← Retour

Othello

16px
100%

SCÈNE IV

Toujours dans le château.

Entrent DESDÉMONA et ÉMILIA suivies du BOUFFON.


DESDÉMONA.—Savez-vous, drôle, où est caché le lieutenant Cassio?

LE BOUFFON.—Je ne puis dire qu'il soit caché quelque part16.

Note 16: (retour)

Dans l'impossibilité de rendre avec exactitude tous les calembours du bouffon, on a tâché de suppléer par des équivalents; il joue sans cesse sur les mots to lie, être couché, être dans quelque endroit, et to lie, mentir. Ce jeu de mots est très-fréquent dans Shakspeare.

DESDÉMONA.—Quoi donc?

LE BOUFFON.—C'est un soldat, et, pour moi, dire qu'un soldat se cache, c'est le frapper.

DESDÉMONA.—Allons-donc, où loge-t-il?

LE BOUFFON.—Vous dire où il loge, ce serait vous dire par où je mens.

DESDÉMONA.—Que veut dire tout cela?

LE BOUFFON.—Je ne sais où il loge; et pour moi, supposer un logement et vous dire: «Il loge ici ou là,» ce serait mentir par ma gorge.

DESDÉMONA.—Pouvez-vous aller le chercher et vous informer du lieu où il est?

LE BOUFFON.—Je questionnerai tout le monde sur lui, et par mes questions, je dicterai les réponses.

DESDÉMONA.—Cherchez-le, dites-lui de venir, annoncez-lui que j'ai touché mon seigneur en sa faveur, et que j'espère que tout ira bien.

LE BOUFFON.—Ceci est à la portée de l'esprit d'un homme, et je vais l'entreprendre.

DESDÉMONA.—Où puis-je avoir perdu ce mouchoir, Émilia?

ÉMILIA.—Je ne sais, madame.

DESDÉMONA.—Crois-moi, j'aimerais mieux avoir perdu ma bourse pleine de crusades: et si mon noble More n'avait pas une belle âme où n'entrent point les bassesses de tant de jalouses créatures, il y en aurait assez pour lui donner de mauvaises pensées.

ÉMILIA.—Il n'est donc pas jaloux?

DESDÉMONA.—Qui, lui? Je crois que le soleil sous lequel il est né a purgé son sang de toutes ces humeurs.

ÉMILIA.—Regardez, le voilà qui vient.

DESDÉMONA.—Je ne le quitte plus qu'il n'ait rappelé Cassio. (Entre Othello.) Eh bien! seigneur, comment allez-vous?

OTHELLO.—Bien, ma bonne dame. (A part.) Oh! qu'il est difficile de dissimuler!—Comment vous portez-vous, Desdémona?

DESDÉMONA.—Bien, mon bon seigneur.

OTHELLO—Donnez-moi votre main. Cette main est moite, madame.

DESDÉMONA.—Elle n'a encore éprouvé ni les atteintes de l'âge, ni celles du chagrin.

OTHELLO.—Ceci dénote une grande fécondité et un coeur facile.—Chaude, chaude et moite!—Cette main dit qu'il vous faut de la retraite, moins de liberté, des jeûnes, des prières, des mortifications, de pieux exercices; car il y a ici un jeune et ardent démon, qui souvent se révolte: voilà une bonne main, une main bien franche!

DESDÉMONA.—Oh! vous pouvez bien le dire avec vérité, car ce fut cette main qui donna mon coeur.

OTHELLO.—Une main libérale! Jadis le coeur donnait la main; maintenant, dans notre blason moderne, c'est la main qu'on donne et non plus le coeur.

DESDÉMONA.—Je ne sais ce que vous voulez dire; revenons à votre promesse.

OTHELLO.—Quelle promesse, ma belle?

DESDÉMONA.—J'ai envoyé dire à Cassio de venir vous parler.

OTHELLO.—J'ai un rhume opiniâtre qui m'importune: prêtez-moi votre mouchoir.

DESDÉMONA.—Le voilà, seigneur.

OTHELLO.—Celui que je vous ai donné.

DESDÉMONA.—Je ne l'ai pas sur moi.

OTHELLO.—Non?

DESDÉMONA.—Non, en vérité, seigneur.

OTHELLO.—Vous avez tort. C'est une Égyptienne qui avait donné ce mouchoir à ma mère! et c'était une magicienne qui savait presque lire dans les pensées. Elle lui promit que, tant qu'elle le conserverait, il la rendrait toujours aimable et soumettrait complétement mon père à son amour; mais que si elle le perdait ou le donnait, les yeux de mon père ne la verraient plus qu'avec dégoût, et chercheraient ailleurs de nouveaux caprices. En mourant elle me le donna, et me recommanda, quand ma destinée me ferait épouser une femme, de le lui donner aussi. Je l'ai fait, et prenez-en bien soin. Conservez-le précieusement comme la prunelle de votre oeil. Le perdre ou le donner serait un malheur que n'égalerait aucun autre.

DESDÉMONA.—Est-il possible?

OTHELLO.—Cela est vrai.—Il y a une vertu magique dans le tissu de ce mouchoir.—Une prêtresse, qui deux cents fois avait vu le soleil parcourir le cercle de l'année, en ourdit la trame dans ses fureurs prophétiques; les vers qui ont fourni la soie étaient consacrés; et il fut teint avec la couleur de momie que d'habiles gens tiraient des coeurs de jeunes filles.

DESDÉMONA.—En vérité, cela est-il vrai?

OTHELLO.—Rien n'est plus vrai. Ainsi prenez-y bien garde.

DESDÉMONA.—Ah! plût au ciel que je ne l'eusse jamais vu!

OTHELLO.—Ah! pourquoi?

DESDÉMONA.—Pourquoi me parlez-vous d'un ton si brusque et emporté?

OTHELLO.—Est-il perdu? Est-il sorti de vos mains? parlez, ne l'avez-vous plus?

DESDÉMONA.—Le ciel nous bénisse!

OTHELLO.—Que dites-vous?

DESDÉMONA.—Il n'est pas perdu: mais quoi? quand il le serait?

OTHELLO.—Ah!

DESDÉMONA.—Je vous dis qu'il n'est pas perdu.

OTHELLO.—Allez le chercher, je veux le voir.

DESDÉMONA.—Oui, monsieur, je le pourrais; mais en ce moment, je ne veux pas. C'est une ruse de votre part, pour me faire perdre de vue ma demande. Je vous en prie, que Cassio rentre en grâce.

OTHELLO.—Trouvez-moi le mouchoir; j'augure mal...

DESDÉMONA.—Allons, cédez, vous ne retrouverez jamais un officier plus capable.

OTHELLO.—Le mouchoir!

DESDÉMONA.—De grâce, parlez-moi de Cassio.

OTHELLO.—Le mouchoir!

DESDÉMONA.—Un homme qui toute sa vie a fondé l'espoir de sa fortune sur votre amitié, qui partagea tous vos dangers.

OTHELLO.—Le mouchoir!

DESDÉMONA.—En vérité, vous méritez mes reproches.

OTHELLO.—Allez-vous-en! (Il sort.)

ÉMILIA.—Cet homme n'est-il pas jaloux?

DESDÉMONA.—Je n'avais encore rien vu de semblable! Sûrement il y a quelque charme dans ce mouchoir. Je suis bien malheureuse de l'avoir perdu!

ÉMILIA.—Ce n'est pas une année ou deux qui nous montrent le coeur d'un homme: d'abord ils sont comme affamés, et nous sommes leur proie; ils nous dévorent avec avidité; puis, quand ils sont rassasiés, ils nous repoussent.—Voyez! C'est Cassio et mon mari.

(Entrent Jago et Cassio.)

JAGO, à Cassio.—Il n'y a pas d'autre moyen: c'est elle qui peut l'obtenir. (Apercevant Desdémona.) Et voyez, le bonheur! Allez, pressez-la.

DESDÉMONA.—Qu'y a-t-il, bon Cassio? Quel nouveau sujet vous amène?

CASSIO.—Madame, toujours mon ancienne prière. Je vous en conjure, que par vos généreux secours je revienne à la vie et reprenne ma place dans l'amitié de celui que j'honore de tout l'hommage de mon coeur. Je ne voudrais pas essuyer tant de délais. Si mon offense est mortelle; si mes chagrins actuels, ni mes services passés, ni ceux que je me propose pour l'avenir ne peuvent racheter son amitié, en être instruit est du moins une grâce qui m'est due. Alors, je me revêtirai d'une satisfaction forcée, j'irai me jeter dans quelque autre route à la merci de la fortune.

DESDÉMONA.—Hélas! trop honnête Cassio, mes sollicitations ne sont pas maintenant à l'unisson de son âme. Mon seigneur n'est plus mon seigneur! Et je ne le reconnaîtrais pas si ses traits étaient aussi changés que son humeur. Que tous les saints esprits du ciel me soient propices, comme il est vrai que j'ai parlé pour vous de mon mieux, et que je suis restée en butte à son déplaisir pour m'être expliquée librement! Il vous faut patienter quelque temps: ce que je puis, je le ferai; et je tenterai pour vous plus que je n'oserais pour moi-même. Que cela vous suffise.

JAGO.—Mon seigneur est-il en colère?

ÉMILIA.—Il vient de sortir, et certes dans une étrange agitation.

JAGO.—Peut-il être en colère? J'ai vu le canon faire voler en l'air les files de ses soldats, et, comme le diable lui-même, venir emporter son frère jusque dans ses bras... Et il serait en colère! Il faut quelque chose de bien grave... Je vais aller le trouver. La chose doit être bien grave, s'il est en colère.

DESDÉMONA.—Je t'en prie, vas-y.—(Jago sort.) Sûrement quelque nouvelle importante arrivée de Venise, ou quelque complot tramé sourdement dans Chypre, et dont il aura découvert le secret, aura troublé la paix de son âme; et dans de tels cas l'humeur des hommes s'en prend à de petites choses, bien que ce soient les grandes qui les occupent: voilà comme nous sommes; que nous ayons mal à un doigt, le sentiment de la douleur se répand dans tous nos autres membres qui se portent bien; car enfin nous devons penser que les hommes ne sont pas des dieux. Nous ne devons pas toujours nous attendre, de leur part, à ces soins qui conviennent au jour des noces. Gronde-moi, Émilia; juge injuste que j'étais, je l'accusais dans mon âme de dureté, mais je reconnais maintenant que le témoin était suborné, et qu'il était faussement accusé.

ÉMILIA.—Je prie le ciel que ce soit, comme vous le croyez, quelque affaire d'État, et non aucune idée, aucun soupçon de jalousie, qui l'aigrisse contre vous.

DESDÉMONA.—Hélas! le malheureux jour!—Jamais je ne lui en donnai sujet.

ÉMILIA.—Mais les coeurs jaloux ne se satisfont pas de cette réponse: ils ne sont pas toujours jaloux pour quelque raison; mais ils sont toujours jaloux, parce qu'ils sont jaloux. La jalousie est un monstre qui s'engendre lui-même, et qui naît de lui-même.

DESDÉMONA.—Que le ciel écarte ce monstre du coeur d'Othello!

ÉMILIA.—Amen, madame!

DESDÉMONA.—Je veux l'aller chercher. Cassio, promenez-vous par ici. Si je le trouve disposé, je lui rappellerai votre demande, et je ferai tout ce que je pourrai pour en obtenir le succès.

CASSIO.—Je remercie humblement Votre Seigneurie.

(Desdémona et Émilia sortent.)

(Entre Bianca.)

BIANCA.—Ah! Dieu vous garde, cher Cassio!

CASSIO.—Qui est-ce qui vous fait sortir de chez vous? Comment vous portez-vous, ma belle Bianca? D'honneur, ma douce amie, j'allais de ce pas chez vous.

BIANCA.—Et moi j'allais chez vous, Cassio. Comment! me fuir une semaine entière, sept jours et sept nuits, huit fois vingt heures! Et les heures de l'absence des amants sont cent fois plus lentes que les heures du cadran. Oh! triste calcul!

