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Midi à quatorze heures: Histoire d'un voisin—Voyage dans Paris—Une visite à l'Arsenal—Un homme et une femme

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Brûlé de plus de feu que je n’en allumai!

Ces séduisantes marchandes ont toutes sortes de moyens d’augmenter la consommation. Tout leur art et toute leur finesse sont dirigés contre les fumeurs de cigares à quatre sous. D’abord, elles ont soin de ne laisser sur le comptoir qu’une boîte de cigares froissés, humides, etc.

Un consommateur remue les cigares pour en trouver un bon; la maîtresse de la maison prend sous le comptoir une autre boîte de cigares ordinaires, mais qui, en comparaison des autres, paraissent choisis, tandis que ce sont les mauvais qui sont choisis! C’est déjà très-flatteur pour le bourgeois, auquel elle semble dire:

—Pardon, ces cigares-là sont pour le vulgaire; mais voici ceux que je réserve pour les gens comme il faut.

Et, généralement, le bourgeois en prend deux ou trois, au lieu d’un seul qu’il avait l’intention d’acheter.

Cependant, ceci ne fait que le mettre dans une classe privilégiée; les marchandes de tabac ont imaginé de lui rendre un hommage tout personnel.

On a l’air de reconnaître le consommateur et l’on tire d’un tiroir un petit paquet rose, renfermant quatre cigares: c’est vingt sous. Vous n’en vouliez qu’un; mais il faudrait être terriblement butor pour ne pas accepter avec reconnaissance ces quatre cigares, qu’un joli visage a choisis pour vous. J’aurais dû dire une jolie main, ce serait plus correct, mais ce serait moins vrai: il y a dans les bureaux de tabac suffisamment de jolis visages; mais les belles mains y sont rares, comme partout, et même un peu plus que partout.

N’est-ce pas touchant de voir qu’une personne si agréable a pensé à vous dans votre absence, et qu’elle a choisi pour vous quatre cigares, quatre faveurs! qu’elle les a soigneusement mis dans du papier, et dans du papier rose!

Celles qui sont adroites attendent que l’objet d’une pareille préférence soit parti de la boutique pour l’offrir à un autre.

Ce ne sont pas les consommateurs seuls qui ont à se défier dans les bureaux de tabac. Les buralistes elles-mêmes sont victimes de vols nombreux. Tel dandy ne choisit si longtemps un cigare que pour en glisser deux ou trois dans les poches de son paletot. D’autres, plus habiles, ne mettent rien dans leurs poches: ils prennent un cigare de cinq sous et un de deux sous, et, en faisant leur choix, ils ont soin de mêler trois ou quatre cigares de cinq sous parmi les autres; un ami, entré derrière eux, prend ces trois ou quatre cigares et les paye naturellement deux sous.

Finissons ceci par une histoire. Un député voulait obtenir un bureau de tabac pour sa vieille servante.

—J’ai, dit-il, un bon moyen: je vais demander en même temps quelque chose d’énorme, qu’il faudra me refuser, et, pour adoucir le refus, on s’empressera de me donner le bureau de tabac; je vais demander un bureau et la pairie.

Le député a été attrapé: on l’a nommé pair de France.

Les boutiques étant des souricières dans lesquelles il faut faire entrer les passants, on comprend très-bien qu’on y tende les amorces les plus friandes pour la passion que chacune de ces boutiques tend à exploiter: le marchand de comestibles doit offrir aux yeux de plus beaux poissons que ses concurrents, ou des asperges de vingt-quatre heures en avance sur les autres, ou de ces énormes ananas, que sait seul fabriquer mon ami Pelvilaid, de Meudon; le marchand de nouveautés doit allumer les désirs de la coquetterie par un étalage de tissus et de couleurs. On y joint, depuis quelques années, l’annonce du bon marché. Ainsi, comme je vous le disais l’autre jour, telle femme qui passait autrefois devant ces boutiques en détournant la tête, parce qu’il lui manquait mille francs pour être élégante, s’y arrête aujourd’hui, et ne peut s’en arracher, parce qu’il ne lui faudrait que trente francs pour se déguiser en duchesse. Certes, elle n’a pas plus les trente francs que les mille, mais elle pourrait les avoir. Et que de pauvres âmes en péril autour de ces étalages séducteurs! En effet, le soir, quand les jeunes ouvrières sortent de l’ouvrage, à la fin d’une journée dont le travail aura peine à payer le pain et le logement, elles font cercle devant les boutiques des marchands de nouveautés.

Là aussi, vous verrez des lovelaces au rabais, des serpents économiquement tentateurs, qui fuiraient les Èves arrêtées aux vitres d’un joaillier ou d’un lapidaire, mais qui se rapprochent de celles dont les désirs se concentrent sur des fruits défendus par quinze francs, et qui sont prêts à cueillir pour elles des manchons d’hermine ou des châles de cachemire, dont l’étiquette est si rassurante.

Et vous entendez murmurer aux oreilles:

—Voici un joli châle, je serais bien heureux de vous l’offrir.

De cette façon, il arrive aux marchands de nouveautés ce qui nous arrive souvent, à nous autres pêcheurs des côtes de Normandie: nous jetons une ligne amorcée, un merlan mange notre amorce et se prend à l’hameçon; un congre survient, qui gobe le merlan et se prend à son tour. Le châle amorce la jeune fille, la jeune fille amorce l’acheteur; l’étalage des marchands de nouveautés est logique, et son piège est bien tendu en vue des deux passions qu’il exploite.

Mais à quoi sert aux changeurs d’étaler aux yeux tant de billets de banque de tous les pays, tant de louis, tant de napoléons, tant de ducats et de quadruples, tant d’or dans de grossières sébiles de bois? contraste qui augmente encore l’air de la profusion, comme quand on dit de quelqu’un qu’il remue l’or à la pelle. Il semble que, dans ces boutiques, on a trop d’or, qu’on n’en sait que faire, qu’on n’en prend aucun soin, qu’on en met dans des écuelles. Les changeurs pensent-ils qu’on achète des billets de banque, parce que la vignette est jolie et bien gravée? supposent-ils qu’un passant s’arrête et s’écrie:

—Ah! le charmant billet de banque rose de la banque de Rouen! je vais l’acheter bien vite.

Ou encore, à l’aspect des louis:

—Ah! comme le roi Louis-Philippe est donc ressemblant sur cette pièce à gauche! Combien, ce portrait de roi? Ceux des autres changeurs n’ont pas autant de physionomie.

Il me paraît évident que ce n’est pas pour cela qu’on entre chez les changeurs; d’ailleurs, tous leurs portraits du roi sont semblables, tous leurs billets, toutes leurs pièces sont pareilles. Vous n’avez aucune autre raison d’entrer chez un changeur que sa proximité, quand vous avez besoin de changer des billets contre de l’argent, ou de l’argent contre de l’or.

Cet étalage ne peut donc avoir qu’un résultat: ce n’est pas une amorce pour les chalands, c’en est une pour les voleurs. Bien pis, ce métal, qu’on a appelé vil parce qu’il rend vils ceux qui le désirent, ce métal exerce une telle fascination, qu’il change en voleurs des gens qui n’étaient que pauvres.

En effet, cette amorce a une puissance toute particulière. Chez un autre marchand, on ne peut voler qu’un châle, chez celui-ci un pain; mais, chez le changeur, en introduisant par une de ces vitres votre main ouverte et en la retirant fermée, vous vous appropriez à la fois tout ce qu’il y a dans les autres boutiques; vous faites vôtres toutes les choses qui se vendent, même celles qui n’ont pas de valeur quand elles sont achetées.

Une poignée de cet or, et, vous qui étiez pauvre, méprisé, seul, vous êtes entouré, aimé, envié; vous avez tout à vous, et vous pouvez tout donner à ceux que vous aimez.

Il n’y aurait aucun inconvénient à ce que l’autorité défendît aux changeurs ces exhibitions inutiles pour eux et dangereuses pour d’autres; les pauvres sont déjà assez pauvres, et le diable leur tend bien assez de piéges.

Si l’on a peine à comprendre pourquoi les changeurs font un semblable étalage sans qu’il en puisse résulter pour eux un seul avantage, on comprendra plus difficilement encore que d’autres marchands ornent leurs boutiques d’objets qui ne peuvent que dégoûter les passants précisément de ce que lesdits marchands ont à leur vendre.

Je veux parler des petites morgues illustrées, dont on permet aux marchands bouchers de faire la hideuse exhibition.

Sur des linceuls tachés de sang sont appendus des cadavres mutilés, non pas seulement dans la boutique, mais aussi en dehors, de telle façon que, si vous ne vous détournez pas à temps, vous teignez votre habit de ce sang qui tombe goutte à goutte.

Ce n’était pas assez, on a embelli et enjolivé le spectacle.

Quelque esprit élégant a pensé que c’était en soi-même quelque chose d’assez triste qu’un cadavre, que cela avait besoin d’être orné et égayé de quelques agréments.

Alors on a imaginé de peindre avec du sang des ornements, des sujets et des figures sur les cadavres dépouillés! rien n’est plus varié que cette peinture au sang.

Vous voyez des cœurs percés de flèches, des autels à l’Amour et à l’Amitié, l’empereur Napoléon, une main derrière le dos et tenant sa lorgnette de l’autre main.

Quelques artistes plus gais ont peint, toujours avec du sang, et toujours sur des cadavres, les plus bouffonnes caricatures de Daumier; Robert Macaire et son ami Bertrand y figurent dans toutes les phases de leur aventureuse existence.

On a ajouté à tout cela des festons de boyaux et des girandoles de graisse!

De ceci il ne peut résulter aucun avantage pour les bouchers eux-mêmes. Il est des gens, au contraire, auxquels une semblable exposition donne pour plusieurs jours l’horreur de la viande. Il n’y aurait donc pour personne aucun inconvénient à tenir ces cadavres éloignés des regards, de façon à ce qu’ils ne fussent vus que de ceux qui entreraient dans les boutiques; pour ma part, je n’aime pas à voir le sang si gai.

L’homme est le plus féroce des animaux carnassiers. Le tigre, le chacal, le loup, l’hyène, tuent et dévorent les autres animaux, et l’homme lui-même, seulement à mesure qu’ils ont faim. Ils ne pensent pas d’avance à bien nourrir et à bien engraisser leur future proie; ils n’ont pas inventé de faire cuire certains animaux tout vivants, pour les rendre meilleurs au goût, de clouer les pattes des canards et de les gaver de certaines nourritures pour leur donner une maladie qui grossit démesurément leur foie, en fait un mets délicieux, etc., etc.

Les autres animaux carnassiers ne choisissent pas avec le même soin délicat telle ou telle partie de tel ou tel cadavre, la cuisse de celui-ci, l’aile de celui-là. Est-il rien de féroce comme de voir une femme qui donne à dîner, une femme jeune, belle, au regard doux et tendre, qui dit à ses convives:

—Je vous envoie l’aile de ce poulet; il est très-tendre, on l’a tué hier au soir; mangez de ces côtelettes d’agneaux, elles sont saignantes.

J’aime beaucoup que l’on écarte par tous les moyens le souvenir que tout ce que nous mangeons a été vivant, la pensée que nous dévorons des cadavres.

Quelques esprits délicats ont imaginé de changer le nom des animaux devenus aliments. Sur la table, le bœuf s’appelle bouilli; la poule, volaille; d’autres animaux, gibier: mais cela n’a pas été compris, et il n’est pas de bel air de dire bouilli.

Quelques esprits grossiers ont, au contraire, inventé de laisser à la perdrix sa tête emplumée, au lièvre ses pattes couvertes de poil.

Depuis assez longtemps que le monde existe, c’est-à-dire depuis que quelques-uns pensent et que tous parlent, on en est presque arrivé à se passer des premiers. On sait à présent des phrases toutes faites pour tous les cas possibles. Une phrase amène une réponse connue, qu’aurait pu faire tout aussi bien celui qui fait la question, si elle lui avait été faite.

On ne fait pas assez attention que presque toutes les conversations ressemblent à celles qu’on apprend dans les grammaires anglaises, et que nous trouvons ridicules. Exemple. Si l’on vous dit: «Comment vous portez-vous?» vous répondez: «Bien; et vous?» Si c’est vous qui dites: «Comment vous portez-vous?» on vous répond: «Bien; et vous?» Cependant les conversations des grammaires roulant sur des choses insignifiantes, n’étant qu’un échange de formules, il n’y a pas d’inconvénients à ce qu’on dise toujours la même chose; tandis que la conversation du monde comporte des semblants de jugements et de pensées qu’il est fort singulier de trouver dans la mémoire.

Sur presque tous les sujets, il y a un certain nombre de phrases toutes faites, que l’on sait d’avance.

Jamais on n’a mangé une gibelotte à la campagne sans qu’il se trouve quelqu’un qui fasse la plaisanterie peu neuve de demander si ce n’est pas une gibelotte de chat.

Il m’est quelquefois arrivé de chercher d’avance, d’après la physionomie des gens, qui est-ce qui prononcerait la formule consacrée; cela fait partie de l’assaisonnement, et est plus nécessaire à la gibelotte que le lapin lui-même.

Voici la plaisanterie faite, et faite par moi, elle est indispensable.

Je me suis trouvé quelquefois embarrassé en ne voyant parmi les convives que des figures respectables, de vénérables cheveux blancs et des physionomies intelligentes. Eh bien, quelqu’un se dévouait.

Une seule fois, comme la formule sacramentelle se faisait attendre, comme la plaisanterie sur le chat n’arrivait pas, je fis comme il est d’usage au théâtre, quand un rôle ne peut être rempli à cause de l’absence ou de l’indisposition subite d’un acteur: quelqu’un lit le rôle.

Je me résignai à faire la facétie du chat avec une assez grande tristesse. Tout le monde rit beaucoup, et un magistrat me dit:

—Ah! monsieur, vous me l’avez volée, j’allais la dire.

Quand on vient à parler de magnétisme, on vous fait inévitablement la question que voici:

—Y croyez-vous?

Si vous êtes esprit fort, vous répondez:

—Ah! pour qui me prenez-vous?

Si, au contraire, vous avez pris dans le monde le rôle d’un poëte rêveur et intime, vous affirmez que vous avez une confiance aveugle dans le magnétisme.

Il ne manque à la question, comme aux deux réponses, qu’une seule chose, un détail. C’est que le questionneur et ceux qui lui répondent sachent de quoi il est question.

