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Poésies complètes,: avec préface de Paul Verlaine et notes de l'éditeur

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L'hiver, nous irons dans un petit wagon rose
Avec des coussins bleus.
Nous serons bien. Un nid de baisers fous repose
Dans chaque coin moelleux.

Tu fermeras l'œil, pour ne point voir, par la glace,
Grimacer les ombres des soirs,
Ces monstruosités hargneuses, populace
De démons noirs et de loups noirs.

Puis tu te sentiras la joue égratignée...
Un petit baiser, comme une folle araignée,
Te courra par le cou...

Et tu me diras: «Cherche!» en inclinant la tête;
—Et nous prendons du temps à trouver cette bête!
—Qui voyage beaucoup...

En wagon, le 7 octobre 1870.

LE BUFFET

C'est un large buffet sculpté; le chêne sombre,
Très vieux, a pris cet air si bon des vieilles gens;
Le buffet est ouvert, et verse dans son ombre
Comme un flot de vin vieux, des parfums engageants;

Tout plein, c'est un fouillis de vieilles vieilleries,
De linges odorants et jaunes, de chiffons
De femmes ou d'enfants, de dentelles flétries,
De fichus de grand'mère où sont peints des griffons;

—C'est là qu'on trouverait les médaillons, les mèches
De cheveux blancs ou blonds, les portraits, les fleurs sèches
Dont le parfum se mêle à des parfums de fruits.

—Ô buffet du vieux temps, tu sais bien des histoires,
Et tu voudrais conter tes contes, et tu bruis
Quand s'ouvrent lentement tes grands portes noires.

Octobre 1870.

MA BOHÈME

(Fantaisie)

Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées;
Mon paletot aussi devenait idéal;
J'allais sous le ciel, Muse! et j'étais ton féal;
Oh! là là! que d'amours splendides j'ai rêvées!

Mon unique culotte avait un large trou.
—Petit Poucet rêveur, j'égrenais dans ma course
Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse;
—Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou.

Et je les écoutais, assis au bord des routes,
Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes
De rosée à mon front, comme un vin de vigueur;

Où, rimant au milieu des ombres fantastiques,
Comme des lyres, je tirais les élastiques
De mes souliers blessés, un pied près de mon cœur!

Octobre 1870.

ENTENDS COMME BRAME

Entends, comme brame
près des acacias
en avril la rame
viride du pois!

Dans sa vapeur nette,
Vers Phœbé! tu vois
s'agiter la tête
de saints d'autrefois...

Loin des claires meules
des caps, des beaux toits,
ces chers Anciens veulent
ce philtre sournois...

Or ni feriale
ni astrale! n'est
la brume qu'exhale
ce nocturne effet.

Néanmoins ils restent,
—Sicile, Allemagne,
dans ce brouillard triste
et blêmi, justement!

CHANT DE GUERRE PARISIEN

Le printemps est évident, car
Du cœur des Propriétés vertes
Le vol de Thiers et de Picard
Tient ses splendeurs grandes ouvertes.

Ô mai! Quels délirants cul-nus!
Sèvres, Meudon, Bagneux, Asnières,
Écoutez donc les bienvenus
Semer les choses printanières!

Ils ont schako, sabre et tamtam
Non la vieille boîte à bougies
Et des yoles qui n'ont jam... jam...
Fendent le lac aux eaux rougies!...

Plus que jamais nous bambochons
Quand arrivent sur nos tanières
1
Crouler les jaunes cabochons
Dans des aubes particulières.

Thiers et Picard sont des Éros
Des enleveurs d'héliotropes
Au pétrole ils font des Corots.
Voici hannetonner leurs tropes...

Ils sont familiers du grand turc!...
Et couché dans les glaïeuls, Favre,
Fait son cillement aqueduc
Et ses reniflements à poivre!

La Grand-Ville a le pavé chaud
Malgré vos douches de pétrole
Et décidément il nous faut
Nous secouer dans votre rôle...

Et les ruraux qui se prélassent
Dans de longs accroupissements
Entendront des rameaux qui cassent
Parmi les rouges froissements.

[1] Quand viennent sur nos fourmilières (var. de l'auteur).

MES PETITES AMOUREUSES

Un hydrolat lacrymal lave
Les cieux vert-chou:
Sous l'arbre tendronnier qui bave
Vos caoutchoucs.

Blancs de lunes particulières
Aux pialats ronds,
Entrechoquez vos genouillères
Mes laiderons!

Nous nous aimions à cette époque,
Bleu laideron:
On mangeait des œufs à la coque
Et du mouron!

Un soir tu me sacras poète,
Blond laideron.
Descends ici que je te fouette
En mon giron;

J'ai dégueulé ta bandoline
Noir laideron;
Tu couperais ma mandoline
Au fil du front.

Pouah! nos salives desséchées
Roux laideron
Infectent encor les tranchées
De ton sein rond!

Ô mes petites amoureuses
Que je vous hais!
Plaquez de fouffes douloureuses,
Vos tétons laids!

Piétinez mes vieilles terrines
De sentiment;
Hop donc soyez-moi ballerines
Pour un moment!...

Vos omoplates se déboîtent
Ô mes amours!
Une étoile à vos reins qui boîtent
Tournez vos tours.

Est-ce pourtant pour ces éclanches
Que j'ai rimé!
Je voudrais vous casser les hanches
D'avoir aimé!

Fade amas d'étoiles ratées
Comblez les coins
—Vous creverez en Dieu, bâtées
D'ignobles soins!