CASSIO.—Excusez-moi, Bianca; tout ce temps j'ai été oppressé de pensées accablantes; mais avec moins d'interruptions j'effacerai le souvenir de cette longue suite d'absences. Chère Bianca (il tire de sa poche le mouchoir de Desdémona et le lui présente), copiez-moi ce dessin.

BIANCA.—Oh! Cassio, d'où vient ceci? C'est le don de quelque nouvelle amie? Ah! je devine la cause d'une absence que j'ai trop sentie. En êtes-vous là? Bien, bien!

CASSIO.—Allez, femme, rejetez vos vils soupçons dans la gueule du diable où vous les avez pris. Vous êtes jalouse, maintenant? Vous croyez que ceci vient de quelque maîtresse, que c'est un souvenir? Non, en bonne foi, Bianca.

BIANCA.—Eh bien! à qui appartient-il?

CASSIO.—Je n'en sais rien encore, ma chère. Je l'ai trouvé dans ma chambre; le travail m'en plaît fort: avant qu'on le redemande, comme cela arrivera probablement, je voudrais en avoir le dessin: prenez-le, copiez-le, et laissez-moi pour le moment.

BIANCA.—Vous laisser, et pourquoi?

CASSIO.—J'attends ici le général, et je n'ai pas envie, car ce ne serait pas une recommandation pour moi, qu'il me trouve accosté d'une femme.

BIANCA.—Et pourquoi, s'il vous plaît?

CASSIO.—Ce n'est pas que je ne vous aime.

BIANCA.—Non, non, vous ne m'aimez point: je vous prie, du moins reconduisez-moi quelques pas; et dites si je vous verrai de bonne heure ce soir?

CASSIO.—Je ne puis vous accompagner bien loin, car c'est ici même que j'attends; mais je vous verrai de bonne heure.

BIANCA.—C'est bon, bon. Il faut bien que je me plie aux circonstances.

(Ils sortent.)

FIN DU TROISIÈME ACTE.



ACTE QUATRIÈME


SCÈNE I

Devant le château.

Entrent OTHELLO et JAGO


JAGO.—Voulez-vous vous arrêter à cette pensée?

OTHELLO.—A cette pensée, Jago.

JAGO.—Quoi, donner en secret un baiser!

OTHELLO.—Un baiser que rien ne légitime!

JAGO.—Ou s'enfermer seule avec un amant, dans la nuit17, une heure ou deux, sans aucun mauvais dessein!

Note 17: (retour)

Or to be naked with her friend abed

An hour or more, not meaning any harm!

OTH.—Naked abed, Jago, and not mean harm!

OTHELLO.—S'enfermer seule, Jago, et sans mauvais dessein! C'est vouloir user d'hypocrisie avec le diable. Ceux qui, avec des intentions pures, s'exposent ainsi, tentent le ciel, et le diable tente leur vertu.

JAGO.—S'ils s'en tiennent là, c'est une faute légère: mais si je donne à ma femme un mouchoir...

OTHELLO.—Eh bien?

JAGO.—Eh bien! alors il est à elle, seigneur; et dès qu'il est à elle, elle est libre, je pense, de le donner à qui il lui plaît.

OTHELLO.—Son honneur lui appartient de même: peut-elle aussi le donner?

JAGO.—L'honneur est un être invisible. Bien des femmes qui ne l'ont plus l'ont encore à nos yeux: mais pour le mouchoir...

OTHELLO.—Par le ciel, je l'aurais oublié volontiers.—Tu dis?—Oh! cette idée revient dans ma mémoire, comme sur la maison infestée revient le corbeau, présage de malheur.—Il a eu mon mouchoir!

JAGO.—Oui, qu'importe?

OTHELLO.—Cela se gâte, maintenant...

JAGO.—Que serait-ce si je disais l'avoir vu vous faire outrage, lui avoir entendu dire...? Car il est de par le monde des misérables qui, après avoir, à force de poursuites importunes, subjugué une maîtresse, ou reçu d'elle de volontaires faveurs, ne peuvent s'empêcher de bavarder.

OTHELLO.—A-t-il dit quelque chose?

JAGO.—Oui, seigneur; mais, soyez-en bien sûr, il n'a rien dit qu'il ne soit prêt à nier.

OTHELLO.—Qu'a-t-il dit?

JAGO.—Ma foi... qu'il a... Je ne sais pas ce qu'il a fait.

OTHELLO.—Quoi, quoi?

JAGO.—Été reçu...

OTHELLO.—Où?

JAGO.—Dans son lit.

OTHELLO.—Avec elle?

JAGO.—Avec elle, auprès d'elle.—Tout ce que vous voudrez.

OTHELLO.—Reçu dans son lit!—Avec elle!—Auprès d'elle!—Dans son lit!—O cela est horrible!—Le mouchoir!—Des aveux!—Le mouchoir!—Qu'il avoue et qu'il soit pendu pour son forfait.—Non, d'abord pendu, et il avouera après...—J'en frissonne.—Non, la nature ne serait point ainsi saisie et possédée par une passion souveraine, sans un motif réel18.—Non, ce ne sont point des paroles qui me bouleversent de la sorte!—Ses yeux!—Ses joues!—Ses lèvres!—Est-il possible?—Avoue.—Le mouchoir!—O démon!

(Il tombe sans connaissance.)

Note 18: (retour)

Nature would not vest herself in such shadowing passion without some instruction Les commentateurs ont tourmenté de mille façons le passage dont le sens tel que nous l'avons donné est parfaitement clair et d'accord avec les mots qui précèdent comme avec toute la situation.

JAGO.—Opérez, mes poisons, opérez. Voilà comment se laissent prendre les fous crédules, et comment, malgré leur innocence, de chastes et vertueuses dames subissent les reproches.—Holà, seigneur! mon seigneur! Othello! (Entre Cassio.) Ah! Cassio, quelle nouvelle!

CASSIO.—Qu'est-il donc arrivé?

JAGO.—Mon seigneur vient de tomber dans une attaque d'épilepsie; c'est la seconde; il en eut une hier.

CASSIO.—Frottons-lui les tempes.

JAGO.—Non, laissez; il faut que cet engourdissement léthargique ait son libre cours, autrement vous le verrez écumer et passer bientôt à une sauvage frénésie.—Regardez, il s'agite: retirez-vous pour quelque temps; il va reprendre ses sens: dès qu'il m'aura quitté, j'ai à vous parler d'une affaire importante. (Cassio sort.) Eh bien! général, comment vous trouvez-vous? ne vous êtes-vous pas blessé à la tête!

OTHELLO.—Te moques-tu de moi?

JAGO.—Me moquer de vous? non par le ciel; je voudrais que vous supportassiez votre sort en homme.

OTHELLO.—Un homme qui porte des cornes n'est plus qu'une brute, un monstre.

JAGO.—Il y a donc bien des brutes et des monstres dans une grande ville?

OTHELLO.—L'a-t-il avoué?

JAGO.—Mon bon seigneur, soyez un homme. Croyez qu'un même sort attelle avec vous tout homme qui a subi le joug du mariage. Il y a, à l'heure qu'il est, des millions de maris qui la nuit dorment dans des lits où d'autres ont pris place, et qu'ils jureraient n'appartenir qu'à eux seuls. Votre situation vaut mieux: oh! c'est être le jouet de l'enfer, et subir les suprêmes moqueries du démon, que d'embrasser une prostituée et de reposer avec sécurité près d'elle, en la croyant chaste.—Non, que je sache tout; et sachant ce que je suis, je saurai aussi ce qu'elle doit devenir à son tour.

OTHELLO.—Oh! tu as raison! cela est certain.

JAGO.—Restez un moment à l'écart, et prêtez l'oreille avec patience. Tandis que vous étiez ici, il y a un moment, fou de votre malheur (passion indigne d'un homme tel que vous), Cassio est arrivé; je l'ai congédié en donnant à votre évanouissement une cause naturelle; mais je lui ai dit de revenir bientôt me parler, et il l'a promis. Cachez-vous dans cet enfoncement, et de là observez les airs moqueurs, les dédains, les sourires insultants qui viendront se peindre sur chaque trait de son visage. Je lui ferai raconter de nouveau toute l'aventure, où, comment, combien de fois, depuis quelle époque et quand il a été et doit être encore reçu par votre femme; remarquez seulement ses gestes; mais de la patience, seigneur, ou je dirai que vous n'êtes après tout que colère et que vous n'avez rien d'un homme.

OTHELLO.—Entends-tu, Jago? je serai bien prudent dans ma patience; mais aussi, entends-tu? bien sanguinaire.

JAGO.—Et ce ne sera pas sans raison; mais laissez venir le temps pour tout. Voulez-vous vous retirer? (Othello s'éloigne et se cache.) Maintenant je veux questionner Cassio sur Bianca. C'est une aventurière qui, en vendant ses caresses, s'achète du pain et des vêtements. Cette créature est passionnée pour Cassio; car c'est le fléau des filles de tromper cent hommes, pour être trompées par un seul. Quand on parle d'elle à Cassio, il ne peut s'empêcher d'éclater de rire.—Il vient.—Dès qu'il va sourire, Othello deviendra furieux, et son aveugle jalousie verra tout de travers les sourires, les gestes, les airs libres du pauvre Cassio. (Entre Cassio.) Eh bien! lieutenant, comment êtes-vous maintenant?

CASSIO.—D'autant plus mal, que vous me donnez un titre dont la privation me tue.

JAGO, élevant la voix.—Cultivez bien Desdémona et vous êtes sûr du succès. (Baissant le ton.) Oh! si cette grâce dépendait de Bianca, comme vos désirs seraient bientôt satisfaits!

CASSIO.—Ah! bonne petite âme!

OTHELLO, à part.—Voyez comme il sourit déjà.

JAGO, à voix haute.—Je n'ai jamais vu femme si passionnée pour un homme.

CASSIO.—Oh! la pauvre créature, je crois en effet qu'elle m'aime.

OTHELLO, à part.—Oui, il le nie faiblement, et sourit.

JAGO.—M'entendez-vous, Cassio?

OTHELLO, à part.—Maintenant il le presse de tout raconter. Va; poursuis: bien dit, bien dit.

JAGO.—Elle fait courir le bruit que vous comptez l'épouser: en avez-vous l'intention?

CASSIO.—Ha! ha! ha!

OTHELLO, à part.—Triomphes-tu, Romain? triomphes-tu?

CASSIO.—Moi l'épouser? Qui? une fille! Aie, je t'en prie, un peu meilleure opinion de mon esprit; ne lui crois pas si mauvais goût. Ha! ha! ha!

OTHELLO, à part.— Oui, oui, ils rient ceux qui remportent la victoire.

JAGO.—En vérité, le bruit court que vous l'épouserez.

CASSIO.—De grâce, parle vrai.

JAGO.—Je suis un drôle si je mens.

OTHELLO, à part.—As-tu fait mon compte? Bien, bien.

CASSIO.—C'est un propos de cette créature: elle s'est, dans son amour et sa vanterie, persuadée que je l'épouserais; mais je ne lui ai rien promis.

OTHELLO, à part.—Jago me fait signe: sans doute Cassio commence l'histoire.

CASSIO.—Elle était ici, il n'y a qu'un moment; elle me poursuit partout. L'autre jour j'étais sur le bord de la mer, causant avec quelques Vénitiens; tout à coup arrive la folle, et elle se jette ainsi à mon cou...

(Cassio peint, par son geste, le mouvement de Bianca.)

OTHELLO, à part.—S'écriant, ô mon cher Cassio! c'est ce que son geste exprime, je le vois.

CASSIO.—Et elle se pend à mon cou, et s'y balance, et pleure, et me tire, et me pousse. Ha! ha! ha!

OTHELLO, à part.—Il raconte maintenant comment elle l'a entraîné dans ma chambre. Oh! je vois maintenant ton nez, mais non le chien auquel je le jetterai.