Quand la Fontaine allait demandant à tout le monde: «Comment trouvez-vous Barruch?» on lui répondait généralement: «Qu’est-ce que Barruch?» au lieu de dire: «Je le trouve sublime,» ou: «Je le trouve ennuyeux.»

Croyez-vous au magnétisme?

Qu’entendez-vous par le magnétisme? Est-ce un fluide invisible, mystérieux, qui fait que la première fois qu’on voit une personne, on se sent repoussé ou attiré par elle, qui fait que nous reconnaissons nos amis que nous n’avons jamais vus, comme le chien reconnaît les voleurs qu’il rencontre pour la première fois?

Un homme qui a beaucoup aimé les femmes me disait un jour:

—Chaque homme a son harem dispersé dans le monde: il en reconnaît chaque femme à quelque instinct impossible à expliquer; mais il les reconnaît aussi sûrement que le berger reconnaît, dans dix troupeaux confondus, ses moutons marqués d’une raie rouge ou bleue... En entrant dans un salon, ajoutait cet homme, je vois du premier coup d’œil les femmes qui sont de mon harem dispersé, et celles auprès desquelles je perdrais mon temps et mes soins. Avec les secondes, je suis simplement poli; aux premières, je dirais volontiers: «Enfin je te trouve! et toi, me reconnais-tu?»

Un homme nous a déplu, sans cause, sans raison, sans prétexte; son gilet nous blesse, ses cheveux nous offensent. Cependant, comme l’homme s’est appelé lui-même animal raisonnable (on aurait peut-être dû dire raisonneur), on s’informe, on apprend que c’est un très-brave homme que celui pour lequel on ressent une si grande antipathie; il passe pour bon, simple, généreux.

On veut lutter contre ce sentiment qu’on trouve injuste; on lui adresse quelques prévenances, on se lie avec lui.

Eh bien, cet homme vous est plus tard funeste en quelque chose: il n’est pas mauvais en général; mais il est mauvais pour vous; il vous est contraire. Peut-être est-ce à cause d’une ressemblance. Vous avez les mêmes angles, ils se heurtent au lieu de s’emboîter.

Appelez-vous magnétisme cette foudre continue qui sort des yeux de cette femme, dont le regard perce le vôtre et vous fait éprouver une douceur voluptueuse?

Appelez-vous magnétisme cette puissance que l’homme de cœur, qui n’avait peur que d’avoir peur, exerce sur le spadassin, quand ils ont tous deux l’épée à la main?

Appelez-vous magnétisme ce double regard dont la rencontre est pour le vrai jaloux, pour le jaloux raisonnable, un adultère complet, après lequel il reste quelque chose à faire pour l’amour, mais rien contre le mari?

Si c’est cela, je pense que personne ne le peut nier...

Mais entendez-vous par le magnétisme l’art de dire la bonne aventure d’une façon nouvelle, l’art de faire les cartes sans cartes?

Pour cela, je pense qu’on peut croire aux somnambules juste comme aux autres diseuses de bonne aventure, et aux autres tireuses de carte.

Entendez-vous par le magnétisme l’art de lire dans votre pensée par une communication mystérieuse de cerveau à cerveau, de mêler deux existences par le partage de la vie, de façon à ce que l’un éprouve ce qu’éprouve l’autre?

C’est l’exagération, ou plutôt la régénération et la continuité des choses qui nous apparaissent incomplétement et par intervalles.

Appelez-vous magnétisme le don des langues et de toutes les sciences donné par l’imposition des mains, par quelqu’un qui n’a pas ce qu’il donne, au moyen de quelques grimaces et contorsions bizarres?

Cela devient plus difficile.

Appelez-vous magnétisme voir sans les yeux, lire par le dos?

Vouloir par la volonté d’un autre, et sentir par ses sensations?

Devenir, au gré d’autrui, insensible à la douleur physique la plus atroce?

Il y a, dans tout cela, des choses qui sont fort proches de celles que nous croyons, et d’autres qui en sont fort éloignées.

Mais doit-on accepter les unes à cause des autres, ou les rejeter toutes par la même raison?

Doit-on refuser de croire une chose parce qu’elle est extraordinaire?

Mais nous admettons par l’habitude cent choses plus extraordinaires que celles que nous nions comme impossibles.

L’invraisemblance n’est pas beaucoup plus le faux que le vrai. La vie est plus incompréhensible que le magnétisme, qui est une modification de la vie.

La pensée et le songe, ce ruminement confus de la pensée, qui les a expliqués?

Donc, il faut croire.

Malheureusement, le magnétisme, comme science, est difficile à étudier pour l’homme de foi.

Il est placé entre la science légale des corps constitués, qui nie avec préméditation et dessein formé; et le charlatanisme, qui affirme et exploite pour de l’argent.

Je sais que des faiseurs de tours, Philippe ou Robert Houdin, et surtout le vicomte de Caston, exécutent des choses aussi surprenantes que les plus surprenants effets du magnétisme.

Certes, quand ces messieurs tirent de la poche de leur gilet un grand bocal plein d’eau et de poissons rouges, quand ils opèrent tous les phénomènes de la seconde vue, il est évident qu’ils ont une lucidité plus grande qu’aucun somnambule, et qu’ils nous laissent aussi étonnés que nous l’ayons jamais été par Alexis ou par mademoiselle Pigeaire.

Ainsi, à quoi servent les corps constitués et les académies?

L’Académie de médecine, si les magnétiseurs sont des charlatans et des jongleurs, ne doit-elle pas démasquer la fourberie d’une façon si complète, que ces messieurs ne puissent plus donner de séances que sur les tréteaux des boulevards?

Si les opérations sont vraies, c’est immense, c’est bouleversant, c’est dangereux: la science doit s’en emparer et les régler; si c’est faux, c’est une fourberie très-adroite et très-effrontée, dont sont dupes beaucoup de bons esprits.

C’est une question qui ne peut rester en suspens, et les académies et les corps savants doivent être sommés de la rendre complètement claire.

Pour moi, voici ce que j’ai vu successivement en diverses circonstances.

M. Esq***, un jeune poëte, s’occupait de magnétisme. Il amena un jour chez M. V. H. un sujet qu’il endormit facilement; la somnambule avait lu, disait-on, dans des séances précédentes, des phrases entières, avec un bandeau sur les yeux. Comme on suspectait le bandeau, et qu’on aimait mieux croire à certaines exagérations de la vue qu’à la vue sans les yeux, on proposa, au lieu de cacher les yeux, de cacher le livre.

On présenta à lire à la somnambule des mots écrits et cachés sous d’épaisses enveloppes; elle préféra avoir une attaque de nerfs et donner des coups de pied dans l’estomac de son magnétiseur.

J’ai vu ensuite mademoiselle Pigeaire.

La mère de mademoiselle Pigeaire lui mettait sur les yeux un bandeau de velours noir; on en collait les bords sur ses joues avec du taffetas gommé. Après de longs efforts et quelques contorsions suspectes, mademoiselle Pigeaire finit par déchiffrer deux ou trois mots.

On me proposa de jouer aux cartes avec elle. En jouant, je retournai une carte; elle me dit:

—Monsieur, la carte est retournée.

Le public d’applaudir; en quoi le public avait tort.

Je lui dis:

—Mademoiselle, ou vous voyez à travers un bandeau épais, auquel l’épaisseur de la carte n’ajoutera pas une grande difficulté; ou vous voyez, comme vous le prétendez, sans le secours des yeux, et alors il importe peu pour vous que la carte soit d’un côté ou de l’autre, sur la table ou dans ma poche.

Mademoiselle Pigeaire ne put nommer la carte.

En général, elle n’hésitait pas pour dire ce qui se passait au loin, mais elle éprouvait beaucoup de peine pour désigner des choses présentes, à peu près comme la plupart des médecins, qui sont si forts sur la peste et la lèpre qui n’existent plus, et qui échouent contre les cors aux pieds et les rhumes de cerveau.

J’ai la conviction que mademoiselle Pigeaire, qui, dans l’origine, avait dû présenter certains phénomènes électriques et magnétiques, se voyant l’objet d’une grande curiosité, les avait exagérés, puis en avait feint d’autres, et je crois qu’elle trompait un peu ses parents.

J’ai vu au Havre le somnambule le plus lucide dont on ait parlé: c’est Alexis, que magnétise M. Marcilli.

Les assistants lui firent dire un peu trop de bonne aventure; mais il m’étonna beaucoup dans les réponses qu’il fit: quelques-unes auraient pu être faites par n’importe qui, grâce à la complaisance involontaire avec laquelle certaines femmes impatientes l’aidaient sans s’en apercevoir; d’autres sont à peu près impossibles à expliquer.

D’abord, il fit tout ce que mademoiselle Pigeaire n’avait pu faire: les yeux bandés, il reçut cinq cartes d’un assistant qui en prit cinq.

Alexis joua la partie d’écarté les deux jeux retournés sur la table, et désignant à son adversaire, qui ne voyait pas son jeu, la carte qu’il devait prendre pour répondre à celle qu’il jouait.

—Monsieur, vous avez la dame de carreau, la deuxième à gauche... Monsieur, avez-vous le huit de trèfle? La première à droite... Monsieur, vous n’avez pas de pique; coupez avec votre valet d’atout.

Une femme lui dit:

—En sortant de chez moi, j’ai mis, sur la table de mon salon, un objet qui n’y est pas d’ordinaire; le voyez-vous?

Alexis répondit qu’il le voyait; et, après de longues hésitations et des questions nombreuses, faites par lui-même, il répondit:

—C’est un cygne empaillé.

Mais il avait demandé si c’était un meuble, si c’était un animal, si cela était vivant. Je crois que j’aurais deviné comme lui.

On lui présenta une bague, et il dit deux mots qui se trouvèrent écrits dans la bague.

Comme on le laissait un peu seul, je m’approchai de lui et lui livrai ma main; il toucha une bague que je porte, et me dit:

—Cette bague vous a été donnée par une personne qui est morte. Est-ce une femme? ajouta-t-il.

—Non.

—Alors c’est votre père.

Je sentis un froid à la racine des cheveux, et je ne lui fis plus de question. Comme je m’éloignais, il ajouta:

—S’il n’y avait pas de monde, j’aurais quelque chose à vous dire.

Je ne l’ai pas revu.

Un jour, j’assistai à une séance de magnétisme chez M. Lafontaine.

Il amena une jeune servante et l’endormit. M. Lafontaine annonça qu’il ne s’agissait pas de montrer de la lucidité, mais de l’insensibilité; en un mot, de provoquer à volonté un état de catalepsie pendant lequel le sujet pourrait souffrir les opérations les plus douloureuses, non seulement sans s’en apercevoir, mais encore sans en garder ensuite le moindre souvenir. Il magnétisa les bras et les jambes de la jeune fille, qu’il appelait Marie; ses bras et ses jambes prirent une grande rigidité. J’essayai de faire fléchir les bras; mais il me sembla que je risquais de les casser.

M. Lafontaine annonça alors que l’insensibilité était complète quoique la somnambule parlât et répondît à toutes les questions que lui faisaient le magnétiseur ou les personnes que, disait-il, il mettait en rapport avec elle.

Il lui ficha des aiguilles sur les mains, sur le front, il lui traversa la main avec une aiguille: mais je sais qu’en certaine partie de la main, on peut le faire à toute personne éveillée sans qu’elle en ressente de douleur. Il lui traversa le sourcil avec une autre aiguille, et, comme le sang coulait avec une certaine abondance, il l’arrêta au moyen de passes et de l’imposition du doigt.

Il m’offrait de ficher moi-même des épingles sur la patiente; je n’ai pas besoin de dire pourquoi je préférai lui chatouiller les lèvres avec une plume: elle resta impassible, sans la moindre contraction.

Il lui fit respirer du soufre allumé, puis de l’ammoniaque, qu’il lui ordonna d’aspirer fortement; elle obéit, et aucun muscle de son visage ne trahit la moindre gêne ni la moindre sensation.

M. Lafontaine fit alors de nouvelles passes ayant, dit-il, pour but d’augmenter encore l’état électrique de Marie. Quelqu’un joua un air d’église sur un piano: elle parut surprise, un sourire ineffable s’épanouit sur son visage; elle joignit les mains et se leva, ses genoux fléchirent, son sein s’agita; graduellement elle arriva à une extase extraordinaire; elle murmurait les mots de «Seigneur!» et de «Mon Dieu!»

M. Lafontaine lui parlait et elle ne l’entendait plus; ses yeux fixes, pleins d’un feu humide, semblaient contempler le ciel ouvert; de grosses larmes coulaient sur ses joues. Cette fille, d’un visage insignifiant, d’une forme commune, devint tout à fait belle; ses attitudes étaient nobles, son regard inspiré.

On lui mit une bougie, non pas devant, mais sur les yeux, au point de lui brûler les cils, sans qu’elle semblât s’en apercevoir, sans qu’elle manifestât la moindre sensation causée par la flamme ni par la chaleur, sans que sa paupière frissonnât. On lui tira aux oreilles des capsules fulminantes, on lui ficha des épingles sur le front; son extase allait toujours croissant; elle tomba à genoux en s’écriant:

—Seigneur... viens!

Tout à coup le musicien changea de rhythme et joua un air de danse. Marie parut surprise, inquiète, contrariée; elle semblait se cramponner aux sensations nouvelles et contraires qui s’emparaient, qui s’évanouissaient d’elle malgré sa volonté; puis elle céda: au sourire extatique succéda un sourire de paysanne au bal; elle redevint une fille commune, assez laide, et elle dansa.

Puis le musicien se leva et quitta le piano. A l’instant même elle s’affaissa et serait tombée par terre si on ne s’était empressé de la retenir; mais on ne put l’empêcher de s’étendre sur le tapis, et elle eut une crise nerveuse fort semblable au commencement d’une crise d’épilepsie. M. Lafontaine la calma avec quelque peine. Cependant elle était toujours en état de somnambulisme; on lui demanda si elle souffrait, et, au milieu des convulsions, elle répondit que non.

La musique reprit: elle se calma à l’instant et retomba dans l’état extatique qui nous avait frappés auparavant.

