Nouvel atlas de poche des champignons Comestibles et Vénéneux les plus répandus. Série I (Troisième édition): Suivi de notions générales sur les champignons, leur classification, composition chimique, valeur alimentaire, prép
Bolet blême. — Boletus luridus.
Noms vulgaires: Faux cèpe, Oignon de loup.
Chapeau convexe, arrondi, brun olivacé, ou couleur de rouille, cotonneux, sec, mais un peu visqueux à la fin, ayant souvent plus de 12 centimètres de diamètre.
Tubes longs, plus courts près du pied autour duquel ils forment une dépression, jaunes ou jaunes-verdâtres; pores petits, arrondis, rouges orangés ou carmin foncé.
Pied d'abord gros, court et ventru, puis allongé, aminci à la base, jaune ou rougeâtre, et muni dans sa partie supérieure d'un beau réseau rouge.
Chair jaune molle, bleuissant à l'air, odeur désagréable, saveur nulle.
On trouve communément ce champignon dans les bois, en été-automne. Bien que quelques auteurs le donnent comme comestible, il est préférable de n'en point faire usage.
On trouve quelquefois dans les mêmes endroits que le Bolet blême, une espèce voisine, le Bolet Satan (Boletus Satanas), dont le chapeau est moins foncé en couleur et souvent blanchâtre sur les bords. De plus, sa chair est normalement blanche pour devenir rougeâtre, ou bleu-violacé lorsqu'on la brise.
On considère à juste titre le Bolet Satan comme vénéneux.
Bois. — Été, automne.
Fistuline hépatique. — Fistulina hepatica.
Noms vulgaires: Langue de bœuf, Foie de bœuf, Glu de chêne.
Masse charnue, épaisse, succulente, en forme de langue, ou semi-arrondie, entière ou échancrée, amincie sur les bords. Ce champignon est rouge de sang, ou rouge-brun, visqueux à la face supérieure, et couvert d'aspérités, qui finissent par disparaître. Diamètre 12 à 15 centimètres.
Tubes d'abord blancs, puis d'un jaune pâle, à orifice frangé.
Pied généralement court, épais, oblique, de la couleur du chapeau.
Chair rouge, épaisse, molle, fibreuse et marbrée, laissant écouler, quand le champignon est jeune, un suc rougeâtre.
Saveur un peu acide.
Pousse en été-automne sur les arbres languissants, les vieilles souches, surtout de chêne.
Comestible, mais de digestion difficile. Quelques personnes le mangent cru ou accommodé en salade.
Chênes malades. — Été, automne.
Hydne sinué. — Hydnum repandum.
Noms vulgaires: Pied de mouton blanc, Barbe de vache, Erinace, etc.
Chapeau compact, charnu, convexe, irrégulièrement découpé, jaune chamois, blanchâtre ou blanc jaunâtre, nuancé de rose. Diamètre: 5 à 10 centimètres. Il porte à sa partie inférieure des aiguillons carnés ou bruns pâles, très fragiles, serrés, inégaux, descendant assez bas sur le pied.
Pied plein épais se continuant avec le chapeau, souvent excentrique, de même couleur ou plus clair.
Chair ferme, cassante, blanche, de saveur un peu amère, odeur nulle. Se trouve en automne dans les bois couverts où il forme souvent des colonies nombreuses.
C'est un excellent champignon, rarement piqué par les vers, et allant très tard en saison.
On trouve dans les mêmes endroits une espèce voisine, l'Hydne rougeâtre (Hydnum rufescens), qui diffère de la précédente par sa teinte sensiblement plus foncée et jaune rougeâtre ou ochracée, et aussi par son aspect plus grêle.
Pour certains mycologues, l'Hydnum rufescens ne serait qu'une variété de l'Hydnum repandum, comestible au même titre que sa congénère.
Grands bois ombragés. — Automne.
Clavaire jaunâtre. — Clavaria flava.
Noms vulgaires: Barbe de chêne, Mainotte, Pied de coq, Tripette, etc.
Champignon à souche charnue, épaisse, blanche, donnant naissance à des rameaux très nombreux, cylindriques, lisses d'un jaune plus ou moins intense. Chair blanche à odeur de champignon; saveur agréable; plante fragile.
Pousse en automne dans les bois un peu frais, surtout au voisinage des hêtres. Ce champignon forme des touffes souvent d'un poids assez considérable. Toutes les espèces de clavaires peuvent être regardées comme comestibles, quoique certaines soient indigestes et un peu acides.
Deux espèces voisines de celle dont nous venons de parler, sont la Clavaire dorée (Clavaria aurea) et la Clavaire élégante (Clavaria formosa).
La Clavaire en grappe (Clavaria botrytis) se distingue aisément des espèces précédentes par ses rameaux courts, le plus souvent rouge carminé au sommet.
Bois frais. — Été, automne.
Craterelle corne d'abondance. — Craterellus cornucopioides.
Nom vulgaire: Trompette des morts.
Voilà certes un champignon dont la forme est bien caractéristique, et qui lui a fait donner le nom de Corne d'abondance.
Figurez-vous un champignon mince, ayant la forme d'un entonnoir dont les bords seraient recourbés, ondulés et échancrés; cet entonnoir se prolonge en un tube qui s'amincit graduellement. Le chapeau est brun enfumé, ou gris noirâtre, couvert de petites écailles. L'hyménium (Voir chap. XI) est cendré, rugueux, et marqué de rides rameuses, peu saillantes.
Pousse en été-automne dans les bois frais, en troupes souvent nombreuses.
Ce champignon, en raison de son abondance et de la facilité avec laquelle on peut le conserver, par une simple dessiccation, mériterait d'être plus employé.
On pourrait l'appeler la truffe du pauvre; il a un peu l'aspect de cette dernière lorsqu'elle est coupée en tranches minces; il en a aussi un peu la saveur.
Bois frais. — Été, automne.
Craterelle corne d'abondance. — Craterellus cornucopioides.
— Comestible excellent. —
Image plus grandeVesse-loup gigantesque. — Lycoperdon giganteum.
Champignon globuleux, sphérique, ayant de 20 à 40 centimètres de diamètre et n'adhérant au sol que par une très petite racine; il est blanc ou blanc sale et le plus souvent satiné lisse, comme de la peau de gant, quelquefois son épiderme se fendille à la partie supérieure de manière à former des crevasses plus ou moins régulières.
Ce champignon a communément le volume de la tête d'un enfant; il n'est pas rare d'en trouver du poids de 4 à 5 kilos. Celui que représente notre planche avait la grosseur d'une très forte tête d'homme et pesait 4kg 900.
On le trouve en automne dans les friches, les pâturages, et même dans les jardins. Il est comestible étant jeune et lorsque la chair est encore blanche et ferme; plus tard il devient jaune, puis gris et se fend irrégulièrement, et sa chair, de blanche qu'elle était, devient jaune verdâtre, puis elle se transforme en une poussière brune.
Les Lycoperdons sont assez fréquents dans les bois ou les prairies; ils ont tous la forme d'une boule se prolongeant en un support qui adhère au sol.
Nous en citerons, pour l'instant, encore deux espèces, nous réservant d'y revenir plus tard.
Normalement, tous les Lycoperdons sont comestibles, mais peu estimés.
Friches, pâturages, jardins. — Été, automne.
Vesse-loup ciselée. — Lycoperdon cælatum.
Figure de droite de la planche.—Champignon ovale conique, en forme de poire, ayant de 10 à 12 centimètres de hauteur, rattaché au sol par une racine peu développée, blanc, puis fauve ou légèrement brunâtre, ordinairement couvert de verrues plus ou moins polygonales qui lui donnent un aspect ciselé. Ces verrues se détachent facilement.
A la maturité, ce Lycoperdon s'ouvre au sommet par un orifice qui laisse échapper les spores. La chair, qui est d'abord blanche et compacte, devient jaune verdâtre, puis brune, pour se résoudre en poussière qui s'échappe à la moindre pression.
Pousse en automne dans les friches, les pâturages. Comestible étant jeune et lorsque la chair est encore blanche.
Vesse-loup perlée. — Lycoperdon gemmatum.
Les 4 figures de gauche et du milieu de la planche. — Champignon ovale, mamelonné, se continuant en un pied un peu conique, long de 3 à 7 centimètres et couvert de petites éminences droites se détachant avec la plus grande facilité.
Commun en été, automne, dans les bois et les friches. Comestible dans les mêmes conditions que le précédent.
Bois, friches, pâturages. — Été, automne.
Vesse-loup ciselée. — Lycoperdon cælatum.
Vesse-loup perlée. — Lycoperdon gemmatum.
— Comestibles jeunes. —
Image plus grandePézize en coupe. — Peziza acetabulum.
Les Pézizes forment une importante famille du groupe des Discomycètes. Elles ont toutes plus ou moins la forme d'une coupe, munie ou non d'un pied. C'est dans l'intérieur de la coupe que se trouvent les spores, ces minuscules organes de reproduction qui, dans les Agarics, sont placés sur les feuillets et, chez les Bolets, dans les tubes.
On trouve de charmantes Pézizes un peu partout, sur la terre, sur le bois mort, sur les feuilles et aux endroits où l'on a fait du charbon. La variété de leurs couleurs est surprenante: il y en a de rouges, de jaunes, de violettes, de bleues, de vertes, etc. Aucune Pézize n'est vénéneuse, mais, en raison de leur petite taille, on ne fait usage que de quelques-unes d'entre elles.
L'espèce que représente notre planche a la forme d'une coupe, mince, fragile, grisâtre ou jaunâtre extérieurement, brun sombre à l'intérieur. Largeur: 3 à 5 centimètres; hauteur: 5 à 8 centimètres. Pied court épais, blanchâtre, creux, lacuneux, marqué de côtes saillantes, rameuses, qui se prolongent presque jusqu'au sommet de la coupe.
Pousse au printemps, à terre, dans les endroits un peu frais. Comestible.
Les Pézizes, tout au moins les grandes espèces, jouissent de la singulière propriété de projeter leurs spores sous la forme d'un nuage très visible.
Il suffit de secouer brusquement le champignon pour observer le phénomène.
Bois frais. — Printemps.
Pézize veinée. — Peziza venosa.
Nom vulgaire: Oreille de chat.
Champignon en forme de coupe, d'abord globuleux, puis étalé, souvent fendu sur les bords qui sont irréguliers: il est blanc jaunâtre extérieurement, et muni d'un pied court marqué de quelques côtes qui se prolongent un peu sur le champignon. L'intérieur de la coupe est d'un brun plus ou moins intense, garni de côtes ou veines qui lui donnent un aspect bosselé; son diamètre varie de 3 à 6 centimètres et plus.
Cette espèce, qui n'est pas rare au printemps, est fréquemment consommée sous le nom d'Oreille de chat.
Lorsqu'on veut manger des pézizes, il faut, comme pour les autres champignons, leur faire subir un nettoyage; mais ici tout se borne à enlever les parties qui pourraient être altérées, la base du champignon, ainsi que tout corps étranger qui pourrait y adhérer. En tout cas, il ne peut être question de les peler, comme cela a lieu pour les agarics, les bolets, etc.
Bois frais. — Printemps.
Morille comestible. — Morchella esculenta.
Tout le monde connaît la morille ou plutôt les morilles, car il y en a plusieurs espèces, toutes comestibles; mais celle dont nous voulons parler est à coup sûr la plus estimée. Elle est douée d'un parfum qu'on ne saurait trouver dans aucun autre champignon.
La Morille comestible est de deux nuances; il y a, comme disent les marchands, la jaune et la grise.
La jaune est généralement plus grosse, arrondie, de coloration un peu bistrée; les alvéoles (on appelle ainsi les enfoncements que l'on remarque sur la partie globuleuse du champignon) sont grandes, polygonales, irrégulières et disposées sans ordre.
Les semences ou spores des champignons se trouvent sur le bord des alvéoles. Le pied de la Morille est creux, blanchâtre, un peu cylindrique, marqué de sillons plus ou moins prononcés et couvert à sa partie supérieure d'une sorte de poussière écailleuse. Sa hauteur est toujours moindre que celle du chapeau.
Les principales variétés de la Morille comestible sont:
1o La Morille ronde, Morchella esculenta var. rotunda, dont nous venons de parler, et qui est représentée à gauche dans la planche;
2o La Morille grise, Morchella esculenta, var. vulgaris, figurée à droite, qui en diffère par sa forme plus allongée, moins globuleuse, sa couleur qui est grise, plus ou moins teintée de fauve et non de jaune, enfin par les alvéoles, qui sont sensiblement plus petites, irrégulières.
Cette variété est plus précoce que la première.
Bois, friches. — Printemps.
Morille conique. — Morchella conica.
Champignon de taille moyenne, plutôt petite, mesurant de 5 à 10 centimètres de hauteur, de couleur grise ou fauve. Alvéoles moins grandes que dans la Morille comestible, étroites, quadrangulaires, généralement disposées en séries régulières et limitées par des côtes épaisses.
Pied blanc plus court que la hauteur du chapeau, égal, couvert de petites écailles.
Ce champignon, bien reconnaissable à sa forme, se trouve dans les bois de conifères aux mêmes époques que les autres morilles, c'est-à-dire en avril et mai; il n'est pas très commun dans les environs de Paris.
Morille élevée. — Morchella elata.
Cette espèce de morille, qui se trouve représentée à gauche de la planche ci-contre, n'est pas sans analogie avec la Morille conique. Elle est cependant un peu plus haute, d'où son nom de Morille élevée; son chapeau est fauve olivacé ou grisâtre, cylindrique, un peu rétréci au sommet, qui est obtus et non conique.
Les alvéoles sont également disposées en séries régulières et séparées par des côtes transversales moins saillantes.
Pied blanchâtre ou jaunâtre, sensiblement égal, un peu plus court que le chapeau, sillonné et revêtu de petites granulations. Pousse également sous les arbres verts, mais paraît plus rare dans la plaine que dans la montagne.
Forêts, surtout de conifères. — Printemps.
Morille élevée. — Morchella elata.
Morille conique. — Morchella conica.
— Comestibles. —
Image plus grandeMorille semi-libre. — Morchella semi-libera.
Nom populaire: Morillon.
Ce champignon diffère totalement d'aspect des différentes morilles dont nous venons de parler, et l'on pourrait le caractériser ainsi: petit chapeau, grand pied.
Cette Morille a environ de 10 à 15 centimètres de hauteur. Le chapeau est court, conique, pointu, fauve brunâtre. Côtes longitudinales réunies par des veines, qui forment des alvéoles oblongues. Pied blanchâtre farineux, creux, d'abord court, puis s'allongeant beaucoup, et attaché au milieu du chapeau, d'où son nom de Morille à moitié libre.
Commun partout en avril-mai, dans les bois frais, surtout au voisinage des peupliers. On le consomme sous le nom de Morillon, à l'instar de la Morille; mais il est bien moins délicat.
Souvent le pied creux des morilles est habité par des Perce-oreilles ou Forficules, insectes de la famille des Orthoptères, qui fuient la lumière et sont absolument inoffensifs pour l'homme.
Nous conseillons à nos lecteurs, lorsqu'ils voudront manger le Morillon, de ne garder que le chapeau et de rejeter le pied.
Bois frais. — Printemps.
Helvelle lacuneuse. — Helvella lacunosa.
Noms vulgaires: Oreille de Judas, Mitre d'évêque.
Dans les Helvelles, le réceptacle (chapeau) est charnu, mince, lisse, irrégulier, sinueux, offrant quelquefois la forme d'une mitre ou d'une cornette; il est couvert extérieurement par les spores.
Le pied est uni ou lacuneux, creux ou rempli d'une substance cotonneuse. Dans l'Helvelle lacuneuse, le réceptacle est enflé, formé de deux à quatre divisions retombantes, adhérentes entre elles, cendrées, noires, ou noirâtres au-dessus, plus ou moins claires en dessous; pied lacuneux, blanc ou grisâtre.
Pousse en été-automne, dans les bois ombragés, le long des haies, au bord des routes, et comestible comme toutes les Helvelles.
Les Helvelles, de même que les Pézizes et les Morilles, font partie du groupe des Discomycètes.
Les spores sont également renfermées au nombre de huit dans des sacs allongés qui viennent s'ouvrir à la surface du réceptacle. Comme dans les Pézizes, on peut constater le petit nuage produit par la sortie des spores.
Bois ombragés, bord des routes. — Automne.
Helvelle crépue. — Helvella crispa.
Nom vulgaire: Oreille de chat blanche.
Les Helvelles, par leur forme bizarre, leur pied lacuneux sillonné et leur chapeau diversement contourné, sont un sujet d'étonnement pour celui qui les trouve une première fois. Par leur organisation, elles se rapprochent des Morilles.
Dans l'Helvelle crépue, le réceptacle est enflé, divisé, ondulé, contourné; les lobes sont d'abord attachés, puis libres, blanchâtres ou jaunâtres. Pied épais, complètement rempli de lacunes allongées, plus blanc que le réceptacle et haut de 6 à 10 centimètres.
Pousse en automne et en hiver, dans les bois, les gazons, le long des fossés, etc.; comestible comme toutes les Helvelles. L'Helvelle crépue offre plusieurs variétés dans lesquelles la teinte du réceptacle varie du blanc jaunâtre au fauve roussâtre.
Les Helvelles, en raison de leur constitution lacuneuse, demandent à être examinées avec le plus grand soin lorsque l'on veut en faire usage pour la cuisine; il suffirait d'un peu d'inattention pour être exposé à ingurgiter quelque bestiole qui se serait réfugiée à l'intérieur de ses cavités.
