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Mme de La Fayette (6e édition)

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VII

LES ROMANS
«LA PRINCESSE DE MONTPENSIER» ET «ZAYDE»

C'est assez et même trop tarder à parler des romans de Mme de la Fayette. Il est temps de montrer maintenant par quelles gradations successives elle s'est élevée de la nouvelle agréable jusqu'au chef-d'oeuvre.

Comment entre vingt-cinq et trente ans, c'est-à-dire à l'âge où les femmes sentent plus qu'elles n'observent, et sont plus préoccupées d'amour que de belles-lettres, l'idée d'écrire vint-elle à Mme de la Fayette? On ne se la figure pas tourmentée de ce démon bavard qui devait dicter à Sapho les dix volumes du Grand Cyrus et de Clélie. Encore moins fut-elle soulevée par ce souffle de passion irrésistible qui inspirait à George Sand Valentine après Indiana, et Lélia après Valentine. Ce fut, je m'imagine, par un tout autre chemin qu'elle en arriva, avec toute sorte de précautions et de réticences, à se produire devant le public. La mode était alors aux portraits. Tantôt, comme la Rochefoucauld, on écrivait le sien; tantôt on s'appliquait à celui d'un ami, ou plus généralement d'une amie. Plusieurs personnes s'entendaient pour faire le portrait les unes des autres. On donnait lecture de ces portraits dans quelque réduit, ou bien ils couraient manuscrits. Parfois on les rassemblait, et ce qui n'avait été d'abord qu'un jeu de société devenait un ouvrage offert au public. Ainsi fit Mademoiselle, la Grande Mademoiselle (et cela bien avant qu'elle ne laissât paraître la Princesse de Paphlagonie), pour le recueil de Divers Portraits que Segrais publia par ses ordres, en 1659, et dont plus de quarante étaient de sa main. Ce fut à cette occasion que Mme de la Fayette traça le portrait de Mme de Sévigné dont j'ai parlé. Ce portrait eut du succès. Encouragée, Mme de la Fayette en écrivit peut-être d'autres qui ne nous seraient pas parvenus, et l'envie dut naturellement lui venir de mettre à profit ce don de peindre les personnes et les caractères qu'on semblait lui reconnaître. Mais un autre sentiment dut lui mettre également la plume à la main. Ce fut la réaction de son bon goût et de sa sobriété contre le langage ampoulé que les romans d'alors prêtaient aux amants, et contre la longueur des développements donnés à leurs aventures. Dans l'histoire du roman français, ce ne serait pas en effet faire une place suffisante à Mme de la Fayette que de ne pas reconnaître qu'elle a inauguré un art nouveau. Mais pour lui mieux marquer cette place, il est nécessaire d'indiquer en traits rapides à quel point en était la littérature romanesque au moment où Mme de la Fayette prit pour la première fois la plume, et quelle part lui revient dans les transformations que cette littérature a subies.

Durant les dernières années de Louis XIII et la minorité de Louis XIV, on peut dire qu'en fait de romans le goût public se partageait, bien que très inégalement, entre deux genres de productions très différentes. Au commencement du siècle, d'Urfé, par son Astrée, avait mis à la mode le roman à développements interminables, coupé d'un nombre infini d'histoires épisodiques, qui interrompaient la marche du récit. Pas plus dans ces épisodes que dans le récit principal, il n'était tenu grand compte de la vraisemblance dans les événements, ou même dans les sentiments prêtés aux personnages qui tous, quelle que soit leur condition, bergers ou chevaliers, bergères ou châtelaines, expriment à peu près les mêmes passions dans le même langage. Cependant par l'élévation des sentiments, par la délicatesse de la langue, par je ne sais quel charme dans l'invention et dans l'expression, l'Astrée savait conquérir et mérite encore aujourd'hui de garder des lecteurs. Aussi toute une génération s'en était-elle délectée. Saint François de Sales l'admirait; Bossuet, à ses débuts, en avait subi l'influence littéraire. La Fontaine, qui l'avait lue étant petit garçon, la relisait ayant la barbe grise, et Boileau ne se défendait pas d'y avoir trouvé du charme. Naturellement d'Urfé avait eu des disciples, aussi peu soucieux que lui de la vraisemblance morale ou matérielle, et encore plus prolixes. Le Polexandre de Gomberville avait dix volumes; la Cléopâtre de La Calprenède douze, ce qui n'empêchait pas Mme de Sévigné de s'y prendre comme à la glu: «La beauté des sentiments, disait-elle, la violence des passions, la grandeur des événements et le succès miraculeux de leurs redoutables épées, tout cela m'entraîne comme une petite fille». Mais la véritable héritière des traditions et des succès de l'Astrée fut Madeleine de Scudéry. Toute une génération de femmes s'était nourrie de ses oeuvres, depuis 1649, date de la publication du premier des dix volumes du Grand Cyrus, jusqu'à 1660, date de la publication du dernier des dix volumes de Clélie, et Mme de Sévigné, Mme de la Fayette elle-même se complaisaient à étudier la carte du pays de Tendre.

Le roman d'aventures, sans aucune prétention à la vérité dans la peinture des moeurs, tel était donc le genre à la mode, celui qui plaisait au plus grand nombre, et qui, pendant quelques années, avait fait fureur, puisqu'aux héros de ces romans on allait jusqu'à emprunter leurs noms, comme ces quarante-huit princes ou princesses composant en Allemagne l'Académie des vrais amants, qui portaient tous des noms de l'Astrée, ou comme les précieuses cataloguées par Somaize, qui tiraient pour la plupart les leurs du Grand Cyrus ou de Clélie.

Cependant, contre ce genre artificiel, il y avait réaction sourde, au nom du vieil esprit gaulois, de l'esprit de Montaigne ou même de Rabelais. À toutes les époques de notre histoire littéraire on peut ainsi constater, à côté du grand courant qui entraîne toute une génération, une sorte de contre-courant, coulant en sens inverse, sur lequel s'embarquent les esprits indépendants. De nos jours où le goût de la reproduction brutale semble triompher dans la littérature romanesque ou théâtrale, on peut signaler aussi dans certaines oeuvres la tendance à un idéalisme presque excessif, qui s'exprime par symboles et tournerait volontiers au mysticisme. Ainsi, mais en sens opposé au XVIIe siècle, la réaction contre le faux idéal littéraire et romanesque, où se complaisaient les précieuses, se traduisait en des oeuvres inspirées par un esprit tout différent de retour à la nature et à la vérité. Parfois cette réaction prenait la forme de la parodie, comme dans le Berger extravagant de Charles Sorel, dont le titre exact est: le Berger extravagant, où, parmi des fantaisies amoureuses, on voit les impertinences des romans et de la poésie. Parfois, au contraire, elle prenait la forme d'un assez grossier réalisme, comme dans le Francion du même auteur, Francion, «frère aîné de Gil Blas et de Figaro, dit avec raison M. André Lebreton dans son très intéressant ouvrage sur le Roman au XVIIe siècle, qui nous promène d'aventures en aventures dans le monde des écoliers, des robins, des paysans, et aussi dans celui des spadassins et des tire-laine.» Voilà une société bien différente de celle du Grand Cyrus. Il faut cependant que ces peintures répondissent à certaines curiosités, pour que la Vraie Histoire comique de Francion ait eu, à en croire du moins Sorel, jusqu'à soixante éditions tant à Paris qu'en province et qu'elle ait été traduite en anglais et en allemand. Mais de toutes les oeuvres tirées de ce qu'on pourrait appeler la veine naturaliste au XVIIe siècle, celle qui demeure la plus célèbre, et qui, de nos jours, trouve encore des lecteurs, c'est le Roman bourgeois de Furetière. Le Roman bourgeois est presque contemporain de Zayde, puisqu'il est de 1666, tandis que Francion a paru quelque quarante ans auparavant, en 1622. «Je vous raconterai directement et avec fidélité, dit Furetière à la première page du livre, plusieurs historiettes ou galanteries arrivées entre des personnes qui ne seront ni des héros ni des héroïnes, qui ne dresseront point d'armée, ni ne renverseront point de royaumes, mais qui seront de ces bonnes gens, de médiocre condition, qui vont tout doucement leur grand chemin, dont les uns seront beaux, les autres laids, les uns sages et les autres sots, et ceux-ci ont bien la mine de composer le plus grand nombre.» On sent l'épigramme, qui est manifestement dirigée contre les romans de Mlle de Scudéry, et ce sont en effet les moeurs de la plus petite bourgeoisie que Furetière nous peint, puisque son héroïne, qui s'appelle Javotte, est la fille d'un procureur, et son héros, qui s'appelle Nicodème, un avocat de bas étage. Le roman ne se passe pas au Marais, mais aux alentours de la place Maubert, et c'est dans ce milieu du Paris populaire que Furetière nous conduit, non sans nous faire assister à quelques malpropretés. Beaucoup moins répandu que le Francion de Sorel, puisqu'il n'eut que trois éditions, le Roman bourgeois est beaucoup plus connu aujourd'hui, grâce à deux éditions récentes, et il mérite de vivre comme document curieux sur un monde peu connu et comme témoignage d'une littérature oubliée.

Ainsi romans d'aventures extraordinaires, et romans de moeurs bourgeoises ou populaires mettant en scène, les uns des bergers du temps de Mérovée ou des héros de la Perse et de Rome, les autres des procureurs, des spadassins et des escrocs: voilà ce qu'offrait la littérature romanesque aux contemporains de Mme de Sévigné. Mais ce qui n'était peint dans aucun roman, c'étaient les moeurs des honnêtes gens, de ces honnêtes gens dont Molière disait: «C'est une étrange entreprise de les faire rire», et qu'il allait si admirablement faire parler en vers dans le Misanthrope ou dans certaines scènes des Femmes savantes. Dans le roman ils n'avaient encore parlé nulle part, avant que Mme de la Fayette eût pris la plume. C'est avec elle, on peut le dire, qu'ils sont nés à la vie romanesque. Je sais bien que dans les romans de Mlle Scudéry on peut retrouver, sous le déguisement de l'antiquité, quelques-uns des plus illustres personnages de son temps. M. Cousin a mené grand tapage, il y a quelques années, d'une clef des romans de Mlle de Scudéry qu'il avait découverte dans les manuscrits de la bibliothèque de l'Arsenal, et qui lui a permis de retrouver Mme de Longueville sous les traits de Mandane, et le duc d'Enghien sous ceux de Cyrus. La découverte était curieuse en effet, bien qu'on sût déjà par Boileau et par Tallemant des Réaux que les personnages de la société où vivait Mlle de Scudéry cherchaient à se reconnaître dans les héros de ses romans, qu'ils étaient flattés de s'y retrouver, et que c'était une sorte de jeu de société de deviner quels étaient parmi les seigneurs ou les dames de la cour ceux qu'elle avait voulu peindre. Mais si les romans de Mlle de Scudéry contiennent en effet quelques portraits plus ou moins ressemblants, où le désir de plaire à ses modèles l'emporte peut-être sur le souci de la fidélité, l'auteur ne se pique point d'exactitude ni même de vraisemblance dans les sentiments et dans les moeurs qu'elle leur prête. Le langage qu'elle leur fait tenir est de pure convention: il n'est d'aucun temps et d'aucun pays, et ne ressemble pas plus à celui des courtisans de Louis XIII et d'Anne d'Autriche qu'à celui de Cyrus ou de Clélie en personne. C'est tout le contraire pour les romans de Mme de la Fayette. Ce ne sont point des romans à clef. Aucun personnage du temps n'a cherché à s'y reconnaître, et cependant c'est eux qu'elle a voulu peindre. Si elle les met de préférence dans le cadre de la cour de Henri II, c'est que la hardiesse eût été trop forte de décrire la cour même de Louis XIV; mais ce qu'elle a entendu reproduire c'est bien ce qu'elle voyait autour d'elle. Les aventures qu'elle prête à ses héros et à ses héroïnes sont bien (à l'exception de Zayde et je dirai pourquoi tout à l'heure) celles de la vie du monde et des cours. Le langage qu'elle leur fait tenir est bien celui qu'ils avaient coutume de parler, transposé comme il convient pour satisfaire aux lois de l'art, mais ne dépassant pas cependant le ton de la conversation naturelle. Du reste Mme de la Fayette elle-même a défini, en termes d'une justesse parfaite, le caractère de ses propres oeuvres lorsque, parlant de la Princesse de Clèves, elle dit à Lescheraine dans la lettre que j'ai citée tout à l'heure: «Ce que j'y trouve, c'est une parfaite imitation du monde de la cour et de la manière dont on y vit», et lorsqu'elle ajoute: «Il n'y a rien de romanesque ni de grimpé». Une parfaite imitation du monde de la cour, c'est bien là en effet ce que la première elle s'est proposé de nous donner. Rien de romanesque ni de grimpé, c'est bien le caractère propre, en tout temps, aux hommes et aux femmes qui vivent dans un certain milieu raffiné. Aussi n'est-ce pas exagération de dire que dans notre littérature elle a créé un genre: celui du roman d'observation et de sentiment. Sa gloire, ou, si l'on trouve le mot trop ambitieux, son titre est d'avoir été le premier peintre des moeurs élégantes, et je ne sais guère, pour une femme surtout, de plus bel éloge. Et c'est pour cela, tandis que tant d'autres oeuvres ont passé, que la sienne reste éternelle.