Pendant ce temps, une vieille dame, très-fervente à l’endroit du fluide animal, ou vital, comme l’appelle M. Lafontaine, me faisait une querelle; elle prétendait que j’avais parlé à la somnambule, que je m’étais mis en rapport avec elle, et que le combat de mon fluide avec celui de M. Lafontaine avait causé la crise nerveuse; j’excusai de mon mieux et moi et mon pauvre fluide. M. Lafontaine eut l’indulgence d’assigner une autre cause à la crise de Marie, et de l’attribuer à la cessation brusque de la musique, effet, du reste, ajouta-t-il, très-difficile à éviter; et mon fluide fut déclaré non coupable, à ma grande satisfaction.

Si tout ceci est une comédie, c’est bien joué, et Marie laisse bien loin derrière elle tout ce qu’il y a d’actrices au théâtre.

Marie, réveillée, eut l’air de n’avoir la conscience de rien de ce qui s’était passé, et on mit sur la sellette à sa place un vieux sourd-muet, qui, après des passes et des insufflations prolongées et énergiques, entendit et répéta les mots bonjour et pantalon.

Mais, comme il y a beaucoup de sourds-muets qui entendent et parlent un peu à différents degrés, et comme il ne put expliquer clairement sa situation antérieure, le fait reste sans conclusion.

Voilà ce que j’ai vu un jeudi, à huit heures du soir, chez M. Lafontaine, rue Neuve-des-Mathurins.

Maintenant, que cela s’explique de différentes façons, que l’influence exercée par M. Lafontaine sur Marie consiste à reproduire à volonté chez elle une crise, effet d’une catalepsie naturelle à laquelle elle serait sujette; ou que ce soit la plus effrontée et la mieux jouée des comédies, ce qui ne paraîtra vraisemblable à aucune des personnes qui y ont assisté: il y a certes de quoi frapper des esprits même peu portés à la crédulité, et, je le répète, le devoir de l’Académie de médecine, son devoir impérieux, est de reconnaître et d’étudier ce phénomène ou de démontrer la supercherie de telle façon que personne n’en puisse être dupe à l’avenir.

Pour moi, j’ai vu des choses extraordinaires et je les raconte. J’attends.

Je terminerai ce récit par une histoire ayant trait au magnétisme, et que je vole tout simplement à M. Emile Deschamps; malheureusement, je n’ai pu retenir que le fond de l’anecdote, et je ne puis lui voler la bonhomie spirituelle et malicieuse avec laquelle il la raconte.

Une jeune fille avait une mauvaise santé, sans être précisément malade; son état ne présentait les symptômes d’aucune maladie classée et ayant, de par la Faculté, droit de bourgeoisie chez les mortels. Les médecins allopathes, homœopathes, hydropathes, etc., prétendaient que cela se passerait; ils ordonnaient un peu de patience et beaucoup de distractions.

Un ami de la famille parla de magnétisme avec beaucoup d’enthousiasme; il raconta des cures merveilleuses, des phénomènes, des miracles. Malgré certaines répugnances, on se laissa convaincre, et l’on fit venir un magnétiseur.

C’était à la fin du jour, dans un jardin, sous une épaisse allée de sycomores; au bout d’un quart d’heure, la jeune personne était endormie; au bout de vingt minutes, elle commençait à répondre aux questions du magnétiseur, lorsqu’un domestique, accouru en toute hâte, demanda celui-ci et lui dit quelques mots à l’oreille.

—Pardon, dit-il à la famille, un événement inattendu me force à courir chez moi; je reviens dans dix minutes. Attendez-moi, j’ai mon cabriolet à votre porte.

Il part.

Les dix minutes sont bientôt passées; il s’écoule un quart d’heure, une demi-heure, une heure.

L’ami, très-expert dans les pratiques du magnétisme, dit:

—C’est fâcheux qu’il ne l’ait pas réveillée avant de partir.

Au bout d’une heure et demie, on envoie chez le magnétiseur. On répond qu’il n’est resté que dix minutes chez lui, qu’il était fort ému, qu’il a fait un paquet d’un peu de linge et de quelques hardes, qu’il s’est fait conduire au chemin de fer de Rouen.

On couche la jeune fille, on convient de ne rien dire ni à personne ni à elle-même. Le lendemain matin, on n’avait pas de nouvelles. Le surlendemain, on reçoit une lettre du Havre.

Le médecin annonçait que sa femme lui avait été enlevée par un perfide ami; qu’ils avaient pris, en partant, sa caisse tout entière; qu’il était à leur poursuite. Il regrettait vivement l’embarras dans lequel il les avait laissés.

Que faire?

L’ami disait:

—Au moins, s’il avait mis quelqu’un de nous en rapport avec elle, on l’aurait réveillée.

—Et que faisait la jeune fille?

—La jeune fille buvait, mangeait, causait, comme de coutume; il n’y avait rien de changé à ses habitudes, et bien heureusement, car cela rendait facile aux parents de lui cacher la triste position dans laquelle elle se trouvait.

—Mais alors elle ne dormait pas?

—Certainement que si, puisque le magnétiseur ne l’avait pas réveillée.

—C’est juste.

Il se passa un an, les parents étaient fort tristes, fort abattus: on n’avait aucune nouvelle du disciple de Mesmer; il n’était pas revenu à Paris; on ne savait où il était.

Un parti se présente; les parents et l’ami se réunirent, se consultèrent. Doit-on avertir le futur époux de l’état dans lequel se trouve la fille qu’il demande?

La probité, la sévère probité dit qu’on ne peut s’en dispenser. Mais s’il allait s’effrayer! et qui ne s’effrayerait pas à sa place?

C’est un mariage très-avantageux, très-convenable sous tous les rapports.

On fait taire la probité; on ne dit rien; le mariage se conclut.

—Et comment était la jeune femme?

—Comme de coutume. Il fallait savoir ce qui en était; sans cela, on ne se serait douté de rien.

Au bout d’un an, elle allait avoir un enfant.

Le mari était enchanté. Cependant les parents, qui étaient honnêtes au fond, souffraient d’un pareil état de choses; leur conscience était bourrelée quand le mari les remerciait de son bonheur. Dix fois la vérité fut sur leurs lèvres, dix fois ils la retirèrent.

—Et la jeune femme?

—Elle allait fort bien; elle eut un second enfant. Un jour, on apprend que le médecin s’est fixé à Provins.

Les parents, au comble de la joie, lui écrivent avec instances de venir à Paris. Il répond et s’excuse sur de nombreuses occupations.

Une correspondance s’engage: les parents insistent; le magnétiseur résiste. Il finit par mettre son déplacement à un prix exorbitant. Que faire? il fallait bien en passer par où il voulait; on était à sa discrétion. L’état de la jeune femme ne pouvait durer éternellement; le secret, caché jusque-là au mari, pouvait être révélé à chaque instant. On accorde ce que le médecin exigeait. Il arrive, il se loge auprès de la maison, et, un jour que le mari est à la chasse, on le prévient.

Il arrive; on avait défendu la porte: on était sûr de ne pas être troublé.

L’ami seul, qui était dans le secret, assistait à l’opération.

Le magnétiseur dégage le fluide; il descend les mains du front à l’épigastre de la somnambule, en les secouant pour se débarrasser du fluide qu’il enlève; il la réveille.

—Et quelle différence cela amena-t-il chez la jeune femme?

—Aucune, au point que le mari ne s’aperçut de rien.

—Mais alors qui vous dit qu’elle ne dormait plus?

—Quelle tête dure vous avez! Certainement qu’elle ne dormait plus, puisque le magnétiseur l’avait réveillée.

—C’est juste.

UNE VISITE A L’ARSENAL

Dans un vaste atelier sont deux jeunes gens: l’un est devant un chevalet et profite des dernières lueurs du jour; l’autre, étendu sur un vaste divan rouge, fume nonchalamment une longue pipe et retourne dans ses mains une lettre encore non décachetée. Tous deux portent des cheveux longs et des moustaches. Demain, peut-être, ils auront la tête et le menton rasés; après demain, ils laisseront repousser la barbe sous la lèvre inférieure.

—Je ne sais pourquoi, dit le fumeur, j’hésite à envelopper cette lettre dans le sort auquel je condamne les autres depuis deux mois. J’ai quelque regret de la brûler sans la lire, d’autant plus que c’est l’écriture de mon père. Je devine à peu près le contenu des deux missives qu’il m’a adressées précédemment. La première contenait nécessairement des reproches et des menaces; la seconde, probablement, des reproches et des conseils. Il n’est pas impossible que je trouve dans celle-ci un bon sur la poste. Parbleu! ajouta-t-il après avoir parcouru les premières lignes, je ne m’étais pas trompé: mon correspondant est chargé de me remettre cent francs.

—Cent francs! s’écria l’autre en posant sa brosse.

—Cent francs, répondit le fumeur.

—Allons, les pères valent mieux que leur réputation; pour moi, je n’aurai mon pain quotidien que lorsque je pourrai dire: Notre père, qui êtes aux cieux.

»En attendant, il me fait une recommandation très-importante. Mon oncle de l’Arsenal est malade; il me presse de l’aller voir; c’est un oncle à héritage, et je n’y suis allé qu’une seule fois depuis trois ans.

—Tu as tort.

—Il n’est pas difficile d’être sage pour les autres. Je tâcherai d’y aller demain. Mais je ne sais pas trop le chemin.

—Je te ferai une carte.

—Voilà qui est bien.

Le lendemain arrive.

—Je ne partirai pas sans déjeuner.

—Je ne te le conseille pas.

—Qui ira chercher le déjeuner?

—Pas moi; je suis en pantoufles.

—Ni moi; je ne veux pas salir mes bottes avant de me mettre en route. Eugène, tu n’es guère complaisant.

—Et toi, tu n’es guère juste; c’est moi qui ai fait hier toutes les corvées. Aujourd’hui, c’est à ton tour.

—Écoute, prenons les fleurets; le premier touché ira chercher le déjeuner.

On prend les fleurets, on tire; Arthur est touché. Il est convenu que c’est lui qui ira chercher le déjeuner; mais, puisqu’on a tant fait que de décrocher les fleurets, les masques et les gants, on ne s’arrêtera pas à une première botte. On tire pendant une heure. On s’arrête essoufflé, exténué.

—Il faut faire chauffer de l’eau pour ma barbe.

—Oui, et tu as laissé éteindre le feu.

—Il sera bientôt rallumé. Mais nous n’avons pas d’eau.

—Comment! la fontaine est déjà vide?

—Oui; j’ai oublié de refermer le robinet hier au soir.

—La cuisine doit être inondée?

—La chose n’est que trop vraie. Je suis bien heureux de m’en être aperçu avant de descendre.

On déjeune, on met de l’eau au feu.

Pendant qu’elle chauffe, Eugène s’est remis à son tableau, Arthur a pris sa pipe et s’est étendu sur le divan:

—Regarde, Eugène, combien j’ai perdu de temps aujourd’hui; je devrais déjà être loin. C’est décidément une mauvaise chose que la flânerie. On ne saurait croire combien la mienne m’a déjà fait de tort. Un philosophe a eu bien raison de dire: «Faites ce que vous voudriez avoir fait plutôt que ce que vous voudriez faire.»

—Cela est d’autant plus juste à ton égard, dit Eugène en prenant une pipe et en s’asseyant près de son camarade, que ce que tu voudrais faire surtout, ce serait ne rien faire.

—Il est vrai que je méprise cette inquiétude qui fait que certaines gens agissent pour agir; faites quelque chose qui vaille mieux que le repos, ou tenez-vous coi.

—En ce moment, il vaudrait mieux t’habiller que de te tenir coi.

—Mon eau n’est pas chaude.

Les deux amis lâchèrent quelques bouffées de fumée; puis Arthur reprit:

—Ce n’est pas que je veuille défendre la flânerie; car l’exorde de mon discours était, s’il t’en souvient, tout à fait contre elle.

—Je n’en dirai pas non plus de mal; car

La paresse est un don qui vient des immortels.

Les deux amis avaient dans la tête une certaine quantité de citations qu’ils arrangeaient en manière d’aphorismes, selon le besoin qu’ils en pouvaient avoir.

—Mais, ajouta-t-il, il faut, pour que la flânerie soit douce, qu’elle soit aussi sans crainte et sans remords, sans peur et sans reproche; il faut avoir conquis le droit de s’y livrer corps et âme; car ce n’est pas la flânerie véritable, la flânerie pure et entière, que celle à laquelle s’abandonne le corps tandis que l’esprit le gourmande.

Il se leva et commença sa toilette. Pour une visite aussi peu fréquente et aussi importante que celle qu’il avait à faire, il crut devoir laisser de côté la cravate noire, qu’il n’avait pas quittée depuis plusieurs années. Il en plia donc une blanche, et la mit toute disposée sur le dos d’un fauteuil. Mais, lorsqu’il se fut lavé les mains, il les essuya tranquillement après sa cravate, ne songeant pas que ce morceau de linge blanc pût être autre chose qu’une serviette. Quand il s’en aperçut, il était trop tard, la cravate était entièrement fripée et sale. Il en fallut chercher une autre; il s’assit pour la plier sur ses genoux. Mais il était si bien sur le divan! Il reprit sa pipe et se mit à fumer. Sa tête reposait mollement sur les coussins...

État d’inertie qui laisse voltiger autour de la tête des pensées légères, bizarres, que le moindre souffle dissipe ou métamorphose comme les nuées de fumée, et lâche la bride à l’imagination qui vagabonde, laisse là le corps engourdi sans force pour la suivre ni la retenir, tel que l’oiseau qui, échappé de sa cage, voltige alentour et semble narguer l’oiseleur stupéfait de sa fuite.

État délicieux où le moi disparaît, où l’on assiste à sa propre vie, à ses sensations, à ses joies, à ses douleurs, comme à un spectacle, avec cette douce paresse d’un spectateur bien assis; où on ne peut creuser une pensée triste sans que, malgré vos efforts pour la retenir, elle vous échappe comme l’eau entre les doigts, et se transforme en une figure bouffonne qui, dansant dans la fumée du tabac, vous rit au nez et vous force à rire.

Cependant Arthur part. Sur l’escalier un homme l’arrête.

—M. Arthur est-il chez lui?

—Non, il est mort.

L’homme redescend devant lui tout étourdi.

—Allons, je suis bien heureux que ce gaillard-là ne me connaisse pas.

Il se met en route le long des boulevards. Il y a bien des choses à voir sur les boulevards au mois de mars.

