Lancier, quadrille et cotillon!

REFRAIN:

O Frontenac, illustre gouverneur,

Notre patron du club de la raquette!

Pour exalter la gloire de ton honneur,

Nous te fêtons à la bonne franquette!

IV

Parfois l'aurore aux teints de rose

Vient nous surprendre à sautiller!

Et notre front se fait morose,

Puisqu'il nous faut capituler...

Mais la gaîté--douce compagne--

Renaît soudain quand nous partons,

Car la raquette et le champagne

Nous font chanter sur tous les tons!

REFRAIN:

O Frontenac, illustre gouverneur,

Notre patron du club de la raquette!

Pour exalter la gloire de ton honneur,

Nous te fêtons à la bonne franquette!

V

Nous descendons d'un peuple sage

A l'âme fière, aux bras vaillants,

Qui s'illustra par le courage

Et les exploits les plus brillants

Nous conservons son caractère,

--Même en étant sujets loyaux--

Et recueillons sur cette terre

Les nobles fruits de ses travaux!

REFRAIN:

O Frontenac, illustre gouverneur,

Notre patron du club de la raquette!

Pour exalter la gloire de ton honneur,

Nous te fêtons à la bonne franquette!

VI

Nous saluons tous nos confrères

Des autres clubs de ce pays,

Et leur disons ces mots sincères:

O raquetteurs, soyons unis!

Soyons unis, aux jours de fête,

Dans nos transports et nos désirs!

Marchons ensemble à la conquête

Du vrai bonheur et des plaisirs!

REFRAIN:

O Frontenac, illustre gouverneur,

Notre patron du club de la raquette!

Pour exalter la gloire de ton honneur,

Nous te fêtons à la bonne franquette!


15 février 1889.



HYMNE A SAINT-FRANÇOIS D'ASSISE

COMPOSÉ POUR LE TIERS-ORDRE DE SAINT-SAUVEUR


Air: «Faibles mortels».

I

O noble saint François d'Assise,

Prêtez l'oreille à nos accents:

Nous célébrons avec l'Église

Vos bienfaits toujours renaissants!

Presque au seuil de votre existence,

Vous charmiez le pauvre pécheur

Par votre amour pour le sauveur,

Vos suaves conseils et votre pénitence!

CHOEUR:

Toujours, ange des cieux, toujours gardez nos coeurs

Contre toute les malices

Et les artifices

Des esprits tentateurs!

Oh! notre âme

Vous proclame

Le plus puissant des divins bienfaiteurs!

II

A l'âge serein de la vie

Où l'homme se livre aux plaisirs,

Vous renonciez, l'âme ravie,

Au monde avec ses vains désirs.

La charité, divine étoile,

Dans notre âme attisait ses feux;

Et Jésus montait à vos yeux

Sur la mer de douleurs votre esquif à la voile!

CHOEUR:

Toujours, ange des cieux, toujours gardez nos coeurs

Contre toute les malices

Et les artifices

Des esprits tentateurs!

Oh! notre âme

Vous proclame

Le plus puissant des divins bienfaiteurs!

III

Il vous disait: «Va par le monde

Prêcher à tous ma sainte loi;

Va combattre le vice immonde,

Fais naître dans les coeurs la foi!»

Nouveau soldat plein de courage,

Vous obéîtes à sa voix,

Prenant pour seule arme sa croix,

Pour unique drapeau sa radieuse image!

CHOEUR:

Toujours, ange des cieux, toujours gardez nos coeurs

Contre toute les malices

Et les artifices

Des esprits tentateurs!

Oh! notre âme

Vous proclame

Le plus puissant des divins bienfaiteurs!

IV

Vos sermons remplis d'éloquence

Électrisaient les plus méchants;

Vos vertus et votre indulgence

Avaient des charmes séduisants.

Maints sceptiques suivaient vos traces,

Sans songer à se convertir.

Lorsque soudain le repentir

Pénétrait dans leur âme avec des flots de grâces!

CHOEUR:

Toujours, ange des cieux, toujours gardez nos coeurs

Contre toute les malices

Et les artifices

Des esprits tentateurs!

Oh! notre âme

Vous proclame

Le plus puissant des divins bienfaiteurs!

V

Puis quand sonna l'heure dernière,

Dieu vous trouva mûr pour le ciel:

Vous aviez bu l'absinthe amère,

Et vous alliez boire le miel...