Bois ombragés, bord des routes. — Automne.
Truffe à spores noires. — Tuber melanosporum.
Noms vulgaires: Truffe du Périgord, Truffe des gourmets, Truffe violette, Rabasse, etc.
Les Truffes sont des champignons si connus que nous pourrions aisément nous dispenser d'en faire la description. On trouve dans le commerce des Truffes de provenances différentes, mais nous parlerons seulement de la Truffe du Périgord, la truffe par excellence, ainsi appelée parce que c'est surtout dans cette ancienne province qu'on la récolte en abondance pour l'expédier dans le monde entier.
La Truffe du Périgord, comme du reste toutes les autres espèces, se présente à nous sous la forme d'une masse irrégulièrement arrondie d'un noir brunâtre, de la grosseur d'une noix à celle d'une orange, mais on en trouve également de plus petites comme de plus grosses. La surface est couverte de verrues, appelées diamants, à six côtés, déprimées au sommet. La chair, d'abord blanche, passe ensuite au jaune, puis au brun de plus en plus foncé, pour devenir noir violacé à la maturité; elle est marbrée de veines blanches devenant finalement brun rougeâtre. La coloration de la chair provient des nombreuses spores noir violacé qu'elle renferme.
La Truffe vient presque exclusivement en terrain calcaire, de préférence en sol friable, dans les clairières où l'herbe est rare ou absente, notamment au voisinage de certains chênes appelés chênes truffiers et toujours sous le sol. Nous avons figuré, à gauche de la planche, un rameau de l'espèce principale dans le rayon de laquelle se plaît la Truffe du Périgord: c'est le Chêne pubescent ou Quercus pubescens. Quoique ce soit au voisinage des racines de cet arbre que l'on trouve le plus de truffes noires, on peut fort bien en trouver sous d'autres chênes.
La récolte se fait principalement de décembre à fin mars à l'aide de porcs, de préférence des truies dont l'odorat serait plus fin; moins souvent on emploie des chiens, du moins en Périgord. Ces animaux ont tous le don de sentir la truffe de loin, souvent à 40 mètres et au delà. Le rabassier, homme récolteur de truffes, ayant amplement nourri l'animal avant son départ pour la chasse, tient celui-ci retenu par une corde et le suit dans ses recherches à ras du sol. Dès que le porc enfonce son groin en terre, il lui assène un coup de son bâton ferré pour lui faire lâcher prise et déterrer à sa place le précieux tubercule. La récolte, extrêmement variable, peut atteindre jusqu'à 15 kilos dans une journée, mais c'est exceptionnel.
Le renard, le loup, le cerf, le chevreuil, l'écureuil et tous les autres rongeurs, de même que le chat, sont tout aussi friands de la truffe que le porc; quantité d'insectes, mouches et coléoptères y déposent leurs œufs, et leurs larves s'en nourrissent.
La Truffe, quoi qu'on puisse en penser, est un aliment non seulement facile à digérer, mais de nature à faciliter la digestion. Du moins, feu le professeur Chatin, qui a écrit un gros livre sur son compte, l'affirme, et Brillat-Savarin l'a énoncé avant lui.
Il y aurait bien des choses à dire encore, mais la place est limitée. Ceux qui sont curieux d'en savoir plus long n'ont qu'à consulter l'ouvrage de Chatin, qui leur donnera tous les détails voulus.
Midi de la France surtout. — Automne, hiver.
PARTIE II
Généralités.
CHAPITRE I
Qu'est-ce qu'un champignon? Notions générales sur les champignons.
Le mot champignon paraît provenir du latin Campus, qui veut dire champ, parce que les champignons croissent souvent dans les champs. Les Latins les nommaient Fungi, et chez les Grecs on les appelait Myxetes, dont on a fait mycètes, puis mycologie, qui veut dire science des champignons.
Pendant longtemps, les idées les plus fausses ont eu cours sur les champignons, et, de tout temps, le peuple, en voyant leur apparition rapide à certains endroits, a cru qu'ils provenaient spontanément des corps en décomposition, sans penser que, comme les autres végétaux, ils produisaient des semences destinées à leur propagation.
Rien n'est plus facile que d'en donner la démonstration. Prenons un champignon quelconque, le champignon de couche par exemple, que tout le monde connaît, plaçons-en le chapeau, après en avoir préalablement coupé le pied, sur un papier blanc: nous verrons au bout de quelques heures notre papier recouvert d'une couche brune, qui n'est autre que la réunion d'un nombre considérable de graines qui se sont détachées du champignon en question. Ces graines, mises dans des conditions convenables, peuvent germer et produire de nombreux filaments blancs, d'où pourra sortir, par la suite, un champignon de tous points identique à notre champignon de couche. Dans tous les champignons, quels qu'ils soient, on retrouve, à un moment donné, ces graines destinées à propager l'espèce. Ainsi donc les champignons rentrent dans la loi commune, ils se reproduisent de graines. Indépendamment du mode de reproduction par graines, qui est général pour tous les champignons, ces végétaux peuvent offrir d'autres modes de propagation, dont nous ne parlerons pas pour l'instant, si ce n'est pour rappeler le blanc de champignon, seul moyen employé pour se procurer rapidement le champignon de couche.
Les champignons, avons-nous dit, s'offrent à nous sous des formes si multiples, si variées, que souvent on a de la peine à les reconnaître comme tels, et, pour donner une idée de leur nombre, il nous suffira de dire que la seule description de toutes les espèces connues a fourni la matière de nombreux in-octavo.
Dans le peuple, on donne généralement le nom de champignons à ceux qui, comme les champignons de couche, les morilles, les bolets, les pézizes, les truffes, etc., se présentent à nous sous des formes très apparentes et facilement reconnaissables; mais il faut étendre cette qualification à une multitude d'autres formes, plus curieuses les unes que les autres, et dont l'organisation merveilleusement compliquée étonne l'observateur qui cherche à l'entrevoir. Cette structure n'est du reste visible qu'à un fort grossissement et nécessite l'emploi du microscope, ce qui explique qu'elle ne soit connue que d'un fort petit nombre de personnes.
Les moisissures qui apparaissent sur nos aliments: confitures, fromage, pain, etc., sont des champignons. Les organismes qui attaquent nos végétaux ou qui causent certaines de nos maladies sont également des champignons. Nous pourrions ajouter aussi que les ferments qui président dans notre corps à l'élaboration de nos aliments, ceux qui interviennent dans la fabrication du vin, du cidre, de la bière, etc., en sont aussi.
Comme on le voit, il n'est peut-être pas dans le monde végétal un groupe qui offre autant de diversité de formes que celui des champignons, et, même à notre époque, les savants ne sont pas d'accord sur ce point, de savoir si l'on doit faire rentrer certains organismes, soit dans les champignons proprement dits, soit dans les algues, soit même dans les animaux inférieurs! Ceci nous amène à rechercher ce que l'on doit entendre par champignon.
Ce qui caractérise les champignons quels qu'ils soient, c'est qu'ils ne renferment pas de chlorophylle, cette matière verte si abondamment répandue dans toutes les autres classes des végétaux. C'est là, on en conviendra, un caractère d'une extrême importance et facile à constater.
L'absence de chlorophylle chez les champignons implique un mode de nutrition tout à fait spécial; on sait en effet que dans les végétaux pourvus de chlorophylle, l'acide carbonique contenu dans l'air ou dans l'eau se trouve décomposé par la chlorophylle, et le carbone mis en liberté est assimilé par le végétal, pour servir à son édification. Dans les champignons, au contraire, il est absolument nécessaire que ces éléments hydrocarbonés se trouvent tout prêts à être absorbés, et c'est dans les matières organiques en décomposition qu'ils puisent les éléments nécessaires à leur constitution.
Nos lecteurs trouveront plus loin, chapitre IV, de plus amples renseignements sur ce sujet.
CHAPITRE II
Comment se forment les champignons. Organisation et développement.
Poursuivant nos investigations, nous allons constater que les champignons comportent le plus souvent deux sortes d'organes.
Une partie plus ou moins apparente et que l'on qualifie généralement du nom de champignon, se montrant au-dessus du sol, plus rarement se développant sous terre: c'est cette partie que l'on nomme le réceptacle (souvent le réceptacle porte plus spécialement le nom de chapeau); sa forme est excessivement variable; quelquefois elle est très volumineuse, comme par exemple dans la Vesse-loup géante (Lycoperdon giganteum, pl. 55), qui peut avoir 1 mètre et plus de circonférence, tandis que, dans d'autres cas, ses dimensions sont tellement réduites, qu'il est nécessaire de recourir au microscope pour en pouvoir distinguer la forme.
C'est le réceptacle qui porte les organes de reproduction, c'est-à-dire les graines (appelées spores), qui, placées dans des conditions favorables, germent et arrivent plus ou moins rapidement à reproduire le champignon.
Les spores de même que les réceptacles offrent une grande diversité de forme et de couleur; leur grosseur varie aussi énormément, et comme ces spores ont une grande fixité, elles offrent d'excellents caractères pour la classification.
L'autre partie du champignon est moins visible et moins variée que celle dont nous venons de parler, c'est la partie végétative du champignon. Dans les champignons proprement dits: agarics, bolets, morilles, etc., on lui donne généralement le nom de mycélium. C'est cette partie que l'on nomme blanc de champignon, dans le champignon de couche. Le mycélium est quelquefois très développé, comme dans les agarics, où il forme de grandes traînées, souvent blanches, qui s'étendent quelquefois fort loin. Le mycélium peut être assimilé à des racines, puisque c'est par son intermédiaire que le champignon adhère au support qui le nourrit. C'est sur ce mycélium que se développent à certains endroits les organes fructifères, c'est-à-dire le champignon proprement dit. Quelquefois le mycélium est très réduit et fort difficile à distinguer de l'appareil fructifère.
Le mycélium se présente souvent sous la forme de filaments très fins et très nombreux enchevêtrés, brillants, blancs ou d'une autre couleur; mais il a parfois un aspect tout différent: tantôt ce sont des sortes de lanières noires, coriaces, d'une grande longueur et plus ou moins ramifiées, que l'on appelait autrefois des Rhizomorphes. Ces lanières se trouvent fréquemment sous l'écorce des arbres malades. On le trouve aussi sous la forme de tubercules, plus ou moins gros, irréguliers, noirs extérieurement; on a donné à ce genre de mycélium le nom de sclérote. L'ergot de seigle notamment est un sclérote.
Le mycélium d'un champignon peut n'avoir qu'une durée éphémère, mais le plus souvent il est capable de vivre fort longtemps.
Bien des personnes ont eu certainement l'occasion de remarquer que certains champignons, surtout parmi les agarics, avaient une tendance à pousser en cercle. On trouve parfois de ces cercles de grandes dimensions et très réguliers; on leur a donné, dans les campagnes, le nom de cercle des sorcières. Cette curieuse disposition est due à ce que le mycélium a un développement centrifuge: nous allons expliquer en quelques mots comment les choses se passent.
Lorsqu'une spore germe, elle émet tout à l'entour de nombreux filaments très fins et enchevêtrés. Si les conditions de végétation restent favorables, la surface couverte par les filaments issus de la spore augmente peu à peu en s'éloignant à peu près également de leur point de départ qui est la spore, de manière à former une tache circulaire.
Dans la nature tout se passe ainsi, au moins dès le début, mais, par la suite, il arrive presque fatalement que ce développement en rond parfait se trouve entravé par des circonstances quelconques: il se produit alors des lacunes et le charme de la régularité cesse d'exister.
Mais le rôle du mycélium ne consiste pas simplement à se développer indéfiniment, et il doit donner des fruits, c'est-à-dire des champignons, tout comme un pommier, un poirier doivent donner des pommes et des poires, ou une plante quelconque donner des graines.
Or donc, à un moment donné, notre mycélium, issu d'une spore, donnera, s'il s'est trouvé dans des conditions favorables, des champignons qui, le plus souvent, viendront se montrer à la surface du sol, où ils jalonneront la présence du mycélium souterrain.
La première fructification se trouvera assez rapprochée du centre initial, c'est-à-dire de la spore, et comme dans bien des cas, par suite de l'homogénéité du sol où le mycélium s'est développé, cette fructification se produira régulièrement, nous aurons une série de champignons disposés circulairement.
Pour peu que ces conditions favorables se maintiennent quelques années, nous aurons successivement des cercles de plus en plus grands.
Comme la vie active du mycélium se porte toujours aux extrémités, le centre ne se trouvant plus nourri suffisamment, ne tarde pas à péricliter et à mourir: il en résulte que si l'on pouvait, au bout d'un certain temps de végétation, mettre à nu le mycélium, on constaterait, avec un certain étonnement, qu'il ne comporte plus qu'une bande circulaire plus ou moins large, dont la partie la plus vivace est à l'extérieur.
Ainsi donc, les parties périphériques seules restent vivaces et produisent les champignons, tandis que le centre s'épuise et meurt. On comprend sans peine que, chaque année, le mycélium s'éloigne davantage de son centre et occupe un cercle de plus grande dimension. Il nous est arrivé de trouver des cercles de Clitocybe nebularis (pl. 19), comprenant plus de soixante individus. Il est bon d'ajouter que le plus souvent, par suite des accidents de terrain, ou de circonstances peu favorables, le mycélium ne se développe pas d'une façon aussi régulière.
Les champignons, avons-nous dit, ne poussent pas aussi rapidement qu'on serait tenté de le croire et surtout dans l'espace d'une nuit, comme on l'a écrit. Le jeune champignon demande un temps relativement long, plusieurs jours au moins pour arriver à son entier développement, et encore faut-il que les conditions d'humidité et de chaleur soient favorables. Dans la culture du champignon de couche, ce n'est guère que quarante jours après la confection de la meule que les champignons commencent à se montrer, et la récolte peut durer près de trois mois. (V. art. 17 de L'Amateur de Champignons.)
Tout champignon, ne l'oublions pas, provient d'une graine ou spore; or cette spore peut germer aussitôt mûre et reproduire le champignon tout aussi rapidement, comme dans les ferments, les moisissures, etc., mais cette spore—et c'est le cas le plus fréquent—peut conserver son pouvoir germinatif pendant fort longtemps, et attendre le moment propice pour germer et continuer le cycle de son développement.
De même le mycélium peut, lorsque les conditions de végétation ne lui sont pas favorables, rester plusieurs années sans fructifier. A l'appui de notre dire, nous pourrions citer le Tricholoma panæolum que, pendant bien des années, nous n'avions pas retrouvé dans un bois fréquemment visité par nous, et que l'année dernière nous avons récolté en grande quantité. L'Oronge vraie (pl. 1), si recherchée des amateurs, est quelquefois introuvable certaines années; le mycélium existe bien, mais il lui est impossible, en raison du manque d'humidité ou de chaleur, de développer son champignon.
Les spores ou graines sont excessivement variées de grosseur, de forme et de couleur; elles peuvent être ovales, c'est-à-dire avoir la forme d'un œuf plus ou moins allongé, d'autres fois elles sont sphériques, ou bien elles se présentent à nous comme de petits bâtonnets, qui peuvent être courts ou très allongés, réguliers ou irréguliers, droits ou courbes; elles peuvent aussi affecter des formes géométriques très variées. Les spores peuvent être lisses ou diversement ornées, continues ou plus ou moins divisées à leur intérieur par des cloisons; leur contenu peut être homogène ou plus ou moins différencié. La couleur des spores peut être nulle, on dit alors qu'elles sont blanches, d'autres fois elles sont jaunes plus ou moins foncées, roses ou rouges, ochracées, couleur de rouille ou même noires.
Pour se rendre compte de la forme et de l'organisation des spores dans les champignons, on doit faire usage d'un microscope donnant un grossissement assez fort. Le groupement et la disposition des spores dans les champignons ne sont pas moins caractéristiques; on les trouve isolées, ou agglomérées en plus ou moins grand nombre, munies ou non d'un pied (les botanistes disent: pédicellées). Tous les caractères tirés de la spore ont été, en raison de leur constance, mis à profit dans la classification des champignons, où ils rendent les plus grands services.
CHAPITRE III
Composition chimique, coloration et odeur des champignons.
La composition chimique des champignons est en général plus simple que celle des autres végétaux. A part l'eau qui, dans beaucoup d'espèces, entre pour une très grande part (jusqu'à 90 pour 100), on trouve, dans les champignons, de la cellulose ou un principe hydrocarboné s'en rapprochant, des matières gommeuses et sucrées, des matières albuminoïdes et des sels; ajoutons aussi des matières grasses et colorantes.
Nous pourrions incidemment faire remarquer que l'on ne trouve pas d'amidon dans les champignons. On pouvait à priori le prévoir, puisque nous avons vu plus haut que ces végétaux ne renfermaient point de chlorophylle. Or comme ces deux substances s'accompagnent toujours, il ne peut y avoir d'amidon puisqu'il n'y a pas de chlorophylle.
Des principes sur lesquels nous devons nous arrêter un instant, en raison de leur importance, sont les principes toxiques. Tout le monde sait, en effet, qu'il y a des champignons que l'on ne peut consommer sans danger de mort ou de malaise; on a donné à ces champignons le nom de champignons vénéneux. Les amanites renferment bon nombre d'espèces vénéneuses et toutes celles qui sont mortelles.