Les marchands de fleurs ont sur les étalages les premières jacinthes, qui répandent une odeur de printemps. Les femmes, aux premiers rayons du soleil, sortent de leurs fourrures, comme les premières fleurs de leurs calices verts.

Il s’arrête à un escamoteur; l’escamoteur commence un tour plus surprenant que tous les autres, mais il ne le finit pas: il en a d’autres à montrer auparavant; puis il donne pour rien un pain de blanc d’Espagne pour nettoyer les chandeliers, à ceux qui voudront bien payer vingt sous une boîte de charbon pour les dents.

—Ce spécifique odontalgique et balsamique est souverain contre la carie des dents. J’offre de faire une expérience publique. La première personne venue... Viens ici, simple gamin... Tenez, les dents de cet enfant sont d’un noir parfait; vous mettez sur la brosse un peu de poudre; vous l’humectez avec de l’eau; et ne croyez pas que ce soit de l’eau préparée; l’eau, la première venue, l’eau du ruisseau; vous frottez les dents et les gencives.

Cependant le tour tant annoncé ne se fait pas; Arthur, qui l’a attendu pendant une demi-heure, perd patience et s’en va. Mais l’escamoteur court après lui et l’appelle:

—Monsieur! monsieur!

Tous les yeux sont fixés sur Arthur. Il rougit et s’arrête.

—Monsieur, dit l’escamoteur, pourquoi m’emportez-vous mes balles? Je n’ai pour vivre que les instruments de mon métier.

Tout le monde entoure Arthur, qui, bleu de colère, s’écrie:

—Je n’ai pas vos balles, allez vous promener.

—Je demande mille pardons à monsieur, mais il a mes balles dans son chapeau.

L’escamoteur en retire trois énormes balles. Le tour se fait adroitement; tout le monde admire, Arthur a envie de battre l’escamoteur et s’enfuit. Les incrédules sourient et disent:

—C’est un compère.

Plus loin est un marchand de briquets phosphoriques.

—Ceci est la véritable pâte inflammable. Vous n’avez point besoin d’allumettes préparées; vous prenez gros comme rien du tout de ma pâte au bout d’un couteau, au bout de votre canne, au bout de ce que vous voudrez, de n’importe quoi; le moindre frottement contre une mèche l’allume aussitôt.

«Outre l’utilité de ma pâte inflammable, c’est une source d’amusements honnêtes et récréatifs; l’histoire de rire et de s’amuser en société.

«Vous êtes dans le monde... chez un ministre; un maladroit veut moucher la chandelle et l’éteint; obscurité complète. Chacun dit la sienne; on profite de la nuit pour embrasser sa voisine; mais vous, vous tirez votre briquet, que vous avez toujours sur vous; vous pariez un litre, rouge ou blanc, avec la maîtresse de la maison, que vous rallumerez la chandelle.

Arthur continue sa route; un homme l’arrête par le collet de son habit. Cet homme a devant lui un chat-huant et trois innocentes couleuvres, serpents féroces qu’il a, dit-il, apprivoisés. Plusieurs oiseaux, roides et étendus sur le dos, sont instruits à simuler la mort. S’il vous permettait de les toucher, vous verriez que la chose ne leur est que trop facile. Cet homme vend du savon à détacher. En vain Arthur veut s’échapper, son ennemi ne lâche pas prise; la foule s’amasse autour d’eux.

—Il est impossible de voir une tache plus dégoûtante que celle qui dépare le collet de l’elbeuf de monsieur.

Arthur donne un coup de poing dans l’estomac du dégraisseur, et le fait tomber avec sa table sur les oiseaux et les reptiles morts ou vivants, puis il s’enfuit; et, pour dérouter les regards, il quitte les boulevards et prend au hasard une rue qu’il ne connaît pas; elle le conduit dans une autre qui donne dans une autre. Arthur est perdu; il erre, il tourne; enfin il demande à un commissionnaire ou il se trouve; il a fait la moitié du chemin pour retourner chez lui.

—C’est l’heure du dîner de mon oncle, je vais rentrer; je n’irai pas aujourd’hui.

Le lendemain, Arthur se leva de grand matin. Il avait perdu un temps prodigieux, la veille, à faire chauffer de l’eau pour sa barbe; aujourd’hui, il se rasera à l’eau froide. Il est vêtu de deux pantoufles, l’une à lui, l’autre à Eugène; une jaune, l’autre rouge; un vieux pantalon noir taché de couleur et une chemise de nuit complètent le costume.

Le savon est lent à se dissoudre dans l’eau froide, il devient gluant et glissant, et jaillit, de la main serrée pour le retenir, comme un noyau de cerise entre les doigts.

Arthur se baisse et met la main dessus; le savon glisse dans la main et disparaît sous le divan.

Il prend une canne et frappe le divan; la canne rencontre le savon et le chasse violemment; la porte est ouverte, le savon sort; Arthur le poursuit; mais il passe à travers la rampe et, toujours glissant, descend d’étage en étage; deux fois Arthur le rattrape et veut le saisir avec le pied; mais il s’élance de plus belle. Arthur descend aussi vite qu’on peut descendre en pantoufles; il passe à côté d’une femme et d’un enfant, et manque de les renverser; il déchire entièrement une manche de sa chemise après un portemanteau pour battre les habits. Le savon s’est arrêté dans la cour; Arthur va le saisir; une servante, qui lavait à la pompe, vide son baquet, et le ruisseau grossi entraîne le savon par-dessous la porte cochère.

—Cordon, s’il vous plaît!

Arthur sort et prend son savon entre les jambes d’un cheval; mais on s’arrête dans la rue pour le regarder. Il s’empresse de rentrer; à chaque étage, il rencontre des voisins sortis pour chercher la cause du bruit qu’il faisait en descendant. Les uns rient, les autres haussent les épaules. Arrivé en haut, l’atelier est fermé. Il va frapper, il entend un enfant qui pleure et une femme qui gronde.

—Tiens-toi tranquille; dans une heure, tout sera fini, et nous nous en irons.

—Ah! mon Dieu! c’est un affreux petit enfant dont Eugène fait le portrait. Je ne puis me présenter ainsi. Que faire? Une heure avec une chemise incomplète par le temps qu’il fait. Si j’avais une pipe, seulement.

Arthur bat la semelle, marche en long et en large. Quand il a épuisé ces plaisirs peu variés, il sort par une lucarne, grimpe sur le toit, et va se chauffer à la fumée d’une cheminée voisine. L’heure se passe longuement; mais il n’est plus temps d’aller chez l’oncle: encore une journée de perdue.

La nuit, Arthur dort à peine pour se réveiller plus sûrement de bonne heure. Il songe aux raisons qu’il donnera à son oncle pour n’être pas allé le voir depuis si longtemps. Le matin, il se réveille; le jour pénètre dans la chambre, sombre et pluvieux.

—Allons, il pleut; je ne sortirai pas.

Quand on se trouve bien au lit, le moindre prétexte paraît suffisant pour y rester. Cependant Arthur se trompe, il ne pleut pas. Un rideau bleu étendu par Eugène devant la fenêtre, cause son erreur. Il n’y a rien de si triste et de si trompeur que la lumière passant à travers un rideau bleu: il ne faut pas avoir de rideaux bleus.

Il ne pleut pas, bien au contraire; quand Arthur se lève, il est tard.

Le soleil commence à prendre de la force; ses rayons colorent les toits, qui semblent le salir.

De la terrasse qui est devant l’atelier, on voit quelques toises du ciel, mais on le voit bleu, transparent; on respire un air attiédi et pénétrant; dans les villes, c’est tout ce qu’on sait du printemps. Les plus belles fêtes de la nature ne sont, pour le citadin, que ce que serait l’harmonie lointaine d’un bal pour le pauvre qui meurt de froid à la porte de l’hôtel.

Mais c’est assez pour faire penser que la forêt doit commencer à feuiller, que les hêtres et les érables verdissent les premiers avec l’aubépine; les cerisiers doivent déjà balancer leurs riches panaches de fleurs blanches; les oiseaux d’hiver ont cessé leurs chants secs et aigus, et la fauvette, dans le jeune feuillage des lilas, fait entendre la première sa voix pleine et vibrante.

Sur le bord des rivières doivent fleurir les chatons jaunissants des saules, autour desquels bourdonnent les premières abeilles.

Arthur dit à Eugène:

—Il faudrait cependant nous occuper de notre jardin.

Leur jardin se compose de trois longues caisses placées sur la terrasse.

—Que mettrons-nous, cette année, dans notre jardin?

—Pour moi, je ne veux plus de légumes; ta salade de l’été passé était détestable; d’ailleurs, il faut un peu d’ombrage.

—Veux-tu donc des arbres de haute futaie et des taillis?

—Ce ne serait pas si mal.

—Alors, pourquoi n’y mettrait-on pas des sapins? Ce serait une chose superbe.

—Sans plaisanterie, nous demeurons assez haut, ce me semble, pour que personne ne s’avise de nous contester le droit d’avoir ici quelques cèdres; le cèdre est ami des montagnes.

—Je veux des fleurs, je mettrai des œillets et des roses rouges, que René d’Anjou fit voir le premier dans ses jardins.

—Il est aussi le premier qui ait cultivé le raisin muscat.

—Si tu m’en crois, nous n’aurons pas plus de vignes que de forêts.

—Comme tu voudras.

—Sais-tu que c’est une gloire comme une autre que d’avoir attaché son souvenir à une fleur?...

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Eugène est seul dans l’atelier, seul avec un modèle qui ne parle ni ne bouge. Arthur est parti de bonne heure; tout porte à espérer que, cette fois, il arrivera à l’Arsenal.

Eugène cause tout seul. Tout en peignant, il se donne à lui-même des avis, il se fait des reproches, il s’accorde quelques éloges, il imite les paroles et la voix du maître sous lequel il a étudié, il entremêle ce monologue de réflexions morales.

—N’abusez pas du bitume. Pourquoi peignez-vous sans appui-main?... Où diable sont mes appuis-main? Je ne trouverai jamais mes appuis-main. Il faudrait avoir un rapin pour me donner mes appuis-main. On n’est jamais si mal servi que par soi-même... Ah! vous appelez cela un appui-main? Pourquoi ne prenez-vous pas un essieu de voiture? Voilà une bougie allumée, c’est bien; mais qu’est-ce qu’éclaire votre bougie?... Mettez donc des lumières; vous n’osez pas, vous avez peur. La, la, encore un peu. Ah! maintenant, votre bougie éclaire. N’abusez pas du bitume. Un peu de cinabre... Allons, où est mon cinabre? Qui est-ce qui a pris mon cinabre? Dites-moi, Georges, dit-il au modèle, est-ce vous qui avez mangé mon cinabre? Il me faut absolument du cinabre. Voici bien du vert; mais ce n’est pas la même chose. Si j’avais un rapin, il me chercherait mon cinabre. Il faudra décidément que j’aie un rapin. L’économie est la mère de tous les vices. Ah! voici mon cinabre! Qui diable s’est avisé de le mettre dans un casque? On dérange tout, ici; on met tout en désordre. Qui diable s’est avisé de mettre mon cinabre dans un casque? Allez donc le chercher dans un casque. Je sais fort bien que je l’avais mis dans une botte à l’écuyère... Allons, se dit-il toujours à lui-même, vous prenez peut-être cela pour un œil; si vous regardiez le modèle, vous ne feriez pas de semblables bévues. Qu’est-ce que ce grand œil hébété? Abaissez donc la prunelle; la, encore un peu.

Puis il chante:

Que la peinture est difficile!
Je n’serai jamais qu’un croûton.

—Si tout votre tableau ressemble à cette jambe, il faut vous rendre justice, ce sera le plus mauvais du salon, et vous ne ferez pas mal de mettre en bas: Épicier pinxit... N’abusez pas du bitume... Allons, Georges, vous allez vous reposer; moi, je vais sortir; je reviendrai dans une heure et demie; si l’on vient me demander, dites que je suis allé découvrir les sources du Niger.

Eugène sort. Un commissionnaire monte quelques instants après; il demande Eugène. Georges, qui fume du tabac du Levant dans une pipe turque, le renvoie avec sa lettre.

Cette lettre est d’Arthur.

Voici ce qui lui est arrivé:

Il est sorti, comme nous l’avons dit, de fort bonne heure; il a eu faim et est entré dans un café; au moment de sortir, il s’est aperçu qu’il n’avait pas d’argent. Il s’est fait servir quelque chose et a écrit à Eugène de chercher sa bourse et de la lui envoyer.

Le commissionnaire revient avec la lettre; comment payer ce qu’il a bu et mangé au café? On ne peut sortir du café sans solder sa dépense; on ne peut renvoyer le commissionnaire sans le récompenser. Il faut garder le commissionnaire et rester au café; il envoie le commissionnaire chez un ami et demande un cinquième verre d’eau sucrée.

—Si le commissionnaire ne trouve pas Robert, que vais-je faire? Il faut payer cet homme, il faut payer ma dépense ici. C’est très-embarrassant.

Une femme passe devant le café, Arthur se précipite à la porte, le chapeau à la main; cette femme qu’il vient d’apercevoir le préoccupe étrangement. Voici pourquoi:

Sortant, un jour, de la boutique d’un marchand de bric-à-brac, chargé de deux figures de plâtre, d’un casque antique et d’un parasol chinois, Arthur s’était, dans la rue, trouvé en face d’une femme dont la beauté l’avait frappé. Les impressions subites ne sont pas une chimère. D’un coup d’œil, Arthur fut amoureux, malheureux, jaloux. Les plâtres lui échappèrent quasiment des bras; il voulut suivre l’inconnue; mais, chargé comme un portefaix, sale de poussière et de plâtre, il avait été forcé d’abandonner ce projet au cinquième pas.

Il resta triste et rêveur pendant trois jours. Une chose l’affligeait surtout. Il devait avoir produit sur l’esprit de cette femme une impression toute contraire à celle qu’il avait reçue d’elle. Son accoutrement était ridicule, son admiration stupide. Pendant quinze jours, il ne sortit plus qu’en grande toilette: si l’on jouait une pièce nouvelle, il allait au théâtre; si un rayon de soleil se glissait à travers les nuées grises de novembre, il allait se promener aux Tuileries, cherchant sous tous les chapeaux les yeux bleus de son inconnue. Il voulait réparer l’impression défavorable qu’il pensait avoir produite, et s’élever au moins vis-à-vis d’elle au niveau des indifférents et des gens qu’elle n’avait jamais vus.