CASSIO.—Il faut que j'évite sa rencontre.

JAGO.—Devant moi! Tenez, la voilà qui vient.

(Entre Bianca.)

CASSIO.—Ardente comme une chatte sauvage!—Mais celle-ci est parfumée.—(A Bianca.) Que me voulez-vous en me poursuivant de la sorte?

BIANCA.—Que le diable et sa femme vous poursuivent! Que me vouliez-vous vous-même, avec ce mouchoir que vous m'avez remis tantôt? J'étais une grande dupe de le prendre: et ne faut-il pas que j'en copie le dessin? Oui, sans doute, il est bien vraisemblable que vous l'ayez trouvé dans votre chambre, sans savoir qui peut l'y avoir laissé. C'est un don de quelque péronnelle, et il faut que j'en copie le dessin! (Elle lui jette le mouchoir.) Tenez, rendez-le à votre belle. Où que vous l'ayez pris, je n'en copierai pas un point.

CASSIO.—Comment, ma douce Bianca? Quoi donc? quoi donc?

OTHELLO, à part.—Par le ciel, voilà sûrement mon mouchoir!

BIANCA.—Si vous voulez venir souper ce soir, vous en êtes le maître; sinon, venez quand il vous plaira.

(Elle sort.)

JAGO.—Suivez-la, suivez-la.

CASSIO.—Il le faut bien, sans quoi elle va bavarder dans la rue.

JAGO.—Soupez-vous chez elle?

CASSIO.—Oui, c'est mon projet.

JAGO.—Peut-être pourrai-je vous y voir; car j'ai vraiment besoin de causer avec vous.

CASSIO.—Venez-y, je vous prie: voulez-vous?

JAGO.—N'en dites pas plus, partez.

(Cassio sort.)

(Othello s'avance.)

OTHELLO.—Comment le tuerai-je, Jago?

JAGO.—Avez-vous remarqué comme il s'applaudissait de son infâme action?

OTHELLO.—O Jago!

JAGO.—Et le mouchoir, l'avez-vous vu?

OTHELLO.—Était-ce le mien?

JAGO.—Le vôtre: je vous jure. Et de voir le cas qu'il fait de cette femme insensée, votre femme! Elle lui a donné ce mouchoir, et il l'a donné à sa maîtresse!

OTHELLO.—Je voudrais que son supplice pût durer neuf ans.—Une femme accomplie! une femme si belle! une femme si douce!

JAGO.—Allons, il faut oublier tout cela.

OTHELLO.—Oui; qu'elle meure, qu'elle périsse, qu'elle soit damnée cette nuit; elle ne vivra point.—Non, mon coeur est changé en pierre, je le frappe et cela me fait mal à la main.—Oh! l'univers n'avait pas une plus douce créature.—Elle était digne de partager la couche d'un empereur, et de lui imposer ses lois.

JAGO.—Eh! ce n'est pas là votre objet.

OTHELLO.—Qu'elle soit maudite! Je ne dis que ce qu'elle est en effet.—Si habile avec son aiguille!—Une musicienne admirable!—Oh! elle adoucirait en chantant la férocité d'un ours.—D'un esprit si élevé, d'une imagination si féconde!

JAGO.—Elle n'en est que plus coupable.

OTHELLO.—Oh! mille, mille fois plus!—Et puis, de si bonne naissance!

JAGO.—Oui, trop bonne!

OTHELLO.—Oui, cela est certain: mais vois, Jago, quelle pitié!—Oh! Jago! quelle pitié, Jago!

JAGO.—Si vous êtes si épris même de sa perfidie, donnez-lui pleine licence de vous outrager; car si l'injure ne vous touche point, elle n'offense personne.

OTHELLO.—Je veux la mettre en pièces.—Me déshonorer!

JAGO.—Oh! cela est infâme de sa part.

OTHELLO.—Avec mon officier!

JAGO.—Cela est plus infâme encore.

OTHELLO.—Procure-moi du poison, Jago, pour cette nuit; je ne veux point entrer en explication avec elle, de peur que ses grâces et sa beauté ne désarment encore mon âme.—Cette nuit, Jago.

JAGO.—Ne vous servez pas de poison: étranglez-la plutôt dans son lit; dans ce lit même qu'elle a souillé.

OTHELLO.—Bon, bon! cette justice me plaît.—Excellente idée.

JAGO.—Et pour Cassio, laissez-moi faire, je me charge de lui: vers minuit vous en saurez davantage.

(Une trompette se fait entendre au dehors.)

OTHELLO.—Excellente idée. Qu'annonce cette trompette?

JAGO.—Sûrement quelque nouvelle de Venise. Ah! c'est Lodovico envoyé par le duc: et voyez, votre femme l'accompagne.

(Entrent Lodovico, Desdémona et leur suite.)

LODOVICO.—Salut, brave général.

OTHELLO.—De tout mon coeur, seigneur.

LODOVICO.—Le duc et le sénat de Venise vous saluent.

(Il remet une dépêche à Othello.)

OTHELLO.—Je baise cet écrit, interprète de leur bon plaisir.

(Othello ouvre et lit la dépêche.)

DESDÉMONA.—Et quelles nouvelles, cher cousin Lodovico?

JAGO.—Je suis ravi de vous voir, seigneur: soyez le bienvenu en Chypre.

LODOVICO.—Je vous remercie; comment se porte le lieutenant Cassio?

JAGO.—Il vit, seigneur.

DESDÉMONA.—Mon cousin, il est survenu entre lui et mon seigneur une mésintelligence fâcheuse: mais vous saurez tout arranger.

OTHELLO, à demi-voix.—En êtes-vous bien sûre?

DESDÉMONA.—Mon seigneur?

OTHELLO, continuant de lire.—«Ne manquez pas de vous y conformer! Si vous voulez...

LODOVICO, à Desdémona.—Il ne s'adressait à personne; c'est de la lettre qu'il est occupé.—Est-ce qu'il y a de la division entre le général et Cassio?

DESDÉMONA.—Une division tout à fait malheureuse; je ferais beaucoup pour les réconcilier, à cause de l'amitié que je porte à Cassio.

OTHELLO, d'une voix étouffée.—Feux et soufre!

DESDÉMONA.—Seigneur?

OTHELLO.—Avez-vous votre bon sens?

DESDÉMONA.—Quoi, est-il en colère?

LODOVICO.—Il se peut que la lettre lui cause cette émotion; car le sénat, je crois, le rappelle à Venise, et donne à Cassio son gouvernement.

DESDÉMONA.—En vérité, j'en suis bien aise.

OTHELLO.—En vérité?

DESDÉMONA.—Mon seigneur?

OTHELLO.—Je suis bien aise, moi, de vous voir folle.

DESDÉMONA.—Pourquoi, cher Othello?

OTHELLO.—Démon!

(Il la frappe.)

DESDÉMONA.—Je n'ai pas mérité ceci.

LODOVICO.—Seigneur, on ne croirait pas cela à Venise, quand je jurerais que je l'ai vu de mes yeux. C'est beaucoup trop. Consolez-la, elle pleure.

OTHELLO.—Oh! démon, démon! Si les pleurs d'une femme pouvaient féconder la terre, chaque larme qu'elle laisse tomber deviendrait un crocodile.—(A Desdémona.) Hors de ma vue!

DESDÉMONA.—Je ne veux pas rester, puisque je vous offense.

(Elle fait quelques pas pour sortir.)

LODOVICO.—En vérité, voilà une femme bien soumise. Je vous en conjure, seigneur, rappelez-la.

OTHELLO.—Madame?

DESDÉMONA.—Mon seigneur?

OTHELLO, à Lodovico.—Que lui voulez-vous?

LODOVICO.—Qui! moi, seigneur?

OTHELLO.—Oui, vous; vous avez désiré que je la fisse revenir: seigneur, elle peut revenir et s'en aller, et revenir encore: et elle peut pleurer, seigneur, pleurer; et elle est soumise, comme vous dites, soumise, oh! très-soumise.—(A Desdémona.) Continuez, pleurez, pleurez. (A Lodovico.) Quant à cette lettre, seigneur...—(A Desdémona.) Oh! passion bien jouée!—(A lui-même.) On me rappelle à Venise.—(A Desdémona.) Sortez; je vous enverrai chercher tout à l'heure.—(A Lodovico.) Seigneur, j'obéis aux ordres; et je vais me rendre à Venise.—(A Desdémona.) Hors d'ici, sortez! (Desdémona sort.) Cassio prendra ma place: et Lodovico) seigneur, je vous invite à souper chez moi ce soir. Vous êtes le bienvenu à Chypre.—(En s'en allant.) Chèvres et guenons19!!

(Il sort.)

Note 19: (retour)

Othello se rappelle ici les perfides comparaisons de Jago, lorsqu'il cherche pour la première fois à exciter la jalousie du More.

LODOVICO.—Est-ce là ce noble More que tout notre sénat regarde comme suffisant à tout et pour tout?—Est-ce là ce grand caractère que la passion ne peut ébranler, et ce ferme courage qu'aucun accident, ni aucun coup du sort ne peut troubler ni abattre?

JAGO.—Il est bien changé.

LODOVICO.—Sa tête est-elle saine? son cerveau n'est-il pas dérangé?

JAGO.—Il est ce qu'il est: je ne puis me permettre de dire ce que je pense de lui, ce qu'il pourrait être...—S'il n'est pas tout ce qu'il pourrait être, je prie le ciel qu'il le soit.

LODOVICO.—Comment! frapper sa femme!

JAGO.—En effet cela n'était pas trop bien; et cependant je voudrais être sûr que ce coup-là sera le plus violent.

LODOVICO.—Est-ce son habitude? ou les lettres du sénat lui auraient-elles allumé le sang, et l'ont-elles jeté pour la première fois dans cet emportement?

JAGO.—Hélas! hélas! il ne serait pas honnête à moi de dire ce que j'ai vu et su. Vous l'observerez, et ses propres démarches le feront assez connaître pour me dispenser de parler. Suivez-le seulement, et voyez comment il agit.

LODOVICO.—Je suis fâché de m'être trompé sur son compte.

(Ils sortent.)


SCÈNE II

Une chambre dans le château.

Entrent OTHELLO, ÉMILIA.


OTHELLO.—Vous n'avez donc rien vu?

ÉMILIA.—Ni rien entendu, ni jamais rien soupçonné.

OTHELLO.—Mais vous les avez vus elle et Cassio ensemble.

ÉMILIA.—Mais alors je n'ai rien vu de mal; et cependant j'entendais chaque syllabe qui était prononcée entre eux.

OTHELLO.—Quoi! ils ne se sont jamais parlé bas?

ÉMILIA.—Jamais, mon seigneur.

OTHELLO.—Ils ne vous ont jamais renvoyée?

ÉMILIA.—Jamais.

OTHELLO.—Pour aller lui chercher son éventail, ses gants, son masque, ou quoi que ce soit?

ÉMILIA.—Jamais, mon seigneur.

OTHELLO.—Cela est étrange.

ÉMILIA.—J'ose vous répondre, seigneur, qu'elle est fidèle: j'y engage mon âme. Si vous pensez autre chose, bannissez cette pensée, elle abuse votre coeur. Si quelque misérable vous a mis des soupçons en tête, que le ciel lui envoie pour salaire la malédiction du serpent; car si elle n'est pas vertueuse, chaste et sincère, il n'y a point de mari heureux; la plus pure des femmes est impure comme la calomnie.

OTHELLO.—Dites-lui de venir, allez. (Émilia sort.) Elle en dit assez; mais ce n'est qu'une entremetteuse qui n'en peut dire davantage.—L'autre est une adroite coquine qui tient enfermés sous le verrou et la clef d'infâmes secrets, et cependant elle se met à genoux, et elle prie!... Je le lui ai vu faire.

(Entre Desdémona avec Émilia.)