Sous les lunes particulières
Aux pialats ronds
Entrechoquez vos genouillières,
Mes laiderons!

LES POÈTES DE SEPT ANS

A M. P. Demeny.

Et la Mère, fermant le livre du devoir,
S'en allait satisfaite et très fière sans voir,
Dans les yeux bleus et sous le front plein d'éminence,
L'âme de son enfant livrée aux répugnances.

Tout le jour il suait d'obéissance; très
Intelligent; pourtant des tics noirs, quelques traits,
Semblaient prouver en lui d'âcres hypocrisies.
Dans l'ombre des couloirs aux tentures moisies,
En passant il tirait la langue, les deux poings
À l'aine, et dans ses yeux fermés voyait des points.
Une porte s'ouvrait sur le soir; à la lampe
On le voyait, là-haut qui râlait sur la rampe,
Sous un golfe de jour pendant du toit. L'été
Surtout, vaincu, stupide, il était entêté
À se renfermer dans la fraîcheur des latrines:
Il pensait là, tranquille et livrant ses narines.
Quand, lavé des odeurs du jour, le jardinet
Derrière la maison, en hiver s'illunait,
Gisant au pied d'un mur, enterré dans la marne
Et pour des visions écrasant son œil darne,
Il écoutait grouiller les galeux espaliers.
Pitié! Ces enfants seuls étaient ses familiers
Qui, chétifs, fronts nus, œil déteignant sur la joue,
Cachant de maigres doigts jaunes et noirs de boue,
Sous des habits puant la foire et tout vieillots,
Conversaient avec la douceur des idiots!
Et si, l'ayant surpris à des pitiés immondes,
Sa mère s'effrayait; les tendresses profondes
De l'enfant se jetaient sur cet étonnement.
C'était bon. Elle avait le bleu regard,—qui ment!

À sept ans, il faisait des romans sur la vie
Du grand désert, où luit la Liberté ravie,
Forêts, soleils, rives, savanes!—Il s'aidait
De journaux illustrés où, rouge, il regardait
Des Espagnoles rire et des Italiennes.
Quand venait, l'œil brun, folle, en robes d'indiennes,
—Huit ans,—la fille des ouvriers d'à côté,
La petite brutale, et qu'elle avait sauté,
Dans un coin, sur son dos, en secouant ses tresses,
Et qu'il était sous elle, il lui mordait les fesses,
Car elle ne portait jamais de pantalons;
—Et, par elle meurtri des poings et des talons
Remportait les saveurs de sa peau dans sa chambre.

Il craignait les blafards dimanches de décembre,
Où, pommadé, sur un guéridon d'acajou,
Il lisait une Bible à la tranche vert-chou;
Des rêves l'oppressaient chaque nuit dans l'alcôve.
Il n'aimait pas Dieu; mais les hommes, qu'au soir fauve,
Noirs, en blouse, il voyait rentrer dans le faubourg
Où les crieurs, en trois roulements de tambour
Font autour des édits rire et gronder les foules.
—Il rêvait la prairie amoureuse, où des houles
Lumineuses, parfums sains, pubescences d'or,
Font leur remuement calme et prennent leur essor!

Et comme il savourait surtout les sombres choses,
Quand, dans la chambre nue aux persiennes closes,
Haute et bleue, âcrement prise d'humidité,
Il lisait son roman sans cesse médité,
Plein de lourds ciels ocreux et de forêts noyées,
De fleurs de chair aux bois sidérals déployées,
Vertige, écroulements, déroutes et pitié!
—Tandis que se faisait la rumeur du quartier,
En bas,—seul, et couché sur des pièces de toile
Écrue, et pressentant violemment le voile!

26 mai 1871.

Note (Project Gutenberg).
On nous a fait savoir que le terme "le voile" dans la dernière ligne du poème «LES POÈTES DE SEPT ANS», doit être corrigée en "la voile".
D'après nos recherches, le poème écrit en 1871 se terminait en effet sur les mots "la voile".
La présente édition de 1895 a été corrigée de la main de Verlaine, sur des épreuves fournies par l'imprimerie Ch. Herissey à Évreux. Il nous est difficile de savoir pourquoi Verlaine a corrigé «la voile» en «le voile», ou s'agit-il d'un moment d'inattention?
Ce qui est certain, notre édition marque bien «le voile».

LE CŒUR VOLÉ

Mon pauvre cœur bave à la poupe,
Mon cœur est plein de caporal;
Ils lui lancent des jets de soupe,
Mon triste cœur bave à la poupe.
Sous les quolibets de la troupe
Qui pousse un rire général,
Mon triste cœur brave à la poupe
Mon cœur est plein de caporal!

Ithyphalliques et pioupiesques,
Leurs insultes l'ont dépravé.
À la vesprée, ils font des fresques
Ithyphalliques et pioupiesques,
Ô flots abracadabrantesques
Prenez mon cœur, qu'il soit sauvé!
Ithyphalliques et pioupiesques
Leurs insultes l'ont dépravé!

Quand ils auront tari leurs chiques,
Comment agir, ô cœur volé?
Ce seront des refrains bachiques
Quand ils auront tari leurs chiques.
J'aurai des sursauts stomachiques
Si mon cœur triste est ravalé:
Quand ils auront tari leurs chiques,
Comment agir, ô cœur volé?