Le principe toxique contenu dans les champignons est encore imparfaitement connu, et paraît différer suivant l'espèce de champignon dont il provient. C'est ainsi que, suivant certains auteurs, les amanites fourniraient de l'amanitine; d'autres savants verraient, dans les amanites, deux principes, la phalline et la muscarine. Les bolets, eux, renfermeraient de la bulbosine.
Quoi qu'il en soit, il semble avéré que le principe toxique des champignons est soluble dans l'eau bouillante, ou même dans l'eau salée après une macération suffisamment prolongée; cela explique que certaines personnes aient pu consommer sans inconvénient des champignons éminemment toxiques. Il est bon d'ajouter qu'avec un semblable traitement, le champignon perd la plus grande partie de ses qualités gustatives, et ne présente plus qu'un aliment insipide, voire même indigeste.
On trouve dans l'ergot de seigle (qui est un sclérote; voir chap. II) un principe toxique, l'ergotine, que l'on utilise avec succès dans la médecine.
Les champignons sont susceptibles de couleurs variées, souvent très vives. On trouve des rouges de toutes nuances, des jaunes, des bruns plus ou moins foncés; le violet n'est pas rare, tandis que la couleur verte est peu répandue. Toutes ces teintes sont dues à des liquides ou à des substances granuleuses contenus dans les cellules. Les teintes blanches, qui sont fréquentes, proviennent d'un jeu de lumière sur une ou plusieurs couches de cellules remplies d'air. Dans certains champignons, les bolets par exemple, la chair change de couleur lorsqu'on la brise au contact de l'air; il y a là probablement un phénomène d'oxydation.
Parmi les autres propriétés des champignons, nous pouvons signaler leur odeur. Tous, plus ou moins, il est vrai, en ont une qui leur est propre: c'est l'odeur de champignon. A part celle-ci, qui se retrouve à peu près partout, à un degré plus ou moins accentué, on en trouve qui sont doués d'une odeur tout à fait spéciale, quelquefois agréable, mais pouvant être aussi repoussante: il y en a qui sentent la farine, le savon, l'ail, etc.
Indépendamment de l'odeur, les champignons ont souvent une saveur très caractéristique; ainsi certains lactaires sont très âcres, d'autres ont une saveur salée ou poivrée.
Quelques champignons, parmi lesquels nous citerons le pleurote de l'olivier (Pleurotus olearius), jouissent de la singulière propriété d'être lumineux dans l'obscurité; d'après des recherches récentes, cette phosphorescence serait due à des bactéries.
CHAPITRE IV
Du rôle des champignons dans la nature.
Les champignons forment parmi les végétaux un groupe très important qui a été surtout étudié au point de vue taxonomique et biologique. Mais si l'on connaît maintenant la description des nombreuses espèces réparties sur les continents, si pour beaucoup d'entre eux on a pu déterminer les conditions de leur existence, il semble qu'on a quelque peu omis de mettre en lumière le rôle qui leur est dévolu dans l'économie de la nature.
Le public, en effet, n'envisage généralement en toutes choses que le côté purement utilitaire, et si l'on se borne à apprécier les champignons à ce point de vue, il faut bien reconnaître que de prime abord ils paraissent d'une importance relativement minime.
Comme aliments ils peuvent être consommés en nature au même titre que bien d'autres végétaux, mais en général ils ne sont pas considérés comme des aliments proprement dits, et indispensables à notre existence. Ce sont plutôt, «étant bien entendu qu'il ne s'agit que d'un petit nombre d'espèces prises parmi les champignons supérieurs», des condiments qui satisfont plus notre palais que notre estomac, et dont on peut se passer aisément. Au reste, le nombre de gens qui consomment des champignons est infime relativement au chiffre des humains.
Indirectement, ils ont une utilité plus grande dans certains cas où ils interviennent en dehors de nous, pour provoquer des transformations qui sans eux ne pourraient se produire.
Dans beaucoup de fermentations, ce sont eux qui sont les agents des modifications chimiques qu'ils effectuent en raison d'une force catalytique dont l'appréciation nous échappe. Ainsi la transformation des jus sucrés et principalement du jus de raisin, dans la fabrication du vin, en est un exemple. Sous l'influence d'un champignon, qui se trouve très répandu dans la nature, et en particulier au voisinage des grains de raisin, le jus sucré qui en provient sert de liquide nutritif au mycoderme qui, trouvant là tous les éléments utiles à sa nutrition et à sa reproduction, se multiplie à l'infini.
Ce ferment a la propriété de dédoubler le sucre de raisin en alcool et acide carbonique. Le phénomène continue à se produire tant qu'il reste du sucre non décomposé. En même temps que se produisent ces réactions, le ferment se multiplie considérablement et finalement le liquide restant contient peu ou pas de sucre et une certaine quantité d'alcool.
Ce que nous venons de dire pour le jus de raisin, nous pourrions le répéter pour d'autres liquides organiques: c'est ainsi que la fabrication de la bière est liée à la présence et à la multiplication d'un champignon intervenant comme ferment. Si les champignons sont parfois utiles à l'humanité, indispensables même, il arrive souvent qu'ils sont la cause de fléaux véritables.
Tout le monde sait que nos plantes cultivées, et surtout celles qui nous sont indispensables, sont souvent attaquées et détruites par ces végétaux, au point de constituer parfois un véritable désastre. L'homme est obligé de lutter contre ces infiniment petits, et souvent il le fait sans grand résultat: heureusement que ces calamités, après avoir pris une extension considérable, disparaissent presque complètement pour reparaître plus tard en d'autres lieux.
A quoi est due cette disparition providentielle, on l'a en vain cherché, et l'on en est réduit à des hypothèses. Peut-être que ces germes infimes, qui sont répandus partout, se développent en grand nombre, lorsque les conditions ambiantes leur sont favorables, de même qu'ils sont incapables de proliférer si les conditions climatériques leur sont contraires.
Si nous considérons les champignons au point de vue de leur utilité pratique, nous constaterons que leur rôle est assez effacé, au moins les grandes espèces. Il en est autrement pour celles d'organisation très simple, et si nous avons cité tout à l'heure leur intervention dans la fabrication du vin et de la bière, nous pouvons ajouter que l'industrie s'est emparée de quelques-uns d'entre eux pour en faire l'objet d'un commerce important.
On fabrique actuellement des quantités considérables de levures qui trouvent leur emploi dans la boulangerie, la pâtisserie, etc., et cette fabrication permet en même temps de recueillir de l'alcool et de l'acide carbonique qu'on liquéfie et qui lui aussi trouve son emploi. Les matières premières que l'on met en jeu sont principalement le maïs et le blé, c'est-à-dire l'amidon.
Dans ces réactions il est facile de se rendre compte de l'action désorganisante des champignons, qui, si simples qu'ils soient, désagrègent avec une surprenante rapidité les matières amylacées qui constituent la majeure partie des matériaux mis en présence.
L'homme tire un parti direct ou non de ces transformations, soit pour sa nourriture comme dans la fabrication du pain, soit tout autrement.
En médecine, les champignons n'ont qu'un emploi assez restreint: on fabrique, avec certains polypores, de l'amadou qui sert couramment à arrêter les petites hémorragies; le seigle ergoté ou ses dérivés jouissent toujours de la faveur des médecins. Quant au polypore du mélèze dont on employait la poudre pour combattre les sueurs des phtisiques, il paraît avoir perdu de son prestige.
Si les champignons ne nous sont pas d'un grand secours pour guérir nos maladies, ils sont souvent la cause d'affections graves, tant chez l'homme que chez les animaux: il nous suffira de citer les différentes teignes, l'actinomycose, le muguet dans l'espèce humaine; la muscardine, les cordyceps, etc., chez les insectes; nous mentionnerons aussi les levures pathogènes, les mucors, les aspergillus, etc.
Les végétaux, quels qu'ils soient, sont eux aussi, comme les animaux, exposés aux atteintes de ces cryptogames. Quand ils sont vivants, ils peuvent être attaqués par des espèces parasites qui abrègent plus ou moins la durée de leur existence; mais c'est surtout lorsqu'ils ont cessé de vivre, qu'ils deviennent fatalement la proie d'une multitude d'espèces qui les désorganisent plus ou moins rapidement.
Dans cette lutte incessante entre la matière organique et ces infiniment petits qui cherchent à la réduire en ses éléments, il s'établit malgré tout un certain équilibre, qui est dû d'une part à l'énergie productrice de la nature et ensuite à l'action désorganisante des champignons: on pourrait dire que celle-ci fait de la synthèse, alors que les autres procèdent par analyse.
Supposons par exemple que certains organismes viennent à disparaître ou simplement à diminuer sensiblement, les parasites qui vivaient à leur détriment disparaîtront également en partie ou en totalité, et alors d'autres espèces trouvant le champ libre, en profiteront pour s'accroître dans une proportion plus grande, mais alors surviendront d'autres parasites qui pulluleront en présence de matériaux à leur convenance, et qu'ils s'empresseront de détruire de façon à les ramener à des proportions plus en rapport avec l'harmonie de la nature.
Dans cette œuvre de destruction et de transformations, les bactéries, appelées improprement microbes, aident puissamment les champignons, et dans certains cas, elles semblent même les précéder ou accomplir seules cette disparition nécessaire. Nous avons vu que les champignons se trouvent partout et en nombre souvent très grand, sinon sous la forme végétative, tout au moins sous celle de spores, lesquelles n'attendent qu'une occasion favorable pour entrer en végétation.
Que l'on prenne la plus petite parcelle de poussière et l'on y trouvera des germes de ces micro-organismes: l'air lui-même en transporte à tout instant des myriades. Rien donc d'étonnant à ce que, à un moment donné, et sur une surface quelconque de notre globe, il ne se développe en nombre considérable tout ou partie de ces germes que les courants ont pu apporter; et comme le dit le docteur F. Plicque, dès qu'un malade devient très cachectique, l'oïdium de la bouche apparaît presque forcément, ses spores étant répandues partout.
Un caractère essentiel et spécial à tout champignon qui se développe, c'est le besoin impérieux de détruire; c'est, dans toute l'acception du mot, le quærens quem devoret: jamais d'arrêt, il mange continuellement, bien plus, il dévore: plus il consomme, plus il se développe, et plus il se développe, plus il consomme. C'est un travailleur infatigable qui jamais ne chôme.
Nous avons dit que les champignons sous de multiples aspects étaient répandus partout, mais ce n'est que sous la forme végétative qu'ils sont actifs. La spore, elle, ne peut rien si ce n'est le plus souvent se conserver intacte pendant très longtemps, et se tenir prête à germer, de même qu'un bourgeon peut, dans les plantes supérieures, rester à l'état latent pendant des années, si les circonstances ne lui permettent pas de se développer.
Dès que la spore germe, commence son rôle destructeur, elle émet un organe particulier, d'abord simple prolongement qui ne tarde pas, sous l'influence des éléments nutritifs qu'il s'assimile, à s'allonger considérablement, à se ramifier de mille façons et souvent aussi à se cloisonner.
D'abord d'une structure très simple, le mycélium issu de la spore peut prendre des aspects et des contextures fort différentes. Tantôt ce sont des filaments blancs ou de couleur pâle, libres et ramifiés à l'infini; tantôt les filaments primordiaux se réunissent sous la forme de lanières ou de cordons de teinte noirâtre, ou encore de nodules plus ou moins gros, auxquels on a donné le nom de sclérotes.
Le mycélium se développe souvent dans le sol où il trouve en abondance les éléments organiques et minéraux nécessaires à son existence; mais, pour certaines espèces, il envahit également les plantes ou les animaux, qu'ils soient vivants ou non. En un mot, il s'attaque à tous corps organisés ou simplement organiques.
Dans tout organisme contaminé, il se développe d'autant plus abondamment que les tissus attaqués lui fournissent en plus grande quantité les éléments qui lui sont nécessaires, et rapidement ils sont dissociés, désagrégés et réduits en leurs particules les plus simples, qui en tout ou partie se prêteront à de nouveaux groupements.
Nous avons tous les jours dans la nature des exemples de ces phénomènes en considérant les végétaux ou les débris d'origine animale qui subissent ce que nous appelons vulgairement la pourriture.
Pour prouver que leur destruction est bien due aux champignons, et aussi, comme nous l'avons dit plus haut, aux bactéries, il suffit de les soustraire à l'action directe de ces derniers, et alors ils se conservent indéfiniment. Pasteur a depuis longtemps démontré que les liquides les plus altérables, les corps les plus sujets à se putréfier, se conservent très bien, si on les prive des germes qu'ils contenaient par une température suffisamment élevée.
Par contre, si dans ces mêmes liquides on introduit à nouveau des germes provenant de l'air ou d'ailleurs, ils ne tardent pas à s'altérer.
Il existe de ces micro-organismes d'une simplicité telle, qu'ils sont réduits à une seule cellule: là, pas de mycélium proprement dit, mais seulement une spore, qui, si elle se trouve dans des conditions favorables, se multiplie avec une étonnante rapidité, comme nous l'avons vu pour les levures, mais toujours en décomposant les matériaux organiques avec lesquels elle se trouve en contact.
La nature étant sans cesse en voie de production animale ou végétale, la surface de la terre ne tarderait pas à être encombrée au point que tous les êtres créés finiraient par ne plus pouvoir y trouver place. Il y a bien un correctif à cette production sans cesse renaissante de corps organisés; puisque tout ce qui naît doit, après un certain laps de temps, cesser de vivre: mais il ne suffit pas qu'un organisme vienne à mourir pour qu'il cesse d'être encombrant; car lui mort, il ne s'en suit pas qu'il se résolve en ses éléments constitutifs, et s'il ne fallait compter que sur les agents atmosphériques pour hâter leur décomposition, et par suite leur disparition, il faudrait un temps fort long.
N'a-t-on pas trouvé au fond des lacs, des tissus, des baies, des fruits, etc., qui y séjournaient depuis des milliers d'années et qui étaient en parfait état de conservation: et ce chêne qui a été retiré presque entier du Rhône après un séjour fort long.
On sait fort bien maintenant que si les végétaux ou les débris animaux se détruisent avec une très grande rapidité, cela est dû pour une part importante à la présence des champignons, aidés évidemment par des conditions de chaleur et d'humidité, sans lesquelles dans bien des cas ils cesseraient d'être actifs.
Quelquefois ce rôle paraît dévolu à un petit nombre d'individus, voire même à un seul, bien visible à un moment donné: mais il est rare que seul il puisse mener à bien son œuvre; il travaille pour son compte, mais aussi il prépare le terrain pour d'autres qui parachèveront le travail déjà fort avancé.
Il nous souvient d'avoir visité une partie de la forêt de Compiègne toute peuplée de hêtres d'un âge respectable, et qui par suite se trouvaient moins résistants à l'envahissement des parasites. Le moindre accident mettait à nu l'une quelconque de leurs parties, par laquelle se glissait l'intrus, qui, une fois dans la place, ne tardait pas à s'infiltrer dans les tissus de ces géants, et à les dévorer, c'est le cas de dire tout vivants.
La présence du coupable se révélait à l'extérieur par les parties fructifères qui venaient s'y épanouir sous la forme de polypores. Il n'était pas rare de voir sur un seul arbre six à huit chapeaux de grande dimension. Un arbre ainsi infesté est un arbre condamné; son bois perd toute cohésion, le moindre coup de vent suffit à le renverser, et peu à peu il se désagrège sur place, pénétré qu'il est dans toutes ses parties par le mycélium du parasite.
Il est des bois, le chêne par exemple, qui offrent à l'envahissement des champignons une résistance plus grande, mais s'il faut plus de temps pour les détruire, le résultat n'en est pas moins le même.
S'agit-il d'un tissu animal, les choses ne se passent pas autrement, et si les parasites qui s'y implantent sont de nature différente, s'ils sont aidés par d'autres organismes au nombre desquels se trouvent les bactéries, ils arrivent au même but, à cela près cependant que leur action est plus rapide, car ces tissus étant ordinairement moins cohérents que ceux des végétaux, la pénétration y est beaucoup plus facile.
Les idées que nous venons d'exposer sont sans doute venues à l'esprit de nombreux naturalistes, mais nous ne croyons pas qu'ils y aient attaché toute l'importance qu'elles méritent.
Les frères Tulasne dont on connaît les admirables travaux sur les champignons, et qui s'en sont occupés aussi bien au point de vue philosophique que taxonomique, s'expriment ainsi:
«Dès qu'un végétal quelconque, herbe, fruit, arbre, voire même une minime partie de l'un d'eux cesse de vivre, il reçoit tout aussitôt comme hôtes des champignons dont les légions se succèdent les unes aux autres, croissent et multiplient d'autant plus abondamment, que cet organisme lui-même est détruit plus rapidement et consommé par la putréfaction, jusqu'à ce qu'il soit complètement épuisé et converti en humus d'où naîtra ensuite une végétation de plantes plus élevées en organisation.
«En cela les champignons sont aidés surtout par l'air, la pluie, la chaleur et d'autres éléments tant physiques que chimiques, sous l'influence desquels les corps organiques morts se désagrègent peu à peu et se détruisent.
«Pour ce qui regarde les champignons parasites dans les corps vivants des animaux ou des végétaux, ils remplissent la même fonction que pour les organismes morts, et ils le font avec une hâte plus grande.»
Puis, un peu plus loin:
«Quel que soit l'état de nos connaissances sur les fonctions des champignons dans l'économie de la nature, tout démontre que leur grand nombre est sensiblement égal en tous lieux, ainsi que leur utilité.»