O saint François, ami de l'ordre,

Mettez la paix en notre coeur

Afin qu'il devienne meilleur,

Et propagez partout votre oeuvre: le Tiers-Ordre!

CHOEUR:

Toujours, ange des cieux, toujours gardez nos coeurs

Contre toute les malices

Et les artifices

Des esprits tentateurs!

Oh! notre âme

Vous proclame

Le plus puissant des divins bienfaiteurs!



FRANCE ET CANADA


Air: «Elle ne savait pas.» Musique de A. Thomas.

I

Elle ignora longtemps l'heureuse et fière France

Que nous l'aimions toujours malgré son abandon,

Et que nous conservions--symbole d'espérance--

Son drapeau rayonnant de gloire à Carillon!

REFRAIN:

Le ciel, à travers la tempête,

Guida nos pas vers le succès.

O patrie, en ce jour nous célébrons ta fête!

O saint Jean, protégez (bis) le Canada français!

II

La France à notre égard n'est plus indifférente:

Elle sait notre histoire et la conte en pleurant!

Souvent le pavillon de sa nef élégante

Flotte comme autrefois sur le beau Saint-Laurent!

REFRAIN:

Le ciel, à travers la tempête,

Guida nos pas vers le succès.

O patrie, en ce jour nous célébrons ta fête!

O saint Jean, protégez (bis) le Canada français!

III

Oui, la France revient visiter notre plage

Où coula tant de fois le sang de ses héros;

Elle retrouve ici ses moeurs et son langage,

Et voit que ses neveux lui sont restés loyaux!

REFRAIN:

Le ciel, à travers la tempête,

Guida nos pas vers le succès.

O patrie, en ce jour nous célébrons ta fête!

O saint Jean, protégez (bis) le Canada français!


24 juin 1880.



CHANT DE L'OUVRIER

Musique de M. R. Lyonnais.

1er COUPLET

Quel est ce Canadien

Qui passe dans la vie

En prêchant l'harmonie

Et pratiquant le bien?

C'est l'ouvrier,

C'est l'ouvrier!

REFRAIN:

Reposons-nous, joyeux confrères,

De nos labeurs, de nos efforts.

Amusons-nous comme nos pères,

Soyons unis pour être forts!

En vrais lurons,

Sur tous les tons,

Chantons, chantons!

2ème COUPLET

Qui donc, à dix-huit ans,

Sans crainte entre en ménage,

N'ayant pour tout partage

Que ses deux bras vaillants?

C'est l'ouvrier,

C'est l'ouvrier!

REFRAIN:

Reposons-nous, joyeux confrères,

De nos labeurs, de nos efforts.

Amusons-nous comme nos pères,

Soyons unis pour être forts!

En vrais lurons,

Sur tous les tons,

Chantons, chantons!

3ème COUPLET

Au temple du Seigneur,

Quel est celui qui prie

Pour sa chère patrie

Avec plus de ferveur?

C'est l'ouvrier,

C'est l'ouvrier!

REFRAIN:

Reposons-nous, joyeux confrères,

De nos labeurs, de nos efforts.

Amusons-nous comme nos pères,

Soyons unis pour être forts!

En vrais lurons,

Sur tous les tons,

Chantons, chantons!

4ème COUPLET

Qui marche au premier rang,

La tête haute et fière,

Et porte la bannière

Le jour de la Saint-Jean?

C'est l'ouvrier,

C'est l'ouvrier!

REFRAIN:

Reposons-nous, joyeux confrères,

De nos labeurs, de nos efforts.

Amusons-nous comme nos pères,

Soyons unis pour être forts!

En vrais lurons,

Sur tous les tons,

Chantons, chantons!

5ème COUPLET

Qui supporte toujours

Avec joie et courage

L'humble et pénible ouvrage

Et le fardeau des jours?

C'est l'ouvrier,

C'est l'ouvrier!

REFRAIN:

Reposons-nous, joyeux confrères,

De nos labeurs, de nos efforts.

Amusons-nous comme nos pères,

Soyons unis pour être forts!

En vrais lurons,

Sur tous les tons,

Chantons, chantons!

6ème COUPLET

Qui a fait le Canada

Si riche et si prospère?