TÊTE DE FAUNE

Dans la feuillée, écrin vert taché d'or,
Dans la feuillée incertaine et fleurie,
D'énormes fleurs où l'âcre baiser dort
Vif et devant l'exquise broderie,

Le Faune affolé montre ses grands yeux
Et mord la fleur rouge avec ses dents blanches
Brunie et sanglante ainsi qu'un vin vieux,
Sa lèvre éclate en rires par les branches;

Et quand il a fui, tel un écureuil,
Son rire perle encore à chaque feuille
Et l'on croit épeuré par un bouvreuil
Le baiser d'or du bois qui se recueille.

POISON PERDU

Des nuits du blond et de la brune
Pas un souvenir n'est resté;
Pas une dentelle d'été,
Pas une cravate commune.

Et sur le balcon, où le thé
Se prend aux heures de la lune,
Il n'est resté de trace aucune,
Aucun souvenir n'est resté,

Au bord d'un rideau bleu piquée,
Luit une épingle à tête d'or
Comme un gros insecte qui dort,

Pointe d'un fin poison trempée,
Je te prends, sois-moi préparée
Aux heures des désirs de mort.

LES CORBEAUX

Seigneur, quand froide est la prairie,
Quand dans les hameaux abattus,
Les longs angelus se sont tus
Sur la nature défleurie,
Faites s'abattre des grands cieux
Les chers corbeaux délicieux.

Armée étrange aux cris sévères,
Les vents froids attaquent vos nids!
Vous, le long des fleuves jaunis,
Sur les routes aux vieux calvaires,
Sur les fossés et sur les trous,
Dispersez-vous, ralliez-vous!

Par milliers, sur les champs de France,
Où dorment les morts d'avant-hier,
Tournoyez, n'est-ce pas, l'hiver,
Pour que chaque passant repense!
Sois donc le crieur du devoir,
Ô notre funèbre oiseau noir!

Mais, saints du ciel, en haut du chêne,
Mât perdu dans le soir charmé,
Laissez les fauvettes de mai
Pour ceux qu'au fond du bois enchaîne,
Dans l'herbe d'où l'on ne peut fuir,
La défaite sans avenir.

1872.

PATIENCE

D'un été.

Aux branches claires des tilleurs
Meurt un maladif hallali.
Mais des chansons spirituelles
Voltigent partout les groseilles.
Que notre sang rie en nos veines,
Voici s'enchevêtrer les vignes.
Le ciel est joli comme un ange,
Azur et Onde communient.
Je sors! Si un rayon me blesse,
Je succomberai sur la mousse.

Qu'on patiente et qu'on s'ennuie,
C'est si simple!... Fi de ces peines!
Je veux que l'été dramatique
Me lie à son char de fortune.
Que par toi beaucoup, ô Nature,
—Ah! moins nul et moins seul! je meure,
Au lieu que les bergers, c'est drôle,
Meurent à peu près par le monde.

Je veux bien que les saisons m'usent.
À toi, Nature! je me rends,
Et ma faim et toute ma soif;
Et s'il te plaît, nourris, abreuve.
Rien de rien ne m'illusionne;
C'est rire aux parents qu'au soleil;
Mais moi je ne veux rire à rien,
Et libre soit cette infortune.

JEUNE MÉNAGE

La chambre est ouverte au ciel bleu turquin;
Pas de place: des coffrets et des huches!
Dehors le mur est plein d'aristoloches
Où vibrent les gencives des lutins.

Que ce sont bien intrigues de génies
Cette dépense et ces désordres vains!
C'est la fée africaine qui fournit
La mûre, et les résilles dans les coins.

Plusieurs entrent, marraines mécontentes,
En pans de lumière dans les buffets,
Puis y restent! le ménage s'absente
Peu sérieusement, et rien ne se fait.

Le marié a le vent qui le floue
Pendant son absence, ici, tout le temps.
Même des esprits des eaux malfaisants
Entrent vaguer aux sphères de l'alcôve.

La nuit, l'amie oh, la lune de miel
Cueillera leur sourire et remplira
De mille bandeaux de cuivre le ciel.
Puis ils auront affaire au malin rat.

—S'il n'arrive pas un feu follet blême,
Comme un coup de fusil, après des vêpres.
—Ô spectres saints et blancs de Bethléem,
Charmez plutôt le bleu de leur fenêtre!

27 juin 1872.

MÉMOIRE

I

L'eau claire; comme le sel des larmes d'enfance;
L'assaut au soleil des blancheurs des corps de femmes;
La soie, en foule et de lys pur des oriflammes
Sous les murs dont quelque pucelle eut la défense;

L'ébat des anges;—non... le courant d'or en marche,
Meut ses bras, noirs, et lourds, et frais surtout, d'herbe. Elle,
Sombre, ayant le ciel bleu pour ciel de lit, appelle
Pour rideaux l'ombre de la colline et de l'arche.

II

Eh! l'humide carreau tend ses bouillons limpides!
L'eau meuble d'or pâle et sans fond les couches prêtes.
Les robes vertes et déteintes des fillettes
Font les saules, d'où sautent les oiseaux sans brides.

Plus pure qu'un louis, jaune et chaude paupière
Le souci d'eau—ta foi conjugale, ô l'Épouse!—
Au midi prompt, de son terne miroir, jalouse
Au ciel gris de chaleur la sphère rose et chère.

III

Madame se tient trop debout dans la prairie
Prochaine où neigent les fils du travail; l'ombrelle
Aux doigts; foulant l'ombelle; trop fière pour elle
Des enfants lisant dans la verdure fleurie

Leur livre de maroquin rouge! Hélas, Lui, comme
Mille anges blancs qui se séparent sur la route,
S'éloigne par delà la montagne! Elle, toute
Froide, et noire, court! après le départ de l'homme!