Pas plus dans les passages que nous venons de citer, que dans les autres parties de leur Carpologia, les frères Tulasne ne nous semblent indiquer le rôle important et modérateur qu'ils jouent dans les productions de la nature, et cependant n'est-il pas clairement indiqué à nos yeux dans les cultures que l'homme entreprend?
Il est de notoriété que les maladies se déclarent de préférence dans les agglomérations, qu'elles soient animales ou végétales. Il semble qu'une force invincible pousse ces organismes infimes à réduire des collectivités trop nombreuses, en vertu de ce que l'on pourrait appeler la loi de l'équilibre.
Étant donné la diversité des corps organisés qui existent sur notre globe, et la nécessité qu'il y a de les voir se résoudre en leurs éléments, afin qu'ils puissent être remplacés par d'autres, on comprend que les champignons doivent être excessivement variés, non seulement de formes mais aussi d'exigences biologiques. En effet, s'il n'existait que quelques types ayant à peu près les mêmes besoins, bien des organismes pourraient échapper à leur action dissolvante, et leur disparition ne serait nullement assurée, ce qui est contraire aux lois de la nature.
Cette manière de voir se trouve confirmée par l'étude biologique des champignons: il n'est pas besoin d'être très versé en mycologie pour savoir combien ils offrent de diversité et combien sont variées leurs exigences. Telle espèce par exemple ne pourra accomplir sa période végétative que sur un sujet déterminé: Quelquefois même une partie seulement de son développement devra s'effectuer sur tel support, alors qu'il lui sera nécessaire de trouver un autre habitat pour achever le cycle normal de son évolution. On pourrait presque dire que chaque organisme végétal ou animal a son parasite.
Pour que ces végétaux puissent remplir leur rôle dans l'économie de la nature, il leur faut répondre à deux conditions: la première comporte la germination de la spore, qui donnera naissance au mycélium qui en est la partie importante: la deuxième condition à réaliser est que ce mycélium trouve dans son voisinage, les éléments nutritifs dont il a besoin pour se développer suffisamment et donner à son tour la spore.
Il arrive souvent que l'une de ces deux conditions, ou même toutes les deux, ne se trouvent pas remplies, et alors le champignon finirait par disparaître si la nature prévoyante n'avait accordé à ces végétaux de nombreux modes de propagation accessoires. En outre, en vertu d'une loi qui trouve aussi son application dans d'autres branches de l'histoire naturelle, elle a multiplié les spores en raison de leur chance de destruction ou de non-germination.
Il n'est pas difficile en effet de constater que les champignons produisent des spores en quantités innombrables, mais combien peu arrivent à reproduire l'espèce! De plus, comme nous le disions plus haut, des organes accessoires tels que les conidies, les spermaties, etc., sont susceptibles eux aussi, dans certaines conditions, de propager le végétal.
Quant au mycélium proprement dit, il offre un des modes les plus simples de propagation, puisqu'il suffit d'une très faible partie de sa substance pour assurer la pérennité de l'espèce: de plus, il jouit le plus souvent de la propriété de se conserver longtemps, et d'attendre patiemment le moment propice pour s'accroître.
En tant que matériaux organiques, les champignons comme tous les autres végétaux qui existent sur notre globe, sont susceptibles de se nuire les uns aux autres, et ils ont eux aussi leurs parasites, qui les attaquent, les dissocient et les résolvent en leurs éléments.
Nous pensons pouvoir, par ce qui précède, conclure que les champignons et aussi les bactéries, qui, il n'y a pas bien longtemps encore, faisaient partie de la même classe, sont utiles, indispensables même à l'économie de la nature. Ce sont eux qui étant doués par essence de propriétés destructives, sont chargés de faire disparaître les agglomérations organiques devenues inutiles ou trop nombreuses. Ils s'attaquent aussi bien aux êtres vivants qu'à ceux qui sont morts, assurant en cela une juste proportionnalité entre toutes les productions qui existent sur notre globe.
CHAPITRE V
Distribution géographique des champignons.
On peut dire d'une façon générale que les champignons se trouvent sur toute la surface du globe; cela n'a rien d'étonnant, si l'on veut bien se rappeler que les champignons vivent aux dépens de la matière organique, mais il faut que cette matière organique, qui est nécessaire à leur développement, se trouve dans certaines conditions de chaleur et d'humidité; or, ces trois conditions peuvent se trouver réalisées partout, au moins à un moment donné.
Bien que l'on soit loin d'être fixé sur les richesses mycologiques du globe, on est porté à croire que les champignons, au moins les champignons supérieurs, sont plus abondants dans les pays dont le climat est tempéré et humide.
Fries, savant mycologue suédois du siècle dernier, admet deux zones pour la végétation fongique: l'une tempérée, où l'on trouve en grand nombre des espèces charnues, l'autre tropicale, qui serait la patrie des espèces ligneuses ou carbonacées. Comme indication générale, et pour une même région, les parties boisées et accidentées sont plus riches en champignons que les parties plates et découvertes; cela semble dériver de ce fait que les parties couvertes conservent mieux leur humidité. Il y aurait lieu également de tenir compte, pour les parties boisées, des essences d'arbres qui peuplent les forêts et de la quantité plus grande de matières organiques en décomposition qui s'y accumule continuellement.
Il résulte de ce qui précède que les mêmes conditions de substratum[2] pouvant exister dans des pays fort éloignés les uns des autres, on s'explique aisément que l'on puisse retrouver les mêmes espèces dans des régions fort distantes. Il est bon d'ajouter cependant que certains pays ont des espèces qui leur sont propres, et que l'on chercherait vainement ailleurs. Ainsi, l'Italie est la patrie du Polypore tubérastre et de certaines espèces de tubéracées.
Pour une même région, même très étendue, la flore mycologique ne varie pas sensiblement sur les différents points du territoire; en France, par exemple, on peut retrouver dans le Midi des espèces habituelles au Nord, lorsque, bien entendu, les conditions climatériques et de substratum se trouveront les mêmes; et, inversement, certaines espèces plus spéciales au Midi pourront remonter vers le Nord. C'est ainsi que l'Oronge vraie peut se trouver, en France, au nord de Paris, dans des endroits bien exposés au soleil.
Bien que l'on puisse trouver des champignons toute l'année, c'est surtout au printemps et à l'automne qu'ils se montrent en plus grande quantité. Il est des années où certaines espèces sont d'une abondance extraordinaire, qu'on ne peut récolter, ou à peine, les années suivantes. Ce que nous disons s'applique aussi bien aux champignons inférieurs qu'aux grandes espèces; il n'est pas rare, en effet, de voir nos plantes cultivées, la vigne, par exemple, les pommes de terre ou les céréales, envahies par des champignons qui compromettent plus ou moins la récolte, et qui laissent craindre pour l'année suivante une extension plus grande de la maladie; or, on constate généralement que non seulement il n'y a pas accroissement de la maladie, malgré le nombre incalculable de spores répandues partout, mais bien disparition presque complète du fléau. On est en droit de se demander si les conditions atmosphériques n'ont pas suffi à enrayer la contagion.
Nous pensons que l'altitude n'a pas une grande influence sur la localisation des espèces; il en est probablement des champignons comme des autres végétaux, l'altitude permet souvent aux plantes de trouver un milieu plus favorable à la végétation de certaines espèces et rien de plus. Ne voit-on pas des plantes réputées montagnardes vivre et prospérer presque au niveau de la mer lorsqu'elles y trouvent les conditions d'ambiance qui leur sont nécessaires; il y a tout lieu de croire qu'il en est de même pour les champignons.
CHAPITRE VI
Comment traiter les empoisonnements par les champignons?
Les estimations les plus scientifiques établies évaluent à plus de dix mille par an le nombre des personnes empoisonnées par les champignons. Évidemment, tous ces cas ne sont pas suivis de mort, pas plus que dans la bataille la plus meurtrière on ne voit succomber tous les blessés. Il n'en est pas moins vrai que beaucoup de victimes de ces intoxications fongiques sont gravement ou mortellement atteintes, et que les empoisonnements par les champignons peuvent être considérés comme un danger public, redoutable à l'égal d'une véritable épidémie que ramènerait chaque automne.
La ponctualité désespérante avec laquelle reparaissent tous les ans, dans les quotidiens, le récit d'intoxications de ce genre, est vraiment de nature à mettre en doute l'utilité des efforts de vulgarisation tentés pour répandre la connaissance des quelques espèces fongiques véritablement mortelles. La rubrique «empoisonnements par les champignons» n'est donc pas près de disparaître des faits-divers.
Devant la persistance de cet état de choses, il nous semble utile de donner des indications détaillées sur les symptômes de l'empoisonnement et le traitement rationnel qui, appliqué à temps, permettra de diminuer le nombre des victimes.
1o Qu'est-ce qu'un champignon vénéneux?
Le public confond sous cette appellation toutes les espèces nuisibles à un degré quelconque, ou même supposées nuisibles, a priori par leur aspect, leur odeur, leur lieu de récolte, etc. Or, en ne considérant même que les champignons dont la nocivité est prouvée, il y a des différences très marquées dans le pouvoir toxique des espèces. Nous pouvons, à ce point de vue, classer les champignons en trois catégories:
A.—Tous les empoisonnements suivis de mort sont produits par trois ou quatre espèces, toujours les mêmes. Au premier rang, l'Amanita phalloides qui produit à elle seule peut-être 95 % des cas mortels signalés en France; puis l'Amanita citrina et sa variété mappa, l'Amanita verna, les Volvaria speciosa et gloiocephala. Ce n'est pas que ces quatre dernières soient des poisons moins actifs que l'Amanita phalloides; mais elles sont moins souvent en cause, soit parce que leur odeur désagréable empêche de les consommer (comme c'est le cas pour l'Amanita citrina et l'A. verna), soit parce qu'elles sont moins répandues (A. verna, Volvaires). Toutes les espèces dont nous venons de parler peuvent être qualifiées de Champignons mortels.
B.—D'autres espèces, également très communes, sont capables de provoquer, chez ceux qui les ont consommées, des accidents à la vérité très graves, mais non mortels. Il y a des troubles gastro-intestinaux, avec vomissements répétés et diarrhée, accompagnés de troubles de l'intelligence (délire gai ou furieux); mais les symptômes s'amendent promptement, et la guérison survient en trois ou quatre jours. C'est le cas pour la Fausse-Oronge (Amanita muscaria) et la Fausse-Golmotte (Amanita pantherina). Nous qualifierons ces deux espèces de Champignons dangereux.
C.—Enfin certains autres champignons ne provoquent, chez les personnes qui les ont ingérés, que des troubles analogues à ceux d'une violente indigestion (angoisse, sueurs froides, nausées, vomissements et diarrhée). Tels sont l'Entoloma lividum, diverses Russules, etc., et même, pour certaines personnes sensibles, des espèces que beaucoup de gens à l'estomac plus robuste consomment impunément. La guérison de ces accidents—qui se traitent comme une banale indigestion—est complète au bout de vingt-quatre heures. Il ne saurait vraiment être ici question d'empoisonnement. Aussi appellerons-nous les espèces qui produisent ces accidents Champignons suspects.
2o Quelle est la nature du poison?
Nous n'aurons donc à nous occuper que des empoisonnements produits par les champignons mortels (A) et les champignons dangereux (B). La séparation bien tranchée qui existe entre les deux catégories tient à ce que, de part et d'autre, la nature du poison contenu dans les champignons n'est pas la même.
A.—Dans les champignons mortels (Amanita phalloides, citrina, verna, Volvaires), il existe une substance à laquelle le toxicologue allemand Kobert, qui la découvrit dans l'Amanita phalloides (1890), donna le nom de phalline. Ce principe actif est soluble dans l'eau, et n'est pas détruit par l'ébullition; il n'a rien de commun avec les albuminoïdes, car il ne précipite pas les réactifs de ces substances. Il semble que l'on puisse le comparer à certaines toxines microbiennes.
La phalline possède la redoutable propriété de dissoudre les globules du sang, c'est-à-dire de détruire les petits corpuscules arrondis qui renferment la matière rouge (hémoglobine) de ce liquide. Au moment où le sang circule dans le poumon, l'oxygène de l'air se fixe sur les globules vivants, et est ainsi transporté dans tout l'organisme; si les globules sont détruits, cette fixation et ce transport ne peuvent plus avoir lieu, et la mort s'ensuit. Si l'on considère qu'il ne faut pas plus de 7 à 8 milligrammes de phalline par litre de sang pour en détruire tous les globules, on comprendra que les quelques centigrammes de poison contenus dans un seul exemplaire d'Amanita phalloides suffisent à abolir en quelques heures toutes les propriétés vitales du sang d'un être humain.
B.—Dans les champignons dangereux (Amanita muscaria) existe au contraire un alcaloïde cristallisable, nommé muscarine par Schmiedebert et Koppe qui l'isolèrent en 1870 de l'Am. muscaria. Ce corps agit sur le cœur et le tube digestif, mais n'a aucune action sur les globules du sang; il s'élimine assez rapidement par les urines et par l'intestin, et paraît n'être jamais ingéré en quantité assez massive, dans les champignons, pour produire des lésions irrémédiables.
3o Quelle est la nature des symptômes?
A ces deux sortes de poisons, phalline et muscarine, correspondent deux catégories différentes de symptômes, qui forment deux ensembles de phénomènes bien distincts. On peut donc immédiatement, à la seule inspection du malade, et en interrogeant l'entourage, reconnaître à quelle catégorie de champignons est dû l'empoisonnement.
A.—Avec les champignons à phalline ou champignons mortels (A. phalloides, citrina, verna, Volvaires), les premiers symptômes apparaissent tardivement, c'est-à-dire dix ou douze heures après le repas fatal; il y a des éblouissements, de l'anxiété, auxquels succèdent des crampes et des brûlures d'estomac, avec sensation d'étranglement et de soif ardente. Bientôt surviennent des sueurs froides, des vomissements violents, puis une diarrhée extrêmement fétide parfois mêlée de sang. La région de l'estomac est tellement sensible qu'on ne peut la toucher sans faire pousser des cris au patient. Le foie est volumineux et dur, le bas-ventre est protégé par les cuisses repliées; les urines sont supprimées ou parfois rares et d'un brun acajou; le teint est celui d'un malade atteint de jaunisse.
Au bout de quelques heures le patient paraît soulagé, et s'assoupit pendant une heure ou deux. Mais une crise plus violente le réveille, pour être de nouveau suivie d'accalmie; il y a ainsi plusieurs alternatives de rémission et de douleurs. L'état général va s'aggravant; bientôt on observe des troubles des mouvements, de la paralysie, des syncopes, un affaiblissement graduel du pouls. Finalement le malade s'éteint par arrêt du cœur.
B.—Avec les champignons à muscarine ou champignons dangereux (Am. muscaria, pantherina), rien de pareil. Les symptômes débutent de très bonne heure (une heure à quatre heures au plus après le repas de champignons) et rappellent ceux de l'intoxication alcoolique; il y a d'abord du délire gai ou furieux, des douleurs stomacales vives, avec vomissements et diarrhée. Dès lors, le poison est éliminé; le malade s'endort d'un pesant sommeil, au sortir duquel il n'a plus conservé des événements précédents qu'un souvenir confus.
Le tableau ci-dessous permettra de saisir d'un coup d'œil la
différence entre les symptômes des deux empoisonnements:
A.—Empoisonnement phalloïdien.
(Champignons mortels.)
Symptômes tout particuliers.
Début après dix-douze heures,—silencieux.
Éblouissements, vertiges, intelligence conservée.
Vomissements et diarrhée tardifs.
Foie gros et très douloureux au toucher.
Urines rares et fortement colorées.
Alternatives de mieux et d'aggravation pendant plusieurs jours.
Affaiblissement graduel et mort.
B.—Empoisonnement muscarinien.
(Champignons dangereux.)
Symptômes rappelant ceux de l'intoxication alcoolique.
Début après une à quatre heures,—bruyant.
Délire gai ou furieux.
Vomissements précoces et répétés. Diarrhée.
Foie normal, non douloureux.
Urines supprimées.
Pas de rechutes, amélioration rapide et progressive.
Guérison en deux ou trois jours.
4o Quels sont les remèdes à employer?
Dans un cas donné, la comparaison des symptômes observés avec ceux que nous venons de décrire permettra immédiatement aux personnes les moins exercées de reconnaître à quel genre d'empoisonnement elles ont affaire, de prévoir l'issue du mal, et, par suite, d'agir en conséquence.
On conçoit qu'en présence des premiers signes d'une intoxication, et surtout d'une intoxication phalloïdienne, il n'y ait pas de temps à perdre, et que la vie du malade puisse dépendre d'un traitement rationnel et promptement mis en œuvre. Voici donc ce qu'il faudra faire:
1o Les vomitifs préconisés par nombre d'auteurs sont inutiles et même nuisibles. Ils sont inutiles, parce que dans le cas d'un empoisonnement muscarinien les vomissements naturels qui se produisent dès le début ont assuré le nettoyage de l'estomac; d'autre part, s'il s'agit d'un empoisonnement phalloïdien, le temps écoulé (huit à dix heures) depuis le repas fatal indique que ce repas a depuis longtemps pénétré dans l'intestin.
Les vomitifs sont nuisibles, parce qu'ils ne servent qu'à irriter davantage l'estomac, à augmenter les douleurs et à fatiguer le malade. Mieux vaudrait encore faire le lavage de l'estomac à l'aide du tube de Faucher.