A deux mois de là, il l’avait une seconde fois aperçue dans un théâtre; mais elle était fort éloignée de lui, et, quoi qu’il pût faire, il n’avait pas réussi à attirer son attention sur sa personne, qui, ce jour-là, était tout à fait coquette et bien arrangée. En rentrant, il avait fait son portrait de mémoire, et la vue continuelle de cette image n’avait pas peu contribué à entretenir dans son esprit une passion passablement extravagante. Depuis, il ne l’avait jamais rencontrée, quelques recherches qu’il eût faites. Quelquefois il avait suivi, des heures entières, des femmes inconnues, sous prétexte qu’elles avaient dans la taille et dans la tournure quelques rapports avec sa bien-aimée, ou qu’elles portaient un châle bleu. Les deux seules fois qu’il l’avait aperçue, elle était enveloppée d’un grand cachemire de cette couleur.

Du reste, il faisait fort assidûment la cour au portrait, et il plaçait devant lui de beaux bouquets chaque fois qu’il rentrait. La cherchant toujours et ne la voyant jamais, il était arrivé à un point d’adoration tel, que, s’il l’eût rencontrée par hasard et qu’il eût réussi à se faire aimer d’elle, lui ne l’aurait pas aimée longtemps. Il avait juché son idole sur un piédestal si élevé, qu’elle n’en aurait pu descendre sans se briser. Avec de l’imagination et des obstacles, on peut toujours adorer une femme; il n’est pas aussi facile de l’aimer. On n’adore la plupart des femmes que faute de les pouvoir aimer.

Non que nous prétendions dire du mal des illusions; loin de là, nous avons souvent pensé qu’il n’y a de beau dans la vie que ce qui n’y est pas; c’est-à-dire que la vie nue, dépouillée des riches couleurs que lui prête le prisme de l’imagination, ne vaut guère la peine qu’on la vive, et ressemble à un papillon dont les ailes, froissées par une main maladroite, ont perdu leur brillante poussière écailleuse.

Tuer les illusions, c’est borner le monde à notre horizon, c’est rétrécir le cercle de nos sensations à la largeur de nos bras étendus; c’est, à l’exemple de l’éphore spartiate, couper deux cordes de la lyre; c’est, comme le tyran de Syracuse, jeter à la mer sa plus belle bague; c’est se mutiler comme Origène.

Ainsi, en reconnaissant sous un chapeau noir, et à travers un voile de la même couleur, les grands yeux bleus de l’inconnue, Arthur s’était précipité à la porte du café; mais, au moment de la franchir, il se rappela tout à coup qu’il n’avait pas payé et ne pouvait payer ce qu’il avait pris, et qu’en le voyant sortir, surtout d’un pas rapide, on ne manquerait pas de le prendre pour un voleur qui avait voulu déjeuner aux dépens du limonadier.

Il retourna à sa place, demanda un sixième verre d’eau sucrée, et fit semblant de lire un journal.

Enfin, un homme entra en riant dans le café: c’était l’ami auquel Arthur avait écrit de venir le tirer d’embarras. Il lui offrit sa bourse; Arthur paya le commissionnaire et ses innombrables verres d’eau sucrée.

—Mon cher ami, dit le nouvel arrivé, puisque je paye ton déjeuner, permets-moi de subvenir également à ta nourriture du reste du jour, et viens souper avec nous.

Des circonstances amenées par la rencontre de cet ami, un amour qui amena un voyage, un voyage qui amena une brouille, une brouille qui amena un retour, tout cela prit bien du temps.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Après ce temps, en route, Arthur songe à son inconnue, et, rentré à son atelier, remplace par un bouquet de bruyère rose et de genêt doré le bouquet depuis longtemps flétri qui décorait son portrait.

—Parbleu! dit Arthur, il faut que j’aille chez mon oncle.

Arthur rentre au moment où Eugène allait dîner seul.

—Eh bien?

—Eh bien?

—As-tu vu ton oncle?

—Non.

—Comment cela?

—Le boulevard m’a encore une fois été funeste. Je me suis arrêté à voir une géante, Polonaise lors de la guerre de Pologne, Belge pendant le siége d’Anvers. Voici ce que j’ai lu sur l’affiche. «Le roi, ayant appris ce qu’on disait de sa merveilleuse beauté, l’a voulu voir et a déclaré que c’était à juste titre qu’on la surnommait la reine des géantes.» Fort du suffrage du roi, je suis entré, et j’ai eu l’honneur d’être distingué par la reine des géantes.

—Ah!

—Devant tout le public rassemblé, elle m’a dit: «Si monsieur, qui est d’une riche taille, veut bien se placer à côté de moi, on verra qu’il ne me va pas à l’épaule.» Je me suis gravement juché sur son estrade, et je suis resté près d’elle aussi longtemps qu’elle l’a jugé convenable. Ah! dit-il en soupirant, j’ai vu quelque chose qui m’a plus intéressé que tout cela. J’étais arrêté près d’un escamoteur; il avait besoin d’une montre pour une métamorphose. J’avais prêté la mienne; et je t’assure que le tour est très-drôle; mais, comme je le regardais opérer, une femme, enveloppée d’un cachemire bleu, vint à passer. Cette femme, c’était mon inconnue, je veux la suivre; elle marchait sur le boulevard précisément dans le sens de ma route pour aller chez mon oncle; mais je ne pouvais pas laisser ma montre dans les mains de l’escamoteur. Je m’avance vers lui:

»—Ma montre...

«—Monsieur, dans un instant.

«—Je veux m’en aller.

«—C’est l’affaire de cinq minutes.

«—Je n’en ai pas une à perdre.

«Tout le cercle murmure et m’invective.

«—Avez-vous peur que je ne vous vole votre montre?

«—Vous êtes un drôle.

«—Eh bien, prenez-la dans le gobelet où je l’ai mise.

«Je mets la main dans le gobelet; j’en tire un gros oignon. Tout le monde rit; tout cramoisi, je demande encore ma montre, et je m’enfuis avec; mais l’inconnue a disparu. Si elle était restée sur le boulevard, la ligne est droite, je la verrais; un cabriolet vient de partir, je le suis, je le poursuis. Il faut avoir du malheur, le cheval trottait parfaitement. Hors d’haleine, je le devance; mais il n’y avait dedans qu’un homme à lunettes bleues!

Arthur reçut une lettre de son père; dans cette lettre, il y avait ce passage:

«Envoie-moi des nouvelles de ton oncle, que l’on disait si mal; je ne te demande pas si tu l’as vu; car ton cœur, nos intérêts, le respect humain, sans compter le conseil que je t’en avais donné, tout t’en faisait une loi.»

—J’irai demain, quand il pleuvrait des vieilles femmes! s’écria Arthur...

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Six semaines après, Arthur arrive à l’Arsenal; la maison de son oncle était tendue de noir, on venait de mettre le corps dans le corbillard, tout le monde montait dans les voitures de deuil. Arthur fut atterré; cependant quelques minutes de réflexion lui firent voir qu’il ne lui arrivait rien que de très-ordinaire et tout à fait conforme à la marche naturelle des choses.

Trois personnes dont les figures ne lui étaient pas inconnues lui firent du geste l’invitation de monter avec elles dans la dernière voiture; Arthur monta et suivit d’abord à l’église, puis au cimetière sans dire mot; seulement, il lui venait bien à l’esprit quelques remords de n’avoir pas vu son oncle à son heure suprême. On arriva; après cette cérémonie toujours triste, même pour les indifférents, après qu’on eut descendu le cercueil dans la fosse, et qu’on l’eut recouvert de quelques pelletées de terre qui retentirent sourdement sur le sapin, un monsieur vêtu de noir s’avança, qui se moucha, et, d’une voix émue autant par l’embarras de parler en public que par la douleur, prononça l’éloge du défunt.

Cette figure encore n’était pas inconnue à Arthur; il lui vint en l’esprit que ce jeune homme, moins étourdi ou plus heureux que lui, était probablement l’héritier de son oncle.

—Messieurs, dit l’orateur, surtout à propos de la mort, on peut dire que c’est pour celui qui reste que l’absence a le plus d’amertume; l’homme que nous regrettons va occuper dans le ciel la place que lui ont conquise ses vertus, et nous, nous restons ici-bas pour le pleurer.

—Il n’y a pas de doute, pensa Arthur, mon oncle lui a donné sa terre de Bayeux.

—Personne, continua l’héritier, ne pratiqua mieux ce précepte de l’Évangile: «Que votre main gauche ignore ce que donne votre main droite.» C’est pour cela que les pauvres, ignorant d’où leur sont venus les nombreux bienfaits qu’il a répandus dans sa vie, ne sont pas accourus ici pour humecter cette terre de leurs larmes.

—Il a aussi la maison de Paris, se dit Arthur.

—A quelques personnes, ses facultés morales ont paru baisser; c’est que sa vie était finie dans ce monde, et qu’il commençait l’enfance d’une autre vie.

—Je ne donnerais pas cinq sous, dit tout bas Arthur, de ce que mon oncle m’a laissé de ses rentes sur l’État.

—C’était l’enfance de l’immortalité.

—Il ne me reste pas même les actions de canaux.

On remonta en voiture. Les trois compagnons d’Arthur parlaient de leurs affaires; Arthur ne parlait pas. Cette scène de mort l’attristait, et aussi, à dire vrai, la pensée que le travail de toute sa vie ne suppléerait pas à l’héritage qu’il avait perdu par sa faute. Il descendit de voiture et continua sa route à pied. Comme il traversait le boulevard, quelques personnes étaient arrêtées (et qui ne s’est arrêté quelquefois pour moins?) à regarder un postillon qui rattachait un trait rompu par ses chevaux. Arthur, machinalement, s’arrêta comme les autres. Comme il regardait, un homme lui frappa sur l’épaule; il se retourna: c’était son oncle. Arthur pâlit et fut quelques instants immobile et glacé; puis il sauta au cou de son cher oncle et l’embrassa.

—J’aimerais mieux, dit l’oncle, que tu m’embrassasses moins fort et plus souvent.

Arthur l’embrassa encore; mais il y avait dans ses mouvements quelque chose de convulsif.

—Comment! c’est vous, vous dans mes bras? Mais c’est impossible!

—Il n’y a rien de si simple; je vais à Bayeux pour le reste de la belle saison.

—Mais, mon oncle, je viens...

—De chez moi peut-être? On enterre ce pauvre Dubois, mon voisin, celui que tu as vu si souvent chez moi...

—Quoi! ce n’est pas vous?

—Comment, moi?

—Il y a quatre heures que je vous pleure.

L’oncle laissa échapper un éclat de rire.

—Je vais à Bayeux marier ta cousine.

—Quelle cousine?

—La fille de la sœur de ta mère, de ma seconde sœur; elle est chez moi depuis un an.

—De ma tante Marthe?

—Précisément; elle ne connaît pas son prétendu; mais j’ai arrangé cela par lettre: elle sera très-heureuse.

Le postillon avait fini; l’oncle monta dans la chaise et dit:

—Baise la main de ta cousine, que tu ne reverras peut-être jamais; car son mari reste dans ses terres, qu’il fait valoir.

Arthur baisa une petite main qui sortit de la chaise sur l’invitation de l’oncle, puis leva les yeux et reconnut le doux visage de l’inconnue au cachemire bleu. Le châle bleu l’enveloppait encore; la chaise partit, et Arthur resta sans rien voir ni rien entendre, jusqu’à ce qu’elle fût perdue dans la brume qui descend vers la fin du jour.

UN HOMME ET UNE FEMME

Dans une chambre élégante, au second étage d’une maison de la rue Caumartin, était nonchalamment assise, ou plutôt à demi couchée sur une causeuse, une femme encore jeune; sa beauté était si bien dans tout son éclat, qu’elle ne pouvait que diminuer. Peut-être était-elle moins belle hier; mais, à coup sûr, elle sera moins belle demain; en arrangeant ses cheveux, elle s’était trouvée bien, et elle avait soupiré; elle avait songé à ces rêves d’amour de sa première jeunesse qui ne s’étaient pas réalisés, et qu’il ne serait bientôt plus temps d’essayer; elle sentait cette vague tristesse que l’on éprouve en voyant l’aube colorer les rideaux lorsqu’on n’a pu encore reposer, la nuit finie avant que les yeux se soient fermés. Un gros chat blanc frottait son dos soyeux sur ses pieds sans pouvoir attirer son attention.

Dans une chambre passablement en désordre, au quatrième étage d’une maison de la rue du Sentier, un jeune homme venait de mettre sa cravate; il se trouvait bien et soupirait. Il songeait à ces rêves d’amour qui charmaient sa mansarde, et dont la réalisation semblait fuir devant lui. Il n’y avait avec lui qu’une souris qui rongeait une botte sous une commode.

Madame L..., de son côté, se représentait l’homme qu’elle aurait aimé. Si le hasard le lui eût fait rencontrer, il aurait été grand, bien fait; sa figure, ombragée de cheveux noirs, aurait été noble et imposante, et elle lui eût désiré l’imagination d’un poëte et le cœur naïf d’un enfant... l’esprit vif, mais sans empressement de le montrer.

Lucien songeait à la femme qu’il devait nécessairement rencontrer un jour ou un autre. Elle était petite et svelte, elle avait des yeux bleus et des cheveux blonds, quelque chose de voilé dans le regard et d’aérien dans la démarche, et dans le cœur cette conscience de faiblesse qui fait chercher un appui.

Si vous voulez connaître mes héros: Lucien était de moyenne taille; des cheveux d’un beau blond cendré, accompagnés d’une figure douce et avenante; il ne manquait pas d’une sorte d’esprit, mais c’était un esprit bruyant et forçant l’attention.

Madame L... était grande, et d’une remarquable noblesse dans sa démarche; elle avait alors cet embonpoint qui donne aux femmes une seconde beauté; ses yeux bruns avaient une singulière expression de puissance intellectuelle.

Madame L... se leva et sonna sa femme de chambre, pour achever sa toilette. Lucien se leva, ne sonna pas parce qu’il ne serait venu personne, et termina lui-même les apprêts de son triomphe.

Madame L... monta dans un fiacre avec sa mère.

Lucien monta seul dans un cabriolet.