IV

Regrets des bras épais et jeunes d'herbe pure!
Or des lunes d'avril au cœur du saint lit! Joie
Des chantiers riverains à l'abandon, en proie
Aux soirs d'août qui faisaient germer ces pourritures!

Qu'elle pleure à présent sous les remparts: l'haleine
Des peupliers d'en haut est pour la seule brise.
Amis, c'est la nappe, sans reflets, sans source, grise—
Un vieux dragueur, dans sa barque immobile, peine.

V

Jouet de cet œil d'eau morne, je n'y puis prendre,
Ô canot immobile! ô bras trop courts! ni l'une
Ni l'autre fleur; ni la jaune qui m'importune,
Là; ni la bleue, amis, à l'eau couleur de cendre.

Ah! la poudre des saules qu'une aile secoue!
Les roses des roseaux dès longtemps dévorées!...
Mon canot toujours fixe; et sa chaîne tirée
Au fond de cet œil d'eau sans bords—à quelle boue?



Est-elle almée?... aux premières heures bleues
Se détruira-t-elle comme les fleurs feues...
Devant la splendide étendue où l'on sente
Souffler la ville énormément florissante!

C'est trop beau! c'est trop beau! mais c'est nécessaire
—Pour la Pêcheuse et la chanson du corsaire,
Et aussi puisque les derniers masques crurent
Encore aux fêtes de nuit sur la mer pure!

Juillet 1872

FÊTES DE LA FAIM

Ma faim, Anne, Anne,
Fuis sur ton âne.

Si j'ai du goût, ce n'est guères
Que pour la terre et les pierres
Dinn! dinn! dinn! dinn! Mangeons l'air,
Le roc, les terres, le fer,
Charbons.

Mes faims, tournez. Paissez, faims,
Le pré des sons!
Attirez le gai venin
Des liserons;

Mangez les cailloux qu'un pauvre brise,
Les vieilles pierres d'églises,
Les galets, fils des déluges,
Pains couchés aux vallées grises!

Des faims, c'est les bouts d'air noir;
L'azur sonneur;
—C'est l'estomac qui me tire,
C'est le malheur.

Sur terre ont paru les feuilles:
Je vais aux chairs de fruit blettes,
Au sein du sillon je cueille
La doucette et la violette.

Ma faim, Anne, Anne!
Fuis sur ton âne.

Août 1872.

PROSE

I
FLAIRY

Pour Hélène se conjurèrent les sèves ornementales dans les ombres vierges et les clartés impassibles dans le silence astral. L'ardeur de l'été fut confiée à des oiseaux muets et l'indolence requise à une barque de deuils sans prix par des anses d'amours morts et de parfums affaissés.

Après le moment de l'air des bûcheronnes à la rumeur du torrent sous la ruine des bois, de la sonnerie des bestiaux à l'écho des vals, et des cris des steppes.

Pour l'enfance d'Hélène frissonnèrent les fourrés et les ombres, et le sein des pauvres, et les légendes du ciel.

Et ses yeux et sa danse supérieurs encore aux éclats précieux, aux influences froides, au plaisir du décor et de l'heure uniques.

II
GUERRE

Enfant, certains ciels ont affiné mon optique, tous les caractères nuancèrent ma physionomie. Les phénomènes s'émurent. À présent l'inflexion éternelle des moments de l'infini des mathématiques me chassent par ce monde où je subis tous les succès civils, respecté de l'enfance étrange et des affections énormes. Je songe à une guerre, de droit ou de force, de logique bien imprévue.

C'est aussi simple qu'une phrase musicale.

III
GÉNIE

Il est l'affection et le présent puisqu'il a fait la maison ouverte à l'hiver écumeux et à la rumeur de l'été, lui qui a purifié les boissons et les aliments, lui qui est le charme des lieux fuyant et le délice surhumain des stations. Il est l'affection et l'avenir, la force et l'amour que nous, debout dans les rages et les ennuis, nous voyons passer dans le ciel de tempête et les drapeaux d'extase.

Il est l'amour, mesure parfaite et réinventée, raison merveilleuse et imprévue, et l'éternité: machine aimée des qualités fatales. Nous avons tous eu l'épouvante de sa concession et de la nôtre: ô jouissance de notre santé, élan de nos facultés, affection égoïste et passion pour lui, lui qui nous aime pour sa vie infinie...

Et nous nous le rappelons et il voyage... Et si l'Adoration s'en va, sonne, sa promesse sonne: «Arrière ces superstitions, ces anciens corps, ces ménages et ces âges. C'est cette époque-ci qui a sombré!»

Il ne s'en ira pas, il ne redescendra pas d'un ciel, il n'accomplira pas la rédemption des colères de femmes et des gaîtés des hommes et de tout ce péché: car c'est fait, lui étant, et étant aimé.

Ô ses souffles, ses têtes, ses courses; la terrible célérité de la perfection des formes et de l'action.

Ô fécondité de l'esprit et immensité de l'univers!

Son corps! Le dégagement rêvé le brisement de la grâce croisée de violence nouvelle! sa vue, sa vue! tous les agenouillages anciens et les peines relevés à sa suite.

Son jour! l'abolition de toutes souffrances sonores et mouvantes dans la musique plus intense.

Son pas! les migrations plus énormes que les anciennes invasions.

Ô Lui et nous! l'orgueil plus bienveillant que les charités perdues.