2o Les purgatifs sont au contraire toujours indispensables à employer, car l'intestin renferme constamment tout ou partie du poison. On donnera la préférence aux purgatifs salins, qui produisent une exsudation de liquide dans l'intestin grêle, venant ainsi suppléer à l'élimination du poison qui se fait mal par les urines rares ou nulles.
Comme purgatif, on donnera pour un adulte:
Sulfate de soude, ou sulfate de Magnésie, 40 à 50 grammes dans un grand verre d'eau; une heure après, administrer un grand bol de bouillon aux herbes. (Si l'on veut, on peut remplacer le sulfate de soude ou de magnésie par un grand verre d'une eau minérale purgative).
Si les douleurs intestinales sont très vives, il sera préférable, au lieu de recourir aux purgatifs ci-dessus, d'administrer de l'huile de ricin (dose 30 grammes pour un adulte). On donnera en même temps des lavements huileux, additionnés d'une vingtaine de gouttes de laudanum de Sydenham. Enfin, on couvrira le ventre d'un large cataplasme arrosé de laudanum.
Il sera nécessaire de faire uriner le malade le plus possible, pour faciliter l'entraînement du poison au dehors. On y parviendra en faisant boire au malade du lait en abondance, des tisanes (chiendent, bourrache) additionnés par litre de 2 grammes de nitrate de potasse (salpêtre), ou de même quantité de sulfate de potasse, d'acétate de potasse ou de bicarbonate de soude. Tous ces soins peuvent être donnés même en l'absence du médecin.
S'il s'agit d'un empoisonnement phalloïdien, avec symptômes graves, il est tout indiqué de laver le sang du malade, en lui injectant dans les veines une solution physiologique stérilisée de chlorure de sodium (8 grammes par litre). Bien entendu, cette opération est exclusivement du ressort du médecin traitant, et il doit être laissé juge de son opportunité.
Il en est de même du traitement des symptômes. Le malade a-t-il du délire (délire muscarinien?)
On lui administre des calmants (bromure de potassium, de sodium ou d'ammonium, un gramme d'heure en heure, jusqu'à effet sédatif). Y a-t-il au contraire abattement (empoisonnement phalloïdien)?
Il est nécessaire de donner des stimulants (sirop d'éther par cuillerées à café, ou éther vingt gouttes dans de l'eau sucrée, ces doses étant répétées toutes les dix minutes; ou encore, acétate d'ammoniaque, 5 grammes dans une potion de 100 grammes, à prendre par cuillerées à soupe toutes les heures).
Contre les vomissements trop prolongés, on fera sucer au malade de petits morceaux de glace, ou bien on lui fera boire de l'eau de Seltz, ou une potion antivomitive (eau chloroformée 50 grammes, eau 50 grammes, chlorhydrate de cocaïne 5 à 10 centigrammes; une cuillerée à café toutes les demi-heures jusqu'à cessation des vomissements).
Si le pouls s'affaiblit, il sera utile de le soutenir par des piqûres de caféine ou de sulfate de spartéine.
S'il ne s'agit que d'un empoisonnement muscarinien, le traitement se
réduit à sa plus simple expression (purgatifs, calmants). Mais si l'on a
affaire à la phalline, tous les soins énumérés ci-dessus n'auront chance
d'être couronnés de succès que s'ils sont appliqués avec persévérance
et discernement, chez un malade traité dès le début des accidents et
n'ayant pas ingéré une dose par trop considérable du terrible poison.
Résumé du traitement.—Purgatifs, lavements diurétiques; lavage du sang en cas d'empoisonnement phalloïdien.
Traiter les symptômes (coliques, délire, abattement); surveiller
attentivement le fonctionnement du cœur.
Docteur ès sciences,
Professeur agrégé à l'École supérieure
de Pharmacie de Paris.
CHAPITRE VII
Des champignons au point de vue alimentaire. Vente des champignons.
La principale utilité des champignons consiste dans leur emploi comme aliment. De tout temps l'homme a récolté les champignons pour les manger. Ainsi l'histoire nous apprend que les Athéniens étaient très friands de champignons; les Romains qui étaient de gros mangeurs appréciaient également ces cryptogames. Si nous en croyons les écrivains latins, ils en étaient arrivés à payer au poids de l'or et à préparer eux-mêmes les champignons qu'ils devaient consommer. L'Oronge vraie surtout avait une réputation exceptionnelle; c'était le mets des dieux, Deorum cibus. A notre époque, s'il n'y a plus ce désir de payer des prix fous pour les champignons, cela tient surtout à ce que la consommation s'en est généralisée; au lieu de s'attacher à quelques espèces qui pouvaient en cas de rareté acquérir un prix élevé, on consomme plus d'espèces que par le passé. De plus, on cultive en grande quantité le Champignon de couche, ce qui permet à tout le monde de se procurer, à des prix modérés, un aliment sain et agréable.
En raison de cette disposition de l'homme à consommer les champignons, on a été amené à se demander si ceux-ci avaient une valeur alimentaire: à ce sujet, les opinions sont très partagées. Pour certains, les champignons ont une grande valeur nutritive; pour d'autres, au contraire, c'est un assaisonnement, un condiment, et rien de plus, sans valeur nutritive. Ceux qui prétendent que les champignons sont très nourrissants, invoquent à l'appui de leur opinion que, dans certaines régions, les champignons forment la base de la nourriture des ouvriers de la campagne. Les Russes, les Polonais, les Allemands feraient à l'automne de grandes provisions de champignons qui leur tiendraient lieu de viande pendant l'hiver.
On cite un montagnard de la Thuringe, qui serait mort à cent ans, après s'être nourri pendant près de trente ans exclusivement de champignons.
Letellier, mycologue et chimiste éminent, s'est nourri pendant quelque temps seulement avec des champignons; il en mangeait 300 grammes par jour.
Persoon, dans son Traité sur les champignons, cite l'exemple d'un professeur de Botanique de Leipzig, qui dans un voyage botanique aux environs de Nuremberg, vécut pendant plusieurs semaines, à l'exemple des paysans de la région, de pain noir assaisonné d'anis ou de carvi, et de champignons crus. Loin d'en éprouver une influence nuisible à ma santé, dit-il, je sentis au contraire mes forces accrues pour mes courses.
Plus récemment, un chimiste russe, le professeur Socoloff, dans une analyse de champignons comestibles, faite en 1873, dit que l'emploi des champignons est très répandu dans son pays, au point qu'ils constituent l'un des principaux et des plus constants éléments de la nourriture désignée sous le nom de maigre, d'autant plus que les carêmes à leur tour y occupent une partie assez considérable de l'année. Ses analyses ont porté sur des champignons à l'état sec, salé et mariné; la saumure et le marinage diminuent la faculté nutritive des champignons lesquels, sous ce rapport, occupent—toujours d'après Socoloff—une place intermédiaire entre les substances alimentaires végétales et animales.
D'aucuns prétendent que les champignons crus sont préférables aux champignons cuits; ils auraient une saveur plus agréable et seraient de digestion plus facile; d'autres prétendent qu'il faut leur faire subir une cuisson prolongée. Nous pensons qu'il ne faut pas être trop affirmatif: que certains champignons crus soient agréables, nous n'en disconvenons pas, mais nous pensons qu'à moins de s'y habituer, il vaut encore mieux les faire cuire.
Tous les champignons ne demandent pas le même degré de cuisson; il y a, pour chacun, un juste milieu à saisir qu'on ne peut indiquer avec précision. Notre expérience nous a permis de remarquer que les champignons trop cuits perdent de leur parfum et deviennent plutôt coriaces.
Quoi qu'il en soit, la consommation des champignons dans certains pays est considérable, et si dans les campagnes on les consomme en vue de leur qualité nutritive, il n'en est pas de même dans les grandes villes où l'on recherche surtout leurs qualités gustatives.
On a reproché aux champignons d'être indigestes; cela peut être vrai dans certains cas, mais ne peut-on pas faire le même reproche à certains aliments, tels que les choux, les haricots, etc.!
Lorsqu'on mange en quantité raisonnable des champignons récoltés en bon état, et bien préparés, il est rare qu'on en éprouve des désagréments, à moins cependant que le sujet soit réfractaire à cet aliment. Ne voyons-nous pas journellement des personnes qui ne peuvent supporter certaines nourritures: à celles-là nous conseillerons de s'abstenir.
La consommation des champignons comporte un danger, celui de s'empoisonner. En effet, si beaucoup de champignons sont inoffensifs, il y en a un certain nombre que l'on ne peut manger impunément.
On a cherché les moyens de distinguer un bon d'un mauvais champignon: malheureusement les caractères sur lesquels on s'appuie pour faire cette prétendue distinction n'ont aucune valeur.
Il n'est pas vrai que les champignons attaqués par les limaces ou mangés par d'autres animaux soient sans danger; il n'est pas vrai qu'une espèce verte ou violette soit à rejeter, parce que cette coloration est moins fréquente. Un autre préjugé surtout, enraciné dans les campagnes, est que pour reconnaître si un champignon est comestible, il suffit de mettre une pièce d'argent dans le vase où on le fait cuire: si la pièce noircit, le champignon est vénéneux, si au contraire elle ne change pas de couleur, il est inoffensif. Cette croyance, qui a causé de nombreux accidents, ne repose sur rien de sérieux, car le noircissement de la pièce d'argent est dû à du soufre qui peut, à certain moment, se trouver dans les champignons qu'ils soient bons ou mauvais (Voir chapitre VI). Nous pourrions citer d'autres caractères soi-disant propres à faire cette distinction, mais ils n'ont pas davantage de valeur. En résumé, on ne saurait trop le répéter, il n'existe aucun caractère général permettant à première vue de distinguer un bon champignon d'un mauvais: le seul et l'unique moyen est d'apprendre à les connaître.
On a bien, il est vrai, indiqué des procédés pour rendre inoffensifs les champignons les plus vénéneux, comme par exemple de les faire bouillir dans de l'eau, et de rejeter cette eau avant de les apprêter, ou encore de les faire macérer pendant un certain temps dans de l'eau salée: mais, ainsi traités, les champignons perdent toutes les qualités qui les font rechercher et n'offrent plus qu'un aliment insipide.
Frédéric Gérard, auteur d'une Flore médicale, a fait à ce sujet des expériences qui offrent un grand intérêt et qu'il n'est pas inutile de rapporter.
«En 1850, dit-il, je récoltai plusieurs Amanites bulbeuses (voir planche 2), je les fis macérer dans plusieurs liquides, les uns dans de l'eau pure, d'autres dans de l'eau vinaigrée, d'autres dans de l'eau salée. Je prolongeai la macération pendant douze heures, je les lavai à grande eau et je les apprêtai. J'en mangeai environ 40 ou 50 grammes de chaque et je ne fus pas incommodé. N'ayant éprouvé aucun malaise, je doublai la dose, toujours avec le même résultat. Je dois dire qu'après cette préparation, ces champignons dont l'odeur est d'abord fade et repoussante, prennent l'odeur et le goût des champignons comestibles. Je diminuai alors progressivement la durée de macération et dès que le champignon avait perdu son odeur nauséeuse, je le regardai comme inoffensif.
«L'automne arriva et deux empoisonnements successifs vinrent jeter l'effroi dans Paris. Je résolus dès lors de répéter mes expériences sur toutes les espèces vénéneuses indistinctement. Dans l'espace d'un mois il entra chez moi plus de 150 livres de champignons vénéneux de toute espèce. Pendant huit jours je m'astreignis à manger deux fois par jour, malgré la répugnance que me causait cette uniformité de nourriture, de 250 à 300 grammes de champignons cuits. N'en ayant ressenti aucune incommodité, je ne m'en tins pas là, et j'admis tous les membres de ma famille, qui est de douze personnes, à partager mes expériences. Je ne procédais qu'avec lenteur, et après avoir essayé sur un, j'en prenais un deuxième. Je continuai jusqu'à ce que je fusse convaincu que, malgré la différence des âges et des tempéraments, personne n'était incommodé. L'épreuve était décisive; il ne s'agissait plus de quelques grammes de champignons, ou d'essais sur des animaux: une famille de douze personnes en avait mangé jusqu'à ce que la satiété eût amené la répugnance.»
Les expériences de Gérard présentent évidemment un grand intérêt,
puisqu'elles ont été faites avec toute la précision scientifique
désirable, et qu'elles expliquent comment, dans certaines régions, les
habitants peuvent consommer indifféremment les espèces les plus
dangereuses. Mais nous croyons qu'une telle pratique n'est pas à
recommander, puisqu'elle pourrait, par suite de négligence, provoquer
des accidents redoutables, et que de plus elle dénature complètement un
aliment dont l'une des propriétés consiste surtout dans la saveur.
Nous sommes heureux de donner à nos lecteurs la primeur d'un article sur la Valeur alimentaire des Champignons, écrit par M. le Dr Guéguen, professeur agrégé à l'École supérieure de Pharmacie de Paris.
La plupart des opinions favorables ou contraires à l'emploi alimentaire des Champignons sont basées sur les résultats d'analyses anciennes, dont certaines remontent à Braconnot (1811) ou à Vauquelin (1813); ces analyses indiquent bien la nature des substances que l'on savait isoler et caractériser à cette époque, mais n'en précisent pas les proportions. Les travaux importants publiés dans ces dernières années sur la chimie des Champignons vont nous permettre de raisonner sur des données plus exactes.
Nous examinerons la composition des Champignons considérée uniquement au point de vue alimentaire, c'est-à-dire sans nous occuper des principes dépourvus de qualités nutritives, ou qui s'y trouvent en trop minime proportion pour influer sur leurs propriétés alibiles. Comparant nos moyennes à celles que donnent les analyses de viande et de pain, nous pourrons conclure en toute connaissance de cause. Nous rappellerons tout d'abord que, comme tous les êtres vivants, les Champignons renferment de l'eau, des sels, des matières ternaires (composées de trois éléments, carbone, hydrogène et oxygène) et des albuminoïdes (contenant, en plus, de l'azote, du soufre, etc.).
Teneur en eau.—La matière peu résistante qui forme les Champignons charnus est formée de cellules à parois minces, gorgées de sucs, et lâchement unies entre elles; par le fait même de cette structure spongieuse, les tissus fungiques contiennent de l'eau interposée, dont la quantité doit varier non seulement suivant la nature du Champignon, mais encore selon l'état de sécheresse ou d'humidité de l'atmosphère et du terrain. Il est donc à prévoir que les Champignons contiennent une forte proportion d'eau. Voici les quantités dosées par Von Lœsecke et par Margewicz (1885 et 1887) dans un kilogramme de quelques Champignons frais:
| Lepiota procera | 840gr |
| Clitopilus prunulus | 900 |
| Marasmius Oreades | 920 |
| Divers Bolets | 880 à 920gr |
La proportion est un peu plus grande dans le pied que dans le chapeau; les exemples suivants le montrent:
| Lactarius deliciosus | chapeau | 900gr, | pied | 901gr |
| Boletus edulis | — | 861 | — | 870 |
Cette légère différence peut d'ailleurs varier, dans une même espèce et dans un même individu, suivant l'âge, le terrain, le temps humide ou sec, etc. Les Champignons contenant en moyenne neuf dixièmes d'eau, il n'est pas étonnant de les voir se réduire beaucoup par la cuisson; cette perte de poids est toutefois beaucoup moindre que celle qu'ils subissent pendant la dessiccation à l'étuve qui a permis d'obtenir les chiffres ci-dessus.
Teneur en matières minérales.—La proportion des matières minérales est indiquée par celle des cendres que fournissent les Champignons. Voici quelques chiffres rapportés également à un kilogramme de substance fraîche:
| Lepiota procera | 7gr |
| Clitopilus prunulus | 15 |
| Marasmius Oreades | 10 |
| Psalliota campestris | 5 |
| Divers Bolets | 6 |
D'où une moyenne de 8 grammes de cendres, formées surtout de potasse (près de la moitié) et d'acide phosphorique (de 15 à 40 %); on y retrouve aussi les composants ordinaires des cendres végétales et animales (soude, chaux, magnésie, acide sulfurique, silice, chlore).
Teneur en matières ternaires.—Ces matières, composées de carbone, d'hydrogène et d'oxygène, existent à la fois a) dans les membranes, qui en paraissent presque exclusivement formées, b) dans le contenu des cellules, qui renferme en dissolution un certain nombre d'entre elles (sucres, mannite, etc.).
a) La membrane se compose surtout d'une cellulose particulière que l'on nomme fungine (Braconnot), métacellulose (Frémy) ou fungocellulose (Boudier). Elle est très résistante aux réactifs, et notamment reste inattaquée par la liqueur de Schweitzer (solution ammoniacale d'oxyde de cuivre) qui dissout la cellulose ordinaire. Par des traitements à l'autoclave en présence d'acides minéraux étendus, on parvient cependant à la transformer partiellement en divers sucres (dextrose, mannose, etc.). Il est hors de doute qu'une pareille transformation n'a pas lieu dans l'estomac, et que cette cellulose traverse à peu près inattaquée le tube digestif.
Margewicz a dosé la fungocellulose dans quelques espèces. Voici des chiffres approximatifs, rapportés à un kilogramme de Champignons frais:
| Lactaires | chapeau | 27gr, | pied | 35gr |
| Chanterelles | — | 40 | — | 38 |
| Bolets: chair des tubes, 20gr | — | 32 | — | 35 |
Ces chiffres montrent: 1o que la proportion de fungocellulose est d'environ 3 % du Champignon frais; 2o qu'elle est moindre dans le chapeau que dans le pied; 3o qu'elle est plus faible dans les tubes des Bolets que dans la chair même du chapeau. Ces résultats étaient à prévoir, car la consistance est plus grande dans le pied que dans le pileus, et dans celui-ci que dans les tubes.