DESDÉMONA.—Mon seigneur, que voulez-vous de moi?

OTHELLO.—Je vous prie, ma poule, venez ici.

DESDÉMONA.—Où vous plaît-il?

OTHELLO.—Que je voie dans vos yeux. Regardez-moi en face.

DESDÉMONA.—Quelle horrible fantaisie vous saisit?

OTHELLO, à Émilia.—Les femmes de votre métier, madame, laissent les amants tête-à-tête et ferment la porte; puis elles toussent ou crient hem! hem! si quelqu'un survient. A votre office, à votre office.—Allons, dépêchez-vous. (Émilia sort.)

DESDÉMONA tombe à genoux.—Je vous le demande à genoux, mon seigneur, que signifie votre discours? J'entends votre fureur dans vos paroles, mais je ne comprends pas vos paroles.

OTHELLO.—Qu'es-tu?

DESDÉMONA.—Votre femme, monseigneur, votre fidèle et loyale femme.

OTHELLO.—Viens, jure-le, damne-toi, de peur, comme tu ressembles aux êtres célestes, que les démons eux-mêmes n'osent s'emparer de toi. Damne-toi donc par un double crime; jure que tu m'es fidèle.

DESDÉMONA.—Le ciel sait que cela est vrai!

OTHELLO.—Le ciel sait que tu es perfide comme l'enfer.

DESDÉMONA.—Envers qui, mon seigneur? avec qui? Comment suis-je perfide?

OTHELLO.—Ah! Desdémona! va-t'en, va-t'en, va-t'en!

DESDÉMONA.—Hélas! jour fatal! pourquoi pleurez-vous? Suis-je la cause de ces larmes, mon seigneur? Si vous soupçonnez mon père d'être l'auteur de votre rappel, n'en rejetez pas le reproche sur moi: si vous l'avez perdu, moi aussi je l'ai perdu.

OTHELLO.—S'il avait plu au ciel de m'éprouver par le malheur, s'il avait fait pleuvoir sur ma tête nue tous les maux et toutes les humiliations, s'il m'avait plongé jusqu'au cou dans la pauvreté, s'il avait livré aux fers moi et mes plus belles espérances, j'aurais trouvé dans quelque coin de mon âme un reste de patience: mais, hélas! faire de moi un objet en butte au mépris qui dirigera vers moi son doigt immobile... Oh! oh!... Eh bien! cela même, j'aurais pu le supporter.—Oui, oui, je l'aurais pu.—Mais l'asile où j'avais enfermé tous les trésors de mon coeur, là où je dois vivre ou perdre la vie, la source où je puise mon existence, qui autrement se tarit, en être chassé, ou ne la garder que comme une citerne où d'impurs crapauds viennent s'unir!—Toi-même, ô patience, jeune chérubin aux lèvres de rose, voilà de quoi décolorer ton teint et rendre ta face aussi sombre que l'enfer!

DESDÉMONA.—J'espère que mon noble seigneur me tient pour vertueuse.

OTHELLO.—Oui, comme les mouches d'été, dans les boucheries, qui s'animent en battant des ailes20.—O toi, fleur des bois qui es si belle et exhales un parfum si doux que tu enivres les sens!...—Je voudrais que tu ne fusses jamais née!

Note 20: (retour)

O ay; as summer flies are in the shambles,

That quicken even with blowing.

Littéralement: Oui, comme sont, dans les boucheries, les mouches d'été qui s'accouplent en étendant leurs ailes.

DESDÉMONA.—Hélas! quel crime ai-je commis, sans le savoir?

OTHELLO.—Ce beau visage, ce livre admirable était-il donc fait pour écrire dessus prostituée?—Ce que tu as, ce que tu as commis?—O fille publique, si je disais ce que tu as fait, un feu ardent embraserait mes joues et toute pudeur serait réduite en cendres21! Ce que tu as commis? le ciel s'en bouche le nez et la lune ferme les yeux; le souffle lascif du vent qui baise tout ce qu'il rencontre se tait dans le sein de la terre, pour ne pas l'entendre. Ce que tu as commis? Indigne effrontée!

Note 21: (retour)

I should make very forges of my cheeks

That would to cinders burn up modesty.

Littéralement: Je ferais, de mes joues, des forges qui réduiraient en cendres la pudeur elle-même.

DESDÉMONA.—Au nom du ciel, vous me faites injure.

OTHELLO.—N'êtes-vous pas une prostituée?

DESDÉMONA.—Non, comme il est vrai que je suis chrétienne. Si me conserver à mon époux pure de tout attouchement illégitime, c'est n'être pas une impudique; non, je ne suis pas une...

OTHELLO.—Quoi! tu n'es pas une prostituée?

DESDÉMONA.—Non, sur mon salut.

OTHELLO.—Est-il possible?

DESDÉMONA.—Oh! Dieu, aie pitié de nous!

OTHELLO.—En ce cas je vous demande grâce. Je vous prenais pour cette rusée courtisane de Venise qui a épousé Othello. (Rentre Émilia.)—Vous, madame, qui remplissez l'office opposé à celui de saint Pierre, et qui ouvrez les portes de l'enfer: vous! vous! oui, vous! nous avons fini.—Voilà de l'argent pour votre peine: je vous prie, tournez la clef et gardez-nous le secret.

(Il sort.)

ÉMILIA.—Hélas! que rêve donc cet homme? comment êtes-vous, madame? ma chère maîtresse, comment êtes-vous?

DESDÉMONA.—A moitié endormie, je crois.

ÉMILIA.—Chère maîtresse, qu'est-il arrivé à mon seigneur?

DESDÉMONA.—A qui?

ÉMILIA.—Hé! à mon seigneur, madame.

DESDÉMONA.—Qui est ton seigneur?

ÉMILIA.—Celui qui est aussi le vôtre, chère maîtresse.

DESDÉMONA.—Je n'en ai point: ne me parle pas, Émilia. Je ne puis pas pleurer, et je ne pourrais te répondre que par mes larmes.—Je t'en prie, place ce soir sur mon lit les draps du jour de mes noces;—ne l'oublie pas; et va cherches ton mari.

ÉMILIA.—Dieu! quel changement!

(Elle sort.)

DESDÉMONA.—Il était juste que je fusse ainsi traitée. Oui, bien juste.—Comment me suis-je conduite pour qu'il ait pu concevoir sur moi le moindre soupçon du plus grand des crimes?

(Rentrent Jago et Émilia.)

JAGO.—Quel est votre bon plaisir, madame? comment vous trouvez-vous?

DESDÉMONA.—Je ne saurais le dire. Ceux qui instruisent de jeunes enfants s'y prennent avec douceur et en leur imposant des tâches légères. Il aurait dû me gronder ainsi; car en vérité je suis une enfant quand on me gronde.

JAGO.—Qu'y a-t-il donc, madame?

ÉMILIA.—Hélas! Jago, mon seigneur l'a traitée d'infâme; il l'a accablée de tant de mépris et d'outrages qu'un coeur fidèle ne peut le supporter.

DESDÉMONA.—Suis-je ce qu'il m'a nommée, Jago?

JAGO.—Quel nom, belle dame?

DESDÉMONA.—Celui qu'elle a dit que mon mari m'avait donné.

ÉMILIA.—Il l'a appelée prostituée. Un mendiant dans son ivresse n'eût pas vomi de semblables injures sur la compagne de sa misère.

JAGO.—Pourquoi s'est-il emporté de la sorte?

DESDÉMONA.—Je n'en sais rien: je suis certaine que je ne suis pas ce qu'il dit.

JAGO.—Ne pleurez pas, ne pleurez pas: hélas! funeste jour!

ÉMILIA.—A-t-elle renoncé à tant de nobles alliances, à son père et à son pays, et à ses amis, pour s'entendre appeler prostituée? Cela ne ferait-il pas pleurer?

DESDÉMONA.—C'est ma misérable destinée.

JAGO.—Que le ciel le punisse de son emportement! D'où lui vient cette fantaisie?

DESDÉMONA.—Ah! Dieu le sait.

ÉMILIA.—Je veux être pendue si ce n'est pas quelque infatigable coquin, quelque drôle actif et adroit, quelque esclave perfide et flagorneur, qui, pour surprendre quelque emploi, aura forgé cette calomnie: je veux être pendue, si cela n'est pas!

JAGO.—Fi! cela est impossible; il n'y a point d'homme semblable.

DESDÉMONA.—S'il y en a un, que le ciel lui pardonne!

ÉMILIA.—Que le gibet lui pardonne, et que l'enfer dévore ses os!—Pourquoi l'appellerait-il prostituée? Qui lui fait la cour? en quel lieu? dans quel temps? de quelle manière? avec quelle apparence? Le More est trompé par quelque indigne misérable, quelque grossier coquin, quelque méchant fourbe. O ciel! que ne démasques-tu de pareils scélérats? Que ne mets-tu à la main de chaque honnête homme un fouet pour flageller le drôle tout nu, d'un bout du monde à l'autre, depuis l'orient jusqu'au couchant!

JAGO.—Parlez plus bas.

ÉMILIA.—O fi! fi! de cet homme. C'était aussi quelque compagnon de cette trempe qui vous mit l'esprit sens dessus dessous, quand vous me soupçonnâtes d'une intrigue avec le More.

JAGO.—Allez, vous êtes une écervelée.

DESDÉMONA.—O bon Jago, que ferai-je pour ramener le coeur de mon mari? Bon ami, va le trouver; par cette lumière du ciel, j'ignore comment j'ai pu le perdre. Je tombe ici à genoux; si jamais ma volonté eut quelque tort envers son amour, en pensée, en parole ou en action; si jamais mes yeux, mes oreilles, aucun de mes sens, ont pu se complaire en quelque autre objet que lui; et s'il n'est pas vrai que je l'aime encore, que je l'ai toujours aimé, et que je l'aimerai toujours tendrement quand il me rejetterait loin de lui dans la misère par un divorce... que toute consolation m'abandonne! La dureté peut beaucoup, et sa dureté peut détruire ma vie, mais jamais altérer mon amour. Je ne peux pas dire prostituée:—ce mot me fait horreur maintenant que je le prononce; mais tous les vains trésors du monde ne me feraient pas commettre l'action qui pourrait mériter ce titre.

JAGO.—Calmez-vous, je vous prie; ce n'est qu'un moment d'humeur. Les affaires d'État l'irritent, et c'est vous qu'il gronde.

DESDÉMONA.—S'il n'y avait pas d'autre cause...

JAGO.—Ce n'est que cela, je le garantis. (Des trompettes.) Écoutez: ces trompettes annoncent le souper. Les grands messagers de Venise vous attendent. Entrez et ne pleurez plus; tout ira bien. (Sortent Desdémona et Émilia.)(Entre Roderigo.) Eh bien! Roderigo?

RODERIGO.—Je ne trouve pas que tu agisses franchement avec moi.

JAGO.—Quelle preuve du contraire?

RODERIGO.—Chaque jour tu me trompes par quelque nouvelle ruse, et à ce qu'il me semble, tu m'éloignes de toutes les occasions, bien plutôt que tu ne me procures quelque espérance. Je ne veux pas le supporter plus longtemps; et même je ne suis pas encore décidé à digérer en silence ce que j'ai déjà follement souffert.

JAGO.—Voulez-vous m'écouter, Roderigo?

RODERIGO.—Bah! je n'ai que trop écouté. Vos paroles et vos actions ne sont pas cousines.

JAGO.—Vous m'accusez très-injustement.

RODERIGO.—De rien qui ne soit vrai. Je me suis dépouillé de toutes mes ressources. Les bijoux que vous avez reçus de moi pour les offrir à Desdémona auraient à demi corrompu une religieuse. Vous m'avez dit qu'elle les avait acceptés; et en retour vous m'avez apporté l'espoir et la consolation d'égards prochains et d'un payement assuré; mais je ne vois rien.

JAGO.—Bon, poursuivez, fort bien.