En ce genre nouveau son premier essai fut la Princesse de Montpensier. De cette petite nouvelle Mme de la Fayette ne devait point s'avouer publiquement l'auteur, pas plus au reste que des autres romans qu'elle publia par la suite. Mais l'oeuvre est bien sienne cependant, et si jamais il y avait eu quelque doute sur ce point, ses lettres à Ménage que j'ai eues entre les mains suffiraient à le dissiper. Ménage paraît, en effet, avoir été son confident et peut-être son intermédiaire auprès du libraire Barbin, qui publia la Princesse de Montpensier en 1662. C'est à lui qu'elle s'adresse pour obtenir de Barbin dix beaux exemplaires bien reliés. Mais je ne crois pas qu'elle lui ait demandé des conseils comme elle en devait demander plus tard à Segrais et peut-être à la Rochefoucauld. Elle avait trop de goût pour ne pas se défier de celui de Ménage, et si le bonhomme avait eu quelque part à l'oeuvre, sa lourde touche s'y reconnaîtrait.

Mme de la Fayette a placé l'action de la Princesse de Montpensier sous le règne de l'un des derniers Valois. C'était, avec le dessein qu'elle se proposait de peindre en réalité les moeurs de son temps, l'époque la plus rapprochée que la bienséance lui permît de choisir, et c'était aussi celle qui était la plus semblable aux premières années du règne de Louis XIV, car il ne faudrait pas que les traits sanguinaires et licencieux des moeurs de ce temps, qu'on s'est si fort complu à mettre en relief nous en fissent oublier la culture et les élégances. Il y avait déjà de la part de Mme de la Fayette une certaine hardiesse à donner aux personnages de son roman des noms qui étaient encore portés à la cour, comme ceux de Guise et de Chabannes. Au reste, nul effort pour prêter à ces personnages, en particulier à celui qui devait être un jour le Balafré (car c'est de ce Guise-là qu'il s'agit), ou au duc d'Anjou, le futur Henri III, qui est également mis en scène, les sentiments et les actions que leur caractère bien connu pourrait rendre vraisemblables. Pas la moindre préoccupation non plus de ce que nous appellerions la couleur historique. «Pendant que la guerre civile déchirait la France sous le règne de Charles IX, dit Mme de la Fayette, en commençant, l'amour ne laissait pas de trouver place parmi tant de désordres et d'en causer beaucoup dans son empire.» Ce sont ces désordres qu'elle va s'appliquer à peindre, mais les événements ne lui seront d'aucun secours, et les figures font tout l'intérêt du tableau.

La fille unique du marquis de Mézières a été promise au duc du Maine, frère cadet du duc de Guise. Son mariage ayant été retardé à cause de son extrême jeunesse, le duc de Guise, qui a eu occasion de la voir souvent, en devient amoureux et en est aimé. Cependant des considérations politiques viennent à la traverse de l'union projetée. Mlle de Mézières, «connaissant par sa vertu qu'il était dangereux d'avoir pour beau-frère un homme qu'elle eût souhaité pour mari», consent à rompre son engagement avec le duc du Maine, et à épouser le prince de Montpensier. Son mari la conduit à la campagne, en son château de Champigny, et rappelé à la cour par la continuation de la guerre, la confie en garde à son meilleur ami, le comte de Chabannes. Le comte de Chabannes est sinon le héros, du moins le personnage le plus intéressant, la figure la plus originale et la plus finement tracée du roman. Beaucoup plus âgé que le prince de Montpensier, il s'est lié cependant avec lui d'une liaison très étroite, et comme il a l'esprit doux et fort agréable, il ne tarde pas à inspirer autant d'estime et de confiance à la princesse qu'à son mari. Avec l'abandon d'une jeune femme qui croit pouvoir ouvrir en sécurité son coeur à un homme déjà mûr, la princesse lui raconte l'inclination qu'elle a eue pour le duc de Guise, mais elle lui persuade qu'elle est guérie de cette inclination, et qu'il ne lui en reste que ce qui est nécessaire pour défendre l'entrée de son coeur à un autre sentiment. Cependant le comte de Chabannes ne peut se défendre de tant de charmes qu'il voit chaque jour de si près. «Il devint passionnément amoureux de cette princesse, et quelque honte qu'il trouvât à se laisser surmonter, il fallut céder et l'aimer de la plus violente et de la plus sincère passion qui fût jamais.»

Cependant, la guerre étant terminée, le prince de Montpensier ramène sa femme à Paris. Elle y rencontre fréquemment le duc de Guise, tout couvert de la gloire qu'il s'est acquise en combattant les huguenots. «Sans rien lui dire d'obligeant, elle lui fit revoir mille choses agréables qu'il avait trouvées autrefois en Mlle de Mézières. Quoiqu'ils ne se fussent point parlé depuis longtemps, ils se trouvèrent accoutumés l'un à l'autre et leurs coeurs se remirent aisément dans un chemin qui ne leur était pas inconnu.» Aussi le duc de Guise ne tarde-t-il pas à déclarer sa passion et, sans l'agréer entièrement, la princesse de Montpensier ne peut s'empêcher de ressentir un mélange de douleur et de dépit lorsque le bruit se répand à la cour que Madame, la soeur du roi, est recherchée par le duc de Guise. Elle se trahit dans un bal masqué où, ayant pris le duc d'Anjou pour le duc de Guise, elle commet l'imprudence de se plaindre à lui de cette infidélité. Le duc d'Anjou, qui est également épris de la princesse de Montpensier, abuse de cette confidence qui ne lui était point destinée, et l'éclat qu'il fait détermine le prince de Montpensier à ramener sa femme à Champigny, et à l'y tenir enfermée. Pour demeurer en relations avec le duc de Guise, elle n'hésite pas à faire appel au dévouement de Chabannes. Ce n'est pas que Chabannes ne lui ait avoué autrefois sa passion; mais au lieu des rigueurs auxquelles il s'attendait, elle s'est bornée à lui faire sentir la différence de leur qualité et de leur âge, la connaissance particulière qu'il avait de l'inclination qu'elle avait ressentie pour le duc de Guise, et surtout ce qu'il devait à la confiance et à l'amitié du prince son mari. Elle a continué depuis lors de le traiter comme son meilleur ami, et par ce procédé elle se l'est attaché encore davantage. Aussi Chabannes consent-il, quoi qu'il lui en puisse coûter, à rendre à la princesse de Montpensier le service qu'elle lui demande. Il pousse l'abnégation jusqu'à l'héroïsme et même jusqu'à la trahison vis-à-vis de son ami, car il consent à introduire de nuit le duc de Guise chez la princesse de Montpensier. Il est vrai que la princesse lui demande d'assister à leur conversation, mais il ne saurait s'y résoudre, et se retire dans un petit passage, «ayant dans l'esprit les plus tristes pensées qui aient jamais occupé l'esprit d'un amant». Sur ces entrefaites le prince de Montpensier descend, attiré par le bruit; mais pendant qu'il fait enfoncer la porte de sa femme, Chabannes fait évader le duc de Guise, et se laisse surprendre à sa place, dans l'appartement de la princesse, où le prince le trouve immobile, appuyé sur une table, avec un visage où la tristesse était peinte. Aux reproches que le prince lui adresse: «Je suis criminel à votre égard, répond Chabannes, et indigne de l'amitié que vous avez eue pour moi, mais ce n'est pas de la manière que vous pouvez imaginer. Je suis plus malheureux que vous et plus désespéré; je ne saurais vous en dire davantage.»

Le prince de Montpensier, abusé par ce langage et croyant qu'il n'a rien à reprocher à sa femme, pardonne à Chabannes. Mais celui-ci, qui est huguenot, est enveloppé, quelques jours après, dans le massacre de la Saint-Barthélemy. De son coté, le duc de Guise, séparé par tant d'obstacles de la princesse de Montpensier, finit par s'attacher à la marquise de Noirmoutiers, qui prend soin de faire éclater cette galanterie. Le bruit en arrive jusqu'à la princesse de Montpensier. Elle ne peut résister à la douleur d'avoir perdu le coeur de son amant, l'estime de son mari et le plus parfait ami qui fût jamais. Aussi meurt-elle à la fleur de son âge. «Elle était, ajoute Mme de la Fayette, une des plus belles princesses du monde et en eût été sans doute la plus heureuse, si la vertu et la pudeur eussent conduit toutes ses actions.»

Telle est l'action, tantôt un peu lente, tantôt se précipitant avec une rapidité excessive, et, dans l'ensemble, assez malhabile, qui sert de fil à Mme de la Fayette pour faire mouvoir trois personnages dont chacun nous offre déjà quelques traits que nous retrouverons dans ceux de la Princesse de Clèves. D'abord la princesse de Montpensier elle-même. C'est une princesse de Clèves d'une vertu assurément moins haute, d'une conduite moins irréprochable, mais conservant cependant jusque dans ses imprudences un ferme propos de délicatesse et d'honneur. Si elle nous semble moins intéressante et moins vivante, c'est que nous n'avons pas le spectacle de ses scrupules et de ses luttes avec elle-même. Nous ne pénétrons pas aussi avant dans son âme, et la peinture de ses sentiments nous paraît superficielle, comme si l'auteur n'avait jamais ressenti elle-même la passion dont elle nous dépeint les entraînements et les combats. C'est cependant une observation bien fine et un trait bien féminin que de nous la représenter jalouse du duc de Guise avant d'avoir accepté son amour, et lui reprochant ses attentions pour Madame lorsqu'elle n'a pas encore agréé les siennes, ou bien encore sachant mauvais gré au pauvre Chabannes, lorsqu'il lui apporte les lettres du duc de Guise, de ce que le duc ne lui écrit pas assez souvent. Quant au duc, c'est bien le prototype du duc de Nemours, auquel il ressemble de beaucoup plus près que la princesse de Montpensier à la princesse de Clèves. Il ne faut chercher en lui aucun des traits du rude Lorrain, moitié soldat, moitié assassin, qui massacra Coligny et fit trembler Henri III. C'est un seigneur accompli de manières et de ton, fort différent du Balafré de l'histoire, qui était aussi hardi jouteur auprès des femmes que contre les huguenots; et j'ai peine à croire que, dans la réalité, il tourna ses déclarations (si même il prenait la peine d'en faire) en termes aussi galants et aussi mesurés que ceux-ci: «Je vais vous surprendre, madame, et vous déplaire en vous apprenant que j'ai toujours conservé cette passion qui vous a été connue autrefois, mais qui s'est si fort augmentée en vous revoyant que ni votre sévérité, ni la haine de M. le prince de Montpensier, ni la concurrence du premier prince du royaume, ne sauraient lui ôter un moment de sa violence. Il aurait été plus respectueux de vous la faire connaître par mes actions que par mes paroles. Mais, madame, mes actions l'auraient apprise à d'autres aussi bien qu'à vous, et je souhaite que vous sachiez seule que je suis assez hardi pour vous adorer.»