Dans les Bolets, il existe aussi deux substances mucilagineuses que l'on peut, ainsi que l'a indiqué Boudier (1866), enlever en traitant les Champignons par l'eau bouillante, et en mêlant de l'alcool pur au liquide: la première substance, nommée viscosine (du latin viscum, glu) se précipite alors en flocons. Si l'on filtre le liquide surnageant, qu'on le concentre en sirop et qu'on y ajoute de l'alcool très concentré, on en retire l'autre substance nommée mycétide (du grec mukés, champignon). La viscosine et la mycétide communiquent à la chair des Bolets cette consistance mucilagineuse à la cuisson qui la rend indigeste, et oblige certaines personnes à s'en abstenir.
b) Les hydrates de carbone solubles et digestibles que renferment les Champignons sont principalement les suivants:
Le glycogène, voisin de l'amidon, mais se colorant en brun acajou (et non en bleu comme l'amidon) par l'eau iodée. Il existe dans presque tous les Champignons à l'état jeune. D'abord localisé dans le pied, il en disparaît avec l'âge, à mesure qu'il est utilisé dans le développement de l'appareil sporifère.
Diverses matières sucrées, dont Bourquelot (1893-1896) a indiqué la présence et déterminé les proportions dans plus de deux cents espèces. Au premier rang est le tréhalose, sucre dont certains Champignons renferment une forte quantité[3].
Voici quelques moyennes par kilogramme de Champignons jeunes et frais:
| Amanites et Clitocybe | 20 à 50gr |
| Marasmius Oreades | 35gr |
| Bolets | 20 à 70gr |
Le tréhalose disparaît peu à peu pendant la maturation et la dessiccation à basse température. Comme le glycogène, il se localise surtout dans le pied à l'état jeune.
Le glucose n'existe qu'en très petites quantités dans les Champignons (ordinairement moins d'un gramme par kilo), et n'apparaît guère qu'à la fin de la végétation.
La mannite (alcool polyvalent) existe dans presque tous les Champignons adultes, où elle remplace peu à peu le tréhalose. Parfois, même quand le Champignon est jeune, on l'y trouve seule; d'autres fois elle y est associée au tréhalose. Comme les autres matières de réserve, elle se localise d'abord dans le pied. Voici en quelles proportions approximatives elle existe dans un kilogramme de quelques Agaricinées:
| Lactaires et Champignons de couche | 6gr |
| Lépiotes | 8 |
| Russules | 15 à 18gr |
Teneur en lécithines.—Les lécithines, sorte de matières grasses phosphorées qui sont très abondantes dans la matière cérébrale, les œufs, la laitance des Poissons, et communiquent à ces aliments leurs puissantes qualités reconstituantes, existent aussi dans les Champignons; on peut supposer qu'elles contribuent pour une part à leurs propriétés nutritives. Les Champignons frais en renferment de 20 centigrammes à 1gr 50 par kilogramme.
Teneur en albuminoïdes.—Ces corps azotés ont une constitution analogue à celle du blanc d'œuf, de la fibrine, de la chair musculaire, etc. C'est par les albuminoïdes qu'ils contiennent que les Champignons offrent quelque analogie avec la chair des animaux, et ont paru mériter le qualificatif de «viande végétale» qui leur a parfois été donné. Voici, d'après Von Lœsecke, Kohlrausch et Siegel, Mörner, quelques chiffres exprimant la teneur en albuminoïdes d'un kilogramme de divers Champignons frais:
| Marasmius Oreades | 35gr | ||
| Lactaires | pied 35gr, | chapeau | 38 |
| Psalliota campestris | 20 | ||
| Bolets | pied 32gr, | chapeau | 40gr tubes 45gr |
La proportion moyenne est donc de 35 grammes par kilogramme; le chapeau en contient plus que le pied, et les tubes des Bolets plus que la chair. Il y a, ici encore, une sorte d'attraction des substances nutritives vers le chapeau et les appareils sporifères.
Mais tous ces albuminoïdes ne sont pas également assimilables. Lors des traitements énergiques que l'on fait subir aux Champignons pour en isoler les matières cellulosiques, on remarque qu'il reste toujours une certaine quantité d'azote adhérent à la membrane, et qui par conséquent ne doit pas entrer en ligne de compte dans l'appréciation de la quantité d'albuminoïdes assimilable par l'organisme. C'est pourquoi Mörner (1886) s'est préoccupé de déterminer, par des digestions artificielles pratiquées sur la substance du Champignon, les proportions d'albuminoïdes réellement attaquables par les sucs digestifs. Il a opéré de la manière suivante: les Champignons secs étant pulvérisés, on y dose l'azote total; puis on traite une certaine quantité de poudre par l'eau bouillante, et l'on soumet successivement la pâte ainsi obtenue à l'action du suc gastrique et du suc pancréatique, l'azote y étant de nouveau dosé après chacune de ces digestions.
Ces divers traitements (cuisson et action successive des sucs digestifs) ont pour but de mettre les Champignons dans des conditions se rapprochant le plus possible de celles qui précèdent et accompagnent leur ingestion. Voici les proportions d'albuminoïdes, digestibles ou non, dosées par cette méthode dans un kilogramme de quelques espèces comestibles:
| Albuminoïdes Totaux. |
Digestibles. |
Non digestibles. |
|||||
| — | — | — | |||||
| Champignons de couche (sans les lames) |
Chapeau | 29gr | = | 7gr | + | 22gr | |
| Pied | 24 | = | 6 | + | 18 | ||
| Cèpes (sans les tubes) |
Chapeau | 17 | = | 4 | + | 13 | |
| Pied | 15 | = | 4 | + | 11 | ||
| Morille | 25 | = | 12 | + | 13 | ||
On peut conclure des recherches de Mörner que les Champignons renferment par kilogramme environ 13 à 15 grammes d'albuminoïdes digestibles, la proportion de ces matières utiles étant plus considérable dans le chapeau que dans le pied. Il est à supposer que ces chiffres eussent encore été plus élevés, si Mörner n'avait, avant ses analyses, enlevé les parties hyménifères (lames des Agarics, tubes des Bolets). Cet auteur a constaté, en outre, que la digestion des albuminoïdes s'effectuait ici presque exclusivement sous l'influence du suc gastrique, le suc pancréatique n'intervenant que pour une part très restreinte.
De tout ce qui précède, on doit retenir que le pied des Champignons adultes est constamment dépourvu de matières nutritives; il est, en fait, peu sapide et plutôt indigeste. On fera donc bien de ne pas le consommer, sauf dans les spécimens très jeunes, où il renferme des matériaux de réserve, et où sa consistance n'est pas encore trop coriace. Les feuillets et les tubes, au contraire, sont particulièrement tendres et nutritifs; il est donc préférable de ne pas les enlever, toutes les fois qu'ils ne sont pas souillés de terre ou de sable.
Conclusions.
Maintenant que nous connaissons la composition moyenne des Champignons comestibles, nous pouvons la comparer avec celle de quelques aliments usuels, tels que la viande de bœuf et le pain de froment. C'est ce que permettra de faire le tableau suivant:
| CHAMPIGNONS FRAIS | PAIN (d'après Villiers et Collin) |
VIANDE DE BŒUF (d'ap. Lehmann) |
||
| — | — | — | ||
| Eau | 900 | 300 à 400 | 800 | |
| Matières minérales | 8 | 5 à 7 | 30 | |
| Membranes | 30 (Fungocellulose) |
2 à 4 (cellulose) |
150 à 170 (Tendons, vaisseaux, gaines musculaires). |
|
Hydrates de carbone |
38 (Tréhalose) 9 Mannite |
500 à 600 9 (mat. amylacées) |
15 à 25 (graisse) |
|
| Albuminoïdes digestibles |
15 | 75 | 20 à 30 |
Les Champignons constituent donc un aliment complet. Rien d'étonnant à ce que l'on ait pu, comme l'ont fait Schwaegrichen et d'autres auteurs, s'en nourrir exclusivement pendant plusieurs semaines. Leur teneur en matières alibiles est, à l'état frais, moindre évidemment que celle du pain et de la viande; mais il faut remarquer qu'ils perdent, par la cuisson, plus d'eau que cette dernière, ce qui fait qu'une fois apprêtés ils se sont enrichis en principes utiles. On peut d'ailleurs en consommer une quantité plus considérable, ce qui rétablit l'équilibre en leur faveur. Les matières sucrées, qu'ils renferment en proportion qui est loin d'être négligeable, constituent comme on le sait une source d'énergie calorifique de premier ordre.
Les Champignons sont infiniment plus nutritifs que la plupart des légumes auprès desquels leur origine végétale les fait classer par les hygiénistes. Loin de les considérer seulement comme des condiments agréables, il faut les regarder, dans les régions où ils croissent en quantités considérables, comme un aliment de première utilité. C'est avec raison que les amateurs les tiennent pour des mets délicats, dont l'usage, même répété, n'offre pas pour l'organisme les inconvénients de certaines nourritures productrices de toxines, comme le sont en particulier les gibiers et les viandes conservées.
Docteur ès sciences,
Professeur agrégé à l'École supérieure
de Pharmacie de Paris.
Vente des champignons.
Bien des personnes n'ont pas le loisir d'aller elles-mêmes récolter des champignons dans la campagne, et elles ne peuvent que se pourvoir au marché voisin. Nous pensons donc faire plaisir à nos lecteurs en leur faisant connaître les principaux champignons vendus sur les marchés de France et de l'étranger. Voici d'après M. Bernard[4], ancien pharmacien militaire, la liste des espèces vendues dans les différentes villes de France:
l'Oronge vraie (Amanita Cæsarea), Limoges, Toulouse, Perpignan;
l'Oronge blanche (Amanita ovoidea), Perpignan;
l'Amanite rougeâtre (Amanita rubescens), Vitry-le-François;
la Lépiote erminée (Lepiota erminea), La Rochelle, mélangée à d'autres espèces;
la Lépiote écorchée (Lepiota excoriata), La Rochelle, Oran;
la Lépiote pudique (Lepiota pudica), La Rochelle, mélangée à Pratella campestris;
la Lépiote élevée (Lepiota procera), La Rochelle, Fontainebleau, Épinal, Perpignan, et dans bien d'autres villes;
le Mousseron de la Saint-Georges (Tricholoma albellum), Montbéliard, La Rochelle, Bourges, Épinal, Perpignan et ailleurs;
le Tricholome argyracé (Tricholoma argyraceum), Poitiers, Perpignan;
le Tricholome gris de souris (Tricholoma murinaceum), Perpignan;
le Tricholome chatoyant (Tricholoma panæolum), La Rochelle où il est vendu sous le nom d'Argouane de prairie;
le Tricholome travesti (Tricholoma personatum), La Rochelle et ailleurs;
le Tricholome ruiné (Tricholoma pessundatum), Bourges où il est mélangé à l'oreille de chardon;
le Tricholome prétentieux (Tricholoma portentosum), Épinal;
le Tricholome triste (Tricholoma tristis), Poitiers;
le Clitocybe géotrope (Clitocybe geotropa), Besançon;
le Clitocybe nébuleux (Clitocybe nebularis), Bourges, Pontarlier;
le Clitocybe odorant (Clitocybe odora), Perpignan;
le Collybie en fuseau (Collybia fusipes), Perpignan;
le Pleurote de l'Eryngium (Pleurotus Eryngii), Algérie, La Rochelle (sous le nom d'Argouane), Bourges;
le Pleurote en coquille (Pleurotus ostreatus), Bourges;
l'Entolome en bouclier (Entoloma clypeatum), Rochefort, Poitiers;
la Pholiote égérite (Pholiota ægerita), Oran;
la Pratelle des jachères (Pratella arvensis), La Rochelle, sous le nom de Brunette, et à peu près partout sous le nom de Boule de Neige;
la Pratelle de Bernard (Pratella Bernardii), La Rochelle où il se vend sous le nom de gros pied;
la Pratelle champêtre (Pratella campestris), en Algérie et presque partout en France;
l'Hygrophore blanc d'ivoire (Hygrophorus eburneus), Perpignan;
l'Hygrophore blanc de neige (Hygrophorus niveus), Perpignan;
l'Hygrophore pudique (Hygrophorus pudorinus), Pontarlier, Lons-le-Saunier;
l'Hygrophore virginal (Hygrophorus virgineus), Perpignan;
le Lactaire délicieux (Lactarius deliciosus), Toulon, Poitiers, Fontainebleau;
le Lactaire poivré (Lactarius piperatus), Bourbonne-les-Bains, Épinal;
le Lactaire orangé (Lactarius volemus), Bourbonne-les-Bains;
la Russule cyanoxanthe (Russula cyanoxantha), Épinal;
la Russule délicate (Russula delica), Bourgogne;
la Russule vert-de-gris (Russula virescens), Épinal, Perpignan;
la Chanterelle comestible (Cantharellus cibarius), Montbéliard, Paris, Fontainebleau, Bourges;
le Marasme faux-Mousseron (Marasmius oreades), Perpignan, Épinal;
le Bolet bronzé (Boletus æreus), Limoges, Paris, Fontainebleau, Perpignan;
le Bolet comestible (Boletus edulis), Paris, Bordeaux, Limoges, Fontainebleau, Épinal;
le Bolet rude (Boletus scaber), Perpignan;
la Craterelle corne d'abondance (Craterellus cornucopioides), Annecy;
la Clavaire améthyste (Clavaria amethystina), Perpignan;
la Clavaire en grappe (Clavaria botrytis), Bourbonne-les-Bains, Fontainebleau, Bourges, Épinal;
la Clavaire cendrée (Clavaria cinerea), Bourbonne-les-Bains, Perpignan;
la Clavaire coralloïde (Clavaria coralloides), Perpignan;
la Clavaire jaune (Clavaria flava), Bourbonne-les-Bains, Bourges, Épinal, Fontainebleau;
la Clavaire belle (Clavaria formosa), Fontainebleau;
la Clavaire fusiforme (Clavaria fusiformis), Lons-le-Saunier;
le Terfez du Lion (Terfezia Leonis), Algérie;
les Tuber brumale et autres: vendus partout;
le Gyromitre comestible (Gyromitra esculenta), Paris à l'état sec, Cannes;
l'Helvelle crépue (Helvella crispa), La Rochelle;
la Pézize veinée (Peziza venosa), Le Havre.
En Allemagne, sur le marché d'Iéna, on vendrait, d'après le Dr Pfeiffer, une trentaine d'espèces de champignons, dont les suivantes ne sont pas comprises dans la liste ci-dessus:
Clitopilus prunulus, Pholiota mutabilis, Russula alutacea, Marasmius scorodonius, Boletus granulatus, luteus, versipellis, Polyporus confluens, ovinus, sulfureus, Hydnum imbricatum, rufescens, Sparassis crispa, Peziza acetabulum.
Dans un article très documenté, M. E. Perrot (Bulletin de la Société mycologique de France, année 1902) passe en revue tous les marchés européens où la vente des champignons est contrôlée; il énumère les espèces apportées et les prescriptions auxquelles doivent se conformer les vendeurs. Nous regrettons de ne pouvoir, faute de place, reproduire en entier son intéressant travail; nous lui emprunterons seulement ce qui a trait à la France.
A Paris, il y a vingt-cinq ans, on ne tolérait aux Halles que le Champignon de couche; les Morilles elles-mêmes étaient exclues; quant au Cèpe, il fallait qu'il fût de provenance bordelaise!
Aujourd'hui on trouve:
Amanita Cæsarea, Tricholoma Georgii, nudum; Lepiota procera; Lactarius deliciosus; Marasmius oreades; Pratella campestris, arvensis; Cantharellus cibarius; Craterellus cornucopioides; Boletus edulis, aurantiacus; Morchella rotunda, conica, semi-libera et autres; Verpa digitaliformis; Peziza acetabulum, venosa, etc.; Hydnum repandum, imbricatum; divers Clavaria et Polyporus.
Tous doivent être soumis au visa d'un inspecteur.
A Lyon on ne tolère que les espèces suivantes: Champignons de couche; Morilles, Cèpes de Bordeaux; Chanterelles; Clavaires.
A Bordeaux la vente des champignons sauvages autres que les Truffes et les Cèpes est insignifiante.
Il n'en est pas de même dans d'autres villes du Sud-Ouest, et à Libourne on peut rencontrer sur le marché la plupart des espèces énumérées plus haut; il en est de même à Poitiers, Niort, Nantes, etc.
Dans certaines villes il est interdit de vendre l'Oronge vraie, sans doute par crainte exagérée de la fausse Oronge.
Il résulte de qui ce précède, que peu à peu le nombre des espèces vendues augmente, ce qui sans nul doute est dû en grande partie à la propagande faite par la Société mycologique de France dont les membres répandus un peu partout sont tout désignés pour renseigner le public.
Chaque année, la Société organise sur divers points de la France des excursions qui durent plusieurs jours; ces excursions, très appréciées du public, sont suivies d'une exposition générale des espèces récoltées.
Voir à la fin du volume quelques indications sur cette Société.
CHAPITRE VIII
Récolte et préparation culinaire des champignons. —Conservation.