Le fiacre et le cabriolet s’arrêtèrent en même temps devant une porte de la rue Saint-Honoré.

Dans le salon où le hasard réunissait madame L... et Lucien, la société était nombreuse. Le même hasard, ou un instinct secret, les rapprocha. Ils passèrent la soirée à parler du combat de Navarin, qui était alors récent, et ils se séparèrent fort préoccupés l’un de l’autre.

Madame L... était, de tout le salon, la femme qui avait le plus et le mieux écouté Lucien.

Lucien était l’homme qui s’était montré le plus empressé auprès de madame L...

Lucien chercha à rencontrer madame L...; madame L... ne crut pas devoir éviter Lucien.

Un mois après, Lucien écrivait:

«Enfin, je l’ai trouvée, cette femme que j’avais si longtemps rêvée! C’est bien vous dont mon imagination exaltée me présentait sans cesse la forme vague et incertaine. Il m’a semblé vous reconnaître la première fois que je vous ai vue, etc.

»Je vous ai vue, et mon sort est fixé, etc.

»Je vous aime pour toute ma vie, etc.»

Deux mois plus tard, madame L... répondait:

»Enfin, je l’ai trouvé, cet homme que j’avais si longtemps rêvé! C’est bien vous dont mon imagination exaltée me présentait sans cesse la forme vague et incertaine. Il m’a semblé vous reconnaître la première fois que je vous ai vu, etc.»

 

En quoi Lucien et madame L... mentaient autant l’un que l’autre. Mais Lucien mentait sciemment: cette femme lui semblait faire quelque attention à lui; il lui écrivait une lettre en lieux communs, comme il aurait écrit à toute autre.

Madame L... était de bonne foi: l’amour que l’on éprouve est surtout en soi; la personne aimée n’est que le prétexte. Elle voyait réellement en Lucien tout ce qu’elle lui disait.

La correspondance suivit le cours ordinaire. Lucien ne changeait rien à ses habitudes; l’amour de madame L... était simplement pour lui un plaisir de plus. Elle, au contraire, se concentrait tout entière dans sa passion; tout ce qui n’était pas Lucien lui était odieux; elle n’allait plus nulle part, ne recevait plus personne, et n’avait de bonheur que d’être seule, quand elle n’était pas avec lui.

Tout ce qu’il y avait de beau et de bon et de bien en elle, elle le réservait pour Lucien. Elle ne faisait de toilette que lorsqu’elle l’attendait.

Il lui serait venu à l’esprit le mot le plus spirituel, qu’elle ne l’aurait pas dit si Lucien n’eût pas été là. Tout ce qu’elle avait de cœur et d’âme lui devint tellement consacré, que les gens qu’elle avait le plus aimés lui furent insupportables, et qu’elle se les aliéna entièrement.

Un jour, elle écrivit à Lucien:

 

«Tout ce que les autres prennent de moi, fût-ce seulement une minute d’attention arrachée par la politesse, me semble un vol que l’on fait à vous, et encore plus à moi qui suis si heureuse de me réserver tout entière pour vous. Les plaisirs du monde, les triomphes du salon, les conversations inutiles, bien plus, des affections auxquelles je n’ai plus rien à donner, puisque je suis toute à vous, toute en vous, je veux échapper à tout cela. Sûre de votre amour, je ne regretterai rien; je ne veux plus m’exposer à être distraite de mon bonheur. Je vais me séparer du monde entier, ne plus voir personne, passer à vous attendre le temps où vous ne serez pas auprès de moi. Il m’importe peu que cet exil volontaire soit remarqué; je veux bien que l’on sache que je vous aime, je suis fière de mon amour; ce n’est qu’un amour vulgaire qui peut humilier, etc.»

 

Lucien fut effrayé; cette femme, qui lui donnait toute sa vie, faisait peser sur lui une grande responsabilité. Lucien était un homme léger, coquet, sans enthousiasme, sans énergie, et que toute résolution forte, que toute action en dehors des actions communes étonnait.

Il ne dormit pas de la nuit, et, le lendemain, répondit:

 

«L’élévation de votre esprit et la noblesse de votre cœur peuvent seules me donner la force nécessaire pour l’accomplissement de ce que je crois un devoir.

»Ne me jugez pas sur la première lecture de cette lettre. Ne me condamnez pas à votre haine et à votre mépris, pour une action juste et même généreuse, si j’en mesure le mérite à l’effort qu’elle me coûte.

»Si vous étiez à mes yeux une femme ordinaire, je vous aurais répondu par des lieux communs, je n’aurais pensé qu’à m’enorgueillir d’un dévouement si flatteur pour mon amour-propre et si doux à mon cœur; je me serais laissé aimer de cet amour plein d’un noble abandon; j’aurais couru les risques de n’y pas répondre dignement, mais j’aurais profité du plaisir et du bonheur qu’il m’offre.

»Mais, dussé-je me perdre dans votre esprit et votre cœur, je vous dois un aveu inusité.

»Vous êtes belle, spirituelle, élégante, admirée, je ne connais même aucune femme qui réunisse ces avantages à un aussi haut degré.

»Je vous aime autant que je peux aimer; mais on ne peut se créer une organisation différente de celle que la nature nous a donnée ou infligée. L’amour pour moi a toujours été un plaisir; depuis que je vous connais, il est devenu un bonheur; mais l’idée de lui donner toute ma vie est au-dessus de mes forces. Ce parti, car je ne pourrais accepter votre dévouement sans vous offrir un amour pareil, a une solennité qui m’épouvante. Le reflet de votre âme m’en donnerait le pouvoir, je le sens, pendant quelque temps; mais tout cela finirait par une lâcheté de ma part, par quelque sottise qui me ferait perdre justement alors votre affection et votre estime.

»Non, je ne suis pas l’homme que vous croyez. J’ai juste assez de présence d’esprit pour me connaître et m’apprécier. Au milieu de qualités assez brillantes, je manque de l’énergie nécessaire pour un sentiment exclusif; il y a en moi quelque chose de vulgaire qui me désole, mais que je ne puis combattre, quelque chose que je n’avoue pas à moi-même et qu’il faut que je vous avoue entièrement.

»Il n’est aucune femme que j’aime, que je désire autant que vous; aucune, je le répète, qui puisse à un semblable degré charmer mon cœur et flatter mon orgueil: eh bien, je renonce à ce que je ne retrouverais jamais, pour en rester digne, eu égard à ce que je suis.

»Jusqu’à présent, j’avais considéré mon défaut de forces comme l’origine de quelques agréments; aujourd’hui, je maudis cette organisation mesquine et méprisable.

»Je n’accepte pas votre dévouement, parce que j’ai bien cherché en moi, et je ne suis pas assez sûr de pouvoir y répondre noblement.

»Adieu, madame! sachez-moi quelque gré du sacrifice que j’ai trouvé le courage de vous faire de vous-même. Je vous perds volontairement; car j’aurais pu vous tromper, et je n’ose le faire, etc., etc.»

Lucien reçut pour toute réponse:

 

«Je vous répondrai dans un mois.»

 

Bien précisément un mois après, une sorte de paysan se présenta le matin chez Lucien. Il était porteur d’une lettre à laquelle il avait ordre de ne recevoir aucune réponse.

 

«Mon ami, je ne suis plus à Paris; je suis calme, je suis heureuse. C’est par cela que je dois commencer. Maintenant, parlons un peu du passé.

»A la réception de votre lettre, j’ai eu de l’indignation, de la colère; j’ai pleuré, j’ai essuyé mes yeux avec orgueil, puis j’ai pensé.

»Vous avez fait pour moi ce qu’aucun homme n’a jamais fait pour aucune femme, je vous en remercie.

»Dans l’amour, il y en a toujours un qui aime, et l’autre qui est aimé; je crois que le plus heureux des deux est celui qui aime; j’ai choisi ce rôle et je le garderai.

»Merci de m’inspirer peut-être des illusions, mais des illusions que je crois des réalités, et qui me rendent bien heureuse.

»Vous vous calomniez, vous avez plus de force que vous ne le supposez. Vous avez volontairement, et par générosité, renoncé à la possession d’une femme agréable, qui vous était toute livrée; je vous aime et je vous aimerai toujours; le peu d’affection que j’obtiendrai en retour, j’y compterai sans défiance, sans incertitude. Je me suis séparée de tout ce qui n’est pas vous: si vous n’êtes pas tout à moi, il me reste un bonheur que peut-être vous ne comprendrez pas, mais qui suffit à ma vie, c’est d’être toute à vous.

»J’ai acheté une petite maison à une lieue de Paris, sur le bord de la rivière. C’est là que je passerai le reste de ma vie.

»Mais il est une chose que je tiens à vous faire comprendre. Il n’y a dans ma résolution ni désespoir ni même chagrin; je ne me suis pas faite ermite. Ma maison est jolie et bien rangée; j’y ai rassemblé tout ce qui peut en rendre le séjour agréable. J’y veux être, j’y suis heureuse; je vous ai divinisé dans mon cœur, je vous aime... sans égoïsme... Tout ce qui vous donnera un moment de bonheur, de plaisir, fût-ce aux bras d’une autre femme, je m’en réjouirai.

»Venez une fois me voir. Je me suis fait une jolie chambre; mais il faut qu’elle soit consacrée par votre présence. J’ai des acacias en fleur; mais il faut qu’ils aient un moment ombragé votre front. Quand vous serez venu une fois, vous ne viendrez plus si vous voulez; vous reviendrez si cela vous plaît et quand cela vous plaira. Je vous attendrai toujours, mais sans impatience, sans colère, sans chagrin quand vous ne serez pas venu; quand vous viendrez, à quelque époque, à quelque heure que vous arriviez, vous me trouverez heureuse de vous voir, toujours vous attendant; vous viendrez comme amant ou comme ami; vous viendrez être aimé ou être consolé; vous me raconterez vos peines et vos plaisirs; vous me ferez vos confidences entières; je vous donnerai des conseils, et mes conseils seront bons à suivre: dans la solitude où je vivrai avec ma mère, qui, livrée à ses pratiques de dévotion, ne me parle jamais, je serai si exclusivement occupée de vous et de vos intérêts, que personne, pas même vous, ne pourra leur consacrer autant de temps et les connaître aussi bien.

»Quand vous serez amoureux, je discernerai si l’objet de votre amour en est digne, si elle vous aime réellement; je vous apprendrai les pièges des coquettes, et je ne vous laisserai pas vous exposer à aimer seul... Vous ne pourriez peut-être pas prendre la résolution que j’ai prise, et alors il faudrait mourir. Je veillerai sur vous de près comme de loin, je serai votre bon ange. Il y aura des jours... des heures... où la vie vous semblera lourde...; vous viendrez dans ma maison, je vous jouerai sur la harpe les airs que vous aimez; je vous écouterai, je m’affligerai de vos chagrins, car ce sont les seuls qui pourront désormais m’atteindre; vous serez cinq ans sans venir: au bout de cinq ans, vous arriverez sans être annoncé, vous me trouverez vous attendant. Dans ma chambre seront les fleurs dont vous aimez le parfum. Jamais une plainte ne sortira de ma bouche... Mon visage ne vous montrera que du bonheur. Adieu!... je vous attends; pour cette fois seulement, je vous demande de venir.»

 

Lucien partit à l’instant, et arriva une heure après à la petite maison de madame L...

Il trouva facilement la maisonnette indiquée; elle était basse et presque cachée sous des acacias. Il hésita au moment de frapper; son cœur battait violemment. Une domestique vint lui ouvrir. Ce n’était plus celle qu’avait autrefois madame L..., et elle paraissait être la seule de la maison. C’était loin d’être une coquette femme de chambre: c’était une grosse fille, propre, avenante, maladroite; elle se fit répéter deux fois le nom de Lucien, et vint lui dire qu’il pouvait entrer.

Il trouva madame L... nonchalamment assise sur un divan. Il ne reconnut aucun des meubles qu’il avait vus chez elle autrefois. La chambre était tapissée d’une étoffe de laine d’un bleu de la nuance de bluet. Les rideaux du lit et ceux des fenêtres étaient bleus et blancs; les divans, les grands fauteuils étaient bleus, le tapis avait des rosaces variées sur un fond bleu d’une grande richesse. Pour madame L..., elle était vêtue d’une robe de cachemire blanc, dont les plis n’étaient formés que par une ceinture qui dessinait la taille sans la presser; ses cheveux, en nombreuses et épaisses boucles, retombaient sur les côtés de son visage.

Jamais Lucien ne l’avait vue si belle. Elle était si heureuse! Quand ils furent seuls, Lucien, troublé, demeura longtemps sans prononcer une seule parole: il se sentait oppressé. Tout, autour de madame L..., avait un air de bonheur qui donnait à Lucien envie de pleurer. Cette femme était si heureuse de l’aimer, si heureuse d’avoir tout abandonné pour lui!

Elle, elle le regardait avec attention, comme pour se faire des souvenirs bien arrêtés, pour se mettre dans l’esprit une empreinte qui ne devait pas être souvent renouvelée.

Le premier mot qui vint aux lèvres de Lucien fut le nom de madame L...

—Adèle!

Elle détourna les yeux, comme si l’expression de la voix de Lucien lui eût fait mal.

Il lui prit la main et dit:

—Adèle, je t’ai trompée, je me suis trompé; je t’aime de toute mon âme: il s’est révélé en moi une énergie que j’ignorais. Je veux vivre pour toi, ne vivre que pour toi!

Madame L... parut d’abord fort troublée. Puis elle lui mit la main sur la bouche, et, lui prenant la main à son tour, mais avec fermeté et une expression qui disait: «Écoutez!» elle lui dit:

—Lucien, si vous me dites cela, si vous me dites n’importe quoi, je vous croirai un moment, et ensuite je ne vous croirai plus. Je perdrai même cette certitude que j’ai jusqu’ici, et avec laquelle j’ai construit mon bonheur, de votre franchise à mon égard. Vous sentez aujourd’hui ce que vous me dites; mais le naturel l’emportera bientôt, et un bonheur dont je sais me passer, parce que j’en ai trouvé un suffisant, me sera devenu tellement nécessaire, que je serai exigeante, importune, maussade. Laissez-moi vous aimer. Vous m’aimez en ce moment; votre imagination est violemment frappée par l’inusité de votre situation. Ne nous abusons pas; ne déshéritons pas notre avenir. Vous trouverez quelque douceur à savoir qu’il y a toujours un asile pour vous retirer, un sein pour appuyer votre tête, un cœur qui amasse des consolations pour vous. Moi, je serai heureuse; soyons amis. Venez voir mon jardin.