Ce n'est point l'Angleterre

A qui l'on nous céda--

C'est l'ouvrier,

C'est l'ouvrier!

REFRAIN:

Reposons-nous, joyeux confrères,

De nos labeurs, de nos efforts.

Amusons-nous comme nos pères,

Soyons unis pour être forts!

En vrais lurons,

Sur tous les tons,

Chantons, chantons!

7ème COUPLET

Où donc est la vigueur,

L'espoir et l'allégresse,

L'amour et la tendresse

Et surtout le bonheur?

C'est l'ouvrier,

C'est l'ouvrier!

REFRAIN:

Reposons-nous, joyeux confrères,

De nos labeurs, de nos efforts.

Amusons-nous comme nos pères,

Soyons unis pour être forts!

En vrais lurons,

Sur tous les tons,

Chantons, chantons!


Septembre 1891.



CHANSON DES NOCES D'OR

DÉDIÉE AU VIEUX PATRIOTE, M. J. SAUVIAT.


1er COUPLET

Nous accourons ici, bien-aimés père et mère,

Avec nos fiers enfants pour fêter ce beau jour

Où le ciel, exauçant notre ardente prière,

Bénit vos cinquante ans de bonheur et d'amour.

REFRAIN:

Nos coeurs reconnaissants

Débordent d'allégresse,

De voeux et de tendresse

Pour vous, noble parents! (Bis)

2ème COUPLET

Vous auriez pu peut-être acquérir la richesse

Et même les honneurs que rêve l'orgueilleux,

Mais vous avez compris, dans votre humble sagesse,

Que l'honnête labeur rend l'homme plus heureux.

REFRAIN:

Ah! vive le labeur!

Car l'ouvrier modèle

Est la brebis fidèle

Du céleste Pasteur! (Bis)

3ème COUPLET

Que dire en terminant cette pâle romance

Écrite en votre honneur, vénérables parents!

Puisse, dans sa bonté, la sainte Providence

Vous accorder des jours nombreux et consolants!

REFRAIN:

Votre lune de miel

Qui désormais scintille

Aux yeux de la famille,

Reluira dans le ciel! (Bis)



LA CAPRICIEUSE


Musique de M. Édouard Vincelette.

I

Quand je vous vois, petite,

Sur moi fixer les yeux,

Alors mon coeur palpite,

Et je me sens heureux.

Mais si j'ose, méchante,

Vous dire un mot d'amour

Vous prenez l'épouvante (bis)

En me criant: bon jour! (bis)

II

Quand je cause et ricane

Avec un beau minois,

Vous m'engendrez chicane

Et m'appelez: sournois!

Mais si j'entre en colère,

Un instant, contre vous,

Votre bouche profère (bis)

Aussitôt des mots doux! (bis)

III

Quand je pleure et soupire,

Vous riez aux éclats;

Et quand je ris, c'est pire:

Vous pleurez comme un glas!

Quand je dis: «Je désire

Vous entendre chanter,»

Vous vous mettez à lire (bis)

Ou bien à méditer! (bis).

IV

Je subis ces caprices

Depuis longtemps, hélas!

Mais de vos artifices

Aujourd'hui je suis las.

Moi, je veux une amante

Au coeur noble et pieux:

Vous êtes trop changeante (bis)

Pour rendre un homme heureux! (bis).


20 août 1886.



LA CHANSON DU PETIT PORTEUR


Air:«Dis-moi soldat, t'en souviens-tu?»

I

Vous qui coulez une douce existence

Dans cette ville où tant de malheureux

Mangent le pain amer de l'indigence,

En ce beau jour, ah! soyez généreux!

Entendez-vous frapper à votre porte?

Allez ouvrir à l'enfant matinal

Qui, plein d'espoir, fidèlement vous porte,

Avec ses voeux, la chanson du journal.

II

Il n'est pas grand, néanmoins il est homme

Par le courage et surtout par l'honneur.

En le voyant, l'abonné le surnomme

Le messager de joie et de bonheur.

Mais il est pauvre, et s'en fait une gloire,

Voulant sans doute imiter le Sauveur!

En quelques mots il conte son histoire

Dont le récit émeut tout noble coeur!

III

Regardez-le: son petit corps frissonne

Sous les baisers de la neige et du vent;

Hélas! il n'a, pour l'hiver et l'automne,

Qu'un mince habit raccommodé souvent!