Bien des gens sont obligés, lorsqu'ils veulent manger des champignons, de se les procurer au marché où, indépendamment du champignon de couche qui s'y trouve en toute saison, on peut, à certaines époques, acheter des champignons sauvages, qui généralement ont été vérifiés par des inspecteurs compétents.
Pour ceux qui ont des loisirs ou qui habitent la campagne, nous croyons utile de donner quelques conseils sur le manière de récolter les champignons, et d'indiquer les précautions à prendre pour éviter les méprises.
On trouve des champignons presque toute l'année, sauf pendant les grands froids où toute végétation se trouve suspendue, mais c'est surtout au printemps et à l'automne qu'a lieu la pousse des champignons. C'est au printemps que l'on peut récolter les Morilles, les Mousserons et certaines Pézizes. A l'automne le nombre des individus et des espèces de champignons est beaucoup plus considérable, et l'on peut dire que l'on n'a que l'embarras du choix; ce sont les Agarics, les Cèpes, les Morilles, les Hydnes et bien d'autres encore.
Il ne suffit pas lorsqu'on veut récolter des champignons pour les manger, de prendre au hasard ceux qui flattent le regard par leur couleur ou par leur forme. Il est de toute nécessité de les examiner un à un et de bien vérifier les caractères qui leur sont propres. On ne saurait trop répéter avec Roques: «Attachez-vous à un petit nombre d'espèces bien observées, bien connues, comme les Morilles, les Clavaires, les Hydnes, les Chanterelles, les Cèpes, les Mousserons, les Oronges.»
Les champignons doivent être récoltés plutôt jeunes que vieux, car, à cet état, ils offrent au plus haut degré les qualités qui leur sont propres; la chair en est plus ferme, le parfum plus vif et plus délicat. N'oublions pas que le champignon trop âgé et trop avancé peut devenir indigeste et quelquefois nuisible.
Ceci nous amène à parler de la durée des champignons.
En général les champignons, tout au moins ceux qui sont destinés à l'alimentation, étant très gorgés d'eau, ne sont pas susceptibles d'une longue conservation.
Lorsqu'un champignon se montre à nos regards, il est bien près d'avoir acquis tout son développement, et dès que ses spores sont mûres, il tend à disparaître, c'est-à-dire à se ramollir, à pourrir, comme on dit vulgairement.
Quand le temps est humide et chaud, il se décompose rapidement: au contraire par un temps sec, il subit sur place une sorte de dessiccation qui lui permet en quelque sorte de se momifier et de persister pendant un temps fort long.
Il n'en est pas de même une fois que l'on a récolté les champignons, car alors la décomposition arrive vite, et ce n'est qu'avec peine que l'on peut les garder quelques jours. La durée de conservation peut s'accroître sensiblement si l'on a pris la précaution de récolter de jeunes exemplaires, qui accompliront à la maison une partie de leur développement.
Une cause active de décomposition des champignons, récoltés ou non, est la présence des vers. Tout champignon véreux, ou piqué comme on dit souvent, est infailliblement condamné à disparaître hâtivement: il importe donc autant que possible de ne pas se charger inutilement de champignons piqués ou véreux.
Nous ferons remarquer qu'il est inexact de dire des champignons, qu'ils sont piqués des vers, car ce ne sont pas des vers, mais bien des larves d'insectes, principalement de diptères ou de coléoptères.
Comme nous l'avons dit plus haut: Aucun caractère général, soit chimique, soit extérieur, ne peut être invoqué pour savoir si un champignon est ou non comestible; l'expérience par l'étude seule permet de porter un jugement sûr.
Bien souvent, lorsqu'on récolte des champignons, on se contente de détacher la partie du champignon qui émerge au-dessus du sol sans se rendre compte que le pied, qui reste enfoui sous terre, pourrait fournir des indications, des caractères sûrs pour la détermination de l'espèce.
En effet les Amanites (voir page 150) et les Volvaires (voir page 153) ont le pied garni d'une sorte de cornet auquel on a donné le nom de volve, et chose remarquable, il semble que plus la volve est développée, plus le champignon soit dangereux. Il y a lieu toutefois de faire une exception pour l'Amanite vaginée (voir page et planche 8), qui a une volve très développée et qui est cependant comestible, mais cette Amanite s'éloigne de ses congénères par l'absence de collier.
Ainsi donc, ne prenez jamais un champignon sans qu'il soit complet.
Il faut bien se garder lorsqu'on va à la chasse aux champignons, de mettre ces derniers dans un filet, comme cela arrive souvent, où ils s'affaissent, se meurtrissent les uns au contact des autres, et deviennent méconnaissables; ce qui rend très difficile la vérification lors du retour à la maison. Il est bien préférable de les disposer au fur et à mesure de la récolte dans un panier léger, ce qui offre le grand avantage de les rapporter intacts.
Il arrive souvent que les champignons sont attaqués par des larves d'insectes; on dit alors qu'ils sont piqués ou véreux. On doit rejeter de la consommation des champignons ainsi piqués, ce dont on s'assure en les coupant ou en les rompant. Il est bien inutile en effet de se charger de champignons avariés, que l'on ne pourra utiliser pour la consommation.
Conservation.
Quand les champignons sont abondants, il peut y avoir intérêt à les conserver; on procède alors, après les avoir récoltés avec toutes les précautions susindiquées, de la façon suivante. Après les avoir nettoyés à sec, on les fait sécher à l'ombre dans un endroit sec, sur des claies, ou bien on en fait des chapelets, en évitant qu'ils se touchent; on achève au four ou dans une étuve modérément chauffée, la dessiccation, et l'on conserve au sec.
On peut employer ce procédé simple et à la portée de tout le monde, pour les Mousserons, les Hydnes, les Craterelles, les Morilles, etc., et en général pour les champignons dont la chair est un peu sèche par nature. Nous ajouterons que les champignons ainsi desséchés doivent subir une préparation lorsqu'on veut les employer: on les lave à l'eau pour enlever la poussière qui pourrait les souiller et ensuite on les fait tremper douze ou vingt-quatre heures dans un peu d'eau tiède, ou mieux dans du bouillon ou du lait pour les faire renfler; après quoi on peut les employer à la manière des champignons frais. Lorsqu'on destine les champignons simplement à servir de condiment, on les réduit en poudre lorsqu'ils sont secs, et on les conserve dans des flacons bien bouchés.
D'autres fois on fait confire les champignons simplement dans le vinaigre; il faut alors opérer comme pour les cornichons. Les Clavaires se prêtent très bien à ce mode de conservation, de même que certains champignons très jeunes (lorsqu'ils ont par exemple la grosseur d'une noix au plus). Enfin on peut les conserver dans le sel ou dans la graisse.
L'industrie prépare, par le procédé d'Appert, de grandes quantités de champignons destinés à être expédiés en tous pays. Ceux-ci étant épluchés comme nous l'avons dit, sont mis dans des boîtes de fer-blanc, que l'on soude sauf sur un point. On soumet ensuite les boîtes ainsi préparées à une température de 100° au moins, puis on ferme l'orifice qui avait été ménagé lors du remplissage. C'est ainsi que l'on conserve les Cèpes, l'Oronge, et surtout le Champignon de couche.
Préparation culinaire des champignons.
On peut dire, d'une façon générale, que les champignons quels qu'ils soient peuvent être apprêtés de la même façon; la manière la plus simple est de les faire sauter au beurre; on peut aussi les préparer à la crème, en fricassée de poulet, ou en matelote. Souvent on les ajoute en petite quantité à un morceau de viande quelconque lorsqu'il arrive vers la fin de sa cuisson.
Les champignons demandent en général une cuisson peu prolongée, et il faut éviter de mettre ensemble des espèces de consistance très différente qui pourraient demander un temps de cuisson plus ou moins long. Quelques champignons demandent seulement quelques minutes de cuisson, alors que d'autres, comme les Hydnes, les Chanterelles, les Lactaires, exigent près d'une heure, dit-on!
Avant de faire cuire les champignons, on enlève leur épiderme (ou peau) et souvent aussi les feuillets pour les Agarics, et toujours les tubes (vulgairement foin) dans les Cèpes. Pour d'autres enfin, il suffit de procéder au nettoyage et à l'enlèvement des parties qui pourraient être avariées. Il convient généralement, surtout dans les échantillons assez développés, ou dans quelques espèces, de rejeter le pied, ou la base, du champignon comme étant coriace. Enfin il est d'usage, surtout pour les champignons de couche, de les faire tremper, après les avoir épluchés, dans de l'eau légèrement vinaigrée, salée ou non.
Cette pratique, non suivie par les gourmets, n'a d'autre but que d'empêcher la chair des champignons de noircir par suite de l'action du couteau qui a servi à les préparer: il se forme au contact de l'acide acétique du vinaigre, de l'acétate de fer qui est incolore.
Souvent il reste de la terre ou du sable adhérent aux champignons, notamment aux Morilles, qu'un simple lavage à l'eau ne parvient pas à enlever. Pour supprimer ces corps désagréables, il suffit de mettre les champignons en question dans de l'eau salée, qui dissout la matière visqueuse, grâce à laquelle l'adhérence du sable s'est produite.
Voici quelques recettes pour la préparation culinaire des champignons, au sujet desquels la plupart des livres de cuisine sont muets:
CHAMPIGNON DE COUCHE
Le champignon de couche étant le plus généralement consommé parmi les champignons, nous nous étendrons plus spécialement sur les différentes manières de l'apprêter. Les recettes que nous indiquerons, la plupart d'après Roques, Paulet, Persoon, etc., pourront d'ailleurs s'appliquer aux autres espèces.
Champignons sur le plat ou en fricassée de poulet.
Coupez par morceaux les champignons, que vous aurez préalablement épluchés avec soin, lavez-les à l'eau froide, puis essuyez-les, en les pressant dans un linge doux. Ensuite mettez-les sur un plat pouvant aller au feu, avec du beurre, du persil et du sel. Faites cuire à feu vif et ajoutez, au moment de servir, de la crème ou des jaunes d'œufs pour avoir une sauce bien liée.
Croûte aux champignons.
Préparez vos champignons, et après les avoir pelés et supprimé le pied, faites-les sauter dans une casserole avec un peu de beurre; ajoutez-y du jus de citron, du sel, poivre, épices et fort peu d'ail; laissez cuire environ une heure. Au moment de servir, liez vos champignons avec des jaunes d'œufs et versez sur des croûtons de pain frits au beurre et symétriquement disposés sur un plat. Cette manière d'apprêter les champignons est l'une des meilleures.
Champignons à la Cussy.
Coupez les champignons en tranches assez épaisses, mêlez-y quelques truffes préparées et coupez de même en tranches, ajoutez-y un peu d'ail haché très fin. Faites sauter le tout avec du beurre bien frais, ajoutez du citron puis les condiments ordinaires, sel, poivre, épices, voire même un peu de bouillon ou de sauce de viande. Faites cuire environ une demi-heure après y avoir adjoint, sur la fin, un peu de vin de Madère ou de Sauterne.
Champignons à la Provençale.
Prenez des champignons de couche ou autres, en grand état de fraîcheur, c'est-à-dire fermes et bien sains; épluchez-les, coupez-les, lavez-les à l'eau froide. Faites-les ensuite mariner pendant deux heures dans l'huile avec du sel, du poivre et un peu d'ail, puis faites-les sauter à feu très vif. Lorsque la cuisson est à point, vous y ajouterez un peu de persil haché et du citron.
Nous verrons plus loin que cette recette rappelle la préparation des cèpes à la Bordelaise.
Champignons farcis.
Épluchez les champignons que vous aurez eu soin de prendre plutôt petits que grands, enlevez-en complètement le pied et remplissez la partie concave de votre champignon avec un hachis fait de beurre, lard, mie de pain, fines herbes, épices et sel; le tout bien mélangé. Faites cuire à feu doux.
Hachis aux champignons.
Hachez finement des champignons soigneusement épluchés, mettez-les dans une casserole avec du beurre, ajoutez un peu de farine, du bouillon, sel, poivre, épices, et une feuille de laurier. Faites cuire et réduire suffisamment et versez votre sauce sur un hachis de mouton, veau, volaille, etc.
Purée de champignons.
Préparez vos champignons à la manière ordinaire, puis hachez-les très fin et les passez. Ceci dit, faites-les sauter avec un peu de beurre, ajoutez du citron, du consommé, et faites réduire en purée que vous pourrez servir avec des blancs de volaille, des filets de poissons, etc.
Truite aux champignons.
Mettez dans une casserole du beurre avec des champignons (bien épluchés), des échalotes et du persil haché, mouillez avec du bouillon et du jus de viande. Vous prenez ensuite une large croûte de pain trempée dans le court-bouillon qui a servi à faire cuire votre truite, vous la réduisez en purée et l'ajoutez dans la sauce avec un peu de beurre et de farine. Lorsque votre sauce est à point, vous la versez sur la truite qui doit être entièrement recouverte.
Matelote aux champignons.
Le champignon de couche s'allie très bien à la matelote et la préparation en est fort simple. Il suffit, après avoir préparé les champignons, de les couper en menus morceaux et de les faire cuire avec les différents poissons qui la composent.
Oronges à la Bordelaise.
On fait mariner les Oronges dans de l'huile d'olive après les avoir pelées. On en hache une partie avec des fines herbes, ail et mie de pain. De ce hachis on garnit la partie concave des oronges et l'on fait cuire doucement sur un plat ou dans une casserole.
Oronges à l'Italienne.
Préparez vos Oronges, faites-les cuire avec du beurre et un peu de sel, servez-les avec une sauce composée d'amandes douces, d'ail, de poivre, d'huile et de jus de citron.
Oronges à la Milanaise.
Après avoir épluché et lavé vos Oronges, vous les coupez menu, les passez à la casserole avec du beurre, de l'huile, des fines herbes et de l'ail. Vous ajoutez du consommé, laissez cuire à point et versez le tout sur des tranches de pain. C'est ce qu'on appelle à Milan les Oronges en potage.
Olla Podrida.
L'Olla Podrida est un mets très apprécié en Espagne. Il se compose de viandes, de légumes et de racines de toute espèce, auxquelles on ajoute des Oronges et des Mousserons. Dans un semblable assemblage, il est bien difficile de distinguer le parfum de ces excellents champignons.
Oronges frites.
Coupez les Oronges par tranches que vous ferez bouillir dans du lait avec un peu de zeste de citron, puis vous les faites frire avec du beurre, de l'huile ou du saindoux, vous les tournez et saupoudrez de sucre comme les crêpes.
Lépiote et Goutte d'encre.
Ces champignons sont très délicats et très légers; comme ils ont peu de chair, il est inutile de leur enlever les feuillets, aussi doit-on faire usage de sujets bien sains et peu avancés.
On peut les faire sauter dans l'huile fine avec une pointe d'ail, poivre et sel.
On les mange aussi en fricassée de poulet, souvent même simplement cuits sur le gril. On rejette le pied qui est coriace.
Mousserons.
La meilleure manière d'apprêter les Mousserons est sans contredit celle dite en fricassée de poulet.
Russule vert-de-gris.
Dans le Haut-Languedoc, où ce champignon est très commun, on le fait cuire sur le gril avec des fines herbes et de l'huile. On peut aussi en faire un hachis avec du beurre et des fines herbes et l'introduire dans une omelette.
Lactaires.
En Allemagne on mange le Lactaire orangé assaisonné avec du beurre et du persil, ou cuit avec de la crème et relevé de sel et de fines herbes. On pourrait de même préparer le Lactaire délicieux, qui en outre fait bonne figure autour d'un morceau de viande.
Les Lactaires demandent une cuisson assez prolongée.
Chanterelles.
Après avoir épluché et lavé les Chanterelles on les passe à l'eau bouillante et on les fait cuire avec du beurre, de l'huile d'olive, estragon haché, sel, poivre et du zeste de citron. On les laisse cuire à feu doux et on les arrose de temps en temps avec de la crème et du bouillon. Ce champignon demande à être cuit longtemps et à feu doux.
CÈPES
Cèpes à la Bordelaise.
Prenez des champignons encore jeunes et dont la chair est ferme et bien blanche, enlevez-en les tubes (vulgairement foin) et le pied, pelez-les et les coupez par morceaux. Ensuite faites-les revenir un instant pour leur enlever une partie de leur eau; exprimez légèrement et faites cuire avec de l'huile, du persil, de l'ail haché, poivre et sel, ajoutez vers la fin un peu de jus de citron. Souvent on les mange cuits simplement sur le gril et convenablement assaisonnés, ou encore frits dans la poêle, avec du beurre, du saindoux ou de l'huile.
On peut encore préparer un potage aux cèpes en suivant la recette que nous avons indiquée au champignon de couche.
Nous pourrions encore ajouter de nouvelles recettes culinaires, mais à quoi bon; nos lecteurs sauront bien, dans les années d'abondance, varier les manières d'apprêter ces excellents champignons.
Langue de bœuf.
Ce champignon acquiert quelquefois des dimensions assez considérables, mais il est préférable de faire emploi de ceux qui ne sont pas trop développés. Ils sont plus tendres et d'une digestion plus facile.
Après avoir épluché la langue de bœuf et supprimé les parties fibreuses, on la passe à l'eau bouillante et fait cuire avec du beurre, du persil, ciboule, poivre, sel; on ajoute ensuite des jaunes d'œufs.
On mange également ce champignon cuit sous la cendre et coupé par tranches en y ajoutant une liaison.
En Autriche, on l'ajoute à la salade coupé en tranches comme la betterave.
Hydne sinué.
Ce champignon est fort bon réduit en purée et assaisonné de bouillon ou de consommé.