Malgré ces délicatesses, le duc de Guise ne laisse pas de se comporter d'une façon assez piètre, puisqu'après avoir été la cause véritable de l'éclat qui compromet la princesse de Montpensier, il l'abandonne avec une telle rapidité, et il y a même entre le langage qu'il parle et la conduite qu'il tient un certain désaccord qui nuit à la réalité du personnage. Aussi n'est-ce pas sur lui que se porte l'intérêt du roman ou plutôt de la nouvelle. C'est sur le comte de Chabannes. Il fallait un art consommé pour sauver du ridicule et même de l'odieux cet amoureux éconduit qui finit par trahir son ami au profit de son rival. Mme de la Fayette y parvient cependant, comme elle parviendra plus tard à nous intéresser au prince de Clèves. Comme le prince de Clèves en effet, Chabannes tout à la fois joue le rôle ingrat et demeure le personnage intéressant. C'est par la noblesse constante de ses sentiments que cet ami des femmes se relève et se sauve à nos yeux. C'est ainsi qu'après une absence de deux ans, quand le prince de Montpensier «lui demande confidemment des nouvelles de l'esprit et de l'humeur de sa femme qui lui était presque une personne inconnue par le peu de temps qu'il avait demeuré avec elle, le comte de Chabannes, avec une sincérité aussi exacte que s'il n'eût point été amoureux, dit au prince tout ce qu'il connaissait en cette princesse capable de la lui faire aimer, et il avertit aussi Mme de Montpensier de toutes les choses qu'elle devait faire pour achever de gagner le coeur et l'estime de son mari. Sa passion le portait si naturellement à ne songer qu'à ce qui pouvait augmenter la gloire et le bonheur de cette princesse qu'il oubliait sans peine l'intérêt qu'ont les amants à empêcher que les personnes qu'ils aiment ne soient dans une parfaite intelligence avec leur mari.» La façon dont il prend, en un moment périlleux, la place du duc de Guise, exposant sa vie et sacrifiant son bonheur pour sauver l'honneur de sa dame et la vie de son rival, achève de nous intéresser à son sort; et c'est avec regret que nous voyons Mme de la Fayette profiter de la Saint-Barthélemy pour se débarrasser de lui, comme elle se débarrasse du reste, en un tour de main, ou plutôt en une petite page, de tous ses autres personnages. C'est à ce dénouement bâclé qu'on sent la gaucherie et l'inexpérience d'une femme qui manque d'invention romanesque, qui sait analyser avec finesse les caractères et les sentiments, mais qui faiblit quand il faut les traduire en action. Cette gaucherie, l'auteur de la Princesse de Montpensier ne s'en défera jamais complètement et, à un certain point de vue, je serais tenté de dire qu'elle n'est pas sans charme. Mais elle se trahit par trop dans cette première oeuvre, et n'est pas suffisamment rachetée, comme dans la Princesse de Clèves, par la grâce du détail et le pathétique discret des sentiments. Pour les admirateurs de Mme de la Fayette, la Princesse de Montpensier n'en demeure pas moins une oeuvre intéressante, comme pour les admirateurs d'un grand peintre une ébauche ou un tableau où se serait essayée la jeunesse de son génie; et si ce n'était, je le reconnais, un peu trop la grandir, je serais tenté de redire à ce propos ces vers que les fervents de Raphaël ont fait graver au bas de ce divin Mariage de la Vierge où son pinceau semble encore conduit par la main du Pérugin:

     Se de tai pregi adorno
     Fu Sanzio imberbe ancora,
     Mai non precorse il giorno
     Più luminosa aurora.

La Princesse de Montpensier avait paru en 1662, sans nom d'auteur, avons-nous dit. Zayde parut en 1670 sous le nom de Segrais. Quelle raison de renoncer ainsi à l'anonyme pour s'abriter sous le couvert d'un autre? L'explication de ce changement d'attitude serait assez difficile à trouver s'il fallait croire que Segrais n'avait fait que prêter son nom à Mme de la Fayette, mais qu'en réalité il était demeuré totalement étranger à Zayde. La plupart de ceux qui ont écrit sur Mme de la Fayette se sont donné beaucoup de peine pour établir ce point. J'avoue que je ne suis point disposé à les imiter, et que je ne tiens pas à revendiquer pour Mme de la Fayette l'honneur de Zayde, comme j'ai revendiqué pour elle contre M. Perrero l'honneur de la Princesse de Clèves. C'est peut-être à cause de cela que la chose me paraît demeurer assez obscure. Sans doute Segrais a dit formellement: «Zayde qui a paru sous mon nom est de Mme de la Fayette. Il est vrai que j'y ai eu quelque part, mais seulement dans la disposition du roman où les règles de l'art sont observées avec grande exactitude.» Mais ailleurs Segrais semble vouloir revenir sur ce qu'il a dit et recouvrer son bien: «Après que ma Zayde fut imprimée, Mme de la Fayette en fit relier un exemplaire avec du papier blanc entre chaque page, afin de la revoir tout de nouveau et d'y faire des corrections, particulièrement sur le langage; mais elle ne trouva rien à y corriger, même en plusieurs années, et je ne pense pas que l'on y puisse rien changer, même encore aujourd'hui.» Aussi l'on comprend que l'éditeur des Segraisiana ait, dans sa préface, inscrit Zayde au rang des oeuvres de Segrais, sans même faire mention de la part qu'y aurait prise Mme de la Fayette. Je sais bien que Huet, dans ses Origines de Caen, et plus formellement encore dans son Commentarius de rebus ad eum pertinentibus, attribue Zayde à Mme de la Fayette. «Je puis, dit-il, attester le fait sur la foi de mes propres yeux et d'après nombre de lettres de Mme de la Fayette elle-même, car elle m'envoyait chaque partie de cet ouvrage successivement, et au fur et à mesure de la composition, et me les faisait lire et revoir.» En effet, au nombre des lettres de Mme de la Fayette à Huet qu'a publiées M. Henry, il y en a une par laquelle elle lui demande son sentiment sur un passage de Zayde. Mais personne n'a jamais contesté que Mme de la Fayette n'ait eu part à Zayde. La question est de savoir quelle part y a eue Segrais, s'il fut un prête-nom ou un collaborateur. Or il me paraît certain qu'il fut un collaborateur, et cela non pas seulement parce que son nom a continué de figurer seul sur le volume, parce que Mme de Sévigné qui parle souvent de la Princesse de Clèves à propos de Mme de la Fayette, ne dit jamais un mot de Zayde, et encore parce que Bussy, généralement bien informé de ce qui se passait à Paris, se réjouissait de lire Zayde comme étant de Segrais: «car, disait-il, Segrais ne peut rien écrire qui ne soit joli». C'est aussi pour une raison d'ordre purement littéraire, mais plus décisive à mes yeux. J'ai dit tout à l'heure que la Princesse de Montpensier marquait un progrès et une innovation: c'était la substitution du roman de moeurs, du roman français alerte et lestement mené au roman à aventures, invraisemblable et prolixe. Or Zayde marque au contraire un pas en arrière, un retour au genre espagnol, qu'avait imité Mlle de Scudéry. C'est la collaboration de Segrais qu'il faut, suivant moi, rendre responsable de ce recul du talent de Mme de la Fayette. Il s'en est inconsciemment accusé lui-même lorsqu'il a dit qu'il n'avait eu part qu'à la disposition du roman où les règles de l'art sont exactement observées, mais les règles de l'art tel que les entendait Segrais, et c'est le cas de se rappeler ce que dit un personnage de la Critique de l'École des femmes que «si les pièces qui sont selon les règles ne plaisent pas, et que celles qui plaisent ne soient pas selon les règles, il faudrait, de nécessité, que les règles eussent été mal faites». Segrais crut, j'en suis persuadé, faire merveille, peut-être en conseillant Mme de la Fayette de choisir ses personnages dans le domaine de la fiction pure et non pas dans celui de l'histoire, en tout cas en l'engageant à entrecouper et ralentir l'action principale par des récits épisodiques, à la mode de Cervantès, mais sans la force du génie qui maintient l'unité en concentrant l'intérêt sur un seul personnage, et aussi à la mode de Madeleine de Scudéry ou de la Calprenède, beaucoup plus faciles à imiter que Cervantès. Et voici, par les conseils dont le succès l'enchantait si fort, le beau résultat auquel il a conduit l'auteur de la Princesse de Montpensier.