Malgré le froid, il marche sans relâche

Pour obéir à la voix du devoir;

Et rien ne peut le ravir à sa tâche

Tant qu'il lui reste un souscripteur à voir!

IV

Ah! n'est-il pas (douloureuse pensée)

Le seul appui d'un infirme vieillard,

Qui, sous le toit de sa hutte glacée,

Souffre en levant vers le ciel son regard?...

Et ce vieillard--sublime prolétaire--

Jadis peut-être a vaillamment lutté

Contre les fils de la fière Angleterre

Pour notre langue et notre liberté...

V

O Canadiens, en ce jour d'allégresse,

Prêtez l'oreille aux soupirs du porteur!

De ses parents soulagez la détresse,

Il vous supplie au nom du Créateur!

Donnez-lui donc cette part du bien-être

Qui sert parfois à votre vanité;

Et dans vos coeurs alors Dieu fera naître

Les purs rayons de sa félicité.


1er de l'an 1887.



ROSE, ÉCOUTE-MOI


Musique de M. N. Crépault

I

Pourquoi, ma mignonne,

Ne souris-tu pas

Quand ma main couronne

Ton front de lilas?

Tu fais la pleureuse,

C'est folie à toi;

Sois jonc plus joyeuse (bis)

Rose, écoute-moi! (bis)

II

Lorsque la nature

Se pare de fleurs,

Toute créature

Doit cacher ses pleurs.

Ah! ta bouche chante,

C'est gentil à toi!

Ne sois plus méchante: (bis)

Rose, écoute-moi! (bis).

III

Depuis deux mois, Rose,

Mon coeur est en feu;

Je t'adore et j'ose

T'en faire l'aveu

Quoi! cela t'offense?

Tu ris de ma foi?

C'est trop d'insolence: (bis)

Rose, écoute-moi! (bis).

IV

Un jour, ma coquette,

Tu désireras

L'amoureux poète

Et ses doux lilas;

Mais d'une autre reine

Il sera le roi,

Et dira sans peine: (bis)

Rose, éloigne-toi! (bis).


12 février 1882.



RAYONS ET OMBRES

Musique de M. N. Crépault

I

J'avais cru que la vie,

Dans ma simple candeur,

N'était qu'une série

De jours pleins de bonheur;


Que les mortels, sur cette terre,

Buvaient le miel de l'amitié,

Et que le riche au prolétaire

Prodiguait l'or et la pitié.

REFRAIN:

Hélas! hélas! ces rêves roses,

Sous la faux du destin,

Comme les belles roses,

Tombèrent un matin!...

II

Depuis ce jour, mon âme pleure

Et ne croit plus à la gaîté.

Et le dirais-je? à certaine heure,

Je doute de la vérité!

REFRAIN:

Sans cesse en proie à la souffrance,

Rien ne me semble beau.

Et la désespérance

Me conduit au tombeau!

III

Oh! qu'ai-je dit? mon Dieu, pardonne

A ma faiblesse, et ma douleur!

En me plaignant, je déraisonne,

Car n'es-tu pas mon protecteur?

REFRAIN:

Du ciel écoute ma prière

Qui s'élève vers toi;

Sois toujours ma lumière,

Mon esprit et ma foi!


1er avril 1880.



LES CANADIENS


Musique de M. Joseph Vézina.

I

Les Canadiens ont pour les fêtes

Un goût qu'ils tiennent des aïeux;

Les charmes des plaisirs honnêtes

Séduisent leurs coeurs généreux.

Ils ont bravé tous les orages

Sans jamais perdre leur fierté,

Et cultivé sur nos rivages

La fleur de l'hospitalité.

II

Ils fêtent Dieu, reine, patrie,

Par les concert mélodieux,

Pratiquent la galanterie

Envers le sexe gracieux.

Ils chôment les anniversaires

Des jours où leurs braves soldats,

A de terrible adversaires,

Livraient de glorieux combats!

III

La chicanière politique

Les divise presque au berceau,

Mais le souffle patriotique

Les rassemble sous le drapeau.

Contre l'outrage ou l'injustice,

Ensemble ils s'élèvent la voix

Et s'imposent tout sacrifice

Pour le triomphe de leurs droits.

