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Périclès: Tragédie

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SCÈNE II


Même lieu.

PÉRICLÈS dort sur le tillac; DIANE lui apparaît dans un songe.


DIANE.--Mon temple est à Éphèse, il faut t'y rendre et faire un sacrifice sur mon autel. Là, quand mes ministres seront assemblés devant le peuple, raconte comment tu as perdu ton épouse sur la mer. Pour pleurer tes infortunes et celles de ta fille, raconte fidèlement toute ta vie. Obéis, ou continue à être malheureux. Obéis, tu seras heureux, je l'atteste par mon arc d'argent. Réveille-toi et répète ton songe.

(Diane disparaît.)

PÉRICLÈS.--Céleste Diane, déesse au croissant d'argent, je t'obéirai.--Hélicanus?

(Entrent Hélicanus, Lysimaque et Marina.)

HÉLICANUS.--Seigneur?

PÉRICLÈS, à Hélicanus.--Mon projet était d'aller à Tharse pour y punir Cléon, ce prince inhospitalier, mais j'ai d'abord un autre voyage à faire. Tournez vers Éphèse vos voiles enflées. Plus tard, je vous dirai pourquoi. (A Lysimaque.) Nous reposerons-nous, seigneur, sur votre rivage, et vous donnerons-nous de l'or pour les provisions dont nous aurons besoin?

LYSIMAQUE.--De tout mon coeur, seigneur; et quand vous viendrez à terre, j'ai une autre prière à vous faire.

PÉRICLÈS.--Vous obtiendrez même ma fille si vous la demandez, car vous avez été généreux envers elle.

LYSIMAQUE.--Seigneur, appuyez-vous sur mon bras.

PÉRICLÈS.--Viens, ma chère Marina.

(Ils sortent.)

(On voit le temple de Diane à Éphèse. Entre Gower.

GOWER.--Maintenant le sable de notre horloge est presque écoulé.... Encore un peu et c'est fini. Accordez-moi pour dernière complaisance (et cela m'encouragera), accordez-moi de supposer toutes les fêtes, les banquets, les réjouissances bruyantes que le gouverneur fit à Mitylène pour féliciter le roi. Il était si heureux qu'on lui eût promis de lui donner Marina pour épouse! mais cet hymen ne devait avoir lieu que lorsque Périclès aurait fait le sacrifice ordonné par Diane. Laissez donc le temps s'écouler; on met à la voile au plus vite, et les désirs sont aussitôt satisfaits. Voyez le temple d'Éphèse, notre roi et toute sa suite. C'est à vous que nous devons, et nous en sommes reconnaissants, que Périclès soit arrivé sitôt.

(Gower sort.)


SCÈNE III


Le temple de Diane à Éphèse.--Thaïsa est près de l'autel en qualité de grande prêtresse. Une troupe de vierges. Cérimon et autres habitants d'Éphèse.

Entrent PÉRICLÈS et sa suite, LYSIMAQUE, HÉLICANUS, MARINA et UNE DAME.


PÉRICLÈS.--Salut, Diane! pour obéir à tes justes commandements, je me déclare ici le roi de Tyr, qui chassé par la peur, de ma patrie, épousai la belle Thaïsa à Pentapolis. Elle mourut sur mer en mettant au monde une fille appelée Marina, qui porte encore ton costume d'argent, ô déesse! Elle fut élevée à Tharse par Cléon, qui voulut la faire tuer à l'âge de quatorze ans; mais une bonne étoile l'amena à Mitylène. C'est là que la fortune la fit venir à bord de mon navire, où en rappelant le passé elle se fit connaître pour ma fille.

THAISA.--C'est sa voix, ce sont ces traits.... vous êtes, vous êtes....--O roi Périclès!

(Elle s'évanouit.)

PÉRICLÈS.--Que veut dire cette femme...? Elle se meurt: au secours!

CÉRIMON.--Noble seigneur, si vous avez dit la vérité aux pieds des autels de Diane, voilà votre femme.

PÉRICLÈS.--Respectable vieillard, cela ne se peut; je l'ai jetée de mes bras dans la mer.

CÉRIMON.--Sur cette côte même.

PÉRICLÈS.--C'est une vérité.

CÉRIMON.--Regardez cette dame.--Elle n'est mourante que de joie. Un matin d'orage, elle fut jetée sur ce rivage: j'ouvris le cercueil, j'y trouvai de riches joyaux, je lui ai rendu la vie et l'ai placée dans le temple de Diane.

PÉRICLÈS.--Pouvons-nous voir ces joyaux?