Il n'y a pas dans Zayde moins de cinq histoires, qui s'enchevêtrent: celle de Consalve, celle d'Alphonse, celle de Zayde, celle de Fatime et celle d'Alamir. Quant à chacune de ces histoires prise en elle-même, c'est un tissu d'aventures à la fois extraordinaires et monotones où il n'y a jamais en scène que des princesses d'une beauté parfaite et des cavaliers d'un mérite tellement accompli, qu'on se demande comment ils parviennent à se reconnaître les uns des autres. «Les amants malheureux, dit spirituellement Sainte-Beuve (car en effet ils sont toujours prêts à expirer de douleur aux pieds de celle qu'ils aiment), quittent la cour pour des déserts horribles où ils ne manquent de rien; ils passent les après-dînées dans les bois, contant aux rochers leur martyre, et ils rentrent dans les galeries de leurs maisons où se voient toute sorte de peintures. Ils rencontrent à l'improviste, sur le bord de la mer, des princesses infortunées, étendues et comme sans vie, qui sortent du naufrage en habits magnifiques et qui ne rouvrent languissamment les yeux que pour leur donner de l'amour. Des naufrages, des déserts, des descentes par mer et des ravissements!» Ajoutez à cela que des bracelets perdus et des portraits retrouvés (pas de croix cependant) sont part importante de l'action. Il est curieux au reste de remarquer comme en tout temps le faux goût se ressemble, celui des précieuses et celui des romantiques. Consalve quittant la cour de Léon à cause des déplaisirs sensibles qu'il y a reçus, et se retirant dans une solitude au bord de la mer, c'est René, mais René sans la magnificence du langage et sans ces traits perçants qui sont de tous les siècles. Cependant ne rabaissons pas trop Zayde. D'abord la forme en est charmante, et la forme est bien de Mme de la Fayette. Il n'y a qu'à relire, pour s'en convaincre, les Divertissements de la princesse Aurélie, le plus célèbre ouvrage de Segrais. Et puis Zayde a aussi ses traits pénétrants. Il en est un qui paraissait admirable à d'Alembert ainsi qu'à la Harpe, et qui est demeuré en effet assez célèbre. Deux amants, Alphonse et Zayde, l'un Espagnol, l'autre Grecque, qu'un naufrage a réunis, ont passé trois mois ensemble sans pouvoir s'entendre, mais non pas naturellement sans s'aimer «de la plus violente passion qui fût jamais». Séparés par les circonstances les plus compliquées et les plus invraisemblables, ils se rencontrent inopinément, et, en s'abordant, chacun parle à l'autre la langue qui n'est pas la sienne et qu'il a apprise dans l'intervalle. J'avoue que ce trait, peut-être ingénieux, est pour moi gâté par l'invraisemblance du fait et par la difficulté que ma faible imagination éprouve à se représenter comment une passion si violente et surtout si durable a pu naître entre deux personnes qui ne se comprenaient point, les muets truchements ayant seuls fait leur office. Mais je dois convenir que l'épisode, en lui-même, est rapporté avec beaucoup de grâce: «Au bruit que firent ceux dont Consalve était suivi, elle se retourna, et il reconnut Zayde, mais plus belle qu'il ne l'avait jamais vue, malgré la douleur et le trouble qui paraissaient sur son visage. Consalve fut si surpris qu'il parut plus troublé que Zayde, et Zayde sembla se rassurer et perdre une partie de ses craintes à la vue de Consalve. Ils s'avancèrent l'un vers l'autre, et prirent tous deux la parole. Consalve se servit de la langue grecque pour lui demander pardon de paraître devant elle comme un ennemi, dans le même moment que Zayde lui disait en espagnol qu'elle ne craignait plus les malheurs qu'elle avait appréhendés, et que ce ne serait pas le premier péril dont il l'aurait garantie. Ils furent si étonnés de s'entendre parler chacun leur langue naturelle, et ils sentirent si vivement les raisons qui les avaient obligés de les apprendre qu'ils en rougirent, et demeurèrent quelque temps dans un profond silence.» On trouve encore parsemés ici et là d'heureux passages à la fois forts et délicats. «Le trouble que causaient à Consalve ces incertitudes se dissipa; il s'abandonna enfin à la joie d'avoir retrouvé Zayde, et sans penser davantage s'il était aimé ou s'il ne l'était pas, il pensa seulement au plaisir qu'il allait avoir d'être regardé encore par ses beaux yeux.» L'histoire de Ximenes, dont les soupçons perpétuels et la jalousie insensée amènent la mort de son meilleur ami, réduisent sa bien-aimée à se jeter dans un couvent et le condamnent lui-même à un malheur éternel, a trouvé aussi quelques admirateurs. Ceux-ci inclinent à penser que le portrait du jaloux est peint d'après nature, que Ximenes c'est la Rochefoucauld, et que, devenu amoureux de Mme de la Fayette, alors que celle-ci n'était plus tout à fait jeune, la pensée qu'il avait été étranger aux premières années de sa vie lui aurait fait éprouver des soupçons et des tourments pareils à ceux de Ximenes. Mais c'est là une conjecture qui me paraît sans aucun fondement. J'accorde cependant qu'on peut sans trop de hardiesse prêter à la Rochefoucauld un sentiment analogue à celui que Ximenes, amoureux de Belasire, traduit en ces termes: «Je ne saurais vous exprimer la joie que je trouvais à toucher ce coeur qui n'avait jamais été touché, et à voir l'embarras et le trouble qu'y apportait une passion qui y était inconnue. Quel charme c'était pour moi de connaître l'étonnement qu'avait Belasire de n'être plus maîtresse d'elle-même et de se trouver des sentiments sur lesquels elle n'avait plus de pouvoir! Je goûtai des délices dans ces commencements que je n'avais point imaginés, et qui n'a point senti le plaisir de donner une violente passion à une personne qui n'en a jamais eu même de médiocre, peut dire qu'il ignore les véritables plaisirs de l'amour.» Ce fut bien quelque plaisir de ce genre que la Rochefoucauld dut ressentir quand il s'aperçut qu'il commençait à inspirer de l'amour à Mme de la Fayette. Zayde a été composée, ne l'oublions pas, entre 1665 et 1670, c'est-à-dire durant ces années où (je crois l'avoir établi) Mme de la Fayette, après avoir lutté d'abord contre les sentiments que lui inspirait la Rochefoucauld, dut finir par s'avouer, vaincue, jusqu'à une certaine limite s'entend. Il n'y aurait donc rien d'étonnant à ce que le roman qu'elle écrivait répercutât les échos du roman qu'elle vivait. Mais s'il y a quelque épisode de Zayde où il soit possible de découvrir une allusion à ce drame intime, ce n'est pas dans l'histoire de Ximenes, mais bien plutôt dans celle du prince Alamir, ce Lovelace arabe, qui cherche à se faire aimer de toutes les femmes, mais qui, dès qu'il a réussi, abandonne sa conquête pour se mettre à la poursuite d'une autre. Zayde seul réussit à le fixer, mais c'est parce qu'elle demeure insensible à son amour, et la résistance qu'elle oppose à Alamir est précisément ce qui le retient. En traçant le portrait de cet amant volage, que le respect amène à la constance, n'est-ce pas à la Rochefoucauld que Mme de la Fayette a pensé, et n'a-t-elle pas voulu prendre sur lui sa revanche et son point de supériorité? Notons que cette histoire d'Alamir est celle qui termine ou à peu près le volume, qu'elle a donc été composée vers l'année 1668 ou 1669, c'est-à-dire au plus fort de la période encore orageuse des relations de Mme de la Fayette avec la Rochefoucauld. Nous savons même que la Rochefoucauld a eu connaissance du manuscrit avant sa publication, et cela de source sûre, par une méprise assez plaisante de M. Cousin. En fouillant dans les papiers de Vallant qui lui ont servi à composer la Vie de Mme de Sablé, il a découvert quelques lignes écrites de la main de la Rochefoucauld, qu'il a publiées comme inédites. Les voici: «J'ai cessé d'aimer toutes celles qui m'ont aimé, et j'adore Zayde, qui me méprise. Est-ce sa beauté qui produit un effet si extraordinaire, ou si ses rigueurs causent mon attachement? Serait-il possible que j'eusse un si bizarre sentiment dans le coeur, et que le seul moyen de m'attacher fût de ne m'aimer pas? Ah! Zayde, ne serai-je jamais assez heureux pour être en état de connaître si ce sont vos charmes ou vos rigueurs qui m'attachent à vous?» Mais M. Cousin a commis ici une singulière méprise. Il a cru mettre la main sur une lettre, ou du moins le brouillon d'une lettre adressée par la Rochefoucauld à Mme de la Fayette, sous le nom de Zayde. Il ne s'est pas aperçu que c'était tout simplement, à quelques variantes près, un passage du roman de Zayde. De ce passage, la Rochefoucauld serait donc le véritable auteur, et Mme de la Fayette n'aurait fait que l'insérer après l'avoir retouché et abrégé. Lorsque la Rochefoucauld met ces plaintes et cet aveu dans la bouche du prince Alamir, lorsqu'il le fait se plaindre des rigueurs de Zayde, et reconnaître en même temps que ces rigueurs sont précisément ce qui l'attache à elle, n'est-ce pas lui-même qui parle et dont il dépeint les sentiments? S'il en était autrement, pourquoi aurait-il écrit ce passage de sa main, et pourquoi l'aurait-il proposé à l'auteur de Zayde? Il y faudrait donc voir à la fois un nouveau témoignage, et celui-là le plus décisif de tous, en faveur de la vertu de Mme de la Fayette, et la confirmation que la Rochefoucauld se reconnaissait bien sous les traits d'Alamir. La ressemblance ne se poursuit pas cependant jusqu'à la fin de l'histoire. Le prince Alamir finit par mourir de langueur, autant du chagrin que lui causent les rigueurs de Zayde que des blessures qu'il a reçues dans un combat singulier avec Consalve. Dans le roman qui suivra Zayde, c'est la princesse de Clèves qui mourra de remords et d'amour combattu. Dans la réalité, Mme de la Fayette et la Rochefoucauld ont vécu dix années ensemble, et la Rochefoucauld est mort de la goutte remontée. Ainsi Goethe a fait mourir Werther, et George Sand Lucrezia Floriani, tandis que Goethe et George Sand ont survécu: c'est souvent la différence du roman à la vie, quand, par aventure, la vie n'est pas au contraire plus tragique que le roman.

VIII

«LA PRINCESSE DE CLÈVES»

La Princesse de Montpensier avait passé presque inaperçue. Il n'en fut pas de même de Zayde. Le nom de Segrais qui était un auteur à la mode avait attiré l'attention, et l'ouvrage fut assez lu. Il ne semble pas cependant que le succès en ait été très grand; Mme de Sévigné n'en parle pas une seule fois à Mme de Grignan. Bussy qui l'attribuait à Segrais en fait, tout en le louant, une critique assez juste. Après avoir dit que, si tous les romans étaient comme celui-là, il en ferait sa lecture ordinaire, il déclare cependant que les amours de Consalve et de Zayde lui paraissent extravagantes, et il ajoute: «Je ne puis souffrir que le héros du roman fasse le personnage d'un fou. Si c'était une histoire, il faudrait supprimer ce qui n'est pas vraisemblable, car les choses extraordinaires qui choquent le bon sens discréditent les vérités. Mais, dans un roman, où l'on est maître des événements, il les faut rendre croyables, et qu'au moins le héros ne fasse pas des extravagances.» Impossible d'exprimer en meilleurs termes une théorie littéraire plus juste. Cette lettre est curieuse en elle-même, car elle montre que chez les gens de goût (et Bussy était du nombre autant que personne) la réaction commençait à naître contre les romans à aventures extravagantes, et que, même au plus fort du succès de Clélie ou de Cléopâtre, il y avait déjà public pour le roman de moeurs et de sentiment: La Princesse de Clèves pouvait paraître.

Elle ne parut cependant que huit ans après Zayde, mais Mme de la Fayette y travailla longtemps. D'une lettre de Mme de Sévigné on pourrait conclure qu'elle s'était mise à l'oeuvre dès 1672. «Je suis au désespoir, dit cette lettre adressée à Mme de Grignan, que vous ayez eu Bajazet par d'autres que par moi. C'est ce chien de Barbin qui me hait, parce que je ne fais pas de Princesses de Clèves et de Montpensier.» Il serait cependant assez étrange que six ans avant la publication, et en dépit des habitudes un peu mystérieuses de Mme de la Fayette, le titre du roman fût déjà arrêté et connu non seulement de Mme de Sévigné, mais de Barbin. Aussi me rangerais-je volontiers à la supposition ingénieuse du savant éditeur des Lettres de Mme de Sévigné, M. Adolphe Regnier, que, dans la lettre originale, il y avait Zayde, et que le chevalier Perrin aurait substitué à Zayde la Princesse de Clèves pour donner plus de pittoresque à la lettre. Le bon chevalier était, comme on sait, coutumier de ces libertés. Quoi qu'il en soit, il est certain que Mme de la Fayette, qui vivait de régime et travaillait à ses heures, s'appliqua plusieurs années à la Princesse de Clèves et qu'on commença d'en parler avant l'apparition. Mme de Scudéry en entretenait Bussy par lettre dès décembre 1677: «M. de la Rochefoucauld et Mme de la Fayette, lui dit-elle, ont fait un roman des galanteries de la cour d'Henri second qu'on dit être admirablement bien écrit»; et elle ajoute gaillardement: «Ils ne sont pas en âge de faire autre chose ensemble». La préface de la première édition parle «des lectures qui avaient déjà été faites de cette histoire et de l'approbation qu'elle avait rencontrée». L'attente était donc grande, et quand le petit volume tant annoncé fut mis en vente le 18 mai 1678 chez Barbin, il dut, dès le premier jour, trouver des acheteurs. L'attente ne devait pas être trompée.