IV

Ils sont les vrais fils de la France

Par le caractère et le coeur,

Car ou milieu de la souffrance

Ils conservent leur belle humeur!

Oui, toujours gais comme leurs pères,

Mais plus heureux en vérité,

Ils vivent désormais, prospères,

Dans la paix et la liberté!


Septembre 1891.



UNE GERBE D'ACROSTICHES



A M. VICTOR BILLAUD

Secrétaire de l'Académie des Muses Santones, à Royan, France.


Asile du poète, ô belle Académie,

Congrès où siège seul le talent reconnu,

Ah! tu daignes offrir, trop généreuse amie,

Dans ton temple un fauteuil à moi, barde inconnu!

Eh! que pourrais-je faire au milieu de confrères

Mûris par la science et le rude labeur,

Imberbe que je suis?--J'oubliais: leurs lumières

Eclaireront la voie de mon esprit rêveur.


Du reste, pour avoir un titre à leur estime

Et le droit précieux de suivre leurs leçons,

Souvent je leur dirai dans le langage intime:

Ma lyre pour la France aura toujours des sons!

Unissant mes accords à ceux de nos poètes,

Sulte, Gingras, Gauvreau, Fréchette et Beauchemin,

En choeur nous chanterons ses brillantes conquêtes,

Sa grandeur, sa richesse et son heureux destin!


Sait-elle assez comment nous l'aimons, cette France?

Ah! nous le lui dirons avec un fier accent.

Nous avons partagé sa gloire et sa souffrance,

Terrassé ses rivaux, lutté vingt contre cent...

Oui, j'accepte, Monsieur, vos offres gracieuses!

Nos muses désormais franchiront l'océan;

Et voyageant ensemble elles diront, joyeuses:

Succès, gloire à Québec! Succès, gloire à Royan!


10 avril 1886.



LA CANADIENNE

N'oubliez pas l'héroïque gardienne

De nos berceaux et de notre foyer:

Chantons en choeur la femme canadienne;

Et couronnons sa tête de laurier!

PHILÉAS HUOT.


Le touriste qui foule un instant nos rivages

Autrefois habités par des hordes sauvages,

Craint-il de rencontrer au bord du Saint-Laurent,

Armé d'un long poignard, quelque barbare errant?

Non, car il nous connaît, admire nos victoires,

Aime à venir rêver sur nos fiers promontoires

D'où son regard embrasse un féerique tableau,

Image suspendue entre le ciel et l'eau!

Et lorsqu'il aperçoit la femme canadienne--

Noble coeur, que le ciel nous donna pour gardienne--

Nul autre objet ne peut désormais le ravir,

Et son plus grand bonheur serait de la servir!

Eh bien, nous qui vivons sous l'attrait de ses charmes,

Nous, que sa douce voix console en nos alarmes,

Gravissons le Parnasse où fleurissent les vers,

Et pour elle cueillons mille bouquets divers.

Ne disons pas de mal contre les autres femme,

Elle nous cribleraient de fines épigrammes!

Rimer en leur honneur, tel n'est pas mon désir,

A leurs bardes je laisse aisément ce plaisir...

La femme canadienne: oh! quel nom poétique!

Et comme il fait vibrer l'âme patriotique!

Sulte, Poisson, Fréchette et Legendre ont chanté

Tour à tour sur leur luth ce nom si respecté!


Blonde ou brune, ses yeux brillant d'intelligence

Eclairent sa figure aux traits pleins d'indulgence;

L'incarnat de sa bouche aux roses fait affront

L'éclat de ses cheveux pare son joli front;

En un mot, d'une reine elle a l'air, l'élégance!

Incapable de vivre au sein de l'ignorance--

N'ayant pour cet état que glace et que froideur--

Son esprit au travail se livre avec ardeur,

Tourmente la science, et, durant des années,

Recueille des moissons de choses raisonnées.

Un matin, franchissant la porte du couvent,

Instruite et graduée, elle dit: en avant!

Travaillant derechef sous le toit domestique,

Elle acquiert un art agréable et pratique.


Modestie, ô sublime et trop rare vertu!

Où donc te retrouver? dis-nous, où loges-tu?

Dix mille voix pourraient me répondre, attendries:

Elle est dans tous les coeurs de vos femmes chéries.