Lucien soupira, se leva et la suivit.

Le jardin se composait d’un beau couvert d’acacias; ensuite de fraîches plates-bandes de jacinthes; quelques tulipes aussi commençaient à ouvrir leur splendide calice; plus loin, des lilas entremêlaient leurs grappes parfumées.

Une belle pelouse s’étendait sous les pieds, parsemée de violettes, dont il fallait chercher sous l’herbe les fleurs d’une si riche couleur, qu’elles semblaient autant d’améthystes odorantes.

Madame L... se plaisait à faire passer Lucien par toutes les allées, comme pour multiplier ses traces et remplir sa maison de sa présence; elle semblait faire avidement sa provision de bonheur, pour le temps où elle serait seule.

Après quelques instants, elle lui dit du ton d’une simple question:

—Dînez-vous ici?

Lucien lui baisa la main et lui dit:

—Je veux rester avec vous le plus longtemps qu’il sera possible.

Ils dînèrent ensemble dans la chambre bleue.

—Mon ami, dit madame L... à Lucien, qui soupirait, soyez tel que je vous aime: ne me trompez jamais. Un serrement de main, un signe de tête amical, mais bien vrai, mais bien senti, mais tel qu’il ne puisse m’inspirer aucun doute sur le motif qui le cause, me donnera toujours plus de bonheur que les plus vives protestations. Je vous serai reconnaissante lorsque je vous verrai me quitter sans prétexte, sans excuse, sans autre raison que votre volonté; je serai sûre alors que le temps que vous avez passé auprès de moi, je ne le dois ni à un parti pris, ni à un procédé, ni à des égards. Loin de me choquer, votre départ m’enchantera: ce ne sera pas un abandon, ce sera une charmante certitude du bonheur que m’aura donné votre présence; il me prouvera que j’aurai eu raison d’être heureuse. Comprenez bien cela, mon ami; ne venez jamais pour me faire plaisir, ni parce que vous croirez devoir venir; venez quand vous voudrez venir. Songez, si vous êtes six mois sans me donner de vos nouvelles, combien je serai certaine, le jour qui vous ramènera près de moi, que vous avez réellement besoin de me voir.

»Ne vous contraignez pas. Comptez sur moi; mais ne vous imaginez pas que je compte sur vous. Je vous saurais, de la moindre gêne que je vous verrais vous imposer, plus mauvais gré que je ne le puis dire; car cela m’enlèverait toute ma confiance.

»Une pensée peut-être se glissera dans votre esprit. Je vais y répondre à l’avance; car cette pensée pourrait vous engager à me tromper, en vous trompant vous-même.

»Je suis à vous, toute à vous. Tout ce que je pourrai jamais vous donner de bonheur sera un bonheur pour moi; je me donnerai à vous comme je vous donnerais une autre femme, que vous aimerez plus tard, parce qu’elle sera plus belle ou plus spirituelle, ou tout simplement parce qu’elle sera une autre.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Lorsque Lucien partit, madame L... fit bonne contenance; elle lui donna une clef, et lui dit adieu d’un visage riant. Elle le suivit des yeux; puis, s’enfermant, elle se jeta à genoux la tête dans les mains sur son divan, et elle donna cours aux sanglots qu’elle retenait et amassait sur son cœur depuis que Lucien avait commencé à parler.

Puis elle se releva, resta quelque temps pensive, et se dit:

—Je ne suis pas encore telle que je veux qu’il me croie, mais je le deviendrai. Mon Dieu, dit-elle en joignant les mains, quelle est la femme aussi heureuse, aussi certainement heureuse que moi? quelle est celle qui, comme moi, peut-être sûre que son amant n’est pas resté avec elle une seconde de plus que l’amour ne l’y a retenu, et que l’amour l’y a retenu tout le temps qu’il y est resté?

Lucien revint le soir, puis le lendemain, le surlendemain.

Le jour suivant, il dit à madame L...:

—Je ne reviendrai pas ce soir, des affaires...

Madame L... lui mit la main sur la bouche, et elle lui dit:

—Pas de raisons, pas de prétextes; rappelez-vous nos conventions.

Plus tard, Lucien fut deux jours sans venir, puis un mois. Chaque fois qu’il venait, il se trouvait toujours attendu. Le jour, la nuit, tout était préparé pour le recevoir; il était facile de voir que madame L... n’avait pas, depuis son départ, donné accès à une seule pensée qui n’eût pas rapport à lui.

Une fois, il fut quatre mois sans paraître.

Une nuit, madame L... fut réveillée par un bruit de pas dans sa chambre: c’était Lucien. Depuis quatre mois, elle l’attendait chaque jour, à chaque instant; elle avait cette coquette toilette de nuit d’une femme qui peut avoir besoin d’être belle.

Lucien était sombre et soucieux.

Il lui prit la main, et ne baisa pas cette main ainsi qu’il avait coutume de le faire.

—Adèle, lui dit-il, je suis triste, malheureux, désespéré; je viens ici pleurer, blasphémer.

—Soyez le bienvenu, dit madame L... Voulez-vous souper? Vous paraissez fatigué.

Et, de la main, elle lui montra un souper qu’elle lui préparait chaque soir, et qu’elle faisait enlever le lendemain sans murmurer.

Lucien fit signe qu’il ne voulait ni ne pouvait manger. Il paraissait embarrassé.

—Qu’avez-vous? dit madame L...; avez-vous besoin d’argent? J’en ai.

—Non, répondit Lucien.

—Je n’insiste pas, pas plus que vous n’hésiteriez; ce serait vulgaire et indigne de nous. Rappelez-vous nos conventions, et parlez. Vous êtes amoureux!

—Oui.

—On vous a trompé, ou on vous repousse.

—L’un et l’autre: on me repousse, après m’avoir laissé concevoir les espérances les mieux fondées.

—Cette femme vous aime, ou ne vous aime pas. Si elle vous aime, il suffit de la convaincre qu’elle est aimée, ou de la persuader, ce qui est plus facile et revient au moins au même, et elle vous aimera. Il n’y a donc pas sujet de vous désoler. Si elle ne vous aime pas, c’est une partie d’échecs à jouer, et, avec mon aide, vous la gagnerez, et, dit-elle en terminant, je vous promets que vous réussirez.

Lucien était un peu ému de l’aspect de madame L... Ils étaient seuls au milieu de la nuit et du silence.

—Mon ami, lui dit-elle, partez! ne gâtez ni mon bonheur passé ni mon bonheur à venir.

Elle le repoussa doucement, et Lucien s’en alla.

—Comme il m’obéit! dit-elle amèrement quand elle n’entendit plus ses pas; comme il s’empresse d’aller triompher par mes conseils! Mais, ajouta-t-elle, je veux être pour lui un ange protecteur, je veux que tout ce qui pourra lui arriver de bonheur lui vienne par moi; je veux lui préparer la vie de telle sorte qu’elle ne lui offre que succès et joies. Allons, dit-elle, ne pleurons pas! Heureuse femme que je suis d’avoir tant de bonheur à donner!... J’ajouterai ma part à la sienne. Oh! merci, mon Dieu, de cette noble inspiration.

Et elle passa le reste de la nuit à s’oublier elle-même, à se faire un égoïsme du bonheur d’un autre, et d’un bonheur qui la déchirait.

Lucien fut encore assez longtemps sans retourner chez madame L... Pendant ce temps, il serait difficile de dire par quelle épreuve elle passa; son imagination lui faisait endurer de cruelles tortures. Souvent elle s’éveillait au milieu de la nuit, et elle croyait voir Lucien aux bras d’une rivale s’enivrer du bonheur qu’elle-même lui avait préparé par ses conseils. Alors elle pleurait, elle accusait Lucien de dureté; elle ne concevait pas comment il n’était pas touché de tout cet amour qu’elle avait pour lui. Puis elle finissait par songer que, défiante comme elle l’était, Lucien, assidu, dévoué, ne lui eût pas donné autant de bonheur que Lucien ne venant que lorsque la fantaisie lui prenait. Les moments où elle le voyait étaient courts et rares; mais, quand ces moments arrivaient, elle pouvait se livrer sans hésitation, sans restriction, à la foi qui est le plus grand charme de l’amour.

Vers le mois de mai, à l’époque où le chèvrefeuille est en fleur, Lucien, fatigué, malade des plaisirs de l’hiver, arriva une nuit et annonça à Adèle qu’il resterait un mois près d’elle. Elle fut d’abord surprise, interdite, oppressée; elle le regarda de ce regard profondément interrogatif auquel on ne pourrait mentir.

Lucien lui répéta qu’il venait lui demander l’hospitalité pendant un mois.

Alors elle se livra à une joie d’enfant; elle rit, elle pleura, elle couvrit de baisers les mains et les cheveux de son amant; elle fit mille projets pour ce mois, pour lui rendre la maison agréable.

Le lendemain fut employé à examiner le jardin. Il contenait, cultivées avec un soin particulier, toutes les fleurs qu’aimait Lucien. C’est là, sous cette tonnelle de chèvrefeuille, qu’Adèle aimait à relire ses lettres. Sur ce banc de gazon, elle restait souvent, par les belles soirées, à écouter de loin le sourd bourdonnement que le vent apportait par bouffées. Peut-être est-ce le bruit de la ville, de la ville où est Lucien; une partie de ce bruit est causée par la voiture qui le porte à quelque plaisir. Puis elle regardait le ciel avec ses riches étoiles; son âme s’élevait à une vague contemplation, et elle trouvait la force de ne pas être jalouse, de penser avec bonheur que Lucien était heureux. Elle se voyait elle-même comme un ange protecteur, et elle faisait au ciel le serment de ne pas faiblir dans la tâche qu’elle s’était imposée.

Elle voulait que Lucien donnât à manger à ses pigeons, qu’il respirât ses premières roses.

Le troisième jour, le matin, Lucien trouva dans la petite cour un cheval sellé et bridé; il avait été emprunté à l’excellent manège de Pellier, et devait rester dans la maison aussi longtemps que Lucien.

Le soir, après dîner, un petit bateau offrait aux deux amants le plaisir de la promenade. Ils se laissaient dériver entre les saules, et une douce confiance ouvrait leur cœur. Adèle n’avait presque rien à dire; une seule pensée l’occupait: c’était Lucien. Il y avait bien au fond de son cœur le souvenir de quelques heures de chagrin et de découragement, mais elle était résolue à ne pas les avouer à Lucien. Elle se plaisait à se faire raconter ses plaisirs, ses amours même; elle voulait qu’il lui fît le portrait de ses heureuses rivales.

Un soir, comme le bateau s’était arrêté aux branches d’un vieux saule, le calme de la nuit n’était interrompu que par le léger bruissement de l’eau contre les obstacles qu’elle rencontrait. Une douce odeur de jeune feuillage embaumait l’air, les étoiles scintillaient à travers le feuillage, sans nuire au mystère et à l’obscurité.

Adèle, la tête penchée sur la poitrine de Lucien, était si heureuse, qu’elle multipliait ses questions sur les femmes qui l’avaient successivement occupé; semblable au naufragé, qui, jeté à la rive, se retourne, et se plaît à regarder ces lames puissantes qui ont failli cent fois le briser contre les rochers, à écouter leur sinistre mugissement mêlé au sifflement aigu du vent en fureur.

—Parle-moi, dit-elle à Lucien, de celle que tu aimais quand tu vins me voir la dernière fois; où est-elle? l’aimes-tu encore? était-elle jolie?

—Je répondrai à deux questions par une seule réponse, reprit Lucien; je ne sais plus où elle est. Elle n’était peut-être pas d’une grande beauté; mais il y avait en elle, dans les moindres détails, une incroyable distinction: sa main était charmante, sa voix était d’une suavité que l’imagination n’attribue qu’aux anges, et ses cheveux, d’un beau blond cendré, étaient plus fins et plus moelleux que la soie.

Il y eut ici un moment de silence.

Lucien, en parlant, avait passé la main dans les cheveux de madame L... et ils étaient aussi d’un beau blond cendré, ils étaient aussi plus fins et plus moelleux que la soie. Lucien fut frappé de ce rapport.

Madame L... comprit ce qui préoccupait son amant, et elle sentait avec une joie indicible la main de Lucien qui continuait à caresser les ondes de ses beaux cheveux.

Lucien alors parla de rentrer; il craignait qu’elle n’eût froid. Adèle ne répondit rien. Et le bateau remonta le courant, grâce aux efforts de Lucien. Adèle cependant était en proie à une délicieuse rêverie. Soit entraînement naturel, soit coquetterie, elle se mit à chanter une mélodie simple et pénétrante. Sa voix, accentuée par l’émotion, vibrait au milieu du silence et de la nuit.

Lucien écoutait; il retenait le mouvement de ses rames et jusqu’à son haleine.

Cependant trois semaines à peine s’étaient écoulées, que Lucien commença à paraître distrait, préoccupé.

Adèle le vit, un matin, monter à cheval, et, sans y songer, il poussa ce cheval du côté de Paris.

Le soir même, elle lui dit adieu, et le pria de partir.

Pendant longtemps, Adèle vécut du souvenir de son bonheur. Elle ne pouvait aller nulle part où Lucien n’eût été avec elle. Sous ces lilas, ils avaient lu ensemble; sur cette mousse, ils avaient fait un frugal repas. C’est ce vieux saule qui, un soir, a arrêté le bateau; cette fauvette, il l’a écoutée toute une matinée; ce rosier est le premier qui ait fleuri, et il en a porté la rose tout le jour.

Cependant elle cherchait un moyen de s’occuper de lui plus immédiatement. Pour Lucien, il s’empressa de retourner dans le monde. Il se fit présenter chez une famille anglaise, où commença pour lui une des phases les plus importantes de sa vie. Il y avait là une jolie fille nommée Sarah, douce et silencieuse personne, frêle, élancée, timide, qui s’empara entièrement de son imagination. Quelques amis lui firent entrevoir un mariage avec Sarah comme une chose possible, et surtout comme une chose fort avantageuse sous le point de vue de la fortune.

Lucien répondit tout haut:

—Ce n’est pas la fortune qui me décidera.

Il se dit tout bas à lui-même:

—La fortune seule ne me déciderait pas.