Ô monde! et le chant clair des malheurs nouveaux!

Il nous a connus tous et nous a tous tous aimé. Sachons, cette nuit d'hiver, de cap en cap, du pôle tumultueux au château, de la foule à la plage, de regards en regards, forces et sentiments las, le héler et le voir, et le renvoyer, et sous les marées et au haut des déserts de neige, suivre ses vues, ses souffles, son corps, son jour.

IV
JEUNESSE

I
DIMANCHE

Les calculs de côté, l'inévitable descente du ciel, la visite des souvenirs et la séance des rythmes occupent la demeure, la tête et le monde de l'esprit.

—Un cheval détale sur le turf suburbain, le long des cultures et des boisements, percé par la peste carbonique. Une misérable femme de drame, quelque part dans le monde soupire après les abandons improbables. Les desperadves languissent après l'orage, l'ivresse et les blessures. De petits enfants étouffent des malédictions le long des rivières.

Reprenons l'étude au bruit de l'œuvre dévorante qui se rassemble et se monte dans les masses.

II
SONNET

Homme de constitution ordinaire, la chair n'était-elle pas un fruit pendu dans le verger, ô journées enfantes! le corps un trésor à prodiguer; ô aimer, le péril ou la force de Psyché? La terre avait des versants fertiles en princes et en artistes, et la descendance et la race nous poussaient aux crimes et aux deuils: ce monde votre fortune et votre péril. Mais à présent, le labeur comblé, toi, tes calculs, toi, tes impatiences, ne sont plus que votre danse et votre voix, non fixées et point forcées, quoique d'un double événement d'invention et de succès une liaison, en l'humanité fraternelle est discrète par l'univers sans images;—la force et le droit réfléchissent la danse et la voix à présent seulement appréciées.

III
VINGT ANS

Les voix instructives exilées... L'ingénuité physique amèrement rassise... Adagio. Ah! l'égoïsme infini de l'adolescence, l'optimisme studieux: que le monde était plein de fleurs cet été! Les airs et les formes mourant... Un chœur, pour calmer l'impuissance et l'absence! Un chœur de verres de mélodies nocturnes... En effet les nerfs vont vite chasser.

IV

Tu en es encore à la tentation d'Antoine. L'ébat du zèle écourté, les tics d'orgueil, l'affaissement et l'effroi. Mais tu te mettras à ce travail: toutes les possibilités harmoniques et architecturales s'émouvront autour de ton siège. Des êtres parfaits, imprévus, s'offriront à tes expériences. Dans tes environs affluera rêveusement la curiosité d'anciennes foules et de luxes oisifs. Ta mémoire et tes sens ne seront que la nourriture de ton impulsion créatrice. Quant au monde, quand tu sortiras, que sera-t-il devenu? En tout cas, rien des apparences actuelles.

V
SOLDES

À vendre ce que les Juifs n'ont pas vendus, ce que noblesse ni crime n'ont goûté, ce qu'ignorent l'amour maudit et la probité infernale des masses; ce que le temps ni la science n'ont pas à reconnaître:

Les voix reconstituées; l'éveil fraternel de toutes les énergies chorales et orchestrales, et leurs applications instantanées, l'occasion, unique, de dégager nos sens!

À vendre les corps sans prix, hors de toute race, de tout monde, de tout sexe, de toute descendance! Les richesses jaillissant à chaque démarche! Solde de diamants sans contrôle!

À vendre l'anarchie pour les masses; la satisfaction irrépréssible pour les amateurs supérieurs; la mort atroce pour les fidèles et les amants!

À vendre les habitations et les migrations, sports, féeries et conforts parfaits, et le bruit, le mouvement et l'avenir qu'ils font:

À vendre les applications de calcul et sauts d'harmonie inouïs. Les trouvailles et les termes non soupçonnés, possession immédiate.

Élan insensé et infini aux splendeurs et invisibles aux délices insensibles, et ses secrets affolants pour chaque vice, et sa gaîté effroyante pour la foule.

À vendre les corps, les voix, l'immense opulence inquestionable, ce qu'on ne vendra jamais. Les vendeurs ne sont pas à bout de solde! Les voyageurs n'ont pas à rendre leur commission de sitôt!

TABLE

PROSE

Notes sur la transcription

On a effectué les corrections suivantes:

  • ombragé => ombré (On paie au Prêtre un toit ombragé d'une charmille)
  • retiré «petits» (De s'entendre appeler garces par les petits garçons)
  • retiré «fortes» (Elle eut soif de la nuit forte où s'exalte et s'abaisse)
  • Boète => Poète (Le Boète prendra le sanglot des Infâmes)
  • gravements => gravement (Et parfois en hoquets fort gravements bouffons)
  • ajouté «est Roi!» (—Et pourtant, plus de dieux! plus de dieux! l'Homme)
  • dlamants => diamants (Solde de dlamants sans contrôle!)

On donne ici la préface selon les épreuves, avant et après correction.

PRÉFACE

ARTHUR RIMBAUD

SES POÉSIES COMPLÈTES

À mon avis tout à fait intime, j'eusse préféré, en dépit de tant d'intérêt s'attachant intrinsèquement presque aussi bien que chronologiquement à beaucoup de pièces du présent recueil, que celui-ci fût allégé pour, surtout, des causes littéraires : trop de jeunesse décidément, d'inexpériences mal savoureuses, point d'assez heureuses naïvetés. J'eusse, si le maître, donné juste un dessus de panier, quitte à regretter que le reste dût disparaître, ou, alors, ajouté ce reste à la fin du livre, après la table des matières et sans table des matières quant à ce qui l'eût concerné, sous la rubrique «pièces attribuées à l'auteur», encore excluant de cette peut-être trop indulgente déjà hospitalité les tout à fait apocryphes sonnets publiés, sous le nom glorieux et désormais sacré, par de spirituels parodistes.