Silence, il ne faut pas blesser l'humilité;

Taisons sur ce sujet, même la vérité,

Et que sa modestie envahisse notre âme!


Douce autant que modeste, elle souffre le blâme

Ou parfois le relève avec habileté--

Unissant la finesse à la franche gaîté--

Chasse de nos foyers la folle zizanie

Et fait régner partout la joie et l'harmonie.


C'est pour elle un bonheur d'assister l'indigent,

Hélas! abandonné par le riche souvent.

Au chevet du malade, elle accourt la première,

Ramène l'espérance au seuil de la chaumière,

Inculque dans l'esprit des jeunes et des vieux

Tout principe qui doit rendre l'homme pieux.

Aux kermesse du pauvre, elle dresse la table,

Badine en déployant un courage indomptable;

Le riche avec plaisir lui donne à pleine main;

Et grâce à son bon coeur, le pauvre aura du pain!

Honneur lui soit rendu! car aux jours de souffrance,

Escortant le superbe étendard de la France,

Riante, elle volait toujours au premier rang.

Offrant à son pays son courage et son sang...

Ils ne sont plus ces jours où l'humble Canadienne

Quelquefois ripostait à la balle indienne.

Un autre saint devoir occupe son esprit:

Enseigner à ses fils la loi de Jésus-Christ!


Sa voix--sa douce voix à nulle autre pareille--

Inspire le respect et charme notre oreille;

L'orateur, le poète et le vieil érudit

Ecoutent cette voix que ma muse applaudit...

Pour savoir la raison du respect qu'elles inspire,

Allons consulter ceux qui sont sous son empire,

Et tous nous répondront avec de fiers accents:

Nous savons que son coeur est pur comme l'encens!

Qui de nous oserait contester à cet être

Une telle vertu, la plus grande peut-être?

Il serait, celui-là (j'en appelle au lecteur)

Honni de tous les siens comme un vil imposteur!

Oui, la Canadienne est l'honneur de notre race;

Nous sommes très heureux de marcher sur sa trace.

Or, le vingt-quatre juin, dans le temple avec nous,

Recueillie en son âme, elle prie à genoux.

Après avoir longtemps, pour sa chère patrie,

Imploré les faveurs de la Vierge-Marie,

Triomphante, elle vient voir ses fils, orgueilleux,

Déroulant des combats les drapeaux glorieux!

Elle les suit des yeux, à l'ombre de l'érable.

Sourit à leur bonheur qui semble inénarrable.

Ils sont heureux vraiment ces rejetons gaulois,

Défenseurs, au besoin, du pays de ses lois!

Oh! Dieu, qu'elle est contente et qu'elle est empressée!

L'amour de la patrie enflamme sa pensée!

Elle voudrait pouvoir--bénissant le Seigneur--

S'élancer dans les rangs, marcher avec honneur!

Ah! mais la convenance (arbitre tyrannique

Voulant que l'homme seul, sur ce sol britannique,

Ait droit de s'affirmer à la face des cieux),

Interdit à la femme un rôle aussi pieux.

Tandis que nous faisons ce doux pèlerinage,

Cher au pauvre artisan comme au grand personnage,

Optant pour sa demeure, elle y vole... et bientôt

N'a plus pour la patrie une pensée, un mot!

Non! car elle contemple une enfant caressante:

Une enfant pour son coeur vaut la patrie absente...

L'on exalte partout son hospitalité,

Autant que ses vertus et sa noble beauté;

Car son logis (parfois une humble maisonnette

Abritant une blonde ou gentille brunette),

Ne saurait contenir ceux qui veulent, le soir

Avides de bonheur, à son foyer s'asseoir.

Déesse par la grâce et par la courtoisie--

Ignorant du flatteur la tendre hypocrisie--

Elle sait plaire à tous; même les inconnus

Ne l'approchent jamais sans être bien venus.

Nos ancêtres, comme elle, abhorraient l'étiquette

Et savaient s'amuser à la bonne franquette.

Ils modulaient gaîment et redisaient en choeur

Les modestes refrains qui font battre tout coeur:


Vive la Canadienne,

Vole, mon coeur, vole! etc.


La femme canadienne à pour titre de gloire

Une fécondité que vantera l'histoire:

Immense privilège offert par l'Éternel

A celle qui comprend le devoir maternel.