CÉRIMON.--Illustre seigneur, ils seront apportés dans ma maison, où je vous invite à venir.... Voyez, Thaïsa revit.

THAISA.--Oh! laissez-moi le regarder. S'il n'est pas mon époux, mon saint ministère ne prêtera point à mes sens une oreille licencieuse. O seigneur, êtes-vous Périclès? Vous parlez comme lui; vous lui ressemblez. N'avez-vous pas cité une tempête, une naissance, une mort?

PÉRICLÈS.--C'est la voix de Thaïsa.

THAISA.--Je suis cette Thaïsa, crue morte et submergée.

PÉRICLÈS.--Immortelle Diane!

THAISA.--Maintenant, je vous reconnais.--Quand nous quittâmes Pentapolis en pleurant, le roi mon père vous donna une bague semblable.

(Elle lui montre une bague.)

PÉRICLÈS.--Oui, oui; je n'en demande pas davantage. O dieux! votre bienfait actuel me fait oublier mes malheurs passés. Je ne me plaindrai pas, si je meurs en touchant ses lèvres.--Oh! viens, et sois ensevelie une seconde fois dans ces bras!

MARINA.--Mon coeur bondit pour s'élancer sur le sein de ma mère.

(Elle se jette aux genoux de Thaïsa.)

PÉRICLÈS.--Regarde celle qui se jette à tes genoux! C'est la chair de ta chair,--Thaïsa, l'enfant que tu portais dans ton sein sur la mer, et que j'appelai Marina; car elle vint au monde sur le vaisseau.

THAISA.--Béni soit mon enfant!

HÉLICANUS.--Salut, ô ma reine!

THAISA.--Je ne vous connais pas.

PÉRICLÈS.--Vous m'avez entendu dire que, lorsque je partis de Tyr, j'y laissai un vieillard pour m'y remplacer. Pouvez-vous vous rappeler son nom? Je vous l'ai dit souvent.

THAISA.--C'est donc Hélicanus?

PÉRICLÈS.--Nouvelle preuve. Embrasse-le, chère Thaïsa; c'est lui. Il me tarde maintenant de savoir comment vous fûtes trouvée et sauvée; quel est celui que je dois remercier, après les dieux, de ce grand miracle?

THAISA.--Le seigneur Cérimon. C'est par lui que les dieux ont manifesté leur puissance; les dieux qui peuvent tout pour vous.

PÉRICLÈS.--Respectable vieillard, les dieux n'ont pas sur la terre de ministre mortel plus semblable à un dieu que vous. Voulez-vous me dire comment cette reine a été rendue à la santé?

CÉRIMON.--Je le ferai, seigneur. Je vous prie de venir d'abord chez moi, où vous sera montré tout ce qu'on a trouvé avec votre épouse; vous saurez comment elle fut placée dans ce temple; enfin, rien ne sera omis.

PÉRICLÈS.--Céleste Diane! je te rends grâces de ta vision, et je t'offrirai mes dons. Thaïsa, ce prince, le fiancé de votre fille, l'épousera à Pentapolis. Maintenant, cet ornement, qui me rend si bizarre, disparaîtra, ma chère Marina; et j'embellirai, pour le jour de tes noces, ce visage, que le rasoir n'a pas touché depuis quatorze ans.

THAISA.--Cérimon a reçu des lettres qui lui annoncent la mort de mon père.

PÉRICLÈS.--Qu'il soit admis parmi les astres! Cependant, ma reine, nous célébrerons leur hyménée, et nous achèverons nos jours dans ce royaume. Notre fille et notre fils régneront à Tyr. Seigneur Cérimon, nous languissons d'entendre ce que nous ignorons encore.--Seigneur, guidez-nous.

(Ils sortent.)

(Entre Gower.)

GOWER.--Vous avez vu, dans Antiochus et sa fille, la récompense d'une passion monstrueuse; dans Périclès, son épouse et sa fille (malgré les injustices de la cruelle fortune), la vertu défendue contre l'adversité, protégée par le ciel, et enfin couronnée par le bonheur. Dans Hélicanus, nous vous avons offert un modèle de véracité et de loyauté; et dans le respectable Cérimon, le mérite qui accompagne toujours la science et la charité. Quant au méchant Cléon et à sa femme, lorsque la renommée eut révélé leur crime et la gloire de Périclès, la ville, dans sa fureur, les brûla avec leur famille dans le palais. Voilà comment les dieux les punirent du meurtre qu'ils avaient voulu commettre. Accordez-nous toujours votre patience, et goûtez de nouveaux plaisirs. Ici finit notre pièce.

(Gower sort.)

FIN DU CINQUIÈME ET DERNIER ACTE.

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