RODERIGO.—Fort bien, poursuivez: je ne puis poursuivre, voyez-vous, et cela n'est pas fort bien; au contraire, je dis qu'il y a ici de la fraude, et je commence à croire que je suis dupe.

JAGO.—Fort bien.

RODERIGO.—Je vous répète que ce n'est pas fort bien.—Je veux me faire connaître à Desdémona. Si elle me rend mes bijoux, j'abandonnerai ma poursuite, et je me repentirai de mes recherches illégitimes. Sinon, soyez sûr que j'aurai raison de vous.

JAGO.—Vous avez tout dit?

RODERIGO.—Oui; et je n'ai rien dit que je ne sois bien résolu d'exécuter.

JAGO.—Eh bien! je vois maintenant que tu as du sang dans les veines, et je commence à prendre de toi meilleure opinion que par le passé. Donne-moi ta main, Roderigo; tu as conçu contre moi de très-justes soupçons; cependant je te jure que j'ai agi très-sincèrement dans ton intérêt.

RODERIGO.—Il n'y a pas paru.

JAGO.—Il n'y a pas paru, je l'avoue; et vos doutes ne sont point dénués de raison et de jugement. Mais, Roderigo, si tu as vraiment en toi ce que je suis maintenant plus disposé que jamais à y croire, je veux dire de la résolution, du courage et de la valeur, montre-le cette nuit; et si la nuit suivante tu ne possèdes pas Desdémona, fais-moi sortir traîtreusement de ce monde, et dresse des embûches contre ma vie.

RODERIGO.—Quoi! qu'est ceci? Y a-t-il en cela quelque lueur, quelque apparence de raison?

JAGO.—Seigneur, il est arrivé des ordres exprès de Venise pour mettre Cassio à la place d'Othello.

RODERIGO.—Est-il vrai? Othello et Desdémona vont donc retourner à Venise?

JAGO.—Non, non; il va en Mauritanie, et emmène avec lui la belle Desdémona, à moins que son séjour ici ne soit prolongé par quelque accident; et pour cela, il n'est point de plus sûr moyen que d'écarter ce Cassio.

RODERIGO.—Que voulez-vous dire?—L'écarter?

JAGO.—Quoi! en le mettant hors d'état de succéder à Othello, en lui faisant sauter la cervelle.

RODERIGO.—Et c'est là ce que vous voulez que je fasse?

JAGO.—Oui, si vous osez vous rendre service et justice vous-même. Ce soir il soupe chez une fille de mauvaise vie, et je dois aller l'y trouver. Il ne sait rien encore de sa brillante fortune. Si vous voulez l'épier au sortir de là (et je m'arrangerai pour que ce soit entre minuit et une heure), vous pourrez faire de lui tout ce qu'il vous plaira. Je serai à deux pas prêt à vous seconder; il tombera entre nous deux. Venez, ne restez pas ébahi du projet; mais suivez-moi. Je vous prouverai si bien la nécessité de sa mort, que vous vous sentirez obligé de la lui donner. Allons, il est grandement l'heure de souper, et la nuit s'avance vers son milieu. A l'oeuvre.

RODERIGO.—Je veux bien savoir auparavant la raison de tout ceci.

JAGO.—Vous serez satisfait.

(Ils sortent.)



SCÈNE III

Un appartement dans le château.

Entrent OTHELLO, LODOVICO, DESDÉMONA, ÉMILIA et leur suite.


LODOVICO.—Seigneur, je vous en conjure, ne venez pas plus loin.

OTHELLO.—Excusez-moi, la promenade me fera du bien.

LODOVICO.—Madame, bonne nuit; je remercie humblement Votre Seigneurie.

DESDÉMONA.—Votre Honneur est le bienvenu.

OTHELLO.—Vous plaît-il de venir, seigneur? (A voix basse.) Oh! Desdémona!

DESDÉMONA.—Mon seigneur?

OTHELLO.—Allez à l'instant vous mettre au lit, je reviens tout à l'heure. Renvoyez votre suivante. N'y manquez pas.

DESDÉMONA.—Je le ferai, mon seigneur.

(Sortent Othello, Lodovico et la suite.)

ÉMILIA.—Comment cela va-t-il à présent? Il a l'air plus doux que tantôt.

DESDÉMONA.—Il dit qu'il va revenir tout à l'heure. Il m'a ordonné de me mettre au lit, et de te renvoyer.

ÉMILIA.—De me renvoyer?

DESDÉMONA.—C'est son ordre. Ainsi, bonne Émilia, donne-moi mes vêtements de nuit, et adieu. Il ne faut pas lui déplaire maintenant.

ÉMILIA.—Je voudrais que vous ne l'eussiez jamais vu!

DESDÉMONA.—Oh! moi, non. Mon amour le chérit tellement que même son humeur bourrue, ses dédains, ses brusqueries (je t'en prie, délace-moi) ont de la grâce et du charme pour moi.

ÉMILIA.—J'ai mis au lit les draps que vous m'avez demandés.

DESDÉMONA.—O mon père, que nos coeurs sont insensés!—(A Émilia.) Si je meurs avant toi, ensevelis-moi, je t'en prie, dans un de ces draps.

ÉMILIA.—Allons, allons, comme vous bavardez.

DESDÉMONA.—Ma mère avait auprès d'elle une jeune fille, elle s'appelait Barbara. Elle était amoureuse, et celui qu'elle aimait devint fou et l'abandonna. Elle avait une chanson du saule: c'était une vieille chanson, mais qui exprimait sa destinée, et elle mourut en la chantant. Ce soir, cette chanson ne veut pas me sortir de l'esprit: j'ai bien de la peine à m'empêcher de laisser tomber de côté ma tête, et de chanter la chanson comme la pauvre Barbara.—Je t'en prie, dépêche-toi.

ÉMILIA.—Irai-je chercher votre robe de nuit?

DESDÉMONA.—Non, détache cela.—Ce Lodovico est un homme agréable.

ÉMILIA.—Un très-bel homme.

DESDÉMONA.—Et il parle bien.

ÉMILIA.—J'ai connu à Venise une dame qui aurait fait pieds nus le pèlerinage de la Palestine, seulement pour toucher à ses lèvres.

DESDÉMONA.

La pauvre enfant était assise, en soupirant, auprès d'un sycomore.

Chantez tous le saule vert.

Sa main sur son coeur, sa tête sur ses genoux;

Chantez le saule, le saule, le saule.

Le frais ruisseau coulait près d'elle, et répétait en murmurant ses gémissements;

Chantez le saule, le saule, le saule.

Ses larmes amères coulaient de ses yeux et amollissaient les pierres;

(A Émilia.) Laisse ceci là:

Chantez le saule, le saule, le saule,

(A Émilia.) Je t'en prie, dépêche-toi; il va rentrer.

Chantez tous le saule vert; ses rameaux feront ma guirlande.

Que personne le blâme; j'approuve ses dédains:

Non; ce n'est pas là ce qui suit.—Écoute; qui frappe?

ÉMILIA.—C'est le vent.

DESDÉMONA.

J'appelais mon amour, amour trompeur; mais que me disait-il, alors?

Chantez le saule, le saule, le saule.

—Si je fais la cour à plus de femmes, plus d'hommes vous feront la cour22.

(A Émilia.) Va-t'en. Bonne nuit. Les yeux me font mal. Cela présage-t-il des pleurs?

Note 22: (retour)

Cette chanson est une ancienne ballade qui se trouve dans les Relicks of ancient Poetry. Le saule était alors, en Angleterre, l'arbre de l'amour malheureux.

ÉMILIA.—Ce n'est ni ici ni là.

DESDÉMONA—Je l'avais ouï dire ainsi. Oh! ces hommes, ces hommes!—Dis-moi, Émilia:—crois-tu en conscience qu'il y ait des femmes qui trompent si indignement leurs maris?

ÉMILIA.—Il y en a; cela n'est pas douteux.

DESDÉMONA.—Voudrais-tu faire une pareille chose pour le monde entier?

ÉMILIA.—Et vous, madame, ne le voudriez-vous pas?

DESDÉMONA.—Non, par cette lumière du ciel.

ÉMILIA.—Ni moi non plus, par cette lumière du ciel. Je le ferais tout aussi bien dans l'obscurité.

DESDÉMONA.—Mais, voudrais-tu faire une pareille chose pour le monde entier?

ÉMILIA.—Le monde est bien grand; c'est un grand prix pour une petite faute!

DESDÉMONA.—Non, en vérité, je pense que tu ne le voudrais pas.

ÉMILIA.—En vérité, je crois le contraire, et que je voudrais le défaire après l'avoir fait. Certes, je ne ferais pas une pareille chose pour un anneau d'alliance, une pièce de linon, des robes, des jupons, des chapeaux, ni pour une médiocre récompense; mais pour le monde entier... Et qui refuserait d'être infidèle à son mari pour le faire roi? A ce prix je risquerais le purgatoire.

DESDÉMONA.—Que je sois maudite si je voudrais commettre un pareil crime pour le monde entier!

ÉMILIA.—Bah! Le crime n'est qu'un crime dans le monde, et si vous aviez le monde pour votre peine, votre crime serait dans votre monde, et vous en feriez sur-le-champ une vertu.

DESDÉMONA.—Et moi je ne crois pas qu'il y ait de pareilles femmes.

ÉMILIA.—Il y en a par douzaines, et encore autant par-dessus le marché qu'il en tiendrait dans ce monde entier qui serait le prix de leur faute: mais je pense que la faute en est aux maris si les femmes succombent; voyez-vous, ils négligent leurs devoirs, et versent nos trésors dans le sein des étrangères, ou ils éclatent en accès d'une insupportable jalousie, et nous accablent de contraintes, ou ils nous battent et diminuent pour nous faire enrager ce que nous avions à dépenser; eh bien! alors nous avons de la rancune, et en dépit de notre douceur, nous sommes capables de vengeance. Que les maris sachent que leurs femmes sont sensibles comme eux; elles voient, elles sentent, elles ont un palais qui sait distinguer ce qui est doux et ce qui est amer comme les maris. Que font-ils quand ils nous abandonnent pour d'autres? est-ce par plaisir? je le crois; est-ce par passion? je le crois encore; est-ce la légèreté qui les entraîne? c'est aussi cela. Et nous, donc, n'avons-nous pas des passions, et le goût du plaisir et de la légèreté comme les hommes? Qu'ils nous traitent donc bien; sinon qu'ils sachent que, nos torts envers eux, ce sont leurs torts envers nous qui les amènent.

DESDÉMONA.—Bonne nuit, bonne nuit. Que le ciel m'inspire l'habitude de ne pas apprendre le mal par le mal, et de me corriger au contraire par la vue du mal!

(Elles sortent.)

FIN DU QUATRIÈME ACTE.



ACTE CINQUIÈME


SCÈNE I

Une rue.

Entrent JAGO et RODERIGO.


JAGO.—Là, mets-toi derrière cette borne.—Dans l'instant il va venir. Tiens ta bonne épée nue, et plonge-la dans son sein: ferme, ferme, ne crains rien; je serai à côté de toi. Ceci nous sauve ou nous perd: songes-y et affermis-toi dans ta résolution.

RODERIGO.—Tiens-toi près de moi: je peux manquer mon coup.

JAGO.—Ici, sous ta main.—Sois ferme et tire ton épée.

(Il se retire à peu de distance.)

RODERIGO.—Je ne me sens pas très-porté à cette action. Cependant il m'a donné des motifs déterminants.—Après tout, ce n'est qu'un homme mort.—Allons, mon épée, sors du fourreau.—Il mourra.

(Il va à son poste.)