Utile à son pays, cette mère admirable

Remplit au Canada son rôle incomparable

Avec un héroïsme inflexible, enchanteur,

Inspiré par l'amour divin du Créateur.

Tendre pour ses enfants, mais tendre sans faiblesse--

Désirant éloigner le vice qui les blesse--

Rébecca d'un autre âge, elle veille sur eux,

Et fait naître en leur coeur des germes vigoureux...

Ses enfants ont prouvé déjà qu'ils sont des hommes;

Soldats, prêtres, tribuns, artisans, agronomes,

En mille endroits ils ont--je le dis fièrement--

Défendu notre honneur en luttant vaillamment.

Et de nos jours encore, ils combattent ensemble

Sur un autre théâtre où la foi les rassemble.

Adorant l'Éternel, ils défendent ses droits,

Unissent leurs talents dans des combats adroits.

Touché de leur amour, Dieu les immortalise

En voulant que l'un d'eux soit prince de l'Église...[8]

Louons la Canadienne! exaltons sa beauté.

Sa gloire, ses vertus et son urbanité!


Juin 1889.

[Note 8: Son Éminence le cardinal E.-A. Taschereau.]


A MES POÉSIES


C'en est fait maintenant, pareil aux hirondelles,

Partez; qu'un même but vous retrouve fidèles.

Et moi, pourvu qu'en vos combats

De votre foi nul coeur ne doute,

Et qu'une âme en secret écoute

Ce que vous lui direz tout bas...

***


Ah! mes pauvres oiseaux que j'élevais en cage,

Mésanges dont les chants dissipaient ma douleur!

En essaim vous volez vers un riant bocage

Sans savoir que l'aspic se cache sous la fleur...


Pourquoi donc avez-vous ainsi quitté ma chambre

Où le mil et l'amour vous étaient prodigués?

Et votre nid moelleux toujours chaud quand décembre

Saccage la ramure où trônaient vos aînés?

Ivres de liberté, de gloire d'aventure:

Eh! oui, voilà l'appât qui fascine et capture

Si souvent les oiseaux... et même les humains!


1er Avril 1892.



TABLE

POÉSIES DIVERSES


Sujet: Les Voix intimes.

Préface.

Le bonheur.

Renouveau.

Samuel de Champlain.

Envoi.

La presse canadienne.

La nuit de Noël.

L'hirondelle.

A mon père.

Bouquet de violettes

La St.-Jean-Baptiste.

Le faubourg St-Roch.

Octave Crémazie.

La cité de Champlain.

Un orphelin.

Le mauvais artisan.

Qu'est-ce que la vie?

Adieu à la Nouvelle-Écosse.

Louis Fréchette.

Le mois des morts.

Sachons lutter.

La misère

Aux politiciens.

A mon ami M. W. Chapman.

Elle est morte!

Beauport.

Le jour de l'An.

Élégie.

Au peuple canadien.

L'automne.

Aux célibataires.

Sur l'album de Mlle D. M.

A Madame B., cantatrice.

Sur l'album de Mlle R. D.

Sur l'album de Mlle J. M. F.

Sur l'album de Mme Dr. M. F.

Sur l'album de Mlle A. H. T.

Un héros de 1870.


SONNETS


Montréal.

Québec.

Rose fanée.

A M. E. Aubé, journaliste.

A l'amiral Thomasset.

A M.-C. Beaulieu.

Le lac Beauport.

A M. C.

Réponse.

Le printemps.

A l'auteur.

Réponse.

A l'amiral Cavelier de Cuverville.

Un nom glorieux.


HYMNES, ROMANCES, ET CHANSONNETTES


La crèche de Noël.

La Canadienne.

Aux raquetteurs de Sherbrooke.

Chant d'adieu.

Blanche, te souvient-il?

Chant du club de raquette «Le Frontenac».

Hymne à St-François-d'Assise.

France et Canada.

Chant de l'Ouvrier.

Chanson des noces d'or.

La Capricieuse

La chanson du petit porteur.

Rose, écoute-moi.

Rayons et ombres.

Les Canadiens.


UNE GERBE D'ACROSTICHES


A M. V. Billaud, de l'Académie des Muses Santones.

La femme canadienne.

A mes poésies.




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TYPOGRAPHIE DE L.-J. DEMERS ET FRÈRE
30--Rue de la Fabrique, Québec--30
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