Quoi qu'il en soit, voici, seulement expurgée expurgé des apocryphes en question et classée classé aussi soigneusement que possible par ordre de dates, mais, hélas! privée privé de trop de choses qui furent, aux déplorables fins de puériles et criminelles rancunes, sans même d'excuses suffisamment bêtes, confisquées, confisquées? volées! pour tout et mieux dire, dans les tiroirs fermés d'un absent. , Voici voici le livre des poésies complètes d'Arthur Rimbaud, avec ses additions inutiles à mon avis et ses déplorables mutilations irréparables à jamais, il faut le craindre.

Justice est donc faite, et bonne et complète, car en outre du présent fragment de l'œuvre [illisible], il y a eu des reproductions par la Presse et la Librairie des choses en prose si inappréciables, peut-être même si supérieures aux vers, dont quelques-uns pourtant incomparables, que je sache!

Ici, avant de procéder plus avant, dans ce très sérieux et très sincère et pénible et douloureux travail, il me sied et me plaît de remercier mes amis Dujardin et Kahn, Fénéon, et ce trop méconnu, trop modeste Anatole Baju, de leur intervention en un cas si beau, mais, à l'époque, periculent périculeux, je vous l'assure, car je ne le sais que trop.

Kahn et Dujardin disposaient néanmoins de revues jeunes et d'aspect presque imposant, un peu d'outre-Rhin et parfois, pour ainsi dire, pédantesques; depuis il y a eu encore du plomb dans l'aile de ces périodiques changés de direction—et Baju, naïf, eut aussi son influence, vraiment.

Tous trois firent leur devoir en faveur de mes efforts pour Rimbaud, Baju avec le tort, peut-être inconscient, de publier, à l'appui de la bonne thèse, des gloses farceuses de gens de talent et surtout d'esprit qui auraient mieux fait certainement de travailler pour leur compte, qui en valait, je le leur dis en toute sincérité,

La peine assurément!

Mais un devoir sacré m'incombe, en dehors de toute diversion même quasiment nécessaire, vite. C'est de rectifier des faits d'abord—et ensuite d'élucider un peu la disposition, à mon sens, mal littéraire, mais conçue dans un but tellement respectable! du présent volume des Poésies complètes d'Arthur Rimbaud.

On a tout dit, en une préface abominable que la Justice a châtiée, d'ailleurs par la saisie, de par sur la requête d'un galant homme de qui la signature avait été escroquée, M. Rodolphe Darzens, on a donc dit tout le mauvais sur Rimbaud, homme et poète.

Ce mauvais-là, il faut malheureusement, mais carrément, l'amalgamer avec celui qu'a écrit, pensé sans nul doute, un homme de talent dans un journal d'irréprochable tenue. Je veux parler de M. Charles Maurras et en appeler de lui à lui mieux informé.

Je lis, par exemple, ceci de lui, M. Charles Maurras. :

Au dîner du Bon Bock «Au dîner du Bon Bock», or il n'y avait pas alors, de dîner du Bon Bock où nous allassions, Valade, Mérat, Silvestre, quelques autres Parnassiens, ou [et] moi, ou ni par conséquent Rimbaud avec nous, mais bien un dîner mensuel des Vilains Bonshommes [note illisible], fondé bien avant la guerre et qu'avaient honoré quelquefois Théodore de Banville et, de la part de Sainte-Beuve, son le secrétaire de celui-ci, M. Jules Troubat. Au moment dont il est question, fin 1871, nos «assises» se tenaient au premier étage d'un marchand de vins établi au coin de la rue Bonaparte et de la place Saint-Sulpice, vis-à-vis d'un libraire d'occasion (rue Bonaparte) et (rue du Vieux-Colombier) d'un marchand négociant d' [en] objets religieux . Au dîner du Bon Bock «Au dîner du Bon Bock, dit donc M. Maurras, ses reparties (à Rimbaud) causaient de grands scandales. Ernest d'Hervilly le rappelait en vain à la raison. Carjat le mit à la porte. Rimbaud attendit patiemment patiemment à la porte et Carjat reçut à la sortie un «bon» (je retiens «bon») coup de canne à épée dans le ventre. dans le ventre.»

Je n'ai pas à invoquer le témoignage de d'Hervilly qui est un cher poète et un cher ami, parce qu'il n'a jamais été plus l'auteur d'une intervention absurdement inutile que l'objet d'une insulte ignoble publiée sans la plus simple pudeur, non plus que sans la moindre conscience du faux ou du vrai dans la préface de l'édition de M. Genonceaux, cet exotique à Paris d'ailleurs failli depuis ou quelque chose comme cela; ni celui de M. Carjat lui-même, par trop juge et partie, ni celui des encore assez nombreux survivants d'une scène assurément peu glorieuse pour Rimbaud, mais démesurément grossie et dénaturée jusqu'à la plus complète calomnie.

Voici donc un récit succinct, mais vrai, jusque dans le moindre détail, du «drame» en question; : ce soir-là, aux Vilains Bonshommes, on avait lu beaucoup de vers après le dessert et le café. Beaucoup de vers, même à la fin d'un dîner (plutôt modeste), ce n'est pas toujours des moins fatigants, particulièrement quand ils sont un peu bien déclamatoires comme ceux dont vraiment il s'agissait (et non du bon poète Jean Aicard). Ces vers étaient d'un monsieur qui faisait beaucoup de sonnets à l'époque et de qui le nom m'échappe.