Est-il nécessaire de résumer, fût-ce brièvement, l'action de ce roman si connu? Oui, si nous en voulons mieux goûter les beautés. Mlle de Chartres était une des plus grandes héritières de France. «La blancheur de son teint et ses cheveux blonds lui donnaient un éclat qu'on n'a jamais vu qu'à elle.» Sévèrement élevée par sa mère, qui lui avait fait voir de bonne heure quelle tranquillité suivait la vie d'une honnête femme, et combien la vertu donnait d'éclat et d'élévation à une personne qui avait de la beauté et de la naissance, elle épouse le prince de Clèves qui, l'ayant rencontrée chez un joaillier, a conçu pour elle une passion extraordinaire, mais elle n'éprouve aucune inclination particulière pour sa personne. Conduite par son mari à un bal chez la Reine, elle y rencontre le duc de Nemours, dont elle avait ouï parler à tout le monde, comme étant ce qu'il y avait de mieux fait et de plus agréable à la cour. Le hasard les rapproche, et les force à danser ensemble au milieu d'un murmure de louanges. Le duc de Nemours en devient aussitôt éperdument épris, et, dès cette première rencontre, Mme de Clèves se sent troublée. Son trouble ne fait que s'accroître à mesure que les occasions de la vie du monde les rapprochent l'un de l'autre, et que le duc de Nemours lui laisse voir la passion qu'il a pour elle, sans oser cependant se déclarer ouvertement. Sa mère meurt au moment où elle aurait le plus besoin d'un appui, et sentant que bientôt peut-être elle ne sera plus la maîtresse de résister à ses sentiments, elle se retire à la campagne, où elle prend brusquement le parti de tout raconter à son mari. Celui-ci est touché de ce procédé, et bien qu'il soit pénétré de tristesse, la confiance qu'il a en sa femme ne fait d'abord que redoubler. Mais à la longue il ne peut s'empêcher d'être envahi par la jalousie. Il la fait surveiller, et de faux rapports lui font croire qu'elle reçoit secrètement le duc de Nemours dans un pavillon de son parc de Coulommiers. Cette trahison le pénètre d'une douleur mortelle; il contracte une maladie de langueur, et se sentant sur le point de mourir, il reproche à sa femme son infidélité. Celle-ci parvient à se justifier aux yeux de son mari, qui meurt consolé en lui demandant de demeurer, au moins, fidèle à sa mémoire. Mme de Clèves est dévorée de remords, car elle se considère comme responsable de la mort de son mari. Aussi repousse-t-elle le duc de Nemours quand il vient lui demander sa main, et, après une vie toute d'austérités et de dévotion, elle finit par mourir jeune encore, minée par le chagrin et le repentir.

Tel est le fil assez ténu dont est tissue, non parfois sans quelque gaucherie, la trame d'une des oeuvres les plus touchantes, les plus délicates, les plus brillantes par l'éclat doux des couleurs, et en tout cas, les plus connues, qui aient une femme pour auteur. Avant d'en parler plus longuement, voyons (cela est toujours intéressant et instructif) ce qu'en ont pensé d'abord les contemporains, puis les critiques du XVIIIe siècle.

Dès son apparition, le roman fit beaucoup de bruit. Tout le monde s'accordait pour l'attribuer à la Rochefoucauld et à Mme de la Fayette, mais ceux-ci s'en défendaient. Aussi Mme de Scudéry disait-elle assez plaisamment dans une lettre à Bussy: «C'est une orpheline que son père et sa mère désavouent». Cependant la Rochefoucauld et Mme de la Fayette, d'accord sans doute pour suivre la tactique de Mme de la Fayette dans sa lettre à Lescheraine, la prônaient à outrance, et Bussy trouvait «qu'ils ne sont pas habiles de la louer si fort s'ils ne veulent pas qu'on croie qu'ils l'aient faite, car naturellement tout le monde veut qu'ils en soient les auteurs et leurs louanges le confirment». Mais si tout le monde était d'accord sur les auteurs, on se disputait fort et, suivant l'expression de Mme de la Fayette elle-même, on se mangeait sur le roman. Dès le lendemain de la publication, Mme de Sévigné exprimait son premier jugement en quelques lignes. Après avoir parlé de la mort de Mme de Seignelay, la belle-fille de Colbert, enlevée à dix-huit ans, elle ajoute: «La princesse de Clèves n'a guère vécu plus longtemps; elle ne sera pas sitôt oubliée. C'est un petit livre que Barbin nous a donné depuis deux jours qui me paraît une des plus charmantes choses que j'aie jamais lues», et elle demande à Bussy de lui en écrire son sentiment. Bussy prend son temps, taille sa plume, et croirait déroger à sa qualité de bel esprit s'il n'apportait sa part de critique. Il veut bien reconnaître que la première partie est admirable, mais la seconde ne lui a pas semblé de même. L'aveu de Mme de Clèves à son mari est extravagant; mais ce qui lui paraît plus extravagant encore, c'est la résistance qu'elle oppose à M. de Nemours. Il n'est pas vraisemblable, suivant lui, qu'une passion d'amour soit longtemps dans un coeur de même force que la vertu, et il ajoute assez brutalement: «Depuis qu'à la cour, en quinze jours, trois semaines ou un mois, une femme attaquée n'a pas pris le parti de la rigueur, elle ne songe plus qu'à disputer le terrain pour se faire valoir. Et si, contre toute apparence et contre l'usage, ce combat de l'amour et de la vertu durait dans son coeur jusqu'à la mort de son mari, alors elle serait ravie de les pouvoir accorder ensemble en épousant un homme de sa qualité, le mieux fait et le plus joli cavalier de son temps.» Bussy, malgré tout son esprit, était un peu grossier. Il n'a pas compris qu'il critiquait dans la Princesse de Clèves ce qui en fait précisément le charme et la nouveauté, et cela n'a rien après tout d'étonnant. Mais ce qui a lieu de surprendre, c'est l'acquiescement de Mme de Sévigné. À la vérité elle semble donner cet acquiescement du bout des lèvres, ou plutôt du bout de la plume, et en personne qui ne se soucie pas d'engager une discussion par lettre; mais elle va jusqu'à dire à Bussy que sa critique de la Princesse de Clèves est admirable, qu'elle s'y reconnaît, et qu'elle y aurait même ajouté deux ou trois petites bagatelles qui, très assurément, lui ont échappé. Aussi Bussy lui répond-il avec une certaine fatuité que, s'ils se mêlaient, lui et elle, de composer et de corriger une petite histoire, ils feraient penser et dire aux principaux personnages des choses plus naturelles que n'en pensent et disent ceux de la Princesse de Clèves.

Quel dommage que Mme de Sévigné n'ait pas pris Bussy au mot et que nous n'ayons pas, en regard de la Princesse de Clèves, un roman dû à leur collaboration! J'imagine qu'on y trouverait plus de choses spirituelles et moins de choses touchantes. Quoi qu'il en soit, on ne saurait s'empêcher d'en vouloir un peu à Mme de Sévigné de n'avoir pas pris contre Bussy la défense de son amie et de ne s'en être pas tenue à son premier jugement. Il est vrai que, l'année suivante, elle faisait lire la Princesse de Clèves à des prêtres «qui s'en déclaraient ravis»; mais, dans d'autres circonstances, elle en parle avec un peu de raillerie. «Cet habit de page est fort joli, écrit-elle un jour à Mme de Grignan, à propos de son fils le petit marquis; je ne m'étonne point que Mme de Clèves aimât M. de Nemours avec ses belles jambes.» Son premier jugement avait été le bon; puis elle avait reculé peut-être devant les railleries de quelques beaux esprits. Ceux-ci étaient en effet fort divisés, comme au lendemain de l'École des femmes; les uns tenaient pour la Princesse de Clèves, mais les autres faisaient rage en sens contraire, et leurs critiques prenaient corps dans un petit livre qui parut sous ce titre: Lettres à la marquise de X… sur le sujet de la «Princesse de Clèves». On attribua d'abord ce livre au père Bouhours, et c'eût été une grande victoire pour les ennemis de la Princesse de Clèves que de l'avoir enrégimenté, car le père Bouhours s'était montré fort admirateur de Zayde, et il avait déclaré «que si tous les romans étaient comme Zayde, il n'y aurait point de mal à en lire». Mais le père Bouhours s'en défendait, et donnait à entendre que ces lettres étaient de Valincour, le Valincour de l'épître de Boileau, encore fort jeune, car il n'avait pas vingt-cinq ans, mais dont le jugement comptait déjà dans le monde des lettres. La critique était fort courtoise, d'un ton poli, mais cependant par endroits assez vive. Entre autres reproches, l'auteur des Lettres à la marquise adressait à Mme de la Fayette celui, assez singulier, d'avoir placé la première rencontre du prince de Clèves avec Mlle de Chartres chez un joaillier, et non point dans une église. Quant à la scène de l'aveu qui suscitait beaucoup de disputes, il n'en pouvait prendre son parti, et tout en reconnaissant que cet aveu était capable «d'attendrir les coeurs les plus durs et de tirer des larmes des yeux de tout le monde», il n'était, au fond, pas éloigné de traiter, comme Bussy, l'idée elle-même d'extravagante.

Les tenants de la Princesse de Clèves ne se décourageaient point cependant, et ils répondaient par un petit volume qui parut l'année suivante, chez Barbin, sous ce titre: Conversation sur la critique de la «Princesse de Clèves». Ce volume, attribué d'abord à Barbier d'Aucourt, est en réalité de l'abbé de Charnes: c'est, comme le titre l'indique, en quatre conversations que, d'après l'exemple donné par Molière dans la Critique de l'École des femmes, l'abbé de Charnes entreprend de répondre à Valincour. Mais il le fait sans esprit, et dans un style assez lourd. Ni louanges ni critiques ne sont au reste celles que suggère aujourd'hui la lecture de la Princesse de Clèves. Aussi rien mieux que cette controverse ne servirait à montrer les transformations du goût d'un siècle à un autre, et je m'étonne que dans son étude sur l'Évolution des genres, un des livres les plus remplis de faits et d'idées qui ait paru depuis longues années, notre savant et spirituel Brunetière n'ait pas fait mention de ces deux petits livres qu'il aurait pu classer comme des spécimens curieux de la critique d'autrefois.

Cependant, attiré peut-être par le bruit de la controverse, le public avait pris parti, ce grand public qui devait avoir un jour plus d'esprit que Voltaire, et qui avait déjà plus d'esprit que Bussy et Mme de Sévigné réunis. Son jugement fut en faveur de Mme de la Fayette. Dans la préface de son petit volume, l'abbé de Charnes avait le droit de dire (bien que la métaphore ne soit pas des plus correctes) «que le censeur de la Princesse de Clèves avait voulu s'opposer au torrent de la voix publique». Les éditions se multipliaient, et ce qui, alors comme aujourd'hui, était le signe du succès, la traduction et le théâtre s'en emparaient. La Princesse de Clèves parut traduite à Londres en 1688, en même temps que Zayde, qui bénéficiait ainsi du succès de sa cadette.

Presque en même temps, un auteur anglais en tirait le sujet d'une pièce. Il est vrai que c'était une parodie. Mais le plus beau triomphe de la Princesse de Clèves est peut-être de s'être imposée à Fontenelle, au peu romanesque Fontenelle qui la lisait quatre fois, et qui écrivait ensuite au Mercure galant: «Il vous serait aisé de juger qu'un géomètre comme moi, l'esprit tout rempli de mesures et de proportions, ne quitte point son Euclide pour lire quatre fois une nouvelle galante, à moins qu'elle n'ait des charmes assez forts pour se faire sentir à des mathématiciens, qui sont peut-être les gens du monde sur lesquels ces sortes de beautés, trop fines et trop délicates, font le moins d'effet». Sans doute ces beautés étaient trop fines et trop délicates pour Bayle, car il a inséré dans ses Nouvelles Lettres sur l'histoire du calvinisme une critique assez inopinée de la Princesse de Clèves où il se place, comme dit Sainte-Beuve, au point de vue de la bonne grossièreté naturelle. Voltaire, par contre, a rendu justice à Mme de la Fayette, et il marque d'un mot juste son originalité en disant qu'«avant elle on écrivait d'un style ampoulé des choses peu vraisemblables». Aux yeux de Marmontel «la Princesse de Clèves était ce que l'esprit d'une femme pouvait produire de plus adroit et de plus délicat.» La Harpe enfin (ne nous moquons pas de lui, car l'homme avait du goût) la mettait, dans son Cours de littérature, au rang des oeuvres classiques, et déclarait que jamais «l'amour combattu par le devoir n'a été peint avec plus de délicatesse.» On sait comment de nos jours Sainte-Beuve et Taine, pour ne nommer que ceux-là, en ont parlé. Depuis vingt ans c'est presque de l'engouement qu'il y a pour la Princesse de Clèves, et le fait est à noter, dans un temps où la mode n'est assurément pas aux productions d'une littérature aussi élégante. Les deux jolies éditions de luxe, également soignées pour le texte et pour la typographie, que M. Anatole France et M. de Lescure ont enrichies de notices intéressantes (sans compter un grand nombre d'autres plus ordinaires), attestent la persistance de cette faveur. On y pourrait voir au besoin la preuve du caractère factice et passager de la faveur si contraire qui semble s'attacher en ce moment aux manifestations les plus hardies de la littérature naturaliste. Le vrai goût de la France n'est pas là, et il y aura toujours, grâce à Dieu, dans notre pays, public de raffinés.