Et il fit faire la demande de Sarah à son père.

Lucien n’était pas riche, mais il avait un oncle dont on le croyait l’inévitable héritier.

Lucien savait très-bien qu’il n’avait rien à attendre de cet oncle, et voici pourquoi. Le cher oncle, tout garçon qu’il était, avait une fille qu’il faisait élever mystérieusement à la campagne. Un jour, il avait dit à Lucien:

—Tout le monde te regarde comme mon héritier; eh bien, il n’en est rien. J’ai une fille à laquelle je laisserai de mon bien tout ce dont je pourrai disposer. Cependant, comme j’ai de l’amitié pour toi, j’ai songé à un moyen d’assurer ton bonheur. Tu épouseras ma fille, et vous aurez ma fortune à vous deux.

Or, la fille était un peu contrefaite et d’une humeur fort peu avenante. Lucien fit une réponse évasive, et ne retourna plus chez son oncle.

Le père de Sarah répondit qu’il donnerait volontiers sa fille à Lucien, si l’oncle lui assurait, avant le mariage, une somme qui, réunie à celle qu’il donnait à Sarah, suffirait pour leur faire une existence honorable.

Lucien alla voir son oncle, lui parla pendant deux heures de tout, excepté du sujet qui l’amenait, se leva, se rassit, se releva, et finit par formuler sa demande. L’oncle s’engagea par serment à ne pas lui donner un sou, et le mit à la porte.

Lucien, désespéré, lui écrivit. L’oncle était parti avec sa fille pour un voyage dont on ne pouvait fixer le terme. Lucien s’enferma chez lui, et chercha le moyen le plus convenable de mettre fin à ses jours. Le pistolet... le poison... le charbon... la rivière... avaient des avantages à peu près égaux, et qui se compensaient assez pour qu’on ne pût se décider légèrement. Il était depuis deux jours dans cette situation, lorsqu’un individu entra, et lui remit, de la part de son oncle, un contrat de rente au porteur égal à la somme qu’il avait inutilement demandée à ce bizarre parent.

Il courut chez le père de Sarah.

Sarah était assez contente de se marier; mais il lui importait peu que ce fût avec Lucien ou tout autre. Cette charmante créature n’avait de force intellectuelle que pour se renfermer dans quelques strictes observations de convenance et d’usage.

Lucien eût désiré la voir un peu plus émue; mais il se persuada facilement que la jolie Sarah s’animerait au souffle de l’amour, et qu’on aurait mauvaise grâce à se plaindre de cette douce innocence, de cette pudeur si craintive, qui ne réservait pas seulement à son heureux époux un premier amour, mais aussi les premières impressions et la primeur de la vie.

Après tout, ou avant tout, si vous l’aimez mieux, Sarah était jolie; elle paraissait une vignette de Tony Johannot, si ce n’est que les vignettes de Tony ont plus de mouvement et d’animation.

Une chose cependant n’allait pas très-bien avec cette poétique figure; Sarah, dans ses conversations avec Lucien, ne répondait à ses expressions d’amour, parfois un peu emphatiques, que par des projets relatifs au confortable de leur maison... Elle précisait combien de pièces il fallait dans leur appartement; elle s’occupait du choix des domestiques; elle faisait faire le linge et donnait des ordres pour l’argenterie, etc.

Un soir, comme Lucien rentrait chez lui, son portier lui dit:

—Monsieur ne loge plus ici: il demeure au nº 15, dans la même rue; voici la clef de son nouvel appartement, que l’on m’a chargé de lui remettre de la part de monsieur son oncle.

—Mais, dit Lucien, mes papiers... et mes meubles?

—Tout cela est transporté, et votre chambre de là-haut est déjà louée.

Lucien croyait rêver... Il alla au nº 15, où on l’introduisit dans un appartement complet, meublé avec la plus grande élégance et le meilleur goût; rien n’y manquait: les choses utiles n’y étaient pas plus négligées que les choses d’agrément. On voyait que le soin de cet ameublement n’avait pas été confié entièrement à la routine du tapissier.

Lucien se coucha dans un excellent lit, où il ne dormit pas: non qu’il se piquât de coucher sur la dure; mais, préoccupé à la fois de son mariage et des mystérieux bienfaits de son oncle, il avait incontestablement autant de droits à l’insomnie qu’un poëte qui cherche une rime rebelle ou une pensée fugitive.

Le lendemain matin, il reçut une lettre d’Adèle; la lettre ne contenait que ce peu de mots:

«Je vais faire un voyage de quelques mois.»

—Pauvre Adèle! dit Lucien, elle aura appris mon mariage... Allons, allons, dit-il, n’admettons aucune idée triste; c’est bien assez d’avoir des idées graves.

Il se mit à son nouveau secrétaire, trouva dans les tiroirs tout ce qu’il fallait pour écrire, et commença pour son oncle une lettre de remercîments.

Il avait déjà mis en haut du papier: «Mon cher oncle.»

Il s’aperçut qu’il était tard, et laissa sa lettre inachevée pour se rendre chez Sarah.

Sarah le reçut comme de coutume; chaque jour approchait le moment de leur union, sans qu’elle parût plus agitée ou plus expansive.

Elle se mit au piano et chanta d’une voix assez agréable, mais monotone et sans expression.

L’air qu’elle chantait était celui que, quelques mois auparavant, avait chanté Adèle sur la rivière.

Lucien ne put se défendre d’une sorte d’émotion; il sortit.

Lucien trouva chez lui une riche corbeille; ce qu’elle contenait était choisi avec une distinction parfaite. On n’avait pas oublié, dans le choix des couleurs, que Sarah était blonde.

Le jour des noces était fixé à trois semaines. Le lendemain, un homme d’affaires devait venir communiquer à Lucien les clauses du contrat.

Le soir, il ne trouva pas Sarah au salon; et, plusieurs portes étant entr’ouvertes, il entra successivement dans plusieurs pièces, et trouva Sarah dans sa chambre.

Elle devint rouge comme une cerise. C’était la seconde émotion que Lucien eût jamais surprise sur son visage.

La première avait été une émotion de confusion et d’impatience, à propos d’une opinion que Lucien avait émise un peu légèrement, relativement à des confitures qu’elle avait pris plaisir à confectionner elle-même.

Cette seconde était une émotion un peu plus forte; mais elle avait à peu près les mêmes causes, un mélange de confusion et d’impatience.

Elle reprocha aigrement à Lucien la liberté qu’il avait prise d’entrer dans sa chambre. Lucien s’excusa du mieux qu’il put; mais il y a cela de particulier dans la mauvaise humeur des femmes, qu’il faut nécessairement qu’elle ait son cours; les meilleurs arguments, les raisons les plus évidentes, les preuves les plus convaincantes, ne font à ce cours que ce que les cailloux font au cours d’un ruisseau: le ruisseau murmure un peu plus fort et continue son chemin.

Lucien sortit. La mauvaise humeur est contagieuse; il ne savait trop que faire, il avait consacré son temps à la visite de Sarah, il songea à faire une visite à son oncle.

L’oncle le reçut froidement, il n’était revenu que de la veille. Lucien manifesta sa reconnaissance par tout ce qu’il put imaginer.

L’oncle reprit sèchement:

—Ah çà! monsieur, êtes-vous un fou ou un mauvais plaisant? Croyez-vous que j’aie pris, pour vous combler de bienfaits, le moment où vous vous êtes montré désobéissant et ingrat?

—Mais..., dit Lucien.

—Mais, dit l’oncle, je ne vous ai rien donné et je ne vous donnerai rien; je ne veux voir jamais ni la femme que vous prenez ni vous-même; je ne recevrai même pas de lettre de vous.

Lucien sortit.

Comme il rentrait chez lui, son portier lui dit:

—Voici une lettre qu’a apportée le domestique de l’oncle de monsieur.

—Allons, pensa Lucien, que me veut encore ce vieillard obstiné? Si c’est un présent, je le refuse.

Il ouvrit la lettre; elle était d’Adèle.

«Mon ami, lui disait-elle, mon voyage durera toute la belle saison: je serai enchantée que vous vouliez bien accepter pour ce temps ma petite maison à la campagne. Croyez que je prends une part bien vive à tout ce qui vous arrive d’heureux; j’espère que votre mariage sera de ce nombre. Ne me refusez pas; vous me causeriez un vif chagrin.»

Lucien redescendit.

—Comment, dit-il au portier, comment avez-vous cru que le porteur de cette lettre était un domestique de mon oncle?

—Je l’ai bien reconnu, dit le portier, un grand brun avec un habit gris.

—Nullement, dit Lucien; le domestique de mon oncle est un petit vieillard, et sa livrée est bleue.

—Je ferai observer à monsieur que monsieur son oncle aurait alors plusieurs domestiques; car c’est bien celui-là qui a loué le logement qu’occupe monsieur; c’est lui qui a amené les meubles et a présidé à tous les arrangements.

Lucien resta immobile sur l’escalier. Une idée subite s’était emparée de son esprit:

—Ce domestique qui m’apporte une lettre d’Adèle est celui qui a loué le logement! Et mon oncle qui nie si formellement!...

Il sortit, courut chez le portier de son ancien logement et lui demanda des renseignements sur la personne qui avait fait son déménagement.

—C’est, dit le portier, un grand homme brun, vêtu de gris.

Lucien resta quelque temps pensif.

—Et, ajouta-t-il, qui habite ma chambre?

—C’est une dame.

—Comment est-elle?

—Blonde, belle femme, fort avenante, et au moins aussi triste.

—Ce domestique vêtu de gris ne vient-il jamais la voir?

—Une ou deux fois par jour.

Lucien rentra chez lui, préoccupé et soucieux au dernier point. Le lendemain matin, arriva l’homme d’affaires du père de Sarah. Il était porteur d’une lettre et du projet de contrat.

Dans la lettre, son beau-père lui recommandait de tout préparer pour la cérémonie, de retenir les voitures, de prévenir à la mairie, à l’église; car Sarah était catholique.

Les clauses du contrat étaient ce que sont celles de tout contrat de mariage, des clauses de haine, de défiance, de restrictions perfides, de précautions injurieuses.

Quelques-unes surtout avaient pour but évident de maintenir Sarah dans une entière indépendance de son mari, et même de tenir celui-ci dans la dépendance de sa femme.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Lucien pria l’homme d’affaires de se charger d’une lettre pour le père de Sarah. Puis il alla à la mairie faire afficher ses bans. Il retint les voitures, et fit tout préparer à l’église.

Quinze jours après, Lucien se réveilla plus heureux qu’il n’avait jamais été de sa vie. Il prit un bain et s’habilla. On vint prendre ses ordres pour l’heure où devaient arriver les voitures. Il alla à son ancien logement et y monta sans rien dire au portier. Il frappa.

Adèle ouvrit la porte elle-même.

Elle pâlit en le voyant. Puis elle s’assit pour ne pas tomber, et fit signe à Lucien de s’asseoir.

—Adèle, c’est aujourd’hui le jour de mes noces.

—Je le sais, dit madame L...

—Je serai marié dans deux heures.

—Je le sais encore; j’irai à l’église, et personne ne priera avec plus de ferveur pour votre félicité.

—Adèle, dites-moi la vérité; vous voudriez en vain me la cacher, je sais tout. C’est vous qui avez loué et meublé le logement que j’occupe aujourd’hui; c’est vous qui m’avez envoyé un contrat de rente au porteur; c’est vous qui m’avez fait remettre une riche corbeille.

Adèle baissa la tête.

—Vous êtes restée pauvre, continua Lucien, pour me faire riche et me donner les moyens d’épouser une autre femme.

—Je ne suis pas pauvre, dit Adèle à demi-voix; j’ai assuré l’existence de ma mère; j’ai gardé ma maison à la campagne, et tout ce dont j’ai besoin.

Lucien ouvrit la porte et appela; un homme entra, porteur de la corbeille destinée à Sarah.

—Adèle, dit Lucien, habillez-vous; car c’est vous que j’épouse, c’est vous qui serez ma femme dans deux heures. On nous attend à la mairie et à l’église.

Adèle tomba à genoux à demi morte.

—Habillez-vous, mon Adèle, dit Lucien en la relevant et en la serrant sur sa poitrine; tout est prêt. J’ai trouvé à votre maison, et, grâce à votre mère, qui est dans ma confidence, les papiers nécessaires. Nos bans ont été publiés: tout est prêt.

On entendit parler dans une voiture. Une femme âgée monta: c’était la mère de madame L... en grande parure; Adèle ne pouvait dire un seul mot. Sa mère l’habilla, tandis que Lucien allait donner quelques ordres.

Elle avait eu soin de faire arranger à la taille de sa fille tout ce que celle-ci avait préparé pour Sarah.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Deux heures après, Lucien et Adèle étaient unis; trois heures après, ils étaient seuls, renfermés ensemble dans la petite maison de campagne.

FIN

Table

Pages.
Midi a quatorze heures 1
Histoire d’un voisin139
Voyage dans Paris149
Une visite a l’Arsenal211
Un homme et une femme243

IMPRIMERIE L. TOINON ET Cie. A SAINT-GERMAIN.

Fautes corrigées:
pas un honheur matériel=> pas un bonheur matériel [pg 17]
vue en son véritab=> vue en son véritable [pg 17]
attendu qu’i=> attendu qu’il [pg 37]
tôt au tard se servir=> tôt au tard se servir [pg 41]
Wilhem=> Vilhem [pg 46, 83]
un ton et un ai=> un ton et un air [pg 48]
à s’eniver du parfum=> à s’enivrer du parfum [pg 61]
plus tristes événenements=> plus tristes événements [pg 71]
roula dans dans son esprit=> roula dans son esprit [pg 107]
la polique, qui, après les événements=> la politique, qui, après les événements [pg 172]
à peu pès impossibles à expliquer=> à peu pès impossibles à expliquer [pg 197]
extatiqiue succéda un sourire=> extatique succéda un sourire [pg 201]
s’effayerait pas à sa place=> s’effrayerait pas à sa place [pg 207]
un sixième verre d’au sucrée=> un sixième verre d’eau sucrée [pg 234]
Lucien était sombre et soucieux de le faire.=> Lucien était sombre et soucieux. [pg 264]
le serment de de ne pas faiblir=> le serment de de ne pas faiblir [pg 268]
un riche corbeille=> un riche corbeille [pg 284]


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