JAGO.—J'ai frotté ce jeune bouton presque jusqu'à le rendre sensible, et le voilà qui s'irrite. Maintenant qu'il tue Cassio, que Cassio le tue, ou qu'ils se tuent tous deux, quoi qu'il arrive, j'y trouve mon profit.—Si Roderigo vit, il me somme de lui restituer l'or et tous les bijoux que je lui ai escamotés sous le nom de présents pour Desdémona. Il ne faut pas que cela soit. Si Cassio survit, il y a dans sa vie un éclat de tous les jours qui me rend hideux.—D'ailleurs le More peut me dévoiler à lui: je vois là un grand péril pour moi.—Non, il faut qu'il meure.—Mais chut! je l'entends qui vient.

(Entre Cassio.)

RODERIGO.—Je reconnais sa démarche. C'est lui. (Il s'élance et fond sur Cassio.) Misérable, tu meurs.

CASSIO.—Ce coup en effet m'eût été fatal, si mon armure n'était meilleure que tu ne croyais. Je veux éprouver la tienne.

(Il tire son épée et blesse Roderigo.)

RODERIGO.—Oh! je suis mort.

(Jago s'élance de sa place, frappe Cassio par derrière à la jambe, et s'en va.)

CASSIO.—Je suis estropié pour toujours. Oh! du secours! au meurtre! au meurtre!

(Il tombe.)

OTHELLO, dans l'éloignement.—La voix de Cassio!—Jago tient sa parole.

RODERIGO.—O misérable que je suis!

OTHELLO.—Oui, c'est cela même.

CASSIO.—Oh! du secours! un chirurgien! de la lumière!

OTHELLO.—C'est lui.—O brave Jago, homme juste et honnête qui ressens si généreusement l'injure de ton ami, tu m'enseignes mon devoir.—Femme, votre amant est couché mort et votre destin arrive à grands pas.—Prostituée, j'arrive. Hors de mon coeur et ces charmes et tes yeux, tout est effacé. Ton lit, ce lit souillé par l'impudicité, va être taché du sang de l'impudique.

(Il s'éloigne.)

(Entrent Lodovico et Gratiano, à distance.)

CASSIO.—Oh! comment! point de garde, pas un seul passant? au meurtre! au meurtre!

GRATIANO.—C'est quelque accident sinistre; ces cris sont terribles.

CASSIO.—Oh! du secours!

LODOVICO.—Écoutez!

RODERIGO.—O perfide scélérat!

LODOVICO.—Deux ou trois gémissements! la nuit est noire; ces cris pourraient être feints.—Croyez qu'il n'est pas sûr d'avancer vers ces cris sans plus de monde.

RODERIGO.—Personne ne vient. Alors je vais mourir en perdant tout mon sang.

(Entre Jago un flambeau à la main.)

LODOVICO.—Écoutons.

GRATIANO.—Voici quelqu'un qui vient en chemise, avec un flambeau et des armes.

JAGO.—Qui est là? Quel est ce bruit? On crie au meurtre?

LODOVICO.—Nous ne savons pas.

JAGO.—N'avez-vous pas entendu un cri?

CASSIO.—Ici, ici: au nom du ciel, secourez-moi!

JAGO.—Qu'est-il arrivé?

GRATIANO.—C'est l'enseigne d'Othello, à ce qu'il me semble.

LODOVICO.—Lui-même en effet, un brave soldat.

JAGO.—Qui êtes-vous, vous qui criez si piteusement?

CASSIO.—Jago!—Oh! je suis perdu, assassiné par des traîtres. Donne-moi quelque secours.

JAGO, accourant.—Hélas! vous, lieutenant? Quels sont les misérables qui ont fait ceci?

CASSIO.—Il y en a un, je crois, à quelques pas, et qui est hors d'état de s'enfuir.

JAGO.—O lâches assassins! (à Lodovico et Gratiano.) Qui êtes-vous là? approchez, et venez à notre aide.

RODERIGO.—Oh! secourez-moi.

CASSIO.—C'est l'un d'entre eux.

JAGO.—Exécrable meurtrier! O scélérat!

(Il perce Roderigo.)

RODERIGO.—O infernal Jago! Chien inhumain! oh! oh! oh!

JAGO, élevant la voix.—Égorger les gens dans l'obscurité! où sont ces bandits sanguinaires? Quel silence dans cette ville! Au meurtre! au meurtre!—(Se tournant vers Lodovico.) Qui pouvez-vous être? Êtes-vous des bons ou des méchants?

LODOVICO.—Comme nous agirons, jugez-nous.

JAGO.—Seigneur Lodovico?

LODOVICO.—Lui-même.

JAGO.—Je vous demande pardon, seigneur.—Voici Cassio blessé par des bandits.

GRATIANO.—Cassio?

JAGO, à Cassio.—Comment cela va-t-il, frère?

CASSIO.—Ma jambe est en deux.

JAGO.—Le ciel nous en préserve!—Messieurs, de la lumière, je vais bander sa plaie avec ma chemise.

(Entre Bianca.)

BIANCA.—Quoi? qu'est-il donc arrivé? Qui est-ce qui criait?

JAGO.—Qui est-ce qui criait?

BIANCA.—O mon doux Cassio! mon cher Cassio! O Cassio, Cassio, Cassio!

JAGO.—O impudente coquine!—Cassio, pourriez-vous soupçonner quels sont ceux qui vous ont ainsi mutilé?

CASSIO.—Non.

GRATIANO.—Je suis désolé de vous trouver en cet état. J'ai été vous chercher chez vous.

JAGO.—Prêtez-moi une jarretière. Bon.—Oh! si nous avions une chaise pour l'emporter doucement d'ici!

BIANCA.—Hélas! il s'évanouit. O Cassio, Cassio, Cassio!

JAGO.—Nobles seigneurs, vous tous, je soupçonne cette malheureuse d'être de compagnie dans cet attentat. Un peu de patience, cher Cassio.—Venez, venez; prêtez-moi une lumière. (Il va à Roderigo.) Voyons, connaissons-nous ce visage, ou non?—Comment, mon ami, mon cher compatriote, Roderigo!—Non...—Oui, c'est lui-même, ô ciel! c'est Roderigo.

GRATIANO.—Quoi! Roderigo de Venise?

JAGO.—Lui-même: le connaissiez-vous?

GRATIANO.—Si je le connaissais? oui.

JAGO.—Le seigneur Gratiano! J'implore votre pardon. Ces sanglants accidents doivent excuser la négligence de mes manières envers vous.

GRATIANO.—Je suis bien aise de vous voir.

JAGO.—Eh bien! Cassio, comment vous trouvez-vous? oh! une chaise, une chaise!

GRATIANO, avec étonnement.—Roderigo!

JAGO.—C'est lui, c'est lui.—Ah! bonne nouvelle! voilà la chaise.—Que quelque bonne âme l'emporte soigneusement. Je cours chercher le chirurgien du général. (A Bianca.) Pour vous, madame, ne prenez pas tant de peines. Celui qui est étendu là, Cassio, était mon intime ami. (A Cassio.) Quelle querelle y avait-il donc entre vous deux?

CASSIO.—Nulle au monde, et je ne connais pas cet homme.

JAGO, à Bianca.—Pourquoi êtes-vous si pâle? (Aux porteurs du brancard.) Marchez, qu'il ne reste pas plus longtemps à l'air. (On emporte Cassio et Roderigo.) Vous, dignes seigneurs, demeurez. Pourquoi êtes-vous si pâle, madame?—Remarquez-vous l'égarement de ses yeux?—Ah! si vous avez le regard fixe, nous en saurons davantage tout à l'heure.—Regardez-la bien, je vous prie; observez-la: voyez-vous, messieurs? quand les langues seraient muettes, le crime parlerait encore.

(Entre Émilia.)

ÉMILIA.—Hélas! qu'y a-t-il donc? qu'y a-t-il, mon mari?

JAGO.—Cassio vient d'être attaqué dans l'obscurité par Roderigo et des drôles qui se sont sauvés. Il est presque assassiné et Roderigo est mort.

ÉMILIA.—Hélas! brave homme! Hélas! bon Cassio!

JAGO.—Voilà ce qu'on gagne à aller chez des créatures.—Émilia, je t'en prie, va savoir de Cassio où il a soupé ce soir.—(Regardant Bianca.) Quoi, vous frémissez à cette question?

BIANCA.—C'est chez moi qu'il a soupé, mais je ne frémis point de le dire.

JAGO.—Ah! chez vous! je vous accuse, suivez-moi.

ÉMILIA.—Fi donc! fi donc, coquine!

BIANCA.—Je ne suis pas une coquine. Je mène une vie aussi honnête que vous qui m'insultez.

ÉMILIA.—Que moi? pouah! fi donc!

JAGO.—Généreux et nobles seigneurs, allons voir panser le pauvre Cassio.—Venez, madame, vous avez d'autres histoires à nous conter.—Émilia, cours à la citadelle, va dire à mon seigneur et à sa femme ce qui vient d'arriver. (Aux autres.) Voulez-vous venir, je vous prie? (A part.) Voici la nuit qui fait ma fortune ou qui me perd.

(Ils sortent.)


SCÈNE II

Une chambre à coucher.—Un flambeau allumé.

DESDÉMONA endormie dans son lit. Entre OTHELLO.


OTHELLO.—C'est la cause, c'est la cause, ô mon âme! ne permettez pas que je la dise devant vous, chastes étoiles! c'est la cause! cependant je ne veux pas verser son sang, je ne veux pas percer son sein, ce sein plus blanc que la neige, plus uni que l'albâtre des tombeaux. (Il pose à terre son épée.) Pourtant il faut qu'elle meure, autrement elle trahira encore d'autres hommes. Éteignons ce flambeau et ensuite éteignons le flambeau de sa vie23.—Si je t'éteins, toi, serviteur enflammé, je puis ressusciter ta flamme, si je venais à me repentir.—Mais que j'éteigne une fois ta flamme, toi le plus merveilleux ouvrage de la souveraine nature, je ne sais où se retrouverait le feu de Prométhée qui pourrait rallumer ta lumière.—Quand j'ai cueilli la rose, je ne puis plus la faire refleurir; il faut qu'elle se fane.—Je veux sentir encore la rose sur sa tige. (Il l'embrasse.) O haleine embaumée qui persuaderait presque à la justice de briser son glaive!—Encore un baiser; encore un! sois telle que tu es là quand tu seras morte, et je veux te tuer et je t'aimerai après.—Encore un, voici le dernier.—Jamais baiser si doux ne fut si fatal.—Il faut que je pleure; mais ce sont de cruelles larmes!—C'est le courroux du ciel, il frappe ce qu'il aime.—Elle s'éveille.

Note 23: (retour)

Put out the light and then put out the light:

Ce passage a beaucoup occupé les commentateurs: son sens le plus naturel est celui que nous avons adopté; Othello applique successivement l'expression put out the light, éteindre la lumière, au flambeau allumé qu'il éteint, et au flambeau de la vie de Desdémona, rien n'est plus commun dans Shakspeare que ce double emploi du même mot appliqué, dans le même vers, à deux objets différents. Warburton avait changé le sens, en changeant la ponctuation.

Put out the light, and then.—Put out the light!

«Éteignons ce flambeau et alors...—Éteindre ce flambeau? Si je t'éteins, toi, serviteur enflammé, je puis ressusciter la flamme, etc. etc.»

Ce changement ne me paraît nullement nécessaire; un jeu de mots, ou ce qui y ressemble, est souvent le texte original le plus vraisemblable.

DESDÉMONA.—Qui est là? Othello?

OTHELLO.—Oui, Desdémona.

DESDÉMONA.—Voulez-vous vous mettre au lit, seigneur?

OTHELLO.—Avez-vous fait votre prière ce soir, Desdémona?

DESDÉMONA.—Oui, mon seigneur.

OTHELLO.—Si vous vous souvenez dans votre âme de quelque crime pour lequel vous ne soyez pas encore assurée de la grâce du ciel, implorez-la sur-le-champ.

DESDÉMONA.—Hélas! mon seigneur, que voulez-vous dire?

OTHELLO.—Allons, faites ce que je dis, et soyez prompte; je vais me promener en attendant;—je ne voudrais pas tuer votre âme avant qu'elle se fût préparée;—non, le ciel m'en préserve! je ne voudrais pas tuer ton âme.