Ce qui vaut et vaudra toujours à la Princesse de Clèves le suffrage de ces raffinés est aussi ce que je voudrais mettre en relief, sans insister plus que de raison sur ce qui en a pu faire pour les contemporains l'attrait et la nouveauté. Je me bornerai à dire à ce propos que, avec plus de hardiesse et de suite que dans la Princesse de Montpensier, Mme de la Fayette a réalisé son dessein de peindre sous un voile transparent les moeurs du monde qu'elle avait eu sous les yeux. Il y a même tel incident, ainsi celui de la lettre tombée de la poche du vidame de Chartres, et montrée d'abord à la Dauphine, puis à Mme de Clèves, qui devait singulièrement rappeler aux survivants de la Fronde l'histoire de la lettre qu'on crut tombée de la poche de Coligny, et qui amena entre la duchesse de Longueville et la duchesse de Montbazon une brouille célèbre. Peut-être y avait-il encore dans le roman d'autres traits dont l'allusion nous échappe, faute de savoir les menus événements auxquels ils peuvent se rapporter. Mais la Princesse de Clèves avait encore une autre originalité. C'était la première oeuvre à laquelle on aurait pu donner comme sous-titre: roman d'une femme mariée. Arrivé au terme de son Roman bourgeois, c'est-à-dire au mariage du héros et de l'héroïne, Furetière ajoute: «S'ils vécurent bien ou mal ensemble, vous le pourrez voir quelque jour, si la mode vient d'écrire la vie des femmes mariées». En effet ce n'était point alors la mode. Le roman, dans quelque monde qu'il se passât, ne mettait en scène que jeunes premiers et jeunes premières; ni les résistances de la vertu conjugale, ni les drames de l'amour adultère ne paraissaient propres à être contés. Mme de la Fayette, la première, a eu l'idée qu'il y avait là matière à roman, et si, depuis lors, il a été fait un singulier abus de cette idée, si à lire aujourd'hui nos romans français il semble qu'un homme ne puisse éprouver d'amour que pour une femme mariée, ce ne serait point justice de rendre Mme de la Fayette responsable de cet abus lorsqu'elle-même a fait de sa découverte un si discret usage. Mais ce sont du succès de la Princesse de Clèves raisons secondaires et contingentes; j'ai hâte d'arriver à celles qui sont, suivant moi, premières et durables.

Je ne parlerai pas de cette forme exquise sans laquelle il n'y a pas d'oeuvre qui satisfasse aux conditions de la durée, de ce style qui joint l'émotion à la mesure, le charme à la force, de cette phrase harmonieuse, souple, nuancée, qui s'est singulièrement allégée depuis la Princesse de Montpensier, depuis Zayde, et qui semble parfois emprunter à la Rochefoucauld quelque chose de son élégante brièveté. Si je tiens à rendre cet hommage à la Rochefoucauld, c'est qu'à cela aussi j'entends limiter sa part. Je ne crois pas en effet, quoi qu'en pensât Mme de Scudéry, à une collaboration proprement dite, comme celle qui a pu s'établir entre Mme de la Fayette et Segrais, à moins cependant qu'on n'entende par collaboration une intimité intellectuelle, une communication morale constante. Mme de la Fayette imaginant, composant, tenant la plume; la Rochefoucauld conseillant et corrigeant: voilà ce que je me figure, et c'est déjà faire à la Rochefoucauld la part assez belle. À y mettre davantage la main, je crains qu'il n'eût gâté quelque chose. Ce qui est en effet la qualité maîtresse de Mme de la Fayette c'est la sensibilité dans l'analyse. Impossible d'apporter plus de sagacité, et en même temps plus de tendresse dans la peinture des sentiments. Elle a fait de la psychologie, non pas sans le savoir, mais sans le dire, ce qui est bien différent, et cela alors que le mot n'existait pas encore dans notre langue, car, au dire de Littré, ce n'est pas à la Grèce directement, mais à l'Allemagne et à Wolf que nous le devons (je m'en méfiais bien un peu). La Princesse de Clèves est le premier roman où un coeur de femme soit mis à nu, et étudié dans ses plus secrets replis. Tous les mouvements de ce coeur sont l'objet d'une analyse dont la minutie n'enlève rien à la profondeur. L'inexpérience de Mlle de Chartres quand elle épouse le prince de Clèves, et ses réponses innocentes à «des distinctions qui étaient au-dessus de ses connaissances»; sa première surprise après qu'elle a dansé avec le duc de Nemours, et qu'elle revient du bal l'esprit rempli de ce qui s'y était passé; la grande impression qu'il fait dans son coeur lorsqu'elle le voit jouer à la paume, courir la bague, surpasser de si loin tous les autres, et se rendre maître de la conversation dans tous les lieux où il se trouve par l'air de sa personne et par l'agrément de son esprit; la complication de ses sentiments lorsqu'ayant renoncé à aller au bal chez le maréchal de Saint-André pour ne point contrister le duc de Nemours qui n'y devait point aller, elle est d'abord fâchée de ce que M. de Nemours eût eu lieu de croire que c'était lui qui l'en avait empêché, puis «sent ensuite quelque espèce de chagrin de ce que sa mère lui en eût entièrement ôté l'opinion»; bientôt son trouble lorsque, avant de mourir, sa mère lui a ouvert les yeux sur l'inclination qu'elle éprouve sans s'en rendre exactement compte, et sur le péril auquel elle est exposée; le poison qu'elle boit lorsqu'elle apprend par la Dauphine que M. de Nemours a renoncé pour elle à la main de la reine d'Angleterre; sa jalousie «avec toutes les horreurs dont elle peut être accompagnée» lorsqu'une lettre lui fait croire qu'elle est trompée par le duc de Nemours; sa joie quand elle s'aperçoit de son erreur; enfin l'effroi qu'elle ressent lorsque la vivacité des alternatives par lesquelles elle a passé lui fait apercevoir qu'elle est vaincue et surmontée par une inclination qui l'entraîne malgré elle; toutes ces nuances de la passion sont peintes avec un art, toutes ces gradations ménagées avec une science qui prépare, amène, explique la scène célèbre de l'aveu que la princesse fait à son mari, cette scène qui fut autrefois la plus critiquée, et qui nous semble aujourd'hui la plus belle et la plus touchante.

À partir de cet aveu qui marque environ le milieu du roman, on peut dire que l'intérêt se partage. Jusqu'alors il est exclusivement concentré sur la princesse de Clèves, car, malgré de jolis traits qui peignent le duc de Nemours, ainsi «cette douceur et cet enjouement qu'inspirent les premiers désirs de plaire», ainsi «l'air si doux et si soumis avec lequel il parle à la princesse», Mme de la Fayette n'est pas parvenue cependant à lui donner la vie; nous ne le sentons pas vraiment amoureux et malheureux. Il a beau laisser couler quelques larmes sous des saules, le long d'un petit ruisseau, il n'arrive pas à nous attendrir, et il demeure à nos yeux un bellâtre assez froid. Peut-être même Mme de la Fayette nous répète-t-elle trop souvent qu'il est admirablement bien fait, et l'on pardonne à Mme de Sévigné de s'être moquée de ses belles jambes. C'est au prince de Clèves que nous allons désormais nous attacher, et, à cette occasion, il faut faire à Mme de la Fayette l'honneur d'une découverte littéraire qui lui revient tout entière: elle a inventé le mari. Avant elle le mari était un personnage sacrifié: le roman ne lui faisait même pas l'honneur de s'occuper de lui; il ne jouait de rôle que dans les fabliaux, dans les contes, dans les pièces de théâtre, et ce rôle était toujours un rôle ridicule. Il était le seigneur au bahut des Cent Nouvelles nouvelles, le messire Artus de La Fontaine, le Sganarelle ou le George Dandin de Molière, c'est-à-dire un butor ou un benêt, et toujours un sot, dans tous les sens du mot. Mme de la Fayette arrive, et nous le fait apparaître sous un tout autre aspect. Rien de plus noble et de plus touchant que l'attitude du prince de Clèves quand il reçoit l'étrange confidence de sa femme. «Ayez pitié de moi, madame, lui dit-il; j'en suis digne, et pardonnez si dans les premiers moments d'une affliction comme la mienne je ne réponds pas comme je dois à un procédé comme le vôtre. Vous me paraissez plus digne d'estime et d'admiration, que tout ce qu'il y a jamais eu de femmes au monde, mais aussi je me trouve le plus malheureux homme qui ait jamais été. Vous m'avez donné de la passion dès le premier moment que je vous ai vue; vos rigueurs et votre possession n'ont pu l'éteindre, elle dure encore: je n'ai jamais pu vous donner de l'amour, et je vois que vous craignez d'en avoir pour un autre. Et qui est-il, madame, cet homme heureux qui vous donne cette crainte? Depuis quand vous plaît-il? Qu'a-t-il fait pour vous plaire? Quel chemin a-t-il trouvé pour aller à votre coeur? Je m'étais consolé en quelque sorte de ne l'avoir pas touché par la pensée qu'il était incapable de l'être. Cependant un autre a fait ce que je n'ai pu faire! J'ai tout ensemble la jalousie d'un mari et celle d'un amant: mais il est impossible d'avoir celle d'un mari après un procédé comme le vôtre. Il est trop noble pour ne pas donner une sûreté entière, il me console même comme votre amant. La confiance et la sincérité que vous avez pour moi sont d'un prix infini, vous m'estimez assez pour croire que je n'abuserai pas de cet aveu.»

Mais il ne saurait longtemps se maintenir à cette hauteur qui est au-dessus de la nature humaine, et Mme de la Fayette nous montre, avec un art admirable, toutes les variations de sentiments par lesquels il passe avant d'en arriver à la jalousie la plus aiguë. Il s'ingénie d'abord à découvrir l'homme que sa femme aime, se figurant qu'il sera peut-être moins malheureux quand sa jalousie aura pris corps; puis, quand il sait que c'est M. de Nemours, il lui paraît impossible qu'elle résiste longtemps aux séductions d'un gentilhomme aussi accompli. Il la soupçonne, il la presse de questions; quoi qu'elle fasse et de quelque façon qu'elle se conduise vis-à-vis de M. de Nemours, sa conduite lui paraît répréhensible, et il en arrive à lui reprocher ce dont il devrait lui être reconnaissant.

«Pourquoi des distinctions? dit-il à la princesse en apprenant qu'elle a refusé de recevoir M. de Nemours. Pourquoi ne vous est-il pas comme un autre? Pourquoi faut-il que vous craigniez sa vue! Pourquoi lui laissez-vous voir que vous la craignez? Pourquoi lui faites-vous connaître que vous vous servez du pouvoir que sa passion vous donne sur lui? Oseriez-vous refuser de le voir, si vous ne saviez bien qu'il distingue vos rigueurs de l'incivilité? Mais pourquoi faut-il que vous ayez des rigueurs pour lui? D'une personne comme vous, madame, tout est des faveurs, hors l'indifférence.»