Et, sur le début suivant, après passablement d'autres choses d'autres gens:

On dirait des soldats d'Agrippa d'Aubigné
Alignés au cordeau par Philibert Delorme ...

Rimbaud eut le tort incontestable de protester d'abord entre haut et bas contre la prolongation d'à la fin abusives récitations. Sur quoi M. Etienne Carjat, le photographe, poète de qui le récitateur était l'ami littéraire et artistique, s'interposa trop vite et trop vivement à mon gré, traitant l'interrupteur de gamin. Rimbaud qui ne savait supporter la boisson, et que l'on avait contracté dans ces «agapes» pourtant modérées, la mauvaise habitude de gâter au point de vue du vin et des liqueurs,—Rimbaud qui se trouvait gris, prit mal la chose, se saisit d'une canne à épée à moi qui était derrière nous, voisins immédiats et, par-dessus la table large de près de deux mètres, dirigea vers M. Carjat qui se trouvait en face ou tout comme, la lame dégainée qui ne fit pas heureusement de très grands ravages, puisque le sympathique ex-directeur du Boulevard ne reçut, si j'en crois ma mémoire qui est excellente dans ce cas, qu'une éraflure très légère à une main.

Néanmoins l'alarme fut grande et la tentative très regrettable, vite et plus vite encore réprimée. J'arrachai la lame au furieux, la brisai sur mon genou et confiai, devant rentrer de très bonne heure chez moi où ma femme était dans un état de grossesse avancé pour ne pas excuser de trop longue ou fréquentes miennes absences de la maison, le garçon [«gamin»] à moitié dégrisé maintenant, au peintre bien connu, Michel de l'Hay, alors déjà un solide gaillard en outre d'un tout jeune homme des plus remarquablement beaux qu'il soit donné de voir, qui eut tôt fait de reconduire à son domicile de la rue Campagne-Première, en le chapitrant d'importance, le «gamin» notre jeune intoxiqué de qui l'accès de colère ne tarda pas à se dissiper tout à fait, avec les fumées du vin et de l'alcool, dans le sommeil réparateur de la seizième année.

Avant de «lâcher» tout à fait M. Charles Maurras, je lui demanderai de m'autoriser à m' expliquer une dernière fois sur un malheureux membre de phrase de lui me concernant.

À propos de la question d'ailleurs subsidiaire de savoir si M. Rimbaud était beau ou laid, M. Maurras qui ne l'a jamais vu et qui le trouve laid, d'après des témoins «plus rassis» que votre serviteur, me blâmerait presque, ma parole d'honneur! d'avoir dit qu'il avait (Rimbaud) un visage parfaitement ovale d'ange en exil, une forte bouche rouge au pli amer (et (in cauda venenum!) ce Latin et Romain et Grec et Italien! Que vous êtes, M. Maurras, ô gros voluptueux (à la Wilde!) des «jambes sans rivales».

Ça c'est bête, je veux bien le croire, idiot sans plus, autrement, quoi? Voici toujours ma phrase sur les jambes en question, extraite des Homme d'aujourd'hui. Au surplus, lisez toute la petite biographie. Elle répond à tout d'avance, et coûte deux sous.

«... Des projets pour la Russie, une anicroche à Vienne (Autriche), quelques mois en France, d'Arras et Douai à Marseille, et le Sénégal vers lequel bercé par un naufrage, [;] puis la Hollande, 1879-80, ; vu décharger des voitures de moisson dans une ferme à sa mère, entre Attigny et Vouziers, et arpenter ces routes maigres de ses «jambes sans rivales».

Voyons, M. Maurras, est-ce bien de bonne foi votre confusion entre infatigabilité... et autre chose. ?

—Ouf! j'en ai fini avec les petites (et grosses) infamies qui, de régions prétendues uniquement littéraires, s'insinueraient dans la vie privée pour s'y installer, et veuillez, lecteur, me permettre de m'étendre un peu, maintenant qu'on a brûlé quelque sucre, sur le pur plaisir intellectuel de vous parler du présent ouvrage qu'on peut ne pas aimer, ni même admirer, mais qui a droit à tout respect en tout consciencieux examen?

On a laissé les pièces objectionnables objectionables au point de vue bourgeois, car le point de vue chrétien et surtout catholique dont je m'honore d'être un des plus indignes peut -être mais à coup sûr le plus sincère tenant, me semble supérieur et doit être écarté—j'entends, notamment les Premières Communions, les Pauvres à l'église (pour mon compte, j'eusse négligé cette pièce brutale avec ayant pourtant ceci qui est [illisible]:

... Les malades du foie
Font baiser leurs longs doigts jaunes. aux bénitiers.
Aux bénitiers.

Quant aux Premières Communions dont j'ai sévèrement parlé dans mes Poètes maudits à cause de certains vers plutôt irrrévérencieux que affreusement blasphémateurs (ou réciproquement), c'est si beau!... n'est-ce pas? à travers tant de drôles de coup[ables] choses... n'est ce pas?