Souvent on le prépare avec du beurre, sel, poivre, etc.
On peut aussi, avec avantage, l'ajouter aux ragoûts; il demande à être bien cuit.
Clavaires.
Les Clavaires, en raison de leur extrême division, demandent à être examinées et nettoyées avec grand soin. Toutes les Clavaires sont comestibles. Après les avoir lavées et épluchées à l'eau tiède, on les égoutte et fait cuire avec du beurre, du persil, un peu de ciboule, poivre et sel. Lorsqu'elles sont cuites on ajoute une liaison de jaune d'œuf.
Les Clavaires s'allient fort bien avec la viande.
On peut aussi les confire au vinaigre en guise de cornichons.
Morilles, Helvelles et Pézizes.
Toutes les Morilles sont également comestibles et très recherchées par tout le monde.
Quelle que soit la façon dont on prépare les Morilles, il faut au préalable les examiner avec soin, afin d'éviter qu'il ne se trouve dans leurs alvéoles des corps étrangers ou même des insectes; puis on les coupe en quatre et les passe rapidement dans l'eau. Ceci fait, on les mettra dans une casserole avec du beurre, poivre, sel, persil, et un morceau de jambon. Faire cuire pendant une heure en ajoutant de temps à autre du bouillon, car les Morilles rendent peu d'eau.
Vers la fin de la cuisson, on ajoute des jaunes d'œufs comme liaison. On peut les servir seules ou sur une croûte de pain rissolée et beurrée. Pour les omelettes aux Morilles, on hache celles-ci menu et on les mélange aux œufs.
Les mêmes manières et aussi les mêmes précautions s'appliquent aux Helvelles et aux Pézizes.
Truffes.
On mange des truffes cuites au vin de Champagne, en potages ou ragoûts, en tourtes, mais l'emploi le plus fréquent de ces excellents champignons est surtout dans le truffage des volailles et la fabrication des pâtés de foie gras. C'est là que la truffe développe davantage son merveilleux parfum.
Le gourmet, paraît-il, préfère néanmoins les truffes cuites sous la cendre et sans apprêt.
L'huile ou tout autre corps gras se marie fort bien à la truffe dont la chair est naturellement sèche. Après l'huile, le vin est le véhicule qui lui convient le mieux.
Pour faire un bon ragoût de truffes, il faut, après les avoir bien lavées et brossées, les faire tremper dans l'huile. On les coupe ensuite par tranches et on les met sur le plat avec de l'huile ou du beurre, un peu de vin, du sel et du poivre. Au bout d'une demi-heure elles sont cuites; on ajoute alors une liaison de jaune d'œuf.
Omelette aux champignons.
Commencer par faire cuire à la poêle les champignons—de préférence des espèces délicates—après les avoir divisés en petits morceaux; quand ils sont à point, on verse par-dessus les œufs battus comme il convient; on mélange bien la masse pour répartir à peu près également les champignons et on fait cuire comme une omelette ordinaire.
CHAPITRE IX
Emploi des champignons dans l'industrie et la médecine.
Les champignons proprement dits n'ont qu'un emploi assez restreint dans l'industrie et la médecine. Avec le Polyporus fomentarius, vulgairement appelé amadouvier, que l'on trouve sur les troncs des vieux chênes et hêtres, on fabrique l'amadou, employé pour arrêter les hémorragies. Pour l'obtenir on le ramollit en l'exposant dans un endroit humide, on le prive de son écorce, puis on le divise en tranches minces que l'on bat avec un maillet jusqu'à ce qu'elles aient atteint la souplesse voulue. Pour l'usage des fumeurs on l'imprègne de salpêtre, ce qui lui donne une combustion plus régulière et plus sûre.
Un autre champignon, le Polypore du bouleau, coupé par tranches convenablement préparées, donne des cuirs à rasoirs fort appréciés.
Certaines matières colorantes pourraient être retirées des champignons; ainsi le Polyporus hispidus est susceptible de teindre en marron; le Polyporus sulfureus donne une couleur jaune. Bulliard a montré que l'on pouvait composer une bonne encre avec le Coprinus atramentarius, appelé pour cela Encrier ou goutte d'encre par le peuple.
En 1876, M. E. Boudier, le Maître de la mycologie française, a soumis à la Société botanique de France un mémoire de plusieurs pages, écrit par lui sept ans auparavant avec de l'encre du Coprinus atramentarius, sauf les passages ayant trait au C. comatus qui l'ont été avec l'encre de ce dernier. Le mémoire en question doit se trouver encore aux archives de la Société prénommée. L'encre employée, dont la coloration est due aux spores mûres, a de l'analogie avec celle de Chine.
La médecine, contrairement à ce que l'on aurait pu croire, utilise fort peu de champignons, bien que certains soient doués de propriétés bien caractérisées. Le Polyporus officinalis ou Polypore du mélèze est souvent employé contre les sueurs nocturnes des phtisiques. L'Ergot de seigle fournit l'ergotine qui est d'un emploi fréquent dans la médecine pour arrêter les hémorragies.
Le poison qu'on extrait de l'Amanita muscaria ou Fausse Oronge a sur l'organisme un effet analogue à celui du Curare, et s'emploie sous forme de teinture contre l'épilepsie.
CHAPITRE X
Culture des champignons.
Depuis fort longtemps l'homme, en vue de satisfaire sa passion pour les champignons, a essayé de les cultiver. Les Romains et les Grecs savaient comme nous cultiver le Champignon de couche.
De nos jours, voici comment on opère:
L'élément essentiel pour la production du champignon de couche est le fumier et de préférence celui de cheval. On fait subir à ce fumier une série d'opérations qui ont pour but de développer dans sa masse une certaine fermentation qui l'amène à un état de décomposition favorable au développement du champignon; en somme on vieillit le fumier. Pour arriver à ce résultat, il est nécessaire de mélanger plusieurs fois les différentes parties du fumier; il faut, comme on dit, le recouper. Lorsqu'il est à point, on prépare les couches qui ont généralement 45 à 55 centimètres de hauteur sur 50 à 65 de largeur. En terme de métier la couche est appelée meule; lorsque la meule est terminée, on la régularise, «on la peigne», puis on la larde. Le lardage consiste à introduire dans la couche des portions de blanc de champignon. Quelques jours après, lorsque l'on voit des filaments blancs rayonner, on procède au goptage, c'est-à-dire que l'on recouvre la surface de la meule d'une couche de 2 centimètres environ d'un mélange plus ou moins salpêtre qui sert de protection à la couche. Cinq ou six semaines après le lardage, les champignons commencent à se montrer; la récolte peut durer pendant trois mois. On cueille les champignons lorsqu'ils sont encore jeunes, c'est-à-dire non ouverts, en sorte que les lames ou feuillets n'ont pas encore la teinte foncée que représente notre planche.
Des essais de culture d'autres champignons, tels que la truffe, la morille, ont été tentés, et ont donné parfois des résultats satisfaisants sans que l'on puisse cependant en induire que l'on possède une méthode sûre, qui permette de produire à volonté ces précieux condiments.
Pour la truffe, au moins jusqu'à présent, on se borne à favoriser, voire même à augmenter la production des truffières naturelles.
M. Boulanger serait arrivé à des résultats concluants en partant de la spore, qu'il fait germer directement: et dans un domaine qu'il possède aux environs de Paris, il aurait pu établir des centres de production, qui semblent être le résultat d'un ensemencement direct; ces expériences fort intéressantes et d'une grande importance sont encore trop récentes et trop peu nombreuses pour pouvoir être considérées comme acquises.
Quant à la Morille, on ne sait encore rien de précis sur sa culture, et ce n'est qu'accidentellement que quelques expérimentateurs ont pu récolter ce champignon. Nous citerons à ce propos une observation que nous avons eu l'occasion de faire il y a quelques années.
Une administration de l'État ayant à détruire une grande quantité de documents, les fit réunir dans un endroit clos de murs, arroser de pétrole et brûler; ceci se passait à l'automne. Au printemps suivant on put recueillir dans cet enclos, situé en pleine ville, environ 2 kilos de Morchella hortensis. Le hasard ayant voulu que la même année des dossiers fussent brûlés chez un avoué de notre ville, nous y trouvâmes trois Morchella semi-libera. Il y a peut-être là une indication pour les essais de culture de la morille.
Notons du reste que la présence du charbon semble être favorable à la pousse de certains champignons; tout le monde sait que dans les forêts, les places où l'on fait du charbon se peuplent, peu de temps après, de champignons d'espèces différentes. Enfin, nous ajouterons qu'en Italie on obtient le Polypore tubérastre, en arrosant de temps en temps une sorte de tuf, appelé la Pieta fungaja (pierre à champignon).
D'après M. Devaux, on pourrait se procurer aisément l'Agaric atténué (Pholiota cylindracea), très estimé dans le Languedoc où il est connu sous le nom de Pibaulado. Il suffit de prendre de larges rondelles de peuplier, de 3 ou 4 centimètres d'épaisseur; on frotte l'une des faces avec des feuillets mûrs de l'Agaric atténué, puis l'on place en terre ces rondelles que l'on recouvre d'une légère couche de terreau. Les champignons apparaissent un ou deux mois après, surtout si l'on a pris soin d'arroser de temps en temps.
On peut aussi obtenir certains champignons, notamment le Pied bleu (Tricholoma nudum), en transportant dans une cave une portion d'humus rempli de filaments mycéliens; si l'on a opéré avec précaution, les champignons se développent à leur époque habituelle.
CHAPITRE XI
Classification des champignons.
Dans un ouvrage de vulgarisation comme celui que nous présentons au public, et qui ne contient qu'un petit nombre de champignons décrits, on pourrait fort bien omettre de parler de classification. Mais comme dans ce petit livre nous avons essayé de faire connaître des généralités sur ces intéressants végétaux, nous pensons qu'il est de notre devoir de dire un mot sur la classification de ces cryptogames.
C'est à Elias Fries, grand naturaliste suédois, né en 1794 et mort en 1878, que nous devons la première classification rationnelle des champignons. C'est encore celle que l'on suit le plus généralement à l'époque actuelle, au moins dans ses grandes lignes.
L'ensemble des champignons peut se subdiviser en groupes plus ou moins importants, caractérisés surtout par la situation des spores (nous avons dit plus haut que les spores sont les graines des champignons).
Parmi ces groupes, nous parlerons seulement de ceux qui comprennent les espèces décrites dans notre ouvrage. Ce sont les Hyménomycètes, les Discomycètes, les Gastéromycètes et les Tubéracées.
Disons de suite que tous ces mots, qui paraissent barbares au premier abord, sont tirés du grec: ils ont le grand avantage de résumer en un seul mot toute une phrase.
Ainsi Hyménomycètes veut dire champignons pourvus d'un hyménium quelconque.
Discomycètes signifie que les champignons qui rentrent dans ce groupe ont plus ou moins la forme d'un disque.
Les Gastéromycètes comprennent des champignons généralement globuleux, ventrus, pourrions-nous dire, puisque gaster veut dire ventre.
Enfin Tubéracées s'applique aux champignons souterrains.
Beaucoup d'autres mots tirés également soit du grec, soit du latin, sont employés comme nous le verrons dans la classification des champignons, on s'y habitue très facilement.
Les Hyménomycètes renferment la plupart des grosses espèces ou champignons proprement dits. Dans toutes les espèces de ce groupe, les spores se trouvent toujours placées à l'extérieur du champignon, ou tout au moins sur une surface en communication naturelle avec l'air extérieur. Cette surface qui porte les spores a reçu le nom d'hyménium, d'où l'on a fait Hyménomycètes.
Tous les Agarics, les Bolets, les Clavaires, etc., font partie de ce groupe.
Ces champignons poussent sur la terre ou plus rarement sur le bois; ils sont membraneux (c'est-à-dire minces et transparents), coriaces, ou charnus et même ligneux.
Les Gastéromycètes diffèrent des Hyménomycètes en ce que leur fructification se développe à l'intérieur même du champignon; elle est interne et non externe.
Ce sont des champignons terrestres, poussant plus rarement sur le bois; ils sont membraneux, coriaces ou charnus, mais non véritablement ligneux. Nous citerons comme exemple les Lycoperdons, vulgairement appelés Vesse-loup. (On dit aussi Vesse-de-loup.)
Dans les deux groupes dont nous venons de parler, les spores se forment librement à l'extrémité de cellules spéciales auxquelles on a donné le nom de basides, et jamais elles ne se produisent à l'intérieur de grandes cellules, comme nous le verrons dans les deux groupes dont nous allons parler.
Les Discomycètes comprennent des champignons charnus ou coriaces, de formes très différentes. Tous sont caractérisés par leur appareil de fructification qui diffère essentiellement de ce que nous venons de voir.
L'hyménium des Discomycètes est formé de grandes cellules allongées, accolées les unes aux autres, comme le sont des sacs de blé, par exemple, dressés les uns contre les autres. Ces grandes cellules, appelées thèques ou asques, sont le plus souvent entremêlées d'autres, très longues et très ténues, que l'on nomme paraphyses.
C'est dans l'intérieur de ces grandes cellules (asques ou thèques) que se forment les spores, variables suivant les espèces, et toujours libres, c'est-à-dire non soudées entre elles, mais, chose remarquable, généralement au nombre de huit.
Les Morilles, les Helvelles, les Pézizes, etc., sont des Discomycètes.
Lorsque les spores sont mûres, elles s'échappent des thèques avec une force de projection souvent très grande, et dans certaines pézizes et helvelles, il est facile de constater ce phénomène, car l'expulsion des spores en masse donne lieu comme à une production très apparente de poussière. C'est surtout lorsqu'une helvelle et une pézize sont soumises à un mouvement brusque, qu'a lieu cette émission de spores; l'expérience peut se répéter plusieurs fois de suite sur le même individu.
On n'est pas encore bien fixé sur les causes de cette projection; il est fort possible que les paraphyses qui accompagnent les thèques interviennent dans le phénomène de l'émission des spores.
En effet, c'est surtout sous l'influence d'un choc ou d'un attouchement quelconque qu'elle se produit. On pourrait alors penser que les paraphyses, animées d'un mouvement vibratoire, pressent sur les thèques d'une façon suffisante pour en expulser les spores.
Nous pourrions ajouter que l'extrémité des paraphyses est le plus souvent remplie de granulations colorées et douées d'un mouvement vibratoire très rapide; ne serait-il pas possible de voir dans ces granulations des organes utiles à la fécondation? Or, ne l'oublions pas, on connaît jusqu'alors fort peu de chose sur ce sujet. Y a-t-il chez les champignons, comme chez les plantes plus élevées en organisation, une véritable fécondation, c'est-à-dire l'action d'une cellule mâle sur une cellule femelle? A vrai dire nous le pensons, et peut-être ne serait-il pas impossible que dans les Discomycètes en particulier, la ou les cellules mâles soient contenues dans les paraphyses, d'où elles s'échapperaient au passage des spores issues des thèques. Il y a lieu de remarquer en effet que les paraphyses dépassent sensiblement ces dernières, et que les spores doivent en s'échappant passer au contact des paraphyses où elles peuvent s'imprégner des cellules fécondantes mâles.
Dans les Hyménomycètes et particulièrement dans les Agaricinées, on trouve sur l'hyménium des cellules spéciales, grandes, dépassant sensiblement les spores, et que nous serions tentés d'assimiler aux paraphyses des Discomycètes. Ces cystides, comme on les nomme, sont le plus souvent remplies de fines granulations, analogues à celles d'un pollen fécondant. A un moment donné, ces cystides s'ouvrent à leur extrémité et laissent échapper leur contenu qui pourrait fort bien féconder les spores.
Tout ceci, bien entendu, n'est qu'une opinion personnelle, bien loin d'être démontrée.
Les Tubéracées qui sont représentées dans notre livre par la truffe que tout le monde connaît, sont des champignons globuleux, qui poussent généralement à une petite profondeur dans la terre. Ces champignons sont charnus, coriaces, et ils renferment dans leur intérieur des thèques munies de spores au nombre de 1 à 8.
Les groupes dont nous venons de parler se subdivisent à leur tour en familles, les familles en genres, et les genres en espèces.
Le groupe des Hyménomycètes comprend les familles suivantes:
Les Agaricinées, caractérisées par la présence d'un hyménium disposé sous forme de lames ou feuillets rayonnants, supportant les spores. Exemple: le Champignon de couche (fig. 1).
Les Polyporées, caractérisées par la présence de tubes renfermant les spores. Exemple: le Cèpe (fig. 2).
Les Hydnées, caractérisées par la présence de pointes coniques ou aplaties, garnies à leur surface de spores. Exemple: l'Hydne.
Les Auriculariées, comprenant les champignons dont l'hyménium est lisse ou ridé, et non lamellaire, poreux ou en pointe. Exemple: la Craterelle.
Les Clavariées, comprenant des champignons charnus, dressés, rameux le plus souvent, et garnis de spores sur toute leur surface qui est lisse. Exemple: les Clavaires.
Les Trémellacées, comprenant des champignons à réceptacles minces ou gélatineux, ordinairement recouverts à leur surface par l'hyménium sporifère. Exemple: les Tremelles.
Dans ces quatre dernières familles les spores se trouvent placées simplement à la surface du champignon; alors l'hyménium se trouve moins localisé que dans les Agaricinées et les Polyporées, sauf peut-être dans les Hydnées où il se trouve exclusivement sur les piquants ou pointes, qui garnissent la partie inférieure du chapeau.