En quels termes, avec quelle mesure, également, il fait reproche à sa femme lorsqu'il se sent à la veille de mourir, croyant qu'il a été trompé par elle: «Je méritais votre coeur, lui dit-il, je meurs sans regret puisque je n'ai pu l'avoir, et que je ne puis plus le désirer». Et quand Mme de Clèves est parvenue à le détromper et à lui prouver son innocence, je sais peu de choses aussi touchantes que les dernières paroles qu'il lui adresse: «Je me sens si proche de la mort que je ne veux rien voir de ce qui me pourrait faire regretter la vie. Vous m'avez éclairci trop tard, mais je me sens toujours un soulagement d'emporter la pensée que vous êtes digne de l'estime que j'ai eue pour vous. Je vous prie que je puisse avoir encore la consolation de croire que ma mémoire vous sera chère et que, s'il eût dépendu de vous, vous eussiez eu pour moi les sentiments que vous avez pour un autre.» M. de Clèves nous paraît tellement plus digne d'amour que le duc de Nemours que nous en voulons un peu à la princesse de préférer à un aussi galant homme un aussi fade gentilhomme. Il est le premier type du mari sympathique, et c'est là un personnage que nous avons vu souvent reparaître dans des oeuvres postérieures. On retrouve quelques-uns de ses traits dans le baron de Wolmar de la Nouvelle Héloïse, lorsque, devenu le mari de Julie, il reste le confident ou plutôt le témoin de l'amour qu'elle conserve pour Saint-Preux. Mais Wolmar est un prince de Clèves pédant, gourmé et jouant, à tout prendre, un rôle assez ridicule. La ressemblance est plus frappante avec certains personnages du théâtre de M. Alexandre Dumas, dont, soit dit en passant, les maris ont généralement eu à se louer, avec Claude ou plutôt avec le commandant Montaiglin de Monsieur Alphonse, et, encore, pour parler d'oeuvres tout à fait récentes, avec le mari de Crime d'amour qui joue un rôle si noble par comparaison avec l'amant.

Je ne voudrais pas abuser de ces rapprochements avec des oeuvres contemporaines, mais il en est encore un dont je ne puis me défendre. J'ai fait voir combien cette scène de l'aveu avait paru extraordinaire aux contemporains de Mme de la Fayette, et quelles discussions elle avait suscitées. C'était une des critiques sur lesquelles insistait le plus l'auteur des Lettres à la marquise. Cependant il «concédait que cet endroit ferait un bel effet sur le théâtre». Valincour, puisque c'est lui qui est l'auteur des lettres, ne savait pas si bien dire, et nous avons vu, deux siècles plus tard, tout l'effet qu'un dramaturge de génie peut tirer d'un aveu conjugal. La scène du Supplice d'une femme où l'épouse adultère tend brusquement à son mari la lettre qui contient la preuve de sa faute est un des effets de théâtre les plus puissants dont notre génération ait gardé le souvenir. Assurément ni M. Alexandre Dumas, ni M. de Girardin (pour la part qui doit lui rester dans la pièce) n'y ont pensé, mais il est curieux que l'idée première d'un effet de scène aussi moderne appartienne pour moitié à Mme de la Fayette et à Valincour.

Je n'ai point encore signalé ce qui marque la supériorité véritable de la Princesse de Clèves non seulement sur Zayde et la Princesse de Montpensier, mais sur d'autres romans où les ardeurs de la passion et les troubles de la jalousie sont peints avec une force égale ou, si l'on veut, supérieure. Ce qui en fait la rareté, la Harpe nous l'a dit tout à l'heure, «c'est que jamais l'amour combattu par le devoir n'a été peint avec plus de délicatesse». Mais est-ce assez dire que parler de délicatesse et ne faut-il pas ajouter encore de pathétique? En effet l'emploi mesuré des mots n'enlève rien à la force des sentiments. Toute voilée qu'elle est sous les nuances du langage, la passion court à travers toutes ces pages. L'accent en est tout autre que celui des deux oeuvres précédentes. Chez l'auteur de la Princesse de Clèves on sent la femme qui a aimé, et qui sait ce dont elle parle, car elle a lutté et souffert. On sent qu'elle raconte le roman de sa vie, et que tout à la fois elle confesse sa faiblesse et rend témoignage à sa vertu. Ces combats qu'elle peint, ils se sont passés dans son coeur; ces objurgations que la princesse de Clèves s'adresse en son particulier, maintes fois elle a dû se les répéter à elle-même, «Quand je pourrais être contente de sa passion, qu'en veux-je faire? veux-je la souffrir? veux-je y répondre? veux-je m'engager dans une galanterie? veux-je manquer à M. de Clèves? Veux-je me manquer à moi-même? et veux-je enfin m'exposer aux cruels repentirs et aux mortelles douleurs que donne l'amour?» Combien de fois Mme de la Fayette n'a-t-elle pas dû se tenir ce langage; mais combien de fois n'a-t-elle pas dû s'avouer ce que s'avouait aussi Mme de Clèves: «Je suis vaincue et surmontée par une inclination qui m'entraîne malgré moi. Toutes mes résolutions sont inutiles; je pensais hier tout le contraire de ce que je pense aujourd'hui, et je fais aujourd'hui tout le contraire de ce que je résolus hier.» Mais si sa défaite avait été complète, si son inclination l'avait fait manquer à l'honneur, elle n'aurait point su peindre comme elle l'a fait la résistance que Mme de Clèves oppose moins au duc de Nemours qu'à elle-même, ni la sublimité de vertu et le scrupule excessif qui l'empêchent, devenue libre, d'accepter la main que le duc lui offre. Mme de la Fayette était trop vraie, suivant l'expression de la Rochefoucauld, pour s'idéaliser au delà d'une certaine mesure aux dépens de la vérité dans un roman où elle avait mis une part d'elle-même. J'ajoute qu'elle n'avait pas pour cela assez d'imagination. Elle en donna bien la preuve lorsque, voulant justifier, au point de vue de la vraisemblance, l'aveu de la princesse de Clèves à son mari, elle essaya, dans une petite nouvelle intitulée la Comtesse de Tende, de montrer la nécessité où une femme peut se trouver réduite d'avouer à son mari une faute bien autrement grave. Elle ne fit qu'une oeuvre médiocre, sans vraisemblance, sans vie, où l'on ne trouve rien qui soit comparable à la Princesse de Clèves. Mme de la Fayette n'avait pas en elle une source perpétuellement jaillissante d'où coulât à gros bouillons, comme chez une George Sand et une George Eliot, un flot de créations incessantes; elle n'était point une romancière capable de mettre sur pied des êtres qu'elle n'aurait point observés, ou d'inventer des aventures qui ne se seraient point passées sous ses yeux. Elle était une femme du monde, douée d'un don naturel pour écrire, à laquelle une fois dans sa vie les troubles de son coeur ont donné presque du génie.

S'il fallait achever de démontrer la part d'inspiration personnelle qui fait le charme et le pathétique de la Princesse de Clèves, j'en trouverais une nouvelle preuve dans les mobiles qui dictent la conduite et qui fortifient la courageuse austérité de l'héroïne. Nous avons vu dans la biographie de Mme de la Fayette qu'avant l'époque où elle entra en relations avec Du Guet (c'est-à-dire avant la mort de la Rochefoucauld), elle paraît s'en être tenue à l'observance extérieure des prescriptions religieuses, mais qu'elle n'était ni dévote ni même pieuse. Or cet état paraît répondre exactement à celui que Mme de la Fayette dépeint chez la princesse de Clèves. Sans doute Mme de Clèves est chrétienne; mais il est assez remarquable que pas une seule fois dans la lutte qu'elle soutient contre elle-même, elle n'appelle à son aide un secours surnaturel. Pas une prière, pas un acte de foi. Un romancier de nos jours qui voudrait peindre une femme vertueuse et point philosophe mettrait incessamment dans sa bouche le nom de Dieu. Ce nom ne se trouve pas une seule fois dans toute l'oeuvre de Mme de la Fayette. Quand Mme de Chartres, sur son lit de mort, adresse à sa fille ses recommandations dernières, elle lui demande de songer à ce qu'elle se doit à elle-même, et de penser qu'elle va perdre cette réputation qu'elle s'est acquise; elle lui fait voir les malheurs d'une galanterie, mais elle n'ajoute pas une seule considération religieuse. Les exhortations que Mme de Clèves s'adresse à elle-même sont inspirées du même esprit. Elle parle toujours de sa réputation, de sa dignité, de sa vertu, mais vertu au sens antique, virtus. On dirait la Pauline de Corneille, mais la Pauline d'avant le cinquième acte, la femme d'honneur qui n'est pas chrétienne. Il est vrai que pour échapper aux poursuites du duc de Nemours elle entre dans une maison religieuse, sans faire de voeux cependant, mais ce qui paraît l'y déterminer c'est moins la ferveur qu'une sorte de détachement philosophique, moins l'amour de Dieu que «cette vue si longue et prochaine de la mort qui fait voir les choses de cette vie de cet oeil si différent dont on les voit dans la santé». Si elle renonce à l'amour, c'est «parce que les passions et les engagements du monde lui parurent tels qu'ils paraissent aux personnes qui ont des vues plus grandes et plus éloignées». La foi peut y être; la piété n'y est pas, et si je ne craignais de forcer ma pensée, je dirais que Mme de la Fayette a écrit, sans assurément y songer, le roman de la vertu purement humaine. Mais peut-être est-ce à cause de cela que ce roman agit si fortement sur les âmes, sur toutes les âmes, car si les plus heureuses, celles qui s'abreuvent à la source divine, n'y trouvent rien qui blesse leurs sentiments, si elles sont même en droit de dire qu'un fonds d'éducation et de préparation chrétiennes peut seul conduire à cette sublimité de sacrifice, les autres, celles qui empruntent leur courage à la seule dignité et au seul respect d'elles-mêmes, y trouvent encore un encouragement et un appui. Aussi, pour les unes comme pour les autres, la lecture de la Princesse de Clèves sera-t-elle toujours d'un grand réconfort. Oui, petit livre qui, depuis deux siècles, as été manié par de si douces mains, soit revêtu de la couverture modeste sous laquelle tu parus pour la première fois, soit paré par le luxe moderne d'une reliure élégante, tu mérites d'être rangé parmi ces oeuvres bénies, devenues trop rares de nos jours, qui servent à entretenir le culte du beau moral, et tu demeureras toujours le bréviaire des âmes qui sont à la fois passionnées mais délicates, faibles mais fières. Qui sait en effet, qui peut savoir à combien de ces âmes tu es venu en aide, en leur murmurant à l'oreille ces mots qui pénètrent, et où l'on croit entendre inopinément la voix de la conscience! Aussi bien peut-être que tel sermon de Bourdaloue sur les amitiés sensibles et prétendues innocentes, aussi bien que telles austères leçons d'un prêtre de nos jours, tu as su dire à quelques-unes d'entre elles les paroles dont elles avaient besoin, car tu leur as fait entendre que la vertu peut trouver sa fin en elle-même, et goûter sa récompense dans l'austère jouissance du devoir accompli. Et si l'idéal que tu leur as proposé peut paraître au-dessus de l'humaine nature, si nous ne pouvons nous empêcher de trouver avec Nemours que celle que tu nous as fait aimer avec lui sacrifie un bonheur permis à un fantôme de devoir, eh bien, sois béni encore pour cette exagération même, car l'humanité et la jeunesse surtout n'atteindraient pas au devoir si elles ne visaient d'abord au-dessus, comme le projectile qui ne parviendrait pas jusqu'à un but éloigné s'il ne commençait par s'élever plus haut. Merci donc à toi pour avoir proposé comme idéal le sacrifice à l'amour et l'héroïsme à la vertu.