DESDÉMONA.—Vous parlez de tuer?

OTHELLO.—Oui, j'en parle.

DESDÉMONA.—Que le ciel ait donc pitié de moi!

OTHELLO.—Amen, de tout mon coeur.

DESDÉMONA.—Si vous parlez ainsi, j'espère que vous ne me tuerez pas.

OTHELLO.—Hum!

DESDÉMONA.—Et cependant je vous crains; car vous êtes fatal quand vos yeux roulent ainsi. Pourquoi je craindrais, je n'en sais rien, car je ne me connais pas de crime; et pourtant je sens que je crains.

OTHELLO.—Pense à tes péchés.

DESDÉMONA.—C'est l'amour que je vous porte.

OTHELLO.—Oui, c'est pour cela que tu meurs.

DESDÉMONA.—C'est une mort bien contre nature, que d'être tuée pour aimer. Hélas! pourquoi mordez-vous ainsi votre lèvre inférieure? Quelque violente passion ébranle tout votre corps: ce sont des présages sinistres; cependant j'espère que ce n'est pas moi qu'ils menacent.

OTHELLO.—Paix, tiens-toi tranquille.

DESDÉMONA.—Je le fais. Qu'est-ce?

OTHELLO.—Ce mouchoir que j'aimais tant et que je t'avais donné, tu l'as donné à Cassio.

DESDÉMONA.—Non, sur ma vie et mon âme: envoyez-le chercher, et demandez-lui.

OTHELLO.—Ma chère âme, prends garde, prends garde au parjure; tu es sur ton lit de mort.

DESDÉMONA.—Mais non pas pour y mourir encore.

OTHELLO.—Si, tout à l'heure: ainsi, confesse sincèrement ton crime: en vain nierais-tu chaque article avec serment, tu n'écarterais point, tu n'étoufferais point la terrible pensée qui me fait gémir. Tu vas mourir.

DESDÉMONA.—Dieu du ciel, ayez pitié de moi!

OTHELLO.—Je dis amen.

DESDÉMONA.—Et vous aussi, ayez pitié de moi!—Je ne vous ai jamais offensé de ma vie: jamais je n'aimai Cassio que de cette bienveillance générale dont le ciel me permettait de l'aimer. Je ne lui donnai jamais aucun gage.

OTHELLO.—Par le ciel, j'ai vu mon mouchoir dans ses mains: ô femme parjure! tu changes mon coeur en pierre, et tu m'obligeras à appeler ce que je vais faire un meurtre, quand je croyais n'accomplir qu'un sacrifice. J'ai vu le mouchoir.

DESDÉMONA.—Il l'a donc trouvé; je ne le lui ai jamais donné: faites-le venir ici, qu'il déclare la vérité.

OTHELLO.—Il l'a déclarée.

DESDÉMONA.—Quoi, mon seigneur?

OTHELLO.—Qu'il t'avait... possédée.

DESDÉMONA.—Quoi! illégitimement?

OTHELLO.—Oui.

DESDÉMONA.—Il ne le dira pas.

OTHELLO.—Non, sa bouche est fermée; l'honnête Jago y a mis ordre.

DESDÉMONA.—Ma crainte m'explique tout.—Quoi! il est mort?

OTHELLO.—Quand tous les cheveux de sa tête auraient été autant de vies, ma terrible vengeance avait de quoi les détruire toutes.

DESDÉMONA.—Hélas! il est trahi, et moi perdue!

OTHELLO.—Quoi! prostituée, tu le pleures sous mes yeux!

DESDÉMONA.—Oh! bannissez-moi, seigneur; mais ne me tuez pas.

OTHELLO.—A bas, infâme!

DESDÉMONA.—Tuez-moi demain, laissez-moi vivre cette nuit.

OTHELLO.—Ah! si vous résistez...

DESDÉMONA.—Seulement une demi-heure.

OTHELLO.—Le parti pris, point de délai.

DESDÉMONA.—Mais seulement pendant que je dis une prière!

OTHELLO.—Il est trop tard.

(Il l'étouffe.)

ÉMILIA, du dehors.—Mon seigneur, mon seigneur! de grâce, mon seigneur, mon seigneur!

OTHELLO.—Quel est ce bruit?... Elle n'est pas morte, pas encore tout à fait morte... Moi qui suis cruel, je suis cependant miséricordieux... Je ne veux pas te laisser languir dans ta souffrance... Non, non.

ÉMILIA, en dehors.—Mon seigneur, mon seigneur!

OTHELLO.—Qui est là?

ÉMILIA.—Oh! mon bon seigneur! je voudrais vous dire un seul mot.

OTHELLO.—Oui, c'est Émilia... Tout à l'heure... Elle est morte... Elle vient sans doute me parler de la mort de Cassio; le bruit a été grand... Ah! elle ne remue plus. Immobile comme la tombe... Entrera-t-elle? Ferai-je bien?... Je crois qu'elle remue encore... Non... Qui est-ce qui vaut le mieux?... Si elle entre, elle voudra sûrement parler à ma femme... ma femme! ma femme! Quelle femme?... Je n'ai plus de femme!... O pensée insupportable! O heure accablante!... Il me semble qu'il devrait y avoir à présent une éclipse totale de lune et de soleil, et que le globe épouvanté devrait s'entr'ouvrir dans un tel bouleversement.

ÉMILIA, toujours en dehors.—Je vous conjure, que je puisse vous parler, mon bon seigneur.

OTHELLO.—Je t'avais oubliée; ah! entre, Émilia... Doucement... Tout à l'heure... Tirons ces rideaux. Où es-tu? (Il ouvre la porte.) Que me veux-tu maintenant?

(Entre Émilia.)

ÉMILIA.—Oh! mon digne seigneur! un meurtre affreux vient d'être commis là-bas.

OTHELLO.—Quoi! tout à l'heure?

ÉMILIA.—A l'heure même, mon seigneur.

OTHELLO.—C'est l'influence de la lune elle-même; elle s'approche de la terre plus que de coutume et rend les hommes fous.

ÉMILIA.—Cassio, mon seigneur, a tué un jeune Vénitien nommé Roderigo.

OTHELLO.—Roderigo tué!—Et Cassio tué?

ÉMILIA.—Non, Cassio n'est pas tué.

OTHELLO.—Cassio n'est pas tué? Le meurtre n'est plus d'accord, et la douce vengeance devient dure.

DESDÉMONA.—Oh! injustement, injustement massacrée!

ÉMILIA.—Hélas! quel est ce cri?

OTHELLO.—Quoi! quel cri?

ÉMILIA.—Hélas! bon Dieu! c'était la voix de ma maîtresse. Du secours! du secours! oh! parlez-moi, madame, douce Desdémona! O ma chère maîtresse, parlez.

DESDÉMONA.—Je meurs innocente.

ÉMILIA.—Oh! qui a fait cela?

DESDÉMONA.—Personne, moi-même.—Adieu. Recommande-moi à mon cher seigneur. Oh! adieu!

(Elle expire.)

OTHELLO.—Quoi! comment a-t-elle pu être assassinée?

ÉMILIA.—Hélas! qui le sait?

OTHELLO.—Vous l'avez entendue le dire elle-même; ce n'est pas moi.

ÉMILIA.—Elle l'a dit; je ne puis rapporter que la vérité.

OTHELLO.—Eh bien! elle est partie, comme une menteuse, pour les flammes de l'enfer. C'est moi qui l'ai tuée.

ÉMILIA.—Oh! elle n'en est que plus un ange et vous un plus noir démon.

OTHELLO.—Elle tournait au vice; c'était une prostituée.

ÉMILIA.—Tu la calomnies; tu es un démon.

OTHELLO.—Elle était perfide, comme l'onde.

ÉMILIA.—Tu es effréné comme le feu d'oser dire qu'elle était perfide! Oh! elle était d'une candeur céleste.

OTHELLO.—Cassio l'avait déshonorée: demande à ton mari. Oh! je serais damné dans le gouffre le plus profond de l'enfer, si je m'étais porté, sans de justes motifs, à cette dernière extrémité. Ton mari savait tout.

ÉMILIA.—Mon mari?

OTHELLO.—Ton mari.

ÉMILIA.—Qu'elle était infidèle au mariage?

OTHELLO.—Oui, avec Cassio. Ah! si elle avait été fidèle, le ciel eût-il créé pour moi un autre univers d'une seule et parfaite chrysolithe, je ne l'aurais pas changée pour cet univers.

ÉMILIA.—Mon mari?

OTHELLO.—Oui, c'est lui qui me l'a dit le premier. C'est un homme d'honneur; il abhorre l'opprobre qui s'attache aux actions infâmes.

ÉMILIA.—Mon mari!

OTHELLO.—A quoi bon ces répétitions, femme? Ton mari, te dis-je.

ÉMILIA.—O ma maîtresse! la scélératesse s'est cruellement moquée de l'amour. Mon mari dire qu'elle était infidèle!

OTHELLO.—Lui, femme; je dis ton mari, comprends-tu ce mot? Mon ami, ton mari, l'honnête, l'honnête Jago.

ÉMILIA.—S'il dit cela, puisse son coeur pervers pourrir d'un demi-grain par jour! Il ment à sa conscience. Elle était trop éprise de son indigne choix.

OTHELLO.—Ah!

ÉMILIA.—Faites du pis que vous pourrez. Cette action que vous avez faite n'est pas plus digne du ciel que vous n'étiez digne d'elle.

OTHELLO.—Tais-toi, tu feras bien.

ÉMILIA.—Va, tu n'as pas pour me faire du mal la moitié de la force que j'ai pour l'endurer. O dupe! ô insensé! stupide comme la fange! Tu as commis là une action!...—Je ne m'inquiète pas de ton épée. Je te ferai connaître, dussé-je perdre vingt vies!... Du secours! du secours! holà! du secours!... Le More a tué ma maîtresse! Au meurtre! au meurtre!

(Entrent Montano, Gratiano et Jago.)

MONTANO.—Quoi donc? que s'est-il passé, général?

ÉMILIA.—Oh! vous voilà donc, Jago! Il faut que votre conduite ait été belle, pour que les meurtriers vous chargent de leurs assassinats.

GRATIANO.—De quoi s'agit-il?

ÉMILIA, à Jago.—Démens ce misérable, si tu es un homme. Il dit que tu as dit que sa femme était infidèle: je sais que tu ne l'as pas dit, car tu n'es pas assez scélérat. Parle, car mon coeur est plein.

JAGO.—Je lui ai dit ce que je pensais, et ne lui ai rien dit qu'il n'ait lui-même trouvé juste et vrai.

ÉMILIA.—Mais lui avez-vous jamais dit qu'elle était infidèle?

JAGO.—Je l'ai dit.

ÉMILIA.—Vous avez dit un mensonge, un odieux, un infernal mensonge, sur mon âme, un mensonge, un mensonge atroce. Elle infidèle avec Cassio! Avez-vous dit avec Cassio?

JAGO.—Avec Cassio, femme;—allez, réprimez votre langue.

ÉMILIA.—Je ne veux pas réprimer ma langue! Je suis tenue de parler; ma maîtresse est là assassinée dans son lit.

TOUS.—Oh! le ciel nous en préserve!

ÉMILIA.—Et ce sont vos rapports qui ont amené le meurtre.

OTHELLO.—Allons, n'ayez pas l'air égaré, messieurs; c'est la vérité.

GRATIANO.—C'est une étrange vérité!

MONTANO.—O action monstrueuse!

ÉMILIA.—Scélératesse! scélératesse! scélératesse!—J'y songe, j'y songe.—Je démêle tout.—O scélératesse! J'en ai eu la pensée alors... Je me tuerai de douleur.—O scélératesse! scélératesse!

JAGO.—Quoi! êtes-vous folle? Je vous ordonne de vous rendre au logis.