Pour le reste de ce que j'aime parfaitement, le Bateau ivre, les Effarés, les Chercheuses de poux et, bien après, les Assis aussi, parbleu! C'est un peu fumiste, mais si beau de détails; Sonnet de Voyelles qui a fait faire à M. Réné Ghill de ses mirobolantes théories, et l'ardent Faune. C' [illisible] est parfait de fauves,—en liberté! et encore une fois, je vous le présente, ce «numéro», comme autrefois dans ce petit journal de combat mort en pleine brèche Lutèce, de tout mon cœur, de toute mon âme et de toutes mes forces.

On a cru devoir, évidemment dans un but de réhabilitation qui n'a rien à voir ni avec la vie honorable ni avec l'œuvre très intéressante, [illisible] ouvrir le volume par une pièce intitulée Étrennes des Orphelins, laquelle assez longue pièce, dans le goût un peu Guiraud Guiraud avec déjà des beautés tout autres. Ceci qui vaut du Desbordes-Valmore:

Les tout petits enfants ont le cœur si sensible!

Cela:

La bise sous le seuil a fini par se taire...

qui est d'un net et d'un vrai, quant à ce qui concerne un beau jour de premier janvier. Surtout une facture solide, même un peu trop, qui dit l'extrême jeunesse de l'auteur quand il s'en servit d'après la formule parnassienne exagérée.

On a cru aussi devoir intercaler de gré ou de force un trop long poème: Le Forgeron, daté des Tuileries vers le 10 août 1892 1792, où vraiment c'est trop démoc-soc [illisible], par trop démodé, même en 1870 où ce fut écrit; mais l'auteur, direz-vous, était si, si jeune! Mais, répondrais-je, était-ce une raison pour publier cette chose faite à coups de «mauvaises lectures» dans des manuels surannés ou de trop moisis historiens? Je ne m'empresse pas moins d'ajouter qu'il y a là encore de très beaux vers. Parbleu! avec cet être-là!

Cette caricature de Louis XIV XVI, d'abord:

Et prenant ce gros-là dans son regard farouche.

Cette autre encore;

Or le bon roi, debout sur son ventre, était pâle.

Ce cri bien dans le ton juste, trop rare ici :

On ne veut pas de nous dans les boulangeries

Mais j'avoue préférer telles pièces purement jolies, mais alors très jolies, d'une joliesse sauvageonne ou sauvage tout à fait alors presque aussi belles que le Bateau ivre les Effarés ou que les Premières Communions Assis.

Il y a, dans ce ton, Ce qui relient Nina, vingt-neuf strophes, plus de cent vers, sur un rythme [rh]ythme sautilleur avec des gentillesse à tout bout de champ:

Dix-sept ans, ! tu seras heureuse!
Ô les grands prés,
La grande campagne amoureuse!
—Dis, viens plus près!...
. . . . . . . . . . . . . .
Puis comme une petite morte
Le cœur pâmé
Tu me disais dirais que je te porte
L'œil mi-fermé...

Et, après la promenade au bois... et la résurrection de la petite morte, l'entrée dans le village où ça çà sentirait le laitage, une étable pleine d'un rythme rhythme lent d'haleine, et de grands dos. Un , un intérieur à la Téniers. :

Les lunettes de ma la grand-mère
Et son nez long
Dans son missel...
. . . . . . . . . . . . . .

Aussi la Comédie en trois baisers:

. . . . . . . . . . . . . .
Elle était fort déshabillée
Et de grands arbres indiscrets.
Aux vitres penchaient leur feuillée
Malinement, tout près, tout près.

Sensation, où le poète adolescent va loin, bien loin, «comme un bohémien. »

Par la nature, heureux comme avec une femme ...

Roman:

On n'est pas sérieux quand on a dix-sept ans.

Ce qu'il y a d'amusant, c'est que Rimbaud, quand il écrivait ce vers, n'avait pas encore seize ans. Évidemment il se «vieillissait» pour mieux plaire à quelque belle... de, très probablement, son imagination.

Ma Bohème, la plus gentille sans doute de ces gentilles choses. :

Comme des lyres je tirai les élastiques,
De mes souliers blessés, un pied près de mon cœur ...

Mes Petites amoureuses, les Poètes de sept ans, frères franchement douloureux des Chercheuses de poux:

Et la mère fermant le livre du devoir
S'en allait satisfaite et très fière sans voir
Dans les yeux bleus et sous le front plein d'éminences
L'âme de son enfant livrée aux répugnances.
. . . . . . . . . . . . . .

Quant aux quelques morceaux en prose qui terminent le volume, je les eusse retenus pour les publier dans une nouvelle édition des œuvres en prose. Ils sont d'ailleurs très beaux merveilleux, mais tout à fait dans la note des Illuminations et de la Saison en Enfer. Je l'ai dit tout à l'heure et je sais que je ne suis pas le seul à le penser: Le Rimbaud en prose est peut-être supérieur à celui en vers...

J'ai terminé, je crois avoir terminé ma tâche de préfacier. De la vie de l'homme j'ai parlé suffisamment. De son œuvre je reparlerai peut-être encore.

Mon dernier mot ne peut-être ici que ceci: Rimbaud fut un poète mort jeune (à dix-huit ans, puisque né à Charleville[—le 20] Octobre 1854—nous n'avons pas de vers de lui [postérieur] à 1872.) mais vierge de toute platitude ou décadence—comme il fut un homme mort jeune aussi [(à trente] sept ans [le] 10 Novembre 1891 à l'hôpital de la Conception de Marseille), mais dans son vœu bien formulé d'indépendance et de haut dédain de n'importe quelle adhésion à ce qu'il ne lui plaisait pas de faire ni d'être.

Paul Verlaine.

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