C'est le propre des belles oeuvres ou même tout simplement des oeuvres qui ont eu du succès de susciter des imitations. Notre littérature est ainsi encombrée de pastiches, que ce soient de fausses Nouvelles Héloïses, ou de fausses Lélia, dont le plus grand nombre reproduisent les défauts de leurs modèles sans en avoir les qualités. La Princesse de Clèves ne pouvait échapper à cette loi. Cependant, et précisément peut-être à cause de la rareté de l'oeuvre qui en rend l'imitation difficile, on peut dire qu'elle n'a pas trop à se plaindre. Sans doute on peut rattacher si l'on veut à la Princesse de Clèves tous les romans de la fin du siècle dernier ou du commencement de celui-ci où des femmes aimables et spirituelles, qui avaient ou se croyaient le don d'écrire, ont peint le monde où elles vivaient et les aventures dont elles avaient été témoins. Les Lettres de Lausanne, Adèle de Sénanges, Eugène de Rothelin, Édouard, et même la Maréchale d'Aubemer, ou, si l'on préfère les noms des auteurs à ceux des oeuvres, Mmes de Charrière, de Souza, de Duras, et même Mme de Boigne, se sont toutes, on peut le dire, inspirées plus ou moins de Mme de la Fayette, et ont copié en elle ce que j'ai cru pouvoir appeler le peintre des moeurs élégantes. Dans cet ordre d'idées, on pourrait même dire qu'elle n'a fait que trop d'élèves. Mais, la Princesse de Clèves a eu également une descendance plus choisie: c'est celle des romans dont l'intérêt se tire de la lutte entre la passion et le devoir, et qui donnent la victoire à la vertu. Les oeuvres de cette nature sont rares dans notre littérature; mais, Dieu merci! elle n'en est pas cependant complètement dépourvue. Je n'en veux citer qu'un exemple, c'est cette admirable histoire de Dominique où Fromentin a su allier les qualités du peintre à celles du romancier, et la profondeur d'analyse d'un Bourget à l'art descriptif d'un Loti. Assurément la ressemblance est lointaine. Dominique n'a point l'élégance du duc de Nemours. M. de Nièvre n'a rien de commun avec M. de Clèves, et Madeleine, surtout, n'a point la réserve ni la fierté de la princesse. Ce n'est point un scrupule aussi rare et aussi délicat qui la pousse lorsque, encore enchaînée dans les liens du mariage, elle se sépare pour toujours de Dominique, le lendemain du jour où elle a failli s'abandonner à lui. Mais il est impossible cependant de lire leur dernière entrevue sans que la pensée se reporte à la dernière Conversation de la princesse de Clèves avec le duc de Nemours:

«Mon pauvre ami! me dit-elle, il fallait en venir là. Si vous saviez combien je vous aime! Je ne vous l'aurais pas dit hier; aujourd'hui cela peut s'avouer, puisque c'est le mot défendu qui nous sépare.» Elle, exténuée tout à l'heure, elle avait retrouvé je ne sais quelle ressource de vertu qui la raffermissait à mesure. Je n'en avais plus aucune: elle ajouta, je crois, une ou deux paroles que je n'entendis pas; puis elle s'éloigna doucement comme une vision qui s'évanouit, et je ne la revis plus, ni ce soir-là, ni le lendemain, ni jamais.

Toutes ces ressemblances sont au reste, je le reconnais, cherchées de très loin. En réalité la Princesse de Clèves est une oeuvre unique, qui n'a point de pareille, qui n'en aura jamais. Elle est venue au monde pendant ces vingt-cinq premières années qui ont suivi la majorité de Louis XIV et qui marquent la plus belle époque de notre histoire, temps unique où la France encore éprise de son jeune roi assurait ses frontières naturelles sans aspirer à les dépasser, où Condé et Turenne commandaient ses armées, où Bossuet arrachait des larmes aux courtisans en prononçant l'oraison funèbre de Madame, où Racine faisait couler les pleurs d'Andromaque et traduisait les fureurs de Phèdre, où Molière peignait la jalousie d'Alceste et la coquetterie de Célimène. La Princesse de Clèves apparaît comme une perle au milieu de cet écrin de pierres précieuses, mais c'est la perle de grand prix dont les reflets roses et irisés joignent l'éclat à la douceur, ou plutôt c'est la fleur d'un temps et de la nouveauté florissante d'un règne: novitas florida regni. Pour la produire, il fallait une cour et une France aristocratiques, comme la cour et la France de Louis XIV. Saluons ces grâces que nous ne verrons plus; mais puisqu'elle n'est point flétrie respirons le parfum de la fleur qui nous fait rêver à ce temps radieux, et admirons sa fraîcheur éternelle.

APPENDICE

Marie-Madeleine Motier, marquise de la Fayette, fille d'Armand, marquis de la Fayette, et d'Anne-Madeleine de Marillac, épousa, le 13 avril 1706, Charles-Louis-Bretagne de la Trémoïlle, prince de Tarente, duc de Thouars, septième duc de la Trémoïlle. Elle mourut à vingt-six ans.

Le duc de la Trémoïlle, chef actuel de cette illustre maison, descend directement de ce mariage. Il est donc par conséquent le seul héritier direct de la comtesse de la Fayette, la branche des la Fayette à laquelle appartenait le célèbre général et qui s'est éteinte récemment en la personne d'Edmond de la Fayette, sénateur de la Haute-Loire, étant une branche collatérale. Le duc de la Trémoïlle, en sa qualité d'héritier direct, possède, non point hélas les papiers de Mme de la Fayette qui n'en a point laissé, mais les papiers de son fils l'abbé.

Ces papiers sont par eux-mêmes peu intéressants. Ce ne sont que des papiers d'affaires, contrats, inventaires, transactions, qui viennent presque tous de l'étude de maître Levasseur, notaire au Châtelet de Paris. Si je n'avais trouvé dans l'intitulé de l'inventaire dressé après la mort du comte de la Fayette la date de sa mort qui avait jusqu'à présent échappé à toutes les recherches, je n'aurais même point signalé l'existence de ces papiers.

Par une particularité assez curieuse et qui ajoute encore au mystère de la vie de M. de la Fayette, il n'est fait mention dans aucun de ces actes du lieu de son décès.—Impossible de sombrer plus complètement puisqu'on ne sait ni comment il a vécu, ni où il est mort, et cette singularité me confirme encore dans la pensée que cette vie mystérieuse a été troublée par quelque drame qui a brusquement rompu le lien conjugal (au point de vue moral s'entend), et qui aux yeux de Mme de la Fayette elle-même et de ses amis a fait de son mari une sorte de mort vivant dont on ne parlait plus.

De quelques-uns de ces papiers il résulte cependant que la majeure partie de la vie de M. de la Fayette s'est passée à la campagne, soit en son château de Naddes, soit en son château d'Espinasse. Il paraît avoir été assez processif, à en juger par d'assez nombreuses difficultés qu'il eut avec ses voisins, dont quelques-unes se réglèrent de son vivant par des transactions, mais dont les autres laissèrent beaucoup d'embarras à Mme de la Fayette et firent d'elle pendant quelques années une véritable plaideuse et une habituée de la Grand'Chambre. Mme de la Fayette ne fit que défendre la fortune de ses enfants qui lui en surent beaucoup de gré, et il est assez étrange, soit dit en passant, qu'on lui en ait fait reproche.

Les autres pièces qui peuvent présenter quelque intérêt, sont d'abord le contrat de mariage de Mme de la Fayette elle-même. Marie-Madeleine Pioche de la Vergne adopta dans son contrat de mariage la coutume de la ville et vicomté de Paris, qui était et qui est encore le régime de la communauté réduite aux acquêts. Elle mettait dans la communauté dix mille livres, son mari vingt mille, le surplus de leurs biens restant propre. Le mari constituait à sa femme une rente de survie de quatre mille livres. Rien de particulier dans les autres stipulations du contrat.

Vient ensuite, comme pièce intéressante, un règlement d'intérêts intervenu entre Mme de la Fayette, et Mme de Sévigné, pour une somme de huit mille sept livres qui était due à Mme de la Fayette sur la succession du chevalier Renauld de Sévigné, qui était à la fois son beau père et l'oncle du mari de la marquise. Une partie de la fortune du chevalier qui venait de sa femme Mme de la Vergne, revint à la comtesse de la Fayette. L'autre partie revint aux Sévigné. De là, un règlement de comptes entre les deux, amies, intéressant surtout pour les amateurs d'autographes parce qu'il porte leurs deux signatures.

Enfin je signalerai l'inventaire dressé à la mort de l'abbé comte de la Fayette lui-même. J'ai cherché dans l'inventaire des livres s'il était question de l'exemplaire des Maximes dont j'ai parlé et je n'ai rien trouvé. Mais le catalogue complet de la bibliothèque n'est pas donné, il s'en faut. Il n'est pas fait mention non plus de manuscrits provenant de Mme de la Fayette. On sait que l'abbé est accusé d'avoir égaré plusieurs cahiers des Mémoires de la cour de France et même un roman manuscrit intitulé Caraccio qui aurait figuré dans la bibliothèque du duc de la Vallière. Cependant le catalogue de cette célèbre bibliothèque, publié il est vrai en 1787, par Nizon, n'en fait pas mention. Le crime n'est donc pas prouvé, et il n'est pas sûr que le roman ait jamais été écrit. Si vraiment l'abbé est coupable, faut-il lui en vouloir?—Je ne le crois pas. Mieux vaut peut-être que Mme de la Fayette demeure exclusivement à nos yeux l'auteur de la Princesse de Clèves.

En résumé, ces papiers sont, comme on le voit, peu intéressants, et cependant c'est presque avec émotion que je les ai tenus entre les mains. Leur sécheresse et leur aridité même donnent en effet une vie singulière aux personnages qu'ils concernent, en nous les montrant mêlés, comme nous, aux incidents vulgaires de la vie. Excepté le duc de la Trémoïlle, si digne par sa connaissance des choses du passé et son érudition de veiller sur ce dépôt, personne, je crois, ne les avait maniés avant moi, car sur plus d'une page la poudre était encore collée à l'encre. Ce n'est pas sans regrets que je l'ai fait tomber, et que j'ai ajouté une destruction de plus à toutes celles qui sont l'ouvrage de la vie. Cependant les papiers eux-mêmes sont à l'abri du péril, et si Mme de la Fayette trouve au XXe siècle quelque nouveau biographe, il pourra encore les consulter et en tirer peut-être plus de parti qu'une communication tardive (due à ma seule négligence) ne m'a permis de le faire. Ainsi les passions s'éteignent, les êtres passent, les sociétés disparaissent, les monarchies s'écroulent, mais les actes notariés demeurent, et de tout ce que crée l'homme une feuille de papier est encore ce qu'il y a de plus durable.

LES PORTRAITS DE MADAME DE LA FAYETTE

Il existe au Cabinet des Estampes treize gravures ou lithographies représentant Mme de la Fayette. Ces gravures ou lithographies n'ont aucune ressemblance les unes avec les autres. On dirait deux ou trois personnes différentes. Plusieurs ont un caractère absolument conventionnel, et rappellent tous les portraits de grand'mères ou de grand'tantes qu'on conserve dans les châteaux de province. Cependant il y a un peintre qui paraît avoir été le peintre favori de Mme de la Fayette: c'est Ferdinand, car il a reproduit ses traits jusqu'à quatre fois, à différents âges de la vie. Tous ces portraits représentent Mme de la Fayette avec un nez un peu proéminent et des joues un peu tombantes, ce qui ne donne pas grand agrément à sa figure. Mais cette sincérité même du peintre, et cette constante et consciencieuse reproduction de deux traits assez désobligeants donnent à penser qu'il faisait ressemblant. C'est ce qui m'a déterminé à reproduire celui de ces portraits qui est le plus agréable, et où Mme de la Fayette est représentée encore dans sa jeunesse. Peut-être ce portrait ne plaira-t-il pas beaucoup, mais «la vérité l'emporte», comme disait M. de Talleyrand. Je dois ajouter pour ma justification qu'excepté le cardinal de Retz, qui, à la vérité, s'y connaissait, personne n'a jamais dit que Mme de la Fayette fut jolie.

NOTES

[1: Voir l'Appendice.]

[2: Voir, dans la Revue des Deux Mondes du 15 septembre 1890, un article intitulé: À propos d'un exemplaire des Maximes.]

[3: L'édition publiée par Barbin en 1693 n'ayant paru que quelques mois après la mort de Mme de la Fayette, il faut supposer, ce qui n'a du reste rien d'improbable, que Barbin lui envoyait les épreuves.]

[4: Le duc de la Trémoïlle, chef actuel de cette illustre maison, est le descendant direct de Mme de la Fayette, et possède un certain nombre de papiers qui viennent d'elle.]

[5: Cette maxime figure en effet pour la première fois dans l'édition de 1678.]

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