ÉMILIA.—Dignes seigneurs, que j'aie la liberté de parler. Il convient que je lui obéisse, mais non pas en ce moment.—Peut-être, Jago, ne rentrerai-je jamais au logis.

OTHELLO, se précipitant sur le lit.—Oh! oh! oh!

ÉMILIA.—Oui, couche-toi et rugis; car tu as tué la plus douce, la plus innocente femme qui jamais ait levé les yeux vers le ciel.

OTHELLO.—Oh! elle était coupable. (A Gratiano.) Je vous reconnaissais à peine, mon oncle.—Voilà votre nièce; elle est morte: oui, ces mains viennent en effet d'arrêter le souffle de sa vie. Je sais que cette action paraît horrible et hideuse.

GRATIANO.—Pauvre Desdémona! je suis bien aise que ton père soit mort. Ton mariage lui a été mortel et le chagrin seul a tranché le fil usé de ses jours. S'il vivait encore, cette vue le plongerait dans l'égarement du désespoir: oui, il maudirait son ange tutélaire, et tomberait dans la réprobation du ciel.

OTHELLO.—Cela est lamentable; mais Jago sait qu'elle s'est abandonnée mille fois à Cassio; Cassio l'a avoué et elle a récompensé ses transports d'amour avec le premier signe, le premier gage d'amour que je lui eusse donné; je l'ai vu dans les mains de Cassio; c'était un mouchoir, un ancien présent que ma mère avait reçu de mon père.

ÉMILIA.—O ciel! O puissances célestes!

JAGO.—Allons, taisez-vous.

ÉMILIA.—La vérité veut sortir, elle veut sortir.—Que je me taise! monsieur, non, non, je parlerai, libre comme l'air. Quand le ciel, les hommes, les démons, quand tous devraient crier ensemble honte sur moi, je parlerai.

JAGO.—Prenez garde... Allez-vous-en chez vous.

ÉMILIA.—Je ne veux pas.

(Jago essaye de frapper sa femme de son épée.)

GRATIANO.—Fi! tirer votre épée contre une femme!

ÉMILIA.—O toi, More stupide! ce mouchoir dont tu parles, je le trouvai par hasard et le donnai à mon mari; car souvent, par des instances plus sérieuses que ne méritait en effet cette bagatelle, il m'avait sollicitée de m'en emparer.

JAGO.—Infâme coquine!

ÉMILIA.—Elle l'a donné à Cassio! non, hélas! c'est moi qui l'ai trouvé, et je l'ai donné à mon mari.

JAGO.—Malheureuse, tu mens.

ÉMILIA.—Par le ciel! je ne mens point, je ne mens point, seigneurs.—O meurtrier imbécile! qu'avait à faire un pareil fou d'une si bonne femme?

(Jago blesse Émilia et s'enfuit.)

OTHELLO.—N'y a-t-il de foudres dans le ciel que celles qui servent au tonnerre? (Il tombe à la renverse.) O scélérat inouï!

GRATIANO.—Sa femme tombe; sûrement il a tué sa femme.

ÉMILIA.—Oui, oui, oh! couchez-moi à côté de ma maîtresse.

GRATIANO.—Il s'est enfui, mais sa femme est frappée à mort!

MONTANO.—C'est un scélérat, bien évidemment. Prenez cette épée que je viens d'arracher au More. Gardez la porte au dehors: ne le laissez pas sortir, tuez-le plutôt; je cours après ce monstre, car c'est un misérable damné.

(Sortent Montano et Gratiano.)

OTHELLO.—Je ne suis même plus brave! le premier petit gringalet m'enlève mon épée. Mais pourquoi l'honneur survivrait-il à la vertu? Que tout périsse à la fois.

ÉMILIA.—Que présageait ta chanson, ô ma maîtresse! écoute, peux-tu m'entendre encore! je veux faire comme le cygne et mourir en chantant: Le saule, le saule, le saule!—More, elle était chaste, elle t'aimait, cruel More! Que mon âme entre en paradis, comme il est vrai que je dis la vérité; en disant ce que je pense, je meurs, je meurs.

(Elle expire.)

OTHELLO.—J'ai dans cette chambre une autre épée; c'est une épée d'Espagne, de la trempe de l'Èbre24.—Ah! la voici.—Mon oncle, il faut que je sorte.

Note 24: (retour)

Les armes trempées dans les eaux de l'Èbre avaient une réputation particulière.

GRATIANO, en dehors.—Si tu le tentes, il t'en coûtera cher: tu n'as point d'armes, il faut que tu te soumettes de force.

OTHELLO.—Regarde-moi donc, et me parle; ou, désarmé comme je suis, je vais fondre sur toi.

(Rentre Gratiano.)

GRATIANO.—Que veux-tu?

OTHELLO.—Vois! j'ai une épée. Jamais arme plus sûre ne reposa sur la cuisse d'un soldat. J'ai vu le temps où avec ce faible bras et cette bonne épée je me suis fait jour à travers des obstacles vingt fois plus puissants que celui que tu m'opposes. Mais, ô vaine bravade! qui peut surmonter sa destinée? Il n'en est plus de même. Ne crains point quoique tu me voies armé: je suis au terme du voyage: me voilà au but, voilà l'écueil où finit ma dernière course. Tu recules troublé? Va, c'est une crainte perdue. Avance seulement un roseau contre le sein d'Othello et il va fuir. Où irait Othello maintenant?... (Il se tourne vers Desdémona.) Voyons, quelle mine as-tu maintenant?—Malheureuse enfant, née sous une étoile fatale! pâle comme ta chemise! Quand nous nous rencontrerons au jour du jugement, ton regard précipitera mon âme des cieux, et soudain les démons s'en saisiront.—Froide, froide, ma fille! comme ta vertu.—O maudit! maudit scélérat!—Prenez vos fouets, démons! frappez! éloignez-moi de la contemplation de cet objet céleste! lancez-moi dans les tourbillons de l'orage, rôtissez-moi dans le soufre, baignez-moi dans les abîmes où roulent des torrents de feu.—O Desdémona! Desdémona! Morte! morte! oh! oh!

(Entrent Lodovico, Cassio qu'on apporte blessé, Montano, Jago prisonnier, et des officiers.)

LODOVICO.—Où est ce forcené et malheureux homme?

OTHELLO.—Voici celui qui fut Othello. Me voici.

LODOVICO.—Où est cette vipère? Faites avancer ce scélérat.

OTHELLO.—Je regarde ses pieds.—Mais c'est une fable. Si tu es un démon, je ne puis te tuer.

(Il blesse Jago.)

LODOVICO.—Arrachez-lui son épée.

JAGO.—Mon sang coule, seigneur, mais je ne suis pas mort.

OTHELLO.—Je n'en suis pas fâché non plus: je désire que tu vives; car, à mon sens, c'est un bonheur de mourir.

LODOVICO.—O toi, Othello, jadis si bon et maintenant tombé dans les piéges d'un esclave maudit, que te dira-t-on?

OTHELLO.—Tout, tout. Dites, si vous voulez, que je suis un honorable assassin, car je n'ai rien fait par haine, mais tout par honneur.

LODOVICO.—Ce misérable vient d'avouer une partie de ses perfidies. Est-il vrai que vous ayez conspiré avec lui la mort de Cassio?

OTHELLO.—Oui.

CASSIO.—Cher général, je ne vous en ai jamais donné sujet.

OTHELLO.—Je le crois, et je vous demande pardon.—Voulez-vous, je vous prie, demander à ce demi-démon pourquoi il m'a ainsi enveloppé corps et âme dans ses piéges?

JAGO.—Ne me demandez rien: vous savez ce que vous savez; à partir de ce moment je ne dirai plus un mot.

LODOVICO.—Quoi! pas même pour prier?

GRATIANO.—Les tortures te desserreront les lèvres.

OTHELLO.—Bien, vous ferez bien.

LODOVICO.—Je présume, Othello, que vous comprendrez ce qui est arrivé; je crois que vous ne le savez pas encore. Voici une lettre trouvée dans la poche de Roderigo, et en voici une autre. L'une annonce que Roderigo se chargeait de l'assassinat de Cassio.

OTHELLO.—Traître!

CASSIO.—Complot barbare! Action de païen!

LODOVICO.—La seconde est une lettre de reproches, trouvée aussi dans la poche de Roderigo. Il paraît qu'il avait dessein de l'envoyer à cet infernal scélérat, mais que Jago survint dans l'intervalle et le satisfit.

OTHELLO.—O le pernicieux scélérat!—Cassio, comment étiez-vous venu en possession de ce mouchoir qui appartenait à ma femme?

CASSIO.—Je le trouvai dans ma chambre; et il vient d'avouer lui-même tout à l'heure qu'il l'y avait laissé exprès pour un projet qui a réussi au gré de ses désirs.

OTHELLO.—O insensé! insensé! insensé!

CASSIO.—Il y a encore, dans la lettre de Roderigo, des reproches à Jago de l'avoir excité à m'insulter pendant que j'étais de garde, ce qui a causé ma disgrâce; et lui-même, qui avait longtemps paru mort, il a parlé tout à l'heure: «Jago l'avait aposté, et Jago l'a poignardé.»

LODOVICO, à Othello.—Il vous faut quitter ce lieu et nous suivre; voire pouvoir et votre emploi vous sont ôtés, et Cassio commande en Chypre. Quant à cet esclave, si par quelque torture raffinée on peut le tourmenter et le laisser vivre longtemps, elle sera son partage. Vous (à Othello), vous resterez prisonnier jusqu'à ce que le genre de votre crime soit connu du sénat de Venise. Allons, qu'on l'emmène.

OTHELLO.—Doucement: encore un mot ou deux avant que vous partiez. J'ai rendu à l'État quelques services; on le sait, n'en parlons plus. Je vous en prie, dans vos lettres, quand vous rendrez compte de ces faits déplorables, parlez de moi comme je suis, sans rien atténuer, sans rien aggraver par malignité. Alors vous parlerez d'un homme qui a trop aimé, mais qui ne sut pas aimer sagement; d'un homme qui ne devint pas aisément jaloux, mais qui, une fois excité, fut poussé jusqu'aux derniers excès; d'un homme dont la main, comme celle du Juif pervers25, a détruit une perle plus précieuse que toute sa race, d'un homme dont les yeux vaincus, quoique peu accoutumés à fondre en eau, répandent des larmes aussi abondamment que les arbres d'Arabie répandent leurs parfums.—Parlez de moi ainsi—et dites encore qu'un jour, dans Alep, un Turc insolent, portant le turban, frappait un Vénitien et insultait l'État, je saisis à la gorge ce chien circoncis, et le frappai ainsi.

(Il se perce de son épée.)

Note 25: (retour)

Allusion à Hérode et à Marianne.

LODOVICO.—O sanglante catastrophe!

GRATIANO.—Tout ce que nous avons dit ne peut plus s'accomplir.

OTHELLO, s'approchant du lit en chancelant.—Je t'ai donné un baiser avant de te tuer.—En me tuant, je ne puis m'empêcher d'aller mourir sur tes lèvres.

(Il meurt en embrassant Desdémona.)

CASSIO.—Voilà ce que je craignais.—Mais je croyais qu'il n'avait point d'arme, car il avait le coeur grand.

LODOVICO, à Jago.—Chien de Sparte, plus impitoyable que la douleur, la faim ou la mer, contemple le tragique fardeau dont ce lit est chargé. Voilà ton ouvrage. Ce spectacle empoisonne la vue.—Qu'on le cache.—Gratiano, gardez la maison et prenez possession des biens du More; ils vous reviennent en héritage. (A Cassio.) C'est à vous, seigneur gouverneur, qu'appartient le châtiment de cet infernal traître: choisissez le temps, le lieu, les tortures: oh! redoublez les tortures. Moi je m'embarque à l'instant, et je vais d'un coeur désolé raconter au sénat cette désolante aventure.

FIN DU CINQUIÈME ET DERNIER ACTE.

Chargement de la publicité...